N° 18

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 octobre 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (1)
de la commission des affaires sociales (2) sur les
grands enjeux
de la
branche accidents du travail et maladies professionnelles,

Par Mmes Marie-Pierre RICHER et Annie LE HOUEROU,

Sénatrices

(1) Cette mission d'évaluation est composée de : M. Alain Milon, président ; Mmes Élisabeth Doineau, Annie Le Houerou, vice-présidentes ; Mmes Cathy Apourceau-Poly, Véronique Guillotin, Marie-Claude Lermytte, Solanges Nadille, Raymonde Poncet Monge, secrétaires ; Mmes Chantal Deseyne, Pascale Gruny, M. Olivier Henno, Mme Corinne Imbert, MM. Bernard Jomier, Philippe Mouiller, Mmes Émilienne Poumirol, Marie-Pierre Richer, M. Jean Sol.

(2) Cette commission est composée de : M. Philippe Mouiller, président ; Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale ; Mme Pascale Gruny, M. Jean Sol, Mme Annie Le Houerou, MM. Bernard Jomier, Olivier Henno, Xavier Iacovelli, Mmes Cathy Apourceau-Poly, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge, vice-présidents ; Mmes Viviane Malet, Annick Petrus, Corinne Imbert, Corinne Féret, Jocelyne Guidez, secrétaires ; Mmes Marie-Do Aeschlimann, Christine Bonfanti-Dossat, Corinne Bourcier, Céline Brulin, M. Laurent Burgoa, Mmes Marion Canalès, Maryse Carrère, Catherine Conconne, Patricia Demas, Chantal Deseyne, Brigitte Devésa, M. Jean-Luc Fichet, Mme Frédérique Gerbaud, M. Khalifé Khalifé, Mmes Florence Lassarade, Marie-Claude Lermytte, Monique Lubin, Brigitte Micouleau, M. Alain Milon, Mmes Laurence Muller-Bronn, Solanges Nadille, Anne-Marie Nédélec, Guylène Pantel, M. François Patriat, Mmes Émilienne Poumirol, Frédérique Puissat, Marie-Pierre Richer, Anne-Sophie Romagny, Laurence Rossignol, Silvana Silvani, Nadia Sollogoub, Anne Souyris, MM. Dominique Théophile, Jean-Marie Vanlerenberghe.

L'ESSENTIEL

La branche accidents du travail / maladies professionnelles (AT-MP) de la sécurité sociale a pour mission de prévenir et réparer les risques professionnels.

Caractérisée par un excédent devenu structurel, la branche AT-MP peut - et doit - désormais prendre le virage de la prévention et moderniser sa politique d'indemnisation des victimes, devenue insuffisamment protectrice.

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I. LES AT-MP : UNE SINISTRALITÉ QUI STAGNE, DES EXCÉDENTS QUI S'ACCUMULENT

A. La stagnation de la sinistralité des AT-MP ne peut tenir lieu de satisfecit

1. La sinistralité de la branche AT-MP connaît une stagnation depuis vingt ans

Le nombre d'accidents du travail et de maladies professionnelles est sensible à de nombreux facteurs (dynamisme du marché du travail, effort de prévention, essor du télétravail, etc.), ce qui rend l'analyse de leur évolution complexe à déterminer. Pour autant le constat partagé au sujet de la sinistralité, qui rapporte le nombre d'AT-MP au nombre de travailleurs, est celui d'une stagnation au cours des deux dernières décennies.

Les données statistiques les plus récentes augurent pour la première fois d'une baisse de la sinistralité en 2022, avec - 6,7 % pour les accidents du travail et - 6,4 % pour les maladies professionnelles. Cependant cette baisse n'est pas encore expliquée par les services de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), et rien n'indique qu'elle perdure dans le temps, ce qui doit donc inciter à ne pas relâcher les efforts en matière d'AT-MP.

Évolution de la sinistralité depuis 2005

Source : Mecss du Sénat d'après les données des Repss

2. La sinistralité AT-MP connaît en réalité d'importantes mutations, notamment concernant les maladies professionnelles

Certaines maladies professionnelles connaissent une augmentation sans précédent, notamment celle relevant de pathologies multifactorielles, telles que les troubles musculosquelettiques (TMS) ainsi que les risques psychosociaux (RPS), dont le lien de causalité avec le travail est parfois plus difficile à établir.

Par ailleurs, la sinistralité diffère sensiblement selon les filières d'activité. Si les filières les plus accidentogènes (BTP, métallurgie, chimie) ont connu de nets progrès grâce à une action renforcée en faveur de la prévention et de la santé au travail, a contrario le secteur des ESMS (établissement de santé et médicosociaux), des hypermarchés ou même du stockage ont assisté à une détérioration rapide de leur situation.

B. UNE SITUATION D'EXCÉDENT STRUCTUREL QUI POSE QUESTION

1. La branche AT-MP présente une situation structurellement excédentaire

Depuis qu'elle a retrouvé l'équilibre financier en 2013, la branche AT-MP a réalisé chaque année des résultats excédentaires, sauf en 2020, du fait de l'épidémie de la covid-19.

Le niveau des excédents de la branche a tendance à progresser, à telle enseigne que la branche a atteint des excédents record en 2022 et 2023. Ceux-ci ont permis non seulement d'éponger, dès 2016, le déficit cumulé de la branche, mais également de constituer progressivement un excédent cumulé, qui atteint désormais 7,6 milliards d'euros et devrait atteindre, malgré les transferts de recettes attendus, 11,7 milliards d'euros en 2027.

Il s'agit là d'un signe de déconnexion croissant entre les ressources de la branche, financée quasi-intégralement par des cotisations à la charge de l'employeur, et les prestations qu'elle verse. Dit autrement, la branche AT-MP présente aujourd'hui un excédent structurel.

2. Le nécessaire rééquilibrage de la branche AT-MP doit passer par l'affectation des ressources à la prévention et à la réparation des risques professionnels

La branche AT-MP constitue une assurance sociale, dont la nature même appelle une situation financière équilibrée. Elle n'a ni vocation, comme une entreprise privée, à dégager durablement d'importants excédents, ni à s'inscrire, comme la branche maladie, dans une situation de déficit particulièrement préoccupante pour la soutenabilité de notre système social.

Afin de rééquilibrer la situation financière de la branche, les rapporteures estiment que les cotisations versées à la branche AT-MP doivent être affectées à leur vocation originelle : la prévention et la réparation des risques professionnels. Alors qu'on dénombre encore près d'un million de sinistres par an en France, un investissement massif dans la prévention est nécessaire pour réduire autant que faire se peut le nombre d'AT-MP. De la même manière, si la réparation versée par la branche doit rester forfaitaire, l'évolution générale du droit vers une protection accrue des victimes doit conduire à revaloriser et moderniser l'indemnisation. Les victimes d'AT-MP ne sauraient être moins protégées que les victimes de droit commun.

Recettes, dépenses, solde et solde cumulé prévisionnels
de la branche AT-MP jusqu'en 2027

Source : Mecss du Sénat d'après les données des Repss

3. Le risque du dévoiement des excédents de la branche AT-MP pour d'autres motifs que la lutte contre les risques professionnels

Il existe toutefois un risque de dévoiement des excédents de la branche, source de convoitises dans un contexte financier tendu, marqué par des soldes déficitaires de 19,6 milliards d'euros en 2022 et de 10,8 milliards d'euros en 2023 sur l'ensemble des branches.

Divers transferts vers d'autres entités déficitaires - à la branche maladie notamment - grèvent ainsi le bilan de la branche AT-MP. Si la mission d'information ne remet pas en cause la pertinence de l'existence de ces transferts, elle alerte sur la croissance perpétuelle de leur montant, estimant qu'il s'agit là d'une forme de péréquation interbranches qui tait son nom.

II. AMÉLIORER LA RÉPARATION DES AT-MP : UNE NÉCESSITÉ QUI FAIT CONSENSUS

A. LES PRESTATIONS EN NATURE ET D'INCAPACITÉ TEMPORAIRE SONT PLUS FAVORABLES EN AT-MP QU'EN DROIT COMMUN

1. Des prestations en nature plus protectrices qu'en droit commun

La branche AT-MP verse des prestations en nature pour 1,2 milliard d'euros en 2022, par une prise en charge intégrale et sans avance de frais des soins liés aux sinistres1(*), dans une limite correspondant le plus souvent à la base de remboursement de la sécurité sociale. Ces prestations n'évitent pas tout reste à charge, du fait de dépassement d'honoraires notamment, mais sont plus protectrices que le droit commun.

2. L'indemnisation de l'incapacité temporaire : un bon calibrage qui appelle toutefois certains ajustements

La branche AT-MP verse des indemnités journalières (IJ) aux assurés lorsque le sinistre subi nécessite un arrêt de travail. Les montants associés sont importants - 4,8 milliards d'euros en 2022 - et dynamiques : ce montant a augmenté de plus de moitié en dix ans, porté par des arrêts longs de plus en plus fréquents.

Ces indemnités sont plus protectrices que celles versées par la branche maladie : elles atteignent 60 % du salaire brut lors des 28 premiers jours d'arrêt puis 80 %, contre 50 % en maladie, elles ne sont pas soumises à un délai de carence - sauf chez les non-salariés agricoles - et elles sont soumises à des prélèvements obligatoires réduits.

L'écart d'indemnisation est toutefois réduit par l'obligation faite aux employeurs de compléter les IJ pour garantir au salarié en arrêt un revenu égal à 90 % de son salaire, quel que soit le taux des indemnités journalières. Au bénéfice des victimes, les rapporteures appellent donc à mieux articuler les IJ et l'indemnisation employeur pour garantir un maintien de salaire intégral aux salariés en AT-MP lors des 28 premiers jours d'arrêt, sans surcoût pour l'employeur.

Prise en charge du salaire lors d'un d'arrêt de travail
en AT-MP et en maladie

Source : Mecss du Sénat

Note : Pour un arrêt de travail de moins de 28 jours.

B. UNE INDEMNISATION DE L'INCAPACITÉ PERMANENTE INSUFFISANTE

1. Des conditions d'indemnisation anciennes

Le droit civil exige au demandeur d'apporter la preuve de la commission d'une faute pour bénéficier d'une indemnisation, qui présente alors un caractère intégral. En vertu du compromis social de 1898, la réparation de l'incapacité permanente par la branche AT-MP déroge à cette règle : elle ne présente pas de caractère intégral, en contrepartie de quoi le salarié bénéficie, en règle générale, d'une présomption d'imputation du sinistre à l'activité professionnelle. L'assuré garde le droit d'obtenir une réparation intégrale sur les champs non couverts par l'indemnisation AT-MP s'il prouve la faute inexcusable de son employeur (FIE), mais cette procédure est, en pratique, rarement engagée.

Le compromis historique, plébiscité par l'ensemble des parties auditionnées, permet aux victimes de bénéficier d'une réparation particulièrement rapide, prévisible et facile d'accès.

Toutefois, si le compromis historique a constitué une avancée sociale indéniable, le droit de la réparation AT-MP est resté imperméable au mouvement du droit vers une prise en compte accrue des situations individuelles. Celle-ci s'est traduite par un double mouvement d'extension progressive du champ des préjudices indemnisables et de la réparation intégrale sans faute.

Divers régimes d'indemnisation dérogatoires du droit commun, pour les accidents de circulation ou les accidents médicaux par exemple, sont désormais plus protecteurs en ce qu'ils prévoient l'aménagement, voire la suppression de la charge de la preuve tout en présentant un caractère intégral. Le régime de la FIE, ne présentant pas un caractère intégral malgré la charge de la preuve, apparaît particulièrement défavorable.

Représentation schématique du lien entre charge de la preuve
et réparation intégrale selon les régimes de réparation

Régime

Charge de la preuve

Réparation intégrale

Droit civil commun

Oui

Oui

AT-MP

Non

Non

Faute inexcusable de l'employeur en AT-MP

Oui

Oui, sur les postes
non couverts par la rente

Régimes spéciaux (amiante, accidents de la circulation, accidents médicaux)

Non

Oui

Source : Mecss du Sénat

2. La nécessité de revaloriser les prestations AT-MP en cas d'incapacité permanente

Lorsqu'un sinistre a des conséquences permanentes sur la capacité de travail d'un assuré, la branche AT-MP verse une indemnisation, prenant la forme d'un versement en capital en dessous de 10 % d'incapacité, et d'une rente viagère au-dessus.

a) L'indemnité en capital, « jamais à la hauteur des préjudices subis »

L'indemnité en capital, un montant forfaitaire dépendant du taux d'incapacité, présente un coût modique pour la branche : 115 millions d'euros en 2023, soit 2 % des prestations d'incapacité permanente pour deux tiers des victimes. Les victimes perçoivent en effet, pour solde de tout compte, en moyenne 1 733 euros, un montant « jamais à la hauteur des préjudices subis » selon la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (Fnath).

b) La rente viagère : un mode de calcul critiqué, un montant insuffisant pour éviter une baisse du niveau de vie

La rente viagère prend à la fois en compte la situation professionnelle passée de l'assuré et le degré de déficience occasionné par le sinistre : elle est calculée comme le produit d'une fonction du salaire de l'assuré et de son taux d'incapacité (IPP) modulé à la baisse. L'écrêtement des hauts salaires et la modulation à la baisse du taux d'incapacité, qui diminuent les montants de rente versés, sont critiqués par les associations de victimes.

Transferts publics en faveur des victimes d'AT-MP
présentant un taux d'incapacité supérieur à 10 %

Source : Drees

Les rentes aux assurés et aux ayants droit, représentant 5,7 milliards d'euros en 2023, constituent le poste de dépenses principal de la branche AT-MP. Bien que la rente soit globalement plus protectrice que la pension d'invalidité servie par la branche maladie, le niveau de la rente AT-MP ne suffit pas à éviter une baisse de niveau de vie pour les victimes.

Le cumul de la pension d'invalidité avec d'autres revenus

Les rapporteures se sont également penchées sur un sujet connexe, celui des difficultés provoquées par le décret du 23 février 2022 concernant la réforme du régime de cumul de la pension d'invalidité avec d'autres revenus pour les personnes invalides dont les revenus excèdent une fois et demie le plafond annuel de la sécurité sociale (Pass).

Depuis cette réforme, si le cumul de la pension d'invalidité et des autres revenus dépasse un certain revenu, qui ne peut excéder 1,5 Pass, la pension d'invalidité est écrêtée et peut même être supprimée, ce qui prive les assurés des droits aux prestations de prévoyance ou autres prestations connexes. À ce sujet, nous proposons d'augmenter de 1,5 à 2 Pass le plafond de revenus au-delà duquel la pension d'invalidité est nécessairement écrêtée, et nous recommandons d'inscrire dans la loi le principe d'une pension d'invalidité « socle » versée à toutes les personnes dont l'état de santé le justifie, indépendamment de leur revenu, afin que soit toujours maintenu le droit aux prestations connexes à la pension d'invalidité.

La survenue d'un sinistre ouvrant droit à une rente dans un foyer cause ainsi une perte de 4 000 euros de revenus par an en moyenne après quatre ans. Les montants de rente sont trop faibles : la rente moyenne n'excède le seuil de pauvreté qu'à partir de 80 % d'IPP, un taux qui ne concerne que 1 % des victimes.

Nombre et montant des rentes servies par le régime général en fonction
du taux d'IPP

Source : Rapport annuel 2022 de l'assurance maladie - risques professionnels

Ce constat, combiné à la situation excédentaire de la branche, appelle selon les rapporteures à revaloriser considérablement le montant des rentes et de l'indemnité en capital.

c) Le cas épineux de la faute inexcusable de l'employeur

Pour bénéficier d'une indemnisation accrue, les victimes peuvent engager une procédure judiciaire en FIE, qui, si elle est reconnue, ouvre droit au financement par l'employeur fautif d'une majoration de la rente, et d'une indemnisation intégrale des postes de préjudice non déjà indemnisés par la rente.

Le champ indemnisable à la main du juge est défini dans la loi, mais d'une manière particulièrement ambiguë, laissant au juge une large marge d'appréciation. Il a récemment connu une importante modification, puisque la Cour de cassation estime, depuis des arrêts du 20 janvier 2024, que la rente ne vise qu'à indemniser le déficit professionnel, c'est-à-dire la réduction des perspectives de gain, et non le déficit fonctionnel, c'est-à-dire la perte de potentiel physique, sensoriel ou intellectuel. La rente a donc perdu son caractère dual.

La décision de la Cour de cassation, dépourvue d'impact hors cas de FIE, a conduit à revaloriser considérablement les perspectives d'indemnisation des victimes de FIE : le déficit fonctionnel n'étant plus considéré comme indemnisé forfaitairement par la rente, il est donc désormais indemnisé intégralement par l'employeur coupable de FIE. Cette évolution peut représenter une hausse de l'indemnisation immédiate de l'ordre de la centaine de milliers d'euros pour certaines victimes.

C. ALLER VERS UNE RÉPARATION PLUS PROTECTRICE DE L'INCAPACITÉ PERMANENTE TOUT EN RESTANT FIDÈLE AUX PRINCIPES DE LA BRANCHE

1. Le compromis social historique doit être préservé, ce qui suppose de protéger l'équilibre fragile entre réparation amiable et contentieuse

Afin de préserver le compromis historique, garant d'une réparation rapide, prévisible et adaptée à l'asymétrie de la relation employeur/employé, il importe que l'écart entre la réparation par voie amiable et par voie contentieuse ne soit pas trop important. Le retour sur le caractère dual de la rente acté par la Cour de cassation conduit à une revalorisation de la procédure contentieuse telle qu'une judiciarisation des AT-MP est à craindre.

En outre, réaffirmer la dualité de la rente permettra d'offrir une réparation du déficit fonctionnel permanent par voie amiable, alors que ce poste de préjudice ne peut être indemnisé par le juge qu'en cas de FIE en vertu des arrêts de la Cour. Cette réaffirmation serait bienvenue dans un contexte juridique marqué par la considération accrue accordée au déficit fonctionnel.

La mission estime donc qu'il est nécessaire, comme le demandent les partenaires sociaux, de consacrer législativement la dualité de la rente.

2. Revaloriser significativement les prestations d'incapacité permanente en réaffirmant leur nature duale

La réaffirmation de la dualité de la rente doit s'accompagner d'une revalorisation conséquente des prestations d'incapacité permanente et d'une évolution de leur mode de calcul. Les partenaires sociaux, conscients des besoins, ont abouti à une proposition convaincante en ce sens.

La mission d'information souscrit à l'intention, évoquée par les partenaires sociaux, de moderniser les prestations en créant une « part fonctionnelle » de la rente et de l'indemnité en capital, proportionnelle à un taux d'incapacité fonctionnelle spécifique. Cette part viendrait s'ajouter au montant actuel des prestations, qui deviendrait la « part professionnelle » de l'indemnisation. La mission recommande, en conséquence, de faire dépendre du salaire la part professionnelle de l'indemnité en capital.

Cette réforme doit être avantageuse pour toutes les victimes en procédure amiable, et mobiliser une partie des excédents de la branche. La mission salue le niveau d'investissement ambitieux retenu par les partenaires sociaux, à la hauteur des besoins, avec un doublement des indemnités en capital et un investissement de 60 % supérieur à la proposition du Gouvernement lors du PLFSS pour 2023 concernant les rentes.

La mission d'information recommande également, comme le proposent les partenaires sociaux, de permettre aux assurés présentant un fort taux d'IPP de convertir une partie de leur rente en capital dans la limite d'un plafond, afin d'augmenter l'indemnisation perçue à court terme pour répondre aux besoins immédiats d'adaptation de leur environnement. La rente serait alors réduite pour assurer la neutralité actuarielle de l'opération.

3. Répondre aux enjeux concernant la faute inexcusable de l'employeur

Compte tenu du consensus entourant l'insuffisance de l'indemnisation en FIE, il est essentiel que ces victimes fassent l'objet d'un traitement particulier et soient, en tout état de cause, mieux loties qu'avant le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation.

En revalorisant les rentes, les partenaires sociaux augmenteraient l'indemnisation de long terme des victimes de FIE, qui bénéficieraient de rentes majorées à la fois sur la part professionnelle et sur la part fonctionnelle nouvellement créée.

En vertu du principe de non double indemnisation, la réaffirmation de la dualité de la rente a pour corollaire de sortir le déficit fonctionnel des postes de préjudice indemnisables intégralement et de l'intégrer à la rente : cela implique le passage d'un revenu de court terme, avec un versement en capital unique, à un versement moins important, mais viager.

Les rapporteures estiment donc souhaitable, pour répondre pleinement aux enjeux concernant les victimes de FIE, d'augmenter l'indemnisation de court terme dont ils peuvent bénéficier afin de les rapprocher de leur situation actuelle.

Pour ce faire, les rapporteures appellent à compléter la solution des partenaires sociaux en permettant à toutes les victimes de FIE de capitaliser, sur option, une partie de leur rente. Le montant ouvert à capitalisation pourrait atteindre, pour ces seules victimes, près de 70 000 euros.

Les rapporteures appellent enfin à clarifier le droit en déterminant, sans équivoque et en associant les associations de victimes, l'ensemble des postes de préjudice pouvant faire l'objet d'une indemnisation intégrale en FIE.

4. Renforcer l'aide humaine au bénéfice des victimes d'AT-MP

Lorsqu'un sinistre rend une victime d'AT-MP présentant un taux d'IPP de 80 % ou plus incapable de réaliser seule certains actes ordinaires de la vie, la branche AT-MP verse une majoration forfaitaire à la rente visant à financer le besoin d'aide humaine : la prestation complémentaire pour recours à tierce personne (PCRTP). La conditionnalité de cette majoration à un taux d'incapacité minimal semblant superfétatoire en ce que l'incapacité à réaliser seul certains actes de la vie implique en tant que telle un besoin d'aide humaine, les rapporteures appellent à la supprimer.

Le caractère forfaitaire de cette majoration pose également problème : elle peut générer un reste à charge considérable, en particulier lorsque les besoins sont forts - la Fnath estime que la majoration permet la prise en charge d'au plus trois heures d'aide humaine par jour.

Pour pallier cela, les rapporteures souhaitent que l'architecture de la PCRTP soit rapprochée de celle de la prestation pour compensation du handicap (PCH), qui colle mieux aux besoins des assurés puisque ceux-ci sont indemnisés à proportion des heures d'aide humaine qui leur ont effectivement été apportées.

III. PARENT PAUVRE DE LA BRANCHE AT-MP, LA PRÉVENTION DOIT VOIR SES MOYENS AUGMENTER

A. UN EFFORT FINANCIER À ACCENTUER, DES AIDES À MIEUX CIBLER

Si la prévention des risques professionnels relève au premier chef de la responsabilité de l'entreprise, la branche AT-MP se voit également assigner cette mission dans une logique de gestionnaire du risque, et doit donc concentrer ses interventions sur les entreprises où la sinistralité est la plus forte. Ces dépenses de prévention de la branche sont financées par le fonds national de prévention des accidents du travail (FNPAT) et représentaient 382 millions d'euros en 2022.

Afin de favoriser l'action des préventeurs du réseau Carsat, les rapporteurs appellent à ce que le niveau de dépense de la branche AT-MP en faveur de la prévention soit progressivement porté à hauteur de 7 % du total de ses dépenses, sur le modèle allemand.

Budget du FNPAT prévu par les COG AT-MP en euros entre 2016 et 2022

Source : COG ATMP 2014-2017 et 2018-2022

Cependant, cette augmentation des dépenses de prévention doit s'accompagner d'un renforcement de leur efficacité, notamment concernant les subventions TPE qui concentrent 66 % des dépenses d'intervention de la branche auprès des employeurs en 2022. Ces aides, qui permettent l'achat de matériel ou de formation, sont accordées dans une logique de « premier arrivé, premier servi », et s'apparente donc à une dépense de guichet. Les entreprises participant aux programmes nationaux thématiques (TMS Pro, RC Pro, etc.) ne sont pas favorisées, alors même qu'elles connaissent les plus hauts taux de sinistralité. La COG 2023-2028 signée en juillet dernier acte d'une augmentation de l'enveloppe des dépenses d'intervention à 120 millions d'euros, ce qui plaide pour une prise en compte de ce ciblage dès 2025.

Enfin dans l'exercice de sa mission de prévention, la branche AT-MP est accompagnée par des opérateurs à la compétence reconnue, à commencer par l'institut national de recherche et de sécurité (INRS), qui lui apporte la compétence technique et scientifique nécessaire à la construction d'une politique de prévention des risques professionnels. Les rapporteures soulignent à cet égard les difficultés matérielles que l'INRS a connu du fait de la signature tardive de la COG AT-MP, et appellent à ce qu'une telle incertitude ne se reproduise pas.

B. RENFORCER LA VISÉE INCITATIVE DE LA TARIFICATION

La politique de tarification de la branche AT-MP fait partie intégrante des modalités visant à favoriser le développement d'une culture de la prévention au sein des entreprises.

Il se décompose en effet en une part fixe et une part variable, dépendant de la sinistralité du secteur ou de la sinistralité propre de l'entreprise, en fonction de la taille de celle-ci. En principe, les entreprises de 20 à 149 salariés ont une tarification variable mixte, dépendant de leur sinistralité propre et de celle du secteur ; et les entreprises de plus de 150 salariés ont une tarification variable individuelle. Une évolution à la baisse de la sinistralité se répercute donc en une diminution des cotisations à verser.

Certains secteurs échappent toutefois à cette tarification vertueuse. Si les dérogations peuvent s'expliquer dans les secteurs à faible sinistralité comme la banque et l'assurance, elles sont plus contestables dans le secteur des établissements et services médico-sociaux, marqué par une forte sinistralité. La mission recommande de tendre à moyen terme vers une application de la tarification de droit commun au secteur des ESMS, en veillant à ce que l'évolution soit assez progressive pour ne pas être source de difficultés financières supplémentaires.

IV. DES ÉVOLUTIONS À LA MARGE DE LA GOUVERNANCE DE LA BRANCHE AT-MP POUR RÉAFFIRMER SON CARACTÈRE PARITAIRE

A. TRANSFORMER LA COMMISSION ACCIDENTS DU TRAVAIL ET DES MALADIES PROFESSIONNELLES (CAT-MP) EN UN CONSEIL D'ADMINISTRATION INDÉPENDANT

La branche AT-MP fait figure d'exception au sein du paysage de la sécurité sociale française, puisqu'elle demeure la dernière où la gouvernance est strictement paritaire au sein de la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles (CAT-MP), qui est uniquement composée de cinq représentants des organisations syndicales et d'autant de représentants patronaux.

L'accord national interprofessionnel du 15 mai 2023, signé par les partenaires sociaux, plaide pour une plus grande autonomie de la branche AT-MP vis-à-vis de la branche maladie. Aussi, les rapporteures proposent de transformer la CAT-MP en un conseil d'administration à part entière, indépendant de la Cnam, et de formaliser la relation avec cette dernière au sein d'une délégation de gestion en complément de la COG. Cette nouvelle organisation permettrait de responsabiliser d'avantage les partenaires sociaux, et de reconnaître leur expertise en matière de risques professionnels.

B. INTRODUIRE UNE REPRÉSENTATION DES VICTIMES AU SEIN DE LA BRANCHE

Jusqu'ici la stricte gestion paritaire de la branche AT-MP conduit à ce que les victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles ne soient pas représentées directement au sein de la CAT-MP, à l'inverse des autres caisses nationales. Les organisations syndicales représentatives participent indirectement à cette représentation, mais l'expertise d'associations de victimes telles que la Fnath et l'Andeva gagnerait à être mise à profit.

Les rapporteures suggèrent donc d'intégrer au sein de l'organe de gouvernance de la branche AT-MP deux membres représentants d'associations de victimes avec une simple voie consultative, afin de conserver le caractère paritaire de cette gouvernance.

MODERNISER L'INDEMNISATION DE L'INCAPACITÉ PERMANENTE,
LA REVALORISER ET LUI CONFÉRER UNE NATURE DUALE

Proposition n° 10 : Réaffirmer la nature duale de la rente et refondre ses modalités de calcul en actant, conformément à la proposition des partenaires sociaux, la définition d'une part professionnelle dépendant du salaire et d'une part fonctionnelle dépendant du taux d'incapacité, en s'assurant que le nouveau mode de calcul soit plus favorable que le précédent dans toutes les configurations possibles et constitue un effort de la branche d'environ 400 millions d'euros par an, à terme.

Proposition n° 11 : Conformément à la proposition des partenaires sociaux, instaurer la possibilité, pour les victimes d'AT-MP présentant une incapacité permanente lourde, de capitaliser une partie de la rente.

Proposition n° 15 : Conformément à la proposition des partenaires sociaux, conférer un caractère dual à l'indemnité en capital et consacrer une part fonctionnelle de l'indemnité en capital calculée pour représenter un investissement d'une centaine de millions d'euros en 2025.

Proposition n° 16 : Faire dépendre la « part professionnelle » de l'indemnité en capital du salaire de l'assuré afin de consolider le dispositif sur le plan juridique et la fixer, au minimum, au niveau actuel de l'indemnité en capital associé à chaque taux d'incapacité.

RÉPONDRE AUX ENJEUX DE L'INDEMNISATION DE COURT TERME
DES VICTIMES DE FAUTE INEXCUSABLE DE L'EMPLOYEUR

Proposition n° 12 : Clarifier la formulation de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale en déterminant, sans équivoque et en impliquant les associations de victimes, les postes de préjudice pouvant faire l'objet d'une indemnisation intégrale dans le cadre d'une procédure en FIE.

Proposition n° 13 : Ouvrir le droit à capitaliser une partie de sa rente à l'ensemble des bénéficiaires d'une rente reconnus victimes de FIE, et non pas aux seuls d'entre eux dont le taux d'incapacité permanente excède 50 %.

Proposition n° 14 : Fixer le plafond que ne saurait dépasser le montant de rente capitalisée à une fois et demi le montant du Pass (69 552 euros) pour les victimes de faute inexcusable de l'employeur, contre une fois ce montant pour les autres victimes.

PROPOSITIONS TRANSVERSALES SUR L'INCAPACITÉ PERMANENTE

Proposition n° 4 : Diminuer de 25 % à 20 % le taux d'incapacité minimal requis pour entamer une procédure de reconnaissance de maladie professionnelle devant le CRRMP, et renforcer les capacités de traitement de dossiers de ces comités pour envisager, dans le futur, de nouvelles baisses.

Proposition n° 7 : Procéder enfin à une révision des barèmes indicatifs d'invalidité en ouvrant une enveloppe dédiée dans la prochaine COG, en fonction des seuls préjudices indemnisés par la rente.

AMÉLIORER L'ACCOMPAGNEMENT DES VICTIMES D'AT-MP

Proposition n° 17 : Expérimenter, dans deux régions, le versement d'une PCRTP aux victimes d'AT-MP en incapacité temporaire et nécessitant une aide humaine pour accomplir au moins trois actes de la vie courante.

Proposition n° 18 : Repenser l'architecture de la PCRTP en rapprochant la PCRTP de la PCH afin de mieux coller aux besoins réels en aide humaine et en supprimant la condition d'éligibilité relative au taux d'incapacité minimal.

DISTINGUER LES PRESTATIONS D'INCAPACITÉ TEMPORAIRE DE LA BRANCHE AT-MP DE CELLES DE LA BRANCHE MALADIE

Proposition n° 5 : Supprimer le délai de carence applicable à l'indemnisation des arrêts de travail consécutifs à un AT-MP pour les non-salariés agricoles pour aligner leur statut sur celui des assurés du régime général.

Proposition n° 6 : Garantir le maintien intégral de la rémunération des assurés en arrêt de travail pour un AT-MP lors des 28 premiers jours d'arrêt, sans surcoût pour les employeurs.

PRENDRE ENFIN LE VIRAGE PRÉVENTIF

Proposition n° 19 : Tendre progressivement à un niveau de dépense de la branche AT-MP en faveur de la prévention équivalent à 7 % de ses dépenses.

Proposition n° 20 : Encourager au développement d'organismes sectoriels de prévention sur le modèle de l'OPPBTP, dont les recommandations sont mieux écoutées par les employeurs du fait de la spécialisation et du réseau constitué.

Proposition n° 21 : Tendre à moyen terme vers une application de la tarification AT-MP de droit commun pour les ESMS, en s'assurant que cette évolution soit suffisamment progressive pour ne pas être source de difficultés financières pour les établissements marqués par une sinistralité particulière et qu'elle ne provoque pas de distorsion de concurrence entre établissements publics et privés, le cas échéant en adoptant des mesures complémentaires.

AUTONOMISER LA GOUVERNANCE ET RENFORCER LE SUIVI

Proposition n° 1 : Imposer aux différents services de l'État et aux acteurs concernés de produire des données consolidées inter-régimes permettant d'avoir une vision synoptique de la sinistralité AT-MP en France.

Proposition n° 22 : Transformer la CAT/MP en un conseil d'administration à part entière, indépendant de la Cnam, et formaliser la relation avec cette dernière au sein d'une délégation de gestion en complément de la COG.

Proposition n° 23 : Modifier la composition de la CAT/MP afin d'y ajouter deux membres représentants d'associations de victimes avec une voie consultative afin de conserver le caractère paritaire de la gestion de la branche tout en valorisant l'expertise de ces associations.

RENDRE PLUS JUSTES LES TRANSFERTS À LA CHARGE DE LA BRANCHE

Proposition n° 2 : Prendre en compte la sur-reconnaissance des AT-MP dans la détermination du montant versé à la branche maladie au titre de la sous-déclaration.

Proposition n° 3 : Procéder à un rééquilibrage de l'effort financier en faveur du Fiva en augmentant la contribution de l'État.

ENCOURAGER LE RETOUR À L'ACTIVITÉ DES TITULAIRES
D'UNE PENSION D'INVALIDITÉ

Proposition n° 8 : Augmenter de 1,5 à 2 fois le Pass le plafond du salaire de comparaison dans le cadre du cumul de la pension d'invalidité avec des revenus d'activité.

Proposition n° 9 : Fixer dans la loi le principe selon lequel tout assuré remplissant les critères d'éligibilité médicaux à la pension d'invalidité a droit à une pension d'invalidité « socle », fixée à un montant symbolique, indépendamment de son niveau de revenus, afin de garantir l'accès aux prestations connexes à la pension d'invalidité.

Réunie le mercredi 9 octobre 2024 sous la présidence de Philippe Mouiller, la commission des affaires sociales a adopté le rapport et les recommandations présentés par Marie-Pierre Richer et Annie Le Houérou, rapporteures, et en a autorisé la publication sous forme d'un rapport d'information.

LISTE DES RECOMMANDATIONS

MODERNISER LA POLITIQUE DE RÉPARATION DES AT-MP TOUT EN RESTANT FIDÈLE AUX PRINCIPES FONDATEURS DE LA BRANCHE

MODERNISER L'INDEMNISATION DE L'INCAPACITÉ PERMANENTE,
LA REVALORISER ET LUI CONFÉRER UNE NATURE DUALE

Proposition n° 10 : Réaffirmer la nature duale de la rente et refondre ses modalités de calcul en actant, conformément à la proposition des partenaires sociaux, la définition d'une part professionnelle dépendant du salaire et d'une part fonctionnelle dépendant du taux d'incapacité, en s'assurant que le nouveau mode de calcul soit plus favorable que le précédent dans toutes les configurations possibles et constitue un effort de la branche d'environ 400 millions d'euros par an, à terme.

Proposition n° 11 : Conformément à la proposition des partenaires sociaux, instaurer la possibilité, pour les victimes d'AT-MP présentant une incapacité permanente lourde, de capitaliser une partie de la rente.

Proposition n° 15 : Conformément à la proposition des partenaires sociaux, conférer un caractère dual à l'indemnité en capital et consacrer une part fonctionnelle de l'indemnité en capital calculée pour représenter un investissement d'une centaine de millions d'euros en 2025.

Proposition n° 16 : Faire dépendre la « part professionnelle » de l'indemnité en capital du salaire de l'assuré afin de consolider le dispositif sur le plan juridique et la fixer, au minimum, au niveau actuel de l'indemnité en capital associé à chaque taux d'incapacité.

RÉPONDRE AUX ENJEUX DE L'INDEMNISATION DE COURT TERME
DES VICTIMES DE FAUTE INEXCUSABLE DE L'EMPLOYEUR

Proposition n° 12 : Clarifier la formulation de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale en déterminant, sans équivoque et en impliquant les associations de victimes, les postes de préjudice pouvant faire l'objet d'une indemnisation intégrale dans le cadre d'une procédure en FIE.

Proposition n° 13 : Ouvrir le droit à capitaliser une partie de sa rente à l'ensemble des bénéficiaires d'une rente reconnus victimes de FIE, et non pas aux seuls d'entre eux dont le taux d'incapacité permanente excède 50 %.

Proposition n° 14 : Fixer le plafond que ne saurait dépasser le montant de rente capitalisée à une fois et demi le montant du Pass (69 552 euros) pour les victimes de faute inexcusable de l'employeur, contre une fois ce montant pour les autres victimes.

PROPOSITIONS TRANSVERSALES SUR L'INCAPACITÉ PERMANENTE

Proposition n° 4 : Diminuer de 25 % à 20 % le taux d'incapacité minimal requis pour entamer une procédure de reconnaissance de maladie professionnelle devant le CRRMP, et renforcer les capacités de traitement de dossiers de ces comités pour envisager, dans le futur, de nouvelles baisses.

Proposition n° 7 : Procéder enfin à une révision des barèmes indicatifs d'invalidité en ouvrant une enveloppe dédiée dans la prochaine COG, en fonction des seuls préjudices indemnisés par la rente.

AMÉLIORER L'ACCOMPAGNEMENT DES VICTIMES D'AT-MP

Proposition n° 17 : Expérimenter, dans deux régions, le versement d'une PCRTP aux victimes d'AT-MP en incapacité temporaire et nécessitant une aide humaine pour accomplir au moins trois actes de la vie courante.

Proposition n° 18 : Repenser l'architecture de la PCRTP en rapprochant la PCRTP de la PCH afin de mieux coller aux besoins réels en aide humaine et en supprimant la condition d'éligibilité relative au taux d'incapacité minimal.

DISTINGUER LES PRESTATIONS D'INCAPACITÉ TEMPORAIRE
DE LA BRANCHE AT-MP DE CELLES DE LA BRANCHE MALADIE

Proposition n° 5 : Supprimer le délai de carence applicable à l'indemnisation des arrêts de travail consécutifs à un AT-MP pour les non-salariés agricoles pour aligner leur statut sur celui des assurés du régime général.

Proposition n° 6 : Garantir le maintien intégral de la rémunération des assurés en arrêt de travail pour un AT-MP lors des 28 premiers jours d'arrêt, sans surcoût pour les employeurs.

PRENDRE ENFIN LE VIRAGE PREVENTIF

Proposition n° 19 : Tendre progressivement à un niveau de dépense de la branche AT-MP en faveur de la prévention équivalent à 7% de ses dépenses.

Proposition n° 20 : Encourager au développement d'organismes sectoriels de prévention sur le modèle de l'OPPBTP, dont les recommandations sont mieux écoutées par les employeurs du fait de la spécialisation et du réseau constitué.

Proposition n° 21 : Tendre à moyen terme vers une application de la tarification AT-MP de droit commun pour les ESMS, en s'assurant :

- que cette évolution soit suffisamment progressive pour ne pas être source de difficultés financières pour les établissements marqués par une sinistralité particulière ;

- que cette évolution ne provoque pas de distorsion de concurrence entre établissements publics et privés, le cas échéant en adoptant des mesures complémentaires.

AUTONOMISER LA GOUVERNANCE ET RENFORCER LE SUIVI

Proposition n° 1 : Imposer aux différents services de l'État et aux acteurs concernés de produire des données consolidées inter-régimes permettant d'avoir une vision synoptique de la sinistralité AT-MP en France.

Proposition n° 22 : Transformer la CAT/MP en un conseil d'administration à part entière, indépendant de la Cnam, et formaliser la relation avec cette dernière au sein d'une délégation de gestion en complément de la COG.

Proposition n° 23 : Modifier la composition de la CAT/MP afin d'y ajouter deux membres représentants d'associations de victimes avec une voie consultative afin de conserver le caractère paritaire de la gestion de la branche tout en valorisant l'expertise de ces associations.

RENDRE PLUS JUSTES LES TRANSFERTS À LA CHARGE DE LA BRANCHE

Proposition n° 2 : Prendre en compte la sur-reconnaissance des AT-MP dans la détermination du montant versé à la branche maladie au titre de la sous-déclaration.

Proposition n° 3 : Procéder à un rééquilibrage de l'effort financier en faveur du Fiva en augmentant la contribution de l'État.

ENCOURAGER LE RETOUR À L'ACTIVITÉ DES TITULAIRES D'UNE PENSION D'INVALIDITÉ

Proposition n° 8 : Augmenter de 1,5 à 2 fois le Pass le plafond du salaire de comparaison dans le cadre du cumul de la pension d'invalidité avec des revenus d'activité.

Proposition n° 9 : Fixer dans la loi le principe selon lequel tout assuré remplissant les critères d'éligibilité médicaux à la pension d'invalidité a droit à une pension d'invalidité « socle », fixée à un montant symbolique, indépendamment de son niveau de revenus, afin de garantir l'accès aux prestations connexes à la pension d'invalidité.

LISTE DES SIGLES

A

 

Anact

Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail

Andeva

Association nationale de défense des victimes de l'amiante

ANI

Accord national interprofessionnel

ARE

Allocation de retour à l'emploi

AT-MP

Accidents du travail et maladies professionnelles

B

 

BTP

Bâtiment et travaux publics

C

 

C2P

Compte professionnel de prévention

C3P

Compte personnel de prévention de la pénibilité

Carsat

Caisses d'assurance retraite et de la santé au travail

CAT-MP

Commission des accidents du travail et maladies professionnelles

CCMSA

Caisse centrale de la mutualité sociale agricole

CDU

Commissions des usagers

CEDH

Cour européenne des droits de l'homme

CFE-CGC

Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres

CFTC

Confédération française des travailleurs chrétiens

CGSS

Caisses générales de sécurité sociale

CGT

Confédération générale du travail

CMR

Agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction

Cnam

Caisse nationale de l'assurance maladie

Cnam-TP

Caisse nationale d'assurance maladie des travaux publics

Cnam-TS

Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés

Cnav

Caisse nationale d'assurance vieillesse

CNCPH

Comité national consultatif des personnes handicapées

CNO

Convention nationale d'objectifs

COG

Convention d'objectifs et de gestion

CPG

Contrats pluriannuels de gestion

CPME

Confédération des petites et moyennes entreprises

Cram

Caisse régionale d'assurance maladie

CRDS

Contribution au remboursement de la dette sociale

CRRMP

Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles

CRSA

Conférences régionales de la santé et de l'autonomie

CSG

Contribution sociale généralisée

CSS

Caisse de sécurité sociale

CTS

Conseils territoriaux de santé

D

 

DFP

Déficit fonctionnel permanent

Drees

Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques

DRP

Direction des risques professionnels

DSS

Direction de la sécurité sociale

E

 

ESMS

Établissements de santé et médicosociaux

ETI

Entreprise de taille intermédiaire

ETT

Entreprise de travail temporaire

EU

Entreprise utilisatrice

F

 

Fact

Fonds pour l'amélioration des conditions de travail

FCAATA

Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante

FGAO

Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages

FIE

Faute inexcusable de l'employeur

Fipu

Fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle

Fiva

Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante

Fnath

Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés

FNPAT

Fonds national de prévention des accidents du travail

FSV

Fonds de solidarité vieillesse

I

 

Igas

Inspection générale des affaires sociales

IJ

Indemnité journalière

INRS

Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles

IP

Incapacité permanente

IPP

Incapacité permanente partielle

L

 

LFRSS

Loi de financement rectificative de la sécurité sociale

LFSS

Loi de financement de la sécurité sociale

LPP

Liste des produits et prestations

M

 

Mecss

Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Medef

Mouvement des entreprises de France

O

 

Ondam

Objectif national de dépense d'assurance maladie

Oniam

Office national des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales

OPPBTP

Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics

P

 

Pass

Plafond annuel de la sécurité sociale

PCH

Prestation de compensation du handicap

PCRTP

Prestation complémentaire pour recours à tierce personne

PME

Petites et moyennes entreprises

PQE

Programme de qualité et d'efficience

PRST

Plan régional de santé au travail

PST

Plan santé au travail

R

 

RC Pro

Risques chimiques professionnels

Repss

Rapport d'évaluation des politiques de sécurité sociale

Robss

Régime obligatoire de base de sécurité sociale

RPS

Risques psycho-sociaux

RU

Représentant des usagers

S

 

SMR

Salaire minimum des rentes

T

 

TMS

Troubles musculosquelettiques

TPE

Très petites entreprises

U

 

U2P

Union des entreprises de proximité

LA MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DE LA SÉCURITÉ SOCIALE (MECSS)

La Mecss du Sénat

Selon l'article L.O. 111-10 du code de la sécurité sociale, « il peut être créé au sein de la commission de chaque assemblée saisie au fond des projets de loi de financement de la sécurité sociale une mission d'évaluation et de contrôle chargée de l'évaluation permanente de ces lois ».

Ainsi, chacune des deux commissions des affaires sociales a créé en son sein une Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss).

Les commissions des affaires sociales disposent de prérogatives importantes en matière de contrôle2(*).

Dans le cas des missions d'évaluation et de contrôle, en cas de non-transmission d'informations, le président de la commission peut demander au juge statuant en référé de faire cesser l'entrave sous astreinte3(*). Par ailleurs, la mission d'évaluation et de contrôle peut adresser aux pouvoirs publics des observations, ceux-ci ayant deux mois pour y répondre4(*).

Conformément à son règlement intérieur, la Mecss du Sénat comprend 16 membres désignés de façon à assurer une représentation proportionnelle des groupes politiques, auxquels s'ajoute le président de la commission. Le rapporteur général et les rapporteurs de branche sont membres de droit de la Mecss.

Déroulé des travaux

Lors de sa réunion du 12 décembre 2023, la Mecss du Sénat a adopté son programme de travail pour 2024, comprenant un rapport sur la branche AT-MP. Lors de sa réunion du 14 décembre 2023, le bureau de la commission des affaires sociales a validé ce programme de travail.

Lors de sa réunion du 17 janvier 2024, la Mecss a nommé Marie-Pierre Richer (rattachée au groupe Les Républicains, sénatrice du Cher), et Annie Le Houérou (groupe socialiste, écologique et républicain, sénatrice des Côtes-d'Armor) co-rapporteures de ce contrôle. Cette désignation conjointe d'un membre de la majorité et d'un membre de l'opposition sénatoriales a pour objet de garantir l'objectivité des travaux.

Des questionnaires écrits ont été adressés à l'ensemble des personnes ou entités auditionnées. Leur liste figure à la fin du présent rapport.

Le rapport a été adopté par la commission des affaires sociales du Sénat le 9 octobre 2024.

La sécurité sociale française est découpée, depuis 20225(*), en cinq branches6(*) recouvrant cinq catégories de risques sociaux : vieillesse, maladie, famille, autonomie et accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP). Des cinq, le risque AT-MP a été le premier à être assuré, dès la loi du 9 avril 18987(*).

La branche AT-MP est chargée de la gestion des risques professionnels et de l'indemnisation des travailleurs victimes d'accidents du travail, d'accidents de trajet ou de maladies professionnelles. Son action est triple : la prévention des risques, la réparation des sinistres et la tarification des cotisations. Du fait de sa nature duale, la branche AT-MP est placée sous l'égide des ministères en charge de la santé et du travail.

La définition des AT-MP

La loi encadre la définition des accidents du travail et des maladies professionnelles :

• l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale définit l'accident du travail comme « l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail », quelle qu'en soit la cause ;

• l'article L. 411-2 du code de la sécurité sociale définit l'accident de trajet comme « l'accident survenu à un travailleur pendant le trajet d'aller ou de retour » entre la résidence stable et le travail, ou le lieu de déjeuner et le travail. Le régime des accidents du travail s'applique aux accidents de trajet ainsi caractérisés ;

• l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale caractérise la maladie professionnelle comme « toute maladie désignée dans un tableau » ou « essentiellement et directement causée par le travail ».

En 2022, 935 000 sinistres ont été recensés parmi les assurés du régime général, dont 744 000 accidents du travail, 124 000 accidents de trajet et 67 000 maladies professionnelles.

Avec 15,4 milliards d'euros de dépenses en 2023 sur l'ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale, la branche AT-MP est la plus petite des cinq branches de la sécurité sociale - elle représente 2,5 % des dépenses de la sécurité sociale. Le poids financier de la branche ne doit toutefois pas être sous-estimé : à titre d'exemple, il dépasse le montant des dépenses du programme « Formations supérieures et recherche universitaire » la même année, soit 15 milliards d'euros.

L'essentiel de ces dépenses est concentré sur l'indemnisation des victimes d'accidents du travail : les prestations servies par la branche - prise en charge des soins, versement d'indemnités journalières, indemnisation de l'incapacité permanente - ont ainsi atteint 12,3 milliards d'euros en 2023.

Cette indemnisation repose sur un « compromis historique », issu de la loi du 9 avril 1898 : le travailleur victime d'un AT-MP se voit dispensé d'avoir à apporter la preuve de la faute de son employeur et, en contrepartie, le travailleur reçoit une indemnisation forfaitaire de ses préjudices, et l'employeur bénéficie d'une immunité civile. Ce système, toujours plébiscité aujourd'hui par les partenaires sociaux, a facilité l'accès à la réparation pour les salariés victimes, tout en évitant une judiciarisation excessive.

La branche se caractérise, en outre, par une situation financière favorable, avec un excédent réalisé de 1,4 milliard d'euros en 2023 - elle est la seule dans ce cas avec la branche famille8(*).

I. LES ACCIDENTS DU TRAVAIL ET MALADIES PROFESSIONNELLES : UNE SINISTRALITÉ QUI STAGNE, DES EXCÉDENTS QUI S'ACCUMULENT

A. LA STAGNATION DE LA SINISTRALITÉ DES AT-MP NE PEUT TENIR LIEU DE SATISFECIT

1. Les accidents de travail et maladies professionnelles déclarés stagnent depuis vingt ans, en dépit d'une récente baisse qui reste inexpliquée
a) La sinistralité des AT-MP diminue dans le temps, mais semble atteindre un plancher

L'évolution du nombre d'accidents du travail et de maladies professionnelles est difficile à analyser car leurs déterminants sont multiples. Le nombre d'accidents du travail déclaré doit en effet être rapporté aux effectifs de travailleurs couverts pour le risque AT-MP, qui évoluent dans le temps, ainsi qu'à leurs conditions de travail. Le recours massif au chômage partiel durant la crise sanitaire en 2020 et début 2021, ou à plus faible raison le développement du télétravail ont par exemple conduit à une diminution temporaire du nombre d'accidents du travail. À ces effets conjoncturels doit être ajouté le risque de sous-déclaration propre aux AT-MP, lié aux majorations de tarification subies par l'employeur ou à la méconnaissance des salariés.

Nombre d'AT-MP ayant donné lieu à une déclaration

Source : Repss 2023

Pour éviter ces effets liés à la situation économique et permettre une comparaison dans le temps, l'indice de fréquence permet d'observer le nombre d'AT-MP déclarés pour 1 000 salariés, et donc d'évaluer le risque subit par les salariés au travail. De 2000 à 2019, cet indice a stagné, avec 33,2 accidents pour 1 000 salariés du régime général en 2013 contre 33,5 accidents en 2019.

Indice de fréquence national des accidents du travail

Source : Repss 2023

Après deux années peu représentatives durant la crise sanitaire, les données statistiques les plus récentes en matière de sinistres au travail concernent l'année 20229(*), et font état pour la première fois depuis dix ans d'une sinistralité à la baisse avec - 6,7 % pour les accidents du travail et - 6,4 % pour les maladies professionnelles, alors même que le nombre de salariés a augmenté de 3 %. Cependant la direction des risques professionnels (DRP) de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) a indiqué aux rapporteures que cette inflexion devait être prise avec précaution, car ses déterminants ne sont pas encore expliqués. Selon la Direction de la sécurité sociale (DSS) - qui est dans l'attente de publications à ce sujet - la baisse des AT-MP pourrait « être due à des phénomènes contextuels du monde du travail (télétravail, ralentissement de l'activité, etc.) mais aussi à l'utilisation des outils de déclaration ».

Les accidents de trajet : une sinistralité à part

En 2022, 89 483 arrêts de travail étaient consécutifs à un accident de trajet. Ces accidents sont pris en charge par la branche AT-MP lorsqu'un salarié connaît un accident à l'occasion du trajet entre son lieu de domicile10(*) et son lieu de travail, ou entre son lieu de travail et son lieu de restauration11(*).

Les accidents de trajet connaissent une dynamique propre, et leur diminution continuelle depuis les années 2000 relève en grande partie des progrès réalisés par la politique de prévention de sécurité routière. Par ailleurs, le nombre d'accidents de trajet annuel varie moins selon le nombre de salariés que selon des facteurs saisonniers et météorologiques : les hivers rigoureux occasionnent davantage d'accidents que les années plus clémentes. Certains secteurs connaissent un plus grand nombre d'accidents de trajet du fait du travail intérimaire, ou lorsque les horaires de nuit et les horaires fractionnés y sont plus présents.

b) Une relative diminution de la gravité des accidents du travail

Le niveau de sinistralité des AT-MP dépend également de la gravité des accidents, dont les répercussions peuvent conduire à des arrêts de longue durée, quand il ne s'agit pas d'une incapacité permanente (IP) du salarié ou dans le pire des cas à un décès de la victime.

L'indice de gravité des accidents du travail, qui se mesure par le nombre de reconnaissances d'incapacité permanente pour 10 000 accidents du travail, permet d'établir que la tendance globale est à une baisse de la gravité des accidents du travail, en partie due au déversement des emplois du secteur industriel vers le secteur tertiaire. L'indice de gravité des AT, qui était de 601 en 2013, est redescendu à 527 en 201912(*) avant d'augmenter pour la première fois en 2021 (583), ce que la Cnam explique par un retard de traitement des dossiers de 2020. À plus long terme, la gravité des accidents risque d'être renforcée par le vieillissement de la population en âge de travailler : les salariés âgés de plus 50 ans connaissent en effet moins d'AT mais ces derniers sont plus souvent graves ou mortels13(*).

La relative diminution de la gravité des AT ne doit pas invisibiliser le nombre de décès consécutifs à un AT-MP, qui demeure de 1 227 en 2022, dont 738 pour les seuls accidents du travail14(*). Ces décès font l'objet d'une très bonne connaissance concernant les AT du fait de l'obligation pour l'employeur de prévenir l'inspection du travail dans les douze heures après la survenue de l'accident15(*), ce qui entraîne le plus souvent une enquête administrative, voire pénale. Les journalistes du journal Le Monde qui ont consacré une série d'articles aux décès sur le lieu de travail16(*) ont confirmé aux rapporteures l'importance du rôle de l'inspection du travail en cas d'accident grave, à la fois pour réduire les risques auxquels les salariés sont exposés, mais également pour fournir une base étayée en vue d'une indemnisation du salarié ou de ses proches en cas de décès.

La sinistralité AT-MP du régime agricole

Les accidents du travail, de trajet et les maladies professionnelles sont reconnus et indemnisés au titre du régime AT-MP du régime agricole dont la gestion est confiée à la caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA). La particularité des AT-MP du régime agricole réside en ce qu'ils concernent deux populations très différentes dans leur rapport au travail, les salariés agricoles et les non-salariés qui sont constitués à 93 % de chefs d'exploitation.

Les données de la CCMSA indiquent que le nombre d'AT subis par les chefs d'exploitation connaît une diminution d'ampleur depuis dix ans (- 40,3%), ce qui s'explique par la réduction du nombre d'exploitations et donc d'affiliés au régime. Dans le même temps, les accidents concernant les salariés agricoles ont également diminué de 27 %, ce qui confirme une meilleure prise en compte de la sécurité et de la santé au travail dans le secteur agricole. Cependant les indicateurs de gravité ont augmenté pour ces deux catégories depuis 2013, que ce soit concernant le taux d'IPP supplémentaires pour les AT non mortels (+ 28 % pour les salariés, + 27,3 % pour les non-salariés) ou concernant le nombre de jours d'arrêts pour les AT avec arrêts (+ 28 % pour les salariés). Cependant, cette tendance est à relativiser compte tenu du vieillissement de ces populations, et du fait que le régime général connaît des évolutions similaires sur l'ensemble des arrêts de travail.

En revanche, les maladies professionnelles liées aux risques psycho-sociaux (RPS) font encore l'objet d'une mauvaise connaissance, alors même que le mal-être d'une partie des agriculteurs est avéré.

Source : CCMSA

c) La sinistralité AT-MP dépend également des nomenclatures et conventions statistiques retenues

La sinistralité AT-MP dépend de la définition retenue du risque, particulièrement dans le cas des maladies professionnelles. La sous-déclaration des maladies professionnelles, prises en charge par l'assurance maladie à tort et donnant lieu à un transfert financier entre les branches17(*), a également des conséquences sur la déclaration des accidents du travail. Le cas des troubles musculosquelettiques (TMS) illustre cette porosité, puisqu'avant d'être reconnus comme MP, ces derniers provoquent fréquemment plusieurs arrêts de travail de droit commun, pris en charge par des indemnités maladies. Aussi les arrêts de travail conduisant au versement d'indemnités journalières varient très sensiblement selon les secteurs d'activité pour certaines pathologies, ce qui semble indiquer qu'elles sont liées à l'activité professionnelle.

Le périmètre pertinent des maladies professionnelles semble donc encore à définir, et permettrait d'avoir une vision plus précise de la sinistralité AT-MP. Cette clarification suppose cependant de disposer d'une vision consolidée des AT-MP au-delà du seul régime général, or pour la fonction publique les conventions statistiques suivies par la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) diffèrent. Lors de l'audition de la directrice de la CNAM-TP, cette dernière a précisé que le chantier de la consolidation des données inter-régime avait été délaissé par le ministère lors des dernières années.

Proposition n°1 : Imposer aux différents services de l'État et aux acteurs concernés de produire des données consolidées inter-régimes permettant d'avoir une vision synoptique de la sinistralité AT-MP en France.

2. Cette stagnation apparente masque des mutations profondes de la sinistralité AT-MP

La sinistralité appréhendée par le nombre d'AT-MP et par leur fréquence peut donner l'impression d'une stagnation ou d'un plancher atteint dans la couverture du risque. Analysée dans le détail, la sinistralité AT-MP se caractérise au contraire par des mutations importantes, et par une surreprésentation du risque auprès de certains publics.

a) Les maladies professionnelles connaissent une augmentation sensible des TMS et des RPS

Les données de la Cnam font état d'une surreprésentation des pathologies multifactorielles parmi les maladies professionnelles reconnues et indemnisées. Ainsi sur les 44 217 maladies reconnues par la branche AT-MP en 2022, les troubles musculosquelettiques (TMS) représentaient plus de 86 %18(*), touchant particulièrement les ouvriers, avec une prévalence chez les salariés les plus âgés et chez les femmes19(*). Les maladies professionnelles relevant de troubles psychosociaux liés à l'activité professionnelle connaissent également une hausse de + 16 % par rapport à 202120(*).

Part des maladies professionnelles reconnues avec arrêt de travail ou IP
par la branche AT-MP par grandes familles de pathologies en 2022

(en %)

Source : Repss AT-MP 2023

La dynamique des pathologies liées au travail mais dont la nature est multifactorielle représente un défi pour la branche AT-MP, car leur caractère diffus et environnemental s'accommode imparfaitement du système français de reconnaissance des maladies professionnelles. Par conséquent, le niveau de sous-déclaration afférent est probablement très élevé, comme le suggèrent les travaux de la Cnam.

Estimation de la sous-déclaration relative aux TMS en 2022

Source : Repss AT-MP 2023

b) La sinistralité AT-MP est particulièrement contrastée selon les secteurs d'activité

La diversité de risques au travail se retrouve dans les indices de fréquence, mais aussi de gravité. À titre d'exemple, le nombre moyen de jours indemnisés par salarié du régime général par branche AT-MP variait en 2019 entre 0,93 pour les activités de banque, d'assurance et de services administratifs et 5,28 pour les activités de nettoyage, d'action sociale et d'intérim21(*).

Fréquence des accidents du travail avec arrêt en 2021 pour
les secteurs les plus risqués

(en %)

Source : Repss AT-MP 2023

Les filières qui étaient historiquement les plus accidentogènes ont connu de nets progrès dans la fréquence des accidents du travail grâce à une action renforcée en faveur de la prévention et de la santé au travail. C'est notamment le cas des secteurs du BTP, de la métallurgie ou de la chimie, pour lesquels la fréquence des accidents du travail a fortement diminué.

Évolution de la fréquence des AT-MP pour le BTP et l'industrie

(en %)

Source : Repss AT-MP 2023

Les accidents du travail dans le secteur du BTP : un risque important,
des progrès remarquables

Dans le secteur du BTP, les salariés sont exposés à un très grand nombre de risques professionnels associés à une gravité importante : chutes, heurts avec engins et masses en mouvement, enfouissements, électrocutions, etc. Le secteur connaît de plus un contexte défavorable en raison de la faible taille moyenne des entreprises qui limite la capacité organisationnelle et les moyens, du caractère forain des chantiers, des risques induits par la coactivité, par le roulement dans les équipes et enfin par la diversité culturelle et linguistique du personnel. Les clients des entreprises du BTP manifestent par ailleurs un intérêt variable pour la santé et sécurité des personnels.

Cette forte exposition aux risques se traduit par des taux d'accidents du travail et de maladies professionnelles toujours élevés, en dépit des remarquables avancées du secteur ces dernières années. Le BTP déplore un indice de fréquence moyen de 47,7 en 2021 contre 31 pour la moyenne de tous les secteurs professionnels. Cet indice était encore de 56 en 2010, ce qui argue toutefois d'une diminution soutenue des accidents.

Cependant des progrès restent encore à faire, notamment concernant les intérimaires, dont l'intégration est par nature plus difficile dans les collectifs de travail, puisqu'ils connaissent une surexposition de 22 % aux accidents du travail dans le secteur selon la Cnam-TS.

Source : Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP)

A contrario certaines filières ont assisté à une détérioration rapide de leur situation, comme dans les secteurs des ESMS (établissement de santé et médicosociaux), des hypermarchés ou même du stockage et de l'entreposage frigorifique. Cette aggravation illustre que les priorités en matière de prévention doivent être constamment révisées afin de tenir compte de l'évolution du monde professionnel.

c) D'autres facteurs influent grandement sur les risques professionnels, tant au niveau des entreprises que des salariés

Les petites et moyennes entreprises (PME) demeurent moins perméables aux politiques de prévention puisque l'indice de fréquence des accidents du travail au régime général y est supérieur à 40 pour 1 000, là où il n'atteint pas 30 pour 1 000 dans les établissements de plus de 200 salariés. La taille des ETI et grandes entreprises leur permet de concevoir des politiques de prévention propres, qui sont mieux adaptées à la spécificité de leurs activités, contrairement aux PME dont les moyens en la matière sont plus limités.

Des facteurs propres aux salariés conditionnent aussi la sinistralité AT-MP, qu'ils concernent la catégorie socio-professionnelle, l'âge ou le genre des salariés. La catégorie socio-professionnelle détermine majoritairement le risque d'exposition à certains risques, ainsi selon les données de la Cnam-TS 68 % des ouvriers qualifiés ont été exposés à des nuisances sonores durant la semaine précédant l'enquête contre 13 % des cadres et professions intellectuelles supérieures. Ces disparités doivent donc être prises en compte dans la mise en place des politiques de prévention, de même que l'âge ou le genre des salariés.

Part des salariés exposés à un risque selon la catégorie professionnelle

Source : Placss 2023

Santé des femmes au travail : des maux invisibles22(*)

Les travaux de la délégation au droit des femmes du Sénat ont souligné que les secteurs professionnels largement féminisés font l'objet d'une sous-évaluation systématique de la pénibilité et des risques au travail. Comme dans les secteurs de la santé et du social, du nettoyage et de l'intérim, du commerce et des industries de l'alimentation, où de nombreux métiers dits féminins sont exposés à un port répétitif de charges dépassant la norme autorisée de 25 kg23(*).

De fait, les accidents du travail ont augmenté de 42 % chez les femmes entre 2001 et 201924(*) et le nombre d'accidents du travail est plus élevé dans les activités de services à prédominance féminine (178 483 accidents du travail) que dans le secteur du BTP (88 360 accidents du travail).

Cette invisibilisation tient à ce que les accidents de travail mortels concernent à 90 % des hommes, et que ces accidents demeurent les plus prégnants dans la représentation collective des AT-MP.

Source : Délégation aux droits des femmes du Sénat

B. UNE SITUATION D'EXCÉDENT STRUCTUREL QUI AMÈNE À S'INTERROGER

1. La branche AT-MP présente une situation structurellement excédentaire

Lors de la décennie 2000, la branche AT-MP présentait une situation déficitaire. Après un exercice excédentaire en 2008, témoin de l'amélioration de la situation financière de la branche, la crise économique et financière puis la hausse des transferts versés par la branche ont considérablement retardé le retour à l'équilibre.

À la faveur d'une hausse des taux de cotisation de 0,05 point actée avec les organisations professionnelles d'employeurs et de la diminution de certains transferts25(*), c'est finalement en 2013 que la branche AT-MP a retrouvé l'équilibre financier sur le champ de l'ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale.

Depuis, la branche AT-MP a réalisé des résultats excédentaires à chaque exercice - à l'exception de l'exercice 2020, marqué par une inflexion inédite dans la trajectoire des ressources de la branche, en lien avec la baisse de la masse salariale soumise à cotisation du fait de l'épidémie de covid-19, et conclu sur un léger déficit de 0,1 milliard d'euros.

De 2013 à 2023, la branche AT-MP s'est donc démarquée en obtenant par dix fois des résultats excédentaires. Ceux-ci sont allés croissant avec le temps : après des excédents aux alentours de 0,7 milliard d'euros de 2013 à 2016, la branche a connu des résultats positifs dépassant le milliard d'euro en 2017, 2019, 2021, 2022 et 2023. La branche a atteint des excédents record en 2022 et 2023, avec respectivement 1,7 milliard et 1,4 milliard d'euros.

Recettes, dépenses et solde de la branche AT-MP depuis 2006

(en milliards d'euros)

Source : Mecss du Sénat d'après les données des programmes de qualité et d'efficience (PQE) et des rapports d'évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss) 2007 à 2023

La situation est donc claire : non seulement la branche AT-MP réalise des excédents chaque année, mais en plus les excédents qu'elle réalise ont tendance à s'accroître d'année en année.

Il s'agit là d'un signe de déconnexion croissant entre les ressources de la branche, financées quasi-intégralement par des cotisations à la charge de l'employeur, et les prestations qu'elle verse. Depuis 2013, les ressources de la branche ont en effet cru de 2,4 % par an en moyenne, contre seulement 2 % pour ses dépenses.

Dit autrement, la branche AT-MP présente aujourd'hui un excédent à caractère structurel.

Cette observation est partagée par les organisations professionnelles d'employeurs : la CPME estime par exemple qu'il est « exact » de qualifier la situation financière de la branche de structurellement excédentaire, dans la mesure où « le Gouvernement a la main sur la fixation des quatre coefficients de majoration », qu'il détermine afin d'obtenir chaque année « le solde qu'[il] voudr[a] ».

Ces excédents sont importants par rapport aux ressources de la branche : depuis 2021, le taux de couverture des recettes par les dépenses atteint environ 110 % chaque année.

Ils ont permis non seulement d'éponger, dès 2016, le déficit cumulé de la branche, mais également de constituer progressivement un excédent cumulé, qui atteint désormais 7,6 milliards d'euros.

Résultat cumulé de la branche

(en millions d'euros)

Source : Mecss du Sénat

2. Le « trésor » de la branche AT-MP est source de convoitises dans un contexte financier tendu
a) Les difficultés de financement d'autres branches de la sécurité sociale

Alors que la branche AT-MP enchaîne les excédents, les autres branches de la sécurité sociale réalisent des exercices bien plus contrastés sur le plan budgétaire. Certaines atteignent un niveau de déficit particulièrement alarmant, sur lequel la commission des affaires sociales du Sénat alerte depuis de nombreuses années.

Sur le champ de l'ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale, les quatre autres branches de la sécurité sociale (y compris le Fonds de solidarité vieillesse, FSV) accusent un déficit de 21,4 milliards d'euros en 2022 et de 12,2 milliards d'euros en 2023.

Solde des branches de la sécurité sociale en 2022 et 2023

(en milliards d'euros)

 

Solde 2022*

Solde 2023**

Maladie

- 21,0

- 11,1

Accidents du travail et maladies professionnelles 

1,7

1,4

Vieillesse

- 3,9

- 2,6

Famille

1,9

1,0

Autonomie

0,2

- 0,6

Toutes branches (hors transferts)

- 21,0

- 11,9

Toutes branches y compris Fonds de solidarité vieillesse (hors transferts ou fonds)

- 19,7

- 10,8

Source : LFSS 2024 (*), projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale pour 2023 (**)

Le déficit est en quasi-totalité porté par les branches maladie et vieillesse, dont le solde cumulé (y compris le FSV) atteint - 12,6 milliards d'euros en 2023. Le solde est de - 11,1 milliards d'euros pour la seule branche maladie.

Ce déficit est d'autant plus inquiétant que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 semble indiquer que le précédent Gouvernement avait non seulement abandonné tout objectif de retour à l'équilibre des régimes obligatoires de base, mais avait même renoncé à l'idée de réduire le déficit sur les prochains exercices.

Exécution et prévision de solde des Robss et du FSV jusqu'en 2027

(en milliards d'euros)

Robss : Régimes obligatoires de base de sécurité sociale. FSV : Fonds de solidarité vieillesse.

2004-2023 : exécution. 2024-2027 : prévisions de la LFSS 2024. Ces prévisions ne sont plus d'actualité : le rapport à la commission des comptes de la sécurité sociale de mai 2024 prévoit un déficit de 16,6 milliards d'euros en 2024.

Source : Lois de financement de la sécurité sociale

Dans ce contexte, les ressources de la branche AT-MP suscitent d'importantes convoitises pour d'autres branches, déficitaires, de la sécurité sociale, avec un risque de dévoiement des ressources de la branche - affectées en principe à la prise en charge des risques professionnels.

b) Le « siphonnage » des ressources de la branche AT-MP

Lors des dernières années, les pouvoirs publics ont, à plusieurs reprises, affecté à d'autres entités déficitaires des ressources de la branche AT-MP - branches maladie et vieillesse en tête.

Ce « siphonnage » des ressources de la branche AT-MP a pris deux formes principales : des transferts financiers et un « swap » de taux de cotisation, destinés à augmenter les ressources d'une autre branche à prélèvements obligatoires constants (dans ce dernier cas en diminuant les prélèvements en AT-MP).

Si les rapporteures reconnaissent pleinement la nécessité et la légitimité de certains transferts mis en oeuvre, elles insistent sur le fait que la branche AT-MP n'a pas vocation à être une variable d'ajustement des politiques publiques, ni à constituer un fonds destiné à combler des insuffisances de financement pour d'autres branches ou opérateurs.

Les rapporteures partagent, en outre, l'analyse du Medef, qui note que « l'augmentation de ces transferts grève fortement la capacité de la branche à améliorer ses actions en matière de prévention ce qui va à rebours de la logique défendue unanimement par les partenaires sociaux ».

Elles alertent donc contre la multiplication de ces transferts et contre une forme de péréquation interbranches qui tait son nom.

(1) Le poids des transferts dans les finances de la branche AT-MP doit être remis en question

Le régime général de la branche AT-MP finance différents transferts à d'autres branches de la sécurité sociale ou à des organismes financés par les régimes obligatoires de base. Ces transferts atteignent, pour 2024, 2,1 milliards d'euros, soit 12 % des ressources de la branche.

Ils se répartissent entre environ 1,2 milliard d'euros pour la branche maladie, 0,1 milliard d'euros pour la branche vieillesse, 0,1 milliard d'euros pour le compte professionnel de prévention (C2P) et 0,7 milliard d'euros pour les dispositifs destinés aux travailleurs et aux victimes de l'amiante.

(a) Si on ne peut que souscrire au principe du transfert à la branche maladie au titre de la sous-déclaration, la croissance perpétuelle des montants concernés et la méthodologie retenue conduisent à s'interroger

Divers rapports attestent de l'existence d'une sous-déclaration des AT-MP, qui découle d'une prise en charge indue par la branche maladie de pathologies ou d'affections liées à un accident du travail ou à une maladie professionnelle.

Sous le terme générique de « sous-déclaration » se trouvent en fait deux phénomènes distincts.

Il y a, d'une part, une sous-déclaration stricto sensu, provoquée par l'absence d'ouverture d'une procédure de reconnaissance d'un AT-MP. Celle-ci est liée :

- à la méconnaissance des prestations de la branche AT-MP par les professionnels de santé autant que par les victimes ;

- au défaut de détection des pathologies d'origine professionnelle ;

- à la crainte que la déclaration d'un AT-MP puisse avoir des répercussions professionnelles dommageables.

Il y a, d'autre part, une sous-reconnaissance des AT-MP, qui couvre les cas où une procédure de reconnaissance d'un AT-MP a été ouverte mais n'a pas abouti, à tort. La sous-reconnaissance est provoquée :

- par la difficulté de déterminer l'origine professionnelle de certaines pathologies ou accidents lorsque les facteurs de risque sont divers ;

- par la complexité de la procédure d'accès à la réparation, assimilée à un « véritable parcours du combattant » par l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante (Andeva)26(*).

La sous-déclaration des AT-MP provoque un transfert spontané de charges de la branche AT-MP vers la branche maladie. Par conséquent, le législateur a entendu créer, à compter de 199727(*), une compensation financière de ces sommes indûment prises en charge, en instituant un « versement annuel »28(*) de la branche AT-MP du régime général vers la branche maladie du même régime.

Le montant du transfert n'a fait que s'accroître au fil des années, en dépit des efforts notables réalisés par les entreprises et la branche AT-MP afin de lutter contre la sous-déclaration.

Le transfert à la branche maladie atteint 1,2 milliard d'euros pour 2024, soit 7 % de l'ensemble des ressources de la branche. Cette trajectoire génère une certaine émotion chez les organisations d'employeurs : l'Union des entreprises de proximité (U2P) dénonçant par exemple « le caractère inique de la ponction faite par l'État sur les excédents de la branche AT-MP au bénéfice de la branche maladie ».

Il est particulièrement remarquable que le montant du transfert ait augmenté de moitié depuis 2013 et le retour aux excédents de la branche AT-MP dans un contexte marqué par le déficit persistant de l'assurance maladie. Cela fait dire au Mouvement des entreprises de France (Medef) que « la finalité réelle de ce transfert apparaît désormais clairement comme une variable d'ajustement de la branche maladie ».

Montant des versements de la branche AT-MP à la branche maladie
au titre de la sous-déclaration

(en millions d'euros)

Source : Mecss du Sénat

Une nouvelle doctrine détermine le montant annuel du transfert depuis 2021. Celui-ci est fixé au niveau de la borne basse de l'estimation réalisée par le dernier rapport de la commission chargée d'évaluer le coût réel pour la branche maladie de la sous-déclaration des accidents du travail.

Cette commission, présidée par un magistrat à la Cour des comptes, remet tous les trois ans, au Gouvernement et au Parlement, un rapport évaluant le coût réel pour la branche maladie de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles29(*). Le rapport rendu en juin 2021 donnait une fourchette entre 1 230 et 2 110 millions d'euros pour estimer le coût réel de la sous-déclaration pour la branche maladie, un total significativement supérieur à la précédente évaluation qui faisait état d'un montant compris entre 815 et 1 530 millions d'euros.

Le comité a transmis au Parlement une nouvelle version de ce rapport, datée de juin 2024, qui évalue le coût de la sous-déclaration entre 2 et 3,8 milliards d'euros, soit un quasi doublement des seuils de la précédente estimation. Le rapport met en avant l'actualisation des études épidémiologiques, la hausse des coûts de prise en charge et l'évolution de la population assurée au régime général.

Compte tenu de la trajectoire de la sinistralité, la Mecss peine à comprendre comment la sous-déclaration a pu doubler en trois ans, comme l'estime la commission chargée d'évaluer le coût réel pour la branche maladie de la sous-déclaration des accidents du travail. Elle appelle donc à une certaine prudence dans l'interprétation de ces chiffres dont la méthodologie de calcul semble instable, puisque la variabilité de l'estimation sur trois ans excède sans nul doute l'évolution réelle de la sous-déclaration. Cela traduit toute la difficulté d'obtenir une évaluation stable du coût réel de la sous-déclaration.

La Mecss ne remet pas en cause la pertinence de l'existence du transfert à la branche maladie, la sous-déclaration étant un phénomène avéré et bien documenté.

Toutefois, elle déplore le poids que ce transfert a progressivement acquis dans les charges de la branche AT-MP : il lui semble regrettable que près d'un douzième des cotisations qui devraient être affectées au risque professionnel serve, in fine, de « rustine » pour le budget de la branche maladie.

Elle estime, en outre, que la méthode de fixation du montant du transfert n'est pas incitative pour lutter contre la sous-déclaration.

La mission fait siennes les observations des organisations patronales, qui se montrent « particulièrement critiques »30(*) « face à la méthode de calcul de ce transfert qui ne prend aucunement en compte les améliorations constatées en matière de sinistralité, de procédures de reconnaissance des AT-MP et des efforts de prévention des entreprises », et qui conduit à l'augmentation régulière du montant des transferts malgré les efforts fournis à tous les niveaux pour lutter contre ce phénomène.

En outre, la Mecss s'étonne de la méthodologie retenue pour déterminer le coût de la sous-déclaration. Le montant calculé est en effet d'un coût brut, dont n'est pas déduite une estimation du coût pour la branche AT-MP de la sur-reconnaissance des AT-MP. Cette non prise en compte de la sur-reconnaissance constitue un biais qui a pour effet de majorer indûment le montant du transfert, et qui doit être corrigé.

Proposition n° 2 : Prendre en compte la sur-reconnaissance des AT-MP dans la détermination du montant versé à la branche maladie au titre de la sous-déclaration.

(b) Un transfert de plus de 100 millions d'euros à la branche vieillesse

La branche AT-MP des régimes général et agricole finance également un transfert à la branche vieillesse de ces deux régimes, pour un montant de 104,8 millions d'euros en 2024.

Aux termes de l'article L. 241-3 du code de la sécurité sociale, les dépenses supplémentaires occasionnées à la branche vieillesse du fait des dispositifs de départ en retraite anticipée pour incapacité31(*) sont en effet couverts par une contribution de la branche AT-MP. Le montant du transfert atteint, en 2024, 95,7 millions d'euros pour le régime général, et 9,1 millions d'euros pour le régime agricole.

Il existe deux dispositifs de retraite anticipée ouvrant droit à une victime d'AT-MP présentant un taux d'incapacité permanente suffisant de prendre sa retraite avant d'avoir atteint l'âge légal de 64 ans mentionnés à l'article L. 161-17-2 du code de la sécurité sociale :

- une victime dont le taux d'incapacité permanente excède 20 %32(*) à la suite d'une maladie professionnelle ou d'un accident du travail « ayant entraîné des lésions identiques à celles indemnisées au titre d'une maladie professionnelle »33(*) peut bénéficier d'un départ en retraite anticipé à 60 ans ;

- une victime dont le taux d'incapacité permanente à la suite d'un AT-MP34(*) dépasse 10 %35(*) peut bénéficier d'un départ en retraite anticipé à 62 ans, soit deux ans en-dessous de l'âge légal. Seuls sont éligibles les assurés ayant été exposés au moins 17 ans à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels en lien direct avec leur affection36(*). Avant la LFRSS pour 2023, ces assurés bénéficiaient du même âge dérogatoire que ceux mentionnés à l'alinéa précédent.

(c) Un financement du C2P de près de 100 millions d'euros

Outre ces transferts, la branche AT-MP finance37(*), pour 96,5 millions d'euros38(*), les dépenses engendrées par le compte professionnel de prévention (C2P)39(*).

Ce dispositif, successeur du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P)40(*), permet aux salariés exposés à des facteurs de risques de cumuler des points convertibles pour financer une formation, bénéficier d'un passage à mi-temps avec maintien de salaire ou valider des trimestres de majoration de durée d'assurance vieillesse et ainsi partir plus tôt à la retraite.

Dans la foulée de la réforme des retraites de 202341(*), le C2P a été déplafonné et la valeur du point a été revalorisée pour certains usages42(*), notamment l'accès aux formations et au mi-temps avec maintien de salaire.

(d) Le financement aux dispositifs destinés aux travailleurs et aux victimes de l'amiante atteint environ 0,7 milliard d'euros
(i) Le montant du transfert de la branche AT-MP au Fiva a explosé en 2024 pour approcher 350 millions d'euros, sans que la contribution de l'État ne soit modifiée

La branche AT-MP est également sollicitée pour participer au financement des dispositifs destinés aux travailleurs et aux victimes de l'amiante.

La branche AT-MP du régime général joue, d'abord, un rôle prépondérant dans le financement du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva) - elle compte pour 72 % de ses recettes. Cet établissement administratif43(*) est chargé d'assurer la réparation intégrale de l'ensemble des préjudices subis par les victimes de l'amiante sur le territoire français, et par leurs ayants-droits. Les prestations du Fiva s'adressent non seulement aux « personnes qui ont obtenu la reconnaissance d'une maladie professionnelle occasionnée par l'amiante », mais aussi aux « personnes qui ont subi un préjudice résultant directement d'une exposition à l'amiante sur le territoire de la République française », c'est-à-dire les victimes dites environnementales.

Le Fiva répare à la fois :

- des préjudices économiques : perte de revenus, frais de santé restant à la charge de la victime, frais de tierce personne et autres frais liés à la maladie ;

- des préjudices personnels : incapacité fonctionnelle, préjudice moral, physique, d'agrément et d'esthétique.

Alors que la dotation au Fiva suit, depuis les années 2010, une tendance baissière en lien avec la diminution du nombre de victimes à indemniser, la revalorisation des barèmes d'indemnisation des préjudices extrapatrimoniaux, les conséquences de deux arrêts de la Cour de cassation en date du 20 janvier 202344(*) et l'épuisement des réserves financières du Fiva ont conduit à revaloriser massivement la dotation pour 2024. Celle-ci est fixée à 353 millions d'euros pour 202445(*), soit une hausse de plus de 50 % par rapport à 2023.

Malgré la hausse des besoins, la dotation accordée par l'État, co-financeur, a stagné à 7,68 millions d'euros - soit un total anecdotique correspondant à 2 % du montant de la subvention accordée par la branche AT-MP. Il n'existe donc aucun partage de l'effort financier de refinancement du Fiva, qui repose donc en intégralité sur la branche AT-MP. La concentration de l'effort financier en faveur des victimes de l'amiante sur la branche AT-MP, et le caractère accessoire de la contribution de l'État constituent une double incongruité.

· D'une part, parce que la responsabilité de l'État a été engagée et reconnue dans le scandale de l'amiante.

Quatre décisions du Conseil d'État en date du 3 mars 2004 ont en effet reconnu « la responsabilité de l'État du fait de sa carence fautive à prendre les mesures de prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante », et condamné l'État à indemniser les victimes sur ce fondement. La responsabilité de l'État régulateur a à la fois été reconnue au titre de l'absence de réglementation de l'amiante jusqu'en 1977, et au titre d'une réglementation insuffisante à compter de cette date.

L'étendue de la responsabilité de l'État dans le scandale de l'amiante a par la suite été confirmée et renforcée par un arrêt de 9 novembre 201546(*), par lequel le Conseil d'État a pour la première fois reconnu qu'un employeur condamné en faute inexcusable au titre de l'amiante pouvait se retourner contre l'État afin que la charge de l'indemnisation soit partagée. La responsabilité de l'État peut donc désormais non seulement être engagée par les victimes, mais aussi par l'employeur fautif co-auteur du dommage.

La reconnaissance de la responsabilité de l'État dans le scandale de l'amiante l'appelle, à n'en pas douter, à renforcer l'effort financier auquel il consent en faveur du Fiva.

· D'autre part, parce que le champ de l'indemnisation proposée par le Fiva excède largement le cadre du risque professionnel. Le Fiva indemnise en effet l'ensemble des victimes environnementales, qui n'ont pas connu d'exposition à l'amiante dans leur activité professionnelle, ainsi que leurs ayants-droits. Ces victimes ne relèvent, en droit commun, pas de la branche AT-MP puisque leur préjudice ne répond pas aux conditions fixées par les articles L. 411-1, L. 411-2 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale.

Alors que le Fiva ne s'adresse pas uniquement à des victimes qui relèveraient, en droit commun, de la branche AT-MP, il est permis de s'étonner que la branche finance 98 % des ressources publiques du fonds. Il conviendrait, là encore, que l'État renforce son engagement financier pour que celui-ci reflète le montant d'indemnisation versé pour des victimes environnementales, qui relèvent de la solidarité nationale.

Proposition n° 3 : Procéder à un rééquilibrage de l'effort financier en faveur du Fiva en augmentant la contribution de l'État.

(ii) Le financement du Fcaata par la branche AT-MP dépasse 350 millions d'euros

Le Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Fcaata) est également financé quasi-intégralement par la branche AT-MP du régime général, redevable d'une dotation de 355 millions d'euros en 2024.

Ce fonds, créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 199947(*), a vocation à financer les dispositifs dérogatoires de retraite applicables aux travailleurs de l'amiante, qui bénéficient d'une retraite à taux plein à 60 ans s'ils ont atteint le nombre de trimestres requis, et à 65 ans au plus tard, et d'un dispositif de préretraite permettant une cessation d'activité dès l'âge de 50 ans, dans certains cas.

(2) Les transferts de taux dévoient les ressources de la branche AT-MP

Afin de neutraliser le coût pour les employeurs d'une hausse de cotisations au profit de la branche vieillesse, le législateur a procédé, lors de la réforme des retraites de 202348(*), à une diminution symétrique du taux de cotisations pour la branche AT-MP. Des ressources, auparavant affectées à la branche AT-MP, doivent donc être attribuées à la branche vieillesse, dont la situation économique est plus dégradée. Ce transfert doit s'effectuer en deux temps : une partie en 2024, l'autre partie en 2026.

Initialement fixé à 0,1 point, le transfert de taux de cotisations de la branche AT-MP vers la branche vieillesse pour 2024 a finalement été rehaussé à 0,12 point afin de pallier le coût des amendements dépensiers adoptés sur la loi de financement rectificative de la sécurité sociale (LFRSS) pour 2023, avec pour objectif d'atteindre l'équilibre du système de retraite à horizon 2030.

La conséquence de ce transfert est, naturellement, la baisse du niveau des recettes de la branche AT-MP, qui reculeraient de 0,6 % en 2024 malgré la hausse de 3,9 % de la masse salariale du secteur privé.

3. Malgré la mobilisation des ressources de la branche AT-MP, la situation financière de la branche devrait rester structurellement excédentaire

Les ponctions opérées sur le budget de la branche, en dépenses comme en recettes, ne devraient pas empêcher la branche de conserver une situation financière nettement excédentaire sur les prochains exercices.

Selon les dernières projections à moyen terme rendues publiques par le Gouvernement, réalisées pour la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2024, la branche AT-MP devrait cumuler, sur l'ensemble des régimes obligatoires de base, 4 milliards d'euros d'excédent entre 2024 et 2027.

Ces projections doivent toutefois être actualisées. En effet, selon le rapport à la commission des comptes de la sécurité sociale de mai 2024, en 2024, l'excédent de la branche AT-MP serait de seulement 0,8 milliard d'euros (contre 1,1 milliard d'euros selon la LFSS pour 2024).

Selon les projections de la LFSS pour 2024, en 2024 et 2025, la branche atteindrait un excédent de 1,1 milliard d'euros. Il s'agit de résultats en repli par rapport à 2023, liés à la faible croissance des recettes, amputées par le transfert de taux opéré en 2024 au bénéfice de la branche vieillesse. Toutefois, ces excédents représenteraient tout de même 7 % des dépenses de la branche, ce qui traduit une situation financière confortable : la branche AT-MP restera loin de son point d'équilibre.

Malgré l'atténuation de l'excédent attendue en 2026 (0,8 milliard d'euros) du fait du nouveau transfert de taux de la branche AT-MP vers la branche vieillesse, la dynamique attendue des recettes, qui reflète celle de la masse salariale dans le privé (+ 3,4 % en 2027), devait permettre à la branche de dépasser à nouveau dès 2027 le milliard d'euros d'excédent.

Recettes, dépenses, solde et solde cumulé prévisionnels de la branche AT-MP jusqu'en 2027

2021-2023 : exécution. 2024-2027 : prévisions de la LFSS 2024. Ces prévisions ne sont plus d'actualité : le rapport à la commission des comptes de la sécurité sociale de mai 2024 prévoit un excédent de seulement 0,8 milliard d'euros en 2024.

Source : Mecss du Sénat d'après les données des rapports d'évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss)

Selon ces projections, la branche AT-MP comptabiliserait, fin 2027, quatorze années marquées par des excédents sur les quinze dernières. Sur ces quatorze années, huit d'entre elles se solderaient par un excédent supérieur à un milliard d'euros.

L'excédent cumulé de la branche atteindrait alors 11,7 milliards d'euros.

4. Le nécessaire rééquilibrage des finances de la branche AT-MP doit passer par l'affectation des ressources à la prévention et à la réparation des risques professionnels, plutôt que par leur réaffectation à d'autres politiques publiques
a) Une branche de la sécurité sociale n'a pas davantage vocation à être excédentaire qu'à être déficitaire

La branche AT-MP de la sécurité sociale constitue une assurance sociale, dont la nature même appelle une situation financière équilibrée.

Elle n'a ni vocation, comme une entreprise privée, à dégager durablement d'importants excédents et à constituer des réserves ; ni à s'inscrire, comme les branches maladie et vieillesse, dans une situation de déficit particulièrement préoccupante pour la soutenabilité de notre système social. L'effort de financement doit refléter les besoins réels.

Déplorer la situation déficitaire de certaines branches de la sécurité sociale ne revient donc pas à accueillir avec enthousiasme l'excédent structurel dans lequel se trouve aujourd'hui la branche AT-MP. Celui-ci démontre un déséquilibre durable entre les contributions demandées aux employeurs et les prestations versées pour réduire et réparer les risques professionnels, dont on ne peut se satisfaire.

Aussi les rapporteures ne peuvent-elles se résoudre à ce que l'excédent cumulé de la branche atteigne, en 2027, 11,7 milliards d'euros - une somme importante réclamée, année après année, aux employeurs au nom de la lutte contre les risques professionnels, sans toutefois que ce montant y contribue effectivement.

La branche AT-MP doit donc tendre vers une situation d'excédent mesuré, proche de l'équilibre, qui puisse permettre à la branche d'avoir les marges de manoeuvre financières suffisantes pour ne pas basculer dans le déficit en cas de dégradation de la conjoncture ou de la sinistralité.

Cet objectif d'une situation financière équilibrée est, du reste, partagé en principe avec le Gouvernement qui, depuis 2021, fait figurer, au sein des objectifs inscrits dans le rapport sur l'évaluation des politiques de sécurité sociale en matière d'AT-MP, celui de « viser l'équilibre financier de la branche AT-MP ».

b) Les ressources de la branche, qui reposent sur les seuls employeurs, doivent être affectées à leur vocation originelle : la prévention et la réparation des risques professionnels

Pour concourir à l'objectif de viser l'équilibre financier de la branche AT-MP, trois voies sont envisageables.

(1) La voie qui semble privilégiée par le Gouvernement : renforcer les transferts à la charge de la branche AT-MP

La première consiste à renforcer les transferts à la charge de la branche AT-MP afin d'en réduire progressivement l'excédent, au bénéfice d'autres branches de la sécurité sociale, voire de l'État. Elle semble avoir été retenue jusqu'à ce jour par le Gouvernement, avec l'augmentation du transfert à la branche maladie, les transferts de cotisations à la branche vieillesse et l'augmentation de la dotation au Fiva sans qu'aucun effort soit réalisé par l'État.

Cette option repose sur la vision, partagée par la Direction de la sécurité sociale (DSS) lors de son audition par les rapporteures, qu'il existerait une forme de « solidarité interbranches » qui justifierait que la branche AT-MP, parce qu'excédentaire, finance les branches moins bien gérées de la sécurité sociale.

Si les rapporteures sont bien sûr particulièrement préoccupées par le niveau de déficit historique que connaissent certaines branches de la sécurité sociale, porteur d'un danger pour la soutenabilité de notre modèle social, elles ne voient pas en la sécurité sociale un « pot commun », dans lequel les excédents de certaines branches auraient à financer ou à compenser tout ou partie du déficit des autres.

Elles estiment au contraire que l'organisation de la sécurité sociale, qui repose sur la séparation administrative entre les branches et la tenue de comptes séparés, impose une analyse financière à l'échelle de la branche en plus de l'analyse financière agrégée. Les rapporteures rappellent, du reste, que l'équilibre économique de chaque branche est présenté, chaque année, en loi de financement de la sécurité sociale, et qu'il est analysé indépendamment de la situation des autres branches.

L'existence d'une solidarité interbranches reviendrait à nier les spécificités de chacune d'entre elles, alors même que les modalités et le niveau de financement de chaque branche découlent d'un équilibre sophistiqué, traduisant une certaine historicité. À cet égard, la branche AT-MP présente de nombreuses spécificités, qui font obstacle à l'utilisation systématique de ses ressources pour combler les déficits des autres branches, à commencer par la provenance de ses ressources, quasi intégralement financées par les employeurs.

(2) La voie préconisée par les rapporteures : utiliser les cotisations de la branche pour leur vocation originelle

La deuxième voie consiste à garantir que les cotisations versées à la branche AT-MP soient affectées à leur vocation originelle : la prévention et la réparation des risques professionnels. C'est cette voie qu'ont choisie les rapporteures, selon des modalités présentées infra.

Alors qu'on dénombre encore près d'un million de sinistres par an en France, il apparaît aux rapporteures qu'un investissement massif dans la prévention est nécessaire pour réduire autant que faire se peut la survenue d'accidents du travail et de maladies professionnelles.

De la même manière, les rapporteures sont convaincues qu'un effort financier supplémentaire est souhaitable pour améliorer la réparation attribuée aux victimes. Si celle-ci doit rester forfaitaire et non intégrale, il est nécessaire de prendre en compte l'évolution générale du droit de la réparation corporelle vers une protection accrue des victimes, et de moderniser la politique d'indemnisation en ce sens. Les victimes d'AT-MP ne sauraient être moins protégées que les victimes de droit commun.

(3) Une voie à considérer à plus long terme si les excédents persistent baisser le niveau des cotisations

La troisième voie pour aboutir à l'équilibre consiste en une baisse générale du niveau des cotisations. La mission ne préconise pas cette solution dans l'immédiat, estimant que beaucoup reste à faire dans la lutte contre les risques professionnels.

Certaines organisations professionnelles d'employeurs estiment par ailleurs elles-mêmes que la priorité réside aujourd'hui dans l'intensification de l'action de la branche plutôt que dans une baisse des cotisations selon le Medef. Celui-ci indique en effet qu'agissant « en responsabilité, les représentants des employeurs ont fait le choix, lorsqu[`ils ont] ouvert la négociation du récent ANI Branche AT-MP, de ne pas demander de baisser les cotisations mais d'améliorer la prévention et la réparation ».

Pour autant, si la situation d'excédent structurel persiste une fois que la politique d'indemnisation de la branche aura été remise à niveau et que l'investissement dans la prévention aura été déployé, il conviendra d'engager une trajectoire de réduction des cotisations afin de faire parvenir la branche à l'équilibre financier.

II. AMÉLIORER LA RÉPARATION DES ACCIDENTS DU TRAVAIL ET DES MALADIES PROFESSIONNELLES : UNE NÉCESSITÉ QUI FAIT CONSENSUS

La principale vocation de la branche AT-MP est aujourd'hui la réparation des conséquences des accidents du travail, des accidents de trajet et des maladies professionnelles.

Conformément au compromis historique ressortant de la loi précitée du 9 avril 1898, le salarié victime d'un AT-MP bénéficie d'une indemnisation des dommages subis sans avoir la charge de la preuve de la faute de son employeur devant une juridiction. Un accident survenu sur le lieu et durant le temps de travail bénéficie ainsi d'une présomption d'imputation à l'activité professionnelle.

L'employeur peut contester le caractère professionnel du sinistre, mais il s'agit d'une pratique minoritaire : cela concerne autour de 25 000 recours par an, selon la direction des risques professionnels (DRP) de la Cnam, soit environ 4 % des sinistres totaux.

En contrepartie, l'employeur fait l'objet d'une immunité civile et l'indemnisation proposée est forfaitaire et partielle : elle s'écarte ainsi du principe de réparation intégrale qui a progressivement infusé le droit et la jurisprudence civils.

L'action de la branche en ce sens est triple.

Un préalable à l'action de la branche : la reconnaissance de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle

La procédure de reconnaissance, préalable à toute intervention de la branche AT-MP, varie selon qu'il s'agit d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle.

• En cas d'accident du travail49(*) :

L'assuré victime d'un accident du travail en informe son employeur par tout moyen dans les 24 heures suivant la survenue du sinistre, sauf cas de force majeure ou motif légitime50(*).

Il revient à l'employeur de déclarer51(*) sous 48 heures ouvrables l'accident du travail à la caisse primaire d'assurance maladie dont il relève. L'employeur remet également au salarié une feuille d'accident52(*), nécessaire à l'indemnisation AT-MP. Lorsque l'employeur ne déclare pas l'accident du travail, la victime a deux ans pour demander à la caisse la reconnaissance du caractère professionnel d'un accident.

Si l'employeur estime que l'accident est dépourvu de caractère professionnel, l'employeur joint à la déclaration des réserves, lesquelles enclenchent un processus contradictoire.

Le salarié, quant à lui, doit faire constater son état par un médecin, qui établit un certificat médical et, le cas échéant, un certificat d'arrêt de travail.

L'organisme de sécurité sociale a, ensuite, 30 jours pour reconnaître le caractère professionnel de l'accident, sauf si des éléments complémentaires sont nécessaires pour trancher - auquel cas le délai d'instruction est prolongé de deux mois.

• En cas de maladie professionnelle53(*) :

L'assuré estimant qu'il présente une maladie professionnelle doit demander la reconnaissance de l'origine professionnelle de sa maladie par un questionnaire envoyé à son organisme de sécurité sociale54(*), en joignant un certificat médical.

L'organisme de sécurité sociale est ensuite chargé d'en informer l'employeur, qui peut, le cas échéant, exprimer des réserves sur le caractère professionnel de la maladie.

L'organisme de sécurité sociale instruit par la suite le dossier sous 120 jours.

Si la maladie figure dans un tableau de maladies professionnelles, il s'applique une présomption de lien entre la pathologie et l'activité professionnelle.

Si la maladie ne figure pas dans un tableau de maladie professionnelle, et sous réserve que la pathologie ait entraîné un taux d'incapacité permanente excédant 25 %, le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) se prononce sur le lien entre l'activité professionnelle et la survenue de la maladie.

Sur proposition des partenaires sociaux dans l'accord national interprofessionnel du 15 mai 2023, le taux requis pour accéder à la procédure complémentaire pourrait passer de 25 % à 20 %. Les associations de victimes demandent une suppression de ce taux minimal pour accéder à la reconnaissance par voie complémentaire. Si les rapporteures partagent les arguments apportés, elles ne peuvent que constater la situation d'engorgement des CRRMP. L'importance des effectifs présentant un taux d'incapacité inférieur à 25 % conduirait à bloquer complètement la voie complémentaire en cas de suppression du taux minimal. Il importe donc, dans un premier temps, de créer des tandems de CRRMP dans chaque région pour accroître le nombre de dossiers traités.

L'organisme de sécurité sociale remet à l'assuré une feuille de maladie professionnelle permettant à l'assuré de bénéficier des prestations de la branche AT-MP.

Proposition n° 4 : Diminuer de 25 % à 20 % le taux d'incapacité minimal requis pour entamer une procédure de reconnaissance de maladie professionnelle devant le CRRMP, et renforcer les capacités de traitement de dossiers de ces comités pour envisager, dans le futur, de nouvelles baisses.

D'une part, la branche AT-MP verse des prestations en nature, qui correspondent à la prise en charge des frais de santé engagés par les assurés victimes d'un AT-MP. Cette prise en charge ne sollicite pas l'assurance maladie, mais transite plutôt par le canal de la branche AT-MP, avec des règles de prise en charge plus protectrices que le droit commun. Les prestations en nature de la branche AT-MP couvrent aussi bien les frais d'hospitalisation que ceux de consultation de professionnels de santé ou de dispensation de produits de santé. Le niveau de ces prestations ne dépend pas du revenu de l'assuré.

D'autre part, la branche verse des prestations en espèces, visant à compenser partiellement les incidences sur le revenu de l'assuré de son accident du travail ou de sa maladie professionnelle. L'action de la branche dépend alors du caractère pérenne de l'incapacité de l'assuré à travailler dans des conditions similaires à celles qui préexistaient à son accident.

La branche AT-MP verse aux assurés en incapacité temporaire d'exercer leurs fonctions des indemnités journalières le long de leur période d'arrêt de travail. Les conditions de prise en charge diffèrent de celles des arrêts de travail de droit commun, financés par la branche maladie.

En cas d'incapacité permanente, la branche AT-MP verse une indemnisation à l'assuré, dont la nature dépend du taux d'incapacité permanente. Les assurés dont le taux d'incapacité permanente est inférieur à 10 % perçoivent une indemnité en capital, tandis que ceux dont le taux d'incapacité permanente dépasse 10 % sont bénéficiaires d'une rente viagère indexée sur leur salaire et leur taux d'incapacité.

A. CERTAINES PRESTATIONS DE LA BRANCHE AT-MP SONT PLUS FAVORABLES QUE LE DROIT COMMUN

1. Les prestations en nature versées par la branche AT-MP : un régime plus favorable que le droit commun
a) La prise en charge des soins pour les victimes d'un AT-MP

La branche AT-MP prend en charge les soins afférents au traitement des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles.

Ainsi, l'article L. 431-1 du code de la sécurité sociale dispose, en son 1°, que les prestations de la branche AT-MP incluent « la couverture des frais médicaux, chirurgicaux, pharmaceutiques et accessoires, des frais liés à l'accident afférents » aux prothèses dentaires et aux dispositifs médicaux, « des frais de transport de la victime à sa résidence habituelle ou à l'établissement hospitalier et, d'une façon générale, la prise en charge des frais nécessités par le traitement, la réadaptation fonctionnelle, la rééducation professionnelle, le reclassement et la reconversion professionnelle de la victime ».

Ces prestations sont accordées indépendamment de la prescription d'un arrêt de travail.

(1) Une prise en charge intégrale des frais de santé liés à l'AT-MP dans la limite des bases de remboursement

Les soins liés à un AT-MP font l'objet d'une prise en charge intégrale par la branche AT-MP dans la limite d'une base de remboursement, quel que soit le professionnel choisi par l'assuré55(*), que ce soit au régime général ou agricole56(*). La branche finance ainsi les consultations, les médicaments, les examens, les analyses, les hospitalisations ou encore les prothèses des victimes d'AT-MP.

Dans la majorité des cas, la base de remboursement correspond à celle retenue pour le risque maladie. Toutefois, des dispositions spéciales peuvent être à l'origine d'une prise en charge différenciée : les produits et prestations inscrits sur la liste des produits et prestations (LPP)57(*) prescrits à la suite d'un AT-MP voient ainsi leur base de remboursement majorée58(*) d'un coefficient de 50 %59(*). Il s'agit notamment de certaines prothèses dentaires et de certains produits d'appareillage comme les fauteuils roulants.

Un assuré victime d'un AT-MP peut donc en principe recevoir des soins sans avoir à engager de frais. Pour en bénéficier, l'assuré doit présenter au professionnel de santé une feuille d'accident, qui lui est remise par l'employeur une fois le sinistre notifié, ou une feuille de maladie professionnelle transmise par l'organisme de sécurité sociale après réception de la déclaration.

Toutefois, en cas de dépassement d'honoraires60(*), la prise en charge se fait sur la base d'un montant forfaitaire correspondant à la base de remboursement, et non des frais réellement engagés. En outre, la participation forfaitaire de deux euros sur les consultations médicales61(*) et la franchise médicale d'un euro sur les actes paramédicaux et sur l'achat de médicaments62(*) restent à la charge de l'assuré victime d'un AT-MP63(*) : les soins ne sont donc pas, à proprement parler, gratuits pour une victime d'AT-MP. Ainsi, au régime général, si le taux de remboursement effectif atteint 99 % en moyenne pour la consultation d'un médecin généraliste ou pour l'achat de médicaments, celui-ci tombe à 89 % pour les soins dentaires, ou 95 % pour les consultations de spécialistes, caractérisés par des dépassements plus fréquents des tarifs de la sécurité sociale.

La Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (Fnath) invite donc à « changer de regard sur le mythe de l'accidenté du travail qui bénéficierait de soins totalement gratuits. En réalité, les accidentés du travail et les personnes atteintes d'une maladie professionnelle - lorsqu'ils sont reconnus par la CPAM - doivent supporter des restes à charges importants ».

De fait, si pour la moitié des assurés, les reste à charge à supporter sont négligeables pour tous les soins, 10 % des victimes d'AT-MP nécessitant à ce titre des soins dentaires ont un reste à charge de 360 euros au moins.

Restes à charge des assurés en AT-MP, par catégorie de soins (2022)

Source : Rapport annuel 2022 de l'assurance maladie - risques professionnels

Il reste que le régime de prise en charge des frais de santé en AT-MP est plus favorable que le droit commun. En effet, en maladie, un ticket modérateur64(*) reste également à la charge de l'assuré après le remboursement par l'assurance maladie obligatoire. Avant application de la participation forfaitaire ou de la franchise médicale, dues selon les mêmes conditions qu'en AT-MP, l'assurance maladie obligatoire prend en charge 70 % de la base de remboursement pour une consultation chez le médecin, ou 60 % pour des soins infirmiers65(*). Pour les médicaments, le taux de prise en charge dépend du service médical rendu et peut représenter 15 %, 30 % ou 65 % du coût. Ce ticket modérateur peut, le cas échéant, toutefois être pris en charge par une assurance complémentaire santé ; certaines catégories d'assurés ou d'actes en sont également exonérés, à l'image des frais liés à la prise en charge d'une affection de longue durée exonérante.

Les prestations en nature de la branche AT-MP permettent également aux victimes de bénéficier de l'accompagnement thérapeutique nécessaire à leur retour à l'emploi. La branche prend en charge les traitements spéciaux visant à favoriser la réadaptation fonctionnelle des victimes ainsi que les frais engagés en établissement de santé afin de favoriser la rééducation professionnelle.

(2) Une prise en charge intégrale des frais de santé des assurés dont le taux d'incapacité permanente excède deux tiers à la suite d'un AT-MP

Les assurés dont le taux d'incapacité permanente est supérieur   deux tiers à la suite d'un AT-MP bénéficient, ainsi que leurs ayants droit éventuels, d'une prise en charge intégrale de l'ensemble de leurs frais de santé, à l'exception des médicaments remboursés à 15 % et à 30 % par la branche maladie.

Des dispositions similaires existent pour les assurés bénéficiaires d'une pension d'invalidité (versée par la branche maladie) à la suite d'une pathologie ou d'un accident de droit commun, dont le taux d'incapacité excède 66,66 %.

(3) Une dispense d'avance de frais de droit

Dans le cadre de soins pris en charge au titre du risque maladie, l'assuré peut être amené à avancer des frais pour sa consultation avant de bénéficier du remboursement de sa caisse primaire d'assurance maladie.

En AT-MP, le tiers payant est de droit : les caisses versent directement aux professionnels les montants correspondant aux prestations en nature auxquelles les assurés ont droit. Ainsi, on ne peut pas véritablement parler d'un remboursement des frais de santé par la branche AT-MP : aucun montant remboursé n'est à décaisser par le patient.

Les frais de transport sanitaire font toutefois figure d'exception, puisqu'ils peuvent donner lieu à remboursement des frais avancés.

b) Les prestations en nature représentent près d'un milliard d'euros par an à la charge de la branche AT-MP

L'ensemble des prestations en nature versées par la branche AT-MP représente 1,2 milliard d'euros, soit 9 % des prestations totales versées, et 7 % des charges de la branche, incluant les transferts. Les prestations en nature ont atteint 958 millions d'euros en 2022, et 979 millions d'euros en 2023 sur le champ du régime général, auxquels ajoutent les prestations versées par les autres régimes. Ce montant devrait rester quasiment stable en 2024 selon la Direction de la sécurité sociale, qui évoque des dépenses prévisionnelles de 964 millions d'euros en 2024.

Ces dépenses sont réparties à peu près équitablement entre prestations en ville (493 millions d'euros en 2023) et en établissements (486 millions d'euros en 2023).

Prestations en nature de la branche AT-MP de 2022 à 2024

(en millions d'euros)

Source : Mecss du Sénat d'après les données de la DSS

En 2020, dernier exercice pour lequel ces données sont disponibles, la répartition des prestations en nature variait selon la nature du fait générateur : les frais d'hospitalisation représentaient ainsi 18 % des prestations en nature au titre des accidents de trajet, contre 24 % au titre des accidents du travail et 33 % au titre des maladies professionnelles.

Les dépenses de pharmacie, portées par les analgésiques, représentent, en tout état de cause, autour de 10 % du montant total des prestations en nature servies par la branche.

Répartition des prestations en nature de la branche AT-MP (2020)

Source : Rapport d'évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss) AT-MP 2023

2. L'indemnisation de l'incapacité temporaire : un bon calibrage qui appelle toutefois certains ajustements

La branche AT-MP verse également aux victimes des prestations en espèces, visant à compenser la baisse de leurs revenus à la suite de la suspension temporaire ou permanente d'activité.

a) La branche AT-MP assure le versement d'indemnités journalières constituant un revenu de remplacement en cas d'arrêt de travail

Le jour de la survenue d'un accident du travail, le salaire est intégralement à la charge de l'employeur66(*).

En cas de nécessité médicalement constatée consécutive à un AT-MP, un assuré peut se voir prescrire un arrêt de travail par un professionnel de santé compétent.

Son contrat de travail - et le versement de son salaire - sont alors suspendus à compter du premier jour qui suit l'arrêt de travail, sauf stipulation contraire du contrat de travail ou d'une convention collective67(*). La branche AT-MP verse des indemnités journalières visant à remplacer la perte de revenus qui lui est consécutive. La branche peut également verser des indemnités journalières visant à compenser les pertes de revenus liés à un passage à temps partiel ou à un travail aménagé, si le médecin-conseil juge qu'une telle pratique peut favoriser la guérison ou la consolidation de la situation de l'assuré68(*).

Au régime général, les indemnités journalières versées par la branche AT-MP atteignent 60 % du salaire brut de l'assuré lors des 28 premiers jours d'arrêt69(*), puis 80 % lorsque l'arrêt se prolonge70(*). Les indemnités journalières sont versées tous les quatorze jours et sans délai de carence pendant toute la période d'incapacité temporaire71(*) à compter de la réception du certificat médical72(*) et sont dues pour chaque jour d'arrêt de travail, ouvré, ouvrable ou non.

Dans le détail, la caisse d'assurance maladie détermine le salaire journalier brut de l'assuré. Lorsque le salarié est payé mensuellement, le salaire journalier brut est obtenu en divisant le salaire brut perçu le mois précédant le début de l'arrêt de travail par 30,4273(*) pour déterminer un salaire journalier brut de référence74(*). Lorsque le salarié est payé hebdomadairement ou bimensuellement, le salaire de référence est déterminé en sommant respectivement les quatre et les deux derniers salaires, et en divisant le tout par 2875(*). Dans l'objectif d'approximer au mieux le salaire journalier pour les salariés ou les entreprises dont l'activité présente une forte variabilité, le montant du salaire des douze derniers mois divisé par 365 peut être retenu comme base du salaire journalier.

L'indemnité journalière est ensuite égale à 60 % du salaire journalier de référence les 28 premiers jours d'arrêt de travail, puis 80 % de ce même salaire à compter du 29e jour. En cas d'augmentation générale des salaires postérieure à l'accident, le montant de l'indemnité journalière peut être révisé à la hausse à partir du troisième mois.

Le montant des indemnités journalières est ensuite soumis à un double plafonnement :

- d'abord, le salaire journalier brut de référence est plafonné à 386,7 euros, si bien qu'aucune indemnité journalière versée ne peut dépasser 232,0376(*) euros lors des 28 premiers jours d'arrêt, et 309,37 euros les jours suivants ;

- en outre, l'indemnité journalière ne peut pas dépasser le gain journalier net77(*), calculé comme le salaire du mois précédent divisé par 30,42 puis diminué d'un taux de 21 %. Dans les faits, cela signifie que l'assuré ne perçoit de la branche AT-MP que 79 % de son salaire journalier brut à partir du 29e jour d'arrêt.

La contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) sont ensuite déduites du montant d'indemnité journalière ainsi déterminé, ce qui l'ampute de 6,7 %.

L'incapacité temporaire chez les fonctionnaires

Le régime de prise en charge des fonctionnaires confrontés à un accident de service déroge du droit commun, en vertu de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983.

Les fonctionnaires ne perçoivent pas d'indemnités journalières, mais continuent à percevoir leur rémunération indiciaire et indemnitaire lorsqu'ils sont en arrêt de travail à la suite d'un accident de service ou d'une maladie professionnelle.

Le fonctionnaire conserve ses droits à avancements, et continue de constituer ses droits sociaux à congé ou à retraite.

Le versement de l'indemnité journalière AT-MP est soumis au respect de certaines conditions communes avec celle de la branche maladie - notamment l'observance des prescriptions du médecin, la soumission aux contrôles organisés par les services du contrôle médical, l'abstention de pratiquer toute activité non autorisée ou de sortir en dehors de certains horaires définis par le praticien et l'information de la caisse en cas de reprise d'activité anticipée78(*).

La DRP de la Cnam indique que « le délai de règlement de la première IJ non subrogée a été ramené de 38 jours en mai 2023 à 33 jours en mars 2024 ».

Les indemnités journalières chez les non-salariés agricoles

Les non-salariés agricoles disposent de leur propre régime AT-MP obligatoire79(*), dont les règles diffèrent de celles du régime général.

Les prestations incluent, aux termes de l'article L. 752-5 du code rural et de la pêche maritime, des indemnités journalières en cas d'incapacité temporaire de travail pour les chefs et collaborateurs d'exploitation ou d'entreprise agricole, les aides familiaux et les associés d'exploitation.

Contrairement à l'indemnité journalière AT-MP servie par le régime général, celle du régime des non-salariés agricoles présente un délai de carence, fixé à trois jours80(*) : par conséquent, l'indemnité journalière est versée « à la victime par la caisse de mutualité sociale agricole à partir du quatrième jour qui suit l'arrêt de travail consécutif à l'accident sans distinction entre les jours ouvrables et les dimanches et jours fériés ».

Les modalités de calcul diffèrent également entre le régime général et le régime des non-salariés agricoles, ces derniers n'ayant pas à proprement parler de salaire. Leurs revenus réels annuels n'interviennent pas davantage dans le calcul dès lors que le montant des indemnités journalières est déterminé forfaitairement, donc indépendamment de l'activité réelle de l'assuré.

Les IJ sont fixées à 63 % du gain forfaitaire journalier81(*) les vingt-huit premiers jours d'indemnisation, soit 25,36 euros par jour, puis à 84 % de ce même montant à compter du vingt-neuvième jour, soit 33,81 euros par jour.

Quant aux salariés agricoles, les prestations qui leur sont servies sont alignées sur celles du régime général82(*).

Le régime agricole a servi 216 millions d'euros de prestations au titre des indemnités journalières en 2023.

Si le taux de cotisation AT-MP du régime des non-salariés agricoles est inférieur à celui du régime général, ce qui explique des prestations moins protectrices, l'application d'un délai de carence à l'indemnisation d'un arrêt de travail lié à un accident du travail ou à une maladie professionnelle s'écarte véritablement des pratiques du régime général et nuit à la clarté des droits à prestation pour les assurés et de la politique d'indemnisation AT-MP. Les conditions d'indemnisation défavorables conduisent en outre certains non-salariés agricoles à ne pas déclarer certains accidents du travail, ce qui pose d'importantes difficultés pour le suivi médical de ces assurés et ce qui peut conduire à des suraccidents. C'est pourquoi vos rapporteures préconisent un alignement du régime des non-salariés agricoles sur le régime général en ce qui concerne la non-application d'un délai de carence à l'indemnisation des arrêts de travail consécutifs à un AT-MP. Cette recommandation aurait un coût modique, inférieur à 10 millions d'euros.

Proposition n° 5 : Supprimer le délai de carence applicable à l'indemnisation des arrêts de travail consécutifs à un AT-MP pour les non-salariés agricoles pour aligner leur statut sur celui des assurés du régime général.

b) L'employeur est tenu de compléter l'indemnisation garantie par la branche AT-MP pour garantir un maintien de la rémunération au-dessus d'un certain seuil

Outre les indemnités journalières prévues par la branche AT-MP, le salarié peut bénéficier, sous conditions incluant notamment une ancienneté d'un an au moins au jour de l'arrêt de travail, d'une indemnisation complémentaire de son employeur83(*).

Cette indemnisation est versée sans délai de carence84(*) dans le cas d'un AT-MP.

Elle complète les indemnités journalières versées par la branche AT-MP pour porter la rémunération de l'assuré à 90 % de son salaire brut sur une première période de 30 jours, puis à 66,66 % de son salaire brut sur une seconde période de 30 jours85(*). Le montant à la charge de l'employeur est donc l'écart entre le niveau de salaire qu'il doit maintenir, et les indemnités journalières de sécurité sociale versées.

Le contrat de travail, la convention ou l'accord collectif peuvent prévoir une indemnisation totale ou partielle plus avantageuse.

Ces périodes d'indemnisation sont calculées sur 12 mois glissants - ainsi, lorsqu'un même assuré subit un deuxième accident du travail moins d'un an après le premier, sa durée d'indemnisation complémentaire par l'employeur est diminuée à concurrence de la période de versement au titre du premier accident du travail.

Les périodes d'indemnisation sont, en outre, augmentées de dix jours par tranche de cinq ans d'ancienneté. Elles atteignent, au maximum, 90 jours chacune, pour les salariés dont l'ancienneté dépasse 31 ans.

Durée de versement de l'indemnité complémentaire de l'employeur
en fonction de l'ancienneté

Ancienneté

Durée indemnisée
à 90 %

Durée indemnisée
à 66,66 %

De 1 à 5 ans

30 jours

30 jours

De 6 à 10 ans

40 jours

40 jours

De 11 à 15 ans

50 jours

50 jours

De 16 à 20 ans

60 jours

60 jours

De 21 à 25 ans

70 jours

70 jours

De 26 à 30 ans

80 jours

80 jours

31 ans et plus

90 jours

90 jours

Source : Mecss du Sénat, d'après le code du travail

Dans les faits, compte tenu du taux de l'indemnité journalière en AT-MP après 28 jours d'arrêt de travail, soit 80 %, l'employeur n'est pas toujours tenu de verser d'indemnité complémentaire à compter du 31e jour.

c) Les indemnités journalières de la branche AT-MP représentent 4,8 milliards d'euros en 2023, un montant en nette hausse du fait de l'allongement des arrêts de travail

Les indemnités journalières représentent 4,8 milliards d'euros en 2023, soit 32 % des dépenses de la branche AT-MP, et 43 % des prestations nettes versées par la branche.

Les indemnités journalières sont concentrées sur les arrêts de travail les plus longs : 82 % (3,9 milliards d'euros) des indemnités journalières versées en 2022 l'ont été au taux de 80 %, soit le taux applicable à compter du 29e jour d'arrêt. Les IJ au taux de 60 % constituaient 14 % du total (0,7 milliard d'euros), et les IJ au titre de la reprise du travail aménagé ou à temps partiel, 4 %.

Les trois quarts des accidents de travail survenus en 2022 ont donné lieu à versement d'indemnités journalières, pour une durée moyenne d'indemnisation de 69 jours ; et les deux tiers des maladies professionnelles déclarées la même année ont ouvert droit au versement d'IJ, pour une durée moyenne de 224 jours.

Sur les dernières années, le montant d'IJ versés par la branche AT-MP a connu une évolution dynamique : il s'est accru de plus de moitié en dix ans (+ 57 %).

Cette dynamique est commune avec les IJ versées par la branche maladie, même si les déterminants de l'évolution ne sont pas tout à fait identiques, le vieillissement jouant un rôle plus déterminant en maladie qu'en AT-MP. Il reste que les IJ pour maladie (hors covid) ont cru de 57 % entre 2012 et 2022.

En AT-MP, l'évolution du montant d'IJ versés est plurifactorielle : l'évolution favorable des salaires et de l'emploi privé agissent mécaniquement sur le nombre et le montant des IJ, mais c'est surtout le rallongement considérable de la durée moyenne indemnisée qui pèse sur la trajectoire financière.

Le recentrage sur le seul régime général, débiteur en 2022 ded 4,1 milliards d'euros d'indemnités journalières, permet de détailler davantage l'analyse de la répartition et de l'évolution des IJ AT-MP. Il démontre que l'évolution du montant d'IJ servi s'est encore accélérée depuis 2017, avec un taux de croissance annuel moyen de 6,5 % par an entre 2017 et 2022.

Évolution des montants d'indemnités journalières versés
par la branche AT-MP du régime général

Source : Rapport annuel 2022 de l'assurance maladie - risques professionnels

L'évolution du montant d'IJ servi peut résulter de trois effets : un effet volume, sur le nombre de sinistres ; un effet prix, sur le montant unitaire des IJ ; et un effet durée lié à la longueur des arrêts.

L'effet volume a un impact en moyenne assez neutre, voire négatif - le nombre de sinistres indemnisés par des IJ par le régime général a diminué de 1,042 million en 2018 à 982 000 en 2022.

L'effet prix joue un rôle certain dans la hausse du montant d'IJ versées : la hausse des salaires aboutit mécaniquement à une revalorisation des IJ - aussi le montant moyen d'une IJ s'est accru de 8 % depuis 2018, passant de 48,9 euros à 52,8 euros86(*).

Toutefois, c'est l'effet durée dont l'impact est le plus déterminant sur l'évolution des IJ : la durée moyenne de service des IJ a ainsi cru de 63 à 79 jours entre 2018 et 2022, soit une hausse de 25 %. Cela démontre d'une occurrence de plus en plus fréquente des AT-MP les plus graves au sein des sinistres indemnisés.

Du fait de l'allongement de la durée moyenne d'arrêt, les IJ majorées à 80 %, servies à partir du 29e jour d'arrêt, représentent une part de plus en plus importante du total des IJ servies - elles expliquent, à elles seules, l'intégralité de la hausse des indemnités journalières de la branche. Le montant des IJ normales ressort en effet en légère baisse depuis 2018 (590 millions d'euros en 2022 contre 611 millions d'euros en 2018), alors que le montant des IJ majorées a gagné 600 millions d'euros sur la période (il atteint désormais 3,3 milliards d'euros).

Évolution comparée des IJ normales et majorées versées par le régime général depuis 2012

(en base 100 en 2012)

Source : Rapport annuel 2022 de l'assurance maladie - risques professionnels

Les IJ sont réparties inégalement entre les risques : en 2022, les accidents du travail représentaient 67 % des IJ versées, soit 2,7 milliards d'euros, les maladies professionnelles, 23,5 % soit 1 milliard d'euros, et les accidents de trajet 10,1 %, soit 400 millions d'euros. Cette répartition est assez stable sur les dernières années.

Répartition des IJ AT-MP versées par le régime général par catégorie de sinistres

(en millions d'euros)

AT : accidents du travail. MP : maladies professionnelles.

Source : Rapport annuel 2022 de l'assurance maladie - risques professionnels

L'indemnisation de chacun des trois risques présente des caractéristiques très différentes : les accidents du travail sont nettement plus fréquents, tandis que les maladies professionnelles occasionnent une incapacité temporaire plus prolongée.

Ainsi, le nombre moyen d'IJ par sinistre est de 69 pour les accidents du travail et 70 pour les accidents de trajet alors qu'il atteint 224 pour les maladies professionnelles. Alors que 79 % des accidents du travail indemnisés en 2022 ont eu lieu en 2022, 50 % des maladies professionnelles indemnisées en 2022 se sont déclarés en 2021 ou avant - dans 4 % des cas, la maladie s'est déclarée avant 2015.

Répartition des sinistres réparés par le régime général de la branche AT-MP
en 2022 par date de survenue

Source : Rapport annuel 2022 de l'assurance maladie - risques professionnels

En termes de sinistralité, les 78 576 sinistres ayant donné lieu à une incapacité temporaire en maladie professionnelle sont bien inférieurs aux 748 445 accidents du travail dans le même cas.

d) L'indemnisation de l'incapacité temporaire en AT-MP : un régime plus favorable qu'en maladie ?
(1) Les montants des indemnités journalières et les modalités d'indemnisation par la sécurité sociale sont plus favorables en AT-MP qu'en maladie

L'indemnisation de l'incapacité temporaire est plus favorable à l'assuré en AT-MP qu'en maladie.

D'une part, le montant de l'indemnisation en AT-MP excède celui de l'indemnisation en maladie.

En effet, le taux de remplacement - 60 % puis 80 % en AT-MP - est supérieur à celui observé en maladie, à savoir 50 %87(*). De plus, les règles de prise en compte du salaire sont différentes entre les deux branches. Alors qu'en AT-MP, la base de détermination de l'indemnité journalière correspond à l'ensemble du salaire jusqu'à 11 600 euros bruts, en maladie, le revenu est écrêté lorsqu'il dépasse 1,8 fois le Smic. Par conséquent, l'indemnité journalière maximale en AT-MP atteint 232,03 euros puis 309,37 euros en AT-MP, contre 52,58 euros brut en maladie.

En outre, la fiscalisation des IJ AT-MP est plus avantageuse que celle des IJ maladie. Les IJ maladie sont soumises à la CSG et à la CRDS pour 8,8 % contre 6,7 % pour les IJ AT-MP, et les IJ maladie sont intégralement intégrées dans l'assiette de l'impôt sur le revenu88(*), tandis que les IJ AT-MP ne sont fiscalisées qu'à 50 %89(*).

D'autre part, les conditions d'accès à l'indemnisation sont plus avantageuses pour l'assuré si l'arrêt de travail est pris en charge par la branche AT-MP que si celui-ci est pris en charge par la branche maladie.

Ainsi, il s'applique, en maladie, pour les assurés du régime général, un délai de carence90(*) de trois jours91(*) avant indemnisation par la sécurité sociale ; qui n'existe pas pour les assurés en AT-MP. De plus, une ancienneté minimale est requise pour constituer des droits à indemnité journalière en maladie, alors qu'aucune condition similaire n'existe en AT-MP.

En outre, il existe, en maladie, un nombre d'indemnités journalières maximal, fixé à 360 sur une durée maximale de 3 ans92(*), tandis qu'en AT-MP, l'indemnité journalière est due jusqu'à consolidation ou guérison.

(2) L'indemnité complémentaire de l'employeur limite toutefois l'intérêt pour l'assuré de recourir à l'indemnisation AT-MP

Toutefois, l'indemnité complémentaire de l'employeur conduit à limiter l'écart de prise en charge entre les branches AT-MP et maladie. En effet, que le salarié soit en arrêt de travail AT-MP ou maladie, le salarié bénéficie du même niveau minimal de maintien de rémunération par l'employeur. Quelle que soit l'indemnisation versée par la sécurité sociale, l'employeur est tenu de garantir une part fixée de la rémunération de l'employé.

L'écart d'indemnisation par la sécurité sociale entre les branches maladie et AT-MP ne se traduit donc pas, pour l'assuré, par une meilleure prise en charge des arrêts de travail. Le salaire est, dans tous les cas, maintenu à 90 % pendant une première période de 30 à 90 jours selon l'ancienneté.

Prise en charge du salaire brut en cas d'arrêt de travail en AT-MP et en maladie

Source : Mecss du Sénat

L'indemnité complémentaire lisse donc les différences d'indemnisation entre les assurés, qui subsistent tout de même notamment au début de l'arrêt de travail, et pour les arrêts de travail longs :

- il existe, pour les salariés en arrêt maladie, un délai de carence de sept jours sur les indemnités complémentaires de l'employeur, à l'origine d'une meilleure indemnisation des victimes d'AT-MP sur la première semaine de leur arrêt de travail ;

- le taux de CSG et la fiscalisation partielle des IJ AT-MP conduisent le revenu de remplacement net à être supérieur en AT-MP ;

- à compter du 28e jour d'indemnisation, l'IJ AT-MP atteint 80 % du salaire brut. Il peut donc dépasser le niveau de salaire que doit garantir l'employeur, qui diminue de 90 % à 66,66 % du salaire à partir d'une période comprise entre 30 et 90 jours. Dans ces circonstances, l'indemnisation en AT-MP devient plus favorable que l'indemnisation en maladie.

Il semble qu'une meilleure articulation entre indemnités de sécurité sociale et indemnités complémentaires de l'employeur soit possible, afin de mieux différencier les prestations maladie et AT-MP, pour conserver un régime qui soit, dans les faits, plus favorable en AT-MP qu'en maladie. Un tel objectif concourrait à limiter la sous-déclaration des AT-MP, dès lors que les assurés auraient davantage intérêt à recourir à l'arrêt de travail AT-MP plutôt qu'à l'arrêt de travail maladie.

En outre, il a semblé opportun aux rapporteures que les arrêts de travail liés à un accident du travail ne pénalisent pas financièrement les assurés qui y recourent, du moins dans un premier temps.

Même si l'employeur et la branche maintiennent le salaire brut de l'assuré à 90 % de son niveau habituel lors des premiers jours de l'arrêt de travail, la perte de 10 % du salaire peut être un facteur de renoncement pour certains assurés, notamment les plus modestes. La Fnath, qui réclame un maintien de salaire intégral sur toute la durée d'arrêt de travail, déplore de son côté que « le manque à gagner pour la personne et sa famille peut entraîner le ménage dans un processus de précarisation sociale ».

En outre, notamment lorsque l'assuré effectue des tâches physiques ou répétitives, il existe un risque de récidive ou d'aggravation important de l'incapacité lorsqu'un assuré victime d'un AT-MP est maintenu à son poste malgré une incapacité médicale.

Par conséquent, les rapporteures préconisent d'articuler les IJ AT-MP et l'indemnisation complémentaire de l'employeur pour permettre aux victimes d'AT-MP de bénéficier d'un maintien de salaire intégral sur les 28 premiers jours d'arrêt. Cette amélioration de la réparation serait financée par la branche AT-MP93(*).

Pour ce faire, les rapporteures proposent :

d'augmenter de 60 % à 70 % le taux de remplacement du salaire par les IJ AT-MP ;

- de prévoir un maintien de salaire non plus à 90 %, mais à 100 % du salaire brut par l'employeur lors de la première période d'indemnisation complémentaire. Pour les salariés dont la rémunération brute est inférieure à 11 601 euros, la contribution de l'employeur resterait identique par rapport à ce qu'elle est aujourd'hui, compte tenu de la hausse des IJ proposée.

Proposition n° 6 : Garantir le maintien intégral de la rémunération des assurés en arrêt de travail pour un AT-MP lors des 28 premiers jours d'arrêt, sans surcoût pour les employeurs.

Le coût estimé de la mesure pour la branche sur le champ des régimes obligatoires de base est de 112 millions d'euros94(*) en année pleine.

B. VERS UNE INDEMNISATION SATISFAISANTE DE L'INCAPACITÉ PERMANENTE ?

1. La branche AT-MP verse des indemnités en capital ou des rentes viagères en fonction du taux d'incapacité permanente

Lorsque l'état de santé et les lésions d'un assuré victime d'un accident du travail ou de trajet sont stabilisés ou consolidés sans qu'une guérison totale ne se soit opérée, la caisse de sécurité sociale évalue les conséquences permanentes de l'accident sur l'assuré « d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité »95(*). La caisse fixe alors, sur avis du médecin-conseil de la sécurité sociale et, dans certains cas, du médecin du travail, le taux d'incapacité permanente partielle (IPP) de l'assuré, qui reflète les séquelles de l'accident et la diminution durable des capacités physiques ou mentales qui y est associée. Un recours devant la commission médicale de recours amiable est possible, par l'employeur ou l'assuré, dans les deux mois qui suivent la communication par la caisse du taux d'IPP. Lorsque l'état de santé évolue postérieurement à la fixation du taux d'IPP, celui-ci peut être révisé.

À titre d'exemple, le barème actuel associe les pathologies et les taux d'incapacité suivants :

- amputation de la main : 70 % pour la main dominante, 60 % pour la main non dominante ;

- amputation avec désarticulation du genou : 80 % ;

- tumeur de la vessie sans infiltration de la muqueuse : 30 à 80 % ;

- hypertension artérielle : 10 à 20 % ;

- trachéotomie : 50 % sans port de canule, 80 % avec ;

- insuffisance respiratoire moyenne : 30 % à 50 %.

En cas de maladie professionnelle hors tableau et dont l'IPP prévisible dépasse 25 %, un taux d'IPP prévisionnel provisoire peut être fixé avant la consolidation afin de permettre l'instruction du dossier, à l'issue duquel une IPP définitive est appliquée.

La fixation du taux d'IPP et le besoin d'une modernisation des barèmes

La vétusté du barème indicatif d'invalidité sur lequel se fondent les caisses afin de déterminer le taux d'IPP fait l'objet d'importantes critiques, tant chez les associations de victimes que chez les acteurs institutionnels.

Les barèmes utilisés à ce jour - actualisés pour la dernière fois en 1993 pour les accidents du travail et en 1999 pour les maladies professionnelles - « sont aujourd'hui non exhaustifs, souvent imprécis, et ne prenant parfois pas en compte l'évolution des connaissances et techniques médicales », pour reprendre les mots de la Cour des comptes96(*). Pourtant, l'évolution des méthodes de rééducation ou des prothèses peut conduire à une évolution du taux d'incapacité réel, si bien que, pour la DSS, « le barème d'incapacité permanente AT-MP présente un caractère obsolète pour certaines pathologies ».

La Cour des comptes note également que les fourchettes de taux d'incapacité au sein d'une même catégorie de pathologies, sont parfois très larges - de 10 % à 100 % pour certaines affections pulmonaires - ce qui peut susciter une certaine hétérogénéité entre les décisions des caisses.

La Fnath estime quant à elle « que les barèmes d'indemnisation AT-MP sont défavorables aux victimes, trop anciens et qu'ils devraient faire l'objet d'un travail de refonte qui ne doit pas impliquer les seuls partenaires sociaux ».

La Mecss se joint à ces constats, et estime que les barèmes indicatifs d'invalidité, trop anciens, doivent désormais être actualisés et précisés pour garantir l'homogénéité et l'équité de l'indemnisation sur le territoire.

C'est dans ce contexte qu'a été institué, par décret97(*), en 2016, un comité d'actualisation des barèmes AT-MP98(*) chargé, « compte tenu de l'évolution des connaissances médicales et des modalités d'exercice professionnel, de définir une méthodologie et de faire des propositions d'actualisation des barèmes »99(*).

Huit ans après son lancement, la réforme des barèmes indicatifs d'invalidité reste toutefois au point mort. Issues des groupes de travail du comité, les propositions de révision des barèmes sur le poumon et le membre supérieur, présenté à la CAT-MP, n'ont pas convaincu les partenaires sociaux, qui ont regretté que le système de fourchette soit excessivement restreint et que le degré d'appréciation du médecin conseil soit rétréci.

Les organisations syndicales s'inscrivent également en faux contre la volonté, inscrite par le Gouvernement dans la COG 2018-2022, que la réforme des barèmes se fasse à coût constant, ce qui implique nécessairement de faire des perdants. Ainsi, la CGT estime que « ce travail est en cours depuis plusieurs années sans aboutir aux améliorations nécessaires car il s'effectue à enveloppe contrainte, loin de répondre aux besoins des assurés »100(*).

Proposition n° 7 : Procéder enfin à une révision des barèmes indicatifs d'invalidité en ouvrant une enveloppe dédiée dans la prochaine COG, en fonction des seuls préjudices indemnisés par la rente.

L'assuré sort alors de l'indemnisation de l'incapacité temporaire pour entrer dans celle de l'incapacité permanente. Il perd son droit à indemnité journalière, mais bénéficie désormais, selon son taux d'incapacité, d'un capital versé par la branche AT-MP, ou d'une rente viagère.

a) L'indemnité en capital, versée aux assurés ayant un « petit » taux d'incapacité permanente
(1) Une réparation forfaitaire dont le montant, indépendant du salaire, varie entre 485 et 4 844 euros

L'article L. 434-1 du code de la sécurité sociale prévoit qu'en dessous d'un certain taux d'incapacité permanente fixé à 10 %101(*), l'assuré victime d'un AT-MP avec incapacité permanente bénéficie d'une indemnité en capital. Il est à noter qu'avant 1986, une rente viagère était versée aux victimes présentant un taux d'incapacité inférieur à 10 %, mais les montants trimestriels étaient si marginaux que ce mode de réparation a semblé inadapté.

Bien que cette indemnisation vise notamment à réparer les conséquences professionnelles de l'incapacité permanente, à savoir les pertes de salaires futurs lié à la diminution de la capacité de travail, le montant de l'indemnité en capital présente un caractère forfaitaire, fonction du taux d'incapacité de la victime mais indépendant de son salaire102(*). Cela constitue une différence importante avec les modalités de calcul des indemnités journalières pour l'incapacité temporaire, mais aussi de la rente viagère103(*).

Les montants de l'indemnité en capital sont fixés à l'article D. 434-1 du code de la sécurité sociale, et revalorisés tous les ans au 1er avril selon le niveau de l'inflation hors tabac.

Ils varient aujourd'hui de 484,53 euros, pour un taux d'incapacité de 1 %, à 4 844,30 euros pour un taux d'incapacité de 9 %. Le montant de l'indemnité en capital n'est pas strictement proportionnel au taux d'incapacité : l'indemnisation par point d'incapacité varie de 383,6 euros (3 %) à 538,3 euros (9 %).

Montant de l'indemnité en capital en fonction du taux d'incapacité permanente

Taux d'incapacité permanente

Montant de l'indemnité en capital

1 %

484,53 €

2 %

787,56 €

3 %

1 150,85 €

4 %

1 816,43 €

5 %

2 301,09 €

6 %

2 846,07 €

7 %

3 451,36 €

8 %

4 117,70 €

9 %

4 844,30 €

Source : Mecss du Sénat d'après l'article D. 434-1 du code de la sécurité sociale, après application des coefficients d'évolution

L'indemnité en capital est la seule réparation dont puisse bénéficier, en droit commun, la victime d'un AT-MP dont le taux d'incapacité n'excède pas 10 %.

L'indemnité, incessible et insaisissable, est versée en une fois, pour solde de tout compte. Elle est exonérée de CSG et CRDS et n'est pas soumise à l'impôt sur le revenu.

Lorsqu'un nouveau sinistre survient à la suite d'un premier accident à l'origine d'une incapacité permanente, la victime reçoit une indemnité en capital correspondant à son nouveau taux d'incapacité auquel on soustrait l'indemnité préalablement versée si le taux d'incapacité reste inférieur à 10 %. S'il dépasse 10 %, l'assuré est éligible à une rente dans les conditions précisées ci-après, mais son montant est grevé à hauteur de 30 % au plus à concurrence d'une somme égale à la moitié de l'indemnité en capital versée au titre du premier accident104(*).

Il est à noter qu'avant le décret n° 86-1156 du 27 octobre 1986, les caisses calculaient et servaient trimestriellement un montant de rente non revalorisable, pour des montants relativement faibles. Ce dispositif, qui présentait d'importants coûts de gestion, a donc été remplacé par un versement unique capitalisé.

(2) Un dispositif au coût modique pour la branche AT-MP

Le coût total des indemnités en capital pour la branche AT-MP des régimes obligatoires de base atteint, en 2023, 115 millions d'euros, soit à peine 1 % du montant des prestations versées.

Alors que les deux tiers des victimes d'AT-MP avec incapacité permanente sont bénéficiaires d'une indemnité en capital, celle-ci ne représente que 2 % des prestations versées au titre de l'incapacité permanente.

Répartition des dépenses d'incapacité permanente du régime général
par taux d'IPP

Source : Rapport annuel 2022 de l'assurance maladie - risques professionnels

En 2022, sur le seul champ du régime général, 47 729 indemnités en capital ont été versées à des assurés, avec un montant moyen de 1 733 euros.

b) La rente viagère est destinée aux assurés dont le taux d'incapacité permanente dépasse 10 %

Les assurés du régime général dont le taux d'incapacité permanente dépasse 10 %105(*) à la suite d'un AT-MP se voient verser, par la branche, une rente viagère. Dans d'autres régimes, les conditions d'indemnisation diffèrent106(*).

Contrairement aux victimes d'AT-MP dont le taux d'incapacité est inférieur à 10 %, qui bénéficient d'un unique versement capitalisé, la réparation proposée est versée régulièrement et continûment jusqu'au décès.

(1) Le caractère dual - ou non - de la rente et la question des postes de préjudice indemnisés

La loi est silencieuse sur la visée de cette rente AT-MP : l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale se borne à rappeler que « lorsque l'incapacité permanente est égale ou supérieure à un taux minimum, la victime a droit à une rente », sans préciser les postes de préjudice que la rente indemnise.

Il ne fait guère de doute que, dans l'esprit du législateur de 1898, seules les pertes professionnelles - c'est-à-dire la réduction des perspectives de gain - devaient être couvertes par la rente.

Toutefois, progressivement, l'indemnisation de la perte de capacité de gain est devenue l'indemnisation de la perte de capacité de travail et du potentiel physique et intellectuel, soit un nouveau poste de préjudice : le déficit fonctionnel permanent. La couverture du déficit fonctionnel permanent par la rente n'a jamais été explicitement définie par la loi, donnant lieu à d'importantes controverses juridiques sur l'étendue des postes indemnisés par la rente : n'indemnise-t-elle que le préjudice professionnel, c'est-à-dire les pertes de salaires encourues, ou bien couvre-t-elle également le déficit fonctionnel permanent ?

Définition du déficit fonctionnel permanent

Le rapport Dintilhac107(*) décrit le déficit fonctionnel permanent comme « la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel, ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique médicalement contestable, donc appréciable par un examen clinique approprié complété par l'étude des examens complémentaires produits, à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, normalement liés à l'atteinte séquellaire décrite ainsi que les conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte dans la vie de tous les jours ».

La réforme des recours subrogatoires de 2006, précisant que le recours s'effectuait désormais poste de préjudice par poste de préjudice, a conféré une réalité économique à la définition de ce que la rente visait à indemniser, jusqu'alors cantonnée au champ de la philosophie du droit. Elle a donc poussé le juge à se prononcer sur la question, ce qui a donné lieu à une définition jurisprudentielle des postes indemnisés par la rente.

Dominique Asquinazi-Bailleux, professeure émérite des universités, résume ces évolutions juridiques dans sa contribution écrite :

« Saisie pour avis sur l'application de cette réforme à la législation professionnelle, la Cour de cassation a, dans un premier temps, retenu que la rente devait « s'imputer prioritairement sur les pertes de gains professionnels, puis sur la part d'indemnité réparant l'incidence professionnelle », sans interdire une imputation sur un préjudice personnel si la caisse rapporte la preuve que cette prestation en cause a pour objet de l'indemniser108(*). [...]

Par un arrêt de la Chambre criminelle109(*) puis une série d'arrêts de la deuxième Chambre civile, du 11 juin 2009, il est jugé que la rente AT ou MP indemnise d'une part, les pertes de gains professionnels et les incidences professionnelles de l'incapacité et, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent (DFP) : « En l'absence de perte de gains professionnels et d'incidence professionnelle, la rente indemnise nécessairement le poste de préjudice personnel du DFP »110(*). [...] Confrontée à cette présomption, la victime est alors invitée à démontrer que la rente n'indemnise pas ce dernier poste de préjudice. Seule certitude, la rente ne s'impute pas sur un poste de préjudice temporaire111(*) ».

Par ces arrêts, la Cour de cassation a alors reconnu à la rente un caractère dual : à la fois professionnel et fonctionnel.

Cela n'avait toutefois pas mis fin à une certaine forme d'incertitude juridique, puisque le caractère dual de la rente n'était pas reconnu par le Conseil d'État, qui estimait que la rente AT-MP n'indemnisait que le déficit professionnel112(*).

En effet, un problème majeur continuait à se poser. Rien, dans le mode de calcul de la rente AT-MP, ne permettait de distinguer une part réparant le préjudice économique d'une part indemnisant l'incapacité fonctionnelle. Dominique Esquinazi-Bailleux s'interroge : si la rente couvre le DFP, « n'est-il pas vrai que, par l'effet mécanique de son calcul, les souffrances d'une victime seraient alors directement proportionnelles au montant de son salaire ? ».

Dans ces conditions, la Cour de cassation est revenue, par deux arrêts du 20 janvier 2023 rendus en assemblée plénière113(*), sur le caractère dual de la rente AT-MP. La Cour estime désormais que la « rente accidents du travail et maladies professionnelles doit être regardée comme ayant pour objectif exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans la vie professionnelle ».

La Cour de cassation justifie notamment ce revirement de jurisprudence par le mode de calcul de la rente AT-MP axé sur le salaire114(*), qui ne saurait avoir pour objet de réparer le déficit fonctionnel permanent, par nature extraprofessionnel. Elle se fonde également sur la difficulté pour la victime d'administrer la preuve de ce que la rente n'indemnise pas le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent.

Cette décision a des conséquences importantes, notamment pour les victimes de faute inexcusable de l'employeur et pour le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante115(*).

Aujourd'hui, la rente ne présente donc pas de caractère dual aux yeux de la Cour de cassation, ni à ceux du Conseil d'État.

(2) La rente viagère dépend du salaire de l'assuré et de son taux d'incapacité, mais ne présente pas le caractère d'une réparation intégrale

La rente AT-MP est calculée comme le produit entre une fonction du taux d'incapacité, dite taux utile ; et une fonction du salaire, dit salaire utile. Elle prend donc en compte à la fois la situation professionnelle préalable de l'assuré et le degré de déficience physique ou psychique occasionné par le sinistre.

Elle est exonérée de CSG et CRDS et n'est pas soumise à l'impôt sur le revenu.

(a) La règle du salaire utile

Pour déterminer le montant de la rente viagère servie par la branche AT-MP, la rémunération perçue par l'assuré peut subir des modifications si celle-ci est modeste ou, au contraire, si elle excède un certain seuil.

Le salaire pris en compte correspond à la rémunération effective totale perçue au cours des douze mois précédant l'arrêt de travail consécutif à l'accident du travail ou à la maladie professionnelle116(*).

· Le rehaussement des bas salaires

Afin de garantir que les salariés, même lorsqu'ils disposent de bas salaires, puissent disposer d'un niveau de rente AT-MP suffisant, le législateur a consacré le principe d'un « salaire minimum des rentes »117(*) (SMR).

Lorsque la rémunération annuelle de l'assuré est inférieure au salaire minimum des rentes, soit 21 547,85 euros118(*), elle est automatiquement portée à ce niveau. Le salaire utile est alors égal au salaire minimum des rentes, soit un montant supérieur au salaire réel.

Ce montant est revalorisé, tous les 1er avril, à hauteur de l'inflation hors tabac.

· L'écrêtement des hauts salaires

Le salaire de l'assuré est intégralement pris en compte dans le calcul de la rente, dans la mesure où il ne dépasse pas un certain seuil. Au-delà, il fait l'objet d'un écrêtement, puis n'est plus pris en compte119(*).

Dans le détail, les salaires annuels compris entre le salaire annuel minimal des rentes (21 547,85 euros) et deux fois ce montant (43 095,70 euros) sont intégralement pris en compte dans la base de calcul de la rente. Le salaire utile correspond alors au salaire réel.

La part des salaires annuels compris entre deux fois et huit fois120(*) (172 382,83 euros) le salaire minimum des rentes est prise en compte au tiers dans la détermination du salaire utile.

La part des salaires annuels excédant huit fois le salaire minimum des rentes121(*) n'est, quant à elle, pas prise en compte dans le calcul de la rente.

Dans ces deux derniers cas, le salaire utile est inférieur au salaire réel.

Comparaison entre salaire et salaire utile

Niveau du salaire

Niveau du salaire utile

Salaire inférieur au salaire minimum
des rentes

Salaire minimum des rentes

Salaire compris entre une et deux fois
le salaire minimum des rentes

Salaire réel

Salaire compris entre deux et huit fois
le salaire minimum des rentes

Somme de deux fois le salaire minimum des rentes et du tiers de la part du salaire excédant deux fois le salaire minimum des rentes

Salaire supérieur à huit fois
le salaire minimum des rentes

Quatre fois le salaire minimum des rentes

Source : Mecss du Sénat

Salaire utile en fonction du salaire réel

SMR : salaire minimum des rentes.

Source : Mecss du Sénat d'après l'article R. 434-28 du code de la sécurité sociale

Note de lecture : Lorsque le salaire réel est inférieur au salaire minimum des rentes, le salaire utile est égal au salaire minimum des rentes. Lorsque le salaire réel est égal à cinq fois le salaire minimum des rentes, le salaire utile est égal à trois fois le salaire minimum des rentes.

Quatre exemples de détermination du salaire utile

Cas n° 1 : un assuré dont le salaire réel est de 14 000 euros annuels. Ce salaire étant inférieur au salaire minimum des rentes, son salaire utile est rehaussé au niveau du salaire minimum des rentes, soit 21 547,85 euros.

Cas n° 2 : un assuré dont le salaire réel est de 25 000 euros annuels. Ce salaire étant compris entre une fois et deux fois le salaire minimum des rentes, le salaire utile est égal au salaire réel, soit 25 000 euros.

Cas n° 3 : un assuré dont le salaire réel est de 100 000 euros annuels. Ce salaire étant compris entre deux et huit fois le salaire minimum des rentes, le salaire utile est égal à la somme entre deux fois le salaire minimum des rentes (43 095,70 euros), et le tiers de la fraction de la rémunération excédant deux fois le salaire minimum des rentes (1/3 x (100 000 - 43 095,70 euros), soit 18 968,10 euros). Le salaire utile est donc la somme de 43 095,70 euros et de 18 968,10 euros, soit 62 063,80 euros.

Cas n° 4 : un assuré dont le salaire réel est de 250 000 euros annuels. Ce salaire étant supérieur à huit fois le salaire minimum des rentes, le salaire utile est égal à quatre fois le salaire minimum des rentes, soit 86 191,40 euros.

(b) La règle du taux utile

La règle du taux utile est définie à l'article R. 434-2 du code de la sécurité sociale. Pour déterminer le taux utile, la caisse de sécurité sociale transforme le taux d'incapacité de la manière suivante :

- la fraction du taux d'incapacité n'excédant pas 50 % est divisée par deux ;

- la fraction du taux d'incapacité excédant, le cas échéant, 50 %, est multipliée par 1,5.

Concrètement, si le taux d'incapacité ne dépasse pas 50 %, le taux utile correspond à la moitié du taux d'incapacité. S'il dépasse 50 %, le taux utile correspond à la somme de 25 % et de la partie du taux d'incapacité dépassant 50 %, multipliée par 1,5.

Trois exemples de détermination du taux utile

Cas n° 1 : un assuré dont le taux d'incapacité permanente partielle est de 40 %. Le taux d'incapacité n'excédant pas 50 %, il suffit de le diviser par deux pour obtenir le taux utile ; ici 20 %.

Cas n° 2 : un assuré dont le taux d'incapacité permanente partielle est de 70 %. Le taux d'IPP dépasse 50 % : il faut donc, pour déterminer le taux utile, faire la somme de 25 % et du produit entre 1,5 et la fraction du taux d'IPP dépassant 50 %. La fraction du taux d'incapacité excédant 50 % est de 70 % - 50 % = 20 %. On multiplie cette fraction par 1,5 pour obtenir 30 %, auxquels on ajoute 25 % pour obtenir le taux utile - 55 %.

Cas n° 3 : un assuré dont le taux d'incapacité permanente partielle est de 90 %. Le taux d'IPP dépasse 50 % : il faut donc, pour déterminer le taux utile, faire la somme de 25 % et du produit entre 1,5 et la fraction du taux d'IPP dépassant 50 %. On obtient la somme de 25 % et de 1,5 x (90 % - 50 %), soit la somme de 25 % et 60 %, c'est-à-dire 85 %.

Ce mode de calcul permet, en tout point122(*), d'assurer que la rente n'atteint pas le niveau de la perte professionnelle prévisible associée au sinistre, c'est-à-dire le produit du salaire et du taux d'incapacité permanente.

Il est particulièrement désavantageux pour les assurés dont le taux est élevé (de 30 à 50 %), sans bénéficier pour autant de la majoration qui s'applique à compter de 50 %. Pour les assurés dont la capacité de travail est le plus fortement atteinte, la rente présente un caractère quasi-intégral puisque son montant correspond quasiment au produit du taux d'incapacité par le salaire passé.

Ainsi, sur le graphique ci-après, la courbe orange du taux d'incapacité utile utilisée pour l'indemnisation est bien, en tout point, en dessous de la courbe bleue symbolisant le taux d'incapacité permanente.

Taux d'incapacité utile en fonction du taux d'incapacité permanente

Source : Mecss du Sénat

La règle du taux utile, en diminuant les montants de rente dus par rapport au préjudice économique effectivement subi par les assurés, permet à la branche AT-MP de limiter les montants de dépenses en la matière : selon la DSS, « la suppression de la règle du taux utile coûterait 1,78 milliard d'euros ».

(c) Le calcul et le versement de la rente

La rente est ensuite calculée comme le produit entre le taux utile et le salaire utile.

Deux exemples de calcul de la rente viagère AT-MP

Cas n° 1 : un assuré dont le taux d'incapacité est de 30 % et dont le salaire réel est de 30 000 euros. Les règles exposées supra indiquent que le taux utile est ici de 15 %, et que le salaire utile est de 30 000 euros. Le montant annuel de la rente est donc de 15 % de 30 000 euros, soit 4 500 euros.

Cas n° 2 : un assuré dont le taux d'incapacité est de 60 % et dont le salaire réel est de 19 000 euros. Conformément aux règles exposées supra, le taux utile est égal à 40 %, et le salaire utile est porté au salaire minimum des rentes. Le montant annuel de la rente est donc de 8 619,14 euros.

La rente est versée chaque trimestre à l'assuré lorsque son taux d'incapacité est inférieur à 50 %, et chaque mois lorsque son taux d'incapacité excède 50 %.

La DRP de la Cnam indique que « 87 % des rentes sont notifiées dans un délai de 30 jours en avril 2024, suivant la date de consolidation et fixation du taux d'incapacité par le médecin conseil. Le délai de paiement varie ensuite suivant la date de la notification et le fait que la rente est mensuelle ou trimestrielle ».

Au régime général, le montant annuel moyen des rentes est de 2 421 euros en 2022, soit 202 euros par mois, mais varie considérablement en fonction du taux d'incapacité permanente. Les 14 903 assurés présentant des taux d'IPP de 80 % à 100 % perçoivent ainsi des rentes d'un montant moyen de 21 823 euros annuels.

Nombre et montant des rentes servies par le régime général
en fonction du taux d'incapacité

(en euros)

Source : Rapport annuel 2022 de l'assurance maladie - risques professionnels

L'indemnisation de l'incapacité permanente chez les fonctionnaires et
les assurés du régime agricole

• Chez les non-salariés agricoles

La rente Atexa (assurance accident du travail des exploitants agricoles) vise les chefs d'exploitation dont le taux d'IPP excède 30 %, et, dans les mêmes conditions depuis 2023123(*), les autres non-salariés agricoles obligatoirement assurés contre les AT-MP, notamment les aides familiaux, les conjoints participant à la mise en valeur de l'exploitation ou de l'entreprise et les associés d'exploitation en cas d'incapacité totale124(*). Pour les cotisants de solidarité, une incapacité permanente totale est toujours requise.

La rente est calculée comme le produit d'une fonction du gain forfaitaire annuel - 100 % pour les exploitants agricoles, 33,33 % pour les cotisants de solidarité et 50 % pour les autres non-salariés agricoles - et du taux d'incapacité utile125(*), calculé selon les mêmes modalités qu'au régime général.

Les rentes servies par le régime agricole ont atteint 330 millions d'euros en 2023, un montant en augmentation de 11 % par rapport à 2022, alors que les rentes avaient très peu évolué entre 2014 et 2021.

• Chez les salariés agricoles

Les prestations servies sont identiques à celles du régime général126(*).

• Chez les fonctionnaires127(*)

En cas d'invalidité définitive consécutive à un accident de service, les fonctionnaires peuvent percevoir une rente d'invalidité et, en cas de mise à la retraite pour invalidité, une pension de retraite. La pension de retraite est calculée dans les mêmes conditions que celle d'un fonctionnaire apte. La rente d'invalidité est égale au produit du montant ayant servi au calcul de la pension et du taux d'invalidité, déterminé sur avis du conseil médical. Comme au régime général, le salaire est écrêté au tiers sur sa fraction excédant 3 835,15 euros. La fraction excédant dix fois ce plafond n'est pas prise en compte.

Le cumul de la pension de retraite et de la rente d'invalidité ne peut excéder le traitement ayant servi au calcul de la pension128(*).

(d) Le cas de la faute inexcusable de l'employeur

Lorsque l'employeur commet un manquement d'une particulière gravité à ses obligations de sécurité, sa faute inexcusable peut être retenue par voie amiable ou, à défaut, par le juge de la sécurité sociale saisi par la victime, ses ayants droit ou la caisse129(*).

(i) Une majoration de la rente AT-MP

Dans le cas d'une faute inexcusable de l'employeur (FIE), le montant d'indemnisation versé par la branche AT-MP est majoré130(*).

Le montant de la majoration de la rente est fixé de telle sorte que la rente majorée allouée à la victime n'excède pas la fraction du salaire annuel correspondant à sa réduction de capacité131(*). Des dispositions similaires existent pour l'indemnité en capital, dont la majoration ne peut excéder le montant de droit commun.

La rente majorée est intégralement versée par la caisse de sécurité sociale. Toutefois, la caisse de sécurité sociale est fondée à percevoir de l'employeur fautif un capital correspondant à la valeur actuarielle de la majoration de la rente : c'est donc sur l'employeur, et non sur la caisse de sécurité sociale, que repose en principe la charge de la majoration.

Le cas de faute inexcusable de l'employeur est très minoritaire par rapport au nombre d'AT-MP engendrant une incapacité permanente : cette qualification est retenue dans approximativement 1 600 cas par an selon la direction des risques professionnels de la Cnam. En 2022, le régime général servait des rentes majorées pour FIE à 18 000 victimes d'AT-MP, soit à peu près 1 % du total132(*), pour un surcoût total de 62,8 millions d'euros.

(ii) La réparation intégrale des postes de préjudice non couverts par la rente

Outre la majoration de la rente et par dérogation au principe d'immunité civile de l'employeur en cas d'AT-MP, la victime d'une faute inexcusable de son employeur peut obtenir la réparation « du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle »133(*), dès lors que l'assuré peut démontrer que ces postes de préjudice ne sont pas déjà réparés par la rente.

Il s'applique en effet un principe de non double indemnisation en droit de la réparation, qui exclut qu'un même préjudice puisse être indemnisé par deux canaux différents. La définition des postes de préjudice indemnisés par la branche AT-MP, qui fait l'objet d'intenses controverses juridiques depuis les arrêts de la Cour de cassation en date du 20 janvier 2023134(*), ont à ce sens une importance déterminante puisqu'ils définissent, en creux, le champ des préjudices indemnisables par le juge en cas de faute inexcusable de l'employeur.

La réparation complémentaire à la majoration de la rente prend la forme d'un capital versé par l'employeur fautif, et non d'une rente.

Le revirement de jurisprudence sur la dualité de la rente et ses conséquences sur les victimes d'une faute inexcusable de l'employeur

Le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation en date du 20 janvier 2023 a pour effet d'accroître le niveau d'indemnisation dont peuvent bénéficier les victimes d'une faute inexcusable de l'employeur.

Lorsque la rente revêtait un caractère dual, seuls les postes du déficit fonctionnel permanent non déjà indemnisés par la rente - ce que la victime devait prouver - ainsi que des postes annexes pouvaient faire l'objet d'une réparation complémentaire.

Aujourd'hui, dès lors que le déficit fonctionnel permanent n'a pas vocation à être indemnisé par la rente AT-MP, l'assuré qui voit la faute inexcusable de son employeur reconnue peut percevoir une indemnisation intégrale de ce poste de préjudice, à la charge de l'employeur fautif. Ce régime est doublement favorable aux victimes d'une faute inexcusable de l'employeur :

- d'une part, il est favorable financièrement aux victimes de FIE dès lors que la totalité du déficit fonctionnel permanent peut désormais être indemnisée intégralement. Selon la DSS, le niveau de l'indemnisation au titre du DFP peut atteindre plusieurs centaines de milliers d'euros ;

- d'autre part, il est favorable aux victimes de FIE en matière de procédure, puisque le salarié victime n'a plus besoin d'administrer la preuve que les souffrances physiques et psychiques endurées n'ont pas été indemnisées par la part fonctionnelle de la rente, dès lors que celle-ci n'existe plus.

Le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation avait donc suscité l'enthousiasme des associations d'accidentés du travail. La Fnath estime que cette évolution constitue « une grande avancée pour les victimes et une mesure de justice que nous attendions depuis de nombreuses années ». Dominique Asquinazi-Bailleux, professeure émérite des universités, juge qu'il « s'agit d'une belle avancée dans la réparation ».

(3) Le versement de rentes aux tiers à l'accident du travail ou à la maladie professionnelle

Dans certaines situations, un proche d'une victime d'un AT-MP peut percevoir une indemnisation par la branche AT-MP.

D'une part, le bénéficiaire de la rente peut demander qu'une partie, représentant au plus la moitié du montant de la rente, soit reversée à son époux ou à son partenaire de Pacs, ce qui permet de maintenir une indemnisation pour l'ayant-droit malgré le décès du titulaire de la rente viagère.

D'autre part, en cas de décès consécutif à un AT-MP, divers ayants droit peuvent percevoir une rente. Toutefois, l'ensemble des montants de rente versés ne peut excéder 85 % du salaire annuel de la victime135(*), ou 100 % de celui-ci en cas de faute inexcusable de l'employeur.

Comme la rente d'accident du travail versée à l'assuré-victime, la rente est versée aux ayants droit trimestriellement, revalorisée tous les 1er avril avec l'inflation hors tabac, est exonérée de CSG et de CRDS et n'est pas soumise à l'IR136(*).

· La rente pour les conjoints

Si le couple préexistait à l'AT-MP fatal, avait duré au moins deux ans au moment du décès ou avait donné lieu à la naissance d'un enfant, le conjoint, concubin ou partenaire de Pacs a droit à une rente viagère égale à 40 % du salaire du défunt137(*).

En cas de séparation, la perception d'une rente est possible si l'ex-partenaire bénéficiait d'une pension alimentaire138(*) ou d'une aide financière139(*) du défunt assuré. En cas de remariage postérieur au décès de l'assuré, la rente est remplacée par un capital dont le montant est égal à trois fois le montant annuel de la rente précédemment perçue, hors cas particuliers.

· La rente pour les descendants

Les enfants d'une victime d'AT-MP ont droit à une rente jusqu'à leurs vingt ans, que ceux-ci soient naturels ou adoptés. La rente atteint 25 % du salaire annuel pour chaque enfant s'il y a deux enfants ou moins, et 20 % s'il y a trois enfants ou plus140(*).

· La rente pour les ascendants

Les ascendants peuvent percevoir une rente de 10 % du salaire annuel de la victime si ceux-ci étaient à la charge du défunt ou auraient pu obtenir une pension alimentaire de sa part. Le total de rentes versé aux ascendants ne peut excéder 30 %.

(4) Rente AT-MP et pension d'invalidité : une articulation à revoir

La pension d'invalidité, versée par la branche maladie, constitue, en quelque sorte, le pendant de la rente AT-MP pour les assurés touchés par une pathologie relevant de la branche maladie : il s'agit d'un revenu de remplacement destiné aux assurés dont la pathologie affecte durablement la capacité de gain.

Si, dans l'ensemble, il apparaît que la rente AT-MP est plus protectrice pour l'assuré que la pension d'invalidité, cette dernière est toutefois régie par des règles spécifiques, ce qui entrave la comparabilité entre les prestations.

Faute d'une articulation suffisante, la commission chargée d'évaluer la sous-déclaration des AT-MP notait, dans son rapport de 2021, que « les assurés n'étaient pas en mesure d'effectuer un choix éclairé entre la pension d'invalidité et la rente AT-MP, lorsqu'ils remplissent, au titre d'une même pathologie, les conditions de l'une et l'autre de ces prestations ». Afin de réduire la sous-déclaration des AT-MP, la commission estime, à ce titre, « nécessaire [l']amélioration de l'information des assurés s'agissant de l'arbitrage entre pension d'invalidité et rente AT-MP, et préconise en outre la clarification des règles d'articulation entre ces deux prestations. »

Il reste que la pension d'invalidité est une prestation globalement plus difficile d'accès et moins protectrice que la rente AT-MP.

En effet, alors que la rente AT-MP est perçue dès lors qu'à la suite d'un AT-MP, l'assuré est atteint d'un taux d'incapacité permanente supérieur à 10 %, la pension d'invalidité n'est versée qu'à des assurés dont la perte de la capacité de travail et de gain excède 66 %. Toutefois, « ce seuil n'est pas équivalent à celui d'une incapacité permanente de 2/3 en AT-MP, puisque celle-ci est évaluée, sur la base notamment de barèmes annexés au code de la sécurité sociale, en fonction d'un ensemble de critères définis par la loi, non liés uniquement au retentissement professionnel »141(*).

Le montant de la pension d'invalidité varie, comme celui de la rente AT-MP, en fonction de la capacité de l'assuré à se procurer des revenus. Toutefois, alors que la rente AT-MP est calculée en fonction du taux d'incapacité permanente de l'assuré, le montant de la pension d'invalidité est déterminé en fonction de catégories d'invalidité142(*).

La pension d'invalidité est, à taux d'incapacité et à salaire égal, globalement inférieure à la rente AT-MP dont disposerait un assuré si l'origine de sa réduction de capacité de travail avait été professionnelle. En effet, la pension d'invalidité est égale à 30 %143(*) ou 50 %144(*) du salaire sur les dix meilleures années, dans la limite du plafond annuel de la sécurité sociale145(*), tandis que la rente AT-MP atteint 50 % du salaire moyen touché sur les douze derniers mois d'activité pour un taux d'incapacité de 67 %, et de 70 % pour un taux d'incapacité de 80 %.

En outre, la pension d'invalidité est soumise, le cas échéant, à l'impôt sur le revenu, à la CSG et à la CRDS, ce qui constitue une autre différence avec la rente AT-MP.

Le minimum de pension d'invalidité, fixé à 328,07 euros, est également inférieur à la rente AT-MP minimale pour un taux d'incapacité ouvrant droit à une pension d'invalidité, fixée à 873 euros.

Toutefois, les différences de champ entre les taux d'incapacité en AT-MP et en invalidité impliquent que les personnes dont l'accident ou la maladie a entraîné un impact important sur l'emploi puissent être mieux loties en invalidité146(*). En outre, même si le taux de remplacement est en tout point inférieur en invalidité qu'en AT-MP, celui-ci peut être compensé par l'assiette sur laquelle est déterminé le salaire de référence. Celui-ci peut, pour des assurés dont les revenus ont fortement diminué préalablement à l'arrêt de travail, être supérieur en invalidité - puisque seule la dernière année est prise en compte en AT-MP.

Pour répondre à cette situation, le législateur a précisé, à l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale, que « la rente accordée à la victime en vertu du présent titre dans le cas où elle est inférieure à ladite pension d'invalidité, est portée au montant de celle-ci »147(*). Aussi, en principe, aucune victime d'AT-MP n'a intérêt à demander une pension d'invalidité plutôt qu'une rente. Toutefois, cette disposition reste inégalement et insuffisamment connue et appliquée selon les partenaires sociaux, qui ont appelé à « rappeler l'existence » de cet article, à « communiquer auprès des acteurs de la sécurité sociale » et à « le faire appliquer »148(*).

Les règles de cumul de la pension d'invalidité avec d'autres revenus

La pension d'invalidité ayant pour objet de compenser la réduction des capacités de travail, le cumul de la pension d'invalidité et d'autres revenus fait l'objet d'un encadrement.

• Avant la réforme de 2022

Avant 2022, il était impossible pour l'assuré invalide de dépasser, grâce à la pension d'invalidité cumulée à son revenu d'activité, le revenu qu'il percevait antérieurement à la déclaration d'invalidité.

Si la pension d'invalidité additionnée aux revenus d'activités courants dépassait, lors de deux trimestres consécutifs, le salaire moyen perçu lors des douze mois précédant la déclaration d'invalidité - appelé salaire de comparaison, le montant de la pension d'invalidité était alors écrêté à due concurrence.

Cette limitation du cumul entre revenus d'activité et pension d'invalidité était toutefois très critiquée en ce qu'elle n'incitait pas au retour à l'emploi des personnes invalides, qui voyaient leurs perspectives financières en cas de reprise d'activité limitée par leur salaire antérieur.

• Depuis la réforme de 2022

Pour encourager la reprise d'activité des personnes invalides, le régime de cumul de la pension d'activité avec d'autres revenus a été réformé par le décret n° 2022-257 du 23 février 2022 relatif au cumul de la pension d'invalidité avec d'autres revenus et modifiant diverses dispositions relatives aux pensions d'invalidité.

Sans revenir sur le principe d'un salaire de comparaison et d'un écrêtement des pensions d'invalidité lorsque leur cumul avec les autres revenus conduit à dépasser le salaire de comparaison, ce décret présente deux apports, réclamés de longue date par les personnes invalides ayant repris une activité.

La principale modification mise en oeuvre par le décret est l'évolution d'un écrêtement intégral vers un écrêtement à 50 % de la pension d'invalidité lorsque le cumul de celle-ci et des autres revenus excède le salaire de comparaison.

Le mode de détermination du salaire de comparaison est, de plus, rendu plus favorable pour certaines personnes invalides par la réforme. En effet, le salaire de comparaison n'est plus égal au salaire moyen sur les douze mois précédant la déclaration d'invalidité, mais au maximum entre cette valeur et le salaire annuel moyen des dix meilleures années d'activité, dans la limite d'un plafond.

Il s'agit là d'un moyen d'augmenter la valeur du salaire de comparaison pour les assurés qui, du fait des premières manifestations de la pathologie ayant causé leur invalidité, ont vu leurs revenus professionnels être réduits avant même la déclaration d'invalidité. Ainsi, un assuré ayant gagné 3 000 euros par mois pendant 10 ans, puis 2 000 euros par mois la dernière année avant son invalidité, ne verra plus son cumul invalidité-revenus d'activité être limité à 2 000 euros, mais bien à 3 000 euros.

Toutefois, la réforme du cumul de la pension d'invalidité fait l'objet de critiques récurrentes par les associations de personnes invalides, handicapées ou accidentées, à l'image du collectif « Les oubliés de la réforme 2022-257 », auditionné par la mission, car elle a apporté deux modifications défavorables aux assurés dans le cumul de leur pension d'invalidité avec d'autres revenus. La DSS estime qu'il pourrait y avoir 8 000 « perdants » à cette réforme.

La plus importante est le plafonnement du salaire de comparaison au niveau du plafond annuel de la sécurité sociale (Pass), soit 3 864 euros mensuels en 2024. Auparavant, la seule limite au cumul entre la pension d'invalidité et d'autres revenus était le niveau du salaire antérieur de l'assuré. Désormais, les assurés dont le salaire antérieur, sur les douze derniers mois ou sur les dix meilleures années de carrière, excède le Pass voient, dans certains cas, leur pension d'invalidité écrêtée même si le cumul de leur pension d'invalidité et de leurs nouveaux revenus n'excède pas le salaire qu'ils touchaient avant leur déclaration d'invalidité.

Pour répondre à la préoccupation des associations, le décret n° 2023-684 du 28 juillet 2023 fixe désormais à 1,5 fois le montant du Pass le plafond que ne saurait dépasser le salaire de comparaison. Cette modification reste toutefois insuffisante selon les associations, qui réclament l'application des recommandations du comité national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) - soit une fixation du plafond à 2 fois la valeur du Pass. Les rapporteures souscrivent pleinement à la position défendue par le CNCPH, et appellent à augmenter à nouveau le plafond du salaire de comparaison à 2 fois la valeur du Pass, afin d'encourager véritablement la reprise ou la continuation d'activité pour l'ensemble des assurés en invalidité, quel qu'ait été leur niveau de revenus antérieur.

En outre, alors qu'auparavant, il fallait dépasser le salaire de comparaison sur deux trimestres consécutifs pour que la CPAM procède à l'écrêtement de la pension d'invalidité, la période de dépassement retenue est devenue, à la suite de la réforme, l'année glissante. Dès lors, la perception par l'assuré d'un revenu exceptionnel sur un mois donné peut désormais être à l'origine d'une diminution, voire d'une suppression du droit à pension d'invalidité. Elle n'avait auparavant pas d'effet sur le droit à pension d'invalidité, puisqu'elle n'affectait qu'un trimestre, et non deux trimestres consécutifs.

La réforme du cumul de la pension d'invalidité avec d'autres revenus a donc pour conséquence, pour les assurés dont les revenus mensuels ont dépassé 1,5 fois le Pass ou ceux bénéficiant d'un haut niveau de rémunération variable, de diminuer voire de supprimer le droit à pension d'invalidité.

Pour les assurés dont le droit à pension d'invalidité se voit supprimé par la réforme, les conséquences peuvent dépasser le seul cadre de la pension d'invalidité. En effet, le versement d'une pension d'invalidité par la CPAM est, dans certains cas, une condition nécessaire au versement d'une pension complémentaire d'invalidité dans le cadre de la prévoyance, à l'existence d'une assurance pour les emprunts immobiliers, ou à la cotisation de droits pour la retraite.

Les rapporteures, conscientes de ces difficultés, appellent à inscrire dans la loi le principe selon lequel tout assuré remplissant les critères d'éligibilité médicaux à la pension d'invalidité a droit à une pension dite « socle », fixée à un montant symbolique, indépendamment de son niveau de revenus. Cela permettrait à tous les anciens pensionnés se retrouvant désormais sans pension d'invalidité de retrouver leur droit à pension, et, ipso facto, à l'ensemble des prestations connexes, à commencer par les prestations d'invalidité dues au titre de la prévoyance.

(5) Les rentes constituent le poste de dépenses principal de la branche AT-MP

Les rentes versées par les branches AT-MP des régimes obligatoires de base atteignent 5,7 milliards d'euros en 2023.

Au régime général, les rentes s'élèvent à 4,3 milliards d'euros en 2022 : 71 % de ce montant (3,1 milliards d'euros) sont affectés aux 1,214 millions de victimes bénéficiaires, et 29 % (1,3 milliard d'euros) aux 82 000 ayants droit éligibles. Les rentes d'ayants droit sont concentrées à plus de 95 % sur les rentes de conjoint ; les rentes servies aux ascendants étant particulièrement marginales.

La direction des risques professionnels de la Cnam a transmis à la Mecss ses données concernant les rentes attribuées entre 2017 et 2022. Plus des deux tiers des rentes servies concernent des taux d'incapacité de 10 % à 19 %. Compte tenu du taux d'IPP moyen dans cette tranche - 12,66 % - on peut imaginer qu'une fraction importante des rentiers présentent le taux d'IPP minimal pour ouvrir droit à la rente, soit 10 %. Les bénéficiaires de rente ayant entre 10 % et 19 % d'IPP reçoivent des rentes modestes, en moyenne de 150 euros par mois.

La rente moyenne ne dépasse 1 000 euros par mois qu'à partir de la tranche de 60 à 69 %.

Données sur les rentes attribuées entre 2017 et 2022

Tranche d'IPP

Nombre de bénéficiaires d'une rente

Taux d'IPP moyen

Salaire utile moyen

Rente moyenne annuelle

10 à 19 %

18 996

12,66

27 626

1 750

20 à 29 %

4 424

22,08

27 871

3 080

30 à 39 %

1 400

32,25

28 367

4 579

40 à 49 %

530

42,16

27 980

5 902

50 à 59 %

244

52,00

28 500

7 984

60 à 69 %

354

64,93

27 893

13 197

70 à 79 %

309

71,59

27 317

15 689

80 à 89 %

222

81,21

27 026

19 405

90 à 99 %

91

91,53

26 842

23 443

100 %

877

100

25 658

25 658

Source : DRP de la Cnam

Alors que le niveau des rentes versées en 2020 et en 2021 avait diminué du fait d'une réduction du nombre d'entrants avec le ralentissement de l'activité économique lié à l'épidémie de covid-19, l'année 2022 a marqué un rebond (+ 2,3 %) à mettre en lien avec la revalorisation exceptionnelle des rentes de 4 % par la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, venue s'ajouter à une revalorisation spontanée déjà dynamique en raison de l'inflation (1,8 %).

Décomposition des causes d'évolution des montants de rente servis
par le régime général depuis 2014

Source : Rapport annuel 2022 de l'assurance maladie - risques professionnels

2. Des modalités de réparation de l'incapacité permanente sous le feu des critiques
a) La réparation de l'incapacité permanente par la branche AT-MP ne suffit pas à éviter une baisse du niveau de niveau de vie pour les victimes

En moyenne, la réparation de l'incapacité permanente proposée par la branche AT-MP ne suffit pas à éviter une baisse du niveau de vie pour la victime du sinistre, ainsi que l'a montré une étude récente de la Drees portant sur les seuls accidents du travail149(*).

La Drees note que « les victimes d'accidents du travail avec incapacité permanente subissent une perte de revenus d'activité massive et durable ». L'année suivant un sinistre ayant donné lieu à une incapacité permanente de plus de 10 %, le revenu d'activité d'une victime d'AT chute de 60 % en moyenne, soit une perte salariale de 10 000 à 12 000 euros. Cette perte de revenus se prolonge les années suivantes malgré un léger rebond : la rémunération des victimes s'établit à un plateau dont le niveau inférieur de 50 % aux revenus pré-accident.

Lorsque l'incapacité temporaire est inférieure à 10 %, le constat d'une perte de revenus d'activité reste inchangé, même si l'ampleur est moindre.

Évolution des revenus d'activité à la suite d'un AT-MP en fonction du taux d'IPP

(en euros)

L'axe des abscisses indique l'année concernée, l'année 0 étant celle de l'AT-MP.

Lecture : L'année où il survient, un accident du travail induit une perte de 4 500 euros de salaire annuel pour les victimes dont le taux d'IP est inférieur à 10 % et de 6 500 euros pour celles dont le taux d'IP est supérieur ou égal à 10 %. Cinq ans plus tard, cette perte annuelle s'élève à 4 000 euros pour les premiers et à 10 000 euros pour les seconds, par rapport à une trajectoire contrefactuelle sans accident du travail.

Source : Drees, « L'indemnisation des accidents du travail avec incapacité permanente compense-t-elle leurs conséquences financières ? », avril 2024

Les heures rémunérées évoluent dans des proportions similaires : le nombre d'heures travaillées décroît de plus de 900 heures l'année suivant le sinistre, puis se stabilise autour de 800 heures de moins que l'année précédant l'accident. En cause, notamment, un taux d'activité nettement diminué pour ces assurés : la probabilité de percevoir des allocations chômage est augmentée de 18 % deux ans après un AT ayant causé une incapacité de plus de 10 %, et même de 25 % à 30 % les deux années suivantes.

Les transferts permettent de diminuer nettement l'effet de l'accident du travail sur les revenus du ménage : les travaux de la Drees démontrent une absence d'effet causal significatif du sinistre sur les revenus du ménage après transferts sur les trois années suivant le sinistre, dans le cas d'une incapacité de plus de 10 %. La quatrième année, toutefois, l'accident du travail provoque une diminution significative des revenus du ménage après transferts publics, de l'ordre de 4 000 euros par an.

Évolution des revenus après un AT-MP ayant provoqué une IPP de
plus de 10 %, avant et après transferts publics

L'axe des abscisses indique l'année concernée, l'année 0 étant celle de l'AT-MP.

Source : Drees, « L'indemnisation des accidents du travail avec incapacité permanente compense-t-elle leurs conséquences financières ? », avril 2024

On distingue quatre types de transferts publics ayant pour effet de lisser les revenus des ménages dont un membre est victime d'un AT. Trois sont directs : les indemnités journalières AT-MP, l'indemnisation par la branche AT-MP au titre de l'incapacité permanente, l'indemnisation au titre du chômage pour l'ensemble des assurés licenciés pour inaptitude. Le système socio-fiscal permet un lissage indirect des revenus - la baisse des revenus impliquant une diminution des prélèvements obligatoires s'y rattachant.

Le poids de chacun des types de transferts dans le lissage des revenus varie dans le temps : les indemnités journalières sont prédominantes l'année suivant le sinistre (91 % des transferts publics) avant de diminuer progressivement (37 % quatre ans après le sinistre). La part des indemnités journalières n'en devient pas négligeable pour autant, signe, selon la Drees, « de fréquentes rechutes, également susceptibles de perturber les trajectoires professionnelles ».

La rente AT-MP prend progressivement le relais des indemnités journalières, à mesure que le caractère permanent de l'incapacité est reconnu : la rente représente 13 % des transferts publics en faveur des victimes d'AT deux ans après le sinistre, puis 21 % trois ans après et 34 % quatre ans après.

La part des indemnités chômage dans les transferts publics en faveur des victimes d'AT-MP augmente à mesure de l'augmentation du nombre d'assurés déclarés inaptes à leur poste de travail, jusqu'à représenter une part significative du total. Quatre ans après le sinistre, les indemnités chômage constituent 35 % des transferts publics en faveur des victimes d'AT. La Drees note, à cet égard, que c'est « principalement l'intervention de l'assurance chômage qui permet de compenser totalement les pertes financières consécutives de l'accident du travail ».

Transferts publics en faveur des victimes d'AT-MP présentant un taux d'incapacité supérieur à 10 %

Source : Drees, « L'indemnisation des accidents du travail avec incapacité permanente compense-t-elle leurs conséquences financières ? », avril 2024

Il est permis de s'interroger sur le calibrage de l'indemnisation de l'incapacité permanente assuré par la branche AT-MP dès lors que, quatre ans après un sinistre, les indemnités chômage - dont ce n'est pas l'objectif premier - contribuent davantage que la rente à réduire les pertes de revenus découlant du sinistre.

À la lueur de cette décomposition, il est possible d'expliquer le décrochage des revenus des victimes d'AT la quatrième année après le sinistre. L'éligibilité à l'indemnisation chômage, qui joue un rôle massif dans le lissage des revenus des victimes d'AT sur les premières années suivant le sinistre, est limitée dans le temps : l'allocation de retour à l'emploi ne peut, en tout état de cause, pas être versée plus de 18 mois pour un bénéficiaire de moins de 53 ans150(*). Le montant moyen dont bénéficient les victimes d'AT-MP au titre de l'allocation de retour à l'emploi (ARE) baisse de 278 euros entre la troisième et la quatrième année suivant le sinistre.

Le constat est clair : la rente est aujourd'hui insuffisante pour éviter la baisse de niveau de vie des assurés victimes d'un AT et, si cette insuffisance est d'abord masquée par le concours de l'assurance chômage, cette dernière ne concerne plus assez de victimes pour maintenir à flot le niveau de vie moyen des assurés à compter de la quatrième année suivant le sinistre.

Dès lors, si les données de la Drees ne permettent pas de dessiner la trajectoire de niveau de vie au-delà de la quatrième année après le sinistre, il est probable que les pertes financières subies par les ménages touchés par un AT-MP aillent en s'accroissant.

Compte tenu du caractère forfaitaire et non intégral de la rente, cette dernière ne saurait, seule, compenser intégralement les pertes de revenus attachées au sinistre.

Toutefois, la perte de revenus de 4 000 euros en moyenne causée par le sinistre après quatre ans et après prise en compte de l'ensemble des transferts publics représente une somme particulièrement importante pour les ménages qui y sont confrontés. Ce constat invite à se pencher sur l'amélioration des modalités de réparation de l'incapacité permanente par la branche.

Il est vrai que certains montants de rente conduisent à s'interroger : un assuré touchant 22 000 euros par an et souffrant d'une insuffisance cardiaque de nature à rendre la « vie professionnelle très perturbée ou impossible » peut, dans le respect des barèmes, ne bénéficier chaque mois que d'une rente de 733 euros.

b) Un mode de réparation qui peut sembler archaïque avec le développement de régimes spéciaux plus favorables
(1) La réparation AT-MP se fonde sur des principes anciens, contenus dans le compromis historique de 1898

L'indemnisation par la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) de l'incapacité permanente des victimes repose sur un compromis social construit puis consolidé par trois grandes lois.

La loi du 9 avril 1898 précitée a constitué un compromis social historique en dispensant le salarié d'avoir à prouver la faute de son employeur pour obtenir une réparation au titre des accidents du travail, en contrepartie de quoi le salarié ne perçoit pas une indemnisation intégrale mais forfaitaire des préjudices subis, et ne peut, hors cas particulier151(*), agir contre l'employeur en justice, ce dernier bénéficiant d'une immunité civile152(*) en la matière.

Cette solution, retenue par le législateur, permet d'éviter une judiciarisation des accidents du travail, redoutée à la fois par les salariés e  tant qu'elle rendrait plus complexe, imprévisible, long et onéreux l'accès à l'indemnisation, et par les employeurs, qui s'exposeraient alors à une réparation intégrale dont le montant peut déstabiliser les finances d'une entreprise.

Construisant sur le compromis issu de la loi du 9 avril 1898, la loi du 25 octobre 1919 a conduit à appliquer des préceptes similaires pour les maladies professionnelles à ceux en vigueur pour les accidents du travail.

Enfin, la loi du 30 octobre 1946153(*) sur la prévention et la réparation des AT-MP a inscrit la réparation des AT-MP dans le cadre de la sécurité sociale, permettant une mutualisation du risque au sein de la branche AT-MP, financée de façon quasi assurantielle par des cotisations à la charge de l'employeur154(*) uniquement dont le taux est pour partie155(*) dépendant de la sinistralité du secteur d'activité ou de l'entreprise, selon sa taille156(*), dans une visée incitative et préventive.

Ces trois grandes lois ont façonné les piliers de l'indemnisation AT-MP, toujours appliqués aujourd'hui : la responsabilité présumée de l'employeur, c'est-à-dire la responsabilité sans faute, le caractère forfaitaire de la réparation, et le caractère amiable de la procédure. L'attachement des partenaires sociaux à ces piliers a plusieurs fois été rappelé lors des auditions conduites par les rapporteures157(*). La CFTC rappelle que les partenaires sociaux sont « attachés au compromis historique », opéré, selon le Medef, « tant dans l'intérêt des victimes que des entreprises ». En effet, les partenaires sociaux jugent que le système de réparation des AT-MP a été conçu « pour permettre à la victime de bénéficier d'une réparation rapide et identique sur le territoire national, quelle que soit la cause de l'accident »158(*).

La Fnath note toutefois que le compromis social ne s'applique pas en toute matière : par exemple, pour faire reconnaître une maladie professionnelle hors tableau, la victime doit « démontrer, elle-même et avec ses propres moyens et pièces, qu'il existe un lien direct entre sa maladie (lorsqu'elle est hors tableau) et son activité professionnelle ».

(2) Le développement de régimes de réparation dérogatoires du droit commun rend la réparation AT-MP archaïque

Si le compromis historique est apparu, en 1898, comme une avancée sociale indéniable, le droit de la réparation AT-MP est globalement resté imperméable au mouvement général du droit vers une prise en compte accrue des situations individuelles.

Force Ouvrière rappelle ainsi que le compromis social, « à son origine, permettait une compensation globale à une classe sociale et non une réparation adaptée à la situation individuelle de la personne concernée par l'accident ».

En droit de la réparation, la prise en compte accrue des situations individuelles s'est traduite par un double mouvement d'extension progressive du champ des préjudices indemnisables, et du champ de la réparation intégrale sans faute.

Au droit de la réparation corporelle civile s'appliquait initialement l'article 1353 du code civil, attribuant la charge de la preuve au demandeur. Pour ouvrir droit à la réparation, trois éléments devaient alors être prouvés par la victime : un dommage, un fait générateur - c'est-à-dire l'existence d'une faute - et un lien de causalité entre le dommage et le fait générateur. Sous réserve de pouvoir prouver ces trois éléments, la réparation présente un caractère intégral : selon l'adage, elle doit couvrir « tout le préjudice, rien que le préjudice ». Ces modalités de réparation s'opposaient donc à celles prévues en AT-MP, reposant sur une réparation sans faute, mais forfaitaire, et non intégrale.

Pour autant, se sont progressivement développés des régimes d'indemnisation dérogatoires du droit commun qui, tout en présentant un caractère intégral, ont aménagé voire supprimé la charge de la preuve pour la victime. Aussi, apporter la preuve que les lésions subies sont en lien direct, certain et exclusif avec un fait accidentel suffit donc, dans certains régimes, à obtenir réparation.

Un glissement s'est donc progressivement opéré pour dériver d'un droit de la réparation fondé sur la responsabilité et sur la faute vers un droit du préjudice, centré sur la victime, pour lequel l'identification d'un coupable, ou ne serait-ce que d'un responsable de l'accident n'est plus nécessaire. L'indemnisation est alors due, le plus souvent intégralement, même en l'absence de responsable juridique identifié.

La Fnath avance ainsi que pour « tous les régimes postérieurs [au régime de réparation AT-MP], et cela s'explique par une société du XXème et XXIème siècle qui fait désormais le primat à la victime et à la personne, l'assiette limitée de l'indemnisation a été abandonnée car le coût de la réparation a été solvabilisé soit par l'assurance, soit par la solidarité nationale ».

Les prestations de la branche AT-MP apparaissent donc nettement moins protectrices que ces régimes dérogatoires, au point que le professeur Gérard Lyon-Caen déclarera même que « les salariés victimes d'un accident sont victimes d'une discrimination » puisque d'autres régimes spéciaux d'indemnisation sont bien plus favorables.

Pour autant, la DRP de la Cnam rappelle que « la CEDH a considéré de son côté que l'absence de réparation intégrale [...] ne constitue pas une discrimination »159(*).

Représentation schématique du lien entre charge de la preuve et réparation intégrale selon les régimes de réparation

Régime

Charge de la preuve au demandeur

Réparation intégrale

Droit civil commun

Oui

Oui

AT-MP

Non

Non

Faute inexcusable de l'employeur en AT-MP

Oui

Oui, sur certains postes

Régimes spéciaux (amiante, accidents de la circulation, accidents médicaux)

Non

Oui

Source : Mecss du Sénat

Ces modalités de réparation se sont principalement développées là où apporter la preuve de la faute était le plus complexe pour la victime : par exemple pour les accidents de circulation, les accidents médicaux, ou les pathologies de l'amiante.

(a) Le régime des accidents de circulation

La loi dite « Badinter » du 5 juillet 1985160(*) a créé un régime de réparation amiable et dérogatoire du droit commun pour les accidents de circulation reposant sur une réparation intégrale avec une charge de la preuve aménagée.

Pour un piéton, un passager victime ou un conducteur non responsable, la réparation est intégrale, indépendamment de l'existence d'une faute, sauf en cas de provocation volontaire du dommage. Les préjudices indemnisables sont le pretium doloris161(*), l'impossibilité de travailler temporaire ou permanente, le préjudice esthétique, le préjudice sexuel et le préjudice d'agrément162(*). En cas de décès, les proches peuvent bénéficier d'une indemnisation du préjudice moral et économique.

La commission d'une faute implique une réparation moins étendue : le conducteur partiellement ou entièrement responsable est indemnisé partiellement par son assurance, et seulement s'il a souscrit à la garantie dommages subis par le conducteur.

Pour être indemnisée, la victime doit alors produire une déclaration d'accident dans les cinq jours ouvrés, puis transmettre un certificat médical, le constat et, le cas échéant, un avis d'arrêt de travail.

L'indemnisation est à la charge de l'assurance du conducteur responsable mais, si le responsable est inconnu, n'est pas assuré ou est un animal sauvage, le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO) a été créé afin de porter l'indemnisation. L'assureur a trois mois pour présenter une offre à la victime, qui peut l'accepter ou la refuser et demander une meilleure offre ou aller en justice. En cas d'acceptation, l'assureur a 45 jours pour faire parvenir le règlement.

(b) Le régime des accidents médicaux

Dans la même logique, la loi dite « Kouchner » du 4 mars 2002163(*), complétée par différentes lois postérieures, a instauré un régime de réparation intégrale et amiable avec une charge de la preuve aménagée pour la réparation des accidents médicaux, infections nosocomiales et iatrogènes. Il a « admis une indemnisation au titre de la solidarité nationale de certains dommages graves, assurée par l'Office national des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam), institué à cet effet »164(*).

Tout en confortant la nécessité d'une faute pour engager la responsabilité d'un professionnel de santé ou de sa structure de rattachement dans le cadre de son activité « de prévention, de diagnostic ou de soins »165(*), le législateur a consacré une responsabilité sans faute des établissements de santé en matière d'infections nosocomiales ou iatrogènes166(*).

En outre, en l'absence de responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement, le législateur fait reposer sur la solidarité nationale la réparation intégrale des conséquences d'un accident médical, d'une affection iatrogène ou d'une infection nosocomiale. Celles-ci doivent être directement imputables à une activité de soins, de prévention ou de diagnostic et avoir engendré167(*) une atteinte grave et inattendue à l'intégrité physique ou psychique du patient, caractérisée par un taux d'atteinte permanente de plus de 24 % ou temporaire de plus de 50 % sur six mois consécutifs ou étalés sur douze mois168(*). La solidarité nationale intervient également lorsqu'un professionnel ou un établissement a agi, en cas de circonstances exceptionnelles, hors du champ de la prévention, du diagnostic et des soins.

Par des lois postérieures169(*), le législateur a étendu la réparation au titre de la solidarité nationale aux dommages résultant de vaccinations obligatoires, de mesures sanitaires d'urgence ou de certains produits de santé.

Les victimes prises en charge au titre de la solidarité nationale bénéficient donc d'une réparation intégrale sans avoir à prouver la faute d'un professionnel ou d'un établissement.

(c) Le régime des pathologies de l'amiante

Dans le champ des AT-MP, mais pas uniquement, la réparation intégrale s'est également imposée pour les victimes de l'amiante. Le régime ad hoc, géré par le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante170(*), prévoit l'indemnisation intégrale des préjudices consécutifs à une pathologie de l'amiante, tant pour les assurés exposés dans le cadre de leur activité professionnelle que pour les victimes environnementales ou, en cas de décès, que pour leurs ayants droit.

Pour ouvrir droit à la réparation, la victime doit transmettre un dossier dont les modalités de remplissage sont simplifiées lorsque la pathologie a été reconnue comme maladie professionnelle préalablement à la demande d'indemnisation au Fiva.

Le fonds dispose d'un délai réglementaire de six mois pour faire parvenir sa décision et, le cas échéant, d'un délai de deux mois pour payer l'offre d'indemnisation ; des délais en moyenne tenus par le fonds171(*). L'offre d'indemnisation couvre intégralement divers préjudices économiques (perte de gains, frais médicaux, frais supplémentaires liés à la pathologie) et personnels (pretium doloris, préjudice d'agrément, préjudice esthétique, préjudice moral, incapacité fonctionnelle). Elle dépend d'un barème spécifique, fixé par le conseil d'administration du Fiva.

La forme de la réparation varie en fonction du préjudice indemnisé : l'incapacité fonctionnelle et le préjudice économique172(*) sont, en principe173(*), indemnisés par la rente, et les autres postes par un capital. Les rentes ont représenté 10 % des montants indemnisés en 2023.

Comme l'indique le Fiva dans sa réponse au questionnaire des rapporteures, « en application du principe de réparation intégrale, l'indemnisation du FIVA vient en complément des indemnisations déjà servies par la branche AT-MP de la sécurité sociale sur les mêmes postes de préjudice. Ce même principe interdit toute double indemnisation ». Par conséquent, le Fiva indemnise l'ensemble des postes de préjudice non indemnisés par la rente AT-MP, ainsi que l'ensemble des postes couverts par la rente AT-MP, déduction faite de la part de rente indemnisant lesdits préjudices.

Le champ couvert par la rente a donc une influence importante sur le niveau d'indemnisation du Fiva : le récent revirement de jurisprudence de la Cour de cassation à ce sujet174(*) a donc des conséquences financières substantielles sur le fonds. Celui-ci ne peut plus déduire de l'indemnisation intégrale du DFP à sa charge la part de la rente correspondant à la réparation du DFP, dès lors que la rente est réputée ne plus indemniser ce poste de préjudice.

Les conditions d'indemnisation pour une victime de maladie professionnelle provoquée par l'amiante sont donc considérablement meilleures que celles s'appliquant à une victime d'autres AT-MP. Pour justifier cette différence de traitement, la DSS rappelle que « l'insuffisante prise en compte de la dangerosité de l'amiante par les pouvoirs publics et les entreprises, son interdiction tardive et la reconnaissance de la responsabilité de l'État pour ses carences fautives ont justifié la création d'un dispositif fondé sur la solidarité nationale avec une procédure simple et rapide ainsi qu'un principe de réparation intégrale assise sur un barème ad hoc fixé par le conseil d'administration du Fiva ».

(3) Le cas de la faute inexcusable de l'employeur suscite de fortes interrogations

Pour bénéficier de la reconnaissance de la FIE, la victime doit apporter la preuve d'un comportement coupable de l'employeur devant le juge.

En la matière, le compromis historique ne s'applique donc pas, selon certains experts juridiques, certains syndicats à l'image de Force Ouvrière ou de la CFE-CGC et selon les associations de victimes.

Force Ouvrière détaille ce point de vue : « dans le cadre d'une FIE, le salarié ne bénéficie plus d'une présomption d'imputabilité. Il est obligé d'ester en justice et d'apporter toutes les preuves habituellement requises en matière de responsabilité civile à savoir une faute de l'employeur, le préjudice subi et le lien de causalité entre la faute et le préjudice. »

Dominique Asquinazi-Bailleux, professeure émérite des universités, considère ainsi que dès lors qu'il n'y a pas de dispense de la charge de la preuve, « le caractère encore forfaitaire, quoique élargi de la réparation, est critiquable »175(*).

En effet, malgré le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation, la professeure note que le taux d'incapacité permanente utilisé pour déterminer le montant de la rente majoré ne correspond pas à l'incidence professionnelle de l'incapacité permanente.

Alors que la charge de la preuve de la commission d'une faute a normalement pour contrepartie la réparation intégrale des préjudices, les victimes de faute inexcusable de l'employeur seraient les seules à avoir la charge de la preuve sans disposer d'une réparation intégrale.

Cette absence de réparation intégrale en cas de FIE malgré la charge de la preuve, bien qu'étant une originalité dans le droit français, ne constitue pour autant une discrimination au sens de la CEDH176(*).

c) La préoccupation de revaloriser l'indemnisation de l'incapacité permanente est désormais largement partagée
(1) Les associations de victimes d'AT-MP dénoncent, de longue date, une indemnisation insuffisante

Les associations de victimes, au premier rang desquelles la Fnath, dénoncent l'insuffisance des prestations de la branche AT-MP au titre de l'incapacité permanente, tant en ce qui concerne l'indemnité en capital que la rente.

(a) Une indemnité en capital « jamais à la hauteur des préjudices subis »

La Fnath se montre d'abord très critique à l'égard du niveau de l'indemnité en capital versée, qu'elle estime n'être « jamais à la hauteur des préjudices subis » dès lors que « bien souvent, cette dernière ne prend pas en considération l'ensemble des conséquences de l'accident ou de la maladie de la victime sur la sphère professionnelle ».

L'association regrette tout particulièrement que certaines pathologies telles que des troubles musculosquelettiques (TMS) soient fréquemment indemnisées en capital, alors que les conséquences professionnelles peuvent être durables pour les victimes.

« À titre d'exemple, une caissière victime de TMS suite à des années de gestes répétitifs ne bénéficiera pas d'un taux élevé et sera donc très peu indemnisée pour les maux subis. Pourtant, ces TMS vont très certainement lui coûter son poste de travail (licenciement pour inaptitude) et donc la pénaliser financièrement à une hauteur qui sera bien supérieure au montant du capital qui lui sera versé. Prenons le cas d'une caissière d'une cinquantaine d'années licenciée pour inaptitude, qui a travaillé 30 ans dans la grande distribution sans grand bagage scolaire, et dont la mobilité d'un membre supérieur est limitée ; elle se verra attribuer, pour compenser ses préjudices d'incidence professionnelle, les conséquences sur ses cotisations de retraite et son préjudice professionnel, une somme de 3 831,29 € pour solde de tout compte, ses préjudices personnels n'étant toujours pas indemnisés ».

(b) La Fnath décrie le mode de calcul de la rente, qu'elle juge particulièrement défavorable

Pour la Fnath, les modalités de calcul de la rente AT-MP visent à « limiter, au plus possible, l'indemnisation des personnes ».

L'association s'inscrit en faux avec les règles du taux d'incapacité utile et du salaire utile. Elle estime que la première n'est « ni juste, ni équitable » car la transformation appliquée au taux d'IPP pour déterminer le taux utile conduit « à faire comme si une personne handicapée à vie n'était impactée que de la moitié de ce qu'elle vit réellement au quotidien ». L'écrêtement des hauts salaires n'a, quant à lui, « aucun sens » aux yeux de la Fnath, qui défend une « règle simple » qui permette « de bénéficier d'un niveau de revenu identique à celui qui était perçu avant le sinistre ».

Pour la Fnath, les règles de calcul de la rente AT-MP conduisent, bien souvent, à une précarisation de ces derniers, ce qui appelle un mouvement de revalorisation des prestations qui leur sont accordées, surtout compte tenu de la situation financière de la branche.

Si « à date, la Fnath ne demande pas une réparation intégrale pour toutes les conséquences d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle », elle réclame « des améliorations notables au dispositif de base en vigueur d'indemnisation et la réparation intégrale pour les seules situations de fautes inexcusables ».

(2) Une prise de conscience progressive des partenaires sociaux de la nécessité de revaloriser les rentes
(a) Le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation a été interprété comme un signal témoignant de l'exigence d'améliorer la réparation

La Cour de cassation avait, dès 2010, appelé à améliorer la réparation des AT-MP en prenant position en faveur d'une indemnisation intégrale des victimes de faute inexcusable de leur employeur.

Les arrêts du 20 janvier 2023, élargissant le champ de l'indemnisation intégrale des victimes de FIE, sont donc allés dans la droite ligne des préconisations défendues par la Cour de cassation.

Par ces arrêts, la Cour de cassation a « dit clairement que la réparation n'[était] pas au niveau, et de loin », selon la CGT. Le revirement de jurisprudence sur le caractère dual de la rente a donc eu un effet catalyseur sur la prise de conscience, par les partenaires sociaux, de la nécessité de revaloriser les rentes AT-MP.

Le 15 mai 2023, soit quatre mois seulement après le revirement de jurisprudence, les partenaires sociaux ont signé, à l'unanimité, un accord national interprofessionnel (ANI) sur la branche AT-MP. Celui-ci préconise que « les moyens de la branche AT-MP, et notamment ses excédents, soient effectivement consacrés à accroître très significativement les moyens de prévention et à améliorer les modalités de réparation et d'accompagnement des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles ».

Cet engagement des partenaires sociaux pour une revalorisation des prestations d'incapacité permanente s'est accompagné d'un appel au législateur à « prendre toutes les mesures nécessaires afin de garantir que la nature duale de la rente AT-MP ne soit pas remise en cause », qui impliquait, nécessairement, de revenir sur les arrêts de la Cour de cassation du 20 janvier 2023 et de limiter la réparation des victimes reconnues en FIE. En effet, pour mémoire, affirmer que la rente présente un caractère dual revient à dire qu'elle indemnise le déficit fonctionnel permanent et, donc, en vertu du principe de non double indemnisation, que celui-ci ne peut être indemnisé intégralement par l'employeur en cas de FIE.

Les partenaires sociaux, et en tête les organisations d'employeurs, craignaient en effet que l'ampleur nouvelle donnée à la réparation complémentaire en cas de FIE n'incite davantage de salariés à ester en justice, provoquant ainsi une judiciarisation du contentieux AT-MP à rebours des principes du compromis social.

La CPME déplorait, en outre, les risques de faillite pour les employeurs condamnés en FIE à verser des indemnités pouvant atteindre plusieurs centaines de milliers d'euros. Cette crainte est toutefois relativisée par la Direction de la sécurité sociale, qui rappelle que « la grande majorité des employeurs sont assurés pour la FIE (garantie incluse dans les contrats de responsabilité civile généralement). Les assureurs prennent donc en charge ce risque, et le dépassement des franchises est rare : on estime que sur l'année 2023, 50 sinistres ayant conduit à une reconnaissance en FIE ont conduit à des dépassements de franchises. Le risque de faillites est donc limité ».

(b) L'article 39 du PLFSS pour 2024 : une tentative de prise en compte de la demande des partenaires sociaux avortée car déséquilibrée et dissensuelle

Entendant retranscrire la demande des partenaires sociaux pour « agir pour une juste réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles » et réaffirmer la nature duale de la rente, le Gouvernement prévoyait de réformer les modalités de calcul de la rente AT-MP avec l'article 39 du PLFSS pour 2024.

Toutefois, le déséquilibre entre les atteintes aux intérêts des assurés en FIE (qui n'auraient plus pu bénéficier de la réparation intégrale du déficit fonctionnel permanent) et les bénéfices attendus de la mesure dans les autres cas ont suscité la colère des associations de victimes, qui l'ont qualifiée de « farce sociale ». En effet, l'étude d'impact de l'article ne prévoyait qu'un effort financier modique pour la branche (10 millions d'euros en 2025), et la rédaction de l'article rendait particulièrement incertaines les améliorations annoncées pour les victimes : l'article 39 renvoyait à la voie réglementaire la fixation des paramètres des modes de calcul de l'indemnisation, sans associer les partenaires sociaux ni les associations de victimes.

Dénoncé par les organisations syndicales en ce qu'il ne traduisait pas de manière sincère la volonté exprimée par les partenaires sociaux dans l'ANI, l'article 39 a finalement été retiré du texte, non sans avoir suscité d'importantes tensions entre les partenaires sociaux.

La commission des affaires sociales du Sénat avait alors déploré « une réforme mal comprise et inapplicable en l'état », pointant du doigt le « manque de préparation évident de cette réforme par le Gouvernement ».

Cette réforme avortée a d'ailleurs été à l'origine du présent rapport : la commission avait appelé les parties prenantes « à maintenir le dialogue pour dégager, par la négociation, une position commune sur le devenir de la rente AT-MP, qui puisse, sinon satisfaire, convenir à toutes les parties, y compris les associations de défense des victimes ».

(c) L'attachement de la majorité des partenaires sociaux à la revalorisation des prestations d'incapacité permanente perdure

Les partenaires sociaux conviennent que le niveau de rente est « jugé insuffisant selon les situations au regard des préjudices subis par les victimes d'AT-MP, avec un risque de bascule dans la précarité »177(*).

L'ensemble des partenaires sociaux à l'exception de la CPME, interrogés par les rapporteures, ont évoqué, sous des modalités différentes, leur attachement à proposer une solution afin d'améliorer les conditions d'indemnisation de l'incapacité permanente.

Ainsi, à la question de l'amélioration de la réparation des AT-MP, la CFTC répond « oui, deux fois oui ». De son côté, la CFDT a appelé à « agir pour une réparation plus juste » en se positionnant « pour une amélioration des rentes AT-MP », ce qu'elle croit être une « mesure de justice sociale ». Pour Force Ouvrière, « l'amélioration de la réparation des AT-MP est une priorité absolue ! ».

La CFE-CGC souhaite quant à elle « utiliser les excédents de la branche AT-MP pour améliorer la réparation ». Elle estime en effet que le besoin DECONTESTER « devant les juridictions de la sécurité sociale, le niveau de réparation et les préjudices indemnisés » traduit que « le niveau d'indemnisation ainsi que le champ des préjudices indemnisés n'est pas suffisant ».

Pour la plupart des organisations syndicales, cet objectif est cohérent avec le rétablissement de la dualité de la rente : la CFDT n'a « pas d'opposition de principe [...] pour créer une rente véritablement duale », tandis que Force Ouvrière souhaite utiliser la dualité de la rente pour améliorer « aussi bien [...] l'indemnisation du préjudice professionnel que [...] l'indemnisation des préjudices extra-professionnels ».

Certaines organisations syndicales ont même fait de la majoration substantielle de la réparation la condition sine qua non au rétablissement du caractère dual de la rente, réclamé par les organisations d'employeurs. Ainsi, la CGT défend que « le caractère dual de la rente ne pourra être conservé que si le niveau de réparation s'améliore ».

Les organisations professionnelles d'employeurs soutiennent également le principe d'une amélioration de la réparation.

Le Medef indique qu'il « est envisageable et même souhaitable d'améliorer la réparation des AT-MP », tout en précisant que « cette amélioration devra bien évidemment s'effectuer dans un cadre budgétaire responsable ». L'U2P rappelle également son attachement à l'objectif des « partenaires sociaux [...] d'améliorer l'indemnisation des victimes ».

La confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) se montre nettement plus réservée : elle considère en effet que l'idée des deux derniers ANI était « d'utiliser principalement l'excédent de la branche pour améliorer notoirement et financer de manière conséquente les actions de prévention (et non de réparation) des AT-MP » et défend, compte tenu du « niveau abyssal » du déficit, qu'il ne « s'agit aucunement de mettre en place de nouvelles mesures dépensières ».

Sur ces bases, les négociations ont repris entre les partenaires sociaux pour aboutir à « une amélioration de la réparation, dont les contours sont [...] dessinés dans le cadre d'un groupe de travail »178(*) qui a procédé à des auditions et a bénéficié de l'appui technique de la DSS et des services de la DRP de la Cnam.

d) La proposition des partenaires sociaux

Dans le cadre du comité de suivi de l'ANI, les partenaires sociaux ont publié, fin juin 2024, un relevé de décisions listant les mesures préconisées pour réformer l'indemnisation des victimes d'AT-MP présentant une incapacité permanente. À l'exception de la CGT, l'ensemble des syndicats représentatifs à l'échelle nationale en sont signataires.

Les négociations entre partenaires sociaux ont abouti à un équilibre consistant, comme ils le préconisaient dans l'ANI du 15 mai 2023, à réaffirmer la nature duale des prestations d'incapacité permanente AT-MP : ils souhaitent donc que la rente couvre à nouveau à la fois le préjudice fonctionnel et le préjudice professionnel.

Cette décision irait à l'encontre des intérêts des victimes de faute inexcusable de l'employeur en faisant sortir le déficit fonctionnel permanent des postes de préjudice indemnisés intégralement après reconnaissance de la FIE, le plus souvent sur décision du juge. Elle répondrait aux attentes des organisations professionnelles d'employeurs, qui craignaient un regain d'attractivité de la FIE, une judiciarisation de la réparation des AT-MP et des faillites pour les petites entreprises condamnées à verser des montants pouvant atteindre la centaine de milliers d'euros.

En contrepartie, les partenaires sociaux préconisent deux mesures principales.

(1) Une revalorisation importante de la rente AT-MP par l'intégration effective du déficit fonctionnel permanent dans le montant versé

Les partenaires sociaux signataires préconisent de modifier les modalités de calcul de la rente AT-MP. Celle-ci serait désormais composée d'une part professionnelle et d'une part fonctionnelle :

· La part professionnelle viserait à indemniser la perte de gains ou de capacité d'obtenir des gains professionnels futurs. Elle serait calculée dans les mêmes conditions que la rente dans son ensemble aujourd'hui, c'est-à-dire comme le produit entre le taux d'incapacité utile et le salaire utile. Toutefois, pour des situations professionnelles particulières, la part professionnelle pourrait être majorée.

· La part fonctionnelle viserait à compenser le déficit fonctionnel permanent, tel que défini dans la « nomenclature Dintilhac179(*) ». Il serait calculé comme un produit entre le taux d'incapacité réel et une fraction (les partenaires sociaux signataires préconisent 50 %) de la valeur d'un point d'incapacité. Le montant de la part fonctionnelle de la rente serait donc strictement proportionnel au degré d'incapacité, et ne dépendrait aucunement du salaire - cela répondrait donc à l'observation de la Cour de cassation qui avait justifié qu'elle revienne sur le caractère dual de la rente. Il est à noter que le taux d'incapacité retenu dans ce calcul diffère du taux d'incapacité professionnel utilisé pour le calcul de la part professionnelle : le taux d'incapacité fonctionnel sera ainsi déterminé en fonction du barème du concours médical, et prendra en compte les souffrances permanentes et les troubles dans les conditions d'existence.

Les partenaires sociaux ont chiffré à 13 millions d'euros par an la montée en charge annuelle liée à la revalorisation de la rente : celle-ci n'affectant que le flux de nouveaux entrants, son impact sur le stock de rentes à verser serait donc d'abord marginal. Toutefois, la revalorisation conduirait à augmenter le montant des rentes de 392 millions d'euros d'ici 30 ans.

De la même manière que pour la rente, les partenaires sociaux prévoient que le versement en capital présente un caractère dual et soit scindé en une part professionnelle et en une part fonctionnelle.

Contrairement à la rente, la montée en charge serait immédiate pour l'indemnité en capital dès lors que son montant est versé en une fois. Les partenaires sociaux prévoient ainsi que le coût afférent soit de 107 millions d'euros : il s'agirait là d'un quasi doublement du poids des indemnités en capital, représentant aujourd'hui 115 millions d'euros.

(2) La possibilité, pour les victimes d'AT-MP présentant un taux d'incapacité élevé, de capitaliser une partie de la rente

Le relevé de décisions prévoit une nouveauté sur la rente AT-MP : la possibilité, pour les victimes d'AT-MP dont le taux d'incapacité excède 50 %, de « capitaliser » tout ou partie de la part fonctionnelle de leur rente - c'est-à-dire de renoncer au versement tous les mois d'un certain montant pour bénéficier, à la place, d'un unique versement, d'un montant plus conséquent. Dans l'esprit des partenaires sociaux, « le montant du capital est déduit à due proportion du montant de la part fonctionnelle, et donc du montant final de la rente ».

Par défaut, le déficit fonctionnel serait donc indemnisé par la rente, mais, sur option et sous conditions, il pourrait donc être indemnisé en capital. Seule la part fonctionnelle de la rente pourrait faire l'objet d'une capitalisation, la part professionnelle devant être indemnisée sous forme de rente en tout état de cause.

Dans l'esprit des partenaires sociaux, le montant « capitalisé » ne pourra pas excéder le montant du plafond annuel de la sécurité sociale, soit 46 368 euros.

Cette possibilité vise à donner des marges de manoeuvre financières rapides aux victimes d'AT-MP dont la pathologie exige des investissements lourds, par exemple pour adapter le domicile.

La capitalisation de la rente coûterait entre 20 et 30 millions d'euros en 2025 : il ne s'agit toutefois pas véritablement de dépenses supplémentaires mais plutôt d'une avance de décaissement, la sortie en capital étant en moyenne compensée par la minoration de la rente future.

3. Aller vers une réparation plus protectrice de l'incapacité permanente tout en restant fidèle aux principes fondateurs de la branche
a) Le compromis historique de la branche AT-MP doit être préservé

L'accord national interprofessionnel du 15 mai 2023 a permis une « réaffirmation de l'attachement des partenaires sociaux au compromis social qui fonde la branche AT-MP », une position confirmée par les auditions conduites par les rapporteures.

Les rapporteures rappellent également leur soutien résolu à ce compromis historique, qui permet aux victimes d'accident du travail et de maladies professionnelles de bénéficier d'une réparation rapide et plus facile d'accès que devant le juge.

Les bénéfices du compromis historique pour les salariés proviennent du caractère amiable de la procédure, qui ne saurait être assimilé autrement que comme une protection pour toutes les parties impliquées, et doit impérativement être préservé.

Les employeurs autant que les employés auraient en effet beaucoup à perdre d'un système plus judiciarisé, dans lequel la réparation serait plus incertaine, mais surtout beaucoup plus lente - d'autant qu'il existe un risque non négligeable d'engorgement des tribunaux dans une telle hypothèse.

À titre d'exemple, la direction des risques professionnels de la Cnam rappelle que « s'agissant du délai moyen de traitement judiciaire des cas de faute inexcusable de l'employeur, sur les décisions juridictionnelles reconnaissant une FIE définitives en 2023, le délai entre la demande de reconnaissance et cette décision est en moyenne de 1 561 jours c'est-à-dire 4,3 ans ». Il n'est donc souhaitable ni pour l'employeur, ni pour l'employé que le système évolue dans le sens d'une judiciarisation accrue.

Aujourd'hui, plus de 95 % des demandes se font par la voie amiable. Cet équilibre entre la réparation amiable et la réparation contentieuse doit être préservé, la procédure amiable rester la règle, et la procédure en faute inexcusable de l'employeur, l'exception.

Or les arrêts de la Cour de cassation datés du 20 janvier 2023 ont créé un écart considérable entre la réparation qu'il est possible d'obtenir par la voie amiable et celle qu'il est possible d'obtenir par le contentieux, en attaquant l'employeur en justice au titre de sa faute inexcusable.

Il convient, comme ce rapport s'est attelé à le démontrer, de prendre acte de l'évolution du droit vers une réparation intégrale et d'améliorer, pour cette raison, la réparation de la FIE.

Pour autant, cette progression de la réparation en FIE ne doit pas être déconnectée d'une amélioration de la réparation amiable. Les rapporteures estiment en effet qu'en créant un tel écart entre les deux voies de réparation, la solution retenue par la Cour de cassation porte en elle un risque de judiciarisation des AT-MP, qu'il convient pourtant d'essayer de limiter pour que perdure l'esprit du compromis historique.

Or, malgré les excédents financiers de la branche, il n'apparaît pas soutenable financièrement de revaloriser les rentes à un tel point que l'équilibre entre voie amiable et voie contentieuse puisse être conservé compte tenu de la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation.

Pour cette raison, la Mecss estime qu'il est nécessaire, comme le demandent les partenaires sociaux, de consacrer législativement la dualité de la rente. Ce retour à la dualité de la rente doit s'accompagner, compte tenu de l'insuffisance des prestations d'incapacité permanente de la branche, d'une revalorisation conséquente des rentes servies.

En outre, et compte tenu du consensus entourant l'insuffisance de l'indemnisation en faute inexcusable face à l'extension continue du champ de la réparation intégrale, les rapporteures estiment qu'il est essentiel que les victimes de faute inexcusable de l'employeur fassent l'objet d'un traitement particulier et soient, en tout état de cause, mieux loties qu'avant le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation.

b) La proposition des partenaires sociaux permettrait une revalorisation significative des rentes AT-MP, à la hauteur des besoins

Les rapporteures ont pris connaissance de la position des partenaires sociaux, consistant en une réaffirmation de la dualité de la rente et en une refonte de ses modalités de calcul, avec la consécration d'une part professionnelle et d'une part fonctionnelle.

Les rapporteures souscrivent à l'esprit de la proposition des partenaires sociaux, et appellent le Gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour en assurer une retranscription législative rapide.

Il importe, pour les rapporteures, que soit réaffirmée la nature duale de la rente.

La solution retenue par la Cour de cassation, actant que la rente ne revêt qu'un caractère professionnel, aboutit à une conclusion insatisfaisante : le déficit fonctionnel permanent peut être indemnisé par le juge en cas de FIE, mais une victime d'AT-MP sans faute inexcusable de l'employeur n'a aujourd'hui aucun moyen de se voir indemniser ce poste de préjudice.

Cela constitue une incongruité dans un contexte juridique marqué par la considération accrue accordée, dans le droit de la réparation, au déficit fonctionnel.

Les rapporteures souscrivent donc à la volonté des partenaires sociaux que la rente couvre symboliquement non seulement les pertes professionnelles, mais également les pertes fonctionnelles liées au sinistre : elles saluent donc la proposition des partenaires sociaux, qui permet de couvrir et de distinguer clairement les deux postes de préjudice, avec des modalités de calcul propres - le déficit professionnel étant proportionnel au salaire, et le déficit fonctionnel au degré d'incapacité.

Elles soutiennent donc la réaffirmation de la nature duale de la rente.

Les rapporteures saluent le niveau d'investissement retenu par les partenaires sociaux pour la revalorisation des rentes, de l'ordre de 400 millions d'euros après montée en charge : il s'agit là d'une revalorisation conséquente, à la hauteur des besoins exprimés, qui constitue un signal fort de soutien pour les victimes d'AT-MP. À titre de comparaison, cet effort est 60 % plus important que celui annoncé dans l'étude d'impact de l'article 39.

Interrogée à ce sujet, l'Andeva estime que la solution retenue par les partenaires sociaux « représente une amélioration notoire en termes d'indemnisation des victimes atteintes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle par rapport à feu l'article 39 du PLFSS », bien qu'elle regrette que l'effort financier prévisionnel de la branche ne soit pas supérieur.

Cet investissement contribuera à ce que les victimes d'AT-MP ne figurent plus, comme aujourd'hui, parmi les moins protégées.

Le mode de calcul de la rente tel que préconisé par les partenaires sociaux est assez similaire à celui qui avait été retenu dans l'article 39 du PLFSS pour 2024, avec la scission de la rente en deux montants, représentant l'un la part professionnelle, et l'autre la part fonctionnelle.

Pour autant, le niveau d'investissement de la branche et le degré de certitude sur la revalorisation attendue sont sans commune mesure. En effet, le projet du Gouvernement prévoyait que le niveau des parts professionnelles et fonctionnelles soit inférieur à celui préconisé par les partenaires sociaux. Il prévoyait en particulier que la part professionnelle corresponde à une fraction du montant de la rente pré-réforme. Par conséquent, la réforme de l'article 39 aurait pu faire des perdants.

Une refonte des modalités de calcul de l'indemnisation permanente pour inclure une part fonctionnelle semble faire consensus, la Fnath proposant « d'introduire, en sus de la rente indemnisant le volet professionnel, et sous forme de capital, au sein de l'indemnisation des conséquences d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, la part personnelle des préjudices subis, sans discrimination entre les victimes, quel que soit le taux d'incapacité retenu ».

Il importera, bien sûr, de veiller à ce qu'aucune victime d'accident du travail ne voie sa rente diminuer en application de ce nouveau mode de calcul. La création d'une part fonctionnelle en sus d'une part professionnelle dont les modalités de calcul seraient similaires à celles de la rente entière aujourd'hui devrait toutefois aboutir à ce que l'ensemble des accidentés du travail souffrant d'une incapacité permanente soient mieux lotis demain.

Comme l'indique l'Andeva, cela nécessitera, à des fins de clarté, de sécuriser le droit des retraités à toucher la part professionnelle d'une rente nouvellement accordée, ou de continuer à toucher la part professionnelle d'une rente accordée lors de la carrière professionnelle.

Proposition n° 10 : Réaffirmer la nature duale de la rente et refondre ses modalités de calcul en actant, conformément à la proposition des partenaires sociaux, la définition d'une part professionnelle dépendant du salaire et d'une part fonctionnelle dépendant du taux d'incapacité, en s'assurant que le nouveau mode de calcul soit plus favorable que le précédent dans toutes les configurations possibles et constitue un effort de la branche d'environ 400 millions d'euros par an, à terme.

Dans la vision de la Fnath, l'indemnisation du DFP par la branche devrait toutefois se faire en capital, tandis que les partenaires sociaux proposent de l'inclure dans la rente et de pouvoir transformer une partie de la rente en capital, sous conditions. Dans les faits, certaines victimes d'AT-MP pourront donc, sous conditions, décider de transformer en capital immédiat une partie de l'indemnisation de leur DFP par la rente. Dans cette configuration, la rente perçue après versement du capital serait réduite.

La possibilité de capitaliser une partie de sa rente, nouveauté proposée par les partenaires sociaux, aura un rôle particulièrement important dans la prise en charge des victimes de sinistres présentant des forts taux d'incapacité permanente, en leur ouvrant la possibilité de percevoir un afflux financier rapide afin de répondre aux besoins immédiats d'adaptation de leur environnement.

Les rapporteures estiment que la possibilité de capitaliser une partie sa rente constitue déjà une première innovation intéressante, qui - si elle est plébiscitée - pourrait à terme être étendue, mais il leur semblerait précipité de consacrer une indemnisation versée par défaut en capital pour le DFP pour l'ensemble des victimes d'AT-MP, comme le propose la Fnath. Elles appellent donc, comme les partenaires sociaux, à ce que l'indemnisation de l'incapacité fonctionnelle soit versée par défaut sous forme de rente, et, sur option et sous condition de taux d'incapacité suffisant, sous forme de capital.

Proposition n° 11 : Conformément à la proposition des partenaires sociaux, instaurer la possibilité, pour les victimes d'AT-MP présentant une incapacité permanente lourde, de capitaliser une partie de la rente.

Les rapporteures seront également attentives aux modalités de définition du taux d'incapacité retenu pour le calcul de la part fonctionnelle - celui-ci n'étant, dans l'esprit des partenaires sociaux, pas calculé de la même manière que le taux d'IPP actuel mais à partir du barème du concours médical. Le taux d'incapacité professionnelle devra rester le même que le taux d'IPP actuel afin de « sanctuariser les acquis », selon l'Andeva.

Un soin particulier devra être accordé à la sensibilisation et à l'information des médecins susceptibles de les déterminer afin d'assurer une application uniforme sur l'ensemble du territoire. La formation sera d'autant plus nécessaire que le relevé de décisions du comité de suivi de l'ANI note que « le barème du concours médical laisse une appréciation significative à la main du médecin-conseil quant aux différentes composantes du DFP ». La Fnath estime également qu'en toute hypothèse « la formation est impérative étant précisé qu'une évolution du barème profonde et très technique est nécessaire », tandis que l'Andeva considère que la nécessité de former spécifiquement les médecins à ces enjeux « va de soi ».

c) La proposition des partenaires sociaux ne répond toutefois pas pleinement aux enjeux concernant les victimes de faute inexcusable de l'employeur

Si les rapporteures estiment que la proposition des partenaires sociaux répond aux besoins pour les victimes d'AT-MP de droit commun, elles considèrent qu'elle ne répond pas pleinement aux enjeux concernant les victimes de faute inexcusable de l'employeur.

La réaffirmation de la dualité de la rente, qui est souhaitable pour les victimes de droit commun et pour moderniser la politique d'indemnisation de la branche, a, selon les rapporteures, pour corollaire nécessaire une diminution des possibilités d'indemnisation de court terme des victimes de faute inexcusable.

En effet, dès lors que le déficit fonctionnel permanent est couvert forfaitairement par la rente, il ne peut plus faire l'objet d'une indemnisation intégrale sur décision du juge en vertu du principe de non double indemnisation.

Si la Fnath défend à la fois l'introduction d'une indemnisation fonctionnelle par la branche hors cas de FIE et le maintien de l'indemnisation intégrale des victimes de FIE sur ce poste de préjudice, les rapporteures restent attachées au principe de non double indemnisation, dont la remise en cause constituerait un précédent susceptible d'engendrer des conséquences dépassant largement le cadre des AT-MP. Les rapporteures n'estiment donc pas opportun d'ouvrir la possibilité de faire indemniser au contentieux un poste de préjudice déjà indemnisé par la rente.

Les victimes de FIE bénéficient, aujourd'hui :

- d'une rente majorée couvrant le seul déficit professionnel (revenu de long terme) ;

- de l'indemnisation intégrale en capital du déficit fonctionnel permanent (revenu de court terme) ;

- de l'indemnisation intégrale en capital des autres postes de préjudice non indemnisés par la rente : préjudice d'agrément, préjudice esthétique notamment (revenu de court terme).

Les victimes de faute inexcusable de l'employeur bénéficieraient, dans l'esprit des partenaires sociaux, de la revalorisation des rentes applicable à toutes les victimes d'AT-MP. Elles en bénéficieraient même d'autant plus que les montants de rentes perçus par les victimes de FIE sont majorés par rapport aux victimes de droit commun, et que les partenaires sociaux ont émis le souhait que tant la part professionnelle que la part fonctionnelle de la rente soient majorées en cas de FIE.

Les victimes de FIE bénéficieraient donc, dans la vision des partenaires sociaux :

- d'une rente duale versée par la branche indemnisant forfaitairement le déficit professionnel et le DFP, avec une part fonctionnelle et professionnelle majorées (revenu de long terme supérieur à celui perçu aujourd'hui) ;

- pour les victimes présentant un taux d'IPP supérieur à 50 % qui le souhaitent, de l'indemnisation en capital d'une partie de leur déficit fonctionnel permanent, dans la limite de 46 368 euros (revenu de court terme pouvant être inférieur à celui perçu aujourd'hui). Ce choix induit une diminution du montant de la rente à due concurrence ;

- de l'indemnisation intégrale des postes de préjudice non indemnisés par la rente, versée sous forme de capital : préjudice d'agrément, préjudice esthétique notamment (revenu de court terme égal à celui perçu aujourd'hui).

Si le Medef n'est « pas d'accord avec l'affirmation selon laquelle les victimes de FIE seraient nécessairement perdantes avec la réforme souhaitée », force est toutefois de constater que - au moins à court terme - l'indemnisation des victimes non éligibles à la capitalisation de la rente pourra être moins importante, puisque le DFP, aujourd'hui indemnisé intégralement dans le court terme, sera indemnisé long-terme, par la rente, en règle générale180(*).

Les rapporteures estiment que l'avancée attendue sur les revenus de long terme ne suffit pas à répondre au besoin d'amélioration de la réparation des victimes de FIE - dont le faible niveau d'indemnisation suscite des interrogations selon les experts juridiques auditionnés alors même qu'ils sont tenus d'apporter la preuve de la faute de leur employeur.

Ainsi, les rapporteures préconisent deux voies d'amélioration complémentaires à celles évoquées par les partenaires sociaux pour les victimes de faute inexcusable de leur employeur. Celles-ci visent à améliorer les possibilités d'indemnisation de court terme ouvertes sur option à ces victimes, afin de les rapprocher au plus de leur situation actuelle. Compte tenu du nombre de cas de FIE reconnus chaque année, ces propositions sont pleinement compatibles avec la préservation de la bonne santé financière de la branche.

(1) Clarifier le champ des postes de préjudice indemnisables devant le juge : une nécessité pour assurer l'équité sur le territoire

La formulation de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale concernant le champ des préjudices qui, n'étant pas indemnisés par la rente, peuvent faire l'objet d'une réparation intégrale sur décision judiciaire en cas de faute inexcusable, est aujourd'hui particulièrement floue. En évoquant les « souffrances physiques ou morales par [la victime] endurées », qui - sans se confondre avec lui - recoupent la définition du déficit fonctionnel permanent, cette formulation est responsable de désaccords de lecture entre juridictions, se traduisant par une indemnisation différenciée sur le territoire, et parfois inéquitable.

Il convient donc de clarifier cette formulation et de déterminer, dans la loi, l'ensemble des champs de préjudices concernés par l'indemnisation intégrale en cas de FIE. En tout état de cause, afin de respecter le principe de non double indemnisation, ceux-ci ne devront inclure ni le déficit fonctionnel permanent après consolidation, ni les pertes de salaires encourues.

La définition de ces postes de préjudices devra associer les associations de victimes, afin de rapprocher la réparation AT-MP du droit commun : le poste de perte de chance de grossesse pourrait par exemple y figurer clairement.

Proposition n° 12 : Clarifier la formulation de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale en déterminant, sans équivoque et en impliquant les associations de victimes, les postes de préjudice pouvant faire l'objet d'une indemnisation intégrale dans le cadre d'une procédure en FIE.

(2) Ouvrir la capitalisation de la rente à toutes les victimes de FIE : une compensation de la perte de l'indemnisation intégrale du DFP

La couverture du déficit fonctionnel permanent par la rente plutôt que par l'employeur sur décision du juge impliquerait, pour les victimes de FIE, le passage d'un versement en capital unique à un versement moins important, mais viager.

La proposition des partenaires sociaux se traduirait donc en une hausse des revenus pérennes, mais par une possible baisse des revenus à court terme.

Pour limiter cette baisse des revenus de court terme, les rapporteures proposent de rendre tous les salariés victimes de FIE éligibles à la capitalisation de la part fonctionnelle de leur rente - une possibilité qui serait réservée aux victimes d'AT-MP sans FIE présentant un taux d'incapacité de 50 % ou plus.

Ainsi, toutes les victimes de FIE pourraient, sur option, décider de renoncer à une fraction de leur rente pour obtenir, dans l'immédiat, un versement en capital plus important - ce qui les rapprocherait de la situation dans laquelle elles sont placées depuis les arrêts de la Cour de cassation. Il s'agirait d'un véritable progrès pour les victimes, qui pourraient bénéficier de marges de manoeuvre financières élargies dans la foulée de la reconnaissance de leur FIE.

Si la Fnath n'est pas favorable à la solution retenue par les partenaires sociaux, elle indique toutefois que « la réparation d'un préjudice via la rente est par nature défavorable à une victime notamment les victimes les plus touchées dont l'espérance de vie est altérée. La victime doit pouvoir jouir de son indemnisation dès sa consolidation et tant qu'elle est vivante ». Introduire une réparation en capital sur option pour les victimes de FIE semble de nature à répondre à cette préoccupation, également partagée par l'Andeva qui considère que « si l'indemnisation est versée sous forme de capital, [le préjudice] sera justement répar[é] et la vertu préventive de la FIE ne sera plus vidée de sa substance ».

Certaines organisations syndicales défendent également ce principe, à l'image de la CFDT, « favorable à un droit à capitaliser une partie de la rente élargi » et de FO, « favorable à baisser le plancher d'IPP nécessaire pour capitaliser une partie de la rente pour les victimes de FIE [...] à la condition que ça ne mette pas en péril l'équilibre financier de la Branche ».

Proposition n° 13 : Ouvrir le droit à capitaliser une partie de sa rente à l'ensemble des bénéficiaires d'une rente reconnus victimes de FIE, et non pas aux seuls d'entre eux dont le taux d'incapacité permanente excède 50 %.

En outre, dès lors que les victimes d'une faute inexcusable de l'employeur bénéficient d'une rente majorée, il serait cohérent que la capitalisation de leur rente soit - elle aussi - majorée ; sans quoi ces dernières seraient nettement plus nombreuses à être confrontées au plafonnement de capitalisation que les victimes d'AT-MP sans FIE. Cet enjeu est donc d'autant plus important que les partenaires sociaux préconisent que la part fonctionnelle nouvellement créée fasse l'objet d'une indemnisation majorée en cas de FIE.

Par conséquent, les rapporteures préconisent, pour les seules victimes de FIE, de fixer le plafond que ne saurait dépasser le montant de rente capitalisée à une fois et demie le montant du Pass (soit 69 552 euros). Une telle mesure, défendue par certains syndicats181(*), permettrait ainsi d'augmenter, sur option, l'indemnisation de court terme des victimes de FIE, afin de rapprocher le régime préconisé de leur situation depuis le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation.

Proposition n° 14 : Fixer le plafond que ne saurait dépasser le montant de rente capitalisée à une fois et demie le montant du Pass (69 552 euros) pour les victimes de faute inexcusable de l'employeur, contre une fois ce montant pour les autres victimes.

Les victimes de FIE bénéficieraient donc, si ces propositions étaient mises en oeuvre :

- d'une rente duale versée par la branche indemnisant forfaitairement le déficit professionnel et le DFP, avec une part fonctionnelle et professionnelle majorées (revenu de long terme supérieur à aujourd'hui) ;

- sur simple option, de l'indemnisation en capital d'une partie de leur déficit fonctionnel permanent, dans la limite de 69 552 euros (revenu de court terme supérieur à la proposition des partenaires sociaux). Ce choix induit une diminution du montant de la rente à due concurrence ;

- de l'indemnisation intégrale des postes de préjudice non indemnisés par la rente, versée sous forme de capital : préjudice d'agrément, préjudice esthétique notamment ; avec, le cas échéant, de nouveaux postes indemnisables selon la rédaction retenue pour l'article L. 452-3 (revenu de court terme supérieur à la situation actuelle et à la proposition des partenaires sociaux).

Tableau récapitulatif de la situation des victimes de FIE

 

Avant le revirement de jurisprudence

Depuis le revirement de jurisprudence

Proposition des partenaires sociaux

Propositions du rapport

Déficit professionnel

Indemnisé forfaitairement par la rente AT-MP majorée

Indemnisé forfaitairement par la rente AT-MP majorée

Indemnisé forfaitairement par la rente AT-MP majorée

Indemnisé forfaitairement par la rente AT-MP majorée

Déficit fonctionnel permanent

Indemnisé forfaitairement par la rente AT-MP majorée

Indemnisé intégralement par le juge

Indemnisé forfaitairement par la rente AT-MP majorée et, pour les victimes présentant un taux d'IPP supérieur à 50 % et sur option, en capital (plafond à 46 368 euros) en contrepartie d'une diminution à due concurrence de la rente.

Indemnisé forfaitairement par la rente AT-MP majorée ou, sur option, en capital (plafond à 69 552 euros) en contrepartie d'une diminution à due concurrence de la rente

Autres postes de préjudice

Indemnisé intégralement par le juge

Indemnisé intégralement par le juge

Indemnisé intégralement par le juge

Indemnisé intégralement par le juge, avec le cas échéant de nouveaux postes de préjudice indemnisables

Revenus de court terme

Autres postes de préjudice

Déficit fonctionnel et autres postes de préjudice

Autres postes de préjudice et, sous condition et sur option, déficit fonctionnel

Autres postes de préjudice et déficit fonctionnel, sur option

Revenus de long terme

Déficit professionnel et déficit fonctionnel

Déficit professionnel

Déficit professionnel et tout ou partie du déficit fonctionnel indemnisable

Déficit professionnel et tout ou partie du déficit fonctionnel indemnisable

Source : Mecss

Les organisations patronales ont présenté aux rapporteures des inquiétudes sur la soutenabilité financière de ces propositions complémentaires : le Medef insiste sur le fait que « l'encadrement à un PASS est lui-même le fruit d'un compromis entre le souci d'amélioration de la situation des victimes mais aussi de prise en compte de la situation budgétaire de la Branche AT-MP » tandis que la CPME estime qu'« un versement en capital plus systématique ou majoré pourrait aussi mettre en péril la viabilité économique du système d'indemnisation de la branche AT-MP tel qu'il est conçu ».

Les rapporteures entendent ces préoccupations, mais estiment que ces mesures équilibrées et nécessaires pour garantir l'équité de la réforme pour les victimes de FIE ne présentent aucun risque pour la soutenabilité financière des dépenses de la branche.

À la fois au vu des faibles effectifs de salariés concernés (1 600 cas par an au plus dès lors que tous les assurés concernés n'y recourraient pas), la Mecss estime que le coût associé aux propositions n° 13 et n° 14 devrait être compris entre 50 et 75 millions d'euros en avance de trésorerie - un montant à comparer à l'excédent annuel de la branche, de l'ordre du milliard d'euros. Une partie considérable de ce montant sera, en outre, récupérée sous forme de moindres dépenses futures, puisque la capitalisation de la rente a pour contrepartie la diminution du montant des rentes ultérieures versées.

d) Faire dépendre l'indemnité en capital du salaire : un enjeu de clarté

Les rapporteures souscrivent pleinement aux préconisations des partenaires sociaux concernant l'évolution de l'indemnité en capital versée aux victimes d'AT-MP dont le taux d'incapacité permanente est inférieur à 10 %.

Le montant versé, pour solde de tout compte, n'est, de l'avis des associations de victimes, « jamais à la hauteur des préjudices subis », une opinion que partagent les rapporteures.

Il importait donc de prendre des mesures fortes afin de revaloriser l'indemnité en capital, ce dont les partenaires sociaux ont pris conscience. En conférant un caractère dual à l'indemnité en capital, les partenaires sociaux créent une part fonctionnelle de l'incapacité en capital, qui - venant s'ajouter au montant actuel - représente un investissement de plus de 100 millions d'euros. Une telle évolution conduirait presque à doubler, dès 2025, le montant total versé par la branche au titre des indemnités en capital. Dès lors, on peut imaginer que la proposition des partenaires sociaux réponde à la préoccupation de la Fnath, qui « propose de majorer de manière conséquente les montants des indemnités en capital [...] pour les petits taux ».

Les rapporteures souscrivent à cette proposition.

Proposition n° 15 : Conformément à la proposition des partenaires sociaux, conférer un caractère dual à l'indemnité en capital et consacrer une part fonctionnelle de l'indemnité en capital calculée pour représenter un investissement d'une centaine de millions d'euros en 2025.

Toutefois, par mesure de cohérence, il semble difficilement concevable que la part dite « professionnelle » de l'indemnité en capital ainsi réformée puisse être, comme aujourd'hui, déterminée sur une base forfaitaire ne prenant nullement en compte le salaire.

En effet, l'objet de cette part professionnelle est de proposer une réparation partielle des pertes de salaires encourues du fait du sinistre, or celle-ci dépend bien sûr du salaire de chaque victime. Afin de consolider le dispositif sur le plan juridique, les rapporteures suggèrent donc de faire dépendre la part professionnelle de l'indemnité en capital du salaire.

L'objectif des partenaires sociaux étant de revaloriser l'indemnité en capital, il convient que - quelle que soit la situation - ce nouveau mode de calcul bénéficie aux assurés. C'est pourquoi le montant forfaitaire actuellement versé pourrait devenir le montant plancher de la part professionnelle de l'indemnité en capital, quel que soit le salaire passé de l'assuré. La mission estime que cette proposition pourrait représenter un surcoût de l'ordre de 50 millions d'euros pour la branche - mais celui-ci dépend largement des modalités retenues pour faire intervenir le salaire dans la détermination de l'indemnité en capital versée.

Proposition n° 16 : Faire dépendre la « part professionnelle » de l'indemnité en capital du salaire de l'assuré afin de consolider le dispositif sur le plan juridique et la fixer, au minimum, au niveau actuel de l'indemnité en capital associé à chaque taux d'incapacité.

C. AMÉLIORER L'ACCOMPAGNEMENT DES VICTIMES D'AT-MP

1. Renforcer l'aide humaine au bénéfice des victimes d'AT-MP
a) La prestation complémentaire pour recours à tierce personne : une majoration de la rente ouverte, sous des conditions restrictives, aux victimes ayant besoin d'aide humaine

Outre la réparation des déficits professionnel et fonctionnel, la branche AT-MP compense, dans certains cas, une partie des coûts liés à l'aide humaine pour les victimes présentant une incapacité permanente et dont le niveau d'autonomie le justifie.

La branche verse ainsi une prestation complémentaire pour recours à tierce personne (PCRTP) lorsque la victime « est dans l'incapacité d'accomplir seule les actes ordinaires de la vie »182(*). Il s'agit d'une majoration du montant de la rente, non imposée. Dans les faits, la PCRTP est versée aux victimes d'AT-MP dont le taux d'incapacité permanente excède 80 % et qui sont dans l'incapacité d'effectuer seules au moins trois des dix actes suivants183(*) :

- se lever et se coucher ;

- se lever d'un siège et s'y asseoir ;

- se déplacer dans son logement, y compris en fauteuil roulant ;

- s'installer dans son fauteuil roulant et en sortir ;

- se relever en cas de chute ;

- quitter son logement en cas de danger ;

- s'habiller et se déshabiller totalement ;

- manger et boire ;

- aller uriner et aller à la selle sans aide ;

- mettre son appareil orthopédique (si nécessaire).

Le médecin-conseil est chargé de l'appréciation du nombre d'actes pour lesquels une assistance est nécessaire.

Le montant de PCRTP est déterminé forfaitairement, sur la base du nombre d'actes qu'il est impossible de réaliser seul : il est donc susceptible d'évoluer à la hausse ou à la baisse en cas d'évolution de l'autonomie de la victime indemnisée184(*). Son montant185(*), revalorisé chaque année au 1er avril dans les mêmes conditions que la rente, est, au 1er avril 2024, de :

- 633,26 euros par mois si la victime est dans l'incapacité d'accomplir seule trois ou quatre actes de la vie courante ;

- 1 266,56 euros par mois si la victime est dans l'incapacité d'accomplir seule cinq ou six actes de la vie courante ;

- 1 899,87 euros par mois si la victime est dans l'incapacité d'accomplir seule au moins sept actes de la vie courante ou en cas de troubles neuropsychiques présentant un danger pour la victime ou autrui.

Cette prestation, créée en 2013, a remplacé l'ancienne majoration pour tierce personne (MTP), calculée selon des modalités différentes et mise en extinction. Les bénéficiaires de la MTP peuvent, sur option, demander le bénéfice de la PCRTP186(*).

b) La PCRTP, une prestation au montant insuffisant et aux conditions d'accès jugées trop restrictives

La PCRTP reste toutefois particulièrement critiquée par les associations de victimes pour son montant jugé insuffisant, et ses conditions d'accès, considérées comme trop restrictives.

(1) Des conditions d'accès inadaptées aux besoins

D'une part, la PCRTP est aujourd'hui limitée aux seules victimes d'AT-MP présentant un taux d'incapacité permanente supérieur à 80 %. Cette condition exclut, de fait, la grande majorité des victimes d'AT-MP du bénéfice de cette prestation.

D'une part, les victimes d'AT-MP présentant une incapacité temporaire en sont privées. Les rapporteures n'ayant pas obtenu suffisamment d'éléments sur les effectifs concernés, la durée ou la nature de leurs besoins en aide humaine, elles préconisent, dans un premier temps, d'expérimenter dans deux régions le versement d'une PCRTP aux victimes d'AT-MP en incapacité temporaire et nécessitant une aide humaine pour évaluer les besoins réels.

Proposition n° 17 : Expérimenter, dans deux régions, le versement d'une PCRTP aux victimes d'AT-MP en incapacité temporaire et nécessitant une aide humaine pour accomplir au moins trois actes de la vie courante.

D'autre part, en 2022, seuls 14 903 bénéficiaires d'une rente avaient un taux d'incapacité supérieur à 80 %, sur 1 215 446 rentiers au régime général. La grande majorité des victimes d'AT-MP présentant une incapacité permanente ne sont donc aujourd'hui pas éligibles à la PCRTP, même si elles sont dans l'incapacité de réaliser, seules, certains actes de la vie courante.

Pour répondre à cette situation, les partenaires sociaux préconisent, dans l'ANI du 15 mai 2023, de diminuer de 80 % à 40 % le taux d'incapacité permanente plancher pour l'éligibilité à la PCRTP - une mesure qui permettrait de faire bénéficier de cette majoration un certain nombre de victimes d'AT-MP ayant perdu de l'autonomie et nécessitant de l'aide humaine. En 2022, près de 70 000 bénéficiaires d'une rente AT-MP présentaient un taux d'incapacité compris entre 40 % et 80 % au régime général.

Toutefois, la conditionnalité du versement de la PCRTP à un taux d'incapacité minimal, quel qu'il soit, constitue déjà une curiosité dans la mesure où le besoin d'aide humaine est davantage corrélé au nombre d'actes de la vie courante qu'il est impossible de faire seul qu'au taux d'incapacité, une valeur composite qui ne vise pas prioritairement à quantifier ce besoin.

Le critère du taux d'IPP pourrait légitimement être retenu si le pouvoir règlementaire n'avait pas ajouté une condition d'éligibilité tenant au nombre d'actes de la vie courante qu'il est impossible de réaliser seul. L'existence de ce dernier critère, plus précis, semble rendre superfétatoire la condition du taux d'IPP.

Dès lors qu'un assuré ne pouvant assurer plusieurs actes de la vie courante a besoin d'une aide humaine, quel que soit son taux d'incapacité permanente, le nombre d'actes de la vie courante qu'il est impossible de réaliser seul devrait être la seule condition s'appliquant aux victimes d'AT-MP présentant une incapacité permanente pour bénéficier de la PCRTP.

Il est d'ailleurs remarquable qu'aucune condition quant au taux d'incapacité ou d'invalidité ne s'applique pour le versement de la prestation de compensation du handicap (PCH).

(2) Une prestation qui ne compense que partiellement les besoins en aide humaine

Le montant de la PCRTP est également au coeur des revendications des associations de victimes, qui estiment que la branche « compense de manière très médiocre » les besoins en aide humaine.

En effet, le montant de la PCRTP n'est pas défini sur la base des besoins réels caractérisés par le nombre d'heures d'aide humaine requis chaque mois, mais forfaitairement en fonction du nombre d'actes de la vie courantes qu'il est impossible de réaliser seul.

Dès lors, la PCRTP est « pénalisante pour les victimes dont les besoins en aide humaine sont les plus importants, car le forfait attribué par la CPAM ne permet pas de financer l'intégralité des besoins », selon la Fnath, qui estime que le montant maximal de PCRTP correspond au coût d'une aide humaine de deux à trois heures par jour - là où le besoin journalier d'aide humaine peut excéder douze heures par jour chez certains assurés.

L'insuffisance de la PCRTP pour les victimes d'AT-MP nécessitant le plus d'aide humaine conduit, selon la Fnath, à ce que celles-ci se tournent vers la PCH, financée par la branche autonomie et par les départements, pour la prise en charge du reliquat de leurs besoins en aide humaine.

En effet, la PCH « aide humaine » diffère de la PCRTP dans sa philosophie : elle ne consiste pas en un forfait mensuel, mais en une prise en charge de chaque heure d'aide humaine, à taux plein ou à taux partiel de 80 % en fonction des revenus de l'assuré187(*). La PCH permet donc de mieux coller aux besoins réels des assurés, qui ne sont indemnisés qu'à proportion des heures d'aide humaine qui leur ont effectivement été apportées.

Si aucune donnée consolidée n'a pu être fournie à la Mecss pour étayer l'ampleur du phénomène, la Fnath affirme que « la quasi-intégralité des besoins en aide humaine des victimes du travail est financée et supportée, en réalité, par la CNSA et les collectivités locales au moyen de la prestation de compensation du handicap » dans son volet « aide humaine ».

Il est certain que - de la même manière qu'il revient à la branche AT-MP de financer les prestations en nature versées aux victimes - il devrait revenir à cette même branche de financer leurs besoins en aide humaine.

Il est donc difficilement compréhensible, particulièrement compte tenu de la situation excédentaire de la branche AT-MP, que l'effort de financement en ce sens soit déséquilibré et puisse reposer sur la branche autonomie et sur les départements : cela appelle un rééquilibrage et, pour ce faire, une réforme de la PCRTP, dont l'architecture apparaît moins pertinente que celle de la PCH.

Ce constat est, semble-t-il, partagé par les partenaires sociaux, qui proposent, dans le relevé de décisions du comité de suivi de l'ANI du 15 mai 2023, une « revalorisation du niveau des aides [humaines] vers [celui de la] PCH ».

Les rapporteures souscrivent à cette orientation : elles estiment que l'architecture de la PCRTP doit être repensée, sur le modèle de la PCH, pour mieux coller aux besoins réels en aide humaine des assurés et assurer un rééquilibrage de l'effort de financement des besoins en aide humaine par une implication accrue de la branche AT-MP.

Proposition n° 18 : Repenser l'architecture de la PCRTP en rapprochant la PCRTP de la PCH afin de mieux coller aux besoins réels en aide humaine et en supprimant la condition d'éligibilité relative au taux d'incapacité minimal.

2. Investir sur la qualité de service des caisses

Les auditions conduites avec les associations de victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles ont fait émerger certaines inquiétudes quant à l'homogénéité du service rendu par les caisses sur le territoire national, que ce soit en matière de délais d'instruction des demandes ou de positionnement des caisses auprès des assurés.

Certaines seraient, et cela a été souligné, investies pour accompagner l'assuré dans son accès aux droits, tandis que d'autres sont pointées du doigt par la Fnath pour un « manque de pédagogie avec les victimes » pouvant même aller jusqu'à générer « des relations conflictuelles entre la caisse et les assurés ».

Les associations de victimes décrient « des démarches médicales et administratives qui s'éternisent », avec des procédures si complexes qu'elles « deviennent le symbole d'une méfiance de l'administration à l'égard » des victimes. En ce sens, les rapporteures appellent la DRP de la Cnam à recevoir les associations de victimes afin que ces dernières leur présentent les difficultés les plus récurrentes, afin de mettre en oeuvre, si cela est possible, une simplification de l'accès aux droits.

Les associations de victimes décrient également un défaut d'homogénéité dans le traitement des cas par les caisses. Si certaines caisses jouent, selon les associations, pleinement un rôle de conseil aux accidentés du travail pour les orienter dans leur parcours de réparation, ces missions seraient « réalisées de manière très marginale et partielle ». Les associations vont même jusqu'à dénoncer certaines caisses qui donneraient « plus l'impression d'être considérées comme des coupables que comme des victimes ». De tels comportements iraient à l'encontre de l'objectif des caisses, dont le rôle est, selon la directrice des risques professionnels de la Cnam, « d'accompagner les assurés dans l'accès aux droits et aux soins ».

La DRP de la Cnam concède qu'elle a été confrontée au constat d'une hétérogénéité dans les pratiques des caisses « il y a quelques années ». Des directeurs régionaux ont alors été mis en poste afin de s'assurer, au sein d'une même région, de l'homogénéité des pratiques de reconnaissance et de diminuer le nombre d'interlocuteurs auxquels communiquer les consignes prises au niveau national. La DRP de la Cnam dit donc avoir constaté « un resserrement des délais de traitement » et des pratiques à l'échelle nationale « sur les dix dernières années ».

Afin de garantir l'homogénéité des pratiques sur l'ensemble du territoire, la Mecss préconise d'instituer un rendez-vous annuel entre les directeurs régionaux et les associations de victimes, et entre la DRP de la Cnam et les associations de victimes. Cette instance de dialogue permettra de faire remonter les éventuels écarts à la conduite prescrite nationalement.

Enfin, afin de réduire les délais de traitement jugés trop longs par les associations de victimes, des recrutements ciblés dans les caisses les plus engorgées pourraient être opportuns.

La mission accueille donc favorablement les stipulations de la nouvelle convention d'objectifs et de gestion de la branche, qui prévoient notamment le recrutement ciblé de personnels afin de réduire les délais de prise en charge, et la simplification de démarches administratives via des outils numériques.

III. L'ACTION EN FAVEUR DE LA PRÉVENTION PAR LA BRANCHE AT-MP : UN EFFORT FINANCIER À ACCENTUER, UN CIBLAGE A RENFORCER

A. LA PRÉVENTION RESTE LE PARENT PAUVRE DE LA BRANCHE AT-MP

La branche AT-MP se voit assigner trois missions complémentaires afin de répondre aux risques professionnels188(*) connus par les salariés du régime général :

- la prévention et la réduction des risques professionnels ;

- la réparation en reconnaissant et en indemnisant les sinistres et les conséquences des préjudices subis par les victimes ;

- la tarification afin d'assurer l'équilibre financier de la branche.

Cependant la prévention des risques professionnels, que l'INRS définit comme « l'ensemble des dispositions à mettre en oeuvre pour préserver la santé et la sécurité des salariés, améliorer les conditions de travail et tendre au bien-être au travail », relève au premier chef de la responsabilité de l'entreprise. L'action de la branche en matière de prévention des risques professionnelles ne peut donc être que subsidiaire. En tant qu'assureur, la branche AT-MP s'inscrit dans une logique de gestionnaire du risque, et concentre donc ses interventions sur les entreprises qui présentent une situation de sinistralité particulièrement forte ou une exposition au risque avérée.

Article L. 4121-1 du code du travail : le principe de prévention des
risques professionnels par l'employeur

L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

1. La prévention au sein de la branche AT-MP fait l'objet d'un effort budgétaire modéré porté par le fonds national de prévention des accidents du travail (FNPAT)

Les dépenses de prévention de la branche AT-MP sont financées par le fonds national de prévention des accidents du travail (FNPAT), ce qui permet d'avoir une vision consolidée des actions de la branche en faveur de la prévention. En 2022, ces dépenses de prévention représentaient plus de 382 millions d'euros (dépenses nettes hors clause de revoyure)189(*) soit précisément 3,02 % des dépenses totales de la branche AT-MP.

Cette part congrue ne doit pas être regardée comme un indicateur déterminant de la politique de prévention de la branche AT-MP dans la mesure où certaines actions, telles que l'action auprès des entreprises des contrôleurs de sécurité et des ingénieurs-conseils des Carsat peuvent être déterminantes sans pour autant constituer une part substantielle du budget. Cependant, ce niveau de 3 % des dépenses indique une tendance française à concentrer les moyens sur la réparation, là où les comparaisons européennes indiquent que l'Allemagne y consacre plus de 10 % des dépenses d'assurance risques professionnels.

Dépenses de la branche ATMP en 2022 (en milliards d'euros)

Source : COG ATMP 2018-2022

Les dépense de la branche AT-MP en faveur de la prévention des risques professionnels se décompose en quatre catégories :

les dépenses de fonctionnement et d'investissement, qui regroupent notamment les frais de personnel et de fonctionnement des caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), de la caisse régionale d'assurance maladie (Cram), des caisses générales de sécurité sociale (CGSS) en outre-mer et de la caisse de sécurité sociale (CSS) à Mayotte. Ce réseau totalise plus de 2 000 ETPT en 2022 ;

les subventions accordées aux opérateurs de la branche, principalement l'institut national de recherche et de sécurité et Eurogip190(*) ;

les incitations financières proposées aux entreprises, notamment les subventions TPE ainsi que les contrats de prévention ;

les autres dépenses d'intervention auprès du réseau Carsat/Cram/CGSS/CSS.

Ces dépenses tendent cependant à augmenter au fil du temps : en 2016, elles repressentaient 346 millions d'euros, contre 382 millions en 2022.

Budget du FNPAT prévu par les COG AT-MP en euros

Source : COG ATMP 2014-2017 et 2018-2022

Proposition n° 19 : Tendre progressivement à un niveau de dépense de la branche AT-MP en faveur de la prévention équivalent à 7 % de ses dépenses.

Le budget public consacré à la prévention en santé au travail

La branche AT-MP n'est pas l'unique contributrice aux dépenses consenties par la collectivité pour la prévention en santé au travail, ainsi la somme de 2 milliards d'euros est souvent évoquée191(*).

Pour arriver à ce volume, il faut ajouter aux dépenses directes de la branche le financement des services inter-entreprises de santé au travail par les cotisations des entreprises adhérentes (près de 1,6 milliards d'euros), le financement par l'État de l'agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) et de son réseau, le budget consacré à la prévention au travail par les agences sanitaires, la dotation pour le Fonds pour l'amélioration des conditions de travail (Fact) et enfin le budget de l'organisme Professionnel de Prévention du Bâtiment et des Travaux Publics (OPPBTP).

2. La branche AT-MP mène des actions de prévention ciblées à la hauteur de ses moyens

Les actions en faveur de la prévention mises en place par la branche AT-MP s'appuient sur des campagnes de communication, ainsi que sur l'action des préventeurs du réseau des Carsat. Compte tenu des effectifs de ce réseau, plus de 800 préventeurs, et rapporté aux deux millions d'entreprises concernées par le régime général, les actions de la branche AT-MP sont nécessairement ciblées. Ce ciblage concerne à la fois les types d'entreprises, et les types de risques où la sinistralité est la plus grande.

Une articulation insatisfaisante entre la COG AT-MP et les PST

Les travaux de la Cour des comptes soulignent que les plans santé au travail, dans lesquels le ministère du Travail présente les grandes priorités en matière de santé au travail, ne sont qu'imparfaitement articulés avec la COG qui lie l'État à la branche AT-MP. Ce document devrait permettre d'orienter les partenaires sociaux lors de la négociation de la COG pour la partie relevant de la prévention, et les Carsat devraient en principe contribuer à réaliser les actions prévues par le PRST dont elles relèvent.

Cependant, ces deux exercices de planification connaissent une cyclicité propre et les Carsat peinent encore en pratique à concilier les deux calendriers qui leur sont imposés, et la Cnam-TP bénéficie de facto d'une plus grande autonomie par le jeu de ces contraintes inconciliables.

Source : Cour des comptes, Les politiques publiques de prévention en santé au travail dans les entreprises, 2022

· Parmi les aides spécifiques proposées par la branche AT-MP, deux dispositifs coexistent :

le contrat de prévention, créé en 1987, n'est de nos jours proposé qu'aux entreprises de moins de 200 salariés et permet à une entreprise de se voir définir un programme sur mesure de prévention par un ingénieur conseil ou un contrôleur de sécurité. Le contrat signé à cet effet enter la Carsat et l'entreprise, qui peut s'étendre sur trois ans, doit respecter les priorités définies par la convention nationale d'objectifs (CNO) du secteur d'activité de l'entreprise. L'engagement de l'entreprise permet de bénéficier de subventions ou d'avances pour du matériel et des prestations dans les mêmes conditions que les subventions « prévention TPE » ;

les subventions dites « prévention TPE », pérennisées par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, sont réservées aux entreprises de moins de 50 salariés. Pouvant atteindre un montant de 25 000 euros par action, dans la limite de trois actions par entreprise par durée de COG, elles suivent une logique de guichet dans la limite du budget national. Afin d'harmoniser les conditions d'octroi, un référentiel par métier et par risque vise les équipements et services subventionnables, ces derniers bénéficiant d'un taux de financement de 50 % pour le matériel et 70 % pour l'ingénierie et la formation. Dans le cas de subvention de matériel, et afin de limiter la fraude, les entreprises doivent s'engager à ne pas céder le matériel acquis.

Subventions versées par la branche AT-MP aux entreprises
au titre de la prévention en 2022

Type de subvention

Montant

Part représentée

Subventions TPE

59,8 M€

66,3 %

Contrats de prévention

28,8 M€

31,9 %

Autres subventions

1,6 M€

1,8 %

TOTAL

90,2 M€

100 %

Source : Cour des Comptes

· Les actions de prévention thématique de la branche AT-MP s'inscrivent dans le prolongement des programmes nationaux et régionaux de prévention, et ciblent les risques identifiés comme prioritaires au regard de la sinistralité rencontrée dans les entreprises : les troubles musculosquelettiques (TMS), les agents cancérogènes (CMR) et les chutes dans le BTP.

Le programme TMS Pros, lancé en 2014, ambitionne d'accompagner 8 000 entreprises appartenant aux secteurs les plus concernés (BTP, soins à la personne, industrie automobile, etc.) qui représentent 0,4 % des établissements du régime général et regroupent plus d'un tiers des TMS et des indemnités journalières afférentes indemnisées. Ce programme est accessible via un site public lancé sur Ameli en 2019, tmspros.fr, qui permet de créer un compte entreprise et d'accéder à des outils de diagnostic et de création de programme de prévention en ligne, ainsi qu'à être redirigé vers des formations adaptées et des subventions « prévention TPE ».

Le programme risques chimiques professionnel (RC Pro) suit la même logique en visant plus particulièrement les entreprises présentes dans les secteurs où les salariés sont en contact avec l'un des six polluants identifiés comme cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction (CMR) par l'enquête SUMMER de 2017192(*).

Le programme spécifique de prévention des chutes dans le BTP adapte aussi cette méthodologie aux spécificités du risque de chute dans le secteur du BTP, avec une cible de 5 000 TPE. Ce programme a la particularité d'être porté en partenariat avec l'organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP) qui bénéficie d'une très bonne visibilité auprès du secteur, et d'être adossé à des aides financières nationales dans le cadre du dispositif des mutualisations de moyens de prévention sur les chantiers Échafaudage +.

Le fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle (Fipu)

Créé par la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 du 14 avril 2023, le FIPU doit permettre de renforcer la prévention des risques professionnels liés à des facteurs ergonomiques tels que les postures pénibles, les vibrations mécaniques et les manutentions manuelles de charges.

Devant être doté d'un milliard d'euros d'ici 2027, il doit permettre aux entreprises de bénéficier d'aides financières, et notamment d'une subvention prévention pour lutter contre les troubles musculosquelettiques (TMS). Ses orientations sont définies par la CAT-MP, et contrairement aux autres programmes spécifiques de la branche, les aides directes qu'il porte sont ouvertes aux entreprises sans condition de taille maximale.

3. La branche AT-MP est appuyée dans sa mission de prévention par des opérateurs à la compétence reconnue

Lors de sa création, la Cnam a souhaité participer à la création d'un organisme à même de lui apporter la compétence technique nécessaire à construire sa politique de prévention des risques professionnels. La Cnam a donc participé à la création de l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) en 1947, association loi 1901 administrée par un conseil paritaire. L'activité de l'INRS est caractérisée par quatre missions :

- la production d'études et de recherches ;

- l'assistance aux entreprises en ingénierie ;

- la participation à la formation en matière de prévention ;

- l'information et la vulgarisation des connaissances scientifiques en matière de prévention des risques professionnels.

Pour mener à bien ces missions, l'INRS dispose d'un budget annuel financé par le Fonds national de prévention des accidents du travail et maladies professionnelles, de 79 millions d'euros en 2022, qui lui permet d'avoir plus de 580 collaborateurs, dont la majeure partie est ingénieur de recherche.

L'expertise de l'INRS est unanimement reconnue, et son action a été saluée par les partenaires sociaux durant les auditions menées par les rapporteures. Cet organisme bénéficie en outre d'une bonne identification de la part des entreprises, comme en témoigne les 9,8 millions de documents relatifs aux risques professionnels téléchargés sur son site en 2023. Cependant, la durée des négociations relatives à la COG 2023-2027 de la branche AT-MP ont conduit à ce que l'INRS ne dispose pas de dotation propre pour 2024, faute de budgétisation via le FNPAT. Cette situation a conduit l'INRS à fonctionner avec une reconduction arbitraire de 80 % du montant de son enveloppe budgétaire précédente, ce qui l'a soumis à une tension financière inédite et a mis à mal sa production de recherche. La COG dévoilée à l'été acte finalement d'une augmentation progressive de son budget, qui progresserait de 80 millions d'euros à 91 millions d'euros en 2028.

Eurogip : une plateforme promouvant la recherche en santé au travail
au niveau européen

Le groupement d'intérêt public Eurogip a été créé en 1991 conjointement par la Cnam et l'INRS. Financé par le FNPAT, il permet de coordonner des travaux de recherche au niveau européen, mais également de faire avancer l'harmonisation des normalisations au niveau européen en matière de toxicité des produits chimiques utilisés par les entreprises.

Source : Eurogip

B. UNE AUGMENTATION DES MOYENS NE PEUT S'ENVISAGER QU'À LA CONDITION D'UNE MEILLEURE QUALITÉ DE LA DÉPENSE DE PRÉVENTION

1. Les aides à la prévention doivent faire l'objet d'un meilleur ciblage

Les incitations financières représentent une part conséquente des dépenses d'intervention de la branche AT-MP en faveur de la prévention des risques professionnels. En 2022, le budget du FNPAT prévoyait ainsi d'y consacrer 100 millions d'euros, soit 49,9 % des dépenses d'intervention qu'il portait. Ce budget se justifie dans la mesure où l'incitation financière, qui correspond à une subvention dans l'achat de matériel ou de formation, est la manière la plus directe d'intéresser les employeurs à la prévention. Cette conviction est portée par les partenaires sociaux qui ont appelé dans le cadre de l'ANI relatif aux AT-MP193(*) à un doublement de ces incitations financières dans la future COG, mais la COG 2023-2028 signée en juillet dernier acte finalement d'une augmentation de 20 millions d'euros.

L'augmentation des moyens consacrés aux incitations financières à la prévention auprès des employeurs dans la branche AT-MP doit s'accompagner d'une plus grande attention à leur efficacité. Cette attention doit à la fois passer par un meilleur ciblage des dépenses, notamment en faveur des TPE, mais avant tout par une meilleure évaluation des résultats.

La mission d'évaluation de la COG 2018-2022 conduite par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas)194(*) souligne les limites de l'évaluation des résultats des actions de prévention menées par la branche AT-MP. La création d'un indicateur de comparaison entre l'évolution de la sinistralité dans les établissements suivis par les programmes thématiques de la Cnam et les autres établissements était prévue par la COG 2018-2022, mais n'a jamais été mise en place. Cet échec ponctuel ne doit pas être mal interprété : l'urgence n'est pas de construire des indicateurs, mais bien de renforcer une culture de l'évaluation dans le long terme. En effet, il ne semble pas pertinent de vouloir évaluer l'efficacité d'une action de subvention pour achat de matériel et de formation dans le temps de la COG : le temps de communication auprès des entreprises, d'instruction des dossiers, de réalisation des investissements et d'appropriation par les salariés excède très probablement les cinq années sur laquelle se déroule la COG. L'évaluation à privilégier réside donc dans la conduite de travaux de recherche s'intéressant aux évolutions de long terme, assortis d'une méthodologie robuste, conduits par la direction des statistiques de la direction des risques professionnels de la Cnam.

Plus précisément, les subventions TPE, qui concentrent près de 66 % des dépenses d'intervention de la branche auprès des employeurs en 2022, doivent voir leur ciblage s'améliorer. Aujourd'hui, ces subventions sont accordées dans la limite d'une enveloppe annuelle dans la logique du « premier arrivé, premier servi » : ainsi en 2021 le budget initial avait été consommé dès le mois d'avril. Cette situation conduit à ce que les préventeurs des Carsat ne puissent pas privilégier les projets les plus pertinents, et transforme la subvention-TPE à une simple dépense de guichet. Cette pratique aboutit également à ce que les entreprises participant aux programmes nationaux thématiques (TMS Pro, RC Pro, etc.) ne soient pas mieux représentées au sein des bénéficiaires de subventions-TPE : seulement 1,5 % en 2022.

Par ailleurs, les subventions TPE gagneraient à faire l'objet d'un suivi plus fin de la part des préventeurs, ce qui répondrait au « sentiment de solitude face à la réglementation en matière de prévention » souligné par l'U2P durant l'audition des organisations patronales par les rapporteurs. En effet, la consultation systématique d'un préventeur lors de l'introduction d'une demande de subvention TPE permettrait de donner des garanties renforcées sur la pertinence de la demande, mais également d'accompagner la TPE dans la construction de sa démarche de prévention.

Enfin, un travail de rapprochement des modalités d'implication des branches professionnelles doit être conduit entre les subventions-TPE et les contrats de prévention. Le bénéfice d'un contrat de prévention est en effet subordonné à la conclusion d'une convention nationale d'objectifs (CNO) entre la Cnam et les organisations professionnelles représentatives de la branche, là où les subventions prévention TPE ne sont assorties d'aucun engagement des branches. Cette situation est d'autant plus dommageable que, dans certains secteurs, la branche est le lieu privilégié de relais des recommandations en matière de prévention.

2. L'OPPBTP : un exemple d'organisme sectoriel de prévention dont les branches les plus accidentogènes gagneraient à s'inspirer

· L'article L. 4643-1 du code du travail prévoit que des organismes professionnels de santé, de sécurité et des conditions de travail puissent être constitués dans « les branches d'activités présentant des risques particuliers ». Forts de leur connaissance sectorielle ces organismes devaient, dans l'idée du législateur, permettre de promouvoir la formation à la sécurité et de susciter des initiatives professionnelles en matière de prévention tout en endossant un rôle de conseil aux pouvoir publics au sujet des expérimentations concluantes. Par ailleurs, afin de renforcer la légitimité de ces organismes au sein de la branche, leur gouvernance doit être strictement paritaire195(*), tandis que leur financement est assuré par les employeurs dans des conditions définies par décret en Conseil d'État196(*).

Cette spécialisation sectorielle d'organisme de prévention doit leur permettre d'être mieux identifiés par les entreprises de la branche, et donc plus volontiers suivis dans leurs préconisations. Malheureusement, les branches d'activité ne se sont pas emparées de cette faculté, et l'unique exemple d'un tel organisme reste de création antérieure à la création de ces dispositions législatives.

· La prise en compte des enjeux AT-MP par la branche du bâtiment est ancienne, et dès 1859 le secteur créé la caisse d'assurance mutuelle de la Chambre syndicale de maçonnerie afin de verser aux ouvriers blessés dans les travaux la moitié de leur salaire pendant la durée du chômage occasionné197(*). C'est dans ce sillage que l'organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics est créé en 1947 afin, selon son fondateur Pierre Caloni, d'« associer la responsabilité des patrons et la peine des ouvriers ». À ce jour l'OPPBTP demeure l'unique organisme professionnel de santé, de sécurité et des conditions de travail constitué.

L'existence d'un organisme spécifique au BTP est justifiée par le cumul des risques professionnels dans ce secteur : risques physiques, présence de produits chimiques, coactivité, diversité des cultures et des normes professionnelles et absence de matérialisation collective du risque a contrario de secteurs tels que l'industrie pétrochimique ou le transport aérien. Par ailleurs, plus de 50 % des salariés du secteur appartient à une entreprise de moins de 10 salariés, ce qui suppose un accompagnement et des solutions adaptés.

Pour répondre à cette situation, l'OPPBTP se voit assigner un ensemble de missions de promotion de la prévention, d'expertise, d'étude des situations de terrain et de retour d'expérience à la profession et aux pouvoirs publics198(*). Il est gouverné de façon paritaire au sein du Conseil du comité national, avec présence de la direction générale du travail et de Direction des risques professionnels branche AT-MP de la Cnam avec voix consultative.

Le plan @Horizon 2025

Afin de mener à bien ses missions, l'OPPBTP conduit un plan stratégique quinquennal qui s'étend sur la durée Plan Santé au Travail (PST) à des fins de coordination. Le plan actuel contient cinq priorités :

- maintenir une présence forte sur le terrain ;

- offrir une assistance technique et des parcours de prévention à toutes les entreprises grâce au digital ;

- réaliser l'ingénierie prévention des métiers de demain, avec l'objectif d'une prévention intégrée dès la conception, portée par l'innovation ;

- former les jeunes, les nouveaux dirigeants et les intérimaires et assurer ainsi un haut niveau de compétences prévention des personnels du BTP ;

- contribuer au changement de paradigme de la prévention, en s'appuyant sur Prévention et Performance et la culture de prévention, en vue d'une approche résolument positive et incitative en prévention des risques professionnels.

Source : OPPBTP

La baisse de la sinistralité dans les entreprises du secteur du BTP ne peut être attribuée dans son intégralité à l'action de l'OPPBTP, mais bien que le lien de causalité soit difficile à prouver, il semble que la dynamique instituée par cet organisme soit déterminante dans ces progrès. Les membres de l'OPPBTP auditionnés par les rapporteures ont souligné que l'expérience opérationnelle de l'organisme199(*) permettait de répondre aux impératifs qui conditionnent le suivi des recommandations par les entreprises : la confiance, la proximité et la légitimité. Par ailleurs, l'absence de rôle en matière de contrôle permet également d'afficher une approche positive de la prévention, en faisant le lien entre prévention et performance de l'entreprise. Cette vision tranche avec l'approche réglementaire qui prévaut dans le droit du travail.

Proposition n° 20 : Encourager au développement d'organismes sectoriels de prévention sur le modèle de l'OPPBTP, dont les recommandations sont mieux écoutées par les employeurs du fait de la spécialisation et du réseau constitué.

C. LA TARIFICATION DE LA BRANCHE AT-MP FAIT PARTIE INTÉGRANTE DES MODALITÉS VISANT À FAVORISER LE DÉVELOPPEMENT D'UNE CULTURE DE LA PRÉVENTION AU SEIN DES ENTREPRISES

Le financement de la branche AT-MP repose sur une logique assurantielle. En 2022, 95 % des recettes de la branche provenaient de cotisations, intégralement à la charge des employeurs. Les 5 % restants sont composés de sommes récupérées au titre du recours contre des tiers et de reprises sur provisions.

À l'échelle nationale, le taux moyen notifié en 2022 est de 2,02 % pour les établissements cotisant au régime général. Derrière cette moyenne se cache une importante disparité entre secteurs : le taux moyen notifié atteignait, en 2022, 4,31 % dans les industries du bâtiment et des travaux publics, contre 0,93 % dans les activités de services dites « I », incluant notamment les banques et assurances.

Le taux de cotisation notifié aux employeurs se calcule en effet comme la somme d'une part fixe, visant notamment à couvrir les dépenses liées aux accidents de trajet et à la prise en charge spécifique des travailleurs victimes de l'amiante, ainsi qu'à financer le dispositif de retraite anticipée pour incapacité et divers charges et transferts ; et d'une part variable, dépendant directement de la sinistralité observée, dans une logique assurantielle.

Le calcul du taux net de cotisations AT-MP

Le taux net se calcule selon la formule suivante : Taux net = (M1+TB) x (M2+1) + M3 + M4, où :

- la majoration M1 couvre les dépenses consécutives aux accidents de trajet : elle est égale au rapport entre la fraction relative aux dépenses prévisionnelles du risque trajet et la masse salariale prévisionnelle. En 2023, elle est égale à 0,16 %. Après une longue période de stabilité de 1970 à 1990, fixée à 0,57 %, elle diminue fortement en 1991 à 0,42 % pour diminuer régulièrement depuis lors ;

- la majoration M2 couvre les frais de rééducation professionnelle, les charges de gestion et depuis 2011, la moitié du versement à la branche maladie. En tant que majoration d'équilibre, elle permet également de couvrir les prestations non financées par ailleurs et d'ajuster les cotisations à percevoir aux objectifs tels qu'indiqué dans la LFSS. Contrairement aux majorations M1 et M3 qui sont additives, la majoration M2 est multiplicative du taux brut et de la majoration M1. Une variation de la majoration M2 a donc d'autant plus d'impact lorsque le taux brut est élevé. Égale à 0,39 en 2010, elle s'établit à 0,43 en 2011 et 2012, puis augmente progressivement pour atteindre 0,58 en 2023 ;

- la majoration M3 couvre les compensations inter-régimes, les dépenses du Fonds commun des accidents du travail, des maladies professionnelles inscrites au compte spécial et enfin les contributions aux fonds amiante (Fiva, Fcaata) et depuis 2011 la moitié du versement à la branche maladie prévu à l'article L176-1. En 2023, la majoration M3 est égale à 0,28 % ;

- la majoration M4, créée par l'article 81 de la loi 2010-1330 du 9 novembre 2010, couvre les prévisions des dépenses supplémentaires engendrées par le dispositif d'abaissement de l'âge de la retraite à 60 ans pour les personnes justifiant d'un taux d'incapacité permanente reconnu au titre d'une maladie professionnelle ou d'un accident du travail au moins égal à 20 % et dans certaines conditions pour les personnes justifiant d'un taux compris entre 10 et 20 %. Après 3 années nulles, le reversement à la Cnav a progressivement augmenté pour tenir compte, non seulement de l'élargissement du dispositif pénibilité mais aussi du financement progressif du compte professionnel de prévention entraînant ainsi une valeur de M4 à 0,02 % en 2023. Cette formule peut également se réécrire :

Taux net = TB x (1+M2) + M1 x (1+M2) + M3 + M4, où :

- TB x (1+M2) en relation directe avec le taux brut est la part « variable » qui évolue directement avec la sinistralité ;

- M1 x (1+M2) + M3 + M4 est une part plus « fixe » qui évolue en fonction d'autres considérations règlementairement déterminées.

Source : Rapport d'évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss) AT-MP 2023

La part variable de la cotisation représente une part croissante du taux total - 75,3 % en 2022 contre 55,4 % en 2013. Elle dépend du degré de sinistralité du secteur et/ou de l'employeur, en fonction de la taille de l'établissement :

· les établissements de moins de 20 salariés ont un mode de tarification variable collectif, dépendant de la sinistralité du secteur d'activité : un établissement opérant dans les travaux publics se verra donc notifier un taux plus élevé qu'un cabinet de conseil de même effectif. Ce mode de tarification concerne 53 % des assurés du régime général ;

· les établissements comprenant entre 20 et 149 salariés ont un mode de tarification variable mixte, dépendant à la fois du secteur d'activité de l'établissement et de sa sinistralité propre. Par conséquent, deux établissements d'un même secteur pourront avoir des taux de cotisation différents si leur sinistralité est différente. Ce mode de tarification concerne 17 % des assurés du régime général ;

· au-delà de 150 salariés, la tarification est uniquement individuelle. Ce mode de tarification concerne 30 % des assurés du régime général.

Répartition des effectifs salariés selon le mode de tarification des entreprises

Source : Rapport d'évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss) AT-MP 2023

En Alsace-Moselle, le seuil d'effectif pour le passage au taux mixte est spécifique : il est fixé à 50 salariés.

Le mode de calcul de la cotisation due par les employeurs au titre de la couverture du risque AT-MP a donc une visée incitative : les établissements investissant davantage pour la prévention des accidents du travail et déployant des plans efficaces pour la santé au travail pourront voir leur taux de cotisation diminuer.

Afin d'encourager la prévention, le mode de calcul du taux de cotisation AT-MP a évolué entre 2010 et 2014. Cette évolution a conduit à abaisser les seuils d'effectif au-delà desquels la tarification devient mixte et individuelle, à réduire les délais entre les sinistres et leur répercussion dans le taux de cotisation, et à davantage prendre en compte les investissements des entreprises dans la sécurité des travailleurs.

Pour autant, la logique incitative à la prévention dans la tarification des AT-MP pourrait encore être renforcée. La DSS défend qu'une telle évolution, « inscrite dans le projet de COG de la branche AT-MP, constitue un enjeu majeur pour le Gouvernement ».

La tarification AT-MP dans le secteur de l'intérim

Le décret du 5 juillet 2024200(*), dont l'entrée en vigueur est prévue progressivement entre 2026 et 2028, prévoit que l'entreprise de travail temporaire (ETT) et l'entreprise utilisatrice (EU) partagent désormais à parts égales le coût de l'ensemble des AT-MP, quelle que soit la gravité des sinistres.

Auparavant, seuls les sinistres ayant entrainé un taux d'incapacité permanente de plus de 10 % ou le décès du salarié étaient soumis à un partage des coûts, avec une affectation aux deux tiers à l'ETT et au tiers à l'EU. Les sinistres n'ayant engendré qu'une incapacité temporaire, ou une incapacité permanente de moins de 10 % étaient, eux, à la charge exclusive de l'entreprise de travail temporaire.

La Mecss salue cette évolution, qui va dans le sens d'une incitation accrue à la prévention pour les entreprises utilisatrices. Il s'agit là d'un levier important de prévention, le secteur de l'intérim se démarquant par une sinistralité très élevée en raison, notamment, d'un manque de formation voire d'information sur les mesures de protection face aux risques professionnels en oeuvre dans les entreprises utilisatrices.

Certains secteurs ne sont toutefois pas soumis à ce mode de tarification vertueux : il s'agit notamment de secteurs à faible sinistralité comme les activités de services dites « I », incluant notamment les banques et assurances, mais également le secteur médico-social tarifé en collectif quelle que soit la taille de l'établissement.

Pour les premières, une telle mesure se justifie, selon la DSS, par « faible intérêt en matière d'incitation à la prévention d'une tarification individualisée ».

Toutefois, pour le secteur médico-social, les enjeux de prévention justifieraient la mise en oeuvre d'une tarification plus individualisée, comme l'a souligné la Cour des comptes dans le rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale de 2022. La Cour des comptes estime ainsi que la dérogation accordée n'est « pas justifiée, au regard du niveau globalement très élevé de la sinistralité : comme plusieurs parties prenantes le soulignent (DGCS, Cnam, agences régionales de santé, organisations syndicales), des taux individuels, fixés notamment en fonction de la sinistralité propre de chaque structure du secteur, seraient de nature à récompenser les efforts de prévention et, à l'inverse, à sanctionner leur insuffisance ».

La Mecss souscrit à cette position, et préconise une plus grande individualisation de la tarification des AT-MP pour le secteur médico-social, sous deux réserves.

D'une part, compte tenu de la situation financière précaire des établissements et services médico-sociaux, il importe que la mise en oeuvre de cette recommandation soit très progressive. L'application du droit commun au secteur ne provoquerait pas de hausse globale du montant de cotisations à verser, mais la mise en oeuvre de cette mesure provoquerait un accroissement des cotisations AT-MP brutal pour les établissements marqués par une sinistralité importante. L'impact de la réforme doit donc être lissé sur plusieurs années pour permettre aux établissements concernés d'absorber les coûts, voire de mettre en oeuvre des plans de prévention leur permettant de ne pas subir une hausse trop importante de ces cotisations.

D'autre part, il pourrait être nécessaire d'accompagner la réforme de la tarification d'évolutions dans les ESMS publics afin de garantir que cette dernière ne soit pas à la source de distorsions entre ESMS publics et privés. En effet, dans les ESMS publics, seuls seraient concernés par la réforme de la tarification les contractuels et agents à temps non complet affiliés à la branche AT-MP de la Cnam. Afin de ne pas distordre les conditions économiques applicables au public et au privé, des mesures complémentaires pourraient être nécessaires pour les agents des ESMS publics non assurés du régime général.

Proposition n° 21 : Tendre à moyen terme vers une application de la tarification AT-MP de droit commun pour les ESMS, en s'assurant :

- que cette évolution soit suffisamment progressive pour ne pas être source de difficultés financières pour les établissements marqués par une sinistralité particulière ;

- que cette évolution ne provoque pas de distorsion de concurrence entre établissements publics et privés, le cas échéant en adoptant des mesures complémentaires.

IV. DES ÉVOLUTIONS À LA MARGE DE LA GOUVERNANCE DE LA BRANCHE AT-MP AFIN DE GARANTIR SON CARACTÈRE PARITAIRE

A. STRICTEMENT PARITAIRE, LA GOUVERNANCE DE LA BRANCHE AT-MP FAIT AUJOURD'HUI FIGURE D'EXCEPTION

La gestion paritaire de la branche AT-MP fait figure d'exception dans le paysage de la sécurité sociale française. Cette spécificité, qui trouve ses racines avant même la création de la sécurité sociale, permet un équilibre précieux entre soutien aux salariés victimes d'AT-MP et soutenabilité pour les employeurs.

1. Née sous le signe du paritarisme, la branche AT-MP a mieux résisté que les autres aux interventions croissantes de l'État dans sa gouvernance

L'importance du modèle paritaire dans la gestion du risque AT-MP trouve ses racines dans le « compromis historique » à l'origine de la loi du 9 avril 1898 sur les responsabilités des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail. Le législateur a fait le choix de conserver une logique de responsabilité civile, plutôt que d'imiter les assurances sociales bismarckiennes. En créant une exception au droit commun de la responsabilité civile, le législateur a entendu ménager un compromis entre l'employeur et le salarié, ce qui justifie le terme de « loi transactionnelle » : l'employeur est automatiquement responsable, mais sa responsabilité reste limitée. L'importance de ce compromis dans le pacte social en entreprise conduit le Professeur Dupeyroux à parler d'un « deal en béton »201(*), dans le sens où le législateur contemporain peinerait à revenir dessus.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, « l'arithmétique de la dette »202(*) conduit à la création d'une sécurité sociale par l'État providence : cette assurance est offerte en contrepartie des sacrifices et privations des citoyens durant la guerre. Les caisses qui gèrent les principaux risques auxquels le travailleur peut être confronté sont donc gérées par les organisations syndicales et patronales, fortes de leur représentativité. Pour les risques AT-MP, la responsabilité des employeurs est donc basculée sur les caisses de Sécurité sociale, qui sont désormais débitrices des prestations dues aux victimes ou à leurs ayants droit en contrepartie d'une cotisation à taux collectif par branche ou réels.

Loi du 9 avril 1898 sur les responsabilités des accidents dont
les ouvriers sont victimes dans leur travail

L'arrêt Teffaine203(*) de 1896 étend aux machines le principe de responsabilité du fait d'autrui204(*), créant une nouvelle charge conséquente pour les employeurs dans le cas des accidents du travail. Pour répondre à ce revirement jurisprudentiel, le législateur choisi de mettre en place un régime ad hoc de responsabilité sans faute, où l'indemnisation est forfaitaire.

Art. 1er : Les accidents survenus par le fait du travail, ou à l'occasion du travail, aux ouvriers et employés occupés dans l'industrie du bâtiment, les usines, manufactures, chantiers, les entreprises de transport par terre et par eau, de chargement et de déchargement, les magasins publics, mines, minières, carrières, et, en outre, dans toute exploitation ou partie d'exploitation dans laquelle sont fabriquées ou mises en oeuvre des matières explosives, ou dans laquelle il est fait usage d'une machine mue par une force autre que celle de l'homme ou des animaux, donnent droit, au profit de la victime ou de ses représentants, à une indemnité à la charge du chef d'entreprise, à la condition que l'interruption de travail ait duré plus de quatre jours.

Les ouvriers qui travaillent seuls d'ordinaire ne pourront être assujettis à la présence loi par le fait de la collaboration accidentelle d'un ou de plusieurs de leurs camarades.

Art. 2 : Les ouvriers et employés désignés à l'article précédent ne peuvent se prévaloir, à raison des accidents dont ils sont victimes dans leur travail, d'aucunes dispositions autres que celles de la présente loi.

(...)

Art. 7 : Indépendamment de l'action résultant de la présente loi, la victime ou ses représentants conservent, contre les auteurs de l'accident autres que le patron ou ses ouvriers et préposés, le droit de réclamer la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun.

À mesure que le champ de la sécurité sociale s'élargit, la place des partenaires sociaux dans l'administration des affaires courantes des caisses de sécurité sociale se réduit. Organisées en commissions thématiques au sein desquelles les partenaires sociaux nomment des administrateurs, les caisses sont de plus en plus dépendantes des services administratifs qui instruisent les dossiers pour le compte des administrateurs. Deux réformes d'ampleur viennent parachever cette remise en cause de la gestion paritaire des branches de la sécurité sociale :

- les ordonnances dites Juppé de 1996205(*) qui, en créant la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS), retirent aux partenaires sociaux une part de leurs prérogatives et fixe des objectifs de dépenses via l'Objectif de dépense d'assurance maladie (Ondam) ;

- la réforme dite Douste-Blazy de 2004206(*), qui retire aux administrateurs nommés par les partenaires sociaux le pouvoir de nomination des directeurs de caisses locales207(*) et crée un poste de directeur général à la tête des caisses nationales, nommé en conseil des ministres.

Cette succession de réformes, qui éloigne la gouvernance des caisses nationale du modèle paritaire, transforme selon Gilles Nezosi les partenaires sociaux en simple « magistrature morale », réduits à « rappeler par leur présence les valeurs fondatrices de la Sécurité sociale »208(*).

2. La gouvernance strictement paritaire de la branche AT-MP fait figure d'exception dans le paysage de la sécurité sociale

La conséquence de ce mouvement croisant d'intervention de l'État dans la protection sociale se retrouve plus généralement dans la manière dont les caisses nationales sont organisées et administrées, et in fine dans la définition même des politiques publiques qu'elles mettent en oeuvre. Cette remise en cause du paritarisme trouve d'abord à s'exprimer dans la gouvernance des caisses, mais également dans la contractualisation avec l'État, et à ces deux égards la branche AT-MP demeure une exception.

L'ouverture des conseils d'administration des caisses nationales à des administrateurs représentants d'autres personnes que les partenaires sociaux s'est renforcée au fil du temps. Aujourd'hui, à l'exception de la branche AT-MP, toutes les caisses nationales du régime général de la Sécurité sociale ont des conseils où les partenaires sociaux sont minoritaires. La branche AT-MP fait donc figure d'exception puisque la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles (CAT-MP)209(*) est uniquement composée de cinq représentants organisations syndicales et d'autant de représentants patronaux, maintenant ainsi une stricte gestion paritaire de la branche.

Composition des conseils d'administration des caisses nationales
des branches du régime général

 

Cnam

Cnav

Cnaf

CNSA

CAT-MP

Représentants des organisations syndicales

13

13

13

10

5

Représentants des organisations patronales

13

13

13

6

5

Représentants de l'État210(*)

2

13

2

10

 

Associations représentants des usagers

3

2 + 1*

5

24211(*)

 

Représentants de collectivités territoriales

     

12

 

Parlementaires

     

2

 

Représentants d'autres organismes de sécurité sociale

1

1*

 

3

 

Représentants d'institutions liées au domaine

4

   

15

 

Personnalités qualifiées désignées par un ministre

1

2

4

3

 

Représentants du personnel de la caisse

3*

3*

3*

   

Total

40

35

40

75

10

*Représentant avec voix consultative.

Source : Code de la sécurité sociale

L'autre levier d'intervention de l'État concerne la gestion des branches via la contractualisation. L'État fixe des objectifs pluriannuels aux branches, formalisés dans des conventions d'objectif et de gestion (COG) pour une période de quatre ans, avec une logique d'objectifs et de résultats. Ces COG sont par la suite déclinés au sein des caisses locales en contrats pluriannuels de gestion (CPG). L'activité de chaque branche est ensuite évaluée selon une périodicité précise, afin de vérifier que les objectifs précis qui ont été assignés aux caisses sont remplis212(*). La dernière COG concernant les risques AT-MP a été signée le 5 juillet 2024 après de longues négociations avec les partenaires sociaux, et devrait couvrir les années 2023 à 2028.

La COG de l'Assurance Maladie - Risques professionnels pour 2023-2028

Actant d'une augmentation de 61 millions d'euros sur cinq ans par rapport à la dernière COG, la COG signée par l'État et les partenaires sociaux le 5 juillet dernier s'articule autour de quatre axes majeurs :

renforcer la prévention des risques professionnels pour la rendre plus efficiente, en poursuivant les programmes consacrés à la prévention des TMS et des risques chimiques, et multipliant les accompagnements personnalisés des entreprises ainsi que les aides financières via un abondement du Fonds national de prévention des accidents du travail (FNAT) ;

améliorer l'accès aux droits et l'accompagnement des assurés, en augmentant le nombre d'ETPT dans les caisses afin de réduire le délai de prise en charge de l'indemnisation des salariés victimes d'AT-MP, en simplifiant les démarches administratives via les outils numériques - notamment concernant le Compte professionnel de prévention (C2P) - et en développant une meilleure communication auprès des acteurs ;

renforcer la relation de service vers les entreprises, en s'adaptant aux différents types d'acteurs et d'entreprises ;

garantir les services fondamentaux de la branche, soit assurer l'équilibre financier de la branche ainsi que la qualité et la fiabilité de sa gestion.

Source : CAT-MP

3. Doter la branche AT-MP d'un conseil d'administration à part entière permettrait de réaffirmer le caractère paritaire de sa gestion

La gestion paritaire de la branche AT-MP, si elle ne semble pas remise en cause à ce jour, doit être réaffirmée comme principe même de la gestion du risque. Dans l'accord national interprofessionnel du 15 mai 2023, signé par les partenaires sociaux, ces derniers appellent à une plus grande autonomie de la branche AT-MP vis-à-vis de la branche maladie. Les organisations représentatives auditionnées par les rapporteures ont souligné que, si la branche est gérée par la CAT/MP qui est effectivement paritaire et qu'elle conserve une COG propre, elle reste rattachée administrativement à la Cnam qui coordonne le réseau des Carsat ainsi que les opérateurs (INRS et Eurogip). Cette instance n'est pas en mesure de garantir l'effectivité des orientations retenues et du pilotage des ressources par les partenaires sociaux, et constitue une anomalie par rapport aux autres branches qui bénéficient toutes d'un conseil d'administration.

Proposition n° 22 : Transformer la CAT-MP en un conseil d'administration à part entière, indépendant de la Cnam, et formaliser la relation avec cette dernière au sein d'une délégation de gestion en complément de la COG.

B. L'ABSENCE DE REPRÉSENTATION DES VICTIMES D'AT-MP DÉCOULE DE LA GESTION STRICTEMENT PARITAIRE DE LA BRANCHE

La stricte gestion paritaire de la branche AT-MP conduit à ce que les victimes d'accidents du travail ou de maladie professionnelle ne soient pas représentées directement au sein de la CAT-MP. Cette absence de représentants des usagers dans la gouvernance est également une « exception » pour reprendre les termes employés par la directrice de la prévention des risques professionnels de la CNAM lors de son audition plénière par la Mecss. L'ensemble des autres branches associent des représentants des publics concernés à la gouvernance, que ce soit au niveau national via le conseil d'administration même, ou au niveau local via des représentants des usagers présents dans différentes instances.

Les représentants des usagers (RU) au sein de la sécurité sociale

L'idée de représentation des usagers a émergé en France avec l'ambition de démocratie sanitaire dans les années 1990, avant de prendre forme au fil des réformes :

- l'ordonnance du 24 avril 1996 portant réforme de l'hospitalisation publique et privée213(*) a créé le statut et missions des représentants des usagers dans le secteur hospitalier ;

la loi Kouchner du 4 mars 2002214(*) a systématisé la participation des usagers dans l'ensemble du système de santé français ;

la loi du 21 juillet 2009 dite « HSPT »215(*) a étendu ce principe de participation des usagers aux instances concernant les retraités, les personnages âgées et les personnes handicapées.

Le représentant des usagers (RU) est une personne bénévole, désignée ou élue, qui appartient à une association agréée d'usagers du système de santé, telle que France Assos santé, Vaincre la mucoviscidose ou encore la Ligue nationale contre le cancer. La mission des RU est de représenter les intérêts et défendre les droits des usagers, afin de contribuer à l'amélioration de la qualité des services de santé. Ils peuvent également être appelés à participer ponctuellement à l'élaboration des politiques, ou à des décisions de gestion concernant les enjeux de santé.

Afin d'exercer ses missions, le représentant des usagers peut siéger dans diverses instances de démocratie sanitaire telles que les commissions des usagers (CDU)216(*) dans les établissements de santé, les Conseils territoriaux de santé (CTS)217(*) ou encore les Conférences régionales de la santé et de l'autonomie (CRSA)218(*).

Au sein de la branche AT-MP, la représentation des usagers est assurée de manière indirecte par les organisations syndicales représentatives dans la mesure où ce sont les salariés qui, lorsqu'ils sont victimes d'un AT-MP, bénéficient des prestations de la branche. Cependant cette représentation n'est qu'imparfaite, et dans les faits ce sont les associations de victimes, telles que la Fnath et l'Andeva, qui disposent de la meilleure connaissance des démarches relatives à l'indemnisation d'un AT-MP.

L'expertise des associations de victimes est reconnue et mise à profit au sein d'organismes nationaux tels que le CNCPH ou l'Agefiph, et elles siègent au sein de commissions en lien avec la santé au travail telles que le Fiva, la commission maladies professionnelles ou encore Santé Publique France. Elles sont également présentes au niveau local au sein des MDPH et des CPAM. Cependant leur participation à la gouvernance de la CAT/MP n'est pas assurée formellement, et cette revendication est vécue comme une immixtion pour partie illégitime de la part des partenaires sociaux.

La Fnath et l'Andeva

Créée en 1921, la Fnath (Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés) accompagne les personnes confrontées à une difficulté d'accès aux droits du fait de leur maladie d'un accident ou d'un handicap. Cet accompagnement s'effectue dans les tâches administratives et juridiques dans les permanences locales, et via la représentation des victimes devant les Pôles Sociaux des Tribunaux Judiciaires et des Cours d'appel.

Créée en 1996, notamment par la Fnath, l'Andeva (Association Nationale de Défense des Victimes de l'Amiante) se propose d'accompagner les malades de l'amiante et leurs familles dans leurs démarches d'indemnisation auprès des organismes de Sécurité sociale et auprès du Fiva (fond d'indemnisation pour les victimes de l'amiante). Plus récemment, l'Andeva s'est ouverte à l'accompagnement des victimes d'autres maladies professionnelles telles que les TMS, la surdité ou encore les risques psychosociaux consécutifs à un burn-out.

Source : Fnath et Andeva

Proposition n° 23 : Modifier la composition de la CAT/MP afin d'y ajouter deux membres représentants d'associations de victimes avec une voie consultative afin de conserver le caractère paritaire de la gestion de la branche tout en valorisant l'expertise de ces associations.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. TRAVAUX DE LA MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DE LA SÉCURITÉ SOCIALES (MECSS)

Audition de Mme Anne Thiebeauld, directrice de la prévention des risques professionnels, et de M. Laurent Bailly, directeur adjoint de la prévention des risques professionnels à la Cnam

(Mardi 14 mai 2024)

- Présidence de Mme Élisabeth Doineau, vice-présidente -

Mme Élisabeth Doineau, vice-présidente. - Nous recevons Mme Anne Thiebeauld et M. Laurent Bailly, respectivement directrice et directeur adjoint de la prévention des risques professionnels à la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam).

Cette audition se place dans le cadre des travaux de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) sur la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP). Le 17 janvier 2024, nos collègues Marie-Pierre Richer et Annie Le Houerou ont été chargées par la Mecss de réaliser un contrôle sur la situation financière de la branche, sa politique d'indemnisation et l'étendue des missions qui lui incombent, notamment en matière de prévention.

Une quinzaine d'autres auditions ont eu lieu ou sont prévues, dans un format plus technique, afin d'interroger l'ensemble des parties prenantes, et en particulier les acteurs institutionnels de la réparation et de la prévention, les partenaires sociaux, les représentants de victimes d'AT-MP, ou des experts juridiques.

Nos travaux de cet après-midi font l'objet d'une captation télévisuelle, diffusée en direct sur le site du Sénat, puis accessible en ligne. Comme c'est l'usage, un compte rendu public sera annexé à notre rapport.

Mme Anne Thiebeauld, directrice de la prévention des risques professionnels de la Cnam. - La branche AT-MP de la sécurité sociale couvre les 19 millions de salariés et les 2 millions d'entreprises du régime général. Le pilotage de la branche est réalisé à proximité de la Cnam, puisque je dépends moi-même de M. Thomas Fatôme, directeur général de l'assurance maladie.

Cette branche est marquée par plusieurs spécificités : au-delà d'être la plus petite de la sécurité sociale, elle couvre les risques professionnels sur l'ensemble des missions dans une logique proche de la logique assurantielle puisqu'elle indemnise les salariés victimes d'accidents de travail, de trajet et de maladies professionnelles. Elle tarifie le coût de ces accidents aux entreprises : la branche repose uniquement sur les cotisations des employeurs. Par conséquent, elle prévient ces mêmes risques qu'elle indemnise. Il y a donc une vraie boucle, y compris en matière de prévention, entre les risques indemnisés et les risques prévenus.

En 2022, la branche a reconnu et indemnisé 560 000 accidents du travail, 90 000 accidents de trajet et 45 000 maladies professionnelles. Ces chiffres ont évolué : ils ont fortement diminué depuis 50 ans avec l'évolution de l'emploi et sa tertiarisation. Avant la crise sanitaire, nous avions atteint un plateau avec une fréquence moyenne de 33 sinistres pour 1 000 salariés, qui se retrouve de façon transversale, quels que soient les secteurs. Cette fréquence moyenne est calculée en indice de fréquence, pour annuler les effets de l'augmentation de l'emploi qui, de fait, augmentent le nombre de sinistres.

Certains secteurs sont plus sinistrogènes : bâtiment et travaux publics, transports... Depuis 10 ans, émerge le secteur médico-social qui a une fréquence trois fois supérieure à la moyenne - je parle de fréquence, et non de gravité. Les accidents du travail les plus graves surviennent dans la construction, avec des chutes de hauteur.

Durant la crise sanitaire, les salariés ont été mis en chômage partiel et le nombre d'accidents du travail a diminué. Ce n'est donc pas représentatif. Depuis 2020, la sinistralité est plutôt à la baisse : il n'y a pas de rattrapage par rapport aux années antérieures à la crise. Il est un peu tôt pour en tirer une signification plus pérenne ou structurelle : il faudra examiner de manière plus macro les années à venir.

La branche reste très largement excédentaire, depuis une dizaine d'années. Elle était déficitaire en 2012. La gouvernance de la branche a alors décidé d'augmenter le taux de cotisation. Actuellement, les recettes de cotisation, liées à l'évolution de l'emploi et à la croissance économique, dépassent les charges de la branche, y compris les transferts existants qui s'ajoutent aux prestations.

- Présidence de M. Alain Milon, président -

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - Au cours de nos auditions, nous avons été alertées sur une méconnaissance statistique des accidents du travail et des maladies professionnelles en France. Les données de la Cnam sur lesquelles nous avons l'habitude de nous fonder ne couvrent, par construction, ni les fonctionnaires, ni les agriculteurs, ni la majorité des micro-entrepreneurs. Les derniers chiffres consolidés sur la sinistralité, produits par la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), datent de 2019. Vous savez l'importance de pouvoir objectiver l'ampleur des phénomènes par des statistiques fiables afin d'éclairer l'action publique. Quelles raisons expliquent-elles que les branches AT-MP des différents régimes de sécurité sociale ne collaborent pas afin de produire des données consolidées sur la sinistralité ? Des projets en ce sens sont-ils en cours ? Une personne auditionnée faisait état de son ressenti, mais on ne peut pas travailler sur ressenti !

L'an dernier, dans le cadre du débat de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS), on a constaté une trajectoire excédentaire, ce qui prouve la déconnexion entre les recettes et les charges à long terme. Étudiez-vous des pistes pour procéder à un rééquilibrage ? Hier, nous avons évoqué avec la direction de la sécurité sociale (DSS) la révision de l'indemnisation des personnes accidentées : le barème indicatif d'invalidité sur lequel nous nous appuyons a plus de 50 ans. Compte tenu de l'excédent de la branche, il nous semble opportun de travailler sur cette indemnisation pour qu'elle soit en phase avec les accidents et les métiers actuels.

L'Association des accidentés de la vie (Fnath, ancienne Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés), que nous avons entendue, estime que, du fait de l'évolution du système assurantiel, d'autres régimes de réparation sont désormais plus protecteurs que celui de la branche AT-MP. En effet, la branche AT-MP ne propose qu'une indemnisation forfaitaire, même en l'absence de présomption favorable à la victime, comme dans le cas des maladies professionnelles hors tableau. Les principes sur lesquels repose l'indemnisation par la branche AT-MP vous paraissent-ils dépassés, voire obsolètes, face à l'évolution du droit de la réparation corporelle ?

Je pense notamment à la jurisprudence qui avait donné lieu à l'accord national interprofessionnel (ANI) et à ce fameux article 39 qui animait nos débats dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024. Nous avions souhaité aller plus loin par rapport à tout ce qu'a pu produire cet article 39.

Mme Annie Le Houerou, rapporteure. - Nos auditions avec les associations de victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles ont fait émerger certaines inquiétudes quant à l'homogénéité du service rendu par les caisses sur le territoire national, que ce soit en matière de délais d'instruction des demandes ou de positionnement des caisses auprès des assurés. Certaines seraient investies dans un rôle de conseil auprès de l'assuré pour qu'il puisse faire valoir ses droits, tandis que d'autres sont pointées du doigt pour « un manque de pédagogie auprès des victimes pouvant même aller jusqu'à générer des relations conflictuelles entre la caisse et les assurés », selon les associations de défense des victimes d'accidents du travail. En tous les cas, l'accompagnement n'est pas suffisant.

Avez-vous eu des remontées sur l'existence de différences de culture organisationnelle entre les caisses ? Comment vous assurez-vous que les lignes directrices et les procédures soient appliquées de manière uniforme, ou du moins de manière concertée et homogène, par les caisses sur le territoire national ?

Le rapport de la Cour des comptes, assez critique sur les politiques de prévention en santé au travail, précise notamment que le système AT-MP n'incite pas assez à la prévention. Vous avez parlé de boucle prévention-réparation. Pensez-vous également que le ratio entre réparation et prévention est en cause ? Quelles initiatives prenez-vous pour répondre à ces critiques ?

Enfin, lors de nos auditions, les associations de victimes ont déploré leur exclusion de la gouvernance de la branche AT-MP. Une évolution du caractère strictement paritaire de cette gestion serait-elle souhaitable ?

Mme Anne Thiebeauld. - Vous évoquiez la méconnaissance statistique. De fait, statutairement, la branche et la direction des risques professionnels qui la pilote ne couvrent que le régime général. Nous ne produisons que des statistiques sur les salariés et les entreprises de ce régime. Mais consolider les données en inter-régime permet d'avoir une vision d'ensemble. C'est important dans certains secteurs à cheval entre le public et le privé, par exemple le secteur médico-social où nous n'avons qu'une vision partielle de la sinistralité.

Un groupe de travail, piloté par la direction générale du travail (DGT), avec la Dares, a été créé sur ce sujet afin de consolider ces données et de reprendre la codification sur un angle comparable. Faute de références communes, il est difficile de comparer les données sortant des différents régimes.

Nous sommes aussi soumis à une contrainte, à savoir une production de données référencée par Eurostat : nous ne sommes donc pas totalement libres d'ajuster nos modèles de données. C'est une rigueur statistique particulière. Ce sujet est actuellement examiné par différents régimes. Je n'ai cependant pas de vision globale sur les échéances ou le pilotage.

Concernant l'excédent durable de la branche, quelques projets ont déjà été mis en oeuvre et devraient peser sur cet excédent : la réforme des retraites a créé le fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle, financé par l'excédent de la branche à hauteur de 1 milliard d'euros sur les cinq prochaines années. Ce n'est pas neutre, 200 millions d'euros par an ! Cet excédent va donc mécaniquement se réduire.

La réforme des retraites a également étendu les droits des assurés. En élargissant les seuils d'exposition aux facteurs de risque couverts par le compte professionnel de prévention (C2P), les assurés bénéficieront de davantage de points pour, in fine, profiter soit d'une retraite anticipée, soit de mesures de formation et de reconversion professionnelle. Cet élargissement de droits, assis sur l'équilibre financier global de la branche, permettra une meilleure indemnisation ou du moins une prise en charge des facteurs de risque.

Vous évoquez la possibilité d'améliorer la réparation grâce à cet excédent. C'est tout l'enjeu de l'ancien article 39, financé de mémoire à hauteur de 250 millions d'euros dans le PLFSS 2024. Il pèse, de fait, sur la branche et donc sur son excédent. Les discussions entre partenaires sociaux se poursuivent pour introduire une nouvelle mesure dans le PLFSS 2025. Nous menons des travaux sur la rente et les préjudices indemnisés, en lien avec la jurisprudence de la Cour de cassation de janvier 2023 afin d'améliorer la réparation sous forme de rente viagère pour l'ensemble des victimes. Je mets de côté la faute inexcusable de l'employeur qui, de fait, n'incombe pas aux dépenses de la branche. Je ne puis cependant pas vous dire quelle sera l'ampleur du financement de cette mesure.

L'indemnisation forfaitaire de la branche est-elle dépassée ou toujours d'actualité ? Nous avons des relations de travail régulières avec la Fnath. J'ignore quels systèmes de réparation comparables ils évoquent. Je pense aux accidents avec véhicule à moteur ou à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam), qui concernent de petits périmètres. Il existe également, me semble-t-il, un système de réparation intégral pour les victimes d'accidents nucléaires. Ce sont des périmètres qui n'ont pas la même ampleur ni le même impact qu'une branche complète de la sécurité sociale. Je ne sais pas si ces sujets sont totalement transposables, car le changement d'échelle serait important.

Dans le pacte social qui la fonde, la branche AT-MP repose sur une indemnisation forfaitaire, qui s'accompagne d'une présomption d'imputabilité pour l'employeur. Ce n'est pas totalement neutre. La grande spécificité de notre branche est de découler du compromis de 1898. En tant qu'opérateur, je n'ai pas d'avis sur la question de savoir si le système est dépassé ou pas. Actuellement, nous reconnaissons un peu moins de 1 million de sinistres par an. Je ne dis pas que c'est suffisant ou juste, mais cela permet de maintenir l'équilibre, avec une indemnisation forfaitaire assortie d'une présomption d'imputabilité. Si l'on veut changer l'un, il faut aussi réfléchir à l'autre volet. Faudrait-il renoncer à la présomption d'imputabilité ? Ce ne serait pas forcément une bonne nouvelle pour les assurés. Il est donc important de traiter le sujet dans sa globalité.

L'homogénéité du traitement des demandes est une question primordiale pour nous, en tant que pilote d'un réseau d'une centaine de caisses primaires d'assurance maladie (CPAM). Sur la réparation et l'indemnisation des salariés, nous nous adossons aux structures de l'assurance maladie, notamment sur les CPAM, puisque nous sommes sur un processus de reconnaissance et de traitement médico administratif.

Nous avons beaucoup travaillé sur l'homogénéisation, car certaines différences territoriales dans l'accompagnement ont pu être constatées il y a quelques années. Nous avons donc créé des directeurs de CPAM référents sur la reconnaissance de l'origine professionnelle des accidents du travail et maladies professionnelles, ce qui nous permet d'avoir 15 interlocuteurs en métropole au lieu de 100. Par la fixation d'objectifs, nous constatons ces dix dernières années un resserrement des délais de traitement et une amélioration des indicateurs de performance autour de moyennes régionales et désormais nationales. Dans notre rapport annuel, nous affichons des résultats d'homogénéité plutôt satisfaisants.

Certes, au sein d'un réseau national et avec 1 million de sinistres, il peut exister des cas non satisfaisants. C'est la raison pour laquelle nous demandons à la Fnath et à d'autres associations de victimes de nous transmettre les situations particulières dont elles ont connaissance. Les associations de victimes n'ont pas fait état récemment de difficultés au niveau départemental, qu'il s'agisse d'inattention ou d'absence de pédagogie.

Des CPAM peuvent aussi faire remonter des cas particuliers. Nous avons une animation de réseau classique, avec des indicateurs de performance.

Nous regardons régulièrement les rapports annuels de la médiation puisque chaque CPAM dispose d'un médiateur en son sein. Actuellement, les sujets AT-MP sont très minoritaires. Nous espérons avoir des radars suffisants. Le rôle des CPAM est bien d'accompagner les salariés dans leur accès au droit et aux soins.

Vous citiez un rapport critique de la Cour des comptes sur la politique de prévention, qui ne serait pas assez incitative. Je ne sais pas ce que serait un ratio entre indemnisation et prévention suffisant... Actuellement, 4 % des dépenses de la branche sont consacrées à la prévention, qu'il s'agisse des 79 millions d'euros de budget annuel de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), du salaire des 800 préventeurs ou des 500 administratifs qui travaillent dans les services prévention des caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat).

Les incitations financières de la branche envers les entreprises atteignent une centaine de millions d'euros par an. Ce montant augmente avec le fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle puisqu'on ajoutera 200 millions d'euros pour les aides financières en prévention. Nous dépasserons sans doute quelque peu le ratio de 4 %. Quel est le bon seuil ? Il me semble que cette indication ne figure pas dans le rapport de la Cour des comptes...

La politique de prévention repose beaucoup sur l'accompagnement des entreprises, or il est difficile de l'appliquer lorsque nous avons un maillage territorial où plus de 80 % des entreprises françaises sont très petites, avec très peu d'assurés, et donc peu d'accidents du travail. C'est un obstacle important à la diffusion d'une culture de la prévention. Selon le code du travail, l'employeur doit être attentif d'abord aux moyens collectifs de prévention avant de développer des moyens individuels. Cette logique de prévention est plus facile à mettre en place dans de grandes entreprises.

Les incitations financières directes sont un moyen de faire connaître les démarches de prévention existantes.

Je suis convaincue que le premier levier de prévention, c'est la tarification. Si l'on met en place une logique de baisse de cotisation quand l'entreprise subit moins de sinistres en son sein, c'est vertueux pour la prévention.

Nous avons des programmes nationaux de prévention qui fonctionnent. Il faut améliorer la prévention, mais aussi la tarification. Évidemment, il ne s'agit pas de faire peser des contraintes économiques et financières fortes sur de toutes petites entreprises. Il est normal qu'il y ait une tarification mutualisée pour les toutes petites entreprises, mais il faut tendre vers l'individualisation.

Il existe des méthodes de tarification qui fonctionnent : nous avons déployé, depuis une dizaine d'années, le programme TMS Pros, qui prévoit l'accompagnement des entreprises les plus sinistrogènes par un préventeur de Carsat. En 5 ans, celles-ci ont vu leur sinistralité diminuer - ce n'est pas si fréquent pour une politique publique de prévention.

En tant qu'opérateur, je n'ai pas de jugement de valeur à avoir sur l'exclusion des associations de victimes de la gouvernance de la branche AT-MP. Cette gouvernance est définie réglementairement. Je note juste que c'est une spécificité qui n'existe dans aucune autre branche de la sécurité sociale.

Mme Annie Le Houerou, rapporteure. - On entend dire que les modalités de tarification peuvent conduire à des sous-déclarations ou à des pressions pour moins déclarer dans les petites entreprises. Qu'en pensez-vous ?

Mme Anne Thiebeauld. - Si l'on veut faire ce lien entre tarification et sous-déclaration, cela pèserait surtout sur les grandes entreprises, car elles sont tarifées individuellement. Pour les petites, la tarification est mutualisée.

Ce lien a une logique intellectuelle. La commission sur la sous-déclaration se réunit réunie cette année pour étudier ces situations. Elle a mené des travaux techniques et scientifiques. La sous-déclaration la plus importante est celle des maladies professionnelles à effet différé, comme un cancer professionnel qui se déclenche 20 à 30 ans après l'exposition, alors que le salarié peut être retraité ou avoir coupé tout lien avec son entreprise. Il peut ignorer qu'il lui est possible de déclarer cette maladie ; sa situation de malade n'est pas propice au fait de s'atteler à une démarche administrative qui peut être lourde.

Il ne faut pas sous-estimer ces sous-déclarations. Une partie des déclarations de sinistre sont incomplètes : tantôt il manque la déclaration de l'employeur, tantôt celle de l'assuré, tantôt le certificat médical. Nous travaillons pour notre prochaine convention d'objectifs et de gestion à la simplification de cette procédure déclarative, qui reste beaucoup trop lourde.

M. Alain Milon, président. - Vous nous avez convaincus sur ce sujet important. Je souhaite que nous puissions avancer pour que la branche AT-MP soit une branche à part entière.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

II. TRAVAUX DE LA COMMISSION : EXAMEN DU RAPPORT

La branche accidents du travail et maladies professionnelles - Examen du rapport d'information

(Mercredi 9 octobre 2024)

- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -

M. Philippe Mouiller, président. - Nous allons examiner le rapport d'information de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) sur la branche accidents du travail et maladies professionnelles.

Avant que les rapporteures, Marie-Pierre Richer et Annie Le Houerou, nous présentent les travaux qu'elles ont conduits et leurs propositions, je cède la parole au président de la Mecss, Alain Milon.

M. Alain Milon, président de la Mecss. - Conformément à l'usage, ce rapport est directement soumis à la commission des affaires sociales sans que la Mecss ait préalablement donné son avis. Il me semble que tel devrait être le cas. Si le règlement intérieur de la Mecss prévoit que les rapports de la Mecss sont adoptés par la commission, il n'empêche pas la Mecss de les examiner préalablement.

M. Philippe Mouiller, président. - Cela semblerait assez logique. À l'avenir, cela ne me choquerait pas que la Mecss se prononce, de façon informelle, si elle le souhaite, avant l'examen formel du rapport d'information par la commission des affaires sociales.

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - Je remercie Alain Milon, président de la Mecss de nous avoir confié ce rapport. Quelque 11,7 milliards d'euros : c'est l'excédent cumulé prévisionnel que devrait atteindre, en 2027, la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) de la sécurité sociale, chargée de la prévention et de la réparation des risques professionnels. Ce montant vertigineux témoigne d'un excédent structurel résultant de la déconnexion croissante entre les ressources de la branche, constituées quasi intégralement par des cotisations patronales, et les prestations qu'elle verse. À l'exception du cas particulier de l'année 2020, depuis plus de dix ans, la branche AT-MP dégage des excédents chaque année. Faut-il s'en réjouir ? Au risque de surprendre, je ne le crois pas.

La branche AT-MP constitue une assurance sociale, dont la nature même appelle une situation financière équilibrée. Elle n'a vocation ni à dégager durablement d'importants excédents, à la différence d'une entreprise privée, ni à s'inscrire dans une situation de déficit particulièrement préoccupante pour la soutenabilité de notre système social, comme c'est le cas de la branche maladie.

Ce constat implique de se poser la question de la mobilisation des excédents de la branche AT-MP.

Faut-il utiliser cette branche comme variable d'ajustement des finances de la sécurité sociale, comme les précédents gouvernements semblaient le privilégier ? Nous ne le pensons pas. Depuis une dizaine d'années, les transferts à la charge de la branche se multiplient, que ce soit le fameux transfert à la branche maladie au titre de la sous-déclaration des AT-MP ou le « swap » de taux de cotisation avec la branche vieillesse, c'est-à-dire l'augmentation du taux de cotisation employeur pour la branche vieillesse et, en miroir, la baisse de ce taux de cotisation pour la branche AT-MP, ce qui engendre un manque à gagner pour cette dernière.

Nous ne remettons pas en cause la pertinence de l'existence de ces transferts ; pour autant, il faut s'alerter de la croissance perpétuelle de leurs montants. Il s'agit, sans la nommer, d'une forme de péréquation interbranches, qui conduit à dévoyer les excédents de la branche AT-MP. Sans exprimer d'opposition de principe à une augmentation des transferts en cas de nécessité avérée, nous appelons à rééquilibrer la méthode de calcul du transfert à la branche maladie au titre de la sous-déclaration, en prenant mieux en compte la surdéclaration.

Mme Annie Le Houerou, rapporteure. - Nous partageons une préoccupation commune : garantir que les cotisations versées à la branche AT-MP soient bien affectées à leur vocation originelle, à savoir la prévention et la réparation des risques professionnels. Car les besoins ne manquent pas ! Alors qu'on dénombre encore près d'un million de sinistres par an en France, un investissement massif dans la prévention est nécessaire pour réduire, autant que faire se peut, la survenue d'accidents du travail et de maladies professionnelles.

De la même manière, un effort financier supplémentaire est souhaitable pour améliorer la réparation attribuée aux victimes, qui est aujourd'hui insuffisante pour éviter une baisse significative de leur niveau de vie. Les victimes d'AT-MP ne sauraient être moins protégées que celles de droit commun ; c'est, à mon sens, une conviction que nous pouvons tous partager.

Les mesures de justice et d'équité entre les victimes défendues dans le cadre de ce rapport sont donc, pour certaines, dépensières, tout comme le choc d'investissement inédit que nous estimons nécessaire en matière de prévention. Pour autant, notre boussole a été de veiller à la pleine compatibilité de l'ensemble des propositions du rapport avec l'équilibre financier de la branche. Aussi l'application de nos vingt-trois recommandations conduirait-elle la branche AT-MP à s'inscrire dans une trajectoire légèrement, mais durablement, excédentaire.

Avant de présenter les propositions de ce rapport en matière de réparation, il convient de faire un état des lieux des prestations de la branche AT-MP. Ces dernières ont atteint un montant de 15,4 milliards d'euros en 2023, dont 12,3 milliards d'euros de prestations nettes, regroupant des prestations à la fois en nature et en espèces.

Les prestations en nature correspondent à la prise en charge intégrale, avec dispense d'avance de frais, des frais de santé liés à un AT-MP - consultations, médicaments, examens ou encore analyses - dans la limite de la base de remboursement de la sécurité sociale. Si ces conditions de remboursement sont plus favorables que celles de droit commun, puisqu'aucun ticket modérateur ne s'applique, elles n'évitent pas, pour autant, tout reste à charge. Seuls les assurés les plus lourdement atteints à la suite d'un AT-MP bénéficient d'une prise en charge intégrale de l'ensemble de leurs soins, y compris de ceux qui ne sont pas liés au sinistre. Les prestations en nature atteignent 1,2 milliard d'euros en 2022, soit 9 % des prestations totales de la branche.

Au sein des prestations en espèces, qui visent à compenser la perte de revenus, on distingue des prestations d'incapacité temporaire, qui complètent les revenus de l'assuré en arrêt de travail, et des prestations d'incapacité permanente, destinées aux assurés dont la force de travail est durablement amoindrie.

Au titre de l'incapacité temporaire, la branche AT-MP verse, comme la branche maladie, des indemnités journalières (IJ) aux assurés en arrêt de travail. Celles-ci représentent une part importante : 43 %, des prestations de la branche, soit 4,8 milliards d'euros en 2023, dont 82 % sont consacrés aux arrêts de travail longs dépassant vingt-huit jours. Les modalités de calcul sont en principe plus favorables en cas d'AT-MP qu'en cas de maladie : la fiscalisation est plus avantageuse et les IJ sont versées jusqu'à consolidation, sans limitation de durée, contrairement aux IJ pour un arrêt maladie. De plus, à la différence de ces dernières, les IJ pour AT-MP sont versées sans délai de carence, sauf pour les non-salariés agricoles : nous proposons de faire cesser cette différence de traitement et de supprimer ce délai de carence afin de lutter contre la sous-déclaration.

En outre, le taux de remplacement, de 60 % puis de 80 % du salaire, appliqué en fonction de la durée de l'arrêt, est plus favorable que celui appliqué en cas de maladie, qui est de 50 %. Toutefois, l'écart est réduit par l'obligation faite aux employeurs de compléter les IJ pour garantir au salarié en arrêt de travail un revenu au moins égal à 90 % de son salaire pendant au moins trente jours, et ce quel que soit le taux des indemnités journalières. En définitive, hormis pendant le délai de carence, les salariés en arrêt de travail, que ce soit pour AT-MP ou pour maladie, perçoivent un revenu de remplacement global comparable, de l'ordre de 90 % de leur salaire.

Au bénéfice des victimes et afin de mieux différencier les prestations AT-MP des prestations maladie pour lutter contre la sous-déclaration, nous appelons à mieux articuler les IJ et les indemnités employeur pour garantir un maintien de salaire intégral lors des vingt-huit premiers jours d'arrêt pour AT-MP, sans surcoût pour l'employeur.

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - Passons au sujet qui a motivé le lancement de cette mission d'information : la réforme de l'indemnisation de l'incapacité permanente par la branche AT-MP. Lorsque l'état de santé d'une victime d'AT-MP se stabilise sans qu'une guérison totale soit opérée, un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) lui est attribué en fonction d'un barème. Par exemple, l'amputation de la main forte d'une victime d'AT-MP est associée à un taux d'IPP de 70 %, et une insuffisance respiratoire moyenne à un taux compris dans une fourchette de 30 % à 50 %. Ces barèmes sont parfois imprécis, voire obsolètes, puisqu'ils n'ont pas tenu compte de l'évolution des connaissances médicales. Leur révision, lancée en 2016, est un véritable serpent de mer, aujourd'hui au point mort : nous appelons à relancer au plus vite ces travaux pour garantir l'homogénéité et l'équité de l'indemnisation sur le territoire.

Avant d'entrer dans le détail des prestations de la branche, un bref rappel historique est nécessaire. Le droit civil repose sur un principe simple : le demandeur doit apporter la preuve de l'existence d'une faute pour bénéficier d'une indemnisation, qui présente alors un caractère intégral. Toutefois, l'asymétrie de la relation entre l'employeur et l'employé peut dissuader la victime d'agir en justice contre son employeur pour un AT-MP.

Par conséquent, en vertu du compromis historique de la loi du 9 avril 1898 concernant les responsabilités dans les accidents du travail, la réparation de la branche AT-MP déroge à cette règle. L'indemnisation ne présente pas de caractère intégral, en contrepartie de quoi le salarié bénéficie, en règle générale, d'une présomption d'imputation du sinistre à l'activité professionnelle. L'assuré garde le droit d'obtenir une réparation intégrale pour les champs non couverts par l'indemnisation AT-MP s'il prouve la faute inexcusable de son employeur, mais cette procédure est, en pratique, rarement engagée - on dénombre quelque 1 600 cas par an, sur près d'un million de sinistres.

De son côté, l'employeur peut également contester le caractère professionnel du sinistre, mais cette pratique demeure très minoritaire et ne concerne que 4 % des cas environ. Ce compromis historique a permis aux victimes de bénéficier d'une réparation particulièrement rapide, prévisible et facile d'accès, aussi est-il plébiscité, encore aujourd'hui, par l'ensemble des parties auditionnées.

Si ce compromis a constitué une avancée sociale indéniable, la réparation AT-MP est restée imperméable au mouvement du droit en faveur d'une prise en compte accrue des situations individuelles. Divers régimes d'indemnisation, par exemple pour les accidents de circulation ou pour les accidents médicaux, sont désormais plus protecteurs pour les victimes, car ils prévoient l'aménagement, voire la suppression de la charge de la preuve, tout en proposant une réparation intégrale. Ils bénéficient donc des avantages de la réparation AT-MP, sans en subir la contrepartie.

Mme Annie Le Houerou, rapporteure. - Cela dit, au sein de la branche AT-MP, deux types de prestations existent pour offrir une réparation aux victimes d'AT-MP présentant une incapacité permanente. Les assurés présentant un « petit » taux d'incapacité, c'est-à-dire inférieur à 10 %, se voient attribuer une indemnité en capital forfaitaire, versée en une fois et allant de 485 euros, pour un taux d'IPP de 1 %, à 4 844 euros, pour un taux de 9 %. Cette réparation, la seule dont les victimes bénéficient, n'est « jamais à la hauteur des préjudices subis » selon les associations de victimes et, de fait, son coût est modique pour la branche : 115 millions d'euros, soit 2 % des prestations d'incapacité permanente, pour deux tiers des victimes.

Les victimes présentant un taux d'IPP de plus de 10 % ou leurs ayants droit en cas de décès bénéficient, quant à elles, d'une rente viagère versée trimestriellement ou mensuellement. Les rentes représentent le principal poste de dépenses de la branche AT-MP, soit 5,7 milliards d'euros en 2023. Au régime général, 71 % des rentes étaient affectées à 1,2 million de victimes directes et 29 % des rentes aux 82 000 ayants droit éligibles, très majoritairement des conjoints.

Dans le régime général, le montant de la rente est déterminé par le produit de deux paramètres : le salaire utile et le taux d'incapacité utile. Ces transformations du salaire et du taux d'IPP, qui font que la rente perçue ne compense pas le déficit professionnel encouru, sont très décriées par les associations de victimes. Sans entrer dans le détail des calculs disponible dans le rapport, je citerai tout de même deux exemples qui illustrent le besoin de revaloriser ces rentes : un assuré atteint d'une tumeur de la vessie et qui percevait un salaire de 2 500 euros par mois reçoit 375 euros de rente par mois ; un assuré souffrant d'une insuffisance cardiaque de nature à rendre la vie professionnelle très perturbée ou impossible et qui touchait 1 833 euros par mois perçoit 733 euros de rente mensuelle.

La réparation de l'incapacité permanente par la branche AT-MP ne suffit pas à éviter une baisse considérable du niveau de vie des victimes. D'après la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), si le niveau de vie des victimes est, dans un premier temps, maintenu avec le concours des allocations chômage, la survenue d'un sinistre ouvrant droit à une rente dans un foyer cause ainsi une perte de 4 000 euros de revenus par an, en moyenne, après quatre ans. Autre statistique impressionnante : la rente moyenne n'excède le seuil de pauvreté qu'à partir d'un taux d'IPP de 80 %, lequel ne concerne que 1 % des bénéficiaires.

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - Pour bénéficier d'une indemnisation supérieure, la victime d'AT-MP peut engager une procédure en faute inexcusable de l'employeur (FIE). Cette qualification ouvre droit à une majoration des prestations AT-MP et à une indemnisation intégrale des postes de préjudice non déjà indemnisés par la rente, financées par l'entreprise fautive.

Se pose alors, en creux, la question des postes que la rente AT-MP est censée indemniser précisément, question au coeur de débats juridiques depuis plus de dix ans. La rente AT-MP indemnise-t-elle uniquement le préjudice professionnel, c'est-à-dire les pertes de salaires encourues, ou bien couvre-t-elle également le déficit fonctionnel permanent (DFP), à savoir la réduction du potentiel physique et intellectuel ?

La loi est silencieuse sur ce point : nous appelons d'ailleurs, dans le rapport, à clarifier cela. Cette question est donc laissée à l'interprétation de la justice, dont le point de vue a récemment changé. Alors que la Cour de cassation estimait depuis 2009 que la rente revêtait un caractère dual, à la fois professionnel et fonctionnel, elle a finalement rejoint la position du Conseil d'État par un revirement de jurisprudence en date du 20 janvier 2023. Estimant que la rente, calculée en fonction du salaire, ne peut indemniser le DFP, par nature extraprofessionnel, la Cour de cassation juge désormais que la rente n'indemnise que le déficit professionnel et qu'elle ne présente plus de caractère dual.

Mme Annie Le Houerou, rapporteure. - Cette décision n'emporte strictement aucune conséquence pour l'immense majorité des victimes d'AT-MP, qui ont recouru à la procédure amiable, puisqu'elle n'a pas d'effet sur le montant des rentes.

Pour autant, elle a un effet déterminant pour les victimes d'AT-MP qui voient la faute inexcusable de leur employeur être reconnue : dès lors que le déficit fonctionnel n'est plus réparé forfaitairement par la rente, il peut alors être indemnisé intégralement par l'employeur coupable, sur décision du juge. Cela peut représenter une hausse de l'indemnisation immédiate de l'ordre de la centaine de milliers d'euros pour les victimes.

Cette décision, applaudie par l'ensemble des associations de victimes, a suscité l'appréhension des partenaires sociaux, qui ont appelé le législateur à réaffirmer la nature duale de la rente dans le cadre d'un accord national interprofessionnel unanime quelques mois après. Certains risques mis en avant par les organisations patronales, notamment celui de faillites massives d'entreprises, doivent être relativisés au regard de la rareté des procédures en FIE et de la couverture quasi systématique de ce risque par les assurances.

Pour autant, afin de préserver le compromis historique, il importe que l'écart entre la réparation par voie amiable et celle par voie contentieuse ne soit pas trop important. Or la solution de la Cour de cassation conduit à une revalorisation de la procédure contentieuse telle qu'une judiciarisation des AT-MP est à craindre. Personne, ni les employeurs ni les victimes, n'a à gagner à ce que la procédure contentieuse devienne une nouvelle norme : il en résulterait des délais d'indemnisation accrus et une grande imprévisibilité.

En outre, réaffirmer la dualité de la rente permettra d'offrir une réparation du DFP par voie amiable, alors que ce poste de préjudice ne peut être indemnisé par le juge qu'en cas de FIE en vertu des arrêts de la Cour. Il s'agit d'une évolution bienvenue dans un contexte juridique marqué par la considération accrue accordée au déficit fonctionnel. Nous estimons donc qu'il est souhaitable, comme les partenaires sociaux nous y invitent, de consacrer la dualité de la rente dans la loi.

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - L'inscription dans la loi de la dualité de la rente doit s'accompagner d'une revalorisation majeure des prestations d'incapacité permanente et d'une évolution de leur mode de calcul. À l'exception de la CGT, l'ensemble des partenaires sociaux représentatifs à l'échelle nationale, conscients des besoins, ont abouti à une proposition convaincante : ils ambitionnent de moderniser les prestations en créant une « part fonctionnelle » de la rente et de l'indemnité en capital, proportionnelle à un taux d'incapacité spécifique. Cette part viendrait s'ajouter au montant actuel des prestations, qui deviendrait la « part professionnelle » de l'indemnisation. Nous recommandons, en conséquence, de faire dépendre du salaire la part professionnelle de l'indemnité en capital.

Sous réserve que cette évolution soit avantageuse pour toutes les victimes en procédure amiable, nous souscrivons pleinement à la modernisation du mode de calcul proposée par les partenaires sociaux, qui permettra de revaloriser les rentes. Les partenaires sociaux, y compris les organisations patronales, consentent à l'effort financier associé, qui sera majeur pour la branche - 60 % plus élevé que la proposition du Gouvernement dans l'article 39 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024.

En outre, nous saluons la proposition des partenaires sociaux de permettre aux victimes présentant un taux d'incapacité lourd, supérieur à 50 %, de capitaliser une partie de la part fonctionnelle de leur rente - c'est-à-dire de transformer, dans la limite d'un plafond, une partie de leur rente viagère en un versement unique. Cette innovation permettra d'augmenter l'indemnisation de court terme pour répondre aux besoins immédiats d'adaptation de l'habitat et de l'environnement des victimes.

Mme Annie Le Houerou, rapporteure. - Toutefois, nous avons estimé que la proposition des partenaires sociaux ne répondait pas pleinement aux enjeux concernant la faute inexcusable de l'employeur.

Compte tenu du consensus entourant l'insuffisance de l'indemnisation en FIE, ces victimes doivent bénéficier d'un traitement spécifique et être, en tout état de cause, mieux loties qu'avant le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation.

En revalorisant les rentes, les partenaires sociaux augmenteraient l'indemnisation de long terme des victimes de FIE, qui bénéficieraient de rentes majorées à la fois sur la part professionnelle et sur la part fonctionnelle nouvellement créée. Pour autant, la réaffirmation de la dualité de la rente a pour corollaire de sortir le déficit fonctionnel des postes de préjudice indemnisables intégralement par le juge et de l'intégrer à la rente : cela implique le passage d'un revenu de court terme, avec un versement en capital unique, à un versement moins important, mais viager.

Nous estimons donc souhaitable, pour répondre pleinement aux enjeux concernant les victimes de FIE, d'augmenter l'indemnisation de court terme dont ils peuvent bénéficier afin de les rapprocher de leur situation actuelle. Pour ce faire, nous appelons à compléter la solution des partenaires sociaux en permettant à toutes les victimes de FIE de capitaliser, sur option, une partie de leur rente. Le montant ouvert à capitalisation pourrait atteindre, pour ces seules victimes, près de 70 000 euros.

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - Pour conclure sur la réparation, je ferai un point sur l'aide humaine, un sujet très important. Sous condition d'un taux d'IPP suffisant, la branche AT-MP verse une majoration forfaitaire à la rente pour financer le besoin en aide humaine des assurés incapables de réaliser seuls certains actes ordinaires de la vie. Mais le montant versé est souvent bien insuffisant pour éviter des restes à charge lourds : la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (Fnath) estime que la majoration permet, au plus, de financer trois heures d'aide humaine par jour. Les assurés recourent donc souvent, en complément, à la prestation de compensation du handicap (PCH), ce qui pèse sur les finances des départements.

À l'unisson avec les partenaires sociaux, nous appelons à rapprocher l'aide humaine AT-MP de la PCH, qui colle mieux aux besoins des assurés en proposant une indemnisation à proportion des heures d'aide humaine qui leur ont effectivement été apportées.

Un mot, enfin, sur un sujet connexe, à propos duquel nombre d'entre vous ont été sensibilisés : nous avons auditionné le collectif Les oubliés de la réforme 2022-257, dénonçant les répercussions négatives de la réforme des modalités de cumul entre revenus d'activité et pension d'invalidité. Depuis cette réforme, si le cumul de la pension d'invalidité et d'autres revenus dépasse un certain seuil, la pension d'invalidité est écrêtée et peut même être supprimée, ce qui prive les assurés du droit aux prestations de prévoyance ou de complémentaire retraite ouvert aux titulaires d'une pension d'invalidité.

À ce sujet, nous proposons d'augmenter le plafond de revenus au-delà duquel la pension d'invalidité est écrêtée, et nous recommandons d'inscrire dans la loi le principe d'une pension d'invalidité « socle » versée à toutes les personnes dont l'état de santé le justifie, indépendamment de leur revenu, afin que soit toujours maintenu le droit aux prestations connexes à la pension d'invalidité.

En ce qui concerne la prévention, l'action de la branche AT-MP nous semble également devoir être confortée. Cette mission qui incombe de façon subsidiaire à la branche fait l'objet, via le Fonds national de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (FNPATMP), de 382 millions d'euros de financement en 2022, soit tout juste 3,2 % de l'ensemble des dépenses de la branche, là où l'Allemagne y consacre près de 10 %.

Afin de replacer la prévention au coeur des préoccupations, et ainsi éviter des drames humains au coût réel pour la collectivité, nous proposons de viser à l'horizon de la fin de la convention d'objectifs et de gestion (COG), soit avant 2028, de porter ces dépenses à hauteur de 7 % des dépenses de la branche, ce qui constituerait un investissement inédit.

Cependant, cette augmentation des dépenses de prévention doit s'accompagner d'un renforcement de leur efficacité, et notamment du ciblage des subventions en faveur des entreprises. Les subventions aux très petites entreprises (TPE), qui totalisent 66 % des dépenses d'intervention de la branche, sont accordées dans une logique de « premier arrivé, premier servi », ce qui ne permet pas de favoriser les employeurs faisant face aux risques professionnels les plus importants, et ne soutient pas non plus spécifiquement les priorités affichées par ailleurs par la branche, dans le cadre de ses programmes de prévention TMS (troubles musculo-squelettiques) Pros et Risques chimiques Pros notamment.

Enfin, nous avons constaté que les opérateurs financés par la branche AT-MP, notamment l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), constituent une plus-value saluée par l'ensemble des partenaires sociaux en matière d'expertise et d'accompagnement des programmes de prévention. À l'avenir, les difficultés de conclusion des COG de la branche ne doivent plus mettre en difficulté ces opérateurs sur le plan financier, et il sera nécessaire de porter une attention particulière à la pérennité de leur financement par les services de l'État.

Mme Annie Le Houerou, rapporteure. - Pour finir, nous nous sommes intéressées aux modalités de gouvernance de la branche AT-MP. Celle-ci fait figure d'exception dans le paysage de la sécurité sociale française, puisqu'elle demeure la dernière branche où la gouvernance est strictement paritaire. La Commission des accidents du travail et des maladies professionnelles (CAT-MP) est en effet uniquement composée de cinq représentants d'organisations syndicales et d'autant de représentants patronaux.

Pour autant, l'accord national interprofessionnel (ANI) du 15 mai 2023, signé par les partenaires sociaux, appelle à une plus grande autonomie de la branche AT-MP vis-à-vis de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), et plaide notamment pour transformer la CAT-MP en un conseil d'administration à part entière, dont le lien à la Cnam serait formalisé par une délégation de gestion. Il nous semble que, symboliquement, cette évolution permettrait de réaffirmer l'importance du modèle paritaire dans la gestion des risques professionnels, et également de responsabiliser davantage les partenaires sociaux, tout en reconnaissant leur expertise.

Cependant, nous considérons, dans le même temps, que les victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles devraient être mieux représentées au sein de la gouvernance de la branche. Nous avons entendu les remarques des organisations syndicales, qui représentent ces victimes, mais cette représentation demeure à notre sens indirecte, et donc incomplète. La branche AT-MP est, du reste, la seule à ne pas associer les usagers à sa gouvernance.

Aussi, nous vous proposons d'inclure au sein de la CAT-MP, ou du conseil d'administration nouvellement créé, deux représentants d'associations de victimes, par exemple la Fnath et l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante et autres maladies professionnelles (Andeva), dotés d'une simple voix consultative. Ce compromis permettrait à nos yeux de représenter les victimes, sans diluer la responsabilité des partenaires sociaux.

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - Les vingt-trois propositions que comporte le rapport, intégralement finançables par l'excédent structurel de la branche, contribueraient - si elles étaient appliquées - à moderniser la politique d'indemnisation de la branche au bénéfice des victimes, et à prendre enfin le virage préventif.

Elles traduisent une vision de la branche que nous estimons équilibrée, enrichie par un cycle de treize auditions qui nous ont permis de rencontrer toutes les principales parties prenantes - partenaires sociaux, associations de victimes, organismes de sécurité sociale, administrations centrales, experts juridiques, organismes de prévention, fonds de l'amiante.

Elles portent des améliorations notables en matière de réparation proposée aux victimes et de prévention sans remettre en cause l'équilibre financier de la branche.

Tout en restant fidèles à l'esprit de la proposition des partenaires sociaux et des principes fondateurs de la branche, elles n'oublient pas les associations de victimes en accordant une importance particulière à l'indemnisation de la FIE.

Elles accordent, enfin, une place accrue aux victimes dans la gouvernance sans remettre en cause la gestion paritaire de la branche, et même en la renforçant. Nous espérons donc que ces propositions sauront trouver, dans cette commission, une large majorité. (Applaudissements.)

Mme Frédérique Puissat. - Je vous remercie pour votre rapport. Il est vrai que les excédents de cette branche nous interrogent. Si ceux-ci font sans doute pâlir d'envie d'autres branches, ils sont aussi source de difficultés, comme c'est aussi le cas pour l'Agirc-Arrco et l'Unédic. En effet, ces excédents sont toujours utilisés comme variables d'ajustement pour les autres branches - voire pour le budget de l'État...

Au cours de vos auditions, les représentants des organisations patronales ont-ils évoqué une baisse des cotisations ?

Par ailleurs, il serait utile, à mon sens, d'auditionner la commission d'évaluation de la sous-déclaration des AT-MP, qui permet le transfert d'environ 1 milliard d'euros à la branche maladie.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Je vous remercie pour ce rapport sur un sujet très technique.

Je rebondis sur la remarque de Mme Puissat sur la baisse des cotisations. Nous avons beaucoup à faire en ce qui concerne les AT-MP : la France est le pays européen le moins bien classé en la matière. Alors avant de penser à baisser les cotisations des employeurs, il faudrait s'attaquer à ce mauvais bilan.

Avez-vous instruit la controverse annuelle sur le transfert à l'assurance maladie de la sous-compensation ? La commission chargée de l'évaluation de la sous-déclaration des AT-MP a-t-elle été auditée ? Cette commission, chaque année, produit une fourchette de cette sous-estimation, mais elle ne s'appuie que sur sa partie basse, alors que rien ne l'y oblige. Il serait temps que nous en sachions davantage sur ses méthodes de calcul.

Il est vrai qu'un dissensus opposait les organisations syndicales de salariés et les associations de victimes sur la dualité de la rente. À l'issue de votre travail, avez-vous le sentiment que ce différend s'est atténué ? Les associations de victimes se retrouveront-elles davantage dans vos propositions ?

Mme Pascale Gruny. - Je remercie les rapporteures, qui, je le souligne, n'ont pas oublié l'agriculture dans leur travail.

Ce qui me tient particulièrement à coeur, c'est l'amélioration de la prévention, dans le domaine de la santé en général. Nous devons mieux prévenir les accidents et les maladies professionnelles. C'est la raison pour laquelle je me suis toujours opposée aux transferts - qui se fonde d'ailleurs sur un calcul dont nous ne connaissons pas les détails. Il serait préférable de mener une prévention efficace plutôt que d'utiliser cet excédent pour boucher des trous ailleurs. Votre travail concernait les indemnisations, et je suis d'accord avec vos propositions, mais nous devrions avant tout chercher à éviter les accidents. Si l'on augmente l'indemnisation, il faudra en tout cas cesser les transferts de la branche.

Au cours de vos auditions, avez-vous senti, tant chez les salariés que chez les patrons, que vos propositions pourraient donner lieu à un retour négatif ?

Mme Émilienne Poumirol. - Je vous remercie pour la qualité de ce rapport.

Je veux d'abord revenir sur la sous-déclaration et la non-reconnaissance des maladies professionnelles. Dans le rapport d'information Cancers imputables à l'activité de sapeur-pompier : protéger les soldats du feu, dont j'ai été rapporteure aux côtés d'Anne-Marie Nédélec, nous avons montré que plusieurs cancers liés à la toxicité des fumées ne sont pas imputables à cette activité en France, alors qu'ils sont reconnus comme des maladies professionnelles par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) et dans plusieurs pays comme les États-Unis ou le Canada. Ces maladies ne donnent donc pas lieu à une indemnisation. Il est impératif de revoir le tableau des maladies professionnelles.

Par ailleurs, les taux d'IPP sont très fréquemment sous-évalués. Les médecins généralistes constatent souvent des anomalies importantes lors de la commission qui les définissent. J'ai le souvenir d'une patiente, âgée de 48 ans, victime d'une hémiplégie, pour laquelle je n'avais pas réussi à obtenir un taux suffisant.

Je rejoins Mme Gruny sur l'importance de la prévention, qui est le premier problème de notre système de santé, en AT-MP comme en maladie. La prévention ne représente que 3 % de notre budget de santé. On se heurte là aussi à la question du manque d'attractivité de la médecine du travail, qui devrait pourtant représenter une mission passionnante.

Enfin, vous avez évoqué le cumul des revenus d'activité et de la pension d'invalidité, qui soulève des problèmes similaires en maladie. Certains patients ont davantage intérêt à reprendre leur activité à 50 % plutôt qu'à 80 %, comme ils le souhaiteraient. J'ignore quel taux socle il faudrait fixer pour préserver leurs avantages, mais nous devons résoudre ce problème qui se pose de manière fréquente.

Mme Céline Brulin. - Merci aux rapporteures pour ce travail fourni qui apporte des réponses aux questions soulevées par l'article 39 du PLFSS pour 2024, lequel avait suscité une bronca légitime chez les associations de victimes. Je suis toujours très impressionnée, d'ailleurs, par le niveau d'expertise juridique que ces dernières présentent sur des sujets aussi complexes.

Vous mettez en avant la contradiction qui s'observe entre le caractère excédentaire de la branche, en partie dû au phénomène de sous-déclaration, et le mauvais classement de la France en matière d'accidents du travail.

Je partage les propos de mes collègues sur la nécessité de développer la prévention. Nous continuions à regretter sur ce point la disparition des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), dont le rôle en la matière était primordial.

Les médias ont fait état ce matin de la situation d'une fleuriste exposée à des pesticides durant sa vie professionnelle, dont la fille est décédée à la suite d'une maladie apparemment imputable à ces substances. Cette affaire, désormais devant la justice, soulève une nouvelle question : faudrait-il étendre l'indemnisation aujourd'hui octroyée aux victimes directes des accidents du travail et des maladies professionnelles à leurs descendants ?

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - La baisse des cotisations a été évoquée par une seule organisation patronale, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), mais n'a pas été considérée comme une priorité à court terme par d'autres organisations, qui souhaitent pour leur part mettre l'accent sur la prévention.

Le rapport s'appuie par ailleurs sur l'ANI, qui a été signé par toutes les organisations, dont les organisations patronales.

Le souhait est que les cotisations versées par les employeurs soient fléchées vers la branche et la prévention. Il faut néanmoins faire le nécessaire pour les réparations.

Mme Annie Le Houerou, rapporteure. - Nous n'avons pas reçu en audition la commission chargée d'évaluer le coût réel de la sous-déclaration. Elle était en train de rédiger son rapport, qu'elle a rendu en septembre. Nous proposons de l'entendre dans le cadre du PLFSS. Nous avons toutefois eu l'impression que l'assurance maladie appelait à une certaine fongibilité des deux branches, ce que nous ne pouvons accepter.

Un écart subsiste toujours entre les organisations syndicales et les associations de victimes, les premières ayant clairement affirmé leur attachement à la dualité de la rente, quand les secondes ont insisté sur la notion de FIE et sur la justification de l'indemnisation. Nous avons été sensibles à ce point, c'est pourquoi nous proposons d'associer les associations de victimes au conseil d'administration nouvellement créé, tout en conservant la position des partenaires sociaux qui conditionne une indemnisation rapide sans démarche particulière de la part des victimes.

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - Si on laisse les salariés aller au tribunal, l'instruction des dossiers peut prendre plus de cinq ans. Or les salariés comme les dirigeants n'ont aucun intérêt à ce que les choses s'éternisent. Ces derniers ne cherchent pas à fuir leurs responsabilités. C'est pourquoi le maintien du caractère dual de la rente est essentiel. Cela n'empêche pas, pour ceux qui le souhaitent, d'aller plus loin sur les éléments pris en compte pour l'indemnisation de la maladie professionnelle et des accidents du travail.

Pour répondre à Pascale Gruny, nous revenons de tellement loin que le passage de 3 % à 7 % de l'ensemble des dépenses de la branche AT-MP consacrées à la prévention nous paraît déjà être un premier pas important. Nous avons reçu en audition l'Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP), très en avance sur ce sujet, qui nous semble un exemple à suivre.

Notre rapport fait également référence au rapport sur la santé des femmes au travail que j'avais rédigé avec Laurence Rossignol, Annick Jacquemet et Laurence Cohen, qui avait montré que 80 % des arrêts de travail étaient dus à des TMS. Nous souhaitons que le secteur médico-social s'empare de ces problèmes, même si nous connaissons les difficultés rencontrées par ce secteur. La prévention est à cet égard primordiale et chacun doit se l'approprier.

Nous avons noté par ailleurs que de nombreuses actions de prévention étaient perdues faute d'une répartition équilibrée. La logique du « premier arrivé, premier servi » paraît prévaloir, ce qui est regrettable. A contrario, si l'on parvient à développer réellement la prévention et à entraîner tout le monde sur cette voie, il en résultera de nombreux gains pour la branche AT-MP, comme pour toutes les branches de la sécurité sociale.

Les barèmes du taux d'incapacité n'ont pas évolué depuis 1989. Il y a là un vrai travail à mener, compte tenu de l'évolution des métiers. Nous avons voulu entendre les personnes concernées, pour bien mesurer les conséquences que cette surévaluation pouvait avoir. Sans minorer les difficultés qu'elles rencontrent, il faut les encourager à retourner travailler.

Nous nous sommes également penchées sur la question de l'environnement et avons notamment reçu en audition les représentants du fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva).

Mme Annie Le Houerou, rapporteure. - Je pense qu'effectivement les CHSCT constituaient un lieu adapté pour s'interroger sur les solutions à déployer dans les entreprises en matière de prévention. Nous avons pu noter, comme le rapport en fait état, que si les efforts faits en matière de prévention dans le secteur du bâtiment avaient réellement porté leurs fruits, des manquements s'observaient encore pour les interventions des intérimaires.

Pour en venir au cas de la fleuriste cité par Céline Brulin, le fonds d'indemnisation des victimes de pesticides créé en 2022 ne concerne que les assurés agricoles. Il indemnise en revanche tant les victimes que les ayants droit. Cette réflexion pourrait être étendue à d'autres secteurs.

Telles sont donc les lignes directrices de notre rapport : le respect des partenaires sociaux dans leur diversité, le maintien des crédits résultant des cotisations des employeurs et le développement de la prévention, pour que ces crédits servent au mieux à réduire les accidents du travail et les maladies professionnelles.

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - J'ajoute que depuis janvier 2023, le cadre de la dualité de la rente ne s'applique plus. La loi doit rétablir cette qualité duale. Nous serons très attentifs à ce point lors de l'examen du PLFSS.

M. Philippe Mouiller, président. - Conformément au règlement de la Mecss, il revient à la commission des affaires sociales de se prononcer sur les préconisations des rapporteurs au terme de leurs travaux. Une présentation informelle de celles-ci à la Mecss pourrait toutefois être effectuée préalablement, comme je l'ai évoqué au début de la réunion.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

· Rédacteurs d'une série d'enquêtes « Les morts au travail, une hécatombe silencieuse en France » publiée dans Le Monde

Anne Rodier, journaliste

Jules Thomas, journaliste

Thibaud Métais, journaliste

Aline Leclerc, journaliste

· Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (Fnath)

Nadine Herrero, présidente

Raphael Lenoir, assistant au plaidoyer

Me Philippe Karim Felissi, conseiller juridique de la FNATH

· Association nationale de défense des victimes de l'amiante (Andeva)

François Desriaux, vice-président

Alain Bobbio, secrétaire

Me Romain Bouvet, conseiller juridique de l'Andeva

· Collectif « Les oubliés de la réforme 2022-257 »

Évelyne Mage, présidente

Guillaume Manificat, vice-président

Sezny-Aurélien Florence, vice-président

Amandine Romain, présidente d'honneur

· Dominique Asquinazi-Bailleux, professeure émérite des universités (Université Jean Moulin - Lyon 3 - Équipe de recherche Louis Josserand)

· Morane Keim-Bagot, professeur de droit privé et de sciences criminelles, co-responsable du Master droit social interne, européen et international (Université de Strasbourg - Laboratoire Droit, religion, entreprise et société)

· Anne Guégan, maître de conférences, HDR et co-directrice du DU de droit à la réparation du dommage corporel (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)

· Me Frédéric Bibal, vice-président de l'Association nationale des avocats de victimes de dommages corporels (Anadavi)

· Confédération française de l'encadrement-confédération générale des cadres (CFE-CGC)

Maxime Legrand, secrétaire national en charge de l'organisation du travail et la santé au travail

Anne-Michèle Chartier, déléguée nationale Organisation du travail - Santé au travail

· Confédération générale du travail (CGT)

Yves Gauby, membre de la direction confédérale

Olivier Perrot, conseiller confédéral

Serge Journoud, conseiller confédéral

Abderaffik Zaigouche, chargé de mission confédéral

· Force ouvrière

Jean-Marie Branstett, administrateur FO à la Commission des accidents du travail et des maladies professionnelles de l'Assurance maladie

· Conseil national professionnel de la médecine du travail (CNPMT)

Christophe Collomb, président

Pr Jean-François Gehanno, premier vice-président

· Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva)

Jean-Luc Izard, directeur

Daniel Jubenot, directeur adjoint

Mahé Giraux, chargée d'expertise juridique

· Caisse des dépôts et consignations (direction des Politiques sociales) pour le Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Fcaata)

Sarah Scassola, directrice adjointe de la direction des Finances

Arnaud Baudry, responsable comptabilité « Autres fonds » à la direction des Finances

Stéphanie Lefrançois, responsable adjointe du service Vie sociale, direction du Pilotage et de l'appui

Amélie Raud, adjointe à la responsable d'unité des Fonds de compensation, direction de la Gestion

David Filippi, responsable du service Employeur compensation et Risques professionnels (par intérim), responsable Unité risques professionnels- Fonds national de prévention (FNP) de la CNRACL

· Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact)

Nicolas Fraix, responsable du département capitalisation et développement des connaissances

· Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS)

Nathalie Guillemy, directrice du centre de Paris de l'INRS, membre du comité de direction

· Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP)

Paul Duphil, secrétaire général

· Direction de la sécurité sociale (DSS)

Delphine Champetier, cheffe de service adjointe au directeur de la sécurité sociale

Stéphanie Gilardin, sous-directrice de la direction de l'accès aux soins, des prestations familiales et des accidents du travail

Gabrielle De Buyer, cheffe de bureau de la direction des accidents du travail et maladies professionnelles

· Direction générale du travail (DGT)

Christelle Akkaoui, sous-directrice des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail

Maxime Pradier, chef de la mission du pilotage de la politique et des opérateurs de la santé au travail

Léa Courant, chargée de mission

· Association nationale des apprentis de France (Anaf)

Aurélien Cadiou, président

Marc-Antoine Ayela, administrateur

· Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA)

Dr Patrice Heurtaut, directeur de la santé sécurité au travail

Christine Dechesne-Céard, directrice de la réglementation

M. Éric Hugues, responsable du service management des risques professionnels AT-MP

Christophe Simon, chargé des relations parlementaires

· Mouvement des entreprises de France (Medef)

Sylvie Dumilly, présidente de la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles

Nathalie Buet, directrice de la protection sociale

Adrien Chouguiat, directeur adjoint des affaires publiques

· Union des entreprises de proximité (U2P)

Michel Chassang, chef de file sur la négociation interprofessionnelle branche AT-MP

Thérèse Note, conseillère technique chargée des relations avec le Parlement

Pia Nouaux, conseillère technique chargée des questions sociales

· Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME)

Éric Chevée, vice-président de la CPME, chargé des Affaires sociales

Pierre Thillaud, représentant titulaire de la CPME au CNOCT

Ghislaine Rigoreau, représentante titulaire de la CPME à la Commission des Accidents du Travail et des Maladies Professionnelles

Gwendoline Delamare-Deboutteville, directrice des affaires sociales de la CPME

Philippe Chognard, responsable du pôle Conditions de Travail

TABLEAU DE MISE EN oeUVRE ET DE SUIVI
DES RECOMMANDATIONS

_______

Recommandations

Acteurs concernés

Support

1

Imposer aux différents services de l'État
et aux acteurs concernés de produire
des données consolidées inter-régimes permettant d'avoir une vision synoptique de la sinistralité AT-MP
en France.

Gouvernement, Cnam, MSA, autres régimes d'assurance maladie obligatoire

Mesure administrative

2

Prendre en compte la sur-reconnaissance des AT-MP dans la détermination du montant versé à la branche maladie au titre de
la sous-déclaration.

Commission chargée de l'évaluation de la sous-déclaration des AT-MP

Mesure administrative

3

Procéder à un rééquilibrage de l'effort financier en faveur du Fiva en augmentant la contribution de l'État.

Législateur, Gouvernement

Projet de loi de finances, projet de loi de financement de la sécurité sociale

4

Diminuer de 25 % à 20 % le taux d'incapacité minimal requis pour entamer une procédure de reconnaissance de maladie professionnelle devant le CRRMP, et renforcer les capacités de traitement de dossiers de ces comités pour envisager, dans le futur, de nouvelles baisses.

Gouvernement, partenaires sociaux, CRRMP

Mesure réglementaire

5

Supprimer le délai de carence applicable
à l'indemnisation des arrêts de travail consécutifs à un AT-MP pour les non-salariés agricoles pour aligner leur statut sur celui des assurés du régime général.

Législateur, Gouvernement, Mutualité sociale agricole

Loi, mesure réglementaire

6

Garantir le maintien intégral de la rémunération des assurés en arrêt de travail pour un AT-MP lors des 28 premiers jours d'arrêt, sans surcoût pour les employeurs.

Législateur, Gouvernement, partenaires sociaux

Loi, mesure réglementaire

7

Procéder enfin à une révision des barèmes indicatifs d'invalidité en ouvrant une enveloppe dédiée dans la prochaine COG, en fonction des seuls préjudices indemnisés par la rente.

Gouvernement, partenaires sociaux, associations de victimes

Mesure réglementaire

8

Augmenter de 1,5 à 2 fois le Pass le plafond du salaire de comparaison dans le cadre du cumul de la pension d'invalidité avec des revenus d'activité.

Gouvernement

Mesure réglementaire

9

Fixer dans la loi le principe selon lequel tout assuré remplissant les critères d'éligibilité médicaux à la pension d'invalidité a droit à une pension d'invalidité « socle », fixée à un montant symbolique, indépendamment de son niveau de revenus, afin de garantir l'accès aux prestations connexes à la pension d'invalidité.

Législateur, Gouvernement, Cnam

Loi

10

Réaffirmer la nature duale de la rente et refondre ses modalités de calcul en actant, conformément à la proposition des partenaires sociaux, la définition d'une part professionnelle dépendant du salaire et d'une part fonctionnelle dépendant du taux d'incapacité, en s'assurant que le nouveau mode de calcul soit plus favorable que le précédent dans toutes les configurations possibles et constitue un effort de la branche d'environ 400 millions d'euros par an, à terme.

Législateur, Gouvernement, Cnam, partenaires sociaux

Loi, mesure réglementaire

11

Conformément à la proposition des partenaires sociaux, instaurer la possibilité, pour les victimes d'AT-MP présentant une incapacité permanente lourde, de capitaliser une partie de la rente.

Législateur, Gouvernement, Cnam, partenaires sociaux, associations de victimes

Loi, mesure réglementaire

12

Clarifier la formulation de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale en déterminant, sans équivoque et en impliquant les associations de victimes, les postes de préjudice pouvant faire l'objet d'une indemnisation intégrale dans le cadre d'une procédure en FIE.

Législateur, Gouvernement, partenaires sociaux, associations de victimes

Loi

13

Ouvrir le droit à capitaliser une partie de sa rente à l'ensemble des bénéficiaires d'une rente reconnus victimes de FIE, et non pas aux seuls d'entre eux dont le taux d'incapacité permanente excède 50 %.

Législateur, Gouvernement, Cnam, partenaires sociaux, associations de victimes

Loi, mesure réglementaire

14

Fixer le plafond que ne saurait dépasser le montant de rente capitalisée à une fois et demi le montant du Pass (69 552 euros) pour les victimes de faute inexcusable de l'employeur, contre une fois ce montant pour les autres victimes.

Gouvernement, partenaires sociaux, Cnam, partenaires sociaux, associations de victimes

Mesure réglementaire

15

Conformément à la proposition des partenaires sociaux, conférer un caractère dual à l'indemnité en capital et consacrer une part fonctionnelle de l'indemnité en capital calculée pour représenter un investissement d'une centaine de millions d'euros en 2025.

Législateur, Gouvernement, Cnam, partenaires sociaux, associations de victimes

Loi, mesure réglementaire

16

Faire dépendre la « part professionnelle » de l'indemnité en capital du salaire de l'assuré afin de consolider le dispositif sur le plan juridique et la fixer, au minimum, au niveau actuel de l'indemnité en capital associé à chaque taux d'incapacité.

Législateur, Gouvernement, Cnam, partenaires sociaux, associations de victimes

Loi, mesure réglementaire

17

Expérimenter, dans deux régions, le versement d'une PCRTP aux victimes d'AT-MP en incapacité temporaire
et nécessitant une aide humaine
pour accomplir au moins trois actes
de la vie courante.

Législateur, Gouvernement, Cnam

Loi, mesure réglementaire

18

Repenser l'architecture de la PCRTP en rapprochant la PCRTP de la PCH afin de mieux coller aux besoins réels en aide humaine et en supprimant la condition d'éligibilité relative au taux d'incapacité minimal.

Législateur, Gouvernement, Cnam, partenaires sociaux, associations de victimes

Loi, mesure réglementaire

19

Tendre progressivement à un niveau de dépense de la branche AT MP en faveur de la prévention équivalent à 7 % de ses dépenses.

Cnam

Mesure administrative

20

Encourager au développement d'organismes sectoriels de prévention sur le modèle de l'OPPBTP, dont les recommandations sont mieux écoutées par les employeurs du fait de la spécialisation et du réseau constitué.

Gouvernement, Cnam, partenaires sociaux

Mesure administrative

21

Tendre à moyen terme vers une application de la tarification AT MP de droit commun pour les ESMS, en s'assurant :

- que cette évolution soit suffisamment progressive pour ne pas être source de difficultés financières pour les établissements marqués par une sinistralité particulière ;

- que cette évolution ne provoque pas de distorsion de concurrence entre établissements publics et privés, le cas échéant en adoptant des mesures complémentaires.

Gouvernement, représentants des ESMS

Mesure réglementaire

22

Transformer la CAT-MP en un conseil d'administration à part entière, indépendant de la Cnam, et formaliser la relation avec cette dernière au sein d'une délégation de gestion en complément de la COG.

Législateur, Gouvernement, partenaires sociaux, Cnam

Loi, mesure réglementaire

23

Modifier la composition de la CAT-MP afin d'y ajouter deux membres représentants d'associations de victimes avec une voie consultative afin de conserver le caractère paritaire de la gestion de la branche tout en valorisant l'expertise de ces associations.

Gouvernement, Législateur, CAT-MP, partenaires sociaux, associations de victimes

Loi, mesure réglementaire


* 1 Les soins non liés au sinistre sont également couverts pour les assurés présentant une incapacité permanente supérieure à deux tiers.

* 2 Les pouvoirs de contrôle de la commission sont définis par l'article L.O. 111-9 du code de la sécurité sociale, qui prévoit notamment que « tous les renseignements et documents d'ordre financier et administratif qu'ils [le président, le rapporteur général, le président de la Mecss, les rapporteurs, les membres désignés à cet effet] demandent, y compris tout rapport établi par les organismes et services chargés du contrôle de l'administration, réserve faite des sujets à caractère secret concernant la défense nationale et la sécurité intérieure ou extérieure de l'État et du respect du secret de l'instruction et du secret médical, doivent leur être fournis ».

* 3 Article L.O. 111-9-1 du code de la sécurité sociale.

* 4 Article L.O. 111-9-3 du code de la sécurité sociale.

* 5 Loi n° 2020-992 du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l'autonomie.

* 6 Article L. 200-2 du code de la sécurité sociale.

* 7 Loi concernant les responsabilités des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail.

* 8 Dont l'excédent atteint 1 milliard d'euros pour 2023.

* 9 Rapport de gestion 2022 de l'Assurance Maladie - Risques professionnels, décembre 2023

* 10 Le domicile correspond à la résidence principale, mais également secondaire le cas échéant, ou tout autre lieu fréquenté de façon habituelle pour motifs familiaux.

* 11 Article L. 411-2 du code du travail.

* 12 Repss AT-MP 2023.

* 13 Caisse nationale d'assurance maladie, « Sinistralité des seniors - salariés de 50 ans et plus - en 2017 », mars 2019.

* 14 Rapport annuel 2022 de l'Assurance Maladie - Risques professionnels.

* 15 Décret n° 2023-452 du 9 juin 2023 relatif aux obligations incombant aux entreprises en matière d'accident de travail et d'affichage sur un chantier.

* 16 Série d'articles « Morts au travail : l'hécatombe ».

* 17 Article L. 176-1 du code de la sécurité sociale, cf. infra.

* 18 Repss AT-MP 2023.

* 19 Selon l'Anact, dans sa Photographie statistique de la sinistralité au travail en France selon le sexe entre 2001 et 2019, 60% des salariés souffrant de TMS sont des femmes.

* 20 Audition DSS.

* 21 Cour des comptes, « La maîtrise des risques professionnels dans les établissements et services médicaux sociaux », in Rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, octobre 2022.

* 22 Rapport d'information n° 780 (2022-2023), tome I, déposé le 27 juin 2023.

* 23 Article R. 4541-9 du code du travail.

* 24 Anact, Photographie statistique de la sinistralité au travail en France selon le sexe entre 2001 et 2019, 2022.

* 25 Ceux au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva) et à la caisse nationale de l'assurance vieillesse (Cnav).

* 26 Commission chargée d'évaluer le coût réel pour la branche maladie de la sous-déclaration des accidents du travail, Estimation du coût réel, pour la branche maladie, de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles, rapport remis au Parlement et au Gouvernement sur le fondement de l'article L. 176-2 du code de la sécurité sociale, 2021.

* 27 Loi n° 96-1160 du 27 décembre 1996 de financement de la sécurité sociale pour 1997.

* 28 Article L. 176-1 du code de la sécurité sociale.

* 29 Article L. 176-2 du code de la sécurité sociale.

* 30 Contribution écrite du Medef à la Mecss.

* 31 Article L. 351-1-4 du code de la sécurité sociale, loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites.

* 32 Article D. 351-1-9 du code de la sécurité sociale.

* 33 Article L. 351-1-4 du code de la sécurité sociale.

* 34 Sans cumul possible entre affections, contrairement à ce qui prévaut pour l'âge dérogatoire à 60 ans.

* 35 Article D. 351-1-10 du code de la sécurité sociale.

* 36 Articles L. 351-1-4 et D. 351-1-10 du code de la sécurité sociale.

* 37 Article L. 4116-21 du code du travail.

* 38 Dont 96 millions d'euros pour le régime général et 0,5 million d'euros pour le régime agricole.

* 39 Chapitre III du titre VI du livre Ier du code du travail.

* 40 Ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017 relative à la prévention et à la prise en compte des effets de l'exposition à certains facteurs de risques professionnels et au compte professionnel de prévention.

* 41 Loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.

* 42 Décret n° 2023-759 du 10 août 2023 relatif au fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle et au compte professionnel de prévention.

* 43 Créé par l'article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001.

* 44 Voir infra.

* 45 Article 107 de la loi n° 2023-1250 du 26 décembre 2023 de financement de la sécurité sociale pour 2024.

* 46 Conseil d'État, 9 novembre 2015, n° 342468.

* 47 Article 41 de la loi n° 98-1194 de financement de la sécurité sociale pour 1999.

* 48 Loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.

* 49 Articles L. 441-1 à L. 441-6 du code de la sécurité sociale et R. 441-1 à R. 441-18 du même code.

* 50 Article L. 441-1 du code de la sécurité sociale.

* 51 Article L. 441-2 du code de la sécurité sociale.

* 52 Article L. 441-5 du code de la sécurité sociale.

* 53 Articles L. 461-1 à L. 461-10 du code de la sécurité sociale, R. 441-1 à R. 441-18 et R. 461-1 à R. 461-10 dudit code.

* 54 Article L. 461-5 du code de la sécurité sociale.

* 55 Article L. 432-2 du code de la sécurité sociale

* 56 Article L. 752-3 du code rural et de la pêche maritime.

* 57 Article L. 165-1 du code de la sécurité sociale.

* 58 Article L. 432-3 du code de la sécurité sociale, lorsque leur prix n'est pas fixé conformément à l'article L. 165-3 du même code.

* 59 Arrêté du 3 février 2009 portant fixation du montant du coefficient mentionné à l'article L. 432-3 du code de la sécurité sociale.

* 60 Article L. 432-3 du code de la sécurité sociale.

* 61 II de l'article L. 160-13 du code de la sécurité sociale. Cette participation porte également sur les actes de biologie médicale.

* 62 III de l'article L. 160-13 du code de la sécurité sociale. Cette franchise porte également sur les frais de transport sanitaire - son montant est alors fixé à 4 euros par transport.

* 63 Article L. 432-1 du code de la sécurité sociale.

* 64 I de l'article L. 160-13 du code de la sécurité sociale.

* 65 Article R. 160-5 du code de la sécurité sociale.

* 66 Article L. 433-1 du code de la sécurité sociale.

* 67 Lorsque l'assuré bénéficie d'un maintien de salaire de son employeur, celui-ci est subrogé dans les droits à indemnité journalière AT-MP de l'assuré aux termes de l'article R. 433-12 du code de la sécurité sociale.

* 68 Article L. 433-1 du code de la sécurité sociale.

* 69 Article R. 433-1 du code de la sécurité sociale.

* 70 Articles L. 433-2 et R. 433-3 du code de la sécurité sociale.

* 71 Article L. 433-1 du code de la sécurité sociale. Lorsque l'état de santé de l'assuré est consolidé, l'incapacité se voit reconnaître un caractère permanent : l'action de la branche AT-MP.

* 72 Article R. 433-13 du code de la sécurité sociale.

* 73 Il s'agit du nombre de jours moyen dans un mois.

* 74 Article R. 433-4 du code de la sécurité sociale.

* 75 Soit le nombre de jours au titre duquel l'assuré a été rémunéré.

* 76 Ce montant correspond à 60 % du plafond du salaire journalier brut de référence.

* 77 Article L. 433-2 du code de la sécurité sociale.

* 78 Article L. 323-6 du code de la sécurité sociale.

* 79 Article L. 752-1 du code rural et de la pêche maritime.

* 80 Article D. 752-22 du code rural et de la pêche maritime.

* 81 Il s'agit du quotient par 365 du gain forfaitaire annuel, dont le montant est défini du 1er avril 2024 au 31 mars 2025 à 14 693,25 euros par l'arrêté du 29 mars 2024 fixant pour la période du 1er avril 2024 au 31 mars 2025 le gain forfaitaire annuel et le pourcentage de ce gain, mentionnés aux articles L. 752-5 et L. 752-6 du code rural et de la pêche maritime, ainsi que le gain annuel minimum susceptible d'être déclaré par les exploitants agricoles qui ont contracté une assurance complémentaire contre les accidents du travail et les maladies professionnelles.

* 82 Article L. 751-8 du code rural et de la pêche maritime.

* 83 Article L. 1226-1 du code du travail.

* 84 Article D. 1226-3 du code du travail.

* 85 Article D. 1226-1 du code du travail.

* 86 En toute rigueur, il faudrait déduire de cet effet prix l'impact de l'allongement de la durée des arrêts de travail pour AT-MP, conduisant à surpondérer les IJ à 80 % et à sous-pondérer celles à 60 %. L'analyse centrée sur les seules IJ à 60 % indique tout de même une hausse du montant journalier moyen de 40 euros à 43 euros, soit une hausse de 7,5 %.

* 87 Article R. 323-5 du code de la sécurité sociale.

* 88 Sauf pour les indemnités versées aux personnes en affection de longue durée, article 80 quinquies du code général des impôts.

* 89 Article 80 quinquies et 81 du code général des impôts.

* 90 Article L. 323-1 du code de la sécurité sociale.

* 91 Article R. 323-1 du code de la sécurité sociale.

* 92 Article R. 323-1 du code de la sécurité sociale.

* 93 Dans le cas d'un arrêt de travail lié à un AT-MP de moins de 28 jours pour un salarié dont le salaire excède 11 601 euros brut, l'employeur serait également mis à contribution. Par exemple, pour un salarié gagnant 15 000 euros brut par mois, l'employeur aurait à sa charge 317 euros supplémentaires. Toutefois, les arrêts de travail pour AT-MP concernant des salariés rémunérés plus de 11 601 euros brut par mois étant très rares, le coût global de la mesure pour les employeurs devrait être marginal.

* 94 Il s'agit de l'augmentation en % du nouveau taux de 70 % par rapport au taux de 60 %, multipliée par le coût des arrêts de travail de moins de 28 jours, de 14 % de 4,8 milliards d'euros sur le champ des Robss.

* 95 Article L. 434-2 du code de la sécurité sociale.

* 96 Cour des comptes, 2021, Rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale.

* 97 Décret n° 2016-132 du 9 février 2016.

* 98 Article D. 434-4 du code de la sécurité sociale.

* 99 Article D. 434-5 du code de la sécurité sociale.

* 100 Contribution écrite de la CGT aux rapporteures.

* 101 Article R. 434-1 du code de la sécurité sociale.

* 102 Article L. 434-1 du code de la sécurité sociale.

* 103 Voir infra.

* 104 Article R. 434-1-1 du code de la sécurité sociale.

* 105 Article R. 434-1 du code de la sécurité sociale.

* 106 Voir infra.

* 107 Rapport du groupe de travail chargé d'élaborer une nomenclature des préjudices corporels, juillet 2005.

* 108 Cass. Avis, 29 oct. 2007, n° 07-00015, 07-00016 et 07-00017.

* 109 Cass. Crim., 19 mai 2009, n° 08-86.050, 08-86.485 et 08-82.666.

* 110 Cass. 2è civ., 11 juin 2009, n° 07-21.768, 08-17.581 et 08-16.089.

* 111 Cass. 2è civ., 14 oct. 2021, n° 19-24.456.

* 112 CE, 8 mars 2013, n° 361273, Lebon - CE, 5 mars 2008, n° 272447, Lebon.

* 113 Cass. ass. plen., 20 janvier 2023, n° 20-23.673 et 21-23.947.

* 114 Voir infra.

* 115 Voir infra

* 116 Article L. 434-15 du code de la sécurité sociale.

* 117 Article L. 434-16 du code de la sécurité sociale.

* 118 Article R. 434-27 du code de la sécurité sociale après application des coefficients de revalorisation.

* 119 Article L. 434-16 du code de la sécurité sociale.

* 120 Article R. 434-28 du code de la sécurité sociale.

* 121 Article R. 434-28 du code de la sécurité sociale.

* 122 Sauf en cas d'IPP de 100 %.

* 123 Article 94 de la LFSS pour 2023 et décret n° 2023-358 du 10 mai 2023 relatif à la majoration des indemnités journalières maladie des non-salariés agricoles et à l'élargissement du versement d'une rente accident du travail ou maladie professionnelle à l'ensemble des non-salariés agricoles.

* 124 Article D. 752-26 du code rural et de la pêche maritime.

* 125 Article D. 752-26 du code rural et de la pêche maritime.

* 126 Article L. 751-8 du code rural et de la pêche maritime.

* 127 Articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de l'État.

* 128 Article L. 30 ter du code des pensions civiles et militaires de l'État.

* 129 Article L. 452-4 du code de la sécurité sociale.

* 130 Article L. 452-1 du code de la sécurité sociale.

* 131 Article L. 452-2 du code de la sécurité sociale. En cas d'incapacité totale, la rente majorée ne peut excéder le salaire préalable à l'accident.

* 132 S'y ajoutent les rentes aux ayants droit.

* 133 Article L. 452-3 du code de la sécurité sociale.

* 134 Voir supra.

* 135 Dans ce cas, chaque rente est réduite proportionnellement pour que le total des rentes versées atteigne 85 % du salaire du défunt.

* 136 Article 81 du code général des impôts.

* 137 Le montant est majoré à 60 % lorsque le conjoint atteint 55 ans ou présente un taux d'IPP de 50 % ou plus.

* 138 Le montant de la rente ne peut alors dépasser celui de la pension, ou au plus 20 % du salaire de l'assuré.

* 139 La durée de versement étant alors limitée à celle de l'aide financière.

* 140 Si l'enfant est orphelin de père et de mère ou le devient avant ses vingt ans, le montant de la rente est majoré à 30 % du salaire annuel de la victime.

* 141 Rapport 2021 de la commission chargée d'évaluer le coût réel pour la branche maladie de la sous-déclaration des AT-MP.

* 142 Une invalidité de première catégorie est capable d'exercer une activité rémunérée, un invalide de deuxième catégorie est absolument incapable d'exercer une profession quelconque, et un invalide de troisième catégorie est en outre dans l'obligation d'avoir recours à l'assistance d'une tierce personne pour effectuer les actes ordinaires de la vie.

* 143 Pour un invalide de catégorie 1.

* 144 Pour un invalide de catégorie 2.

* 145 Ce plafond est fixé, pour 2024, à 3 864 euros mensuels.

* 146 Yves Roquelaure et al., « Déclarer une lombosciatique en maladie professionnelle : est-ce l'avantage bien compris du patient ? », Revue du rhumatisme, 2005.

* 147 Cette disposition ne s'applique toutefois pas si la victime est déjà titulaire d'une pension d'invalidité.

* 148 ANI du 15 mai 2023 sur la branche AT-MP.

* 149 Drees, « L'indemnisation des accidents du travail avec incapacité permanente compense-t-elle leurs conséquences financières ? », avril 2024.

* 150 Ce plafond atteint 22 mois pour les allocataires âgés de 53 à 54 ans, et 27 mois pour les allocataires de 55 ans et plus.

* 151 Il s'agit du cas de faute inexcusable ou volontaire de l'employeur, abordé au 3 du A du I de ce commentaire.

* 152 Article L. 451-1 du code de la sécurité sociale.

* 153 Loi n° 46-2426 du 30 octobre 1946 sur la prévention et la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles.

* 154 Les cotisations représentent, en 2023, 96 % des recettes du régime général de la branche AT-MP.

* 155 En 2022, 73,6 % du taux total notifié était ainsi dépendant de la sinistralité.

* 156 Hors exceptions sectorielles, les établissements de moins de 20 salariés ont un mode de tarification variable collectif, dépendant de la sinistralité de leur secteur d'activité. Les établissements de plus de 150 salariés ont un mode de tarification variable individualisé, ne dépendant que de leur propre sinistralité. Les établissements comprenant entre 20 et 149 salariés ont un mode de tarification variable mixte, dépendant à la fois de la sinistralité du secteur et de la sinistralité propre de l'établissement.

* 157 Sauf mention contraire, les citations des partenaires sociaux, de la Fnath et de la DSS figurent dans les réponses écrites au questionnaire des rapporteures.

* 158 Accord national professionnel du 15 mai 2023.

* 159 CEDH, 5ème sect.,12 janvier 2017, req. N° 74734/14, Saumier c. France.

* 160 Loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation.

* 161 Préjudice causé par les souffrances physiques et morales encourues.

* 162 Ce préjudice répare l'impossibilité consécutive aux lésions de se livrer à certains loisirs.

* 163 Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

* 164 Domitille Duval-Arnould, « La réparation des accidents médicaux, infections nosocomiales et affections iatrogènes - Entre responsabilité et solidarité », Titre VII, n° 11, octobre 2023, Conseil constitutionnel.

* 165 Article L. 1142-1 du code de la santé publique.

* 166 Toutefois, il revient à la solidarité nationale de réparer les dommages résultant d'infections nosocomiales lorsque le taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique de la victime dépasse 25 %, aux termes de l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique.

* 167 L'acte médical doit avoir entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient aurait été vraisemblablement exposé en l'absence de traitement.

* 168 Article D. 1142-1 du code de la santé publique.

* 169 Notamment les lois n° 2004-806 du 9 août 2004, n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 et n° 2012-1404 du 17 décembre 2012.

* 170 Créé par l'article 53 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001.

* 171 Les délais moyens sont de quatre mois et deux semaines pour l'instruction des demandes et d'un mois et demi pour le paiement.

* 172 Toutefois, lorsque la situation financière du foyer n'est pas stabilisée, le Fiva verse un montant correspondant à un an d'indemnisation, et ce, chaque année jusqu'à la stabilisation éventuelle.

* 173 L'indemnisation est toutefois capitalisée si le montant de la rente à verser est inférieur à 547 euros - correspondant à un taux d'incapacité de 5 %.

* 174 Voir supra.

* 175 Force Ouvrière indique également être « totalement favorable à une indemnisation intégrale des préjudices dans le cadre d'une reconnaissance d'une FIE ».

* 176 CEDH, 5ème sect.,12 janvier 2017, req. n° 74734/14, Saumier c. France.

* 177 Relevé de décisions du 25 juin 2024 du comité de suivi de l'ANI branche AT-MP.

* 178 Contribution écrite de la DSS à la Mecss.

* 179 Voir supra.

* 180 Il pourra toutefois, sous conditions strictes et dans la limite d'un plafond, être indemnisé en capital, à court terme.

* 181 Contribution écrite de Force ouvrière aux rapporteures : « Force Ouvrière serait également favorable [...] à prévoir un plafond de capitalisation majorée supérieur à 1 PASS à la condition que ça ne mette pas en péril l'équilibre financier de la Branche ».

* 182 Article L. 434-2 du code de la sécurité sociale.

* 183 Article D. 434-2 du code de la sécurité sociale.

* 184 Article R. 434-34-1 du code de la sécurité sociale.

* 185 Article D. 434-2 du code de la sécurité sociale.

* 186 Article D. 434-3 du code de la sécurité sociale.

* 187 Selon que ses ressources annuelles sont inférieures ou supérieures à 30 398,54 euros.

* 188 Article L. 221-1 du code de la sécurité sociale.

* 189 Annexe 5 de la COG AT-MP 2018-2022, Budget du FNPAT.

* 190 GIP fondé en 1991 par l'INRS et la CNAM en charge du développement d'actions coordonnées en matière de prévention au niveau européen.

* 191 Charlotte Lecocq, Pascale Coton et Jean-François Verdier, Santé, sécurité, qualité de vie au travail dans la fonction publique : un devoir, une urgence, une chance, 2019.

* 192 Il s'agit des émissions de moteur diesel, des huiles et fluides de coupe, des poussières de bois, de la silice cristalline, du formaldéhyde et du plombs.

* 193 Accord national interprofessionnel du 15 mai 2023 relatif aux accidents du travail et aux maladies professionnelles.

* 194 IGAS, Évaluation de la convention d'objectifs et de gestion 2018-2022 de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), septembre 2022.

* 195 Article L. 4643-2 du code du travail.

* 196 Article L. 4643-3 du code du travail.

* 197 En cela le secteur est précurseur de la loi du 9 avril 1898 sur les responsabilités des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail.

* 198 Articles R. 4643-1 à R. 4643-41 du code du travail.

* 199 L'essentiel des 350 salariés de l'OPPBTP sont issus du monde du BTP.

* 200 Décret n° 2024-723 du 5 juillet 2024.

* 201 J.-J. Dupeyroux, « Centenaire de la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Un deal en béton ? », Droit social. 1998. 631.

* 202 Pierre Rosanvallon, La nouvelle question sociale. Repenser l'État-providence, Paris, Éditions du Seuil, 1995.

* 203 Cass. civ. 16 juin 1896.

* 204 Article 1384 du code civil dans sa version en vigueur au 21 mars 1804.

* 205 Ordonnances n° 96-51 du 24 janvier 1996 relative aux mesures urgentes tendant au rétablissement de l'équilibre financier de la Sécurité sociale et n° 96-344 du 24 avril 1996 portant mesures relatives à l'organisation de la Sécurité sociale.

* 206 Loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie.

* 207 Désormais régies par l'article L. 217-3 du code de la sécurité sociale.

* 208 Gilles Nezosi, « Quelle gouvernance au sein de la Sécurité sociale », Regards protection sociale n° 52, décembre 2017.

* 209 Article L. 221-4 du code de la Sécurité sociale.

* 210 Ne sont pas comptés ici le directeur général, le directeur comptable et financier ainsi que le contrôleur général économique et financier dont la présence est de droit.

* 211 À part égale des associations concernant le monde du handicap et celui des personnes âgées.

* 212 Cette évaluation prend la forme de rapports d'évaluation de la COG réalisés par l'inspection générale des affaires sociales.

* 213 Ordonnance n° 96-346 du 24 avril 1996 portant réforme de l'hospitalisation publique et privée.

* 214 Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

* 215 Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.

* 216 Article L. 1112-3 du code de la santé publique.

* 217 Article L. 1434-10 du code de la santé publique.

* 218 Article L. 1432-4 du code de la santé publique.

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