B. IL EST NÉCESSAIRE D'ACTIONNER TOUS LES LEVIERS DISPONIBLES POUR LIBÉRER DU TEMPS MÉDICAL AU SERVICE DES PATIENTS
1. L'accompagnement des professionnels de santé lors de leur installation doit être renforcé
Face aux défis croissants de l'accès aux soins et de la désertification médicale, il apparaît crucial de favoriser l'installation des professionnels de santé dans les territoires les plus touchés par ces phénomènes. Les guichets uniques départementaux, créés pour simplifier et accélérer les démarches administratives et logistiques des professionnels souhaitant s'installer, s'avèrent être un levier essentiel. Pourtant, malgré leur potentiel, leur déploiement reste hétérogène.
Ces structures d'orientation sont, à l'unanimité des acteurs entendus par le rapporteur, de bons vecteurs pour encourager l'implantation des médecins dans les zones sous-denses. Elles ne sont toutefois pas l'unique facteur d'incitation, ainsi que le montrait le rapport d'information précédemment (voir supra), la place du « marketing territorial » tend à jouer un rôle renforcé.
S'il paraît en l'état difficile de donner aux guichets uniques une mission d'attractivité par une offre de « marketing territorial » adaptée, le rapporteur de la mission d'information insiste en revanche sur la nécessité de clarifier le rôle entre les acteurs concourant à l'implantation de ces structures ainsi que sur le besoin d'en assurer un suivi.
La clarification du rôle des différents acteurs - agences régionales de santé, collectivités locales, ordres professionnels - est ainsi une priorité. L'implication systématique des collectivités territoriales dans l'implantation des guichets uniques départementaux d'accompagnement à l'installation des professionnels de santé était déjà identifiée par le rapporteur comme une priorité dans son rapport de 2022.
En intégrant pleinement les collectivités au processus, ces guichets bénéficieraient d'une meilleure connaissance des dynamiques locales, des besoins spécifiques de la population et des opportunités d'implantation. Les collectivités, en collaboration étroite avec les agences régionales de santé (ARS) et les ordres professionnels, joueraient un rôle actif dans la promotion des dispositifs auprès des professionnels de santé et dans la mise à disposition de locaux adaptés, revendication forte des praticiens entendus par le rapporteur. Par leur proximité avec les habitants et leur maîtrise des enjeux locaux, les collectivités seraient également bien placées pour adapter les services proposés en fonction des spécificités géographiques et socio-économiques des territoires. Cette approche intégrée renforcerait ainsi la cohérence des actions engagées, améliorerait l'attractivité des territoires et faciliterait une répartition plus équilibrée des professionnels de santé sur l'ensemble du territoire national.
Proposition n° 11 : Accélérer le déploiement des guichets uniques départementaux d'accompagnement à l'installation des professionnels de santé et systématiser l'implication des collectivités territoriales dans leur fonctionnement.
Le rapporteur estime par ailleurs nécessaire de renforcer la communication autour de ces dispositifs auprès des professionnels de santé en formation et des jeunes diplômés afin qu'ils aient conscience et connaissance de leur existence et que le passage vers l'activité professionnelle ne s'apparente pas à un saut dans l'inconnu.
2. L'exercice collectif doit être facilité et les structures de soins mieux adaptées aux besoins des territoires
a) Faciliter le recours aux assistants médicaux au sein des maisons de santé pluriprofessionnelles
L'exercice collectif est aujourd'hui largement plébiscité, notamment par les plus jeunes générations de soignants. Ce sont celles-ci qui, demain, auront à répondre à la demande croissante de soins exprimée sur l'ensemble de notre territoire.
Pourtant, tous les leviers incitatifs à destination de l'exercice pluriprofessionnel n'ont pas encore été actionnés. Si les médecins entendus ont globalement reconnu l'intérêt du recours aux assistants médicaux, et appelé à en augmenter le nombre, plusieurs freins quant à l'emploi de ces derniers au sein de structures collectives sont à recenser.
En théorie, depuis 2019, les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) peuvent avoir recours aux assistants médicaux. Dans la pratique néanmoins, ce dispositif moulé pour répondre aux besoins des médecins libéraux exerçant dans des cabinets individuels de ville est rendu difficilement appréhendable par les médecins exerçant en MSP.
Le conditionnement des aides à l'embauche d'un assistant médical à des critères qui ne correspondent presque qu'exclusivement à l'activité d'un médecin libéral exerçant seul, nuit à l'extension de ce dispositif, notamment aux MSP.
Les maisons de santé pluriprofessionnelles ont tendance à mutualiser une partie de leurs moyens et de leurs ressources. Or, les aides au recrutement d'un AM ne sont prévues que dans le cas où le médecin contracte individuellement avec la CPAM, ce qui ne permet pas de mutualiser l'assistant médical au niveau de la structure administrative.
Le rapporteur estime que les critères d'aides à l'embauche d'un AM doivent être modifiés en profondeur et assouplis afin de permettre aux MSP d'y avoir plus aisément recours. Cette position est notamment partagée par AVECSanté entendu par la mission d'information qui représente « le mouvement des MSP ».
À cet égard, il conviendrait de ne plus subordonner le recrutement d'un AM au seul lien de contractualisation individuel entre un médecin et la CPAM pour bénéficier des aides, mais de permettre à la MSP, en tant qu'entité, de recruter un AM en le mutualisant à l'ensemble des médecins présents dans la structure.
Cette évolution nécessiterait toutefois de définir de nouveaux critères resserrés pour pouvoir bénéficier des aides à l'embauche d'AM par les MSP, afin de ne pas créer d'effets d'aubaine.
Proposition n° 12 : Faire bénéficier les maisons de santé pluriprofessionnelles des aides prévues pour l'embauche d'assistants médicaux.
b) Planifier l'implantation des maisons de santé pluriprofessionnelles afin de densifier le maillage territorial en offre de soins
L'implantation territoriale des MSP est globalement satisfaisante sur le territoire. À bien des égards, ces maisons permettent de répondre en partie aux problématiques des zones sous-denses.
Des inégalités de répartition des MSP, bien souvent au détriment des territoires qui étaient déjà identifiés comme sous-dotés perdurent toutefois.
Le rapporteur estime que le déploiement des MSP doit être une priorité pour répondre aux impératifs des zones les plus défavorisées médicalement et considère que les acteurs publics ont un rôle à jouer dans le suivi de leur implantation.
Il propose ainsi de donner aux délégations départementales des ARS et aux conseils départementaux une mission de cartographie et de planification de l'installation des MSP dans les territoires. Ces acteurs de proximité, au fait des dynamiques locales et des besoins spécifiques de chaque territoire, semblent être les interlocuteurs idoines. En leur confiant la mission de planifier l'implantation des MSP, on encourage une approche plus fine et ciblée de l'aménagement de l'offre de soins.
En structurant de manière durable le maillage territorial des MSP, cette proposition contribue à améliorer l'accessibilité aux soins pour tous les citoyens et à renforcer la résilience des territoires face aux défis de santé publique.
Proposition n° 13 : Confier aux délégations départementales des ARS et aux conseils départementaux la mission d'élaborer une politique de planification de l'installation des MSP dans les territoires.
3. Les mesures tendant à réduire le temps administratif des professionnels de santé doivent être accentuées
Libérer les médecins et les professionnels de santé des activités administratives chronophages qui font perdre du temps médical est l'un des leviers qui semblent le plus nécessaire d'actionner à court terme. L'ensemble des interlocuteurs entendus a insisté sur l'intérêt de délivrer les médecins de ces « temps morts » qui empiètent sur l'activité principale des concernés.
À cet égard, la commission, suivant le rapporteur, estime qu'il faut passer d'une logique d'« à la recherche du temps perdu », au « temps médical retrouvé ».
a) Muscler les effectifs d'assistants médicaux
L'objectif de déploiement de 10 000 assistants médicaux à l'horizon 2025 doit être salué. Toutefois, en cohérence avec les auditions du rapporteur, force est de constater que cet objectif pourrait être musclé davantage.
Le syndicat des médecins libéraux (SML) entendu a estimé à 40 000 le nombre d'AM qu'il pourrait être utile de recruter pour les années à venir. Ainsi que le soulignait Guillaume Chevillard, chercheur géographe spécialiste des questions de répartition territoriale de la santé auprès du rapporteur, le recours aux assistants médicaux permet statistiquement de retrouver un temps médical non négligeable et d'augmenter la patientèle.
À cette aune, il est proposé de renforcer l'objectif du nombre d'assistants médicaux déployés. En ouvrant plus facilement le recrutement des AM par les maisons de santé pluriprofessionnelles (proposition ci-dessous), leur nombre devrait mécaniquement s'accroître. Mais le rapporteur estime qu'il faut aller encore plus loin, en faisant davantage connaître le dispositif auprès de tous les professionnels de santé, en insistant sur son efficacité et sur le temps médical gagné au bénéfice des patients.
Proposition n° 14 : Accélérer et amplifier les objectifs de recrutement des assistants médicaux.
b) Simplifier les outils de gestion du dossier médical des patients
Tous les leviers pour réduire le temps administratif méritent d'être envisagés et éventuellement actionnés. Lors des auditions, plusieurs intervenants ont critiqué la complexité voire l'archaïsme du « Dossier médical partagé » (DMP).
Source : ClikOblog66(*)
Le DMP est un carnet de santé numérique qui permet aux professionnels de santé de disposer d'une information complète sur le passif médical du patient. Conçu pour permettre une prise en charge accélérée du patient et renforcer la collaboration entre tous les professionnels de santé, il se révèle parfois porteur de lourdeurs administratives.
Dans la gestion quotidienne du fichier, certains professionnels ont fait savoir au rapporteur que le reportage des actes médicaux pouvait s'apparenter à un « chemin de croix ». Ces difficultés sont exacerbées pour les médecins âgés qui doivent se familiariser avec un outil peu instinctif.
À l'ère du numérique, il ne s'agit pas pour le rapporteur de remettre en cause l'existence même d'un tel outil, mais plutôt de réfléchir aux modalités de son amélioration en allant vers davantage de simplicité d'usage, notamment en retravaillant l'interface numérique. En effet, dans un contexte d'extension des compétences de nombreuses professions de santé, il est essentiel de faciliter la coordination entre elles, afin d'assurer un suivi médical efficace du patient et éviter de complexifier la tâche des médecins traitants.
Proposition n° 15 : Simplifier les dossiers médicaux partagés (DMP) en améliorant l'ergonomie des interfaces numériques pour faciliter leur prise en main pour le corps médical.
c) S'appuyer davantage sur les compétences des sages-femmes
Les maïeuticiens n'aspirent pas aujourd'hui à de nouvelles compétences, mais recherchent plutôt « la possibilité d'exercer dans de bonnes conditions son champ de compétence actuel » soulignait l'Organisation nationale syndicale des sages-femmes (ONSSF).
Les praticiens entendus ont fait part de leur souhait que soit « reconnu » et « valorisé » le métier de sage-femme. Pour ce faire, il apparaît souhaitable que soient levés plusieurs freins au plein exercice de leurs compétences, en prévoyant :
- La redéfinition de la liste limitative du droit à prescription, afin d'éviter les allers-retours avec le médecin généraliste. L'ONSSF a relayé au rapporteur une situation particulièrement cacophonique dans laquelle les sages-femmes ne peuvent procéder qu'à quelques prescriptions, notamment en matière de vaccins, en raison d'une liste fixe de prescriptions qui n'évolue presque jamais alors que de nouveaux produits apparaissent sur le marché. Cette lenteur spécifique aux maïeuticiens est à distinguer des chirurgiens-dentistes par exemple qui n'ont pas de liste de prescriptions fixe.
- La possibilité de prescrire des arrêts de travail en cas de fausse couche spontanée.
Plus fondamentalement, les sages-femmes appellent à ce que leur statut fasse l'objet de transformations permettant d'accroître l'attractivité de la profession, confrontée à un mouvement de fuite des praticiens.
À cet égard, le Conseil national de l'ordre des sages-femmes (CNOSF) demande à ce que les sages-femmes hospitalières puissent obtenir le statut de praticien hospitalier. Ce statut permettrait aux praticiens de développer l'exercice mixte, aujourd'hui limité à seulement trois ans d'exercice. À la fin de cette période, les maïeuticiens sont conduits à faire un choix entre les deux modes d'exercice de l'activité. Or, selon le CNOSF, « cette organisation est quasiment la seule à permettre d'exercer l'ensemble des compétences de la profession », ce qui est un souhait naturel de la profession.
Cet exercice pourrait être vertueux, en permettant à des sages-femmes exerçant en libérales de pratiquer en maternité et a contrario, à des sages-femmes hospitalières d'exercer notamment dans des zones identifiées comme étant sous-denses.
Le rapporteur de la mission d'information, sans aucun dogmatisme, estime que le recours croissant aux sages-femmes est un levier pertinent du renforcement de l'offre de soins et du parcours de soins.
Proposition n° 16 : Rationaliser le cadre d'exercice des sages femmes en :
- simplifiant l'exercice mixte hospitalier libéral ;
- supprimant la liste limitative de médicaments qu'elles peuvent prescrire.