B. UNE DÉLÉGATION AUX CAISSES FAVORISANT LA STABILITÉ ET L'UNIFORMITÉ DE LA GESTION DE LA PRESTATION

1. L'instruction des demandes et l'attribution de l'allocation : une étape laissée presque inchangée par la recentralisation
a) La phase d'instruction n'a pas été modifiée par la recentralisation

La compétence d'instruction des demandes et d'attribution de l'allocation a été transférée à l'État et déléguée par lui aux caisses de sécurité sociales. Dans la majorité des départements recentralisés métropolitain (Ariège et Pyrénées-Orientales), aucune subdélégation de la compétence d'instruction n'a été nécessaire, du fait du nombre de dossiers à instruire faible ainsi que de l'efficacité de la téléprocédure, utilisée pour deux tiers des demandes sur le site « Caf.fr ».

En revanche, en Seine-Saint-Denis, il est permis aux centres communaux d'action sociale (CCAS) et à certaines associations de poursuivre l'instruction administrative des demandes de RSA à la place des CAF et des caisses de MSA. La recentralisation n'a ainsi pas modifié les modalités d'instruction administrative des demandes de RSA qui existaient avant l'entrée du département dans l'expérimentation51(*).

Les délais d'instruction, ou plus exactement les délais de démarche, qui correspondent au délai, mesuré en jours calendaires, entre la date de réception de la demande et sa complète instruction par chaque caisse (que la demande donne lieu ou pas à la valorisation d'une aide) diffèrent largement selon les départements : d'environ deux semaines en Ariège et dans les Pyrénées-Orientales, ils atteignent presque 25 jours en Seine-Saint-Denis en 2023.

Évolution des « délais de démarche » des demandes de RSA
dans les départements expérimentateurs

(en jours calendaires et en pourcentage)

CAF

2018

2019

2020

2021

2022

2023

Évolution depuis 2021

Évolution depuis 2018

CAF-09

11,9

12,5

10,4

15,7

26,5

13,3

- 15,3 %

+ 11,8 %

CAF-66

16,4

21,3

12

19,4

14,8

14

- 27,8 %

- 14,6 %

CAF-93

23,5

32,4

37,4

31,1

32,1

24,9

- 19,9 %

+ 6,0 %

Note : périmètre restreint au régime général - données MSA incomplètes.

Source : DGCS, d'après les données transmises par les CAF et les MSA

L'évolution de ces délais ne se laisse pas aisément interpréter. S'ils diminuent dans les trois départements depuis le début de l'expérimentation, ils suivent plutôt une tendance à la hausse par rapport à 2018 - seule la CAF des Pyrénées-Orientales connaissant une baisse de ses délais d'instruction par rapport à 2018 (- 14,6 %), que le département rapproche de l'automatisation des processus mise en oeuvre depuis 2022.

Il n'est donc pas possible d'affirmer que l'expérimentation a permis d'améliorer les délais d'instruction des demandes de RSA, d'autant que selon la DGCS, « aucune des CAF des départements expérimentateurs n'a engagé d'action propre permettant de réduire les délais d'instruction », une telle action n'étant pas au coeur de la recentralisation expérimentée dans ces départements.

Il convient d'éviter que les délais d'instruction n'augmentent excessivement, dans la mesure où cette étape conditionne le passage aux phases ultérieures de l'accompagnement des bénéficiaires du RSA, notamment leur orientation par les services du département : comme l'ont rappelé les présidentes des conseils départementaux de l'Ariège et des Pyrénées-Orientales devant les rapporteurs spéciaux, l'inscription des allocataires dans une dynamique d'insertion dépend directement de la transmission par la CAF ou la MSA des informations concernant les nouveaux entrants.

b) L'attribution dérogatoire du RSA : une application plus stricte et plus homogène de la législation

L'exemple des dérogations d'accès au RSA pour les étudiants illustre les conséquences de la consolidation des compétences en matière de gestion du RSA, entre les mains des caisses de sécurité sociale.

Les dérogations d'accès aux RSA pour les étudiants

L'article L. 262-8 du code de l'action sociale et des familles (CASF) autorise le président du conseil départemental, autorité en charge de décider de l'attribution du RSA en l'absence de délégation de cette compétence aux organismes de sécurité sociale (article L. 262-13 CASF), à déroger à certaines des conditions requises pour en bénéficier.

Cette dérogation ne peut bénéficier qu'aux élèves, aux étudiants ou aux stagiaires, qui sont en principe exclus du bénéfice du RSA (article L. 262-4 CASF), à la condition qu'ils aient plus de 25 ans et qu'ils aient à leur charge un ou plusieurs enfants nés ou à naître et que « la situation exceptionnelle du demandeur au regard de son insertion sociale et professionnelle » le justifie.

Avant 2022, les départements exerçaient directement la compétence d'octroi de ces dérogations. Avec la recentralisation, elle a été réattribuée à l'État, qui l'a déléguée aux caisses de sécurité sociales, avec comme seule indication que « les décisions de dérogation prises (...) avant la mise en oeuvre de l'expérimentation par le conseil départemental participant à l'expérimentation sont maintenues par les organismes [payeurs], jusqu'au changement de la situation de l'allocataire ou de son foyer. »

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de la DGCS au questionnaire des rapporteurs spéciaux

Selon la DGCS, deux des trois CAF recentralisées métropolitaines ont progressivement opéré un retour à l'application stricte du droit commun. Seule la CAF des Pyrénées-Orientales a choisi de maintenir les dérogations appliquées par le conseil départemental avant la recentralisation. Ces dérogations représentaient un coût de 255 000 euros en 2021 au titre de 78 dossiers. Il n'y a pas eu de suivi pour les années 2022 et 2023. Concernant la MSA, seule la caisse Grand-Sud a maintenu des dérogations, en accord avec la présidente du conseil départemental de l'Ariège, pour un coût de 16 652 euros ; pour les deux autres caisses, aucune dérogation n'avait été mise en oeuvre.

La consolidation de cette compétence au profit de la sphère sociale se traduit ainsi par une application plus stricte et plus homogène de la législation.

2. Une politique de sanction de la fraude uniformisée

Lorsque des indus sont détectés, il est en principe pourvu à leur recouvrement. Entendue par les rapporteurs spéciaux, la DGCS a indiqué que « le recouvrement des indus de RSA dans les CAF des départements expérimentateurs est géré dans les mêmes conditions que celui des indus des autres prestations. » Ainsi, si des droits à autre prestation - par exemple au titre du RSA sur le mois suivant - restent ouverts, le recouvrement s'effectue par retenue sur ces prestations afin de régulariser la situation. En l'absence de prestations à échoir, la CAF engage des voies d'exécution forcée comme pour toutes les autres prestations.

Il est également possible pour les caisses, sur la base d'un barème établi par leur conseil d'administration, de procéder à des remises d'indus, ou, lorsque certaines créances ne peuvent être recouvrées, de procéder à des annulations de créances. Cette pratique demeure marginale au regard des montants du RSA versé : les annulations de créances et remises d'indus ont représenté 3,2 millions d'euros pour les trois départements expérimentateurs en 2023, soit 0,4 % des montants versés au titre du RSA pour cette année dans ces départements.

Certains indus peuvent également être qualifiés en fraude. En 2023, la fraude au RSA représentait 19,5 millions d'euros dans les trois départements expérimentateurs, ce qui représente 2,6 % des montants versés au titre du RSA.

Nombre de créances frauduleuses et montant de la fraude au RSA
dans les départements expérimentateurs entre 2019 et 2023

(en unité, en euros et en pourcentage)

 

 

2019

2020

2021

2022

2023

CD-93

Créances frauduleuses

2 776

3 028

4 156

3 646

3 309

Montant fraude RSA

6 694 998

11 040 211

16 779 830

15 178 558

15 222 948

CD-66

Créances frauduleuses

617

659

1 143

711

883

Montant fraude RSA

1 921 591

2 207 168

4 247 916

2 495 199

3 468 682

CD-09

Créances frauduleuses

73

69

70

162

243

Montant fraude RSA

214 618

215 472

285 049

606 119

810 856

Note : périmètre restreint au régime général - données MSA indisponibles.

Source : DGCS d'après les données transmises par la CNAF

La DGCS indique que l'expérimentation a permis l'évolution de politique de sanctions de la fraude dans les départements expérimentateurs, grâce au transfert aux CAF de cette compétence qu'elles ne détenaient souvent que partiellement avant la recentralisation.

La recentralisation aurait ainsi rendu possible une uniformisation de la politique de sanction ainsi qu'une homogénéisation du traitement des dossiers à l'échelle des départements expérimentateurs via l'application du barème national des sanctions de la fraude de la CNAF, défini dans une « lettre au réseau » du 13 janvier 2016.

Barème national des sanctions de la fraude de la CNAF

Note : le préjudice est mesuré en fonction du plafond mensuel de la sécurité sociale (PMSS).

Source : CNAF

Cela s'est traduit de manière différenciée selon les CAF. Dans les Pyrénées-Orientales, on constate par exemple un délai de notification de sanctions raccourci.

L'évolution la plus conséquente à eu lieu en Seine-Saint-Denis où une forte hausse du montant moyen des pénalités pour fraude a été constatée. Selon la DGCS, elle s'explique notamment par l'intégration des indus frauduleux liés au RSA au montant des pénalités pour fraude. Ainsi en 2022 et 2023, le montant moyen des pénalités pour fraude était respectivement de 1 036,55 euros et 1 141 euros alors qu'en 2021 le montant moyen de ces pénalités s'établissait à 543 euros, soit une augmentation de 90 % en un an.

Il semble donc que la concentration des compétences en matière de fraude au RSA entre les mains des caisses a renforcé leur capacité à contrôler et sanctionner cette fraude. Si les rapporteurs spéciaux saluent cette évolution à l'heure où les comptes de la CAF ne sont pas certifiés par la Cour des comptes, ils appellent également la CAF à veiller à ce que son action en faveur du paiement à bon droit des prestations ne se mue pas en « maltraitance administrative «, comme une enquête du journal Le Monde52(*) a pu le laisser craindre.

3. Vers une délégation pérenne et uniforme des compétences de gestion du RSA aux organismes payeurs ?

Toujours selon la DGCS, la consolidation des compétences de gestion autour des caisses de protection sociale constitue « l'un des intérêts de la recentralisation, dans un contexte global d'hétérogénéité et de morcellement des compétences dévolues aux caisses d'un département à un autre ». La recentralisation de la gestion du RSA autour des caisses de sécurité sociale permettrait ainsi de « simplifier le pilotage de l'allocation et de constituer une opportunité pour consolider certaines compétences. »

Ce souci de simplification rejoint les préoccupations de la Cour des comptes, qui pointaient « les défis du pilotage du RSA »53(*). La Cour indiquait ainsi que la diversité des organismes prenant part à la gestion de tel ou tel aspect du RSA supposerait « des systèmes de coordination et surtout d'échange d'informations », avant de relever que « les outils actuels trouvent très vite leurs limites » et de souligner les nombreuses difficultés de coordination qui existaient entre les départements et les caisses de sécurité sociale.

La DGCS met ainsi en avant les avancées permises par la recentralisation : en Ariège, un groupe d'agents a été spécialisé sur l'évaluation des revenus des travailleurs indépendants suite au renforcement de la compétence de la CAF sur ce public. De même, en matière de recouvrement et de qualification de fraude, la procédure est uniformisée et simplifiée pour le traitement des dossiers des bénéficiaires du RSA et les circuits avec le CD ont été abandonnés, ce qui « fluidifie l'activité. »

Concernant la MSA, la concentration des compétences d'instruction et le traitement des dossiers pour la population relevant du régime agricole constitue selon l'administration « un gage d'efficience et de meilleure compréhension pour les adhérents. » Si ces avantages devaient se confirmer à l'issue de l'expérimentation, il pourrait être opportun d'organiser la délégation uniforme, dans chaque département, des compétences en matière de gestion du RSA aux caisses de sécurité sociale.


* 51 Cour des comptes, Le revenu de solidarité active, janvier 2022.

* 52 Le Monde, « Profilage et discriminations : enquête sur les dérives de l'algorithme des caisses d'allocations familiales », Enquête Les Décodeurs, 4 décembre 2023.

* 53 Cour des comptes, Le revenu de solidarité active, janvier 2022.

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