B. LES MESURES PRISES POUR LUTTER CONTRE LES DISPARITÉS TERRITORIALES ET SOCIALES D'OFFRE DE SOINS ET POUR GARANTIR UN ACCÈS GÉNÉRALISÉ AUX SOINS NON PROGRAMMÉS RESTENT ENCORE LIMITÉES
Les disparités territoriales et sociales d'accès aux soins sont notamment causées par l'inégale répartition des soignants sur le territoire, qui peut être corrigée par des mesures d'incitation à l'exercice dans les zones les moins bien dotées ainsi que des dispositifs de régulation de l'installation des soignants. Actuellement, la majorité des professionnels de santé - mais pas les médecins - sont soumis à un cadre de régulation doublé de mesures incitatives. De façon complémentaire, des dispositifs « d'aller-vers » les populations les moins bien dotés ainsi que la télémédecine ont été déployés afin de répondre aux besoins de soins de certains publics isolés.
Le défi d'assurer une prise en charge des soins non programmés et d'assurer ainsi une permanence des soins efficace dans tous les territoires exige également la prise de mesures spécifiques. C'est en particulier le rôle des services d'accès aux soins (SAS), qui ont pour fonction de répondre à ces demandes non programmées lorsque les patients ne peuvent pas obtenir de rendez-vous chez leur médecin traitant. Hors des horaires d'ouverture habituels des cabinets, il revient à la permanence de soins ambulatoires (PDSA) d'assurer une continuité de l'offre de soins.
1. Les mesures de soutien à l'offre de soins dans les zones médicalement sous-dotées ne répondent pas aux attentes de leurs populations
a) Les régimes de régulation de l'installation et d'incitation à l'exercice dans les zones sous-dotées à l'attention des professions de santé sont très hétérogènes
(1) Les médecins bénéficient d'un cadre exclusivement incitatif à l'efficacité contrastée
Les médecins libéraux bénéficient d'une liberté totale d'installation. Contrairement aux autres professions médicales et paramédicales (cf. infra), ils ne sont concernés par aucune règle encadrant le choix de leur lieu d'exercice en fonction des besoins de soins.
En revanche, compte tenu de leur inégale
répartition sur le territoire, qui tend à s'accentuer
(cf. supra), un régime complexe d'incitation à
l'installation dans les zones les moins bien
dotées a été mis en place.
L'État, par
le biais des ARS, la Cnam et les collectivités territoriales ont en
effet mis en oeuvre des dispositifs d'aide en leur faveur.
Les dispositifs gérés par la Cnam ont été établis dans le cadre des conventions qu'elle a conclues avec les organisations syndicales représentant les médecins libéraux. La convention médicale de 2016 a ainsi défini 4 contrats incitatifs :
- le contrat d'aide à l'installation (CAIM), qui a pour objet d'aider les médecins à faire face aux frais d'investissement générés par le début d'activité dans une zone sous-dense ;
- le contrat de stabilisation et de coordination (Coscom), qui encourage les médecins engagés dans une démarche de soins coordonnés ;
- le contrat de transition (Cotram), qui accompagne les médecins qui préparent leur cessation d'activité en zones fragiles en favorisant l'installation d'un nouveau médecin dans leur cabinet ;
- le contrat de solidarité territoriale (CSTM), qui encourage l'activité à temps partiel de médecins en soutien de leurs confrères exerçant dans des zones sous-denses.
Ces contrats ne sont pas cumulables. Pour les seuls médecins généralistes, leur coût était de 32 millions d'euros en 2020 selon la Cour des comptes19(*).
Le cumul emploi-retraite des médecins : une aubaine pour les territoires sous-denses ?
Afin de favoriser un retour à l'exercice des médecins et personnels de santé récemment retraités et répondre au manque de personnel médical, une fiscalité comportementale incitative, passant par une exonération de paiement des cotisations retraite pour ces médecins (proposition n° 6 du rapport d'information de 2022) ainsi que la possibilité de bénéficier d'un cumul emploi-retraite total pour tous les soignants exerçants, a été mise en oeuvre. Le dispositif fiscal à destination des seuls médecins n'a pas tenu compte des garde-fous formulés dans le précédent rapport d'information. La mesure, au lieu d'être circonscrite aux médecins exerçants dans des zones sous-dotées, a été étendue à tous les médecins.
En 2022, la Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF) dénombrait 12 422 médecins en situation de cumul emploi-retraite. En 2024, selon les dernières données communiquées par la CARMF, 13 513 médecins bénéficient de cette mesure, des chiffres en hausse constante, progressant d'environ 7 % sur 1 an.
Parmi ces médecins en situation de cumul emploi-retraite, 43 % sont des généralistes et 57 % sont des spécialistes.
Malheureusement, la répartition géographique de ces médecins singe quasiment à l'identique la carte des zones déjà médicalement sous-dotées.
Médecins en cumul emploi-retraite par région au 1er janvier 2024
Source : Caisse autonome de retraite des médecins en France (CARMF), communication du 31 juillet 2024
Aussi, cette mesure, quoique pertinente pour lutter globalement contre l'attrition du nombre de médecins, ne contribue que faiblement au remplissage des zones sous-dotées.
La Cnam a souligné auprès du rapporteur la relative efficacité de ces dispositifs. Selon elle, « bien que contrasté, le bilan de ces différentes aides demeure positif », car leur création a « permis de satisfaire une demande émanant de ces professionnels (430 CAIM sont conclus chaque année en moyenne) » et que « la France ne fait guère figure d'exception avec les dispositifs en question, qui sont présents dans la majorité des pays de l'OCDE ».
Les représentants des médecins entendus par le rapporteur ont présenté un bilan de ces aides en demi-teinte. Pour MG France, elles ont en effet parfois constitué un effet d'aubaine, mais « ont probablement limité la désertification dans certaines zones ». Le syndicat ReAGJIR a indiqué au rapporteur que « les aides financières à l'installation ne constituent pas un facteur prédominant qui détermine l'installation des médecins même si leur existence peut faire pencher la balance quant au territoire d'installation (effet de bord entre deux territoires frontaliers par exemple) ».
La Cnam reconnaît cependant « l'absence de bilan complet » des effets de ces aides, ce qui empêche de mesurer précisément leur efficacité. Le rapporteur avait pourtant appelé, dans la proposition n° 14 de son précédent rapport d'information, à réaliser ce bilan dans une logique d'efficience de la dépense publique. Il est donc particulièrement regrettable que cette étude n'ait toujours pas été menée. Par ailleurs, le fait que d'autres pays déploient également des dispositifs aux effets mal mesurés ne peut servir d'argument en faveur de leur pertinence.
Or, les principales études réalisées à l'échelle internationale soulignent précisément l'impact limité de ces aides, compte tenu du fait que le poids du facteur financier « apparaît secondaire par rapport aux autres conditions de l'épanouissement professionnel »20(*) dans le choix du lieu d'installation des professionnels de santé.
La Cour des comptes a également mis en avant dans un récent rapport21(*) que ces aides étaient également peu ciblées, ce qui accentue les risques d'effets d'aubaine. Les territoires éligibles aux aides des ARS et de la Cnam représentent en effet 30 % de la population nationale, et ceux éligibles aux dispositifs mis en oeuvre par les collectivités territoriales 75 %.
La Cnam a souligné au rapporteur qu'une réforme de ces aides a été conclue lors de la convention médicale du 4 juin 2024 entre l'assurance-maladie et les médecins libéraux, afin qu'elles soient mieux orientées vers les zones prioritaires.
Si le rapporteur salue cette volonté de ciblage des aides, il s'interroge sur la méthode déployée par la Cnam : cette réforme ne repose pas sur une évaluation rigoureuse du régime d'aide en vigueur, qui aurait pourtant dû être la condition sine qua non pour garantir l'efficience accrue du nouveau dispositif.
La « planification des
besoins » en Allemagne : un modèle porteur
afin de
favoriser l'équité territoriale d'accès aux
soins
Le rapporteur accompagné par les sénateurs Alain Duffourg et Simon Uzenat s'est rendu en Allemagne, du 24 au 25 octobre 2024, à Berlin et Leipzig, afin d'expertiser le modèle allemand de lutte contre les disparités territoriales d'accès aux soins.
Les différents acteurs du système de santé allemand ont présenté à la délégation la « planification des besoins », qui régit l'installation des professionnels de santé.
Ce plan vise à éviter les disparités territoriales d'accès aux soins en faisant correspondre le nombre de praticiens en activités aux besoins spécifiques de chaque zone. Le processus de planification comprend trois étapes principales : la définition du territoire de régulation, l'analyse démographique et la fixation du nombre souhaité de médecins. Les associations de médecins sous contrat divisent le territoire en 395 zones, classées en trois catégories (urbain, périurbain, rural) et subdivisées en sept types, selon la densité de population.
Le ratio de médecins par habitant recherché est celui qui était constaté en Allemagne de l'Ouest en 1990. Pour les médecins généralistes, il correspond à un praticien pour 1 617 habitants. D'autres facteurs comme l'âge des médecins, celui de la population et ses caractéristiques ont été progressivement pris en compte.
En fonction de ces critères, les associations de professionnels déterminent le nombre de médecins autorisés à s'installer par spécialité. Si le ratio de médecins dépasse 110 % de la cible, aucune nouvelle autorisation n'est délivrée, bien que la fermeture de cabinets existants ne soit pas imposée. Si un médecin choisit de s'installer tout de même, il ne pourra pas nouer de contrat avec les caisses d'assurance-maladie publiques. Ce système peut donc être comparé à une forme de « conventionnement sélectif ».
À l'inverse, dans les zones sous-dotées, des incitations financières à l'incitation sont déployées.
Ce système s'inscrit dans le cadre d'autogestion caractéristique du système de santé allemand. Le cadre général du dispositif est conçu à l'échelle fédérale par le Comité fédéral conjoint, instance suprême du système de santé, qui regroupe les caisses d'assurance maladie, les professionnels de santé et les patients, et l'Association fédérale des médecins conventionnées. Ensuite, la territorialisation du dispositif est effectuée par les associations régionales de médecins conventionnés à l'échelle de chaque Land.
Pour le rapporteur, ce système est un outil pertinent afin de faire correspondre l'installation des professionnels de santé et les besoins des patients. Il rend les médecins responsables du bon fonctionnement du dispositif et permet ainsi, dans le cadre de l'autogestion, de renforcer son acceptabilité par la profession.
(2) Les chirurgiens-dentistes bénéficient de nombreuses mesures incitatives, qui devraient être complétées par un cadre de régulation souple à partir de 2025
Les chirurgiens-dentistes sont répartis de façon inégale sur le territoire. Le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes a ainsi alerté le rapporteur sur leur « répartition territoriale totalement déséquilibrée », en dépit d'une démographie relativement dynamique.
Ils bénéficient cependant historiquement d'une liberté totale d'installation. Les pouvoirs publics ont en effet privilégié le recours à un régime incitatif pour favoriser l'attractivité des zones sous-dotées. L'assurance-maladie et les syndicats représentatifs de la profession ont signé le 21 juillet 2023 la nouvelle convention nationale des chirurgiens-dentistes libéraux pour la période 2023-2028. Cette convention prévoit une forte revalorisation des contrats incitatifs à l'installation dans les zones très sous-dotées :
- l'aide forfaitaire à l'installation a été doublée pour atteindre 50 000 euros pour 5 ans ;
- l'aide au maintien d'activité a été portée de 3 000 à 4 000 euros par an ;
- la part de la population couverte par ces territoires est étendue à 30 % (contre 7 % aujourd'hui).
En contrepartie, cependant, a été mise en place une première forme de régulation des installations, nommée « gestion partagée ». Dans les zones dites non prioritaires (5 % de la population et 9 % des praticiens), tout nouveau conventionnement est conditionné au départ d'un professionnel.
Si le rapporteur salue la décision de réguler l'installation des chirurgiens-dentistes dans les zones les plus dotées, il s'interroge sur la pertinence des aides à l'installation dans les zones les moins bien dotées. À l'instar de celles à destination des médecins, les aides existantes n'ont pas fait l'objet d'une évaluation rigoureuse.
Le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes a d'ailleurs souligné auprès du rapporteur que « les aides à l'installation n'influencent en rien les décisions d'installation. Elles ont un relatif impact sur les reprises de cabinet et le maintien d'activité ». Les Chirurgiens-dentistes de France (Les CFD) ont indiqué au rapporteur que le bilan de ces aides était « mitigé », compte tenu de « la faible attractivité des zones sous-dotées malgré les incitations financières ». Elles sont également insuffisamment orientées vers les praticiens exerçant dans les secteurs critiques : soins non programmés, pédiatrie dentaire, les soins pour les personnes âgées ou pour les patients atteints d'affections de longue durée (ALD).
(3) Les masseurs-kinésithérapeutes sont soumis à un cadre de régulation de l'installation qui s'est récemment durci
Les masseurs-kinésithérapeutes sont une profession historiquement mal répartie sur le territoire. En dépit de leur progression démographique, ces inégalités ont même tendance à progresser. Les territoires appartenant au premier décile de zones mieux dotées comptaient 6,6 fois plus de masseurs-kinésithérapeutes que les zones du dernier décile en 2019 contre 6,1 en 2016.
Cependant, cette démographie en forte progression a favorisé une gestion active de leurs règles d'installation.
Nombre de masseurs-kinésithérapeutes inscrits au tableau de l'ordre
Années |
Salariés |
Libéraux et mixtes |
2020 |
13 323 |
77 517 |
2021 |
14 594 |
83 196 |
2022 |
15 098 |
86 505 |
2023 |
15 849 |
89 809 |
2024 (au 30 août) |
15 627 |
90 214 |
Source : Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes
Densité départementale de
masseurs-kinésithérapeutes
tous modes d'exercice confondus au
1er janvier 2022
Source : Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes
Dès 2017, l'avenant 5 à la convention entre les organisations représentatives de la profession et l'assurance-maladie a instauré le principe « une arrivée pour un départ » dans les zones surdotées. L'avenant 7, signé le 13 juillet 2023, a étendu le dispositif de régulation en vigueur. Il tend à :
- augmenter les aides à l'installation et au maintien de l'activité en zones sous-denses, et élargir les territoires concernés par ces dispositifs incitatifs (15 % de la population concernée) ;
- étendre les zones non prioritaires (où la densité de masseurs-kinésithérapeutes est la plus importante), où s'applique la règle « une installation pour un départ » et qui concerneront 30 % de la population.
Pour les seuls étudiants débutant en 2023 la formation conduisant au diplôme d'État de masso-kinésithérapie, l'avenant prévoit une première installation en exercice libéral ciblée sur les zones « sous-dotées » ou « très sous-dotées », ou une première expérience en établissement sanitaire ou médico-social à l'issue de la formation en institut de formation en masso-kinésithérapie (IFMK).
Nombre de cabinets principaux de masseurs-kinésithérapeutes par an et par zone (hors Mayotte)
Source : Réponse de la Cnam au questionnaire du rapporteur
Si le volontarisme de l'assurance-maladie et de la profession afin de lutter contre les disparités territoriales d'accès aux soins est salutaire, il est encore difficile d'estimer l'efficacité des mesures pour les zones les moins bien dotées.
Les premières données transmises au rapporteur par la Cnam montrent une certaine progression des installations dans les zones très sous-dotées : le nombre de cabinets y augmente de 6 % par an entre 2019 et 2021. Toutefois, on observe également une hausse marquée du nombre de cabinets dans les zones très dotées, d'environ 5,3 % par an sur la même période. En volume, le phénomène est plus important : 1 046 nouveaux cabinets ont ouvert dans ces zones, contre 224 dans les zones très sous-dotées.
La Fédération française des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs (FFMKR) a souligné ainsi auprès du rapporteur que « l'attractivité des territoires classés en zones “non prioritaires”, est telle que les kinésithérapeutes s'installent à la périphérie de ces zones régulées, en cercles excentriques -- d'où l'extension, par avenants à la convention nationale, des zones régulées ».
La réforme des règles à destination des futurs professionnels devrait donc permettre de favoriser les installations dans les zones sous-dotées et très sous-dotées. Il n'est cependant pas encore possible d'évaluer les effets de ce dispositif, dont l'entrée en vigueur n'est pas encore intervenue.
Le rapporteur s'inquiète également de l'absence d'études précises pour évaluer les besoins des territoires et mesurer les effets des mesures de régulation. Le Syndicat national des masseurs-kinésithérapeutes (SNMKR) a ainsi mis en avant que la récente extension des zones non prioritaires ne reposait pas sur une « évaluation objective de la situation ».
(4) L'installation des sages-femmes est soumise à un dispositif de régulation qui a permis de corriger de nombreuses disparités, mais qui ne prend pas assez en compte les spécificités de la profession
Le cadre de régulation de l'installation des sages-femmes est strict. Dès 2012, un zonage a été défini :
- dans les zones « sans sages-femmes », « très sous-dotées » et « sous-dotées » en sages-femmes libérales, des mesures destinées à favoriser l'installation et le maintien sont proposées à travers la création d'un « contrat incitatif sage-femme » ;
- dans les zones « surdotées » en sages-femmes libérales, l'accès au conventionnement est soumis au principe « une arrivée pour un départ »22(*).
La mise en oeuvre de ce cadre de régulation a permis une amélioration de la répartition territoriale de la profession, mise en avant par le CNOSF.
L'Organisation nationale syndicale des sages-femmes (ONSSF) a cependant indiqué au rapporteur que le zonage était en décalage avec les besoins de soins. Comme l'a souligné l'Union nationale et syndicale des sages-femmes (UNSSF), il prend en compte uniquement les sages-femmes exerçant en libéral. Il néglige ainsi les autres modes d'exercice, comme le salariat au sein de centres de santé, ainsi que la présence d'un établissement de santé avec un service de gynécologie ou d'obstétrique. Plus largement, les compétences des sages-femmes étant souvent partagées avec d'autres professionnels de santé, une prise en compte accrue de la démographie de ces derniers dans le zonage aurait également été nécessaire.
Le rapporteur rappelle que l'efficacité et l'acceptabilité par les soignants des dispositifs de régulation de l'installation est conditionnée à la pertinence du zonage défini.
(5) Les infirmiers sont soumis à un cadre de régulation de l'installation qui a d'ores et déjà permis de corriger partiellement la clé de leur répartition sur le territoire
Les infirmiers sont soumis à un cadre de régulation ancien et strict qui a d'ores et déjà permis de corriger partiellement leurs disparités sur le territoire.
Les infirmiers libéraux ont été soumis au principe « une arrivée pour un départ » dans les zones surdotées dès 2009. Une aide est également prévue en cas d'installation dans une zone très sous-dotée.
Une étude réalisée par des chercheurs de l'institut de recherche et de documentation en économie de la santé (IRDES)23(*) a montré l'efficacité de ces mesures. Selon celle-ci, « l'écart entre les moyennes des territoires très sous-dotés et sur-dotés s'est réduit de moitié entre 2006 et 2016 ». Ainsi, pour ses auteurs, l'effet causal des mesures de restriction de l'installation dans les zones surdotées est même plus fort que celui des mesures d'incitation à l'installation dans les zones très sous-dotées. Cette réduction de l'écart est encore plus fort pour les jeunes professionnels : actuellement, la densité d'infirmiers libéraux de moins de 40 ans est équilibrée sur le territoire.
Le rapporteur se félicite de la démonstration de l'efficacité de la mise en oeuvre de dispositifs de régulation de l'installation d'une profession de santé.
Évolution des densités
d'infirmières libérales
et des densités
d'infirmières libérales de moins de 40 ans
Source : Irdes
(6) Les ouvertures d'officines de pharmacie sont soumises à une politique de planification territoriale qui a été récemment assouplie afin de limiter les fermetures dans les territoires ruraux
Les pharmacies d'officine ont encore un maillage territorial dense et équitable qui permet d'assurer la proximité et l'accessibilité d'un professionnel de santé pour l'ensemble des Français. Selon les données communiquées au rapporteur par le Conseil national de l'ordre des pharmaciens (Cnop), la France compte en effet 30 officines de pharmacie pour 100 000 habitants, la moyenne de l'OCDE étant à 28 officines pour 100 000 habitants. Cependant, cette densité est en diminution, 9,3 % des officines ayant disparu entre 2013 et 2023.
Toutefois, la fermeture d'officines ne se concentre pas spécifiquement dans les petites communes, où leur rôle pour l'accès aux soins est particulièrement fort. Comme l'a indiqué l'Union des Syndicats de Pharmaciens d'Officine (USPO) au rapporteur, « l'immense majorité de la population peut avoir à accès à une officine à moins de 15 minutes de trajet routier. Plus du tiers des officines françaises constitue le coeur même de l'offre de soins de proximité car elles sont installées au sein de communes de moins de 5 000 habitants ». Elles jouent un rôle essentiel dans les zones médicalement sous-dotées, comme le souligne le Cnop : les pharmaciens « peuvent être une solution dans la prise en charge de soins de premiers recours, en particulier dans un contexte de difficultés d'accès aux soins, et participent au renforcement de l'accès aux soins ».
Selon la Drees24(*), cette équité territoriale d'accès aux pharmaciens est le reflet de la régulation qui régit leur implantation. Les officines sont en effet soumises à un régime de planification territoriale, qui assure leur bonne répartition géographique.
En application de l'article L. 5125-4 du code de la santé publique, l'ouverture d'une officine dans une commune peut ainsi être autorisée lorsque le nombre d'habitants recensés est au moins égal à 2 500. L'ouverture d'une officine supplémentaire peut être autorisée par voie de transfert ou de regroupement à raison d'une autorisation par tranche entière supplémentaire de 4 500 habitants recensés dans la commune. Ces règles ne s'appliquent que pour l'ouverture d'une nouvelle officine : un nouvel acquéreur peut reprendre une pharmacie dans une commune comptant moins de 2 500 habitants.
Pour le rapporteur, ce maillage territorial encore dense des pharmacies est la marque de l'efficacité de ce cadre de régulation de leurs ouvertures. Cet ancrage territorial des officines pourrait permettre de s'appuyer plus volontairement sur ces dernières, en particulier dans les zones médicalement sous-dotées, pour renforcer l'accès aux soins pour les populations.
Le dispositif « territoires
fragiles » et l'expérimentation
d'ouverture d'antennes
d'officines
Les articles L. 5125-6 et L. 5125-6-1 du code de la santé publique, issus de l'ordonnance n° 2018-3 du 3 janvier 2018 relative à l'adaptation des conditions de création, transfert, regroupement et cession des officines de pharmacie prévoient un cadre dérogatoire à l'installation de pharmacies dans les communes où l'accès au médicament n'est pas assuré de manière satisfaisante.
Dans ces territoires, le directeur général de l'ARS fixe par arrêté, après avis du conseil de l'Ordre des pharmaciens territorialement compétent et du représentant régional désigné par chaque syndicat représentatif de la profession, la liste des communes contiguës dépourvues d'officine, dont une recense au moins 2 000 habitants, afin de totaliser 2 500 habitants et pouvoir ainsi autoriser l'ouverture d'une pharmacie.
L'application de cette disposition était gelée par l'absence de publication, pendant plus de 6 ans des textes d'application nécessaires par le pouvoir réglementaire.
Le décret n° 2024-756 relatif aux conditions de détermination des territoires au sein desquels l'accès au médicament pour la population n'est pas assuré de manière satisfaisante est finalement paru le 7 juillet 2024, et devrait ainsi permettre l'application de cette loi par les ARS.
Le rapporteur se félicite de la parution de ce décret, qui permettra d'adapter le cadre de régulation de l'ouverture des pharmacies aux difficultés spécifiques rencontrées dans certains territoires.
Par ailleurs, une expérimentation « article 51 » est en cours afin de déroger aux règles d'installation et permettre au directeur de l'ARS de garantir l'approvisionnement en médicaments de la population d'une commune dont la dernière officine a cessé définitivement son activité en autorisant la création d'une antenne par le pharmacien titulaire d'une officine d'une commune limitrophe ou de l'officine la plus proche.
Pour le rapporteur, cette expérimentation est bienvenue, afin d'étudier toutes les possibilités existantes permettant d'assurer un accès équitable aux médicaments. Toutefois, si les horaires d'ouverture de ces antennes devaient être réduits par comparaison aux autres pharmacies, celles-ci ne pourraient pas jouer également un rôle de structure d'accueil et d'accès de premier recours à un professionnel de santé dans les zones médicalement sous-dotées.
b) Les mesures de coordination des acteurs de santé dans les territoires ont des résultats encourageants, mais contrastés
Afin de favoriser la coordination entre les professionnels de santé dans les territoires, la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a créé les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Elles regroupent les professionnels d'un même territoire qui souhaitent s'organiser autour d'un projet de santé pour répondre à des problématiques communes.
Pour le rapporteur, ces structures d'organisation des soins sont à même d'améliorer la qualité du parcours de soins des patients, de limiter les difficultés de coordination entre professionnels de santé, de favoriser les délégations de tâche et ainsi de libérer du temps médical utile pour les patients.
Le Gouvernement alors en place s'était fixé un objectif de création de 1 000 CPTS en 2022. Depuis l'objectif a été corrigé. Il s'agit d'atteindre une couverture de 100 % du territoire. Selon les données transmises par la Cnam au rapporteur, en septembre 2024, 87,86 % du territoire est couvert par une CPTS. 619 ont signé un accord-cadre interprofessionnel (ACI), couvrant 74,15 % de la population.
Les CPTS ont cependant des missions variées en fonction de leur taille, de leur maturité et de l'engagement des professionnels de santé dans leurs territoires. La DGOS et l'assurance-maladie ont lancé le plan 100 % CPTS, afin d'achever la couverture de l'ensemble du territoire en CPTS et de les accompagner dans la réalisation de leurs missions.
Les représentants des professionnels de santé rencontrés par le rapporteur ont dressé un bilan globalement positif, mais contrasté. Pour MG France, « Les CPTS ont permis une articulation entre la ville et l'hôpital et permis des échanges rapprochés avec les élus. La crise Covid a montré leur efficacité dans l'organisation des professionnels ». Certaines CPTS sont des lieux d'expérimentation et de mise en oeuvre de protocoles d'exercice coordonnés entre professionnels de santé. La Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) a ainsi indiqué que « ce sont au sein des CPTS qu'a été expérimentée la prise en charge en officine de l'angine bactérienne et de la cystite avant sa généralisation. Elles constituent donc un espace d'innovation et de déploiement sur le territoire de pratiques encourageant l'accès aux soins ».
Les représentants des professions de santé entendus ont indiqué cependant que l'intégration de leurs membres aux CPTS était variable, à l'instar de l'UNSSF qui a souligné que la place des sages-femmes dans certaines CPTS est encore « difficile à prendre » car leur champ de compétences et d'intervention reste encore méconnu, y compris par les autres professionnels de santé.
En outre, le fonctionnement des CPTS dépend de plusieurs facteurs locaux, si bien que, comme le met en avant la FFMKR, « la prise en main de ces dispositifs est très inégale sur le territoire », et dépend « surtout des professionnels de santé qui s'y investissent ». Plus largement, « ces dispositifs restent mal connus des professionnels de santé ; par ailleurs, même ceux qui y sont investis peuvent avoir une idée trop vague des missions des CPTS. Cela peut aboutir à un mésusage de fonds publics, soit à cause de doublons avec des dispositifs existants (plateformes territoriales d'appui, maisons de santé, ...), soit par la création de dispositifs à l'utilité pour la santé publique discutable (semblants de “comités d'entreprises” pour libéraux, week-ends d'intégration, etc.) ».
La maturité et le degré d'intégration des CPTS dépendent également de leur taille. Le CNOP a ainsi indiqué au rapporteur que « les CPTS couvrent des territoires de plus en plus grands, rassemblant des dizaines de professionnels de santé ne se connaissant pas et n'ayant pas l'habitude de travailler ensemble, ce qui est un frein à la coopération de proximité. En effet, même si les CPTS se développent sur l'ensemble du territoire, celles-ci ne sont pas nécessairement opérationnelles, en particulier pour la mise en oeuvre des protocoles de coopération ». Ces CPTS parfois mal dimensionnées par rapport aux besoins de soins peuvent freiner l'intégration des professionnels de santé, qui considèrent que leur investissement peut être une perte de temps. Le syndicat Les CDF a ainsi indiqué au rapporteur que « dans la majorité des cas, les chirurgiens-dentistes estiment que leur participation aux CPTS est une perte de temps, particulièrement dans les zones où l'offre de soins dentaires est suffisante ». Une telle situation est également favorisée par « un manque d'adéquation entre l'organisation des CPTS et les spécificités des chirurgiens-dentistes dans de nombreuses régions ».
Il est donc permis de s'interroger sur la pertinence d'un objectif comptable de couverture de la totalité du territoire national, qui pourrait favoriser la création de grandes CPTS, peu fonctionnelles et inadaptées aux besoins des territoires. Il partage les inquiétudes du CNOI, qui « ne peut, à ce jour, se positionner sur l'efficience des CPTS en raison d'un manque de visibilité sur l'impact réel de ces structures sur le système de santé ». En dépit de leur potentiel, la disparité des modèles dans les territoires rend en effet difficile l'évaluation de l'impact des CPTS sur l'amélioration de l'accès aux soins.
c) Des politiques « d'aller vers » les populations les moins bien dotées ont été déployées, mais leur mise en oeuvre reste encore balbutiante
Afin de pallier les difficultés d'accès aux soins dans certaines zones sous-dotées, des dispositifs spécifiques « d'aller vers » les patients ont été mis en oeuvre.
C'est notamment le cas des « médicobus ». Ce dispositif entend répondre aux besoins spécifiques des territoires ruraux. Il s'inscrit dans le cadre du plan France Ruralités, annoncé en juin 2023. Pour la DGOS, « les médicobus sont ainsi une réponse -- parmi un ensemble d'autres mesures -- aux difficultés d'accès aux soins des personnes isolées et sans médecin traitant puisqu'il s'agit d'une offre mobile de médecine générale ou spécialisée, s'inscrivant dans une démarche de proximité ». Le précédent Gouvernement s'était pour objectif de déployer 100 médicobus d'ici la fin de l'année 2024 en partenariat avec les collectivités territoriales. En avril dernier, 30 projets seulement ont été labellisés. Une seconde phase de labellisation est attendue afin d'atteindre l'objectif.
Certaines unités mobiles de soignants peuvent également pallier le manque de médecins spécialistes dans des zones rurales, à l'instar de la « mammobile » déployée dans l'Orne qui réalise le dépistage organisé (DO). Selon le rapport sur l'évolution des charges et des produits de l'Assurance maladie au titre de 2025, environ 40 % des mammographies en DO réalisées dans l'Orne le sont grâce aux mammobiles.
Pour le rapporteur, ces dispositifs, dont il n'est pas encore possible de tirer de bilan, sont bienvenus afin de répondre aux difficultés d'accès aux soins les plus critiques dans les territoires ruraux. Dans son rapport de février 2022, il avait déjà recommandé de « développer une offre de soins itinérante dans les territoires ruraux, avec des bus équipés et financés par les agences régionales de santé et mis à disposition des professionnels ». Il note cependant que ces dispositifs méritent d'être déclinés en plus grand nombre au regard des besoins.
d) L'essor rapide de la téléconsultation n'a pas profité aux publics les plus éloignés de l'offre de soins
La téléconsultation est fréquemment présentée comme une solution pour remédier temporairement aux disparités territoriales d'accès aux soins. Son recours a fortement progressé à l'occasion de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19. Selon les données transmises par la Cnam au rapporteur, 17,1 millions de téléconsultations ont été facturées en 2020 (toutes spécialités confondues), 13,2 millions en 2021, 12,5 millions en 2022 et 11,6 millions en 2023, soit une baisse de 32 % entre 2020 et 2023. La téléconsultation représente désormais 2 % de l'activité des médecins libéraux.
En dépit de cette baisse du volume global de téléconsultations, la part de téléconsultations réalisées au sein des « plateformes de téléconsultations », augmente. Elle représente plus d'un tiers des téléconsultations en 2023.
Évolution du volume de montant remboursable
de
téléconsultations des médecins libéraux
et en centres de santé depuis 2020
Source : Réponse de la Cnam au questionnaire du rapporteur
Le profil des patients qui ont le plus recours à la téléconsultation ne correspond pas au public rencontrant le plus de difficultés d'accès aux soins. En effet, selon la Cnam, les patients ayant recours à la téléconsultation résident le plus souvent dans les communes densément peuplées (51,5 % contre 37 % parmi l'ensemble des patients ayant eu recours à la médecine générale) ainsi que dans les communes les plus favorisées (29 % contre 20 % vivent dans les communes dont l'indice de défavorisation FDep est dans le premier quintile de communes - c'est-à-dire les communes les plus favorisées). On observe cependant que les patients ayant eu recours à la téléconsultation via une plateforme résident davantage dans des communes avec une faible accessibilité aux médecins généralistes (29 % dans les communes dont l'APL est dans le 1er ou 2e quintile de communes -- c'est-à-dire des communes avec une faible accessibilité aux médecins généralistes -- contre 20 % pour l'ensemble des téléconsultants).
Le rapporteur regrette cette évolution prévisible et rappelle qu'il avait recommandé que le déploiement des cabines de téléconsultation ait lieu prioritairement dans les zones sous-denses et soit doublé de mesures d'accompagnement à l'usage des outils numériques pour les patients fragiles25(*).
Répartition des patients ayant eu recours
au médecin généraliste (MG),
ayant
téléconsulté un MG et ayant
téléconsulté un MG en plateforme,
selon les indicateurs
territoriaux en 2022
Source : Réponse de la Cnam au questionnaire du rapporteur
Comme le souligne MG France, les publics les plus touchés par des difficultés d'accès aux soins sont structurellement ceux qui ont le moins recours à la téléconsultation : « Les publics les plus pénalisés sont les patients âgés, les CSP - et les patients vulnérables (patients en souffrance psychique, en précarité, migrants, etc.). Les patients multimorbides qui subissent une intrication de facteurs de complexité somatique, psychologique ou sociale sont les plus en difficulté. Ce sont aussi ces publics touchés par la fracture numérique qui ne peuvent bénéficier de la télémédecine pourtant présentée comme “LA” solution par les pouvoirs publics ».
La téléconsultation peut en outre représenter un risque pour le patient en cas d'encadrement insuffisant. Selon les informations transmises par la Cnam au rapporteur, « Les premières analyses établies par l'Assurance Maladie font notamment apparaître certains mésusages (contournement du parcours de soins, sur-prescription médicamenteuse, absence d'urgence médicale, recours excessif par des patients ayant par ailleurs un médecin traitant, prescriptions d'arrêt de travail injustifiées, etc.) ».
Le rapporteur se félicite donc de ces mesures de régulation, en particulier de la création d'agrément pour les sociétés de téléconsultation par l'article 53 de la LFSS pour 202326(*), la moindre valorisation des tarifs des téléconsultations, la limitation des arrêts de travail prescrits dans le cadre d'une téléconsultation, la restriction de prise en charge des prescriptions réalisées seulement en téléconsultation et l'encadrement de l'installation de cabines.
Ces avancées sont cependant encore insuffisantes compte tenu des dérives constatées ces dernières années. Le rapporteur conteste en particulier le bien-fondé de l'installation de cabines de téléconsultations dans des lieux publics comme des halls de gare. Il regrette que le pouvoir réglementaire n'ait pas repris la recommandation de la Haute Autorité de santé (HAS)28(*) tendant à ce que l'implantation d'un équipement de télésanté soit faite prioritairement dans les lieux de soins où exerce un professionnel de santé.
E-Meuse Santé : un dispositif efficace
pour mettre la téléconsultation
au service des patients
souffrant de difficultés d'accès aux soins
E-Meuse santé est l'un des 24 projets lauréats du concours national qui bénéficie du soutien de l'État et la Banque des territoires dans le cadre de sa politique « Territoires d'Innovation ». Il est conduit par le Département de la Meuse, en partenariat avec les Départements de la Haute-Marne, de la Meurthe-et-Moselle et de la Région Grand Est.
Ce projet, co-construit dès son origine avec les professionnels de la santé et les patients, a pour objectif d'améliorer l'accès aux soins pour tous grâce à la santé numérique.
Dans ce cadre, plus de 5 000 téléconsultations ont été effectuées depuis 2021, avec la présence systématique d'un professionnel de santé aux côtés du patient. Les premiers bilans du dispositif montrent qu'il est efficace pour garantir l'accès aux soins de nombreux patients, notamment de personnes âgées. En effet, la présence d'un professionnel de santé aux côtés du patient permet de lever les freins au recours à la téléconsultation, notamment l'illectronisme éventuel des patients. Le rôle de ce professionnel de santé est donc technique, social et médical. Il permet également de réduire la durée de la téléconsultation pour le médecin.
2. Les mesures à destination des publics les plus fragiles ont des effets positifs, mais qui ne sont pas encore complètement satisfaisants
Les acteurs du système de santé ont déployé des mesures à destination des publics les plus fragiles, à l'instar des personnes les plus éloignées du système de santé et dépourvues de médecin traitant.
On observe en effet sur le long terme une progression de la proportion de patients sans médecin traitant, passée de 10,2 % de la population fin 2014 à 11,3 % fin 2023. Parmi ces patients, ceux pour lesquels cette situation est la plus problématique sont les patients en affection de longue durée (ALD)29(*), car ils nécessitent d'être suivis régulièrement par un médecin. Le Gouvernement d'alors a déployé un plan visant à attribuer un médecin traitant à ces patients. Selon la Cnam, le taux de patients en ALD sans médecin traitant est ainsi passé de 5,6 %, ce qui représentent 616 922 patients, en février 2023, à 4,18 %, soit 472 505 patients, fin décembre 2023. Cela équivaut à une baisse de 25 % du taux de patients en ALD sans médecin traitant. Le plan ainsi lancé a donc des effets positifs. Il n'en reste pas moins que l'objectif d'atteindre un taux résiduel de patients en ALD sans médecin traitant n'est pas encore atteint.
3. Les mesures destinées à garantir la permanence des soins sont encore trop réduites au regard des objectifs de désengorgement des urgences hospitalières
La permanence des soins est un dispositif de prise en charge des demandes de soins non programmées.
En application du code de déontologie médicale, « il est du devoir du médecin de participer à la permanence des soins dans le cadre des lois et des règlements qui l'organisent »30(*). Cependant, depuis 2003, les médecins n'ont plus d'obligation individuelle d'y participer31(*), de sorte qu'elle repose sur le volontariat. Cependant, selon la DGOS, « si d'importantes difficultés apparaissent, l'autorité publique est fondée à l'assurer en utilisant la réquisition ».
La « loi Rist 2 » du 19 mai 2023 a cependant introduit un principe de responsabilité collective des professionnels de santé à la permanence des soins, tant en établissement de santé qu'en ville. Ainsi, en application de l'article L. 1110-4-1 du code de la santé publique, les établissements de santé ainsi que les médecins, les chirurgiens-dentistes, les sages-femmes et les infirmiers diplômés d'État sont responsables collectivement de la permanence des soins. Le rapporteur se félicite de cette avancée, même s'il s'interroge sur ses conséquences pratiques pour les patients, par comparaison avec un dispositif de participation individuelle obligatoire des soignants à la permanence de soins.
En application de l'article R. 6315-1 du code de la santé publique, la permanence des soins en médecine générale32(*) a pour objet de répondre aux besoins de soins non programmés tous les jours de 20 heures à 8 heures, les dimanches et jours fériés de 8 heures à 20 heures, et, en fonction des besoins de la population évalués à partir de l'activité médicale constatée et de l'offre de soins existante, le samedi à partir de midi, le lundi lorsqu'il précède un jour férié, le vendredi et le samedi lorsqu'ils suivent un jour férié.
Selon les données du Conseil national de l'ordre des médecins, en 2023, 39 % des médecins généralistes libéraux ont participé à la permanence des soins ambulatoires (PDSA), soit plus de 27 00033(*) sur environ 66 000. Cette participation est plus forte dans les territoires ruraux, défavorisés et moins bien dotés en médecin. Le taux de participation varie ainsi de 8 % à Paris à 82 % dans les Vosges. La DGOS a cependant indiqué au rapporteur qu'il ne fallait pas conclure que cette participation plus élevée permettait de couvrir les besoins : « Cette participation peut être faible dans certaines grandes villes comme Paris, tout en répondant aux besoins car il existe par ailleurs une offre conséquente de consultations de médecine générale accessibles aux horaires de la permanence des soins. À l'inverse, dans des territoires en difficulté du point de vue de la démographie médicale, la participation des médecins souvent importante ne pas suffire toujours à répondre aux besoins ».
Évolution du taux de participation à la PDSA des médecins généralistes entre 2018 et 2023 au niveau national
Source : Cnom, Ordigard, Ordinal, 2018-2019-2020-2021-2022-2023
En 2023, selon le Cnom, la permanence des soins était assurée à 97 % par des médecins de la PDSA les week-ends et les jours fériés, 96 % en soirées et 27 % en nuits profondes : ces chiffres sont en progression depuis 202234(*). Cependant, on note une diminution depuis 2020 du nombre de secteurs de PDSA35(*) de 5 % en soirées et de 2 % les week-ends et jours fériés territoires, constatée par le Cnom, conséquence d'agrandissements de secteurs. Cette évolution amène parfois les médecins et patients à parcourir de longues distances, ce qui peut dégrader la qualité de la prise en charge médicale.
Le Cnom craint en outre une diminution du nombre de médecins impliqués à l'avenir, principalement à cause de leur surcharge de travail en journée et de leur volonté d'assurer un meilleur équilibre vie privée/vie professionnelle.
Pour le rapporteur, la PDSA est essentielle afin de garantir un accès aux soins non programmés pour les patients sans les diriger inutilement vers les services d'urgences hospitaliers.
Parallèlement à la PDSA, les services d'accès aux soins (SAS) ont été mis en place à l'occasion du pacte de refondation des urgences présenté par la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, le 9 septembre 2019 puis pérennisés par la loi n° 2021-502 du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification dite « Loi Rist 1 ».
Le service d'accès aux soins a pour objet d'assurer une régulation médicale des demandes d'aide médicale urgente et de soins non programmés formulées en dehors des horaires de la permanence des soins ambulatoires. Comme le résume le CNOM, « le SAS intervient dans le cadre de demande de soins non programmés lorsque l'accès au médecin traitant ou à une solution de proximité n'est pas immédiatement possible ». L'articulation entre le SAS et la PDSA est la suivante : le SAS assure une régulation des soins non programmés lorsque le médecin traitant du patient est indisponible les jours ouvrés, et la PDSA prend ensuite le relais en dehors des heures d'ouverture habituelles des cabinets.
Les SAS doivent ainsi éviter aux patients de recourir aux services d'urgences hospitaliers sans que ce soit nécessaire. En effet, bien que, selon MG France, « les soins non programmés constituent environ 40 % de l'activité des médecins traitants », environ 30 % des patients se rendent dans les services d'urgence hospitaliers faute de réponse médicale auprès de leur médecin traitant.
Selon les données communiquées au rapporteur par la DGOS, depuis le 15 septembre 2024, 95 % de la population française est couverte par un SAS. On dénombre ainsi 88 SAS. 2 549 médecins généralistes libéraux participent à la régulation des appels de la filière ambulatoire du SAS et 9 625 ont effectué une démarche active d'inscription au dispositif afin de participer à la prise en charge des soins non programmés sur orientation du SAS. 85 280 rendez-vous ont été pris via la plateforme nationale du SAS (outil de prise de rendez-vous) et ont permis aux patients présentant une demande de soins non programmée d'avoir accès sous 48 heures à un médecin proche de chez eux.
Il est encore difficile de dresser un bilan du déploiement des SAS. Selon le Cnom, en 2023, le fonctionnement des SAS est satisfaisant dans un tiers des départements. Dans un autre tiers, il ne fonctionnerait bien que sur une partie du département. Dans le dernier tiers, son fonctionnement est jugé globalement insatisfaisant par le CDOM concerné.
Pour le rapporteur, les difficultés d'accéder rapidement à un médecin généraliste, en particulier pour les soins non programmés sont la principale difficulté d'accès aux soins rencontrée par les patients. Comme le souligne en effet l'ACCDM, les médecins généralistes « sont la pierre angulaire du système de santé, pivots entre patient et médecins spécialistes, et jouent un rôle essentiel dans tout le parcours de soins ».
Les difficultés de la permanence de soins en médecine de ville a également des effets sur l'hôpital. Comme le note la Conférence nationale des doyens des facultés de médecine, « faire reposer la permanence des soins uniquement sur l'hôpital a complètement déséquilibré l'équilibre médecine de ville - médecine hospitalière ». Une étude36(*) de l'association UFC - Que Choisir est parvenue à déterminer un lien statistique entre ces difficultés d'accès aux médecins généralistes et la saturation des services d'urgences : « une diminution d'un pour cent de la densité des médecins libéraux dans un département aurait augmenté l'activité des établissements d'urgences localisés dans ce département, d'entre 0,4 % et 0,6 % sur le court terme, et jusqu'à 0,9 % sur le long terme ».
À cet égard, le déploiement des SAS est une initiative bienvenue afin de lutter contre l'impossibilité pour les patients d'obtenir un rendez-vous rapidement avec un médecin. Cependant, le nombre de rendez-vous pris sur la plateforme nationale du SAS est encore largement en deçà des besoins de soins non programmés.
L'obligation individuelle de permanence de soins en Allemagne
Le système allemand d'autogestion du système de santé confie aux associations fédérales de médecins conventionnés la mission d'assurer la continuité des soins et la prise en charge des demandes urgentes de soins non programmées.
Elles sont d'ailleurs tenues de coopérer étroitement avec les services d'urgences hospitaliers. Elles ont notamment l'obligation de créer des cabinets de garde dans ou près des hôpitaux, ou d'intégrer directement des services ambulatoires d'urgence au sein des services d'urgence des hôpitaux.
Il appartient également aux associations de médecins conventionnés de répartir les responsabilités entre les médecins pour garantir que les patients aient accès à des soins médicaux en dehors des heures normales de travail. Grâce à la planification des besoins, elles veillent à ce qu'un nombre suffisant de médecins soient partout disponibles pour les soins ambulatoires, à ce qu'un service médical de garde soit également disponible pendant les heures où les médecins ne sont pas en consultation et à ce que la qualité des prestations soit correcte. Les médecins conventionnés sont légalement et contractuellement obligés de participer au service de garde. Les modalités et la fréquence de participation varient selon les régions et la densité de la population médicale. Les médecins qui ne respectent pas ces obligations peuvent encourir des sanctions de la part des associations régionales.
Le système de « planification des besoins » joue donc un rôle central dans la gestion de la permanence de soins : la possibilité d'accéder à un professionnel de santé hors des heures d'ouverture des cabinets médicaux s'inscrit en continuité de l'objectif général d'assurer une présence médicale suffisante dans tous les territoires.
* 19 Cour des comptes, 2024, L'Organisation territoriale des soins de premier recours.
* 20 Remédier aux pénuries de médecins dans certaines zones géographiques. Les leçons de la littérature internationale, D. Polton, H. Chaput, M. Portela, les dossiers de la Drees n° 89, décembre 2021.
* 21 Cour des comptes, 2024, L'Organisation territoriale des soins de premier recours.
* 22 Un tempérament au principe est prévu : l'installation est possible si une sage-femme libérale conventionnée cesse définitivement son activité dans la zone ou la réduit d'au moins 50 % par rapport à son activité des deux années précédentes. Cette possibilité a été supprimée en 2016.
* 23 Fanny Duchaine, Guillaume Chevillard, Julien Mousquès (Irdes), 2022 « Inégalités territoriales de répartition des infirmières libérales : quel impact des restrictions à l'installation en zones sur-denses et des incitations financières en zones sous-denses ? », Questions d'économie de la Santé.
* 24 Drees, 2016, Portrait des professionnels de santé.
* 25 Rétablir l'équité territoriale en matière d'accès aux soins : agir avant qu'il ne soit trop tard, proposition n° 9.
* 26 Les deux décrets définissant la procédure27 de certification des sociétés de téléconsultation et leur organisation ont été publiés plus d'un an après l'adoption de la LFSS pour 2023. Ces textes prévoient notamment l'interdiction de facturer des prestations à des tarifs supérieurs aux tarifs conventionnels. Un référentiel des bonnes pratiques publié par la Haute Autorité de santé a été publié afin d'accompagner les sociétés concernées dans le respect de leurs obligations.
* 28 HAS, Téléconsultation -- Référentiel de bonnes pratiques professionnelles, applicable aux sociétés de téléconsultation.
* 29 L'Affection longue durée (ALD) concerne une maladie dont la gravité et/ou le caractère chronique nécessite un traitement prolongé.
* 30 Cette obligation est codifiée à l'article R. 4127-77 du Code de la santé publique.
* 31 Jusqu'en 2003, il était en effet prévu que « Dans le cadre de la permanence des soins, c'est un devoir pour tout médecin de participer aux services de garde de jour et de nuit. Le conseil départemental de l'ordre peut néanmoins accorder des exemptions, compte tenu de l'âge du médecin, de son état de santé, et, éventuellement, de ses conditions d'exercice ».
* 32 L'expression « permanence des soins ambulatoires » (PSDA) est fréquemment employée pour désigner la permanence des soins de médecine générale.
* 33 « Après une baisse de la participation observée à la suite du regain enregistré en 2020 durant la crise sanitaire, la participation des médecins à la PDSA a de nouveau augmenté en 2023, atteignant 39,34 %, contre 38,48 % en 2022. On a ainsi comptabilisé 26065 médecins volontaires parmi les 66257 médecins susceptibles de prendre une garde au cours de l'année 2023 » (CNOM, 2024, Enquête du Conseil national de l'ordre des médecins sur l'état des lieux de la permanence des soins ambulatoires en médecine générale au 31 décembre 2023).
* 34 Par comparaison, en 2022, la permanence des soins était assurée à 95 % par des médecins de la PDSA les week-ends e jours fériés, 95 % en soirées et 24 % en nuits profondes.
* 35 Un secteur de PDSA correspond à une ligne de garde.
* 36 UFC - Que Choisir, avril 2023, Accès aux soins : La médecine hospitalière et de ville en état d'urgence vitale.