C. AMÉLIORER L'ACCOMPAGNEMENT DES VICTIMES D'AT-MP

1. Renforcer l'aide humaine au bénéfice des victimes d'AT-MP
a) La prestation complémentaire pour recours à tierce personne : une majoration de la rente ouverte, sous des conditions restrictives, aux victimes ayant besoin d'aide humaine

Outre la réparation des déficits professionnel et fonctionnel, la branche AT-MP compense, dans certains cas, une partie des coûts liés à l'aide humaine pour les victimes présentant une incapacité permanente et dont le niveau d'autonomie le justifie.

La branche verse ainsi une prestation complémentaire pour recours à tierce personne (PCRTP) lorsque la victime « est dans l'incapacité d'accomplir seule les actes ordinaires de la vie »182(*). Il s'agit d'une majoration du montant de la rente, non imposée. Dans les faits, la PCRTP est versée aux victimes d'AT-MP dont le taux d'incapacité permanente excède 80 % et qui sont dans l'incapacité d'effectuer seules au moins trois des dix actes suivants183(*) :

- se lever et se coucher ;

- se lever d'un siège et s'y asseoir ;

- se déplacer dans son logement, y compris en fauteuil roulant ;

- s'installer dans son fauteuil roulant et en sortir ;

- se relever en cas de chute ;

- quitter son logement en cas de danger ;

- s'habiller et se déshabiller totalement ;

- manger et boire ;

- aller uriner et aller à la selle sans aide ;

- mettre son appareil orthopédique (si nécessaire).

Le médecin-conseil est chargé de l'appréciation du nombre d'actes pour lesquels une assistance est nécessaire.

Le montant de PCRTP est déterminé forfaitairement, sur la base du nombre d'actes qu'il est impossible de réaliser seul : il est donc susceptible d'évoluer à la hausse ou à la baisse en cas d'évolution de l'autonomie de la victime indemnisée184(*). Son montant185(*), revalorisé chaque année au 1er avril dans les mêmes conditions que la rente, est, au 1er avril 2024, de :

- 633,26 euros par mois si la victime est dans l'incapacité d'accomplir seule trois ou quatre actes de la vie courante ;

- 1 266,56 euros par mois si la victime est dans l'incapacité d'accomplir seule cinq ou six actes de la vie courante ;

- 1 899,87 euros par mois si la victime est dans l'incapacité d'accomplir seule au moins sept actes de la vie courante ou en cas de troubles neuropsychiques présentant un danger pour la victime ou autrui.

Cette prestation, créée en 2013, a remplacé l'ancienne majoration pour tierce personne (MTP), calculée selon des modalités différentes et mise en extinction. Les bénéficiaires de la MTP peuvent, sur option, demander le bénéfice de la PCRTP186(*).

b) La PCRTP, une prestation au montant insuffisant et aux conditions d'accès jugées trop restrictives

La PCRTP reste toutefois particulièrement critiquée par les associations de victimes pour son montant jugé insuffisant, et ses conditions d'accès, considérées comme trop restrictives.

(1) Des conditions d'accès inadaptées aux besoins

D'une part, la PCRTP est aujourd'hui limitée aux seules victimes d'AT-MP présentant un taux d'incapacité permanente supérieur à 80 %. Cette condition exclut, de fait, la grande majorité des victimes d'AT-MP du bénéfice de cette prestation.

D'une part, les victimes d'AT-MP présentant une incapacité temporaire en sont privées. Les rapporteures n'ayant pas obtenu suffisamment d'éléments sur les effectifs concernés, la durée ou la nature de leurs besoins en aide humaine, elles préconisent, dans un premier temps, d'expérimenter dans deux régions le versement d'une PCRTP aux victimes d'AT-MP en incapacité temporaire et nécessitant une aide humaine pour évaluer les besoins réels.

Proposition n° 17 : Expérimenter, dans deux régions, le versement d'une PCRTP aux victimes d'AT-MP en incapacité temporaire et nécessitant une aide humaine pour accomplir au moins trois actes de la vie courante.

D'autre part, en 2022, seuls 14 903 bénéficiaires d'une rente avaient un taux d'incapacité supérieur à 80 %, sur 1 215 446 rentiers au régime général. La grande majorité des victimes d'AT-MP présentant une incapacité permanente ne sont donc aujourd'hui pas éligibles à la PCRTP, même si elles sont dans l'incapacité de réaliser, seules, certains actes de la vie courante.

Pour répondre à cette situation, les partenaires sociaux préconisent, dans l'ANI du 15 mai 2023, de diminuer de 80 % à 40 % le taux d'incapacité permanente plancher pour l'éligibilité à la PCRTP - une mesure qui permettrait de faire bénéficier de cette majoration un certain nombre de victimes d'AT-MP ayant perdu de l'autonomie et nécessitant de l'aide humaine. En 2022, près de 70 000 bénéficiaires d'une rente AT-MP présentaient un taux d'incapacité compris entre 40 % et 80 % au régime général.

Toutefois, la conditionnalité du versement de la PCRTP à un taux d'incapacité minimal, quel qu'il soit, constitue déjà une curiosité dans la mesure où le besoin d'aide humaine est davantage corrélé au nombre d'actes de la vie courante qu'il est impossible de faire seul qu'au taux d'incapacité, une valeur composite qui ne vise pas prioritairement à quantifier ce besoin.

Le critère du taux d'IPP pourrait légitimement être retenu si le pouvoir règlementaire n'avait pas ajouté une condition d'éligibilité tenant au nombre d'actes de la vie courante qu'il est impossible de réaliser seul. L'existence de ce dernier critère, plus précis, semble rendre superfétatoire la condition du taux d'IPP.

Dès lors qu'un assuré ne pouvant assurer plusieurs actes de la vie courante a besoin d'une aide humaine, quel que soit son taux d'incapacité permanente, le nombre d'actes de la vie courante qu'il est impossible de réaliser seul devrait être la seule condition s'appliquant aux victimes d'AT-MP présentant une incapacité permanente pour bénéficier de la PCRTP.

Il est d'ailleurs remarquable qu'aucune condition quant au taux d'incapacité ou d'invalidité ne s'applique pour le versement de la prestation de compensation du handicap (PCH).

(2) Une prestation qui ne compense que partiellement les besoins en aide humaine

Le montant de la PCRTP est également au coeur des revendications des associations de victimes, qui estiment que la branche « compense de manière très médiocre » les besoins en aide humaine.

En effet, le montant de la PCRTP n'est pas défini sur la base des besoins réels caractérisés par le nombre d'heures d'aide humaine requis chaque mois, mais forfaitairement en fonction du nombre d'actes de la vie courantes qu'il est impossible de réaliser seul.

Dès lors, la PCRTP est « pénalisante pour les victimes dont les besoins en aide humaine sont les plus importants, car le forfait attribué par la CPAM ne permet pas de financer l'intégralité des besoins », selon la Fnath, qui estime que le montant maximal de PCRTP correspond au coût d'une aide humaine de deux à trois heures par jour - là où le besoin journalier d'aide humaine peut excéder douze heures par jour chez certains assurés.

L'insuffisance de la PCRTP pour les victimes d'AT-MP nécessitant le plus d'aide humaine conduit, selon la Fnath, à ce que celles-ci se tournent vers la PCH, financée par la branche autonomie et par les départements, pour la prise en charge du reliquat de leurs besoins en aide humaine.

En effet, la PCH « aide humaine » diffère de la PCRTP dans sa philosophie : elle ne consiste pas en un forfait mensuel, mais en une prise en charge de chaque heure d'aide humaine, à taux plein ou à taux partiel de 80 % en fonction des revenus de l'assuré187(*). La PCH permet donc de mieux coller aux besoins réels des assurés, qui ne sont indemnisés qu'à proportion des heures d'aide humaine qui leur ont effectivement été apportées.

Si aucune donnée consolidée n'a pu être fournie à la Mecss pour étayer l'ampleur du phénomène, la Fnath affirme que « la quasi-intégralité des besoins en aide humaine des victimes du travail est financée et supportée, en réalité, par la CNSA et les collectivités locales au moyen de la prestation de compensation du handicap » dans son volet « aide humaine ».

Il est certain que - de la même manière qu'il revient à la branche AT-MP de financer les prestations en nature versées aux victimes - il devrait revenir à cette même branche de financer leurs besoins en aide humaine.

Il est donc difficilement compréhensible, particulièrement compte tenu de la situation excédentaire de la branche AT-MP, que l'effort de financement en ce sens soit déséquilibré et puisse reposer sur la branche autonomie et sur les départements : cela appelle un rééquilibrage et, pour ce faire, une réforme de la PCRTP, dont l'architecture apparaît moins pertinente que celle de la PCH.

Ce constat est, semble-t-il, partagé par les partenaires sociaux, qui proposent, dans le relevé de décisions du comité de suivi de l'ANI du 15 mai 2023, une « revalorisation du niveau des aides [humaines] vers [celui de la] PCH ».

Les rapporteures souscrivent à cette orientation : elles estiment que l'architecture de la PCRTP doit être repensée, sur le modèle de la PCH, pour mieux coller aux besoins réels en aide humaine des assurés et assurer un rééquilibrage de l'effort de financement des besoins en aide humaine par une implication accrue de la branche AT-MP.

Proposition n° 18 : Repenser l'architecture de la PCRTP en rapprochant la PCRTP de la PCH afin de mieux coller aux besoins réels en aide humaine et en supprimant la condition d'éligibilité relative au taux d'incapacité minimal.

2. Investir sur la qualité de service des caisses

Les auditions conduites avec les associations de victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles ont fait émerger certaines inquiétudes quant à l'homogénéité du service rendu par les caisses sur le territoire national, que ce soit en matière de délais d'instruction des demandes ou de positionnement des caisses auprès des assurés.

Certaines seraient, et cela a été souligné, investies pour accompagner l'assuré dans son accès aux droits, tandis que d'autres sont pointées du doigt par la Fnath pour un « manque de pédagogie avec les victimes » pouvant même aller jusqu'à générer « des relations conflictuelles entre la caisse et les assurés ».

Les associations de victimes décrient « des démarches médicales et administratives qui s'éternisent », avec des procédures si complexes qu'elles « deviennent le symbole d'une méfiance de l'administration à l'égard » des victimes. En ce sens, les rapporteures appellent la DRP de la Cnam à recevoir les associations de victimes afin que ces dernières leur présentent les difficultés les plus récurrentes, afin de mettre en oeuvre, si cela est possible, une simplification de l'accès aux droits.

Les associations de victimes décrient également un défaut d'homogénéité dans le traitement des cas par les caisses. Si certaines caisses jouent, selon les associations, pleinement un rôle de conseil aux accidentés du travail pour les orienter dans leur parcours de réparation, ces missions seraient « réalisées de manière très marginale et partielle ». Les associations vont même jusqu'à dénoncer certaines caisses qui donneraient « plus l'impression d'être considérées comme des coupables que comme des victimes ». De tels comportements iraient à l'encontre de l'objectif des caisses, dont le rôle est, selon la directrice des risques professionnels de la Cnam, « d'accompagner les assurés dans l'accès aux droits et aux soins ».

La DRP de la Cnam concède qu'elle a été confrontée au constat d'une hétérogénéité dans les pratiques des caisses « il y a quelques années ». Des directeurs régionaux ont alors été mis en poste afin de s'assurer, au sein d'une même région, de l'homogénéité des pratiques de reconnaissance et de diminuer le nombre d'interlocuteurs auxquels communiquer les consignes prises au niveau national. La DRP de la Cnam dit donc avoir constaté « un resserrement des délais de traitement » et des pratiques à l'échelle nationale « sur les dix dernières années ».

Afin de garantir l'homogénéité des pratiques sur l'ensemble du territoire, la Mecss préconise d'instituer un rendez-vous annuel entre les directeurs régionaux et les associations de victimes, et entre la DRP de la Cnam et les associations de victimes. Cette instance de dialogue permettra de faire remonter les éventuels écarts à la conduite prescrite nationalement.

Enfin, afin de réduire les délais de traitement jugés trop longs par les associations de victimes, des recrutements ciblés dans les caisses les plus engorgées pourraient être opportuns.

La mission accueille donc favorablement les stipulations de la nouvelle convention d'objectifs et de gestion de la branche, qui prévoient notamment le recrutement ciblé de personnels afin de réduire les délais de prise en charge, et la simplification de démarches administratives via des outils numériques.


* 182 Article L. 434-2 du code de la sécurité sociale.

* 183 Article D. 434-2 du code de la sécurité sociale.

* 184 Article R. 434-34-1 du code de la sécurité sociale.

* 185 Article D. 434-2 du code de la sécurité sociale.

* 186 Article D. 434-3 du code de la sécurité sociale.

* 187 Selon que ses ressources annuelles sont inférieures ou supérieures à 30 398,54 euros.

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