III. L'ACTION EN FAVEUR DE LA PRÉVENTION PAR LA BRANCHE AT-MP : UN EFFORT FINANCIER À ACCENTUER, UN CIBLAGE A RENFORCER

A. LA PRÉVENTION RESTE LE PARENT PAUVRE DE LA BRANCHE AT-MP

La branche AT-MP se voit assigner trois missions complémentaires afin de répondre aux risques professionnels188(*) connus par les salariés du régime général :

- la prévention et la réduction des risques professionnels ;

- la réparation en reconnaissant et en indemnisant les sinistres et les conséquences des préjudices subis par les victimes ;

- la tarification afin d'assurer l'équilibre financier de la branche.

Cependant la prévention des risques professionnels, que l'INRS définit comme « l'ensemble des dispositions à mettre en oeuvre pour préserver la santé et la sécurité des salariés, améliorer les conditions de travail et tendre au bien-être au travail », relève au premier chef de la responsabilité de l'entreprise. L'action de la branche en matière de prévention des risques professionnelles ne peut donc être que subsidiaire. En tant qu'assureur, la branche AT-MP s'inscrit dans une logique de gestionnaire du risque, et concentre donc ses interventions sur les entreprises qui présentent une situation de sinistralité particulièrement forte ou une exposition au risque avérée.

Article L. 4121-1 du code du travail : le principe de prévention des
risques professionnels par l'employeur

L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

1. La prévention au sein de la branche AT-MP fait l'objet d'un effort budgétaire modéré porté par le fonds national de prévention des accidents du travail (FNPAT)

Les dépenses de prévention de la branche AT-MP sont financées par le fonds national de prévention des accidents du travail (FNPAT), ce qui permet d'avoir une vision consolidée des actions de la branche en faveur de la prévention. En 2022, ces dépenses de prévention représentaient plus de 382 millions d'euros (dépenses nettes hors clause de revoyure)189(*) soit précisément 3,02 % des dépenses totales de la branche AT-MP.

Cette part congrue ne doit pas être regardée comme un indicateur déterminant de la politique de prévention de la branche AT-MP dans la mesure où certaines actions, telles que l'action auprès des entreprises des contrôleurs de sécurité et des ingénieurs-conseils des Carsat peuvent être déterminantes sans pour autant constituer une part substantielle du budget. Cependant, ce niveau de 3 % des dépenses indique une tendance française à concentrer les moyens sur la réparation, là où les comparaisons européennes indiquent que l'Allemagne y consacre plus de 10 % des dépenses d'assurance risques professionnels.

Dépenses de la branche ATMP en 2022 (en milliards d'euros)

Source : COG ATMP 2018-2022

Les dépense de la branche AT-MP en faveur de la prévention des risques professionnels se décompose en quatre catégories :

les dépenses de fonctionnement et d'investissement, qui regroupent notamment les frais de personnel et de fonctionnement des caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), de la caisse régionale d'assurance maladie (Cram), des caisses générales de sécurité sociale (CGSS) en outre-mer et de la caisse de sécurité sociale (CSS) à Mayotte. Ce réseau totalise plus de 2 000 ETPT en 2022 ;

les subventions accordées aux opérateurs de la branche, principalement l'institut national de recherche et de sécurité et Eurogip190(*) ;

les incitations financières proposées aux entreprises, notamment les subventions TPE ainsi que les contrats de prévention ;

les autres dépenses d'intervention auprès du réseau Carsat/Cram/CGSS/CSS.

Ces dépenses tendent cependant à augmenter au fil du temps : en 2016, elles repressentaient 346 millions d'euros, contre 382 millions en 2022.

Budget du FNPAT prévu par les COG AT-MP en euros

Source : COG ATMP 2014-2017 et 2018-2022

Proposition n° 19 : Tendre progressivement à un niveau de dépense de la branche AT-MP en faveur de la prévention équivalent à 7 % de ses dépenses.

Le budget public consacré à la prévention en santé au travail

La branche AT-MP n'est pas l'unique contributrice aux dépenses consenties par la collectivité pour la prévention en santé au travail, ainsi la somme de 2 milliards d'euros est souvent évoquée191(*).

Pour arriver à ce volume, il faut ajouter aux dépenses directes de la branche le financement des services inter-entreprises de santé au travail par les cotisations des entreprises adhérentes (près de 1,6 milliards d'euros), le financement par l'État de l'agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) et de son réseau, le budget consacré à la prévention au travail par les agences sanitaires, la dotation pour le Fonds pour l'amélioration des conditions de travail (Fact) et enfin le budget de l'organisme Professionnel de Prévention du Bâtiment et des Travaux Publics (OPPBTP).

2. La branche AT-MP mène des actions de prévention ciblées à la hauteur de ses moyens

Les actions en faveur de la prévention mises en place par la branche AT-MP s'appuient sur des campagnes de communication, ainsi que sur l'action des préventeurs du réseau des Carsat. Compte tenu des effectifs de ce réseau, plus de 800 préventeurs, et rapporté aux deux millions d'entreprises concernées par le régime général, les actions de la branche AT-MP sont nécessairement ciblées. Ce ciblage concerne à la fois les types d'entreprises, et les types de risques où la sinistralité est la plus grande.

Une articulation insatisfaisante entre la COG AT-MP et les PST

Les travaux de la Cour des comptes soulignent que les plans santé au travail, dans lesquels le ministère du Travail présente les grandes priorités en matière de santé au travail, ne sont qu'imparfaitement articulés avec la COG qui lie l'État à la branche AT-MP. Ce document devrait permettre d'orienter les partenaires sociaux lors de la négociation de la COG pour la partie relevant de la prévention, et les Carsat devraient en principe contribuer à réaliser les actions prévues par le PRST dont elles relèvent.

Cependant, ces deux exercices de planification connaissent une cyclicité propre et les Carsat peinent encore en pratique à concilier les deux calendriers qui leur sont imposés, et la Cnam-TP bénéficie de facto d'une plus grande autonomie par le jeu de ces contraintes inconciliables.

Source : Cour des comptes, Les politiques publiques de prévention en santé au travail dans les entreprises, 2022

· Parmi les aides spécifiques proposées par la branche AT-MP, deux dispositifs coexistent :

le contrat de prévention, créé en 1987, n'est de nos jours proposé qu'aux entreprises de moins de 200 salariés et permet à une entreprise de se voir définir un programme sur mesure de prévention par un ingénieur conseil ou un contrôleur de sécurité. Le contrat signé à cet effet enter la Carsat et l'entreprise, qui peut s'étendre sur trois ans, doit respecter les priorités définies par la convention nationale d'objectifs (CNO) du secteur d'activité de l'entreprise. L'engagement de l'entreprise permet de bénéficier de subventions ou d'avances pour du matériel et des prestations dans les mêmes conditions que les subventions « prévention TPE » ;

les subventions dites « prévention TPE », pérennisées par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, sont réservées aux entreprises de moins de 50 salariés. Pouvant atteindre un montant de 25 000 euros par action, dans la limite de trois actions par entreprise par durée de COG, elles suivent une logique de guichet dans la limite du budget national. Afin d'harmoniser les conditions d'octroi, un référentiel par métier et par risque vise les équipements et services subventionnables, ces derniers bénéficiant d'un taux de financement de 50 % pour le matériel et 70 % pour l'ingénierie et la formation. Dans le cas de subvention de matériel, et afin de limiter la fraude, les entreprises doivent s'engager à ne pas céder le matériel acquis.

Subventions versées par la branche AT-MP aux entreprises
au titre de la prévention en 2022

Type de subvention

Montant

Part représentée

Subventions TPE

59,8 M€

66,3 %

Contrats de prévention

28,8 M€

31,9 %

Autres subventions

1,6 M€

1,8 %

TOTAL

90,2 M€

100 %

Source : Cour des Comptes

· Les actions de prévention thématique de la branche AT-MP s'inscrivent dans le prolongement des programmes nationaux et régionaux de prévention, et ciblent les risques identifiés comme prioritaires au regard de la sinistralité rencontrée dans les entreprises : les troubles musculosquelettiques (TMS), les agents cancérogènes (CMR) et les chutes dans le BTP.

Le programme TMS Pros, lancé en 2014, ambitionne d'accompagner 8 000 entreprises appartenant aux secteurs les plus concernés (BTP, soins à la personne, industrie automobile, etc.) qui représentent 0,4 % des établissements du régime général et regroupent plus d'un tiers des TMS et des indemnités journalières afférentes indemnisées. Ce programme est accessible via un site public lancé sur Ameli en 2019, tmspros.fr, qui permet de créer un compte entreprise et d'accéder à des outils de diagnostic et de création de programme de prévention en ligne, ainsi qu'à être redirigé vers des formations adaptées et des subventions « prévention TPE ».

Le programme risques chimiques professionnel (RC Pro) suit la même logique en visant plus particulièrement les entreprises présentes dans les secteurs où les salariés sont en contact avec l'un des six polluants identifiés comme cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction (CMR) par l'enquête SUMMER de 2017192(*).

Le programme spécifique de prévention des chutes dans le BTP adapte aussi cette méthodologie aux spécificités du risque de chute dans le secteur du BTP, avec une cible de 5 000 TPE. Ce programme a la particularité d'être porté en partenariat avec l'organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP) qui bénéficie d'une très bonne visibilité auprès du secteur, et d'être adossé à des aides financières nationales dans le cadre du dispositif des mutualisations de moyens de prévention sur les chantiers Échafaudage +.

Le fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle (Fipu)

Créé par la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 du 14 avril 2023, le FIPU doit permettre de renforcer la prévention des risques professionnels liés à des facteurs ergonomiques tels que les postures pénibles, les vibrations mécaniques et les manutentions manuelles de charges.

Devant être doté d'un milliard d'euros d'ici 2027, il doit permettre aux entreprises de bénéficier d'aides financières, et notamment d'une subvention prévention pour lutter contre les troubles musculosquelettiques (TMS). Ses orientations sont définies par la CAT-MP, et contrairement aux autres programmes spécifiques de la branche, les aides directes qu'il porte sont ouvertes aux entreprises sans condition de taille maximale.

3. La branche AT-MP est appuyée dans sa mission de prévention par des opérateurs à la compétence reconnue

Lors de sa création, la Cnam a souhaité participer à la création d'un organisme à même de lui apporter la compétence technique nécessaire à construire sa politique de prévention des risques professionnels. La Cnam a donc participé à la création de l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) en 1947, association loi 1901 administrée par un conseil paritaire. L'activité de l'INRS est caractérisée par quatre missions :

- la production d'études et de recherches ;

- l'assistance aux entreprises en ingénierie ;

- la participation à la formation en matière de prévention ;

- l'information et la vulgarisation des connaissances scientifiques en matière de prévention des risques professionnels.

Pour mener à bien ces missions, l'INRS dispose d'un budget annuel financé par le Fonds national de prévention des accidents du travail et maladies professionnelles, de 79 millions d'euros en 2022, qui lui permet d'avoir plus de 580 collaborateurs, dont la majeure partie est ingénieur de recherche.

L'expertise de l'INRS est unanimement reconnue, et son action a été saluée par les partenaires sociaux durant les auditions menées par les rapporteures. Cet organisme bénéficie en outre d'une bonne identification de la part des entreprises, comme en témoigne les 9,8 millions de documents relatifs aux risques professionnels téléchargés sur son site en 2023. Cependant, la durée des négociations relatives à la COG 2023-2027 de la branche AT-MP ont conduit à ce que l'INRS ne dispose pas de dotation propre pour 2024, faute de budgétisation via le FNPAT. Cette situation a conduit l'INRS à fonctionner avec une reconduction arbitraire de 80 % du montant de son enveloppe budgétaire précédente, ce qui l'a soumis à une tension financière inédite et a mis à mal sa production de recherche. La COG dévoilée à l'été acte finalement d'une augmentation progressive de son budget, qui progresserait de 80 millions d'euros à 91 millions d'euros en 2028.

Eurogip : une plateforme promouvant la recherche en santé au travail
au niveau européen

Le groupement d'intérêt public Eurogip a été créé en 1991 conjointement par la Cnam et l'INRS. Financé par le FNPAT, il permet de coordonner des travaux de recherche au niveau européen, mais également de faire avancer l'harmonisation des normalisations au niveau européen en matière de toxicité des produits chimiques utilisés par les entreprises.

Source : Eurogip


* 188 Article L. 221-1 du code de la sécurité sociale.

* 189 Annexe 5 de la COG AT-MP 2018-2022, Budget du FNPAT.

* 190 GIP fondé en 1991 par l'INRS et la CNAM en charge du développement d'actions coordonnées en matière de prévention au niveau européen.

* 191 Charlotte Lecocq, Pascale Coton et Jean-François Verdier, Santé, sécurité, qualité de vie au travail dans la fonction publique : un devoir, une urgence, une chance, 2019.

* 192 Il s'agit des émissions de moteur diesel, des huiles et fluides de coupe, des poussières de bois, de la silice cristalline, du formaldéhyde et du plombs.

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