B. UNE AUGMENTATION DES MOYENS NE PEUT S'ENVISAGER QU'À LA CONDITION D'UNE MEILLEURE QUALITÉ DE LA DÉPENSE DE PRÉVENTION

1. Les aides à la prévention doivent faire l'objet d'un meilleur ciblage

Les incitations financières représentent une part conséquente des dépenses d'intervention de la branche AT-MP en faveur de la prévention des risques professionnels. En 2022, le budget du FNPAT prévoyait ainsi d'y consacrer 100 millions d'euros, soit 49,9 % des dépenses d'intervention qu'il portait. Ce budget se justifie dans la mesure où l'incitation financière, qui correspond à une subvention dans l'achat de matériel ou de formation, est la manière la plus directe d'intéresser les employeurs à la prévention. Cette conviction est portée par les partenaires sociaux qui ont appelé dans le cadre de l'ANI relatif aux AT-MP193(*) à un doublement de ces incitations financières dans la future COG, mais la COG 2023-2028 signée en juillet dernier acte finalement d'une augmentation de 20 millions d'euros.

L'augmentation des moyens consacrés aux incitations financières à la prévention auprès des employeurs dans la branche AT-MP doit s'accompagner d'une plus grande attention à leur efficacité. Cette attention doit à la fois passer par un meilleur ciblage des dépenses, notamment en faveur des TPE, mais avant tout par une meilleure évaluation des résultats.

La mission d'évaluation de la COG 2018-2022 conduite par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas)194(*) souligne les limites de l'évaluation des résultats des actions de prévention menées par la branche AT-MP. La création d'un indicateur de comparaison entre l'évolution de la sinistralité dans les établissements suivis par les programmes thématiques de la Cnam et les autres établissements était prévue par la COG 2018-2022, mais n'a jamais été mise en place. Cet échec ponctuel ne doit pas être mal interprété : l'urgence n'est pas de construire des indicateurs, mais bien de renforcer une culture de l'évaluation dans le long terme. En effet, il ne semble pas pertinent de vouloir évaluer l'efficacité d'une action de subvention pour achat de matériel et de formation dans le temps de la COG : le temps de communication auprès des entreprises, d'instruction des dossiers, de réalisation des investissements et d'appropriation par les salariés excède très probablement les cinq années sur laquelle se déroule la COG. L'évaluation à privilégier réside donc dans la conduite de travaux de recherche s'intéressant aux évolutions de long terme, assortis d'une méthodologie robuste, conduits par la direction des statistiques de la direction des risques professionnels de la Cnam.

Plus précisément, les subventions TPE, qui concentrent près de 66 % des dépenses d'intervention de la branche auprès des employeurs en 2022, doivent voir leur ciblage s'améliorer. Aujourd'hui, ces subventions sont accordées dans la limite d'une enveloppe annuelle dans la logique du « premier arrivé, premier servi » : ainsi en 2021 le budget initial avait été consommé dès le mois d'avril. Cette situation conduit à ce que les préventeurs des Carsat ne puissent pas privilégier les projets les plus pertinents, et transforme la subvention-TPE à une simple dépense de guichet. Cette pratique aboutit également à ce que les entreprises participant aux programmes nationaux thématiques (TMS Pro, RC Pro, etc.) ne soient pas mieux représentées au sein des bénéficiaires de subventions-TPE : seulement 1,5 % en 2022.

Par ailleurs, les subventions TPE gagneraient à faire l'objet d'un suivi plus fin de la part des préventeurs, ce qui répondrait au « sentiment de solitude face à la réglementation en matière de prévention » souligné par l'U2P durant l'audition des organisations patronales par les rapporteurs. En effet, la consultation systématique d'un préventeur lors de l'introduction d'une demande de subvention TPE permettrait de donner des garanties renforcées sur la pertinence de la demande, mais également d'accompagner la TPE dans la construction de sa démarche de prévention.

Enfin, un travail de rapprochement des modalités d'implication des branches professionnelles doit être conduit entre les subventions-TPE et les contrats de prévention. Le bénéfice d'un contrat de prévention est en effet subordonné à la conclusion d'une convention nationale d'objectifs (CNO) entre la Cnam et les organisations professionnelles représentatives de la branche, là où les subventions prévention TPE ne sont assorties d'aucun engagement des branches. Cette situation est d'autant plus dommageable que, dans certains secteurs, la branche est le lieu privilégié de relais des recommandations en matière de prévention.

2. L'OPPBTP : un exemple d'organisme sectoriel de prévention dont les branches les plus accidentogènes gagneraient à s'inspirer

· L'article L. 4643-1 du code du travail prévoit que des organismes professionnels de santé, de sécurité et des conditions de travail puissent être constitués dans « les branches d'activités présentant des risques particuliers ». Forts de leur connaissance sectorielle ces organismes devaient, dans l'idée du législateur, permettre de promouvoir la formation à la sécurité et de susciter des initiatives professionnelles en matière de prévention tout en endossant un rôle de conseil aux pouvoir publics au sujet des expérimentations concluantes. Par ailleurs, afin de renforcer la légitimité de ces organismes au sein de la branche, leur gouvernance doit être strictement paritaire195(*), tandis que leur financement est assuré par les employeurs dans des conditions définies par décret en Conseil d'État196(*).

Cette spécialisation sectorielle d'organisme de prévention doit leur permettre d'être mieux identifiés par les entreprises de la branche, et donc plus volontiers suivis dans leurs préconisations. Malheureusement, les branches d'activité ne se sont pas emparées de cette faculté, et l'unique exemple d'un tel organisme reste de création antérieure à la création de ces dispositions législatives.

· La prise en compte des enjeux AT-MP par la branche du bâtiment est ancienne, et dès 1859 le secteur créé la caisse d'assurance mutuelle de la Chambre syndicale de maçonnerie afin de verser aux ouvriers blessés dans les travaux la moitié de leur salaire pendant la durée du chômage occasionné197(*). C'est dans ce sillage que l'organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics est créé en 1947 afin, selon son fondateur Pierre Caloni, d'« associer la responsabilité des patrons et la peine des ouvriers ». À ce jour l'OPPBTP demeure l'unique organisme professionnel de santé, de sécurité et des conditions de travail constitué.

L'existence d'un organisme spécifique au BTP est justifiée par le cumul des risques professionnels dans ce secteur : risques physiques, présence de produits chimiques, coactivité, diversité des cultures et des normes professionnelles et absence de matérialisation collective du risque a contrario de secteurs tels que l'industrie pétrochimique ou le transport aérien. Par ailleurs, plus de 50 % des salariés du secteur appartient à une entreprise de moins de 10 salariés, ce qui suppose un accompagnement et des solutions adaptés.

Pour répondre à cette situation, l'OPPBTP se voit assigner un ensemble de missions de promotion de la prévention, d'expertise, d'étude des situations de terrain et de retour d'expérience à la profession et aux pouvoirs publics198(*). Il est gouverné de façon paritaire au sein du Conseil du comité national, avec présence de la direction générale du travail et de Direction des risques professionnels branche AT-MP de la Cnam avec voix consultative.

Le plan @Horizon 2025

Afin de mener à bien ses missions, l'OPPBTP conduit un plan stratégique quinquennal qui s'étend sur la durée Plan Santé au Travail (PST) à des fins de coordination. Le plan actuel contient cinq priorités :

- maintenir une présence forte sur le terrain ;

- offrir une assistance technique et des parcours de prévention à toutes les entreprises grâce au digital ;

- réaliser l'ingénierie prévention des métiers de demain, avec l'objectif d'une prévention intégrée dès la conception, portée par l'innovation ;

- former les jeunes, les nouveaux dirigeants et les intérimaires et assurer ainsi un haut niveau de compétences prévention des personnels du BTP ;

- contribuer au changement de paradigme de la prévention, en s'appuyant sur Prévention et Performance et la culture de prévention, en vue d'une approche résolument positive et incitative en prévention des risques professionnels.

Source : OPPBTP

La baisse de la sinistralité dans les entreprises du secteur du BTP ne peut être attribuée dans son intégralité à l'action de l'OPPBTP, mais bien que le lien de causalité soit difficile à prouver, il semble que la dynamique instituée par cet organisme soit déterminante dans ces progrès. Les membres de l'OPPBTP auditionnés par les rapporteures ont souligné que l'expérience opérationnelle de l'organisme199(*) permettait de répondre aux impératifs qui conditionnent le suivi des recommandations par les entreprises : la confiance, la proximité et la légitimité. Par ailleurs, l'absence de rôle en matière de contrôle permet également d'afficher une approche positive de la prévention, en faisant le lien entre prévention et performance de l'entreprise. Cette vision tranche avec l'approche réglementaire qui prévaut dans le droit du travail.

Proposition n° 20 : Encourager au développement d'organismes sectoriels de prévention sur le modèle de l'OPPBTP, dont les recommandations sont mieux écoutées par les employeurs du fait de la spécialisation et du réseau constitué.


* 193 Accord national interprofessionnel du 15 mai 2023 relatif aux accidents du travail et aux maladies professionnelles.

* 194 IGAS, Évaluation de la convention d'objectifs et de gestion 2018-2022 de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), septembre 2022.

* 195 Article L. 4643-2 du code du travail.

* 196 Article L. 4643-3 du code du travail.

* 197 En cela le secteur est précurseur de la loi du 9 avril 1898 sur les responsabilités des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail.

* 198 Articles R. 4643-1 à R. 4643-41 du code du travail.

* 199 L'essentiel des 350 salariés de l'OPPBTP sont issus du monde du BTP.

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