N° 771

SÉNAT

2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 septembre 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la recentralisation
du
revenu de solidarité active,

Par MM. Arnaud BAZIN et Éric BOCQUET,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

Le revenu de solidarité active (RSA), principal minimum social en France avec plus de 11 milliards d'euros de dépenses en 2021, est en principe financé par les départements. Compte-tenu des difficultés financières que cette gestion induit, il a toutefois été recentralisé dans certains départements d'Outre-mer et, à titre expérimental, dans trois départements métropolitains. MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, rapporteurs spéciaux des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », ont présenté à la commission des finances, le 24 septembre 2024, les conclusions de leur rapport de contrôle sur cette expérimentation inédite et singulière.

I. UN TRANSFERT DE COMPÉTENCES ASCENDANT INÉDIT, DONT LE SUCCÈS A ÉTÉ LIMITÉ PAR CERTAINES CONDITIONS DE MISE EN oeUVRE

Les difficultés financières des départements vis-à-vis du financement du RSA prennent leur source dans l'insuffisance des ressources qui leur ont été allouées en compensation. Ainsi, les départements subissent un « reste à charge » (RAC) au titre du RSA qui correspond à la différence entre les dépenses de RSA qu'ils exposent et les ressources compensatrices qu'ils perçoivent.

Pour participer à l'expérimentation de la recentralisation du RSA, un département devait satisfaire trois critères : 1) présenter un RAC au titre du RSA et 2) une proportion de bénéficiaires du RSA (BRSA) significativement supérieurs à la moyenne des départements, ainsi que 3) un revenu par habitant significativement inférieur à la moyenne des départements.

Une fois retenu, les départements qui transféraient leurs dépenses de RSA à l'État devaient, en vertu de la « réciproque » du principe de compensation, leur verser des ressources équivalentes. Le droit à compensation de l'État a ainsi été calculé, pour une entrée dans l'expérimentation en 2022, sur une période de référence favorable aux départements (2018-2020).

Évolution du nombre de bénéficiaires du RSA selon la période de référence

(base 100 en janvier 2018)

Source : commission des finances du Sénat d'après les données de la Drees

Toutefois, deux paramètres ont pu limiter le « succès » de l'expérimentation auprès des départements. D'une part, pour une entrée dans l'expérimentation en 2023, la période de référence allait de 2019 à 2021, ce qui aboutissait à un droit à compensation de l'État plus important. D'autre part, le choix des ressources recentralisées, qui incluaient les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), ont fait hésiter plusieurs départements : en raison de la reprise économique, cette ressource était très dynamique et les départements ont préféré ne pas s'en priver.

En conséquence, seuls trois départements se sont portés candidats, ce qui ne dénote pas un grand enthousiasme.

Le cas de la Guadeloupe est toutefois particulier : alors que le conseil départemental était éligible et volontaire, sa candidature n'a pas été retenue du fait d'un défaut de fiabilité des comptes de la caisse d'allocations familiales (CAF) locale. Les rapporteurs spéciaux recommandent de poursuivre les travaux de fiabilisation des comptes de la CAF pour permettre au département, s'il le souhaite toujours, de bénéficier de la recentralisation avec un régime plus favorable, sur le fondement de l'article 73 de la Constitution.

II. À MI-PARCOURS, UN BILAN GLOBALEMENT POSITIF

A. DES OBJECTIFS QUI SEMBLENT GLOBALEMENT ATTEINTS À CE STADE

Le gain net de la Seine-Saint-Denis est de

Celui des Pyrénées-Orientales est de

Et celui de l'Ariège est de

 
 
 

en 2023

en 2023

en 2023

Pour l'État, le coût de la recentralisation peut paraître important au regard des crédits inscrits en dépenses sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » : 690,2 millions d'euros en 2022 et 746,8 millions d'euros en 2023. Toutefois, en tenant compte des reprises de recettes réalisée en vertu du droit à compensation, le coût net pour l'État de la recentralisation apparaît très maîtrisé : 35 millions d'euros en 2022 et 68 millions d'euros en 2023.

Coût financier théorique de l'État au titre de la recentralisation

 

2022

2023

Dépenses

690 195 218 €

746 800 000 €

Ariège

-

40 900 000 €

Pyrénées-Orientales

150 099 447 €

158 500 000 €

Seine-Saint-Denis

540 095 771 €

547 400 000 €

Recettes

655 174 904 €

678 615 921 €

Ariège

-

38 113 828 €

Pyrénées-Orientales

136 934 363 €

136 856 744 €

Seine-Saint-Denis

518 240 541 €

503 645 349 €

Gain (+) ou perte (-) théorique pour l'État

- 35 020 314 €

- 68 184 079 €

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par la DGCL

Surtout, la recentralisation permet de protéger efficacement les départements expérimentateurs contre « l'effet ciseau » qu'implique à la fois les dépenses de RSA en continue augmentation et la volatilité des recettes de DMTO.

D'une part, la recentralisation a permis de protéger les finances départementales contre la progression du reste à charge des départements expérimentateurs, compte tenu de l'augmentation des dépenses de RSA (due notamment aux revalorisations du montant forfaitaire de l'allocataire face à l'inflation). En outre, selon les dernières données disponibles, le nombre de bénéficiaires du RSA serait toujours plus élevé dans les trois départements qu'avant la recentralisation.

Mais l'expérimentation a également permis de protéger les départements contre l'aléa lié à la volatilité des recettes de DMTO.

Les deux premières années de l'expérimentation, ont ainsi été enregistrées des baisses très substantielles du produit des DMTO (en 2023, il a diminué de 38,6 % en Ariège, de 2,2 % dans les Pyrénées-Orientales et de 27,4 % en Seine-Saint-Denis).

Évolution des recettes et dépenses de l'État liées au RSA recentralisé

(en euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données de la DGCL

Le choix de retenir une part dynamique de DMTO a permis de diminuer l'impact de cette baisse sur les finances des départements dans la mesure où elle est partiellement supportée par l'État.

En effet, entre 2022 et 2023, les recettes de l'État liées à la recentralisation ont diminué de 2,2 % à périmètre constant, alors que ses dépenses d'allocation augmentaient de 2,3 %.

En d'autres termes, l'État subit désormais une partie de « l'effet ciseau », au profit des départements.

B. UNE RECENTRALISATION DE LA GESTION AU PROFIT DE LA SPHÈRE SOCIALE

La compétence de gestion du RSA (instruction et attribution de la prestation, lutte contre la fraude, gestion des indus, de sanction des manquements des bénéficiaires, etc.) a également été recentralisé par l'État. Toutefois, celui-ci ne l'exerce pas lui-même : comme dans le droit commun, où les départements délèguent souvent cette responsabilité, l'État l'a entièrement confiée aux caisses de protection sociale (CAF et caisse de mutualité sociale agricole - MSA). La recentralisation de la gestion du RSA se fait donc au profit de la sphère sociale, dans un cadre uniformisé.

Les rapporteurs spéciaux estiment que cette délégation est efficace, et qu'elle constitue une clarification des rôles bienvenue entre l'État, les départements et la sécurité sociale. Elle a notamment été mise au service de la stabilité et de l'uniformité dans la gestion, notamment en matière de sanction de la fraude - là où, dans le droit commun, les pratiques peuvent varier selon les départements. Ils suggèrent d'étudier, si ce mode d'organisation continue de faire ses preuves, l'opportunité de généraliser cette organisation à l'avenir.

C. UNE POLITIQUE D'INSERTION « RADICALEMENT NOUVELLE » QUI DOIT ENCORE SE CONCRÉTISER

Les départements expérimentateurs ont porté une attention accrue à l'orientation des bénéficiaires du RSA. Cette étape est en effet cruciale puisqu'elle conditionne la suite de l'accompagnement. Les résultats sont encourageants, les délais d'orientation ont diminué, permettant une entrée plus fluide dans l'accompagnement, et les réorientations (qui démontrent un souci accru des parcours et de la pertinence de l'orientation), ont également connu une hausse.

En Seine-Saint-Denis, la part des réorientations a été multipliée par

Entre 2018 et 2023, le délai d'orientation a diminué de

En Ariège,

 
 
 

entre 2018 et 2023

jours dans les Pyrénées-Orientales

des orientations ont lieu en moins d'un mois

Les marges de manoeuvre financières dégagées par la recentralisation sont également réinvesties dans les politiques d'insertion. Ainsi, la Seine-Saint-Denis a pris l'engagement, tenu dans son budget primitif pour 2024, de doubler les crédits départementaux d'insertion et les effectifs de référents insertion, tandis que les Pyrénées-Orientales sont en passe de faire passer leurs crédits d'insertion de 8 à 13 millions d'euros et de tripler leurs effectifs de conseillers d'insertion.

Les partenariats territoriaux avec Pôle emploi, devenu « France Travail », ont également été renforcés, favorisant la montée en puissance d'un « accompagnement global » conduit conjointement par le département et le service public de l'emploi. Dans les Pyrénées-Orientales, la montée en charge de ce mode d'accompagnement est particulièrement ambitieuse, puisque le nombre de BRSA concerné doit passer de 700 à 2 100 personnes par an au terme de l'expérimentation.

Les solutions d'accompagnement ont également été développées, avec des stratégies variables selon les territoires. Là où l'Ariège a un écosystème de solutions d'accompagnement très varié, les Pyrénées-Orientales misent sur l'accompagnement global développé avec Pôle emploi ainsi que sur l'accompagnement vers et dans l'emploi. Quant au département de Seine-Saint-Denis, il est en passe de mettre en oeuvre une politique locale d'insertion intégrée, grâce à de nouvelles structures dédiées dénommées Agences locales d'insertion (ALI), avec pour vocation de constituer « une offre socio-professionnelle largement appuyée sur les structures d'insertion par l'activité économique » (SIAE). Cette nouvelle offre d'accompagnement, unanimement jugée prometteuse, doit encore concrétiser les attentes placées en elle.

Répartition des modalités d'accompagnement des bénéficiaires du RSA

(en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par les départements expérimentateurs

Les départements expérimentateurs mènent également des actions de lutte contre le non recours : le département de Seine-Saint-Denis par exemple, outre le recrutement d'agents administratifs spécialisés dans l'accès aux droits, s'est engagé dans l'expérimentation « Territoires zéro non-recours ».

Enfin, la recentralisation n'a pas, à ce stade, apporté de profond changement en matière de sanctions. Toutefois, l'entrée en vigueur de la loi pour le plein emploi, qui a réformé l'échelle des sanctions ainsi que certaines modalités d'accompagnement des bénéficiaires, risque d'avoir un impact qu'il est difficile de prévoir sur les politiques départementales d'insertion des BRSA.

III. VERS 2026 ET AU-DELÀ : QUELLE ISSUE POUR L'EXPÉRIMENTATION DU RSA RECENTRALISÉ ?

A. ÉVITER L'ÉCUEIL DE LA « FAUSSE EXPÉRIMENTATION »

Dans son étude de 2019 consacrée aux expérimentations, le Conseil d'État relevait qu'« il existe aussi de fausses expérimentations. Elles consistent à édicter un dispositif temporaire, facialement présenté comme une expérimentation, mais qui n'est pas accompagné d'un minimum de méthode ». Si les rapporteurs spéciaux ne considèrent pas que la recentralisation du RSA doive être qualifiée de « fausse expérimentation », ils relèvent tout de même que :

- d'une part, le passage par une expérimentation de l'article 37-1 de la Constitution constituait le seul moyen pour réaliser une recentralisation « à la carte » du RSA. Dès lors, il n'est pas interdit de penser que l'expérimentation constituait alors un artifice juridique expédient plutôt que l'instrument d'une démarche scientifique.

- d'autre part, la méthodologie de l'expérimentation présente plusieurs fragilités. L'existence même d'un rapport d'évaluation n'aurait pas été assurée si le Conseil d'État n'avait insisté. Aucun critère de réussite n'a été fixé en amont, aucun évaluateur indépendant n'a été désigné. Cela signifie qu'il existe un risque que l'évaluation soit réalisée par l'administration qui l'a mise en oeuvre, selon des modalités qu'il lui reviendrait de déterminer, et selon des critères de réussite qui pourraient être fixés en fonction du résultat souhaité. À l'évidence, l'expérimentation ne présente guère les garanties de « scientificité » que l'on peut légitimement attendre.

Les rapporteurs spéciaux recommandent donc que l'expérimentation soit rigoureusement évaluée, à la fois dans le cadre du suivi continu réalisé par les administrations et lors de la remise du rapport qui doit être rendu au terme de l'expérimentation, par un évaluateur indépendant. Dans ce dernier cadre, une comparaison des données du retour à l'emploi des départements expérimentateurs et du reste du pays devrait être menée.

B. À L'HORIZON 2026, LES CONDITIONS D'UNE SORTIE PAR LE HAUT DE L'EXPÉRIMENTATION

Enfin, sans préjuger des enseignements qui pourront être tirés de l'expérimentation, il convient de s'interroger sur les options qui s'offriront à l'État et aux départements à l'issue de la période courant de 2022 à 2026.

Il est fort probable qu'une pérennisation de la recentralisation pour les seuls départements expérimentateurs serait impossible.

Ainsi, selon les rapporteurs spéciaux, trois voies pourront être suivie à l'issue de l'expérimentation. Pour chacune, ils ont souhaité définir trois principes cardinaux qu'il conviendra de respecter quel que soit le scénario retenu :

· En cas de prolongation de l'expérimentation, il conviendra de s'assurer que cette reconduction est justifiée du point de vue de la démarche expérimentale, afin d'éviter la tendance naturelle de tout dispositif temporaire de s'installer dans la durée. En ce cas, il pourrait être envisagé d'ouvrir l'expérimentation à de nouvelles candidatures de départements éligibles ;

· Le scénario d'une recentralisation généralisée du RSA serait une option possible si l'expérimentation donnait des résultats très concluants. Cette mesure de grande ampleur conduirait toutefois à un recul de la décentralisation et devrait nécessairement être concertée avec l'ensemble des départements, pour en définir les conditions acceptables par tous ;

· Enfin, l'option d'une « re-décentralisation », tout à fait inédite, pourrait aboutir à une situation dans laquelle les départements expérimentateurs ne disposeraient plus des marges de manoeuvre ayant permis d'investir dans les politiques d'insertion des bénéficiaires du RSA. Ce scénario pourrait conduire à ce que le droit à compensation des départements en 2026 serait moindre que le droit à compensation de l'État en 2022/2023, ce qu'il convient d'éviter.

Au vu de la situation très dégradée des finances publiques, les rapporteurs spéciaux recommandent de mener dès à présent une réflexion quant à la potentielle mobilisation de dispositifs de péréquation - notamment le Fonds de mobilisation départementale pour l'insertion (FMDI) - afin d'en renforcer l'efficacité péréquatrice à coût constants pour l'État.

LES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS
DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

Recommandation n° 1 : Poursuivre les discussions avec le département de la Guadeloupe afin de trouver une solution technique et juridique lui permettant, s'il le souhaite toujours, de bénéficier de la recentralisation du RSA sur le fondement de l'article 73 de la Constitution.

Recommandation n° 2 : Surseoir à la suppression de l'ASS jusqu'au terme de l'expérimentation ou, à défaut, compenser aux départements l'accroissement de charges induit par le report des bénéficiaires de l'ASS vers le RSA.

Recommandation n° 3 : Mener une évaluation rigoureuse de l'expérimentation, en conjuguant notamment deux approches :

- une première approche au niveau « micro », menée en continu par les administrations compétentes de l'État et des départements et fondée sur les données relatives aux « sorties positives » des dispositifs d'insertion départementaux ;

- une seconde approche au niveau « macro », menée au terme de l'expérimentation par un évaluateur indépendant et fondée sur la comparaison de données départementales avec des données nationales sur le retour à l'emploi des bénéficiaires du RSA.

Recommandation n° 4 : Quelle que soit l'issue de l'expérimentation, respecter quelques principes cardinaux :

- ne prolonger l'expérimentation que si cette prolongation est justifiée du point de vue de la démarche expérimentale, en permettant le cas échéant la participation de nouveaux départements selon les critères d'éligibilités actuels ;

- obtenir l'accord de l'assemblée générale des départements de France préalablement à tout projet de recentralisation du RSA sur tout le territoire ;

- en cas de « re-décentralisation », assurer aux départements expérimentateurs un niveau de ressources compensatrice au moins égal au niveau des ressources reprises par l'État au début de l'expérimentation.

Recommandation n° 5 : Pour prévenir les effets d'une « re-décentralisation » inédite, engager dès à présent une réflexion sur les moyens d'atténuer au mieux les difficultés des départements les plus fragiles, par exemple en réformant des dispositifs de péréquation tels que le FMDI.

PREMIÈRE PARTIE
LA LONGUE MARCHE VERS LA RECENTRALISATION

I. LE FINANCEMENT DÉCENTRALISÉ DU RSA : UNE IMPASSE FINANCIÈRE POUR CERTAINS DÉPARTEMENTS

A. LE REVENU DE SOLIDARITÉ ACTIVE (RSA) EST LE PRINCIPAL MINIMUM SOCIAL EN FRANCE

Institué à compter du 1er janvier 20091(*) par la loi n° 2008-1249 du 1er décembre 20082(*) et régi par les articles L. 262-1 à L. 262-58 du code de l'action sociale et des familles, le revenu de solidarité active (RSA) constitue un transfert au profit des ménages ayant pour objectif « d'assurer à ses bénéficiaires des moyens convenables d'existence, de lutter contre la pauvreté et de favoriser l'insertion sociale et professionnelle »3(*).

Il résulte de la fusion du revenu minimum d'insertion (RMI) et de l'allocation pour parent isolé (API). Sauf exceptions4(*), il est versé aux foyers sous conditions de ressources et de résidence stable et effective en France. Le droit à l'allocation est réétudié tous les trois mois selon les ressources perçues par le foyer au trimestre précédent.

Le RSA est une allocation différentielle qui complète les ressources initiales du foyer pour qu'elles atteignent le seuil d'un revenu garanti, ou montant forfaitaire, fixé par décret et dont le barème varie selon la composition du foyer. Au 1er avril 2024, le montant forfaitaire du RSA pour une personne seule est de 635,71 euros. Ce montant peut être majoré en faveur des parents isolés d'enfants à naître ou en bas âge. Il est revalorisé annuellement en fonction de l'inflation.

Les dépenses de RSA exposées par les départements suivent une tendance haussière, avec 11,2 milliards d'euros en 2021 contre 10,8 milliards d'euros en 2017 ; il en va de même du nombre de bénéficiaires du RSA, qui s'établit à 1,93 million en 2021 - après un pic à 2,06 millions en 2020 - contre 1,88 million en 2017.

Évolution des dépenses de RSA exposées par les départements
et du nombre de bénéficiaires du RSA entre 2017 et 2021

(en milliards d'euros et en nombre de bénéficiaires)

Note : à compter de 2019 et 2020, le RSA est recentralisé respectivement en Guyane et à La Réunion. Les dépenses exposées par l'État à ce titre n'apparaissent donc pas.

Source : commission des finances, d'après les chiffres de la Drees

B. LA DÉCENTRALISATION DU FINANCEMENT DU RSA CONTRIBUE À « L'ASPHYXIE BUDGÉTAIRE » DES DÉPARTEMENTS

1. Le financement du RSA est confié au département, en lien avec sa compétence d'insertion et d'action sociale
a) Le choix de la proximité dans la continuité de l'élan décentralisateur

Depuis 20035(*), le revenu minimum d'insertion (RMI), qui préexistait au RSA, est décentralisé : l'article L. 262-24 du code de l'action sociale et des familles prévoit ainsi que le financement du RSA est assuré par les départements. Selon l'exposé des motifs du projet de loi portant décentralisation du RMI, cette réforme répondait à la volonté, de « donner un élan vigoureux à l'insertion des bénéficiaires » du RMI face à leurs difficultés d'accès à l'emploi.

En effet, le projet de loi vise à « renforce[r] la cohérence d'un dispositif dont la gestion [était alors] partagée entre l'État, au titre de l'allocation, et les départements, au titre de l'insertion ». Plutôt que de concentrer les responsabilités au niveau étatique, le législateur a fait le choix de la proximité, mettant ainsi en oeuvre les dispositions issues de la révision constitutionnelle de 2003 selon lesquelles « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon »6(*). Depuis, le département dispose « du pilotage intégral » du RMI, puis du RSA, pour valoriser le « savoir-faire reconnu » de cet échelon en la matière.

L'insertion et l'accompagnement des bénéficiaires du RSA répond à une logique de « droits et devoirs » : les allocataires du RSA sont légalement tenus au devoir de mener des démarches d'insertion professionnelle et sociale, et disposent en retour du droit d'être orienté vers un organisme chargé de les y accompagner. Ces engagements réciproques, au coeur de la philosophie du RSA, sont formalisés dans un contrat d'engagement réciproque (CER) ou, lorsque le bénéficiaire fait l'objet d'un accompagnement par Pôle emploi, d'un projet personnalisé d'accès à l'emploi (PPAE).

b) Un pilotage complexe, fruit d'une décentralisation « imparfaite »

Dans un rapport sur le RSA publié en janvier 20227(*), la Cour des comptes relevait que le pilotage de cette prestation donnait à voir une « décentralisation imparfaite » au profit des départements, dans la mesure où il donnait lieu à l'intervention de multiples parties prenantes. Le pilotage du RSA fait ainsi intervenir :

le département qui est, aux termes de l'article L. 115-2 du code de l'action sociale et des familles (CASF), chargé de « la mise en oeuvre du revenu de solidarité active » : les départements établissent ainsi une stratégie d'insertion à travers des plans départementaux d'insertion (PDI), de manière très hétérogène d'un territoire à l'autre ;

l'État : le RSA étant un dispositif légal relevant de la solidarité nationale, son régime est très largement défini par la loi et fait l'objet d'orientations politiques nationales, notamment dans le cadre des plans ou stratégies pluriannuels de lutte contre la pauvreté. Le montant forfaitaire du RSA est ainsi défini par un acte réglementaire national, son mode de calcul étant déterminé par la loi ;

- les réseaux des caisses d'allocations familiales (CAF) et de la mutualité sociale agricole (MSA) sont chargés de la gestion de l'allocation (instruction des demandes, attribution, calcul des droits, versement de l'allocation) pour le compte des départements, si bien que celle-ci obéit en pratique à des règles nationales homogènes.

Les départements, les chefs de file de la politique d'insertion, orientent les bénéficiaires du RSA vers un type d'accompagnement qui peut être social ou professionnel. L'accompagnement social - qui peut être socio-professionnel dans certains départements - est le plus souvent pris en charge par les départements eux-mêmes, ou par des structures territoriales auxquelles ils délèguent cette mission (centres communaux d'action sociale, associations, CAF ou MSA, etc.). L'accompagnement professionnel est réalisé par Pôle emploi ou par d'autres structures du service public de l'emploi (SPE), si bien qu'il peut être considéré comme relevant d'un pilotage national bien que le département doive suivre l'ensemble des bénéficiaires de son ressort.

Sociogramme des parties prenantes du pilotage du RSA

Source : Cour des comptes, Le revenu de solidarité active, janvier 2022

Ce pilotage complexe engendre des difficultés de coordination entre parties prenantes, mais « entraîne également de la confusion pour les bénéficiaires » : un sondage réalisé pour les juridictions financières auprès de bénéficiaires du RSA montre que « ceux-ci confondent parfois la structure d'accompagnement avec celle qui gère l'allocation »8(*) selon la Cour des comptes.

2. Pour financer le RSA, une mosaïque de ressources insuffisantes
a) Une compensation « au coût historique » décorrélée de la progression des dépenses

En application de l'article 72-2 de la Constitution, « tout transfert de compétences entre l'État et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi ». Ainsi, la compensation du transfert de la compétence RSA aux départements a tout d'abord donné lieu aux transferts de ressources suivants :

l'affectation pérenne d'une fraction du produit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) en application de l'article 59 de la loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003 de finances pour 2004 et de l'article 51 de la loi n° 2005-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009, représentant en 2020 un montant de 5,4 milliards d'euros en 2021 ;

- la création sous forme de prélèvement sur les recettes (PSR) de l'État, par l'article 37 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006, d'un fonds de mobilisation départemental pour l'insertion (FMDI)9(*) représentant en 2021 un montant de 466 millions d'euros.

Toutefois, le Conseil constitutionnel a jugé que l'article 72-2 de la Constitution « exige seulement que le transfert de compétences s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice », et ces dispositions ne font pas obligation à l'État de compenser l'augmentation des charges ultérieure au transfert. En outre, ces dispositions exigent simplement, s'agissant des créations et extensions de compétences, qu'elles soient « accompagnées de ressources déterminées par la loi », sans contraindre le législateur quant au niveau de cet accompagnement.

Ainsi, si le Conseil constitutionnel, saisi par la voie d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) par le département de Seine-Saint-Denis, a considéré que la substitution en 2008 du RSA au RMI et à l'allocation de parent isolé (API) devait être partiellement regardée comme un transfert de compétence dans la mesure où cette dernière prestation était alors financée par l'État10(*), il s'est refusé à établir une obligation de compensation dynamique des charges transférées pour faire face à l'évolution spontanée des dépenses de RSA11(*).

De même, le Conseil d'État, saisi par le département du Calvados, avait jugé qu'une revalorisation exceptionnelle du montant forfaitaire du RSA ne constituait ni un transfert, ni une création, ni une extension de charge12(*). Tout juste les charges résultant de la modification, par voie réglementaire, des règles relatives à l'exercice des compétences transférées, doivent-elle faire l'objet d'une compensation en vertu de dispositions législatives13(*). Il résulte de ces jurisprudences une décorrélation progressive, mais de plus en plus accusée, entre les ressources allouées au moment du transfert de compétences aux fins de financer leur exercice, et les charges effectivement subies par les départements.

Ainsi, alors qu'en 2013 les dépenses de RSA excédaient déjà de près de 2,5 milliards d'euros les ressources transférées en compensation, cet écart s'est considérablement creusé : les dépenses de RSA ont en effet augmenté de 24,5 % entre 2013 et 2018 (à la veille des premières recentralisations Outre-mer), alors que les ressources issues de la compensation historique sont restées stables (+ 0,3 %).

Évolution des dépenses de RSA et de la compensation du coût historique
entre 2013 et 2021

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les « jaunes » budgétaires « Transferts financiers de l'État aux collectivités territoriales » annexés aux projets de loi de finances pour 2020 à 2022 et le rapport sur la situation des finances publiques locales annexé au projet de loi de finances pour 2024

b) L'allocation de nouvelles ressources n'a pas permis de combler entièrement le « reste à charge » départemental en matière de RSA

Pour faire face aux mesures de revalorisation exceptionnelle du RSA prises entre 2013 et 2017 - le montant forfaitaire de la prestation ayant progressé de 10 % en 5 ans -, le « Pacte de confiance et de responsabilité entre l'État et les collectivités territoriales » a prévu que de nouvelles ressources soient allouées aux départements afin de compenser financièrement les effets de cette réforme. Introduites en loi de finances initiale pour 201414(*), ces mesures de compensation consistent :

- en un dispositif de compensation péréquée (DCP)15(*) correspondant à la répartition entre les départements - en fonction du montant de la charge nette des dépenses de RSA et d'allocation pour l'autonomie (APA), du nombre de leurs bénéficiaires et du revenu moyen par habitant - des frais de gestion prélevés par l'État à l'occasion du recouvrement, au profit des collectivités territoriales, du produit de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB). Le montant versé dans ce cadre s'élève à 1,06 milliard d'euros en 202316(*) ;

- en un droit de relèvement17(*) du taux aux droits de mutation à titre onéreux (DMTO) plus important18(*) que celui prévu jusqu'alors. L'impact de ce relèvement, qui a été décidé dans la quasi-totalité des départements, est de 2,46 milliards d'euros en 202119(*) ;

- en l'institution d'un fonds de solidarité en faveur des départements (FSD), dispositif de péréquation horizontale alimenté par un prélèvement forfaitaire sur les DMTO correspondant à 0,35 % de l'assiette de cette taxe et réparti entre les départements en fonction des charges nettes des dépenses de RSA et d'APA et de la population. Aujourd'hui intégré au fonds national de péréquation des droits de mutation à titre onéreux (FNP-DMTO) des départements, il a permis de redistribuer plus de 795 millions d'euros de ressources fiscales20(*).

Ces nouvelles mesures de compensation ont permis de faire rapidement augmenter le taux de couverture des dépenses de RSA par l'État, de 72,0 % en 2013 à 84,4 % en 2014 puis de le stabiliser autour de ce niveau depuis lors (85,5 % en 2021).

Évolution de la compensation de l'État et du taux de couverture
de la dépense de RSA entre 2013 et 2021

(en millions d'euros et en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après le rapport sur les finances publiques locales annexé au projet de loi de finances pour 2024

Toutefois, ces mesures n'ont pas entièrement permis de faire disparaître le « reste à charge » des départements en matière de dépenses de RSA. Selon la Cour des comptes, la notion de reste à charge « désigne la part de ces allocations qui ne sont pas financées par ces mécanismes spécifiques et qui est, de fait, financée par les départements sur leurs autres ressources propres. »

Après avoir intégré la part de TICPE transférée (2004) et le FMDI (2006), le « reste à charge RSA » a fait l'objet d'une première définition législative pour y intégrer les divers mécanismes mis en place à partir de 2014. Or, si ces nouvelles ressources allouées aux départements ont, selon le Gouvernement, permis d'atteindre un taux de couverture des dépenses de l'ordre de 84 %, il convient de relever que celles-ci, pour l'essentiel, ne proviennent pas de l'État mais de la péréquation horizontale (FSD) ou du pouvoir fiscal des départements (relèvement du taux plafond des DMTO).

S'il faut saluer la mise en place de ces mécanismes qui valorisent la solidarité entre les départements (péréquation horizontale) et leur autonomie fiscale (pouvoir de taux élargi), ces ressources ne constituent pas à proprement parler une compensation de l'État. La Cour des comptes constate ainsi que « la notion de reste à charge n'est donc pas consensuelle entre État et départements ».

II. LA RECENTRALISATION : UN TRANSFERT DE COMPÉTENCES « ASCENDANT » ASSEZ INÉDIT, SOURCE DE CONTROVERSES

A. LE TORTUEUX CHEMIN VERS LA RECENTRALISATION

1. La majorité des départements s'est montrée réticente face à une recentralisation à multiples inconnues

L'idée d'une recentralisation du financement du RSA n'est pas nouvelle. Elle a même été en passe d'être appliquée après que l'Assemblée des départements de France (ADF) l'a demandée à l'unanimité lors de son Congrès de Troyes en octobre 201521(*).

Toutefois, à la suite d'âpres négociations avec le Gouvernement, l'assemblée générale de l'ADF a formellement refusé, le 22 juin 2016, les propositions du gouvernement sur la recentralisation du revenu de solidarité active (RSA). Si une division des départements par tendance politique pouvait être observée - les 60 départements de droite et du centre ayant voté contre la recentralisation proposée par le Gouvernement socialiste, la majorité des départements de gauche s'étant abstenu - le rejet de la proposition du Gouvernement était massif, seul un département ayant voté en faveur de la recentralisation.

Sur le fond, quatre difficultés ont compliqué les négociations entre l'ADF et le Gouvernement. Outre la portée donnée au principe de péréquation (l'État proposait un nouveau fonds que refusait l'ADF), la création d'une « clause de retour à meilleure fortune » permettant de minorer la compensation versée à l'État en cas de diminution des dépenses de RSA (option refusée par le Gouvernement) et la question du contrôle accru de l'État sur l'insertion des bénéficiaires (dans lequel certains départements voyaient une recentralisation rampante), le principal écueil concernait le calcul du « droit à compensation » de l'État.

En effet, en cas de recentralisation, les départements devaient dans ce projet transférer à l'État les ressources correspondant aux dépenses exposées par les départements au titre du financement du RSA. Or, pour calculer ce montant transféré, l'État souhaitait se référer à l'année 2016, qui constituait le pic de dépenses et aurait eu pour effet de majorer la compensation versée par les départements, tandis que l'ADF tenait à ce que ce soit l'année 2014, ce qui aurait abouti à une compensation moindre22(*).

Faute d'avoir trouvé un accord sur ces points, le chantier d'une éventuelle recentralisation du RSA a été reporté sine die par les départements et l'État.

2. Une recentralisation jugée indispensable par certains départements, obtenue sous la forme d'une expérimentation
a) Une recentralisation voulue par les départements les plus en difficultés

La situation des départements du point de vue de la problématique du financement RSA est très hétérogène. La direction de la recherche, des évaluations et des études statistiques (Drees) a notamment mis en évidence la forte corrélation entre RSA et taux de chômage : « Sur le territoire métropolitain, le taux d'allocataires du RSA est supérieur à 4,8 % lorsque le taux de chômage dépasse 10 %. C'est le cas dans certains départements du pourtour méditerranéen (Gard, Pyrénées-Orientales, Aude, Hérault, Vaucluse), dans l'Aisne et en Seine-Saint-Denis. »23(*)

Part d'allocataire du RSA pour 1 000 habitants (15-64 ans) en 2021

Source : Observatoire des territoires

La proportion de bénéficiaires du RSA est plus importante dans les départements ultramarins : la DREES note ainsi que, « fin 2021, dans les DROM, un peu plus d'une personne de 15 ans ou plus sur cinq (21,0 %) est allocataire d'un minimum social, soit une part trois fois plus élevée qu'en France métropolitaine (7,3 %). »

En France métropolitaine, la DREES souligne des tendances géographiques locales fortes : « la proportion d'allocataires est particulièrement élevée dans les départements du pourtour méditerranéen. Le cas de la Corse est spécifique du fait de sa pyramide des âges : un tiers de ses allocataires relèvent ainsi du minimum vieillesse. Les départements du nord de la France et la Seine-Saint-Denis concentrent aussi de fortes proportions d'allocataires, principalement d'âge actif. À l'inverse, les départements situés le long d'un croissant allant de la Bretagne aux Pays de la Loire et à l'Île-de-France (hormis la Seine-Saint-Denis), ainsi que les départements du nord des Alpes ont les taux d'allocataires les plus faibles (moins de 6,3 %). »

La Seine-Saint-Denis illustre les disparités entre territoires en matière de chômage et de pauvreté : il s'agit de l'un des départements dans lesquels la tension financière liée au financement du RSA est la plus importante.

Le RSA en Seine-Saint-Denis à la veille de la recentralisation

La dépense au titre du RSA est passée de 358 millions d'euros à 521 millions d'euros en 2019 en Seine-Saint-Denis, soit une hausse de 45 %. Sur la même période, la hausse de la dépense de RSA au niveau national était de de 28 %. Le département de la Seine-Saint-Denis indique en outre avoir subi une croissance de son reste à charge de 120 %. Ainsi, le financement du RSA, qui représentait 20,3 % du budget de cette collectivité en 2010, en représentait 27,2 % en 2020.

En 2019, la part de bénéficiaires de RSA en Seine-Saint-Denis s'élevait à 80,2 pour 1 000 personnes de 15 à 64 ans, contre 45,4 en moyenne nationale. Avant 101 161 habitants bénéficiaires, il s'agit du troisième département français en nombre d'allocataires du RSA après le Nord et La Réunion.

Source : rapport général n° 163 (2021-2022) fait par M. Jean-François Husson, au nom de la commission des finances du Sénat, sur le projet de loi de finances pour 2022, tome II (article 12)

Dans ses réponses aux questions des rapporteurs spéciaux, le président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis a indiqué que le reste à charge cumulé après compensation de l'État, de 1,6 milliard d'euros sur la période 2008-2021, représentait exactement le montant de la dette du département.

Les autres départements expérimentateurs ont fait état de difficultés similaires.

Ainsi, la présidente du conseil départemental des Pyrénées-Orientales a indiqué aux rapporteurs spéciaux que « les dépenses de l'allocation RSA ont progressé à un rythme moyen de + 3,6 % entre 2014 et 2021 », représentant le quart (26 %) des dépenses de fonctionnement du département en 2021, et contraignant toujours davantage sa capacité à agir. Il en va de même pour le département de l'Ariège, dont les dépenses d'allocation s'élèvent à environ 40 millions d'euros, pour une compensation « historique » (c'est-à-dire en tentant compte des seuls montants de TICPE et du FMDI) de seulement 17 millions d'euros selon les réponses apportées au questionnaire des rapporteurs spéciaux.

Pour les départements les plus touchés, cette situation résulte des « conséquences inégalitaires de l'acte II de la décentralisation24(*) », et de l'échec de la logique ayant présidé à la décentralisation de la prestation. C'est en tout cas ce que semble indiquer la présidente du conseil départemental de l'Ariège et, plus clairement encore, le président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis : « L'équation initiale, reposant sur le postulat qu'être en charge du financement du RSA inciterait à mieux accompagner ses allocataires, atteint vite ses limites, faute de moyens suffisants pour payer à la fois le RSA et développer des politiques d'insertion suffisamment ambitieuses. »

b) La recentralisation « à la carte » du RSA : compromis entre trois positions incompatibles

Comme le président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis l'a indiqué aux rapporteurs spéciaux, « le département [de Seine-Saint-Denis] ne s'est pas exactement porté candidat à l'expérimentation ; il en a proposé le principe au Gouvernement ». C'est en effet de notoriété publique qu'« écrasé par le coût financier du RSA, le 93 avait négocié la recentralisation de l'allocation directement avec l'État sans y associer l'ADF.25(*) »

À la sortie de la crise sanitaire, la voie vers la recentralisation a en effet été ouverte sous la forme d'un compromis, trouvé par les départements « pro-recentralisation », entre les positions de l'ADF et de l'État. D'un côté, la recentralisation avait été refusée par l'assemblée générale des présidents de départements au sein de l'ADF ; de l'autre l'État se refusait à prendre en considération la sous-compensation historique du RSA.

La volonté de l'État de laisser plus de place aux expérimentations locales et les nombreuses alertes des départements sur le sujet du financement du RSA ont, selon le président du conseil département de Seine-Saint-Denis, permis d'aboutir à un engagement par l'État sur une recentralisation « à la carte »26(*) du RSA, pendant cinq ans, sous la forme d'une expérimentation.

Cette recentralisation facultative et ouverte aux départements volontaires présente, malgré les critiques de la Cour des comptes qui y a vu l'affaiblissement du principe « financeur - décideur » et un prélude à l'affaissement de la logique des droits et devoirs, l'avantage de ne franchir de ligne rouge pour aucune des parties :

- pour l'ensemble des départements et l'ADF, cette recentralisation « à la carte » ne remet pas en cause le transfert de la prestation et l'acquis de la décentralisation sociale au profit des départements ;

- pour l'État, l'opération est en théorie « neutre » financièrement et ne conduit pas à remettre en cause la « sous-compensation » du transfert du RSA aux départements concernés, puisqu'elle conduit à recentralisation à la fois les dépenses de RSA, mais aussi des ressources correspondantes - dont le montant est supérieur à celui de la compensation historique ;

- pour les départements « pro-recentralisation » enfin, l'opération présente la garantie d'être protégée de toute évolution future des dépenses de RSA et, corrélativement, du « reste à charge RSA » - un compromis présenté par le président du département de Seine-Saint-Denis comme consistant à « accepter de perdre pour le passé pour garantir un avenir stable et figer le reste à charge »27(*).

Par la suite, le Gouvernement a souhaité que la recentralisation du financement du RSA porte en elle-même des objectifs non seulement financiers mais également de politique publique. Un accord a été trouvé, consistant pour chaque département bénéficiaire de l'expérimentation, à « consacrer une partie des marges qu'il tirerait de cette recentralisation pour doubler les crédits de sa politique d'insertion. »

Outre un objectif de rééquilibrage des finances des départements concerné, la recentralisation négociée entre l'État et le département de Seine-Saint-Denis visait, comme l'indiquait précisément l'exposé des motifs du projet de loi dite « 3DS », à « mettre un terme aux difficultés chroniques de certains départements à assumer cette charge [le financement du RSA] afin qu'ils puissent développer des politiques d'insertion adaptées et ambitieuses ». Cette volonté de « ne pas baisser la garde en matière d'insertion » est en effet partagée par le département de l'Ariège comme celui des Pyrénées-Orientales, qui a indiqué vouloir « redynamiser et intensifier, par la réaffectation de nouveaux moyens, ses politiques d'insertion et sa lutte en faveur des personnes dans la précarité ».

B. UNE RECENTRALISATION INÉDITE DONT LE « SUCCÈS » A ÉTÉ LIMITÉ PAR SES CONDITIONS DE MISE EN oeUVRE

1. Une recentralisation inédite, guidée par d'incertains parallèles avec de rares précédents
a) La Constitution, modifiée dans un mouvement décentralisateur, ignore la possibilité d'une recentralisation

Pour mettre en oeuvre cette expérimentation, l'article 43 de la loi de finances pour 202228(*), complété par l'article 132 de la loi dite loi « 3DS »29(*), ont prévu la mise en oeuvre de la recentralisation du RSA. Les deux textes ont prévu une entrée dans le dispositif en deux phases successives : les départements souhaitant participer à l'expérimentation dès le 1er janvier 2022 pouvaient postuler sur le fondement de la loi de finances pour 2022, les autres pouvant y participer à compter du 1er janvier 2023 sur le fondement de la loi 3DS.

La recentralisation expérimentale prévue par ces deux articles a pour objet de confier à l'État l'instruction, l'attribution et le financement du RSA en lieu et place des départements expérimentateurs.

Toutefois, une telle recentralisation des compétences n'est pas explicitement prévue par la Constitution. Celle-ci prévoit simplement, à son article 34, que le législateur « détermine les principes fondamentaux (...) de la libre administration des collectivités territoriales », ce qui inclut la définition des compétences exercées par les collectivités et peut en principe à les en dessaisir.

La Constitution, modifiée en 2003 afin de consacrer l'organisation décentralisée de la République, prévoit uniquement le cas du transfert « descendant » de compétences de l'État aux collectivités, dans le droit fil du mouvement décentralisateur initiée par les lois Deferre. Dans ce cas, elle prévoit, à son article 72-2, que « tout transfert de compétences entre l'État et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi ». Le présent rapport a déjà indiqué la portée limitée que le Conseil constitutionnel avait donnée à ces dispositions.

L'article 72-2 n'est cependant pas applicable aux transferts « ascendants » de compétences des collectivités territoriales vers l'État, dans le cadre de recentralisation de compétences auparavant décentralisées. Le « mode d'emploi » d'une telle recentralisation doit être recherché ailleurs.

b) Le précédent de l'apprentissage fourni un « mode d'emploi » de la recentralisation

Les exemples de recentralisations sont rares dans l'histoire constitutionnelle récente, marquée par un profond mouvement de décentralisation depuis le début des années 1980, consacré par la révision constitutionnelle du 28 mars 2003. Un précédent récent, sous la XVème législature, a toutefois pu servir de « mode d'emploi », ayant donné lieu à une décision du Conseil constitutionnel.

Il s'agit de la recentralisation de l'apprentissage, auparavant compétence obligatoire des régions, que l'article 34 de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel30(*) a transféré des régions aux branches professionnelles s'agissant du financement, et à France Compétences, établissement public de l'État, s'agissant du pilotage.

L'État ayant, par les articles 74 et 76 de la loi de finances pour 2020, procédé à la reprise des ressources équivalentes à celles consacrées à l'exercice de cette compétence par les régions, ces dispositions ont fait l'objet d'une contestation devant le Conseil constitutionnel. De la décision rendue à cette occasion31(*), plusieurs enseignements peuvent être tirés.

Le Conseil constitutionnel a en effet jugé que l'article 72-2 de la Constitution ne s'applique effectivement pas aux transferts « ascendants » de compétences des collectivités territoriales vers l'État. Cette disposition, insérée dans la Constitution pour consacrer l'organisation décentralisée de la République, se voulait une garantie en faveur des collectivités territoriales. Que le Conseil constitutionnel ait écarté le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions par un « en tout état de cause » indique assez qu'il l'a jugé inopérant, selon une pratique commune du juge administratif.

Toutefois, si la Constitution ne fait pas obligation à l'État de procéder à une reprise des ressources des collectivités lorsqu'il procède à une recentralisation, elle ne lui interdit pas non plus de le faire, à condition qu'il n'entrave pas ce faisant leur libre administration. Lorsque le législateur procède à une telle reprise de ressources, il est ainsi assez libre d'en déterminer les conditions.

Dans le cas de la recentralisation de l'apprentissage, le montant du « droit à compensation » de l'État avait ainsi été calculé, s'agissant des dépenses de fonctionnement, sur une moyenne triennale - par parallélisme avec la pratique en vigueur dans les transferts « descendants ». La période de référence a pu courir de 2015 à 2017, la recentralisation ayant été annoncée en 2017, sans que le Conseil constitutionnel n'y objecte.

Ce « mode d'emploi » est reconnaissable dans le cas de la recentralisation du RSA.

c) Une recentralisation « à la carte » possible en Outre-mer, mais requérant une expérimentation en métropole

Si les compétences de financement, de service du RSA, ainsi que la compétence d'insertion de ses bénéficiaires, ont pu faire l'objet d'une recentralisation définitive dans plusieurs collectivités territoriales d'outre-mer, justifiées par leur situation sociale et financière très spécifique, un tel précédent ne saurait être transposé aux départements métropolitains sans adaptation.

Dans les années récentes, ces compétences ont en effet fait l'objet d'une recentralisation définitive dans trois départements ultramarins, à savoir en Guyane et à Mayotte à compter du 1er janvier 201932(*) et à La Réunion à compter du 1er janvier 202033(*).

En effet, une telle recentralisation « à la carte » n'est possible en Outre-mer que sur le fondement de l'article 73 de la Constitution, qui dispose que, dans les départements et régions d'Outre-mer, les lois et règlements « peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités. » Ce n'est donc que sur le fondement de cet article, qui permet l'adaptation du droit national aux situations particulières locales que le RSA être recentralisé dans certains départements sans l'être dans d'autres.

Une telle possibilité n'étant pas ouverte sur le territoire métropolitain, un autre fondement a été trouvé dans l'article 37-1 de la Constitution, qui prévoit que la loi et le règlement « peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental », ce qui permet d'appliquer temporairement dans un département des règles dérogeant au principe d'égalité et au droit commun applicable sur le reste du territoire34(*).

C'est, selon les rapporteurs spéciaux, à l'aune de cette contrainte constitutionnelle qu'il faut comprendre le choix de prévoir une expérimentation.

2. Des conditions de mise en oeuvre globalement équilibrées
a) Une expérimentation limitée aux départements les plus en difficultés

La recentralisation du RSA ne se voulant pas une remise en cause de la décentralisation, mais une réponse aux difficultés de certains départements confrontés à une hausse de leurs dépenses sociales contraintes et à l'insuffisance de leurs ressources, il a été décidé que seuls les départements les plus en difficultés seraient admis à y participer.

L'article 43 de la loi de finances pour 2022 a ainsi énoncé trois critères cumulatifs devant être remplis par un département souhaitant participer à l'expérimentation de la recentralisation du RSA. Les départements candidats doivent présenter un « reste à charge RSA » et une proposition de bénéficiaires du RSA dans leur population « significativement plus importante que la moyenne nationale » et doivent disposer d'un revenu moyen par habitant « significativement plus faible que la moyenne nationale ».

Les seuils de référence pour l'application de ces trois critères ont été précisés par décret en Conseil d'État35(*). Ont ainsi été éligibles à l'expérimentation de la recentralisation du RSA les départements :

- présentant un reste à charge (RAC) au titre du RSA par habitant supérieur à 1,2 fois le reste à charge national moyen par habitant, qui s'établissait en 2020 à 65,9 euros par habitant ;

- ayant une proportion de bénéficiaires de l'allocation dans la population supérieure à 1,2 fois à la moyenne nationale, qui s'établissait en 2020 à 2,94 % ;

- disposant d'un revenu moyen par habitant inférieur à 0,9 fois le revenu moyen par habitant de l'ensemble des départements, qui s'établissait en 2020 à 15 410 euros par habitant.

Onze départements étaient éligibles selon ces critères.

Caractéristiques et rang des départements éligibles au regard des critères fixés par l'article 43 de la loi de finances pour 2022

 

Critère n° 1 - RAC RSA

Critère n° 2 - Bénéficiaires RSA

Critère n° 3 - Revenu par habitant

Nom département

RAC/habitant 2020

Rang

BRSA/pop INSEE 2020

Rang

Revenu par habitant 2020

Rang

AISNE

102,07 €

5

3,57 %

13

12 454 €

5

ARDENNES

79,29 €

18

3,99 %

10

12 480 €

6

ARIEGE

87,32 €

13

4,50 %

6

12 626 €

9

AUDE

93,52 €

11

4,55 %

5

12 526 €

8

GARD

99,72 €

8

4,45 %

7

13 501 €

34

NORD

101,94 €

6

4,29 %

8

13 036 €

14

PAS-DE-CALAIS

80,70 €

16

3,88 %

12

12 151 €

3

PYRENEES-ORIENTALES

119,44 €

4

5,13 %

4

13 248 €

19

SEINE-ST-DENIS

153,41 €

2

5,62 %

3

11 616 €

2

GUADELOUPE

157,19 €

1

11,32 %

1

11 007 €

1

MARTINIQUE

146,75 €

3

10,02 %

2

12 235 €

4

Note : les départements surlignés sont ceux dont les candidatures ont été retenues.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par la DGCL

Compte-tenu de l'importance des critères retenus et de leur caractère cumulatif, ainsi que des désaccords persistants entre l'État et les départements s'agissant des modalités de calcul du reste à charge (cf. supra), ces dernières ont constitué un point d'attention naturel dans le cadre de la recentralisation du RSA, et notamment pour les rapporteurs spéciaux.

La définition du « reste à charge RSA » dans le cadre de l'expérimentation

Par le passé, la définition du « reste à charge RSA » a pu donner lieu à des désaccords entre l'État et les départements quant à l'étendue des ressources à prendre en compte. L'article 1er du décret du 26 octobre 202236(*) définit ce reste à charge comme le solde des dépenses exposées en 2020 au titre du RSA et les ressources de compensation suivantes :

- les fractions de produit de TICPE allouées au titre de la compensation du transfert du revenu minimum d'insertion et du revenu minimum d'activité (RMI-RMA) et du RSA ;

- l'attribution perçue au titre du fonds de mobilisation départemental pour l'insertion (FMDI) ;

- l'attribution perçue au titre du dispositif de compensation péréquée (DCP).

Cette définition diffère de celle retenue à l'article L. 3334-16-3 du code général des collectivités territoriales, qui concerne la répartition du DCP, et qui ne prend pas en compte l'attribution au titre du DCP afin de ne pas répartir ses fonds à partir de lui-même. De même, elle diffère de celle retenue à l'article 131 de la loi de finances rectificative pour 2016, qui tient compte des attributions au titre du fonds de solidarité des départements (FSD), celui-ci ayant été intégré au fonds national de péréquation des DMTO avec la loi de finances pour 2020.

Source : réponse de la DGCL au questionnaire des rapporteurs spéciaux

En définitive, cette définition du « reste à charge RSA », fondée sur un champ relativement restreint de ressources de compensation et excluant les dispositifs ne correspondant pas à des transferts de l'État (taux majoré de DMTO ou péréquation horizontale), paraît satisfaisante.

b) Un droit à compensation dont les modalités de calcul, équilibrées en principe, ont été modifiées en tapinois

Comme l'illustraient les précédents de la recentralisation de l'apprentissage et de la recentralisation du RSA en Outre-mer, la pratique en cas de recentralisation est de calculer la reprise de ressources au profit de l'État selon une moyenne triennale - s'agissant des dépenses de fonctionnement - plus représentative qu'une année singulière.

S'agissant de la recentralisation expérimentale du RSA en métropole, le choix de la dépense moyenne sur la période 2018-2020 comme base de référence pour calculer le droit à compensation constituait une option équilibrée. L'analyse qui était alors celle du rapporteur général de la commission des finances était la suivante :

« La seule année 2020 ou 2021 comme base de référence aurait été défavorable aux départements compte-tenu du ressaut de dépenses de RSA constaté sur ces années dans le contexte de la crise sanitaire. Le choix d'une moyenne triennale, traditionnel en matière de transfert de compétences de fonctionnement, est ainsi préférable. Le fait d'inclure 2020 permet la prise en compte d'une partie des effets de la crise sanitaire, ce qui paraît justifié compte tenu de son impact potentiellement durable sur l'intensité de la pauvreté. Du fait de la persistance d'un niveau élevé d'allocataires du RSA en Seine-Saint-Denis en 2021 par comparaison aux années 2018 et 2019 (...), l'exclusion de cette année dans la base de référence du droit à compensation est donc favorable.37(*) »

Le graphique ci-dessous démontre que, au vu de l'évolution du nombre de bénéficiaires du RSA entre 2018 et 2021, le choix d'une période de référence courant de 2018 à 2020 permet la définition d'un droit à compensation au profit de l'État - et donc d'une reprise des ressources départementales - moins élevé (moyenne de 103,4, base 100 en 2018) qu'en retenant la période allant de 2019 à 2021 (moyenne de 105,9, base 100 en 2018).

Évolution du nombre de bénéficiaires du RSA dans les trois départements
expérimentateurs et dans la France entière en fonction de la période de référence

(base 100 en janvier 2018)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données de la Drees

Le rapporteur général notait également que les conditions d'entrée dans l'expérimentation en 2023 n'étaient pas encore définies - le projet de loi 3DS étant encore en discussion - et qu'une « nouvelle intervention législative sera donc nécessaire courant 2022 pour permettre la participation de nouveaux départements à compter de 2023. » Il ajoutait qu'il conviendrait « à cette occasion, en se fondant sur les données disponibles quant à l'évolution du RSA en 2021 et en 2022, de déterminer la période de référence la plus équitable pour les parties. »

Or, le Gouvernement et l'Assemblée nationale ont procédé à cette définition en nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2022, sans que cette modification puisse faire l'objet d'un véritable débat au Sénat. L'amendement du Gouvernement38(*) se voulait simplement effectuer une coordination avec le projet de loi 3DS alors en discussion, « sans changement de fond ». Ce faisant, il a toutefois défini une période de référence allant de 2019 à 2021 pour les départements participant à l'expérimentation à compter du 1er janvier 2023.

Les précédents évoqués dans le présent rapport permettaient pourtant de considérer que la définition d'une même période de référence, courant de 2018 à 2020, pour tous les départements expérimentateurs quelle que soit leur date d'entrée dans l'expérimentation aurait été envisageable du point de vue du droit constitutionnel.

Il est regrettable que le Gouvernement ait procédé ainsi, en catimini, à une modification d'un paramètre essentiel de la mise en oeuvre de la recentralisation.

c) La reprise par l'État de ressources dynamiques a également soulevé des objections de la part des départements

L'article 43 de la loi de finances pour 2022 dispose que, pour couvrir les dépenses recentralisées d'allocation de RSA, l'État procèderait à la reprise des ressources compensatrices allouées aux départements. Toutefois, du fait de la sous-compensation du transfert du RSA aux départements, la reprise de ces seules ressources serait insuffisante pour couvrir à elle seule le droit à compensation. Il a donc été convenu que l'État reprenne d'autres ressources à titre subsidiaire.

Ainsi, le financement du droit à compensation au profit de l'État a été financé en priorité par la reprise des ressources de compensation historique et d'accompagnement, l'État cessant le versement aux départements expérimentateurs :

- des fractions de TICPE qui leur étaient versées au titre du transfert du RMI et de la réforme du RSA ;

- des ressources du FMDI ;

- des ressources du dispositif de compensation péréquée (DCP).

Dans le cas où ces ressources seraient insuffisantes, l'État procèderait en outre à la reprise :

- d'abord à la reprise d'une fraction du produit des droits de mutations à titre onéreux (DMTO) perçu par les départements expérimentateurs, dans la limite de 20 % de ce produit ;

- ensuite, si les 20 % de ce produit ne suffisent pas à atteindre le niveau du droit à compensation, il est prévu que l'État procède à la réfaction d'un montant fixe correspondant la différence, d'abord sur la dotation globale de fonctionnement (DGF) du département - en priorité sur la dotation de compensation, ensuite sur la dotation forfaitaire - et ensuite sur la fraction de TVA perçue par le département au titre de la réforme de la taxe d'habitation.

La volonté de l'État de reprendre une fraction dynamique de DMTO a suscité quelques tensions avec les départements : le président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis indiquant par exemple qu'il s'agissait pour le département d'une véritable « bataille financière : s'efforcer de limiter autant que possible la part des ressources dynamiques reprises, les DMTO évoluant avec un marché de l'immobilier nécessairement incertain mais tendanciellement en hausse39(*) ».

Évolution des recettes de DMTO des départements expérimentateurs
par rapport à l'année précédente

Note de lecture : en 2018, les recettes de DMTO du département de l'Ariège ont progressé de 9,3 % par rapport à leur niveau de 2017.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données issues des documents budgétaires départementaux

Il est vrai qu'à l'heure où se préparait la recentralisation expérimentale du RSA, la tendance du produit des DMTO était nettement à la hausse dans l'ensemble des départements qui participeraient à l'expérimentation : seule l'année 2020 se démarquait par un faible dynamisme dans la période récente.

Or, la reprise d'une part de fiscalité locale dynamique et sans lien direct avec le financement du RSA constitue une nouveauté : il faut rappeler que, par contraste, la recentralisation du RSA en Outre-mer n'avait donné lieu qu'au transfert d'un montant fixe de recettes, via des reprises sur la DGF ou une subvention exceptionnelle (en Guyane) ou des taxes sur le tabac (à La Réunion).

Si le Gouvernement a justifié la reprise d'une ressource dynamique « dans la mesure où, in fine, l'État a repris à sa charge la dépense exécutée, elle-même dynamique », cet argument est en réalisé biaisé. A l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2022, le rapporteur général relevait en effet que, par le passé, la décentralisation du RMI puis du RSA n'avait pas été accompagnée de ressources dynamiques, mais d'une fraction fixe de TICPE. La décision de s'arroger désormais une reprise dynamique de ressources en sa faveur témoigne une fois de plus d'une « conception déséquilibrée des relations financières entre l'État et les collectivités territoriales.40(*) »

3. Un « succès » mitigé de l'expérimentation à l'aune du nombre de départements retenus
a) Pourquoi si peu de département expérimentateurs ?

Compte-tenu de difficultés financières largement partagées et de nombreuses alertes lancées par l'ADF, d'aucuns auraient pu s'attendre à ce qu'un nombre important de départements participent à l'expérimentation de la recentralisation du RSA. De fait, à la fin 2022, alors que le RSA avait déjà été recentralisé dans deux départements métropolitains (la Seine-Saint-Denis et les Pyrénées-Orientales - l'Ariège les a rejoint en 2023) pour un montant pour l'État de 708,6 millions d'euros, les documents budgétaires annexés au projet de loi de finances pour 2023 prévoyaient 1 558,4 millions d'euros de dépenses au titre du RSA recentralisé41(*).

Ce montant prévisionnel témoigne de ce que le Gouvernement s'attendait à ce qu'un nombre non négligeable de départements supplémentaires soient retenus.

Cela n'a finalement pas été le cas, puisque seuls trois départements - la Seine-Saint-Denis, les Pyrénées-Orientales42(*) et l'Ariège43(*) - ont été retenus, alors que durant les débats sur la loi 3DS, la ministre de la Cohésion des territoires mentionnait une dizaine de départements intéressés dont l'Aisne, la Somme, la Creuse, la Corrèze ou la Gironde44(*). Ces départements ne se sont toutefois pas portés candidats. Comment expliquer ce faible engouement ?

Le principal élément ayant pu décourager certains départements de se porter candidat tient dans le principe de rétro-compensation à l'État de la recentralisation et des conditions de cette rétro-compensation : dans ces conditions, les seuls départements qui pouvaient avoir un intérêt financier à participer à l'expérimentation étaient ceux qui anticipaient une augmentation de leurs dépenses de RSA ou une diminution du produit des DMTO.

S'agissant des départements s'étant portés candidats pour intégrer l'expérimentation à compter du 1er janvier 2023, la période de référence courant de 2019 à 2021 a ainsi pu rafraichir certains enthousiasmes. Les rapporteurs spéciaux ont déjà dit leur regret que ce paramètre ait été décidé sans débat parlementaire digne de ce nom. Ils estiment en outre que, pour un petit département comme l'Ariège, le décalage d'un an de la période de référence a conduit à prévoir un montant de rétro-compensation au profit de l'État de 1,6 million d'euros supérieur à ce qu'il aurait été avec une période de référence courant de 2018 à 2020.

Plus probablement encore, c'est l'anticipation d'une hausse des recettes de DMTO qui a pu pousser un certain nombre de départements à ne pas se porter candidats, préférant compter sur la hausse de leurs ressources propres plutôt que sur l'appui de l'État. Ainsi, le président du conseil départemental de l'Aisne indiquait que, malgré une délibération dans le sens d'une candidature, le conseil départemental s'était ravisé « car les DMTO remontent »45(*).

Surtout, ce sont les critères d'éligibilité qui ont réduit la liste des candidats retenus, de nombreux départements volontaires n'ayant finalement pas été éligibles. Ainsi, les départements des Landes, de la Meurthe-et-Moselle ou de la Haute-Vienne, qui s'étaient portés candidats, n'ont pas pu être retenus faute d'avoir rempli les critères d'éligibilité fixés par le décret du 26 octobre 2022.

Enfin, le cas de la Guadeloupe est particulier. Sa candidature s'est heurtée à une difficulté technique avec la caisse d'allocations familiales (CAF), le système d'information de la caisse ne dissociant pas le département de Guadeloupe et la collectivité de Saint-Martin, non candidate à l'expérimentation. Des développements supplémentaires étaient donc nécessaires, sans qu'ils ne puissent être déployés au 1er janvier 2023.

En outre, s'agissant des modalités financières, la Guadeloupe a fait savoir aux services de la direction générale des collectivités territoriales (DGCL) qu'elle souhaitait un régime financier plus favorable que le cadre légal posé par la loi de finances pour 2022. Or, si un tel régime de faveur était bien envisageable sur le fondement de l'article 73 de la Constitution, il n'était pas possible d'y procéder dans le cadre de l'expérimentation en métropole - une telle faveur aurait en effet créé une rupture d'égalité.

b) Un succès qui ne saurait se mesurer au nombre des candidatures retenues

Les rapporteurs spéciaux estiment qu'en tant que compromis politique, la recentralisation expérimentale du RSA se devait d'être limitée aux départements les plus défavorisés. Dans cette optique, le succès de cette expérimentation ne saurait se mesurer au nombre de candidatures retenues.

Toutefois, un dialogue plus soutenu avec les départements volontaires aurait pu aboutir à un plus grand « succès » si le décret fixant les critères d'éligibilité avait été conçus pour faciliter au mieux les candidatures. Certains départements ayant manifesté un intérêt remplissaient parfois deux des trois critères, et leur participation aurait pu être rendue possible par une attitude plus à l'écoute du Gouvernement.

En tout état de cause, l'impossibilité pour le département de la Guadeloupe de participer à l'expérimentation, malgré sa candidature et alors qu'il est le département dans lequel le « reste à charge RSA » par habitant et la proportion de bénéficiaires du RSA dans la population sont les plus élevés, ainsi que le département dans lequel le revenu moyen par habitant est le plus faible, est fortement dommageable. Il conviendrait que le Gouvernement poursuive les échanges avec ce département en vue de la fiabilisation du système d'information de la CAF locale, afin de permettre à ce département, si c'est encore son souhait, de bénéficier de la recentralisation sur le fondement de l'article 73 de la Constitution.

Recommandation n° 1 : Poursuivre les discussions avec le département de la Guadeloupe afin de trouver une solution technique et juridique lui permettant, s'il le souhaite toujours, de bénéficier de la recentralisation du RSA sur le fondement de l'article 73 de la Constitution.

Les rapporteurs spéciaux considèrent que le succès de l'expérimentation se mesurera à l'aune de deux critères : d'une part, l'amélioration de la situation financière des départements expérimentateurs - qui dépendra largement de la dynamique des dépenses de RSA et des ressources transférées à l'État, en particulier les DMTO - et, d'autre part, l'efficacité des mesures prises par ces départements pour renforcer leurs dispositifs d'insertion et d'accompagnement des bénéficiaires du RSA.

C'est à l'examen de ces deux critères que la deuxième partie du présent rapport sera consacrée.

DEUXIÈME PARTIE
À MI-PARCOURS, UN BILAN GLOBALEMENT POSITIF

I. LA RECENTRALISATION SEMBLE, À CE STADE, AVOIR ATTEINT SES OBJECTIFS FINANCIERS

A. LA FIN DE « L'ASPHYXIE BUDGÉTAIRE » DES DÉPARTEMENTS, POUR UN COÛT MODÉRÉ POUR L'ÉTAT

1. Les départements expérimentateurs sortent « gagnants » de la recentralisation face à la hausse des dépenses de RSA

Si les conséquences de l'expérimentation du RSA sur la situation financière des départements recentralisés ne pourront être tirées qu'avec plusieurs années de recul, il est toutefois possible d'établir le gain - ou la perte - financier théorique de la recentralisation pour les départements. Il convient pour ce faire de comparer le montant des recettes reprises par l'État au titre de sa rétro-compensation au montant des dépenses exposées par l'État au titre du RSA recentralisé dans ces départements.

Pour l'exercice 2022, on constate que les deux départements participant à l'expérimentation sont « gagnants » de la recentralisation : leur gain financier théorique s'est établi en 2022 à 13,1 millions d'euros pour les Pyrénées-Orientales et 21,9 millions d'euros pour la Seine-Saint-Denis.

Gain financier théorique des départements expérimentateurs en 2022

(en euros)

   

Pyrénées-Orientales

Seine-Saint-Denis

Dépenses RSA exécutées par l'État dans le département
en 2022

150 099 447 €

540 095 771 €

Reprise des ressources historiques (2022)

dont fractions de TICPE RMI/RSA

68 261 139 €

233 659 678 €

dont FMDI

6 608 527 €

25 457 439 €

Reprise des ressources « d'accompagnement » (2022)

dont DCP

11 003 406 €

34 808 320 €

dont fraction de 20 % de DMTO

29 020 230 €

60 261 273 €

Reprise de DGF (2022)

dont reprise sur la dotation de compensation

12 470 128 €

27 205 179 €

dont reprise sur la dotation forfaitaire

9 570 933 €

136 848 652 €

Total des recettes reprises en 2022

136 934 363 €

518 240 541 €

Gain (+) ou perte (-) théorique pour le département
en 2022

+ 13 165 084 €

+ 21 855 230 €

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par la DGCL

Comme le souligne la DGCL, ce gain théorique est à mettre en relation avec la capacité d'autofinancement brute de ces deux départements, qui s'établissait à 100 millions d'euros pour les Pyrénées-Orientales et à 206,9 millions d'euros pour la Seine-Saint-Denis cette même année.

Pour la première année de la recentralisation, le gain financier théorique représentait donc 13,1 % de l'épargne brute des Pyrénées-Orientales et 10,6 % de celle du département de Seine-Saint-Denis.

En 2023, les départements expérimentateurs, auxquels s'est joint le département de l'Ariège, sont toujours bénéficiaires net de l'expérimentation. Le gain financier théorique des départements des Pyrénées-Orientales et de la Seine-Saint-Denis s'est ainsi accru, passant respectivement de 13,1 et 21,9 millions d'euros en 2022 à 21,6 et 43,8 millions d'euros en 2023. Le département de l'Ariège bénéficie, pour sa première année d'expérimentation, d'un gain net de 2,8 millions d'euros46(*).

Gain financier théorique des départements expérimentateurs en 2023

(en euros)

   

Ariège

Pyrénées-Orientales

Seine-Saint-Denis

Dépenses RSA exécutées par l'État dans le département en 2023

40 900 000 €

158 500 000 €

547 400 000 €

Reprise des ressources historiques (2023)

dont fractions de TICPE RMI/RSA

17 605 510 €

68 261 139 €

233 659 678 €

dont FMDI

2 085 301 €

6 608 527 €

25 457 439 €

Reprise des ressources « d'accompagnement » (2023)

dont DCP

7 054 113 €

11 565 791 €

36 732 723 €

dont fraction de 20 % de DMTO

4 158 168 €

28 380 226 €

43 741 678 €

Reprise de DGF (2023)

dont reprise sur la dotation de compensation

6 890 399 €

12 470 128 €

27 205 179 €

dont reprise sur la dotation forfaitaire

320 337 €

9 570 933 €

136 848 652 €

Total des recettes reprises en 2023

38 113 828 €

136 856 744 €

503 645 349 €

Gain (+) ou perte (-) théorique pour le département
en 2023

+ 2 786 172 €

+ 21 643 256 €

+ 43 754 651 €

Note : Les données relatives aux dépenses et aux montant variables de ressources reprises ne sont pas définitives.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par la DGCL

Les président des départements expérimentateurs, entendus par les rapporteurs spéciaux, s'accordent pour constater que l'expérimentation a amélioré, du moins ceteris paribus, la situation de leur département. Ainsi, le président du conseil département de la Seine-Saint-Denis a indiqué que la hausse de l'épargne brute du département en 2022 « a en grande partie été permise par cette recentralisation (...), notamment grâce aux modalités de calcul du droit à compensation. »

Ce constat est partagé par les présidentes des conseils départementaux de l'Ariège et des Pyrénées-Orientales, qui ont reconnu que « la recentralisation du RSA a retiré [au département] une charge dynamique (revalorisation monétaire annuelle a minima) et un panier de recettes relativement peu croissant (dotations et DMTO) », ce qui permet mécaniquement « un allègement du fardeau » des dépenses d'allocation.

Toutefois, les présidents nuancent leur optimisme en rappelant que, du point de vue strictement financier, le gain financier théorique retiré de la recentralisation doit être immédiatement réinvesti dans les engagements des départements, pris par convention avec l'État, au titre de l'accompagnement et de l'insertion des bénéficiaires.

En outre, un accord unanime se dégage entre les départements expérimentateurs pour considérer que leur situation financière demeure précaire malgré la recentralisation : les présidents des conseils départementaux de la Seine-Saint-Denis et des Pyrénées-Orientales ont ainsi souligné que l'amélioration de leur situation financière devait être nuancée du fait de la charge portée par ces départements au titre des deux AIS qu'ils continuent de financer, à savoir l'allocation personnalisée pour l'autonomie (APA) et la prestation de compensation du handicap (PCH).

Le premier a ainsi fait état d'un taux de couverture particulièrement faible de ces AIS par la CNSA - de 34 % pour l'APA et 26 % pour la PCH, contre respectivement 43 % et 41 % pour la moyenne nationale. La seconde a fait savoir aux rapporteurs spéciaux que, même une fois le RSA recentralisé, ses dépenses de fonctionnement avaient progressé sensiblement plus rapidement (+ 6,1 %) que les recettes de fonctionnement (+ 1,8 %).

Enfin, les trois départements constatent que leur situation financière est fortement dégradée par le ralentissement économique, qui produit une chute des DMTO et une baisse de la dynamique de la TVA. Ainsi, le président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis a mentionné une diminution de 70 millions d'euros des recettes de DMTO entre 2022 et 2023. L'Ariège et les Pyrénées-Orientales subissent la même dynamique baissière.

2. Un coût budgétaire pour l'État diminué par la prise en compte des recettes reprises en compensation
a) Un coût budgétaire difficile à établir et en progression depuis le début de l'expérimentation

Les dépenses exposées par l'État au titre de la recentralisation du RSA sont inscrites sur le programme 304 « Inclusion sociale et protection des personnes » de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». L'établissement du coût « brut » budgétaire de la recentralisation du RSA pas les rapporteurs spéciaux ne s'est toutefois pas avéré aisé : en effet, les chiffres inscrits dans les documents budgétaires relatifs à la mission ne coïncidaient pas avec les données reçues des administrations sollicitées dans le cadre du présent contrôle.

En revanche, les données transmises par la DGCL, la DGCS, la caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) et la caisse centrale de mutualité sociale agricole (CCMSA) étaient globalement concordantes. Ce sont donc ces données qui ont servi de base au présent rapport. Les dépenses exposées par l'État au titre de la recentralisation expérimentale du RSA s'élèveraient ainsi à 690 millions d'euros en 2022, 746,8 millions d'euros en 2023 et 751,3 millions d'euros en 2024.

Évolution des dépenses exposées par l'État
au titre de la recentralisation expérimentale du RSA

(en millions d'euros)

Note : les données pour 2023, transmises par la DGCL, et les données pour 2024, transmises par la DGCS sur la base des prévisions de la CNAF, sont prévisionnelles.

Source : commission des finances d'après les données fournies par la DGCL, la DGCS et la CNAF

Ces dépenses semblent s'inscrire dans une nette trajectoire haussière : + 8,2 % entre 2022 et 2023 et + 0,6 % entre 2023 et 2024. Il convient toutefois de faire preuve de prudence, les données définitives pour les années 2023 et 2024 étant encore prévisionnelles.

En outre, il faut nuancer l'ampleur de la hausse de 8,2 % des dépenses de RSA constatée entre 2022 et 2023 : celle-ci tient avant tout à une mesure de périmètre, le département de l'Ariège ne s'étant joint à l'expérimentation qu'en 2023. À périmètre constant, la hausse des dépenses de RSA exposées par l'État n'est que de 2,3 % entre 2022 et 2023.

Dans le détail, l'augmentation de la charge pesant sur l'État au titre du RSA recentralisé en métropole est surtout le fait du département de Seine-Saint-Denis (+ 10,6 millions d'euros entre 2022 et 2024). Toutefois, c'est dans le département des Pyrénées-Orientales que la progression des dépenses de RSA est la plus rapide (+ 6,3 % entre 2022 et 2024).

Évolution des dépenses exposées par l'État au titre de la recentralisation du RSA
dans chaque département expérimentateur

(en millions d'euros)

Note : les données pour 2023, transmises par la DGCL, et les données pour 2024, transmises par la DGCS sur la base des prévisions de la CNAF, sont prévisionnelles.

Source : commission des finances d'après les données fournies par la DGCL, la DGCS et la CNAF

Dans le droit commun, le RSA est versé aux allocataires par les caisses d'allocations familiales (CAF) ou de mutualités sociales agricoles (MSA) pour le compte du département. Les caisses procèdent donc à une avance, que le département leur rembourse en cours d'année.

Dans le schéma de financement issu de la recentralisation, l'État s'est substitué aux départements. Comme le prévoit la loi47(*), les dépenses de RSA du mois de décembre précédant la première année de recentralisation ont été prises en charge par l'État - ce qui explique un versement de 44 millions d'euros au titre de 2021 pour la CAF et la MSA en Seine-Saint-Denis, ainsi qu'un versement de 3,5 millions d'euros au titre de 2022 pour la CAF et la MSA en Ariège.

Enfin, le cas des Pyrénées-Orientales est particulier. Le département s'étant porté volontaire pour 2022 au début de cette même année, la convention de recentralisation signée entre l'État, la sécurité sociale et le conseil départemental a prévu que l'État se substituerait au département à compter du 30 juin 2022, et qu'il rembourserait le département pour les versements à la CAF et à la MSA effectués entre janvier et le 30 juin.

Entre 2022 et 2023, l'État a donc versé 1 548,1 millions d'euros au titre de la recentralisation expérimentale du RSA.

Destinataires des dépenses de l'État
au titre de la recentralisation expérimentale du RSA

(en euros)

 

2021

2022

2023

Total

CAF-09

 

3 236 759,07 €

37 968 988,69 €

41 205 747,76 €

MSA Grand Sud

 

214 779,78 €

2 808 951,73 €

3 023 731,51 €

CAF-66

 

87 064 437,60 €

155 134 080,99 €

242 198 518,59 €

MSA Midi Pyrénées Sud

 

2 121 470,24 €

3 922 184,38 €

6 043 654,62 €

CAF-93

44 000 701,34 €

603 167 624,46 €

547 252 521,56 €

1 194 420 847,36 €

MSA Île-de-France

5 525,04 €

134 131,77 €

109 212,72 €

248 869,53 €

Département des Pyrénées-Orientales

 

60 913 492,16 €

 

60 913 492,16 €

Total

44 006 226,38 €

756 852 695,08 €

747 195 940,07 €

1 548 054 861,53 €

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par la DGCL, la DGCS, la CNAF et la CCMSA

b) La reprise de recettes départementales diminue sensiblement le coût « net » de la recentralisation pour l'État

Ces dépenses nouvelles ne représentent toutefois pas pour l'État un coût aussi élevé qu'il y paraît. En effet, une partie de ces dépenses est prise en charge par les recettes reprises aux départements par l'État, qui se traduisent pour ce dernier, soit par la perception des DMTO en lieu et place des département, soit par de moindres décaissements.

Outre les DMTO, deux ressources reprises par l'État aux départements transitent par le programme 833 du compte de concours financier « Avances aux collectivités territoriales » :

- les fractions de TICPE constituant la compensation aux départements du transfert du RMI puis de la réforme du RSA alloués aux départements expérimentateurs n'ont pas été inscrites sur l'action 02 du programme 833, engendrant une économie pour l'État de 301,9 millions d'euros en 2022 et de 319,5 millions d'euros en 2023 ;

- les frais de gestion de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) rétrocédées aux départements au moyen du dispositif de compensation péréquée (DCP) n'ont pas été versés aux départements concernés, pour un montant de 45,8 millions d'euros en 2022 et 55,4 millions d'euros en 2023.

Les deux ressources restantes ayant fait l'objet d'une reprise par l'État aux départements constituent des prélèvements sur recettes (PSR). Il s'agit :

- des dotations forfaitaire et de compensation au sein de la dotation globale de fonctionnement (DGF) des départements concernés, dont le montant a été diminué de 186,1 millions d'euros en 2022 et de 193,3 millions d'euros en 2023 ;

- des attributions des départements concernés au titre du fonds de mobilisation départemental pour l'insertion (FMDI), correspondant au dernier montant perçu par le département avant la recentralisation, soit 32,1 millions d'euros en 2022 et 34,2 millions d'euros en 2023.

Si l'État connaît - par symétrie avec les départements, qui sont, comme on l'a vu, « gagnants » - une perte théorique, celle-ci est partiellement couverte par les recettes reprises aux départements. La perte financière théorique de l'État au titre de la recentralisation du RSA est donc de 35 millions d'euros en 2022, et de 68 millions d'euros en 2023. Il apparaît donc que l'expérimentation de la recentralisation du RSA n'a, une fois prise en compte la reprise de recettes départementales, qu'un coût net modéré pour l'État - environ dix fois inférieur à son coût « brut » mesuré par le simple constat des dépenses exposées sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

Coût financier théorique de l'État au titre de la recentralisation
expérimentale du RSA en métropole en 2022 et 2023

(en euros)

 

2022

2023

Dépenses

690 195 218 €

746 800 000 €

Ariège

-

40 900 000 €

Pyrénées-Orientales

150 099 447 €

158 500 000 €

Seine-Saint-Denis

540 095 771 €

547 400 000 €

Recettes

655 174 904 €

678 615 921 €

Ariège

-

38 113 828 €

Pyrénées-Orientales

136 934 363 €

136 856 744 €

Seine-Saint-Denis

518 240 541 €

503 645 349 €

Gain (+) ou perte (-) théorique pour l'État

- 35 020 314 €

- 68 184 079 €

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par la DGCL

B. LA RECENTRALISATION, VÉRITABLE ASSURANCE DÉPARTEMENTALE CONTRE « L'EFFET CISEAU »

1. L'évolution des dépenses de RSA, risque systémique pour les finances des départements fragiles, est prise en charge par l'État
a) Les dépenses de RSA sont particulièrement dynamiques dans les départements expérimentateurs

Les départements expérimentateurs sont naturellement plus touchés par la dynamique des dépenses de RSA.

Au niveau national, on observe ainsi depuis 2020 que les dépenses versées au titre du RSA dans les départements recentralisés augmentent plus vite qu'au niveau national. Ainsi les dépenses progressent de 1,8 % entre 2022 et 2023 à l'échelle nationale, contre 2,3 % pour les trois départements expérimentateurs. Le département des Pyrénées-Orientales en particulier connait une hausse plus dynamique de ses dépenses (+ 6,0 %), alors qu'en Seine-Saint-Denis l'augmentation des dépenses est plus modérée qu'au niveau national (+ 1,3 %).

Concernant les Pyrénées-Orientales, les services de l'État ont signalé aux rapporteurs spéciaux une augmentation du nombre de bénéficiaires liée aux « pratiques restrictives du conseil départemental concernant le droit au RSA pour les travailleurs indépendants, auxquelles la recentralisation a mis fin.48(*) » Il apparaît toutefois peu probable que cette hausse du nombre de travailleurs indépendants percevant le RSA explique à elle seule l'évolution très rapide du nombre de bénéficiaires du RSA dans ce département.

L'évolution des dépenses de RSA est, en l'absence de mesures réglementaires ou législatives, déterminée principalement par la conjonction de deux effets. D'abord un « effet volume » : les dépenses de RSA sont d'autant plus importantes que le nombre de personnes éligibles - en particulier les demandeurs d'emploi - est élevé. Ainsi, la situation de l'emploi est l'un des principaux facteurs de cette évolution différenciée entre les trois départements expérimentateurs et le reste de la France.

Évolution du nombre de bénéficiaires du RSA en France
et dans les départements expérimentateurs entre janvier 2018 et avril 2023

(base 100 en janvier 2018)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données de la DREES

Entre 2019 et la fin de l'année 2020 marquée par la crise sanitaire, on observe une augmentation très importante du nombre de bénéficiaires du RSA, au niveau national comme à l'échelle départementale. Après l'augmentation liée à la pandémie, on assiste toutefois à une baisse du nombre de bénéficiaires du RSA.

Cette baisse est plus importante au niveau national, où le nombre de bénéficiaires du RSA constaté en 2023 est passé sous son niveau de 2018, que dans les départements expérimentateurs. On constate notamment que, alors qu'en Seine-Saint-Denis, le nombre de bénéficiaires du RSA constaté en 2023 se rapproche de son niveau d'avant crise, ce n'est pas le cas dans le Pyrénées-Orientales - résultat qui explique la dynamique différente des dépenses de RSA observée dans ces deux départements.

Les dépenses de RSA continuent néanmoins de progresser jusqu'en 2024, malgré la diminution du nombre de bénéficiaires constatée au niveau national et jusqu'en Seine-Saint-Denis. C'est que leur évolution dépend également d'un second effet : « l'effet valeur ». Ainsi, lorsque le montant du RSA augmente, avec un nombre de bénéficiaires inchangé, les dépenses de RSA progressent. Compte-tenu des revalorisations - annuelles et exceptionnelles - décidées par le législateur pour soutenir les bénéficiaires des minima sociaux face à l'inflation, l'effet valeur a ainsi été plus important que l'effet volume, contribuant à faire progresser, bien que plus lentement que pendant la crise, les dépenses de RSA.

b) Le « gel » du reste à charge RSA : une véritable police d'assurance contre la dynamique haussière de la prestation

Comme le président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis l'a souligné devant les rapporteurs spéciaux, la recentralisation n'a pas abouti à supprimer le « reste à charge RSA » des départements expérimentateurs : en effet, les ressources reprises par l'État dans le cadre de la rétro-compensation du transfert du RSA « dépassent très largement les recettes historiquement affectées au financement de l'allocation. » Les départements expérimentateurs continuent donc de supporter un reste à charge important, de 87,3, 119,4 et 153,4 euros par habitant pour l'Ariège, les Pyrénées-Orientales et la Seine-Saint-Denis respectivement, contre 65,8 euros par habitant pour la moyenne des départements.

La recentralisation ne réduit donc pas les inégalités des départements face au RSA, mais « continue, indirectement, à faire peser ce reste à charge RSA sur les finances du département via la perte des recettes associées à la reprise de cette dépense. » L'intérêt de l'expérimentation tient plutôt à un pari sur l'avenir. En acceptant la recentralisation du RSA, les départements expérimentateurs procèdent à un « gel » de leur reste à charge le temps de l'expérimentation, dans la mesure où l'évolution de la dépense de RSA pèse désormais sur l'État.

Les départements expérimentateurs ont des raisons objectives de craindre une hausse des dépenses de RSA : comme on l'a établi supra, celles-ci ont continué à progresser durant les deux premières années de l'expérimentation - et plus rapidement dans les trois départements participant que dans le reste de la France. L'expérimentation a donc jusqu'ici permis aux départements qui y participaient de se prémunir contre la première lame de « l'effet ciseau » tant dénoncé par les départements depuis des années : la hausse des dépenses sociales, engendrée par les fragilités économiques et sociales de notre pays.

Il est probable que l'expérimentation continue de jouer ce rôle jusqu'à son terme : en effet, les projections de la CNAF quant à l'évolution future des dépenses de RSA font apparaître, pour les trois départements concernés, un niveau de dépenses supérieur en 2026 à ce qu'il était en 2022. Il n'est toutefois pas garanti que l'évolution des dépenses de RSA soit uniforme dans les trois départements concernés, ce qui pourrait aboutir à un bénéfice différencié de l'expérimentation.

Prévision d'évolution des dépenses de RSA dans les départements expérimentateurs et dans la France entière entre 2022 et 2026

(en millions d'euros et en pourcentage)

 

France entière

09-66-93

 

Dépenses

Évolution

Dépenses

Évolution

2022

11 770,0

 

729,8

 

2023

11 981,9

+ 1,8 %

746,8

+ 2,3 %

2024

11 957,9

- 0,2 %

751,3

+ 0,6 %

2025

11 754,6

- 1,7 %

740,0

- 1,5 %

2026

11 695,8

- 0,5 %

738,5

- 0,2 %

Source : commission des finances, d'après les données transmises par la DGCS, la CNAF et la CCMSA

La réussite de l'expérimentation, conçue comme une sorte de police d'assurance contre la hausse des dépenses de RSA, dépend donc en grande partie de l'évolution de ces dépenses durant les trois prochaines années.

2. L'État supporte désormais une partie de l'aléa lié aux recettes de DMTO

Les départements alertent depuis longtemps l'État quant à la structure de leurs recettes. Celles-ci sont en effet largement soumises à la conjoncture. Les DMTO en particulier dépendent de la situation du marché immobilier, qui peut être très volatil.

La situation a été aggravée par la réforme de la fiscalité locale : les départements ne percevant plus la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), ils ont perdu l'essentiel de leurs pouvoirs de taux et d'assiette, remplacée par une fraction de TVA qui, outre qu'elle ne permet l'exercice d'un quelconque pouvoir de taux ou d'assiette, est une recette dépendante de la conjoncture. Au moment où se préparait la recentralisation, notre rapporteur général notait ainsi que « la fiscalité liée à la conjoncture économique représenterait ainsi 55 % des dépenses de fonctionnement et 78 % des recettes fiscales des départements en 2021. » Cette sensibilité des recettes à la conjoncture constitue la seconde lame de « l'effet ciseau ».

Or, contrairement à ce qui aurait pu être attendu, les modalités de rétro-compensation du transfert du RSA à l'État ont permis de compléter la logique « assurantielle » à l'oeuvre dans l'idée même de recentralisation, dans la mesure où l'État est désormais également soumis aux aléas conjoncturels qui déterminent le niveau des recettes de DMTO.

Depuis 2017, le produit des DMTO dans les départements expérimentateurs était en constante augmentation. Si l'année 2020 semblait faire figure d'exception du fait de la crise sanitaire, le produit des DMTO s'est globalement maintenu cette année-là (+ 0,3 % en Ariège, + 1,9 % dans les Pyrénées-Orientales, - 1,6 % en Seine-Saint-Denis). L'année 2021 a à cet égard été exceptionnelle, avec une très forte aussi des recettes de DMTO - ce qui, comme il a été mentionné supra, a pu dissuader certains départements de participer à l'expérimentation. Cette tendance ne s'est toutefois pas maintenue en 2022 et en 2023.

Évolution des recettes de DMTO par rapport à l'année précédente
dans les départements expérimentateurs entre 2018 et 2023

(en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les comptes administratifs des départements expérimentateurs

Les deux premières années de l'expérimentation, ont ainsi été enregistrées des baisses très substantielles du produit des DMTO dans l'ensemble des trois départements expérimentateurs : en 2023, il a diminué de - 38,6 % en Ariège, de - 2,2 % dans les Pyrénées-Orientales et de - 27,4 % en Seine-Saint-Denis.

Or, le choix de retenir une part dynamique de DMTO (20 % de leur produit, soit 0,9 point du taux applicable) plutôt qu'un montant fixe a permis de diminuer l'impact de cette baisse sur les finances des départements dans la mesure où elle est partiellement supportée par l'État. Entre 2022 et 2023, les recettes de l'État au titre de la recentralisation du RSA ont ainsi diminué de 2,2 % - à périmètre constant, c'est-à-dire en neutralisant l'entrée de l'Ariège dans le dispositif - du fait de la baisse du produit des DMTO départementaux. Dans le même temps, les dépenses de RSA exposées par l'État ont augmenté à périmètre constant (+ 2,3 %).

Si la reprise avait été réalisée à partir d'un montant fixe, qui plus est déterminé à partir de l'année 2021 - durant laquelle ont été constatées des recettes record de DMTO - les départements aurait subi seuls cette diminution, tandis que les recettes reprises par l'État serait restée stables. Leur perte de recettes aurait ainsi été supérieure, faute d'être répartie entre eux et l'État.

Dépenses exposées et recettes perçues par l'État
au titre de la recentralisation expérimentale du RSA en 2022 et 2023

(en euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par la DGCL

C'est sans doute pour cette raison que les départements expérimentateurs n'ont que très peu émis de critiques quant aux modalités de rétro-compensation du transfert du RSA à l'État. Au contraire, les trois départements semblent avoir un regard plutôt positif sur ce point, le département de l'Ariège ayant même salué un « dispositif [qui] nous semble équilibré objectivement. »

Le succès de l'expérimentation en tant qu'assurance contre l'effet ciseau dépend donc non seulement de l'évolution des dépenses de RSA, mais également des recettes transférées à l'État au titre de sa rétro-compensation. Il conviendra d'observer ces évolutions avec intérêt jusqu'à 2026.

C. LA PÉRÉQUATION DÉPARTEMENTALE : VICTIME COLLATÉRALE DE LA RECENTRALISATION ?

1. Les effets de la recentralisation sur la péréquation verticale ont été globalement neutralisés

Plusieurs instruments de péréquation départementale sont assis sur des recettes reprises par l'État dans le cadre de la rétro-compensation de la recentralisation du RSA. S'agissant de la péréquation verticale, il s'agit du FMDI et du DCP. Dans les deux cas, la recentralisation n'a affecté qu'à la marge les modalités de calcul et de répartition des attributions allouées au titre de ces dispositifs.

a) La répartition du FMDI est effectuée à partir d'une enveloppe réduite

Les départements expérimentateurs ne sont plus éligibles au FMDI49(*), dans la mesure où l'attribution perçue au titre de ce fonds l'année précédant l'entrée dans l'expérimentation constitue l'une des composantes de la rétro-compensation au profit de l'État. Le montant total réparti chaque année est donc diminué à due concurrence des attributions perçues par les départements expérimentateurs au titre de ce fonds à la veille du transfert.

Ainsi, alors que le montant total initial du FMDI s'élevait à 500 millions d'euros avant toute recentralisation, il s'établit désormais à 431,7 millions d'euros en 2023. Ce montant correspond à la différence entre son montant initial et le montant repris par l'État au titre des recentralisations du RSA, qu'elles soient expérimentales ou définitives pour les trois collectivités d'outre-mer concernées.

La répartition du fonds entre les départements ne participant pas à l'expérimentation est ensuite réalisée selon des critères inchangés, simplement sur la base d'un montant à répartir plus faible.

b) Les attributions des départements expérimentateurs au titre du DCP sont retenues par l'État à l'issue de sa répartition

Le dispositif de compensation péréquée (DCP) fonctionne selon des modalités différentes.

Le montant à répartir chaque année est évolutif car il correspond au produit net des frais de gestion de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) perçus par l'Etat l'année précédant la répartition du fonds. Il s'agit donc d'un produit dynamique donc le montant tend à augmenter, avec le produit de la TFPB, porté par les revalorisations annuelles des valeurs locatives cadastrales.

À la différence du FMDI, dont le montant est fixé par la loi, il était difficilement envisageable de diminuer l'enveloppe allouée au DCP avant de procéder à la répartition. Pour cette raison, il a été décidé de procéder différemment : les départements sur le territoire desquels la gestion et le financement du RSA ont été recentralisés sont toujours inclus dans la répartition ; l'attribution leur revenant est simplement suspendue et conservée par l'État au titre de sa rétro-compensation. Pour procéder au calcul correspondant, le reste à charge au titre du RSA retenu est figé sur la dernière valeur déterminée pour chaque département concerné l'année précédant son entrée dans l'expérimentation.

Ainsi, dans la mesure où la reprise de ressources de l'État est réalisée une fois la répartition intégrale du DCP effectuée, en y intégrant les départements sur le territoire desquels la gestion et le financement du RSA ont été recentralisés, l'expérimentation du RSA n'a aucune conséquence sur le fonctionnement du dispositif.

2. La péréquation horizontale est toutefois affectée par la reprise d'une fraction de DMTO par l'État

En ce qui concerne le fonds national de péréquation des DMTO, l'expérimentation de la recentralisation du RSA affecte les DMTO de deux manières :

- d'abord, le produit de DMTO perçu par les départements expérimentateur est minoré de 20 %, pour prendre en compte la part des DMTO repris par l'État au titre de sa rétro-compensation ;

- ensuite, l'assiette des DMTO de ces départements est également réduite de 20 %.

Il en résulte une diminution de la participation des départements expérimentateurs aux deux prélèvements alimentant le fonds : le produit de DMTO perçu par ces départements étant diminué de 20 %, ils seront moins sollicités au titre du premier prélèvement proportionnel de 0,34 % de l'assiette de cette imposition ; en outre, ils connaîtront une diminution de leurs contributions au second prélèvement de 750 millions d'euros, répartis entre les départements en fonction de leur assiette de DMTO.

En parallèle, ces départements bénéficient d'attributions majorées au titre des 1ère et 2ème enveloppes de reversement du fonds, dans la mesure où le niveau de DMTO par habitant constitue un critère de répartition au sein de ces deux enveloppes normées. Si la DGCL a indiqué aux rapporteurs spéciaux que « la répartition de la 3ème enveloppe du fonds n'a (pour l'heure) pas été affectée par la reprise de 20 % du produit des DMTO perçu dans les départements expérimentateurs », l'administration a néanmoins rappelé qu'un tel impact n'était pas à exclure, celui-ci étant possible au vu des dispositions en vigueur.

Il conviendra, à l'issue de l'expérimentation, d'évaluer précisément cet impact. La remise au Parlement d'un rapport sur ce sujet très technique - prévue par l'article 132 de la loi « 3DS » - permettra d'en prendre la mesure.

II. LES CAISSES DE SÉCURITÉ SOCIALE CONCENTRENT DÉSORMAIS TOUTES LES COMPÉTENCES EN MATIÈRE DE GESTION DE LA PRESTATION

A. S'AGISSANT DE LA GESTION DU RSA, UNE RECENTRALISATION AU PROFIT DE LA SPHÈRE SOCIALE

Avec la recentralisation, l'État s'est réattribué les compétences en matière de gestion de la prestation (instruction et attribution de la prestation, lutte contre la fraude, gestion des indus, de sanction des manquements des bénéficiaires, etc.) et de financement du RSA. Dans les départements où ces compétences sont encore décentralisées, seule la compétence de financement est entièrement exercée par les départements : ceux-ci ont, dans leur écrasante majorité, choisi de déléguer par convention les compétences de gestion aux caisses d'allocations familiales (CAF) et, s'agissant de leurs ressortissants, aux caisses de mutualisé sociale agricole (MSA).

En application de l'article 43 de la loi de finances pour 2022, pour chaque territoire retenu dans l'expérimentation, une convention a été signée par le représentant de l'État avec la CAF et la caisse de MSA quant à la gestion de la compétence RSA recentralisé. Ces conventions prévoient, pour chacune des caisses concernées, la délégation à la caisse de l'ensemble des compétences nouvellement dévolues à l'État s'agissant de la gestion de la prestation, en particulier :

l'instruction administrative et la décision d'attribution du revenu de solidarité active ;

- la lutte contre la fraude, la gestion des indus et de leur recouvrement amiable ou forcé, ainsi que des remises amiables.

En pratique, l'État a procédé à la délégation de l'ensemble de ces compétences50(*) aux organismes payeurs. Ainsi, la recentralisation n'a pas entrainé de profonds changements pour les caisses, qui se sont vues déléguer par l'État les compétences qu'elles exerçaient déjà pour le compte des départements. Les seules modifications - marginales - dans cette répartition consiste en la récupération des rares compétences qui ne leur avaient pas été déléguées jusque-là par les conseils départementaux.

La DGCS a ainsi indiqué à titre d'exemple que la Seine-Saint-Denis avait conservé avant la recentralisation les compétences en matière de gestion des indus, le traitement des recours administratifs préalables ainsi que des demandes dérogatoires d'accès au RSA pour les étudiants - compétences qui ont ainsi été consolidées entre les mains des caisses de sécurité sociale.

B. UNE DÉLÉGATION AUX CAISSES FAVORISANT LA STABILITÉ ET L'UNIFORMITÉ DE LA GESTION DE LA PRESTATION

1. L'instruction des demandes et l'attribution de l'allocation : une étape laissée presque inchangée par la recentralisation
a) La phase d'instruction n'a pas été modifiée par la recentralisation

La compétence d'instruction des demandes et d'attribution de l'allocation a été transférée à l'État et déléguée par lui aux caisses de sécurité sociales. Dans la majorité des départements recentralisés métropolitain (Ariège et Pyrénées-Orientales), aucune subdélégation de la compétence d'instruction n'a été nécessaire, du fait du nombre de dossiers à instruire faible ainsi que de l'efficacité de la téléprocédure, utilisée pour deux tiers des demandes sur le site « Caf.fr ».

En revanche, en Seine-Saint-Denis, il est permis aux centres communaux d'action sociale (CCAS) et à certaines associations de poursuivre l'instruction administrative des demandes de RSA à la place des CAF et des caisses de MSA. La recentralisation n'a ainsi pas modifié les modalités d'instruction administrative des demandes de RSA qui existaient avant l'entrée du département dans l'expérimentation51(*).

Les délais d'instruction, ou plus exactement les délais de démarche, qui correspondent au délai, mesuré en jours calendaires, entre la date de réception de la demande et sa complète instruction par chaque caisse (que la demande donne lieu ou pas à la valorisation d'une aide) diffèrent largement selon les départements : d'environ deux semaines en Ariège et dans les Pyrénées-Orientales, ils atteignent presque 25 jours en Seine-Saint-Denis en 2023.

Évolution des « délais de démarche » des demandes de RSA
dans les départements expérimentateurs

(en jours calendaires et en pourcentage)

CAF

2018

2019

2020

2021

2022

2023

Évolution depuis 2021

Évolution depuis 2018

CAF-09

11,9

12,5

10,4

15,7

26,5

13,3

- 15,3 %

+ 11,8 %

CAF-66

16,4

21,3

12

19,4

14,8

14

- 27,8 %

- 14,6 %

CAF-93

23,5

32,4

37,4

31,1

32,1

24,9

- 19,9 %

+ 6,0 %

Note : périmètre restreint au régime général - données MSA incomplètes.

Source : DGCS, d'après les données transmises par les CAF et les MSA

L'évolution de ces délais ne se laisse pas aisément interpréter. S'ils diminuent dans les trois départements depuis le début de l'expérimentation, ils suivent plutôt une tendance à la hausse par rapport à 2018 - seule la CAF des Pyrénées-Orientales connaissant une baisse de ses délais d'instruction par rapport à 2018 (- 14,6 %), que le département rapproche de l'automatisation des processus mise en oeuvre depuis 2022.

Il n'est donc pas possible d'affirmer que l'expérimentation a permis d'améliorer les délais d'instruction des demandes de RSA, d'autant que selon la DGCS, « aucune des CAF des départements expérimentateurs n'a engagé d'action propre permettant de réduire les délais d'instruction », une telle action n'étant pas au coeur de la recentralisation expérimentée dans ces départements.

Il convient d'éviter que les délais d'instruction n'augmentent excessivement, dans la mesure où cette étape conditionne le passage aux phases ultérieures de l'accompagnement des bénéficiaires du RSA, notamment leur orientation par les services du département : comme l'ont rappelé les présidentes des conseils départementaux de l'Ariège et des Pyrénées-Orientales devant les rapporteurs spéciaux, l'inscription des allocataires dans une dynamique d'insertion dépend directement de la transmission par la CAF ou la MSA des informations concernant les nouveaux entrants.

b) L'attribution dérogatoire du RSA : une application plus stricte et plus homogène de la législation

L'exemple des dérogations d'accès au RSA pour les étudiants illustre les conséquences de la consolidation des compétences en matière de gestion du RSA, entre les mains des caisses de sécurité sociale.

Les dérogations d'accès aux RSA pour les étudiants

L'article L. 262-8 du code de l'action sociale et des familles (CASF) autorise le président du conseil départemental, autorité en charge de décider de l'attribution du RSA en l'absence de délégation de cette compétence aux organismes de sécurité sociale (article L. 262-13 CASF), à déroger à certaines des conditions requises pour en bénéficier.

Cette dérogation ne peut bénéficier qu'aux élèves, aux étudiants ou aux stagiaires, qui sont en principe exclus du bénéfice du RSA (article L. 262-4 CASF), à la condition qu'ils aient plus de 25 ans et qu'ils aient à leur charge un ou plusieurs enfants nés ou à naître et que « la situation exceptionnelle du demandeur au regard de son insertion sociale et professionnelle » le justifie.

Avant 2022, les départements exerçaient directement la compétence d'octroi de ces dérogations. Avec la recentralisation, elle a été réattribuée à l'État, qui l'a déléguée aux caisses de sécurité sociales, avec comme seule indication que « les décisions de dérogation prises (...) avant la mise en oeuvre de l'expérimentation par le conseil départemental participant à l'expérimentation sont maintenues par les organismes [payeurs], jusqu'au changement de la situation de l'allocataire ou de son foyer. »

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de la DGCS au questionnaire des rapporteurs spéciaux

Selon la DGCS, deux des trois CAF recentralisées métropolitaines ont progressivement opéré un retour à l'application stricte du droit commun. Seule la CAF des Pyrénées-Orientales a choisi de maintenir les dérogations appliquées par le conseil départemental avant la recentralisation. Ces dérogations représentaient un coût de 255 000 euros en 2021 au titre de 78 dossiers. Il n'y a pas eu de suivi pour les années 2022 et 2023. Concernant la MSA, seule la caisse Grand-Sud a maintenu des dérogations, en accord avec la présidente du conseil départemental de l'Ariège, pour un coût de 16 652 euros ; pour les deux autres caisses, aucune dérogation n'avait été mise en oeuvre.

La consolidation de cette compétence au profit de la sphère sociale se traduit ainsi par une application plus stricte et plus homogène de la législation.

2. Une politique de sanction de la fraude uniformisée

Lorsque des indus sont détectés, il est en principe pourvu à leur recouvrement. Entendue par les rapporteurs spéciaux, la DGCS a indiqué que « le recouvrement des indus de RSA dans les CAF des départements expérimentateurs est géré dans les mêmes conditions que celui des indus des autres prestations. » Ainsi, si des droits à autre prestation - par exemple au titre du RSA sur le mois suivant - restent ouverts, le recouvrement s'effectue par retenue sur ces prestations afin de régulariser la situation. En l'absence de prestations à échoir, la CAF engage des voies d'exécution forcée comme pour toutes les autres prestations.

Il est également possible pour les caisses, sur la base d'un barème établi par leur conseil d'administration, de procéder à des remises d'indus, ou, lorsque certaines créances ne peuvent être recouvrées, de procéder à des annulations de créances. Cette pratique demeure marginale au regard des montants du RSA versé : les annulations de créances et remises d'indus ont représenté 3,2 millions d'euros pour les trois départements expérimentateurs en 2023, soit 0,4 % des montants versés au titre du RSA pour cette année dans ces départements.

Certains indus peuvent également être qualifiés en fraude. En 2023, la fraude au RSA représentait 19,5 millions d'euros dans les trois départements expérimentateurs, ce qui représente 2,6 % des montants versés au titre du RSA.

Nombre de créances frauduleuses et montant de la fraude au RSA
dans les départements expérimentateurs entre 2019 et 2023

(en unité, en euros et en pourcentage)

 

 

2019

2020

2021

2022

2023

CD-93

Créances frauduleuses

2 776

3 028

4 156

3 646

3 309

Montant fraude RSA

6 694 998

11 040 211

16 779 830

15 178 558

15 222 948

CD-66

Créances frauduleuses

617

659

1 143

711

883

Montant fraude RSA

1 921 591

2 207 168

4 247 916

2 495 199

3 468 682

CD-09

Créances frauduleuses

73

69

70

162

243

Montant fraude RSA

214 618

215 472

285 049

606 119

810 856

Note : périmètre restreint au régime général - données MSA indisponibles.

Source : DGCS d'après les données transmises par la CNAF

La DGCS indique que l'expérimentation a permis l'évolution de politique de sanctions de la fraude dans les départements expérimentateurs, grâce au transfert aux CAF de cette compétence qu'elles ne détenaient souvent que partiellement avant la recentralisation.

La recentralisation aurait ainsi rendu possible une uniformisation de la politique de sanction ainsi qu'une homogénéisation du traitement des dossiers à l'échelle des départements expérimentateurs via l'application du barème national des sanctions de la fraude de la CNAF, défini dans une « lettre au réseau » du 13 janvier 2016.

Barème national des sanctions de la fraude de la CNAF

Note : le préjudice est mesuré en fonction du plafond mensuel de la sécurité sociale (PMSS).

Source : CNAF

Cela s'est traduit de manière différenciée selon les CAF. Dans les Pyrénées-Orientales, on constate par exemple un délai de notification de sanctions raccourci.

L'évolution la plus conséquente à eu lieu en Seine-Saint-Denis où une forte hausse du montant moyen des pénalités pour fraude a été constatée. Selon la DGCS, elle s'explique notamment par l'intégration des indus frauduleux liés au RSA au montant des pénalités pour fraude. Ainsi en 2022 et 2023, le montant moyen des pénalités pour fraude était respectivement de 1 036,55 euros et 1 141 euros alors qu'en 2021 le montant moyen de ces pénalités s'établissait à 543 euros, soit une augmentation de 90 % en un an.

Il semble donc que la concentration des compétences en matière de fraude au RSA entre les mains des caisses a renforcé leur capacité à contrôler et sanctionner cette fraude. Si les rapporteurs spéciaux saluent cette évolution à l'heure où les comptes de la CAF ne sont pas certifiés par la Cour des comptes, ils appellent également la CAF à veiller à ce que son action en faveur du paiement à bon droit des prestations ne se mue pas en « maltraitance administrative «, comme une enquête du journal Le Monde52(*) a pu le laisser craindre.

3. Vers une délégation pérenne et uniforme des compétences de gestion du RSA aux organismes payeurs ?

Toujours selon la DGCS, la consolidation des compétences de gestion autour des caisses de protection sociale constitue « l'un des intérêts de la recentralisation, dans un contexte global d'hétérogénéité et de morcellement des compétences dévolues aux caisses d'un département à un autre ». La recentralisation de la gestion du RSA autour des caisses de sécurité sociale permettrait ainsi de « simplifier le pilotage de l'allocation et de constituer une opportunité pour consolider certaines compétences. »

Ce souci de simplification rejoint les préoccupations de la Cour des comptes, qui pointaient « les défis du pilotage du RSA »53(*). La Cour indiquait ainsi que la diversité des organismes prenant part à la gestion de tel ou tel aspect du RSA supposerait « des systèmes de coordination et surtout d'échange d'informations », avant de relever que « les outils actuels trouvent très vite leurs limites » et de souligner les nombreuses difficultés de coordination qui existaient entre les départements et les caisses de sécurité sociale.

La DGCS met ainsi en avant les avancées permises par la recentralisation : en Ariège, un groupe d'agents a été spécialisé sur l'évaluation des revenus des travailleurs indépendants suite au renforcement de la compétence de la CAF sur ce public. De même, en matière de recouvrement et de qualification de fraude, la procédure est uniformisée et simplifiée pour le traitement des dossiers des bénéficiaires du RSA et les circuits avec le CD ont été abandonnés, ce qui « fluidifie l'activité. »

Concernant la MSA, la concentration des compétences d'instruction et le traitement des dossiers pour la population relevant du régime agricole constitue selon l'administration « un gage d'efficience et de meilleure compréhension pour les adhérents. » Si ces avantages devaient se confirmer à l'issue de l'expérimentation, il pourrait être opportun d'organiser la délégation uniforme, dans chaque département, des compétences en matière de gestion du RSA aux caisses de sécurité sociale.

III. L'AMBITION DE MENER UNE « POLITIQUE D'INSERTION RADICALEMENT NOUVELLE » DOIT ENCORE SE CONCRÉTISER

A. UNE ATTENTION ACCRUE PORTÉE À L'ORIENTATION DES BÉNÉFICIAIRES DANS LE CADRE DE L'EXPÉRIMENTATION

Une fois leurs droits au RSA ouvert, les bénéficiaires du RSA ont également le droit à un accompagnement dont la vocation est de leur permettre de retrouver un emploi. Ils doivent donc être orientés, par les services du département dans lequel ils résident, vers un organisme d'insertion pour débuter leur accompagnement.

Selon la Cour des comptes, « l'objectif de cette orientation est triple : permettre d'engager l'accompagnement le plus rapidement possible pour l'ensemble des personnes concernées ; proposer la modalité d'accompagnement la plus adaptée à la situation de la personne ; viser prioritairement le retour à l'emploi, comme le précise clairement le code de l'action sociale et des familles.54(*) » Toujours selon la Cour, les trois principaux critères pour apprécier la performance de la phase d'orientation sont donc :

- le pourcentage de personnes effectivement orientées parmi celles qui doivent l'être ;

- le délai d'orientation à partir de l'ouverture de droits au RSA ;

- la qualité de l'orientation proposée, dont dépend la réalité puis la réussite de l'accompagnement.

1. Un renouvellement des procédures et une hausse des moyens pour une meilleure orientation
a) Une action résolue pour améliorer l'orientation des bénéficiaires

Les départements expérimentateurs ont tous profité de la recentralisation du RSA pour revoir leurs procédures d'orientation, afin d'en améliorer l'efficacité. Les départements de Seine-Saint-Denis et des Pyrénées-Orientales ont même pris des engagements en ce sens dans les conventions signées avec l'État au début de l'expérimentation.

Le département de la Seine-Saint-Denis s'est ainsi engagé « à poursuivre ses efforts pour améliorer l'orientation des nouveaux bénéficiaires. Il mettra en oeuvre dès 2022 de nouvelles règles, plus pertinentes, pour la proposition d'orientation, en cohérence avec l'évolution proposée dans la structuration des parcours socio-professionnels55(*) », en particulier s'agissant des publics jeunes et primo-entrants dans le dispositif. De même, le département des Pyrénées-Orientales s'est engagé, « dès la phase d'orientation, à accélérer l'entrée dans un parcours d'accompagnement via un outil numérique dédié56(*) ».

Dans ces deux départements, ces engagements se sont manifestés par une remise à plat des dispositifs d'orientation. Alors qu'en Seine-Saint-Denis l'ancien système apparaissait peu performant du point de vue des services de l'État57(*), un nouveau schéma a été mis en place, impliquant une recomposition du rôle des acteurs locaux. Le président du conseil départemental a ainsi indiqué aux rapporteurs spéciaux avoir fait le choix de privilégier une orientation automatisée grâce à un algorithme, seul les 15 % des cas les plus complexes donnant lieu à un entretien individuel.

Schéma de la procédure d'orientation majoritaire en Seine-Saint-Denis

Note : Agences locales d'insertion (ALI), France Travail (FT), Direction de l'insertion, de l'emploi et de l'économie sociale et solidaire (DIEESS).

Source : réponse du département de Seine-Saint-Denis au questionnaire des rapporteurs spéciaux

Ce choix « reflète la volonté du département de démarrer les parcours le plus rapidement possible » : au vu des volumes d'entrants chaque mois, le fait d'avoir une préconisation d'orientation intervenant très rapidement après l'ouverture des droits permet d'entamer l'accompagnement au plus vite. La Cour des comptes avait en effet relevé58(*) que les départements ayant opté pour une solution d'orientation algorithmique tendaient à avoir des délais d'orientation plus courts et donc des entrées dans l'accompagnement plus rapides que les autres départements. Le cas du département de Seine-Saint-Denis le confirme (cf. infra).

En Seine-Saint-Denis, l'expérimentation a également permis un investissement renouvelé dans la relation usager : depuis début 2024, le département double ses courriers d'orientation de SMS, et le dispositif « RDV insertion », déployé par bêta.gouv pour la prise de rendez-vous dans les services d'accompagnement, est expérimenté dans plusieurs territoires. Si le recul manque pour évaluer l'impact de ce nouveau canal de communication, il est certain qu'il constitue un progrès.

Le département des Pyrénées-Orientales poursuit, depuis la recentralisation du RSA les engagements pris dans sa convention d'appui à la lutte contre la pauvreté et d'accès à l'emploi (CALPAE), signée en 2018 avec l'État dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, en vue de mettre sur pieds une plateforme d'orientation téléphonique, avec pour objectif de réduire les délais d'orientation et d'accélérer le début de l'accompagnement. Cette plateforme, qui doit être contactée par l'allocataire dans les 15 jours suivants l'ouverture de ses droits, est opérationnelle depuis le 2 octobre 2023.

Si le département de l'Ariège n'a pris aucun engagement spécifique à l'orientation dans sa convention avec l'État, il poursuit toutefois son engagement en faveur de l'orientation des bénéficiaires du RSA pris dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté. Afin de réduire les délais d'orientation, le rythme de réunion des « plateformes d'orientation » pour orienter les nouveaux allocataires du RSA a été accéléré depuis 2019 dans le cadre de la CALPAE signée entre l'État et le département.

L'Ariège a également expérimenté de nouvelles modalités d'orientation, telles les « entretiens giratoires » dans le secteur de Foix : lorsque les données sur la situation du bénéficiaire sont insuffisantes, des organismes sont mandatés pour les recevoir afin de mieux évaluer leurs besoins.

b) Des résultats encourageants en matière de taux et de délais d'orientation

Les résultats de l'expérimentation en matière d'orientation semblent encourageants. En Seine-Saint-Denis, l'administration déconcentrée de l'État salue ainsi la qualité des procédures mises en place ainsi que la construction très partenariale du dispositif, et porte un regard optimiste sur les résultats qui en découleront.

Les données relatives aux taux d'orientation59(*) et aux délais d'orientation60(*) semblent en effet permettre un certain optimisme quant à la poursuite de l'expérimentation.

Évolution des taux et délais moyens d'orientation
dans les départements expérimentateurs entre 2018 et 2023

(en jours calendaires et en pourcentage)

   

2018

2019

2020

2021

2022

2023

Évolution depuis 2021*

Seine-Saint-Denis

Taux d'orientation

81 %

85 %

90 %

92 %

93 %

93 %

+ 0,8 %

Délai d'orientation

24

22

45

20

23

19

- 5,0 %

Pyrénées-Orientales

Taux d'orientation

76 %

75 %

83 %

85 %

83 %

81 %

- 4,7 %

Délai d'orientation

102

118

107

65

55

67

+ 3,1 %

Ariège

Taux d'orientation

83 %

97 %

90 %

90 %

86 %

96 %

+ 6,7 %

Délai d'orientation

60

68

54

57

68

-

+ 19,3 %

Moyenne nationale

Taux d'orientation

82 %

82 %

82 %

84 %

84 %

-

+ 0,7 %

Délai d'orientation

108

103

103

93

88

-

- 5,2 %

* L'évolution du délai d'orientation en Ariège est mesurée en 2022 par rapport à 2021. Il en va de même de l'évolution des taux et délais d'orientation moyens nationaux, fautes de données de l'enquête OARSA pour 2023.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par les départements expérimentateurs et l'enquête OARSA

Le taux d'orientation est sans doute le critère le plus important, puisque sans orientation un allocataire ne peut bénéficier de l'accompagnement auquel la loi lui donne droit. En 2022, la Cour des comptes s'était alarmée du pourcentage non négligeable d'allocataires durablement sans orientation61(*). Le délai moyen d'orientation permet quant à lui d'appréhender la rapidité de l'entrée dans l'accompagnement.

En Seine-Saint-Denis, le taux d'orientation a légèrement augmenté depuis la mise en oeuvre de l'expérimentation (+ 0,8 %), mais il était déjà élevé (92 %). Surtout, les délais d'orientation déjà très courts permis par l'orientation algorithmique ont été encore écourtés depuis 2021 (- 5 %), les rendant quasiment frictionnels.

Si les indicateurs incitent à plus de prudence s'agissant des Pyrénée-Orientales, ils ne suscitent aucune inquiétude particulière, la diminution du taux d'orientation (- 4,7 %) et l'augmentation des délais d'orientation (+ 3,1 %) étant vraisemblablement dues à la hausse continue du nombre des bénéficiaires du RSA dans le département depuis la mise en oeuvre de l'expérimentation (+ 6,9 %), qui est la plus importante parmi les départements expérimentateurs.

En outre, ces chiffres ne tiennent pas compte de la mise en place de la plateforme d'orientation téléphonique, qui n'a été opérationnelle que durant les trois derniers mois de l'année 2023. Or le département comme la DGCS sont optimistes à ce sujet : le premier a indiqué que cette plateforme avait « permis d'optimiser le taux d'orientation des nouveaux entrants dans un premier temps et va contribuer à terme à orienter le « stock » d'allocataires non orientés (de l'ordre de 20%) » tandis que la seconde a fait savoir qu'en moyenne sur les trois derniers mois de l'année 2023, 90 % des bénéficiaires du RSA étaient orientés par le biais de la plateforme téléphonique, avec des délais très satisfaisants : le délai moyen d'orientation par téléphone est de 16 jours et 18 jours s'écoulent en moyenne entre l'orientation et le premier rendez-vous d'accompagnement.

Enfin, selon le conseil départemental de l'Ariège, la part des nouveaux bénéficiaires du RSA orientés dans un délai de moins d'un mois est passé de 0 % en 2018 à 55 % en 2022, dans le cadre de la montée en charge des plateformes d'orientation. Le taux d'orientation a lui connu une augmentation dont on peut se réjouir (+ 6,7 %).

Ainsi, même dans les cas où des évolutions défavorables des taux et des délais moyens d'orientation peuvent être observées entre 2021 et 2023, ces constats doivent être nuancés : de telles évolutions peuvent résulter des flux de nouveaux bénéficiaires - particulièrement importants dans les départements expérimentateurs - et les effets les plus positifs de l'expérimentation sont encore à venir.

Sur une période un peu plus longue (2018-2023), les taux et les délais d'orientation s'améliorent continuellement.

2. Une amélioration de la pertinence de l'orientation par la réorientation ?

La pertinence de l'orientation est difficile à évaluer à l'aide d'indicateurs quantitatifs. Il est toutefois possible de donner à voir les cas dans lesquels l'orientation est rectifiée afin de mieux l'adapter à la situation et aux besoins de l'allocataire. Or il semble que, au moins dans le cas d'un département, l'expérimentation ait donné lieu à des pratiques d'orientation assouplies et moins cloisonnées.

Si le nombre de décisions de réorientation est stable en Ariège (865 en 2023 contre 820 en 2022) et si le taux de réorientation est globalement stable dans les Pyrénées-Orientales (2,6 % en 2023 contre 3,4 % en 2022), on constate une très forte montée en puissance des décisions de réorientation dans le département de Seine-Saint-Denis : alors qu'elles ne représentaient que 3,4 % des décisions d'orientation en 2021, les décisions de réorientation en représentent désormais 18,9 %, soit une hausse spectaculaire de + 455,9 % !

Évolution de la part des réorientations parmi les décisions d'orientation
dans les départements expérimentateurs entre 2018 et 2023

(en pourcentage)

 

2018

2019

2020

2021

2022

2023

Seine-Saint-Denis

2,9 %

2,5 %

1,6 %

3,4 %

13,5 %

18,9 %

Pyrénées-Orientales

2,6 %

3,4 %

2,2 %

3,3 %

3,4 %

2,6 %

Ariège

 

 

 

 

 

9,2 %

Note : les données pour l'Ariège sont manquantes.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par les départements expérimentateurs

Le président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis a ainsi indiqué que l'expérimentation a permis de revoir les différents parcours d'accompagnement à la faveur de la création d'une nouvelle instance de coordination des parcours dénommées « instance de concertation locale d'insertion », dont l'objectif est de résoudre collectivement les situations complexes et de proposer des orientations plus fluides et adaptées aux besoins des personnes.

S'il est encore trop tôt pour déterminer l'effet de cette nouvelle organisation sur les parcours des allocataires du RSA, il est certain qu'elle a permis de concevoir des parcours dans lesquels les réorientations sont plus fréquentes - ce qui constitue un exemple dont d'autres départements, expérimentateurs ou non, pourraient s'inspirer.

B. LE RENOUVEAU DE L'INSERTION : DES DYNAMIQUES LOCALES ENCOURAGEANTES APPELÉES À SE POURSUIVRE

1. Améliorer les politiques d'insertion existantes
a) Des moyens en hausse pour intensifier l'accompagnement des bénéficiaires du RSA

Il s'agit de la promesse majeure de l'expérimentation : alors que « les dépenses d'insertion engagées par les départements ont continument diminué »62(*) depuis la création du RSA du fait de la croissance des dépenses d'allocation, la recentralisation devait permettre aux départements expérimentateurs d'investir avec volontarisme dans les politiques d'insertion des bénéficiaires du RSA.

Dans les trois départements concernés, des engagements ambitieux en matière de hausse des dépenses d'insertion ont été pris.

En Seine-Saint-Denis il s'agit, en deux ans, de doubler les crédits départementaux d'insertion, qui étaient de 23 millions d'euros en 2021 : une hausse de 10 millions d'euros est prévue en 2022, puis de 13 millions en 2023, pour atteindre 46 millions d'euros. Selon le président du conseil départemental, cet objectif est d'ores et déjà atteint, le budget primitif pour 2024 ayant été voté avec les 46 millions d'euros promis.

Le département des Pyrénées-Orientales a quant à lui pris l'engagement d'augmenter ses dépenses d'insertion, qui s'élevaient à environ 8 millions d'euros en 2021, de 5 millions d'euros en 2022 et de les maintenir à ce niveau durant toute l'expérimentation, pour un investissement cumulé de 24,7 millions d'euros sur la période 2022-2026.

Cette augmentation doit notamment permettre un effort quantitatif conséquent s'agissant du nombre de référents accompagnant les bénéficiaires du RSA.

Ainsi, en Seine-Saint-Denis le département s'est engagé, avec les moyens nouveaux dégagés grâce à la recentralisation, à doubler les effectifs de référents dans les parcours social et socio-professionnel afin d'intensifier l'accompagnement. Alors qu'en 2022 le département finançait environ 170 référents, travailleurs sociaux et conseillers en insertion professionnelle, la courbe d'augmentation des effectifs fixée dans la convention prévoit qu'ils soient 203 à fin 2023, 287 à fin 2025, pour atteindre 340 au terme de l'expérimentation. L'objectif fixé consiste dans l'atteinte d'une file active moyenne de 100 bénéficiaires par référent.

Dans les Pyrénées-Orientales, le département s'est engagé à tripler les effectifs dédiés à l'orientation et à l'accompagnement des bénéficiaires du RSA : de 24 ETP en 2022, les effectifs, doivent s'établir à 71 ETP dès 2023 et se maintenir à ce niveau jusqu'en 2026. Dès 2023, le département a ainsi recruté de nombreux travailleurs sociaux (29 ETP), conseillers d'insertion (10 ETP), encadrants et personnels administratifs (4 ETP chacun).

À ce stade, et bien qu'il soit encore tôt pour se prononcer, les services déconcentrés de l'État ont indiqué qu'en Seine-Saint-Denis « les objectifs tenant au respect de la courbe d'augmentation du nombre de référents et au nombre de places sont respectés ». Il en va de même des recrutements dans les Pyrénées-Orientales, dont les objectifs étaient « pratiquement atteints six mois avant la date cible du 31 décembre 2023 » selon le rapport de suivi du département.

Les premières remontées de ces départements semblent d'ailleurs démontrer que cette hausse des moyens permet de renforcer l'intensité de l'accompagnement : en Seine-Saint-Denis, l'intensité des contacts entre les bénéficiaires du RSA et leur référent aurait plus que doublé dans les parcours d'accompagnement socio-professionnel, passant de 3 rendez-vous en moyenne par an avant l'expérimentation à 3,3 rendez-vous en 6 mois d'activité.

De même, dans les Pyrénées-Orientales, cette hausse des moyens a permis une modernisation de son système d'information avec le développement d'un « progiciel » dénommé « Parcours solidarité », qui a permis d'améliorer le suivi des parcours des personnes accompagnées. Selon le département, ce progiciel a rendu possible une diversification et une dématérialisation des modes de contact avec les allocataires : « grâce à l'utilisation de SMS et de mails pour les convocations, le nouveau progiciel permet de fluidifier les accompagnements, de gagner du temps dans les mises en relations (pas de délais postaux) et ainsi d'être plus réactifs. »

En Ariège, où le conseil départemental avait déjà une politique d'insertion active, la recentralisation doit permettre d'en augmenter l'intensité. La convention signée entre l'État et ce département prévoit ainsi une hausse des dépenses d'intervention en faveur de l'insertion de 850 000 euros entre 2022 et 2023, puis de 100 000 euros à fin 2024 et 200 000 euros à fin 2025 jusqu'au terme de l'expérimentation, pour les porter de 2,74 millions d'euros à 3,88 millions d'euros. Quant aux dépenses de personnel, elles augmenteraient de 200 000 euros entre 2022 et 2023 pour se maintenir à 1,04 million d'euros jusqu'au terme de l'expérimentation.

Ces nouveaux moyens sont orientés vers l'augmentation de la capacité d'accompagnement en santé, mobilité et Parcours emploi personnalisé et sécurisé (PEP's).

b) Le partenariat avec le service public de l'emploi (SPE) a été renforcé pour promouvoir un « accompagnement global »

Partant du constat, notamment exposé par le département de Seine-Saint-Denis, que « les politiques territoriales d'emploi et d'insertion souffrent de l'insuffisance de la coordination entre les acteurs », les départements expérimentateurs ont entrepris de renouveler leur partenariat territorial avec les autres institutions oeuvrant en faveur de l'insertion des bénéficiaires du RSA, notamment le service public de l'emploi (SPE) et son opérateur « phare », Pôle-emploi, devenu depuis fin 2023 France Travail.

En Seine-Saint-Denis, la rénovation de l'accompagnement portée par le département (cf. infra) s'est ainsi faite en concertation étroite avec Pôle emploi. Dans le même temps, et dès la signature de l'accord de recentralisation, Pôle emploi s'est mobilisé en tant que référent de parcours pour 45 % des allocataires du RSA, mais également en tant qu'opérateur pivot de l'accès à l'emploi (offre de formation, réseau employeur etc.). Une gouvernance nouvelle et étroite s'est mise en place (comités de pilotage et comités opérationnels mensuels), qui a d'ores et déjà permis - entre autres réalisations :

- un partage inédit de bases de données et d'indicateurs ;

- un effort pour favoriser l'accès des allocataires du RSA aux modalités d'accompagnement les plus intensives de Pôle emploi ;

- le développement d'une culture commune, à travers la création d'une formation croisée pour les conseillers Pôle emploi, les travailleurs sociaux du département et les salariés des Agences locales d'insertion (ALI - cf. infra).

Surtout, ce partenariat a permis de favoriser la montée en charge d'un accompagnement dit « global », c'est-à-dire réalisé conjointement par un référent de Pôle emploi et un référent social du département pour un même allocataire.

Selon la DGCS, l'opérateur est satisfait de cette nouvelle organisation. L'administration précise que « le dispositif d'accompagnement global porté conjointement par Pôle emploi/FT et le Service social, qui donne d'excellents résultats (50 % de sorties positives), est lui aussi en croissance avec, (...) à ce jour, près de 1 200 personnes passées par ou en cours d'accompagnement global. »

Dans les Pyrénées-Orientales, des conventions bilatérales entre le département et les composantes du SPE existaient avant la recentralisation pour gérer l'accompagnement de publics spécifiques (jeunes, publics ayant une reconnaissance de handicap, etc.). Dans le cadre de la recentralisation du RSA, ce partenariat a été mobilisé pour promouvoir l'accompagnement global, réalisé conjointement par le département et les équipes de France Travail : la convention prévoit notamment le passage de 700 à 2 100 personnes par an bénéficiant de cet accompagnement au terme de l'expérimentation).

En Ariège, le conseil départemental a également déployé l'accompagnement global des bénéficiaires du RSA en partenariat avec Pôle emploi, avec une augmentation continue du nombre de parcours depuis 2018. À ce jour, environ 35 % des BRSA sont déjà suivis par France Travail, qui est leur référent unique. Le département travaille également avec la chambre des métiers et de l'artisanat (CMA) sur l'accompagnement des bénéficiaires du RSA ayant le statut de travailleurs indépendants.

2. Si les politiques d'insertion varient selon les territoires, les dynamiques locales sont incontestables

« En effet, ce n'est pas en nous contentant de doubler le budget (...) d'une politique qui a démontré ses limites que nous réussirons le défi de l'insertion dans notre territoire. La respiration budgétaire de la recentralisation doit donc s'accompagner d'un changement de philosophie et de méthode d'accompagnement en profondeur, porté par l'ensemble des acteurs du territoire », déclarait fin 2022 le président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis pour la Fondation Jean Jaurès.

Les stratégies mises en oeuvre en ce sens dans les différents départements expérimentateurs varient selon les choix politiques et les caractéristiques des territoires, comme l'illustre le graphique ci-dessous.

Répartition de l'orientation des bénéficiaires du RSA
dans les départements expérimentateurs en 2023

(en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par les départements expérimentateurs

Ainsi, si le renouveau de la politique d'insertion en Seine-Saint-Denis est marqué par l'émergence d'un nouveau type de structures - les Agences locales d'insertion (ALI) - le département des Pyrénées-Orientales a fait le choix d'une réorganisation davantage fondée sur l'existant. Enfin, l'Ariège se caractérisant déjà par une grande diversité des structures concernées, le département y a opté plus qu'ailleurs pour la conduite d'actions expérimentales.

a) En Seine-Saint-Denis, la mise en place d'une politique locale d'insertion intégrée grâce aux Agences locales d'insertion (ALI)

Avant la mise en oeuvre de l'expérimentation de la recentralisation du RSA, l'accompagnement des allocataires en Seine-Saint-Denis reposait déjà assez largement sur des structures locales uniques, les « projets insertion emploi » ou PIE. Selon le cahier territorial consacré par la Cour des comptes à la Seine-Saint-Denis, la moitié des Séquano-Dionysiens allocataires du RSA étaient orientés vers un PIE (50,2 %)63(*).

Ainsi, l'offre d'accompagnement dans le département de Seine-Saint-Denis était organisée selon trois pôles : le service social départemental, le service public de l'emploi (dont Pôle emploi) et les PIE.

L'organisation de l'accompagnement en Seine-Saint-Denis
avant la recentralisation

Trois types d'organismes présents sur le territoire du département proposaient aux allocataires qui y étaient orientés un type d'accompagnement spécifique :

- le service social départemental, ou des structures auxquelles il confiait cette responsabilité64(*), proposait un accompagnement social : il s'agit d'un accompagnement visant à lever les freins sociaux à l'emploi (problèmes de santé, barrière linguistique, mobilité, estime de soi, etc.) ;

- le service public de l'emploi, en particulier Pôle emploi, proposait un accompagnement professionnel, souvent aux bénéficiaires les moins éloignés de l'emploi ;

- les PIE proposaient quant à eux un accompagnement dit « socio-professionnel », destiné aux bénéficiaires proches de l'emploi mais présentant néanmoins des freins à l'activité (transport, logement, garde d'enfants, etc.).

Cet accompagnement socio-professionnel est à distinguer de l'accompagnement « global » mentionné précédemment, qui se caractérise par un accompagnement conjoint par un référent de Pôle emploi et par un référent du département, bien que les deux dénominations recouvrent des actions relevant de l'accès à l'emploi et de l'appui social.

Source : Cour des comptes, Le revenu de solidarité active, janvier 2022

L'évolution réalisée dans le cadre de la recentralisation du RSA a consisté pour le département à faire émerger de « nouvelles agences locales de l'insertion » (ALI) en remplacement des PIE. Ces ALI ont pour objet de constituer « une offre socio-professionnelle largement appuyée sur les structures d'insertion par l'activité économique » (SIAE) et de devenir « de véritables centres de ressources de l'insertion, avec le monde économique comme avec les services sociaux et, surtout, ne se contentant plus d'accompagner vers l'emploi les allocataires qui en sont éloignés, mais accompagnant dans l'emploi, par la mise en situation professionnelle directe et la levée en temps réel des freins identifiés. »65(*)

L'accompagnement proposé auparavant par les PIE était en effet jugé assez faible : les taux de sorties positives des PIE étaient ainsi, selon le président du conseil départemental, de « trois à quatre fois » plus faibles que ceux des structures d'insertion par l'activité économique (SIAE).

Cette réorganisation a toutefois été retardée, en raison principalement des recherches de locaux dans un contexte urbain tendu et du recrutement des nombreux personnels (environ 300) des équipes pluridisciplinaires : ainsi, alors que 22 ALI doivent être créées, seules 13 d'entre elles avaient été conventionnées en juin 2022. Couplé à la fermeture des anciens PIE dans les délais prévus, ce décalage calendaire a créé une période de transition qui doit prendre fin courant 2024.

L'administration déconcentrée de l'État, dans une note adressée en juin 2023 à la Première ministre, a salué l'amélioration de la gouvernance territoriale dans la cadre de ce nouveau schéma d'accompagnement des bénéficiaires du RSA avec la désignation de coordinateurs au sein de chaque équipe pluridisciplinaire territoriale et le fait que chaque ALI a pour rôle notamment de faire le lien avec l'ensemble des acteurs.

Désormais sur le point d'être parachevée, la mise en place des ALI devrait permettre, selon le président du conseil départemental, de structurer un parcours socio-professionnel inédit par son ampleur et son ambition (15 000 personnes visées, 20 millions d'euros de budget annuel), permis par des files actives maitrisées (moins de 80 personnes par conseiller), des équipes pluridisciplinaires porteuses d'un savoir-faire sur le volet social comme sur le volet de l'accès à l'emploi ainsi que d'une réelle capacité d'innovation.

b) Dans les Pyrénées-Orientales, un approfondissement de la logique d'accompagnement vers et dans l'emploi

Dans le département des Pyrénées-Orientales, l'organisation de l'accompagnement des bénéficiaires du RSA n'a pas été modifiée aussi profondément qu'en Seine-Saint-Denis. L'offre y est toujours organisée, comme avant la recentralisation, en trois pôles.

L'organisation de l'accompagnement dans les Pyrénées-Orientales

Trois types d'organismes présents sur le territoire du département, selon la situation des allocataires qui y sont orientés :

- le service social départemental propose un accompagnement social ;

- le service public de l'emploi, en particulier Pôle emploi, propose un accompagnement professionnel aux bénéficiaires les moins éloignés de l'emploi ;

- les publics spécifiques sont orientés vers des solutions adaptées à leurs besoins : les jeunes bénéficiaires du RSA identifiés pour un parcours professionnel ou socio-professionnel sont orientés vers les missions locales et les allocataires en situation de handicap vers les Cap emploi.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents transmis par les départements expérimentateurs

Depuis la mise en oeuvre de l'expérimentation, le département a déployé, selon ses propres termes, « un accompagnement vers et dans l'emploi et s'attache à construire des passerelles avec les acteurs socio-économiques locaux. » À titre d'exemple, depuis la mise en oeuvre de la renationalisation du RSA, ont été mis en oeuvre :

- l'amplification du dispositif de la « clause sociale » dans les marchés publics ;

- l'augmentation du nombre de contrats aidés financés par le département dans les secteurs marchands et non marchands sur la durée de la convention ;

- depuis juin 2020, le déploiement d'une plateforme affinitaire de mise en relation entre allocataires du RSA volontaires et employeurs locaux.

L'expérimentation a également permis de diversifier et de renforcer l'ensemble de nos dispositifs d'aides financières (aides au retour à l'emploi, fonds de solidarité logement et fonds d'aides aux jeunes). Cette revue est d'autant plus bienvenue que la Cour des comptes soulignait, dans son rapport de 2022, que les aides locales connexes au RSA contribuent significativement à la lutte contre la pauvreté.

Selon la DGCS, le bilan 2022 du conseil départemental fait état d'une augmentation du nombre de personnes orientées vers des dispositifs d'accompagnement, avec un dépassement dès 2022 de la cible fixée pour 2023. Les chiffres sont donc à la hauteur des objectifs fixés par la convention, et des améliorations sont encore attendues, notamment dans le champ de l'insertion par l'activité économique et les contrats aidés.

c) En Ariège, un effort pour renforcer l'accompagnement et expérimenter de nouvelles actions

C'est sans doute en Ariège que l'écosystème d'accompagnement est le plus varié (cf. graphique supra). Pour cette raison, les objectifs du département consistent principalement en un renforcement de l'accompagnement proposé au sein des structures existantes, soit en augmentant leurs capacités, soit via un approfondissement des actions menées. Ainsi, le département souhaite, entre autres :

- augmenter le nombre de postes financés dans les structures d'insertion par l'activité économique (SIAE) ;

- densifier l'accompagnement en augmentant le nombre de suivi dans les parcours de levée des freins concernant la santé ou la mobilité ;

- l'élaboration d'une stratégie de communication et l'organisation d'une rencontre annuelle entre acteurs de l'insertion dans le but de rendre les politiques d'accompagnement plus lisibles et abordables par les bénéficiaires du RSA ;

étendre à tout le territoire départemental le dispositif des parcours emploi personnalisé et sécurisé (PEP's), un dispositif expérimental actuellement mis en oeuvre dans un seul territoire du département (Courserans) et visant à la remobilisation des personnes cumulant plusieurs difficultés d'ordre social, à rompre leur isolement et in fine à une insertion sociale durable.

Outre ces actions de renforcement de l'existant, le département de l'Ariège s'est fixé pour objectif d'expérimenter des actions nouvelles, afin d'améliorer sur le long-terme la politique d'insertion menée dans le département, tels que :

- la mise en place d'un outil « Job Data » pour permettre un rapprochement entre besoins en main d'oeuvre des entreprises et bénéficiaires du RSA ;

- le soutien à la candidature du territoire à l'expérimentation « Territoire zéro chômeur de longue durée » ;

- la valorisation du bénévolat des bénéficiaires du RSA pour une meilleure reconnaissance de leurs compétences ;

- la conception d'une politique globale d'insertion à destination de la jeunesse, notamment dans le cas des jeunes sortant de l'aide sociale à l'enfance (ASE) et l'accueil par le département de jeunes en service civique.

L'analyse des premiers indicateurs disponibles à fin novembre 2023 montre l'atteinte, voire le dépassement, des objectifs annuels fixés en matière d'augmentation du nombre de postes financés au titre de l'IAE, de stratégie de communication et de fédération des acteurs sur le champ de l'insertion, de développement des parcours mobilité d'intégration de nouvelles structures de l'IAE au dispositif PEP's, et d'augmentation de contrats d'accueil des jeunes en service civique.

3. Des actions de lutte contre le non-recours sont également menées lorsqu'il s'agit d'une problématique identifiée au niveau local

Le phénomène du non-recours au RSA constitue le principal obstacle à l'efficacité du dispositif : une personne qui renonce à cette prestation ne peut en effet bénéficier ni de l'allocation, qui protège efficacement contre la grande pauvreté66(*), ni de l'accompagnement censé les préparer, à plus ou moins long-terme, à retrouver un emploi. Bien que le taux de non-recours soit par nature difficile à déterminer, il est estimé à environ 30 % par la Cour des comptes dans son rapport consacré, en janvier 2022, au RSA.

Dans ce contexte, et sans qu'il s'agisse nécessairement de l'objet principal de l'expérimentation, la recentralisation se conjugue à d'autres dispositifs favorisant les actions de lutte contre le non-recours - stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, Pacte des solidarités, expérimentations spécifiques, etc.

La Seine-Saint-Denis est sans doute le département où le problème du non-recours est le plus identifié. Ainsi, selon la DGCS, le point d'étape sur la mise en oeuvre de la recentralisation en septembre 2023 a fait état de plusieurs actions en matière de lutte contre le non recours en cours de déploiement par le conseil départemental, notamment :

- le recrutement de 12 assistants administratifs sur l'accès aux droits ;

- le lancement d'un appel à projet de 2 millions d'euros pour renforcer l'offre d'accompagnement des allocataires en parcours social, ayant permis la sélection d'une cinquantaine de candidatures d'associations en ce sens ;

- le déploiement d'actions visant à améliorer l'accès des bénéficiaires du RSA aux dispositifs de formation, tels que le PRIC.

Enfin, le conseil départemental et la ville de Saint-Denis se sont engagés dans l'expérimentation « territoires zéro non-recours », dont l'objectif est de faciliter et simplifier l'accès aux droits par le développement de démarches ciblées pour repérer, informer et accompagner les personnes dans leurs droits.

De même, le conseil départemental de l'Ariège poursuit les actions de lutte contre le non-recours engagés avant la recentralisation : sa convention d'insertion prévoit ainsi des actions de formation des travailleurs sociaux et référents uniques et a organisé en 2023 une grande journée sur la lutte contre le non-recours avec l'ensemble des acteurs du secteur.

Enfin, si le conseil départemental des Pyrénées-Orientales n'a pas indiqué réaliser d'actions spécifiques visant à lutter contre le non-recours dans le cadre de la recentralisation, il convient de souligner que la hausse du nombre de bénéficiaires du RSA dans ce département, vraisemblablement liée à un meilleur accès au dispositif des travailleurs indépendants67(*), a jusqu'à présent rendu de tels efforts moins urgents. Pour autant, le département dispose d'« ambassadeurs du numérique », chargés d'accompagner les usagers dans leurs démarches administratives. Il a également mis en place des comités locaux d'accès aux droits (CLAD) pour simplifier les démarches des usagers.

Ainsi, s'il est difficile d'apprécier l'apport spécifique de la recentralisation, celle-ci s'inscrit dans un continuum d'actions de lutte contre le non-recours.

C. DES MANQUEMENTS AUX « DROITS ET DEVOIRS » MIEUX SANCTIONNÉS ?

1. En pratique, un pouvoir de sanction maintenu entre les mains du président du conseil départemental
a) La définition d'un pouvoir de sanction partagé entre la CAF et le président du conseil départemental par amendement parlementaire

Le circuit d'application et du prononcé des sanctions a été modifié dans le cadre de l'expérimentation de la recentralisation du RSA. Dans le droit commun, le président du conseil départemental est seul compétent en matière de sanction. Il constate d'abord le manquement de l'allocataire à ses obligations fondées sur l'un des motifs suivants :

- le non-établissement ou non-renouvellement du contrat d'engagement réciproques (CER) ou du projet personnalisé d'accès à l'emploi (PPAE) dans les délais ;

- le non-respect du PPAE ou du CER ;

- la radiation du bénéficiaire de la liste des demandeurs d'emploi de Pôle emploi ;

- le refus du bénéficiaire de se soumettre aux contrôles de l'administration.

Le président du conseil départemental informe ensuite l'allocataire par courrier et saisit pour avis des « équipes pluridisciplinaires » (EP), qui rendent un avis sur la sanction à appliquer en tenant compte de la situation du bénéficiaire. Une fois l'avis de l'équipe pluridisciplinaire obtenu, le président du conseil départemental décide de l'application ou non d'une sanction, de son montant et de la durée. La décision est notifiée par la CAF. En fonction de la réponse du bénéficiaire à la sanction prononcée ou si la situation est régularisée, le président du conseil départemental peut décider de mettre fin à la sanction et d'en informer l'allocataire. Le versement du RSA est alors repris par la Caisse.

Depuis la recentralisation du RSA, la procédure de sanction pour manquement aux « droits et devoirs » des bénéficiaires du RSA a été aménagée dans les départements concernés : la compétence pour constater les manquements et prononcer les sanctions devait, dans la version initiale de l'article 43 de la loi de finances pour 2022, revenir entièrement aux organismes payeurs, c'est-à-dire au directeur de la caisse d'allocation familiale ou, pour ses ressortissant, de la caisse de mutualité sociale agricole68(*).

Toutefois, à la suite de l'adoption d'un amendement du Gouvernement69(*) en première lecture à l'Assemblée nationale, il a été décidé, compte-tenu du maintien de la compétence d'insertion au profit des départements, de prévoir que le président du Conseil départemental et le directeur de la caisse assurent de manière partagée les compétences en matière de prononcé des sanctions au titre des droits et devoirs. L'amendement a ainsi prévu que :

- les décisions de suspension totale ou partielle des droits des bénéficiaires du RSA pour non-respect de leurs devoirs, qui relèvent formellement du directeur de la CAF ou de la caisse de MSA dans le cadre de l'expérimentation, soient prises sur proposition du président du conseil départemental ;

le président du conseil départemental soit informé de toute décision relative à la suspension, à la reprise des versements ainsi qu'à la régularisation de la période de suspension, qui doit être motivée.

b) En pratique, la compétence en matière de sanction est encore largement exercée par les départements

Dans le cadre de la recentralisation, la compétence en matière de sanctions relatives aux manquements aux « droits et devoirs » est donc aujourd'hui partagée entre le directeur de l'organisme payeurs et le président du conseil départemental. Or, si les textes organisent un exercice partagé de la compétence de sanction70(*), la pratique se caractérise par le maintien quasi-systématique d'un rôle important pour le département, à l'instar de l'organisation prévue par le droit commun.

Concernant le constat des manquements, par exemple, le rôle de chacun dépend très largement des flux de données entre les administrations participant au suivi des bénéficiaires du RSA :

- les manquements relatifs au non-établissement, non-renouvellement ou non-respect du PPAE ou du CER ne peuvent pas être constatés par l'organisme payeur faute d'information ; grâce aux données qu'il collecte lui-même et qu'il reçoit de Pôle emploi, le président du conseil départemental peut seul constater ces manquements ;

- dans le cas de la radiation de la liste des demandeurs d'emploi, en l'absence de flux d'informations entre Pôle emploi et la caisse, le président du conseil départemental continue à procéder au constat, à notifier à l'allocataire son manquement et à saisir les équipes pluridisciplinaires ;

- la seule exception concerne le refus de l'allocataire de se soumettre aux contrôles : la CAF ou la CMSA, qui ont connaissance de cette information, procèdent à l'application de pénalités, sans saisir les EP - le président du conseil départemental étant simplement informé.

Concernant l'information de l'allocataire, si les textes prévoient que le directeur de la caisse ou le président du conseil départemental informe l'allocataire de son manquement à ses obligations, en pratique c'est le président du conseil départemental qui procède à cette information (sauf pour le cas de refus de contrôle).

Le rôle du président du conseil départemental est tout aussi important s'agissant des décisions de sanction. L'article 43 de la loi de finances pour 2022 indique que « le versement du revenu de solidarité active est suspendu, sur proposition du président du Conseil départemental, en tout ou partie, par le directeur de l'organisme » payeur. Comme l'explicite l'instruction du 1er janvier 2022, si le prononcé des sanctions est « une responsabilité en droit du directeur de la caisse de sécurité sociale », cette compétence s'exerce en s'articulant avec les prérogatives du président du conseil départemental, qui diffèrent selon les manquements :

- dans le cas du non-établissement, du non-renouvellement ou du non-respect du PPAE ou du CER, le directeur de la caisse prononce la sanction sur proposition du président du conseil départemental. En pratique, puisqu'aucun élément ne justifie d'appliquer une sanction différente de celle proposée par le département, le directeur de la caisse exerce de facto une compétence liée ;

- en cas de radiation de la liste des demandeurs d'emploi, les textes prévoient que le directeur de la caisse prononce l'application d'une sanction après consultation de l'avis des EP et du président du conseil départemental. Si le directeur de la caisse envisage d'appliquer une sanction à l'issue de ce délai, le président du conseil départemental peut rendre un avis défavorable à la décision du directeur de caisse. L'émission d'un avis défavorable empêche la CAF de prononcer une sanction. En outre, la pratique veut que la CAF suive les recommandations du président du conseil départemental, ce qui place décidément ce dernier au centre du processus de décision ;

- enfin, en cas de refus du bénéficiaire de se soumettre aux contrôles de l'administration, la CAF ayant connaissance de cette information, une pénalité peut être appliquée par la caisse sans besoin de saisir les EP.

Ainsi, le transfert de la compétence en matière de sanctions aux directeurs des caisses de sécurité sociale n'a que très marginalement induit une évolution des procédures de sanctions en matière de « droit et devoirs » dans les départements concernés. Dès lors qu'ils n'accompagnent pas les bénéficiaires du RSA, les organismes payeurs suivent systématiquement les propositions formulées par l'équipe pluridisciplinaire et le président du conseil départemental.

2. Il est difficile d'établir si les manquements sont mieux sanctionnés grâce à l'expérimentation

Les données concernant les sanctions transmises au rapporteurs spéciaux sont parcellaires et surtout ne sont pas homogènes selon les départements. Il est donc difficile de déterminer si les manquements aux « droits et devoirs » des bénéficiaires du RSA sont mieux sanctionnés dans les départements concernés depuis la mise en oeuvre de la recentralisation, et plus difficile encore de savoir si une éventuelle amélioration est bien due à l'expérimentation. Il apparaît toutefois possible de s'en faire une idée en s'intéressant à l'activité des équipes pluridisciplinaires.

Les équipes pluridisciplinaires (EP)
dans les départements expérimentateurs

Le fonctionnement des équipes pluridisciplinaires relève de la seule compétence des départements. L'article L. 262-39 du code de l'action sociale et des familles (CASF) dispose ainsi que : « Le président du conseil départemental constitue des équipes pluridisciplinaires composées notamment de professionnels de l'insertion sociale et professionnelle, (...) de représentants du département et des maisons de l'emploi (...) et de représentants des bénéficiaires du revenu de solidarité active. »

En Seine-Saint-Denis, l'équipe pluridisciplinaire est par exemple composée de trois agents du département, dont la cheffe de bureau orientation et parcours de la direction de l'insertion, de l'emploi et de l'économie social et solidaire, de deux agents de Pôle emploi / France Travail, dont le directeur de l'agence départementale, d'une responsable d'agence locale d'insertion (ALI) et d'un responsable d'une association référence en faveur des bénéficiaires du RSA.

Le rôle des équipes pluridisciplinaires est fixé par le CASF : « Les équipes pluridisciplinaires sont consultées préalablement aux décisions de réorientation vers les organismes d'insertion sociale ou professionnelle et de réduction ou de suspension, (...) du revenu de solidarité active qui affectent le bénéficiaire. »

Source : commission des finances du Sénat

En effet, ces équipes devant se réunir pour rendre un avis avant le prononcé d'une sanction, le suivi de leur activité peut fournir quelques renseignements sur la politique de sanction des départements.

Il apparaît que l'activité n'évolue pas pareillement dans les trois départements expérimentateurs. En Seine-Saint-Denis, elle semble en hausse : en 2023, 1 700 dossiers ont été soumis à l'équipe pluridisciplinaire (contre 660 en 2019), 456 personnes ont pu être remobilisées après réception du courrier de convocation et avant la réunion de l'équipe pluridisciplinaire (contre 16 en 2019), et 925 sanctions ont été prononcées (contre 316 en 2019) selon le département.

En Ariège, où l'équipe pluridisciplinaire dénommée « commission de solidarité territoriale » se réunit une fois par mois, examinant en moyenne 120 dossiers par mois, la présidente du conseil départemental a indiqué avoir constaté une « légère inflexion du nombre de dossiers examinés » à la baisse : 1 429 dossiers par an, contre 1 437 en 2022 (- 0,56 %). De même, le nombre de sanction prononcé a également légèrement diminué, passant de 365 à 344 entre 2022 et 2023 (- 5,75 %).

Dans les Pyrénées-Orientales, l'activité a connu une hausse, l'équipe pluridisciplinaire s'étant réunie 70 fois en 2023 (contre 62 fois en 2021 avant la recentralisation), pour examiner 1 694 dossiers, contre 1 276 dossiers en 2021 (+ 32,76 %).

Si la baisse du nombre de sanctions en Ariège ne semble pas significative, ce n'est pas le cas des hausses constatées en Seine-Saint-Denis et dans les Pyrénées-Orientales, qui sont ambiguës. Des hausses respectivement de 32 % ou de 158 % du nombre de dossiers examinés peut en partie traduire la progression du nombre de bénéficiaires du RSA constatée dans ces départements, surtout dans les Pyrénées-Orientales (+ 6,9 %), mais aussi, comme le relève la présidente du conseil départemental, une « attention plus forte portée à la réduction des délais entre le constat d'un défaut d'insertion et le passage en EP (...) qui suscite une augmentation du nombre d'instances ».

Est-ce à dire que la recentralisation aurait pu permettre d'accorder une attention renouvelée au volet « sanctions » de la politique d'insertion ? Rien ne permet de l'affirmer à ce stade. Le lien avec la recentralisation ne peut donc pas être retenu de façon certaine. Il conviendrait de suivre avec attention ces évolutions afin d'en tirer des conclusions à l'issue de l'expérimentation.

TROISIÈME PARTIE
QUELLE ISSUE POUR LA RECENTRALISATION EXPÉRIMENTALE DU RSA ?

I. FACE AUX INCERTITUDES LIÉES AUX RÉFORMES DU RSA, IL EST D'AUTANT PLUS NÉCESSAIRE D'ÉVALUER LES EFFETS DE SA RECENTRALISATION EXPÉRIMENTALE

A. L'EXPÉRIMENTATION SE POURSUIT DANS UN CONTEXTE MARQUÉ PAR L'INCERTITUDE QUANT AUX RÉFORMES CONCERNANT LE RSA

1. L'impact de la réforme « France Travail » est difficile à appréhender pour les départements

La réforme opérée par la loi pour le plein emploi de 202371(*) constitue une première source d'incertitude pour les départements dans l'exercice de leur compétence du RSA, et une inconnue supplémentaire pour la conduite de l'expérimentation qui ne se tiendra pas « toutes choses égales par ailleurs ». Cette loi a notamment profondément réorganisé le service public de l'emploi (SPE) autour de « France Travail », rénové le régime des sanctions en matière de « droits et devoirs » et introduit une obligation pour les bénéficiaires du RSA de travailler 15 heures par semaine sous peine de sanction.

a) Un doublement de l'accompagnement avec France Travail à éviter

Le projet de loi pour le plein emploi a prétendu placer l'opérateur France Travail au centre du dispositif d'accompagnement des demandeurs d'emploi, y compris les bénéficiaires du RSA.

Ainsi, la loi confirme l'inscription automatique des bénéficiaires du RSA comme auprès de France Travail demandeurs d'emploi. Le Sénat avait toutefois pris soin de sauvegarder les prérogatives du président du conseil départemental : c'est toujours lui qui procède à l'orientation du bénéficiaire (ce n'est que par dérogation que l'opérateur France Travail est chargé de cette mission, soit parce que le président du conseil départemental lui a délégué cette compétence par convention, soit parce que la décision d'orientation n'est pas intervenue dans un certain délai). La loi prévoit également la nomination, pour chaque bénéficiaire du RSA, d'un référent unique dont la charge sera en premier lieu d'établir un diagnostic global de sa situation.

Ces dispositions ont pu susciter une certaine circonspection de la part des départements expérimentateurs, par exemple de la présidente du conseil départemental de l'Ariège, qui a indiqué qu'au vu de la démographie des bénéficiaires du RSA dans ce département, majoritairement âgée et bénéficiaire du RSA depuis plus de 5 ans, « la pertinence d'une obligation d'inscription à France Travail (...) nous parait contestable ».

De même, si le président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis a souligné que la loi pour le plein emploi « correspond bien à la dynamique partenariale impulsée par le département depuis la recentralisation du RSA », il s'est également inquiété d'un « doublonnement » de l'accompagnement entre le département et France Travail. De concert avec lui, les rapporteurs spéciaux espèrent que cette inscription obligatoire pourra plutôt ouvrir de nouvelles perspectives aux demandeurs d'emploi au RSA et renforcer le partenariat entre collectivités et service public de l'emploi.

De même, les rapporteurs spéciaux recommandent que le rôle central confié à l'opérateur France Travail n'ait pas pour conséquence un effacement du département dans l'orientation des bénéficiaires du RSA. Comme ce rapport s'en est fait l'écho, l'expérimentation semble donner des résultats en matière d'orientation. Il conviendrait ainsi de laisser une marge de manoeuvre importante au président du conseil départemental dans sa mission d'orientation, et de ne pas donner une importance excessive au référentiel national de diagnostic global, afin d'adapter au mieux cette orientation aux besoins particuliers des allocataires et des dynamiques uniques de chaque territoire.

b) Une refonte du régime de sanction dont les effets devront être mesurés

Le régime de sanctions appliqué avant l'entrée en vigueur de la loi pour le plein emploi était jugé « peu progressif » et relativement inefficace par notre collègue rapporteur Pascale Gruny72(*). Le barème de sanction diffère selon que le bénéficiaire a déjà, ou non, fait l'objet d'une suspension, ou de s'il s'agit d'une personne seule ou d'un foyer. Il diffère également selon les départements, puisque dans les limites fixées par l'État, chaque président de conseil départemental peut moduler sa politique de sanction.

Source : commission des affaires sociales du Sénat

En pratique, dans les départements expérimentateurs, les rapporteurs spéciaux ont constaté des politiques de sanctions relativement similaires : une première suspension résultant en une diminution de 100 euros du montant du RSA pour un mois, suivie en cas de récidive par une suspension plus importante, par exemple de 50 % du montant dû pour 3 ou 4 mois, ont par exemple été évoquées par les présidents des conseils départementaux de Seine-Saint-Denis ou l'Ariège. Dans les cas de manquements répétés ou continus, la radiation de la liste des bénéficiaires du RSA peut être prononcée.

La loi pour le plein emploi a procédé à une refonte du régime des sanctions, en introduisant une nouvelle sanction intermédiaire dénommée « suspension-remobilisation », qui se distingue de l'actuelle sanction de suspension, cette dernière étant renommée « suppression ». Cette sanction peut être prononcée lorsque le bénéficiaire refuse d'élaborer ou d'actualiser son contrat d'engagement, ou lorsqu'il n'en respecte pas certaines conditions. Cette suspension, qui ne fait pas obstacle à la poursuite de l'accompagnement, a donc « un caractère non punitif mais simplement d'avertissement73(*) » : si l'allocataire se conforme à ses obligations, le président du conseil départemental met fin à la suspension et les sommes retenues pendant la durée de la sanction lui sont reversées.

Ce nouveau régime pourrait modifier sensiblement les politiques de sanction des départements expérimentateurs qui ont été décrites précédemment. Les effets de l'introduction de la suspension-remobilisation, conçue comme une sanction visant à accompagner les politiques d'insertion conduites par les départements, devraient pouvoir être mesurés, à la fois dans les départements expérimentateurs et dans les départements où le RSA n'est pas recentralisé.

c) Les quinze heures d'activité hebdomadaire : avantage aux départements expérimentateurs ?

L'une des mesures les plus débattues du projet de loi pour le plein emploi concernait l'obligation d'activité hebdomadaire d'un minimum de quinze heures. Comme le notait notre collègue Pascale Gruny, « cette notion d'activité doit être envisagée de manière large et comprendre toutes les actions concourant à l'insertion du demandeur d'emploi en fonction de sa situation et de ses besoins » : il ne s'agit donc pas d'un travail à temps partiel mais d'actions de formation, d'accompagnement et d'appui74(*).

Or, qu'on soutienne ou non cette mesure, il est probable qu'elle soit la cause de difficultés supplémentaires pour certains départements : en effet, comme le relèvent les recommandations du conseil d'administration de l'Association nationale des directeurs de l'action sociale et de santé (ANDASS)75(*), « on peut assez directement relier les 15 heures d'activité obligatoires à l'intensité de l'accompagnement [des bénéficiaires du RSA] ». Or l'intensité de l'accompagnement peut pâtir des difficultés financières de certains départements.

Le président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis a ainsi émis des réserves quant à la mise en oeuvre de cette disposition, jugeant l'exigence de 15 heures « irréaliste au regard de la capacité actuelle d'accompagnement du service public de l'emploi. » Toutefois, le rapport a fait le constat que la recentralisation expérimentale du RSA avait permis d'accroitre les moyens pour renforcer l'intensité de cet accompagnement, en permettant aux départements qui y participent de consacrer de nouveaux moyens à l'accompagnement des allocataires.

Ainsi, les 15 heures d'activité hebdomadaire pourront peut-être plus facilement être mises en oeuvre dans les départements expérimentateurs, où la recentralisation a créé de nouvelles marges de manoeuvres, à condition d'être mises en oeuvre progressivement et avec souplesse.

2. La suppression de l'allocation de solidarité spécifique (ASS) : une réforme mort-née ?

Dans son discours de politique générale du 30 janvier 2024, M. Gabriel Attal, alors Premier ministre, avait annoncé « C'est notre volonté de supprimer toutes les trappes à inactivité, et je l'assume ». Il visait notamment l'allocation de solidarité spécifique (ASS) versée aux chômeurs en fin de droits, dont il a confirmé la suppression progressive dans la même allocution.

Créée en 1984, avec l'augmentation du chômage de longue durée, l'ASS a été conçue pour créer un relais, sous forme de minimum social financé par la solidarité nationale, aux fins de droits à l'assurance chômage. Cette allocation, conditionnée à une durée d'activité de cinq ans dans les dix ans précédant l'indemnisation au titre de l'assurance chômage, coexiste ainsi avec le RMI, devenu RSA en 2008, minimum social à caractère universel sans condition d'activité professionnelle antérieure.

En 2023, en moyenne 250 715 demandeurs d'emploi avaient bénéficié de l'ASS, dont le montant maximal est de 570,30 euros par mois en 2024. Le coût de l'ASS, financée par la mission « Travail et emploi » du budget de l'État, s'élevait ainsi à 1,6 milliard d'euros en 202376(*). Proche du RSA dans son montant77(*), l'ASS s'en distingue néanmoins selon un rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) de 201478(*), par diverses particularités :

- les ressources prises en compte (les revenus imposés pour l'ASS, la quasi-totalité des ressources du foyer pour le RSA dont les autres prestations sociales) ;

- la prise en compte de la composition familiale (absente pour l'ASS, alors que le RSA est majoré pour les personnes isolées avec enfants, et en fonction des unités de consommation du foyer) ;

- le caractère différentiel de son montant (sous effet de plafond des ressources de l'allocataire et son conjoint pour l'ASS, intégralement au niveau des ressources du foyer pour le RSA) ;

- le dispositif d'intéressement à une reprise d'activité (qui connaît des effets de seuil et est à durée limitée pour l'ASS, alors que dans le dispositif du RSA et de la prime d'activité, « il n'existe plus de situation où la reprise d'un emploi fasse perdre du revenu disponible par rapport à une situation sans aucune activité79(*) »).

Toujours selon l'Igas, une autre différence notable entre les deux dispositifs est leur conséquence sur les droits à retraite des allocataires : dans le cas de l'ASS, « ils bénéficient de la prise en charge par le fonds de solidarité vieillesse (FSV) de trimestres non cotisés au titre du régime général et de cotisations aux régimes de retraite complémentaires AGIRC-ARRCO », ce qui n'est pas le cas des bénéficiaires du RSA. L'Igas concluait que, « dans une logique de lutte contre la pauvreté et d'incitation au travail, le dispositif du RSA est donc plus sophistiqué et cohérent que l'ASS ». Le Premier ministre s'étonnait quant à lui que des droits à la retraite puisse être ouverts au titre de semestres non-travaillés.

Si la question du maintien de l'ASS a déjà été posée lors de la loi créant le RSA, sa suppression n'a jamais été formellement décidée. Le scénario qui semble avoir été retenu par le précédent Gouvernement consistait en la mise en extinction de l'ASS : d'une part, les personnes déjà allocataires de l'ASS verraient leurs droits maintenus, tandis que d'autre part les nouveaux « entrants » basculeraient dans le RSA.

Or un tel scénario constituerait un « cadeau empoisonné pour les budgets des départements80(*) », qui « prendraient le relai » de l'État en versant le RSA aux demandeurs d'emploi qui auraient autrement bénéficié de l'ASS. L'Igas indiquait déjà en 2014, c'est-à-dire bien avant la hausse vertigineuse du coût du RSA pour les finances départementales, que « ce scénario impliquerait, sinon une extension de compétence aux conseils généraux gestionnaires du RSA au sens de la jurisprudence constitutionnelle, a minima un accroissement de charges qu'il serait difficile de ne pas compenser. »

L'annonce de la suppression de l'ASS, même reportée81(*), constitue une nouvelle source d'incertitude financière pour les départements, et pourrait singulièrement affecter le déroulement de l'expérimentation pour les départements concernés, dans la mesure où elle viendrait augmenter le nombre de bénéficiaires du RSA ayant droit à un accompagnement. Pour cette raison, et sans se prononcer sur le bienfondé de cette réforme, qui excède leur compétence au titre de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », les rapporteurs spéciaux recommandent au nouveau Gouvernement de surseoir à la suppression de l'ASS - ou, à défaut, de compenser aux départements l'accroissement de charges induit par le report des bénéficiaires de l'ASS vers le RSA.

Recommandation n° 2 : Surseoir à la suppression de l'ASS jusqu'au terme de l'expérimentation ou, à défaut, compenser aux départements l'accroissement de charges induit par le report des bénéficiaires de l'ASS vers le RSA.

B. L'ÉVALUATION DES EFFETS DE L'EXPÉRIMENTATION SUR LE RETOUR À L'EMPLOI DES BÉNÉFICIAIRES DU RSA EST INDISPENSABLE

1. La recentralisation du RSA : une « fausse expérimentation » ?

La recentralisation du RSA dans plusieurs départements métropolitains a été réalisé sous forme d'expérimentation, c'est-à-dire qu'elle ne s'est appliquée que dans certains d'entre eux, dans le but de déterminer, par l'emploi de la méthode expérimentale, si son impact positif sur les politiques départementales justifiait sa généralisation à l'ensemble du territoire.

Ainsi, pour citer l'exposé des motifs de la loi « 3DS », l'expérimentation a pour objectif de « mettre un terme aux difficultés chroniques de certains départements à assumer cette charge [le financement du RSA] afin qu'ils puissent développer des politiques d'insertion adaptées et ambitieuses ». En d'autres termes, l'expérimentation doit permettre de déterminer si, sans supporter la gestion et le financement du RSA, les départements pourront accroître l'efficacité de l'insertion des bénéficiaires du RSA dans l'emploi. Toutefois, un certain nombre d'éléments ont alerté les rapporteurs spéciaux quant à la potentielle insuffisance de la méthodologie de l'expérimentation.

En effet, dans son étude « Les expérimentations : comment innover dans la conduite des politiques publiques ?82(*) », le Conseil d'État relevait que « le recours à l'expérimentation est parfois utilisé pour des raisons où ce qui la justifie d'un point de vue théorique se mêle à d'autres considérations. Elle apparaît ainsi comme une motion de compromis entre l'inaction et l'adoption définitive d'une mesure. (...) Mais derrière les mots expérience, expérimentation, à titre expérimental, il existe aussi de fausses expérimentations. Elles consistent à édicter un dispositif temporaire, facialement présenté comme une expérimentation, mais qui n'est pas accompagné d'un minimum de méthode, d'un protocole expérimental qui permette de recueillir les éléments qui doivent aider à la prise de décision finale. »

Ainsi, dans ses formations consultatives, le Conseil d'État a écarté des dispositions d'un projet de loi qui fixaient à l'avance le dispositif qui serait retenu à l'issue d'une expérimentation, dans la mesure où ces dispositions dénaturaient « le principe même de l'expérimentation qui doit être réversible et reposer sur une évaluation et un choix ne pouvant intervenir qu'à son issue. »83(*) Ainsi, « l'évaluation est consubstantielle à l'expérimentation. (...) Qu'elle soit menée à l'échelle locale ou nationale, quelle que soit son envergure, l'expérimentation doit impérativement donner lieu à une évaluation de ses résultats et des conditions de sa mise en oeuvre. »84(*)

Or, sans aller jusqu'à qualifier la recentralisation du RSA de « fausse expérimentation », les rapporteurs spéciaux relèvent que l'évaluation risque de souffrir de certaines limites.

D'abord, le souci d'évaluation ne semble venir que tardivement à l'esprit de ses artisans. L'intérêt premier de la recentralisation était de soulager les départements les plus en difficultés, et singulièrement celui de Seine-Saint-Denis à l'initiative de ce dispositif, face à la hausse de coût du financement du RSA. Le président du département francilien a ainsi indiqué que « le département ne s'est pas exactement porté candidat à l'expérimentation ; il en a proposé le principe au gouvernement, le dispositif expérimental reposant sur le fait que l'État reprendrait non pas seulement les ressources de compensation mais également celles que le département consacrait au paiement de son reste à charge. »

Dans ce cadre, l'expérimentation semble avoir été plutôt une solution juridique permettant de réaliser une recentralisation « à la carte », plutôt qu'une démarche « scientifique » visant à évaluer une politique publique et à généraliser un nouveau dispositif au regard de ses résultats. Le résultat de la recentralisation, une fois connus les paramètres de calcul du droit à compensation, étaient prévisibles sans expérimentation.

Ce n'est qu'a posteriori que le Gouvernement a souhaité que l'expérimentation soit également l'occasion d'accroître l'efficacité des politiques d'insertion des départements. Toujours selon le président du département de Seine-Saint-Denis, « Par la suite le Gouvernement a souhaité que la recentralisation du financement du RSA porte en elle-même des objectifs non seulement financiers mais également de politique publique. Dans ce cadre le département a proposé de consacrer une partie des marges qu'il tirerait de cette recentralisation pour doubler les crédits de sa politique d'insertion. »

À ce stade le principe d'une évaluation de ces politiques d'insertion ne figurait toujours pas dans l'avant-projet de loi qui a été soumis au Conseil d'État : c'est ce dernier qui a insisté pour qu'une évaluation soit expressément prévue85(*).

Ensuite, le protocole expérimental et les modalités d'évaluation apparaissent insuffisamment substantiels. En effet, si l'objectif de la recentralisation a été brièvement défini dans l'exposé des motifs de l'article 35 du projet de loi « 3DS »86(*), aucun critère de réussite de l'expérimentation n'a été déterminé, contrairement aux recommandations du Conseil d'État, « avec le risque qu'ils le soient alors au regard des résultats obtenus, au détriment de l'objectivité de l'évaluation »87(*).

En outre, les modalités d'évaluation laissent à désirer. L'article 132 de la loi « 3DS » prévoit en effet que l'expérimentation soit « évaluée » de deux manières, mais aucune ne présente de garantie méthodologique suffisante :

- une évaluation « continue » : le président du conseil départemental remet chaque année au représentant de l'État dans le département un rapport de suivi de la mise en oeuvre de la convention signée entre le département et l'État dans le cadre de l'expérimentation, s'agissant notamment des résultats obtenus en matière d'insertion et d'accès à l'emploi et à la formation ;

- une évaluation « à terme » : engagée conjointement par l'État et chacun des départements, six mois avant l'échéance, portant notamment sur les conséquences financières de l'expérimentation, pour l'ensemble des départements, sur le fonds national de péréquation des DMTO.

S'agissant de l'évaluation continue, il s'agit davantage d'un « suivi », comme le suggèrent les termes de la loi, que d'une évaluation.

Quant à l'évaluation qui doit avoir lieu au terme de l'expérimentation, les rapporteurs spéciaux notent qu'à leur connaissance, aucun évaluateur indépendant n'a été désigné, contrairement aux recommandations du Conseil d'État. Il est donc fort probable que l'évaluation « finale » de l'expérimentation échoie aux administrations l'ayant menée88(*), sur la base des rapports de suivi fournies par les départements dans le cadre de l'évaluation « continue «, ce qui n'apparaît pas idéal.

Il conviendrait ainsi qu'un critère de réussite de l'expérimentation soit clairement défini - le plus tôt possible, et en tout état de cause avant son terme - et qu'un évaluateur indépendant - par exemple l'inspection générale des affaires sociales (Igas) - soit désigné.

2. Au-delà du suivi des engagements des départements, il est nécessaire que leur action soit rigoureusement évaluée
a) La majorité des indicateurs inscrits dans les conventions de recentralisation permettent simplement le suivi des engagements du département

Les conventions d'insertion signées entre l'État et les trois départements expérimentateurs comportent toutes une section consacrée au suivi des engagements pris par les départements dans le cadre de l'expérimentation. De même, ces trois conventions comportent des stipulations concernant les pénalités qui peuvent être imposée au département par l'État en cas de manquement à ses engagements.

Ces pénalités consistent, aux termes identiques dans toutes les conventions, en « une réfaction à due concurrence des crédits attribués au département pour la mise en oeuvre des actions au titre de la stratégie régionale de prévention et d'action contre la pauvreté dans le département inscrit au programme 304 « Inclusion sociale et protection des personnes » [de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances «]. »

C'est donc tout naturellement qu'une part importante des indicateurs déterminés en annexes des conventions sont des indicateurs de suivi plus que d'évaluation. Certains sont en effet clairement identifiés comme des « indicateurs de moyens », idéaux pour suivre la mise en oeuvre des engagements des départements.

Ainsi, les indicateurs définis dans les annexes aux conventions des départements expérimentateurs comprennent-ils le nombre de places ouvertes par ce département dans divers dispositifs d'insertion, tels que :

- des dispositifs d'accompagnement pour lever les freins d'accès à l'emploi liés à la mobilité ou à la santé ;

- des dispositifs d'accompagnement dans l'emploi tels que l'insertion par l'activité économique (IAE) ou les contrats aidés ;

- des dispositifs de formation dits « d'accroissement des compétences » ;

- des dispositifs spécifiquement conçus pour l'accompagnement des jeunes ;

- ou le dispositif d'accompagnement « global » mis en place par ce département.

De même, les départements de l'Ariège et de la Seine-Saint-Denis, qui ont chacun pris l'engagement d'accroitre les moyens de leurs politiques d'insertion, voient figurer dans leurs conventions des indicateurs de suivi des crédits consacrés aux dépenses d'insertion.

Ce dernier type d'indicateur est symptomatique de la prévalence des indicateurs de suivi dans les conventions : s'il permet en effet de vérifier que le département respecte bien l'engagement qu'il a pris d'augmenter les moyens qu'il consacre à l'insertion des bénéficiaires du RSA, il va de soi qu'un tel indicateur ne peut permettre d'évaluer l'efficacité de ces politiques.

b) Certains indicateurs semblent plus à même de rendre compte des résultats de l'action des départements en faveur de l'insertion des bénéficiaires du RSA

Mais les conventions comportent également, parfois sous l'appellation quelque peu trompeuse d'« indicateurs de résultats », des indicateurs qui ne permettent pourtant pas mieux d'évaluer l'efficacité des politiques d'insertion menées dans le cadre de la recentralisation. C'est par exemple le cas, courant dans les trois conventions transmises aux rapporteurs spéciaux, des indicateurs mesurant la proportion des allocataires du RSA parmi les personnes bénéficiant d'un certain dispositif d'insertion.

D'un côté, il est vrai que ces indicateurs permettent de s'assurer que l'augmentation des crédits des politiques d'insertion bénéficie bien au public visé et qu'il ne manque pas sa cible - ce qui est indéniablement une dimension de l'efficacité. Cela ne saurait toutefois rendre pleinement compte de l'efficacité d'un dispositif : en particulier, cela ne permet pas d'appréhender la capacité des politiques d'insertion à permettre le retour à l'emploi des bénéficiaires du RSA.

Plus intéressants à cet égard sont les indicateurs, présents dans les conventions des départements des Pyrénées-Orientales et de Seine-Saint-Denis, concernant les « sorties positives » des dispositifs mis en place par les départements.

Les « sorties positives » des dispositifs d'insertion

Une sortie positive désigne le parcours d'une personne bénéficiant d'un dispositif d'accompagnement qui quitte ce dispositif et reprend une activité, conçue au sens large. Ces sorties positives recouvrent notamment :

- le recrutement en contrat à durée indéterminée, en contrat à durée déterminé, en intérim de plus de six mois, en alternance ou en apprentissage ;

- l'entrée en formation ;

- la création d'une entreprise, etc.

Dans les autres cas (recherche d'emploi, cessation d'activité, poursuite de l'accompagnement, etc.), la sortie n'est pas dite positive.

Source : commission des finances du Sénat

Ainsi, ces deux départements mesurent-ils peu ou prou, dans le cadre de l'expérimentation, la part des allocataires du RSA bénéficiant d'un accompagnement et retrouvant un emploi, qui constitue selon les rapporteurs spéciaux l'objectif ultime de l'accompagnement attaché au RSA. Si les premières données qui leur ont été communiquées sur ce point par le département de Seine-Saint-Denis sont encore quelque peu lacunaires du fait de la récente mise en oeuvre de l'expérimentation, les rapporteurs spéciaux se félicitent de l'existence de cet indicateur et préconisent qu'il soit inclus dans l'ensemble des trois conventions.

Il pourrait ainsi permettre une évaluation, au plus près du terrain, de l'efficacité des politiques d'insertion menées par les départements expérimentateurs sur le retour à l'emploi des bénéficiaires du RSA. L'évaluation continue de l'expérimentation pourrait ainsi être conduite par les administrations compétentes de l'État et du département sur la base de cet indicateur, parmi les autres indicateurs définis dans les conventions.

c) Une rigoureuse évaluation de l'efficacité des politiques permises par la recentralisation est indispensable

Afin de conduire au mieux l'évaluation finale de l'expérimentation ainsi que le recommande le Conseil d'État, il conviendrait encore qu'un évaluateur puisse réaliser des comparaisons. En effet, un potentiel retour accru à l'emploi des bénéficiaires du RSA dans l'un des départements expérimentateurs, pour satisfaisant qu'il puisse être, pourrait être dû à des facteurs exogènes à l'expérimentation.

Ainsi, il pourrait être intéressant de comparer la trajectoire des bénéficiaires du RSA dans les départements expérimentateurs avec celle des bénéficiaires du RSA dans le reste de la France, où le financement de cette prestation n'a pas été recentralisé. Dans cette approche d'ensemble, complémentaire de l'évaluation « sur le terrain » précédemment évoqué, il pourrait être possible d'utiliser pour référence certains indicateurs de performance du programme 304 de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

En effet, les quatre indicateurs numérotés « 1.1 » mesurent, sous plusieurs angles différents, le taux d'accès à la prime d'activité - donc à l'emploi89(*) - des bénéficiaires du RSA. Les données permettant le calcul de ces indicateurs existent donc déjà ; il serait donc possible d'isoler les données pour les départements expérimentateurs et de les comparer aux données valables pour le reste de la France.

Résultats des indicateurs n° 1-1 du programme 304 de la mission
« Solidarité, insertion et égalité des chances » entre 2018 et 2023

(en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par la DGCS et la CNAF

Depuis 2021, ces indicateurs dépeignent, au niveau national, un contexte où les bénéficiaires du RSA parviennent mieux à retrouver une activité et à accéder à la prime d'activité (+ 4,3 %), mais où cet accès à l'emploi demeure précaire - on constate en effet une baisse de 1,2 % des bénéficiaires de la prime d'activité qui se maintiennent dans l'emploi.

Si ces indicateurs relevés au niveau des départements expérimentateurs devaient dépasser leur valeur au niveau national, voilà qui constituerait sans nul doute un signe de succès de l'expérimentation.

Recommandation n° 3 : Mener une évaluation rigoureuse de l'expérimentation, en conjuguant notamment deux approches :

- une première approche au niveau « micro », menée en continu par les administrations compétentes de l'État et des départements et fondée sur les données relatives aux « sorties positives » des dispositifs d'insertion départementaux ;

- une seconde approche au niveau « macro », menée au terme de l'expérimentation par un évaluateur indépendant et fondée sur la comparaison de données départementales avec des données nationales sur le retour à l'emploi des bénéficiaires du RSA.

II. PASSÉ L'HORIZON DE 2026, QUELLE ISSUE POUR L'EXPÉRIMENTATION ?

Comme le prévoit l'article 132 de la loi « 3DS «, les deux phases d'expérimentation de la recentralisation du RSA menées à compter de 2022 dans les départements des Pyrénées-Orientales et de la Seine-Saint-Denis et à compter de 2023 pour l'Ariège arriveront toutes deux à terme au 31 décembre 2026.

A. ABANDON IMPROBABLE, PÉRENNISATION IMPOSSIBLE

1. Une « renationalisation » indispensable selon les départements expérimentateurs

Aux dires unanimes des départements expérimentateurs, la recentralisation a produit des effets positifs : la situation du département de Seine-Saint-Denis s'est ainsi améliorée « tant sur le plan budgétaire que sur le plan du renouveau des politiques d'insertion » ; il en va de même dans les Pyrénées-Orientales, où la recentralisation a « incontestablement (...) des effets significatifs sur la redynamisation de notre politique d'insertion. » La réponse est également positive, bien qu'avec plus de nuances, pour le département de l'Ariège.

Ainsi, lorsqu'était évoqué le terme de l'expérimentation, ces trois départements ont clairement signifié leur volonté de voir ce dispositif être pérennisé. Pour le président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, « il serait concrètement impossible de revenir sur cet accord et de diviser par deux les moyens des politiques d'insertion » ; la présidente du conseil départemental des Pyrénées-Orientales a quant à elle souligné que son département « supporterait très difficilement un retour à la situation ante 2022 » et qu'un tel retour en arrière aurait pour conséquence « un déséquilibre budgétaire remettant en cause le financement et la pérennité des actions d'insertion. »

Les présidentes des deux conseils départementaux pyrénéens ont même indiqué qu'à leurs yeux, la recentralisation devrait être généralisée.

2. Juridiquement, une pérennisation impossible sans extension au reste du territoire

Afin de respecter le principe d'égalité auquel il est dérogé pour conduire une expérimentation, les deux issues classiques d'une expérimentation sont d'une part l'abandon de la mesure, et d'autre part sa généralisation. Si les départements expérimentateurs souhaitent conserver les bénéfices de la recentralisation du RSA au-delà de 2026, il est probable qu'une pérennisation limitée à ces départements soit impossible.

L'adoption en 2021 d'une loi organique visant à simplifier le recours aux expérimentation90(*) n'a pas profondément changé l'état du droit en la matière. D'une part car cette loi organique concerne les expérimentations conduites sur le fondement de l'article 72 de la Constitution - et non son article 37-1. Ensuite car son article 6, qui avait pour vocation d'ajouter deux potentielles issues à une expérimentation, ne fait, pour citer la commission des lois du Sénat, « qu'apporter une clarification utile (...) qui n'a que peu de portée en droit ». Elle se borde en effet à rappeler l'état de la jurisprudence constitutionnelle régulièrement rappelée par le Conseil d'État dans ses formations consultatives : une telle différenciation est possible, mais très encadrée.

L'avis du Conseil d'État rendu en 2017 sur la différenciation des compétences des collectivités territoriales relevant d'une même catégorie et des règles relatives à l'exercice de ces compétences91(*) constitue à ce sujet un éclairant rappel du droit.

La distinction entre les collectivités territoriales de l'article 72 de la Constitution (communes, départements, régions) d'une part, et les collectivités à statut particulier (Corse, Collectivité européenne d'Alsace) ainsi que les collectivités de l'article 73 (collectivités d'Outre-mer soumises au principe d'identité législative) d'autre part, tient une place centrale dans cet avis.

Alors que la loi peut, dans les secondes, faire l'objet d'adaptations, l'article 72 implique, pour les premières, un même statut et par conséquent l'attributions des mêmes compétences - le principe d'égalité ne permettant la différenciation de ces compétences que dans des conditions très strictes.

Enfin, cette distinction impose qu'une éventuelle différenciation des compétences des collectivités territoriale d'une même catégorie n'altèrent pas la distinction entre chaque catégorie et « ne remettent pas en cause la règle selon laquelle les possibilités de différenciation sont plus importantes pour les collectivités territoriales à statut particulier et les collectivités de l'article 73, que pour les collectivités territoriales de droit commun. » Or il est probable que la pérennisation de la recentralisation du RSA dans les seuls départements expérimentateurs, où dans quelques autres départements partageant les mêmes caractéristiques, serait impossible alors que cette prestation resterait décentralisée dans le reste des départements.

L'avis du Conseil d'État sur le projet de loi relatif à la différenciation

Rappel de la possibilité de différenciation entre collectivités de l'article 72 de la Constitution :

À l'inverse des collectivités territoriales à statut particulier et des collectivités de l'article 73, la Constitution ne prévoit pas l'adaptation des lois et règlements pour prendre en compte des « caractéristiques » ou des « contraintes particulières » qui seraient propres à l'une ou à plusieurs collectivités relevant d'une des catégories de droit commun de l'article 72.

Il n'en résulte pas pour autant que les règles applicables aux compétences des collectivités territoriales doivent être identiques pour toutes les collectivités relevant de la même catégorie.

Le principe constitutionnel d'égalité, applicable aux collectivités territoriales « ... ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit... » (Conseil constitutionnel, décision n° 91-291 DC du 6 mai 1991 sur la loi instituant une dotation de solidarité urbaine et un fonds de solidarité des communes de la région d'Île-de-France).

Exposition des contraintes s'appliquant au législateur à cadre constitutionnel constant :

Dans le cadre constitutionnel en vigueur le législateur dispose de marges de manoeuvre réelles, mais contraintes :

- par l'article 72 de la Constitution qui implique que les collectivités territoriales de droit commun - communes, départements, régions - aient un même statut et, par suite, disposent des mêmes compétences ;

- et par le principe d'égalité, qui n'autorise la différenciation des compétences ou de leur exercice que pour des raisons d'intérêt général ou du fait de différences de situations.

Conséquences de la distinction entre les collectivités de l'article 72 et les collectivités de l'article 73 de la Constitution :

Cette distinction permet, par des règles claires, la nécessaire prise en compte des caractéristiques et des contraintes particulières à certains territoires, dans le respect du principe d'égalité, de l'indivisibilité de la République et de la souveraineté nationale.

Elle implique :

- que les différenciations des règles de compétences et de leur exercice au sein d'une même catégorie de collectivités territoriales - communes, départements et régions - n'altèrent pas la pertinence de trois catégories de collectivités territoriales disposant chacune d'un même statut et la pertinence de la distinction entre ces trois catégories de collectivités territoriales de droit commun ;

- que ces mêmes différenciations, par leur ampleur, ne remettent pas en cause la règle selon laquelle les possibilités de différenciation sont plus importantes pour les collectivités territoriales à statut particulier et les collectivités de l'article 73, que pour les collectivités territoriales de droit commun.

Source : Conseil d'État, avis AG, 7 décembre 2017, n° 393651

Supposons en effet que la recentralisation soit généralisée aux onze départements qui remplissaient les critères pour participer à l'expérimentation (cf. supra). Une telle mesure créerait une très profonde différence de situation entre départements dont les situations sont relativement similaires, tout en appliquant la même règle à des départements dont les situations sont objectivement très différentes.

Ainsi, le département de la Somme par exemple, qui connait des difficultés liées au RSA, était-il proche de l'éligibilité à l'expérimentation : seule la proportion de bénéficiaires du RSA dans sa population (3,39 %), légèrement inférieure au niveau requis, le rendit inéligible. Sa situation est donc proche d'un département comme l'Aisne, qui était éligible avec 3,57 % des bénéficiaires du RSA dans sa population. Pourtant, une recentralisation reposant sur les mêmes critères que l'expérimentation actuellement en cours aurait pour conséquence d'appliquer des règles profondément différentes (l'attribution ou non de l'une des compétences majeures des départements) à deux départements aux situation similaires.

Dans le même temps, la Somme se verrait appliquer les mêmes règles que des départements tels que l'Isère, les Hauts-de-Seine ou les Alpes-Maritimes, qui se trouvent dans des situations bien plus favorables au regard du RSA. Symétriquement, l'Aisne se verrait appliquer des règles identiques à celles ayant cours dans les départements de Guadeloupe ou de Martinique, qui connaissent des difficultés bien plus importantes : la proportion de bénéficiaires du RSA dans ces départements est bien supérieure (11,32 % en Guadeloupe contre seulement 3,57 % dans l'Aisne).

Comparaison des situations d'un échantillon de départements au regard des critères d'éligibilité à l'expérimentation

(en euros et en pourcentage)

 

Critères n° 1

RAC RSA

Critères n° 2

Bénéficiaires RSA

Critères n° 3

Revenu par habitant

Nom département

RAC/habitant 2020

Rang

BRSA/pop INSEE 2020

Rang

Revenu par habitant 2020

Rang

HAUTS-DE-SEINE

45,66 €

70

2,16 %

73

23 968 €

97

ALPES-MARITIMES

42,30 €

77

2,57 %

52

18 085 €

94

ISERE

45,58 €

71

1,96 %

82

15 315 €

79

SOMME

82,17 €

15

3,39 %

17

13 066 €

15

AISNE

102,07 €

5

3,57 %

13

12 454 €

5

SEINE-ST-DENIS

153,41 €

2

5,62 %

3

11 616 €

2

GUADELOUPE

157,19 €

1

11,32 %

1

11 007 €

1

MARTINIQUE

146,75 €

3

10,02 %

2

12 235 €

4

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par la DGCL

On constatera au passage que cela reviendrait à atténuer considérablement la distinction entre des collectivités de l'article 73 (notamment la Guadeloupe et la Martinique) et des collectivités territoriales de droit commun, puisqu'une partie des secondes se verrait appliquer les mêmes règles que les premières, sans pour autant se trouver dans une situation comparable faute de se situer Outre-mer et de connaître des difficultés de même ampleur. Or, on l'a vu, toute différenciation qui aboutirait à remettre en cause cette distinction serait probablement contraire à la Constitution.

En bref, il apparaît impossible de procéder à la pérennisation de l'expérimentation sans la généraliser à l'ensemble du territoire. Or une telle recentralisation générale de la compétence RSA pose également de sérieuses difficultés compte-tenu du coût important qu'elle aurait pour l'État, de sa pertinence variable selon les situations départementales et de l'opposition politique ferme des départements lors de la dernière tentative de recentralisation en 2016.

B. LES CONDITIONS D'UNE SORTIE PAR LE HAUT DE L'EXPÉRIMENTATION DU RSA RECENTRALISÉ

Les administrations entendues par les rapporteurs spéciaux (DGCL et DGCS) ont indiqué ne pas avoir engagé de démarche visant à préparer l'issue de l'expérimentation, ce qui est normal dans la mesure où, comme l'a souligné le directeur général de la cohésion sociale, « la réponse à ces questions est prématurée » puisque seuls « les résultats de l'expérimentation [doivent permettre] d'éclairer les décisions à prendre. » Le choix de l'issue à donner à l'expérimentation de la recentralisation du RSA devra donc dépendre des résultats de cette expérimentation, et ne saurait être fixé à l'avance. Les rapporteurs spéciaux partagent cette perspective, qui souligne à nouveau la nécessité de réaliser une évaluation robuste des résultats de l'expérimentation, comme ils l'ont recommandé.

Il est toutefois permis d'envisager plusieurs scénarios à l'horizon 2026. La pérennisation de la recentralisation dans les seuls départements expérimentateurs ou dans les départements partageant les mêmes caractéristiques devant être écartée, seules trois possibilités sont sérieusement ouvertes à l'issue de l'expérimentation en 2026 :

- la reconduction de l'expérimentation pour une durée limitée ;

- la généralisation de l'expérimentation à l'ensemble du territoire, avec d'éventuelles modifications de ses paramètres ;

l'abandon de l'expérimentation, soit une inédite « re-décentralisation », avec d'éventuelles modifications du droit commun.

1. Une éventuelle reconduction qui devra être justifiée du point de vue de la démarche expérimentale

Il n'est pas rare qu'une expérimentation fasse l'objet d'une prolongation. S'agissant de la recentralisation du RSA, la DGCS a ainsi évoqué la possibilité d'une prolongation de l'expérimentation, voire d'une extension de cette expérimentation à l'autres territoires.

Toutefois, afin d'éviter la tendance naturelle de tout dispositif temporaire de s'installer dans la durée, les rapporteurs spéciaux recommandent que la reconduction de l'expérimentation ne soit décidée que si sa prolongation est justifiée du point de vue de la démarche expérimentale - par exemple si le recueil de données supplémentaires est nécessaire ou si les résultats, au bout de 5 ans, sont peu conclusifs.

En tout état de cause, la prolongation de l'expérimentation ne devrait être retenue que si elle est pertinente, et non pas car elle est expédiente.

Cette reconduction pourra s'accompagner de l'ouverture d'une nouvelle période de candidature pour les départements volontaires remplissant les critères d'éligibilité défini dans le décret du 26 octobre 2022.

2. Une hypothétique généralisation de la recentralisation qui ne pourra s'envisager qu'avec l'accord des départements

Si les résultats de l'expérimentation s'avéraient très positifs, la question d'une recentralisation générale de la compétence de financement du RSA pourrait être légitimement posée. Le directeur général de la cohésion sociale a ainsi indiqué aux rapporteurs spéciaux que « la recentralisation, avec ses objectifs contractualisés autour de l'insertion, préfigure en quelque sorte la réforme [de France Travail], qui va amplifier le mouvement. Il pourrait être justifié de généraliser la recentralisation pour accompagner ce mouvement. »

À la vérité, l'expérimentation de la recentralisation du RSA s'inscrit dans la continuité d'un mouvement d'intervention croissante de l'État dans les politiques sociales départementales, au gré de partenariats donnant lieu à une importante contractualisation, mais dans lesquels d'aucuns ont vu le spectre d'une « recentralisation rampante »92(*).

Ainsi, les départements expérimentateurs comme la DGCS ont souligné, lors de leurs entretiens avec les rapporteurs spéciaux, la continuité qui existait entre l'expérimentation et la mise en oeuvre de la stratégie de lutte contre la pauvreté lancée en 2018 au moyen des convention d'appui à la lutte contre la pauvreté et d'accus à l'emploi (CALPAE), dans des domaines tels que l'accroissement de l'efficacité de l'orientation et de l'accompagnement des bénéficiaires du RSA, ou encore de la lutte contre les non recours93(*). De même, l'unicité des démarches qui sous-tendent la réforme « France Travail » et les engagements pris par les départements expérimentateurs dans le cadre de la recentralisation du RSA n'a pas échappé aux rapporteurs spéciaux94(*).

En tout état de cause, il semble qu'une recentralisation appliquée à tout le territoire ne saurait se passer de l'accord des départements eux-mêmes, qui seront les principaux concernés par cette réforme. À ce stade, l'ADF s'est dite « vigilant[e] à l'égard de toute tentative de recentralisation des politiques de solidarité ». Les rapporteurs spéciaux recommandent donc de ne procéder à la recentralisation générale de la compétence RSA qu'en ayant au préalable obtenu l'accord des départements.

3. Une potentielle « re-décentralisation » qui risque de placer les départements expérimentateurs en difficulté
a) Le risque théorique d'une compensation inférieure à la reprises opérée par l'État au début de l'expérimentation

Dans l'hypothèse d'un abandon de l'expérimentation, soit d'un « retour en arrière », la RSA connaitrait une « re-décentralisation », qui, outre qu'elle serait inédite dans l'histoire de France, pourrait avoir des conséquences néfastes pour les départements expérimentateurs.

En effet, comme la DGCL l'a indiqué aux rapporteurs spéciaux lors de son audition, « l'expérimentation de la recentralisation du RSA constitue une modalité de recentralisation. En conséquence, toute nouvelle décentralisation d'une compétence ayant été recentralisée sera d'abord analysée comme constituant un transfert d'une compétence exercée par l'État à une collectivité territoriale et non à une simple suspension de la compétence qu'il exerçait auparavant. En conséquence, les dispositions énoncées à l'article 72-2 de la Constitution (...) trouveront de nouveau à s'appliquer. »

Ainsi, il reviendra au législateur de procéder à nouveau au calcul du droit à compensation (DAC) des départements expérimentateurs sur la base des dépenses exposées par l'État en 2026 (en général, à partir de la moyenne des dépenses exposées dans les trois années précédant le transfert). Ainsi, il existe deux risques pour les départements expérimentateurs :

- qu'une diminution des dépenses de RSA exposées par l'État au titre de la recentralisation conduise à définir un droit à compensation inférieur au DAC défini en 2022 ;

- que l'augmentation rapide des dépenses de RSA exposées par l'État au titre de la recentralisation conduise à la définition d'un droit à compensation, calculé sur la moyenne de trois dernières années, sensiblement inférieur au niveau des dépenses constatées en 2026.

En l'état, selon la DGCL, « il n'est pas identifié de difficultés a priori », et il devrait être « possible, au moins à moyen terme, de déterminer les marges de manoeuvre financières à la disposition des départements. » En effet, les prévisions d'évolution des dépenses de la CNAF indiquent que les dépenses de RSA, qui étaient de 729,8 millions d'euros en 2022 dans les trois départements expérimentateurs, devrait s'établir autour de 738,5 millions d'euros en 2026. Cette projection constitue un niveau et une dynamique de dépenses qui permettraient d'éviter les deux écueils exposés ci-dessus.

Les rapporteurs spéciaux recommandent toutefois, si le cas devait toutefois échoir, d'assurer que les départements expérimentateurs ne se voient pas restituer des ressources dont le niveau serait inférieur au niveau des ressources reprises par l'État en 2022.

Recommandation n° 4 : Quelle que soit l'issue de l'expérimentation, respecter quelques principes cardinaux :

ne prolonger l'expérimentation que si cette prolongation est justifiée du point de vue de la démarche expérimentale, en permettant le cas échéant la participation de nouveaux départements selon les critères d'éligibilités actuels ;

- obtenir l'accord de l'assemblée générale des départements de France préalablement à tout projet de recentralisation du RSA sur tout le territoire ;

- en cas de « re-décentralisation », assurer aux départements expérimentateurs un niveau de ressources compensatrice au moins égal au niveau des ressources reprises par l'État au début de l'expérimentation.

b) Le risque de ressources insuffisantes pour permettre la pérennité des politiques d'insertion rendues possibles par la recentralisation

Toutefois, même dans un scénario relativement positif tel que prévu par la CNAF, la pérennité des politiques d'insertion menées par les départements expérimentateurs serait menacée. En effet, ces politiques ont été rendues possible par la recentralisation, et plus particulièrement par la définition d'un droit à compensation favorable aux départements du fait de la conjoncture économique.

À l'entrée dans l'expérimentation, le gain théorique pour les départements résultant du hiatus entre le montant du droit à compensation versé à l'État et les dépenses de RSA constatées était de 37,8 millions d'euros pour les trois départements. En se fondant sur les prévisions de la CNAF et en s'en tenant au scénario - passablement optimiste - dans lequel le droit à compensation est défini à partir de la moyenne des dépenses constatées sur la période courant de 2023 à 202595(*), on obtient un gain théorique qui ne serait plus que de 7,5 millions d'euros pour les trois départements expérimentateurs.

On peut donc s'attendre, avec les précautions d'usage, à ce qu'ils doivent poursuivre leurs effets en faveur de l'insertion des bénéficiaires du RSA avec une marge de manoeuvre réduite d'environ 30 millions d'euros par rapport à la période d'expérimentation. Un tel scénario donne corps aux craintes exprimées par les départements expérimentateurs, qui voient dans l'abandon de la recentralisation un véritable « retour en arrière ».

Gain financier théorique des départements expérimentateur à l'entrée dans l'expérimentation et à la fin de l'expérimentation

(en millions d'euros)

 

Entrée dans l'expérimentation

Fin de l'expérimentation

Droit à compensation

693,3

746,0

Dépenses de RSA constatées l'année du transfert

731,1

738,5

Gain théorique pour les départements

37,8

7,5

Note : les données pour l'entrée dans l'expérimentation concernent l'année 2022 pour la Seine-Saint-Denis et les Pyrénées-Orientales, et l'année 2023 pour l'Ariège ; les données pour la fin de l'expérimentation sont fondées sur la projection de la CNAF.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par la DGCL, la DGCS et la CNAF

En cas de « re-décentralisation «, il conviendra donc de trouver la voie d'un soutien renforcé aux départements en difficultés, et singulièrement aux départements expérimentateurs. Ce soutien pourrait venir directement de l'État, par exemple dans le cadre du Pacte des solidarités.

Toutefois, au vu de la situation très dégradée des finances publiques, il pourrait également être pertinent de mobiliser d'autres outils, par exemple en renforçant la péréquation, horizontale et verticale, entre départements.

Le rapport d'évaluation de l'expérimentation prévu par l'article 312 de la loi « 3DS », qui devra porter sur les effets de l'expérimentation sur le fonds national de péréquation des DMTO, pourrait par exemple être le véhicule d'une réflexion sur l'adaptation du FNP-DMTO en vue d'en renforcer l'action péréquatrice en cas de « re-décentralisation ».

De même, une réflexion pourrait être menée sur les effets péréquateurs du fonds de mobilisation départementale pour l'insertion (FMDI). Dans un rapport désormais ancien consacré à « la difficile organisation de l'insertion » dans le cadre du RMI puis du RSA, la Cour des comptes constatait en effet que le FMDI constituait « un instrument financier à réformer ».

Les recommandations de la Cour des comptes sur le FMDI (2011)

[Le FMDI] a (...) été divisé en trois parts :

- la première, à concurrence de 40 %, a pour seul objet la compensation de l'écart entre les dépenses d'allocation d'une part et les recettes de TIPP d'autre part ;

- la deuxième, à hauteur de 30 %, a le double objet de contribuer à cette compensation tout en tenant compte des différences de ressources et de charges liées au RMI selon les départements ;

- la troisième part, pour les 30 % restant, conserve l'esprit qui a présidé à la création du Fonds, puisque proportionnelle au nombre de contrats d'insertion signés, elle répond à une logique incitative. (...)

Le dispositif du FMDI reste perfectible.

Les critères de répartition du FMDI font une place trop modeste à la péréquation, qui permettrait pourtant de mieux tenir compte du poids relatif des charges liées à l'insertion et aux dépenses sociales selon les départements. La troisième part du fonds, censée soutenir l'innovation en matière d'insertion, repose sur un indicateur de moyens qui ne mesure pas la réalité de l'insertion des allocataires.

En outre, le FMDI a renforcé les cas de « surcompensation », certains départements recevant, certaines années, plus qu'ils n'avaient dépensé au titre des allocations versées aux opérateurs. Les mesures prises à compter de 2010 corrigent certains de ces défauts. Le mécanisme d'écrêtement de l'assiette des dépenses, s'il ne supprime pas tous les cas de surcompensation, les limite fortement.

En revanche, les critères de répartition des différentes parts mériteraient d'être revus, dans l'objectif d'accorder une place plus importante à la péréquation.

Recommandation n° 9 : établir un indicateur de résultat pour l'attribution de la troisième part du fonds départemental de mobilisation pour l'insertion, de façon à conditionner les dotations du FMDI à ce titre à l'insertion effective des bénéficiaires.

Recommandation n° 10 : fusionner les deux premières parts du FMDI pour en faire un instrument essentiellement de péréquation.

Source : Cour des comptes, « Du RMI au RSA, la difficile organisation de l'insertion. Constats et bonnes pratiques «, juillet 2011

Si les constats de la Cour ne sont plus nécessairement d'actualité - les cas de « surcompensation », fréquents en 2011, sont quasiment inexistants aujourd'hui -, ses recommandations sur les trois parts n'ont jusqu'ici pas été suivies, la structure du FMDI étant restée inchangée depuis.

Or, pour la Cour des comptes, « si cette deuxième part du FMDI [la part « péréquation »] répond parfaitement bien à son objectif de péréquation, elle fait intervenir des montants insuffisants pour corriger des inégalités qui ne cessent de croître entre les départements. » En effet, alors que le montant total du FMDI était de 431,7 millions d'euros en 2023, la part « péréquation » du fonds ne représentait que 129,5 millions d'euros, soit à peine un tiers (30 %) des montants répartis.

Il en résulte une efficacité péréquatrice sous-optimale du FMDI, alors même qu'aux dires de la Cour, les autres fractions du fonds n'ont que modérément fait la preuve de leur efficacité. Ainsi, une réflexion visant à réformer le FMDI afin d'en améliorer la capacité péréquatrice pourrait permettre, dans le cas d'une « re-décentralisation » d'allouer plus de moyens aux départements en difficulté, et en premier lieu les départements expérimentateurs, afin de rendre possible la pérennisation des politiques d'insertion mises en place pendant la période de recentralisation - du moins celles de ces politiques qui aurait fait la preuve de leur efficacité.

Recommandation n° 5 : Pour prévenir les effets d'une « re-décentralisation » inédite, engager dès à présent une réflexion sur les moyens d'atténuer au mieux les difficultés des départements les plus fragiles, par exemple en réformant des dispositifs de péréquation tels que le FMDI.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 24 septembre 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, rapporteurs spéciaux, sur la recentralisation du revenu de solidarité active (RSA).

M. Claude Raynal, président. - Nous passons à une communication de MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, rapporteurs spéciaux de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », sur la recentralisation du revenu de solidarité active, ou RSA.

M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Avant tout, je tiens à revenir sur le processus qui a abouti à recentraliser, à titre expérimental, le financement du RSA dans plusieurs départements métropolitains, processus auquel est dédiée la première partie de notre rapport.

Sans s'y appesantir, il n'est peut-être pas inutile de rappeler l'évidence : le RSA constitue le principal minimum social dans notre pays. Les seules dépenses d'allocation du RSA représentent environ 11 milliards d'euros et la France compte un peu moins de 2 millions de bénéficiaires du RSA.

Depuis 2003, dans un mouvement décentralisateur auquel le Sénat est attaché, l'ancêtre du RSA, le revenu minimum d'insertion (RMI), a été décentralisé. Dès lors, la gestion et le financement de cette prestation ont été confiés aux départements, qui exerçaient déjà une compétence d'insertion des bénéficiaires du RMI, dans une logique de « droits et devoirs » des allocataires envers la collectivité.

Ce transfert de compétences a certes fait l'objet d'une compensation, comme le prévoit l'article 72-2 de la Constitution, mais ladite compensation s'est rapidement révélée insuffisante. En effet, si les dépenses de RSA ont progressé bien au-delà de son coût historique, les ressources compensatrices n'ont pas connu la même dynamique : alors qu'en 2018 le RSA représentait environ 11 milliards d'euros, les ressources de compensation historiques représentaient à peine 7 milliards d'euros. Quant aux dispositifs d'accompagnement imaginés par les gouvernements successifs, ils ne sont pas parvenus à couvrir entièrement le reste à charge départemental lié au RSA.

Les départements dans lesquels les bénéficiaires du RSA sont les plus nombreux n'ont pas tardé à se trouver en difficulté : la charge du financement de l'allocation les asphyxiant, ils n'ont pu dégager les marges de manoeuvre financières nécessaires à l'accompagnement et à l'insertion des allocataires. Ainsi sont-ils entrés dans une forme de cercle vicieux : plus un département compte de bénéficiaires du RSA, moins il est à même de les accompagner vers l'emploi.

L'idée d'une recentralisation du RSA est ainsi devenue une antienne entêtante, à mesure que les inégalités territoriales se creusaient en la matière. En 2016 pourtant, l'Assemblée des départements de France (ADF) a rejeté à une large majorité un projet du Gouvernement en ce sens. Le motif était simple : la recentralisation de la compétence se serait accompagnée de la reprise par l'État des ressources départementales correspondantes. Un désaccord sur la date, donc sur le montant de la rétro-compensation due à l'État, a eu raison de ce projet. Tout juste le RSA fut-il recentralisé, entre 2019 et 2020, dans certains départements d'outre-mer, en raison des situations particulières de ces territoires, lesquelles ne peuvent être comparées à la situation des départements métropolitains.

Toutefois, du fait de la crise sanitaire et inflationniste, le département de Seine-Saint-Denis a obtenu du Gouvernement un dispositif expérimental courant de 2022 à 2026 : sous certaines conditions d'éligibilité, l'État reprendrait le financement du RSA dans les départements fragiles, en échange de quoi ces derniers s'engageraient à investir leurs marges de manoeuvre recouvrées dans l'insertion des bénéficiaires du RSA. La Seine-Saint-Denis et les Pyrénées-Orientales s'y sont engagés dès 2022 ; l'Ariège les a rejoints en 2023.

Au total, onze départements étaient éligibles à la recentralisation, mais seuls trois candidatures ont été retenues. Les paramètres de l'expérimentation permettent d'expliquer ce succès mitigé. Tout d'abord, pour les départements souhaitant entrer dans l'expérimentation en 2023, le montant des ressources à rétrocéder à l'État était plus élevé que pour ceux entrés en 2022, du fait de l'augmentation du nombre de bénéficiaires du RSA causée par les crises sanitaire et inflationniste. Ensuite, le choix de l'État de reprendre une partie des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) pour financer le RSA a pu dissuader plusieurs départements, ces recettes étant dynamiques, avec une tendance haussière. Enfin, nous regrettons que la Guadeloupe n'ait pu participer, pour des raisons essentiellement techniques. Il revient au Gouvernement d'aplanir ces difficultés afin de permettre une éventuelle recentralisation dans ce département.

Cela étant, si les paramètres de l'expérimentation sont bien à l'origine d'un faible engouement des départements pour la recentralisation du RSA, il nous semble que son succès doit être mesuré à l'aune d'autres critères. Je laisse à Éric Bocquet le soin de vous les exposer.

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Avant d'évaluer le succès ou l'échec de l'expérimentation, j'insiste sur le fait que la prudence est de mise. Arnaud Bazin vous a signalé que l'expérimentation courait de 2022 à 2026 ; il n'est bien sûr pas question, à la mi-2024, de prétendre porter un jugement définitif sur un dispositif qui peut encore évoluer. Il nous paraît simplement utile de proposer, alors que l'expérimentation est pour ainsi dire au milieu du gué, une évaluation à mi-parcours.

Ces précisions étant apportées, il nous semble que le succès de l'expérimentation doit être jaugé à l'aune de ses effets, d'une part, sur les finances départementales et, d'autre part, sur les allocataires du RSA bénéficiant des nouvelles politiques d'insertion mises en oeuvre dans le cadre de la recentralisation.

Selon les données disponibles à ce jour, les trois départements participants semblent, à mi-parcours, sortir gagnants de l'expérimentation : les dépenses de RSA recentralisées sont supérieures aux ressources reprises par l'État en compensation, dégageant des gains nets, en 2023, de 43,8 millions d'euros en Seine-Saint-Denis, de 21,6 millions d'euros dans les Pyrénées-Orientales et de 2,8 millions d'euros en Ariège.

Pour l'État, le coût de la recentralisation peut paraître important au regard des crédits inscrits en dépenses au titre de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » : 690,2 millions d'euros en 2022 et 746,8 millions d'euros en 2023. Toutefois, en tenant compte des reprises de recettes réalisées en vertu du droit à compensation, le coût net de la recentralisation pour l'État paraît très bien maîtrisé : 35 millions d'euros en 2022 et 68 millions d'euros en 2023. Il semble donc qu'à ce stade la recentralisation ait mis fin à l'asphyxie budgétaire des départements à un coût modéré pour l'État.

En outre, bien qu'elle ait pu dissuader certains départements de se porter candidats à l'expérimentation, la reprise d'une fraction dynamique de DMTO par l'État a conduit à partager l'aléa lié à cette recette volatile : l'État subit également la baisse actuelle des DMTO, partiellement à la place des départements expérimentateurs. L'effet de ciseau tant dénoncé par les départements se trouve ainsi atténué par la recentralisation. Sur son volet financier, l'expérimentation semble donc avoir atteint son objectif.

Je passe rapidement sur la gestion du RSA pendant l'expérimentation. Si cette compétence revient à l'État dans le cadre de la recentralisation, celui-ci l'a délégué aux caisses de protection sociale, à savoir les caisses d'allocations familiales (CAF) et les caisses de la mutualité sociale agricole (MSA), comme de nombreux départements le font en droit commun. Il semble que cette organisation, imposant peu de changements pour les bénéficiaires, ait cependant permis d'harmoniser certaines pratiques administratives qui, en l'absence de recentralisation, tendent à varier selon les départements.

J'en viens à l'apport crucial de cette expérimentation : son effet sur les politiques d'insertion et d'accompagnement mises en oeuvre par les départements en faveur des bénéficiaires du RSA.

Chaque département expérimentateur a signé avec l'État une convention par laquelle il s'engage à renforcer ses politiques en la matière. Ce renforcement intervient dès la phase d'orientation, car il revient aux départements d'accompagner les nouveaux bénéficiaires du RSA vers une structure d'insertion adaptée à leurs besoins. Plus l'orientation est rapide et pertinente, plus le parcours de l'allocataire sera fluide et son accompagnement adapté.

Les départements expérimentateurs se sont ainsi engagés à réduire les délais d'orientation : la Seine-Saint-Denis a misé sur un procédé d'orientation algorithmique à la rapidité éprouvée et les Pyrénées-Orientales ont mis en place, à la fin de 2023, une plateforme téléphonique dont les premiers résultats sont encourageants. Dans ce dernier département, les délais d'orientation ont ainsi été réduits de moitié depuis 2018. En Ariège, 55 % des nouveaux allocataires sont orientés en moins d'un mois. En Seine-Saint-Denis, les réorientations se développent, témoignant du souci du département d'adapter l'orientation aux besoins des bénéficiaires au fur et à mesure de leur parcours.

Les départements expérimentateurs ont également consacré des moyens croissants aux politiques d'insertion. Ainsi, en Seine-Saint-Denis, les crédits départementaux d'insertion ont été doublés en deux ans, de même que les effectifs de référents insertion. Une hausse comparable est observée dans les Pyrénées-Orientales, où les crédits d'insertion sont passés de 8 à 13 millions d'euros et où le nombre de conseillers d'insertion a triplé.

Les partenariats territoriaux avec Pôle emploi, devenu France Travail, ont également été renforcés, favorisant la montée en puissance d'un « accompagnement global » conduit conjointement par le département et le service public de l'emploi. Dans les Pyrénées-Orientales, la montée en charge de ce mode d'accompagnement est particulièrement ambitieuse : le nombre de bénéficiaires du RSA concernés doit passer de 700 à 2 100 personnes par an au terme de l'expérimentation.

L'écosystème d'accompagnement a également fait l'objet d'évolutions, voire de profondes transformations. En Ariège, où les solutions d'accompagnement étaient déjà très variées, la recentralisation permet d'expérimenter de nouvelles actions, comme la mise en place d'un outil dit « Job-Data » connectant des employeurs et des bénéficiaires du RSA. C'est sans doute dans le département de Seine-Saint-Denis que la politique locale d'insertion a été le plus profondément transformée, avec la mise en place des agences locales d'insertion (ALI), qui ont vocation à offrir un accompagnement socio-professionnel largement appuyé sur les structures d'insertion par l'activité économique (SIAE).

S'il est encore trop tôt pour se prononcer sur les résultats de ces nouvelles politiques d'insertion, les dynamiques sont assurément encourageantes. Les départements expérimentateurs comme les administrations de l'État les jugent plutôt prometteuses.

M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - J'en viens à présent aux recommandations de notre rapport.

S'agissant d'une évaluation à mi-parcours, nous nous sommes gardés d'en formuler un trop grand nombre, afin de ne pas préempter les résultats finaux de l'expérimentation.

Premièrement, nous préconisons que le département de la Guadeloupe, qui s'était porté candidat à l'expérimentation, mais n'a pas été retenu, puisse bénéficier de la recentralisation à l'avenir, s'il le souhaite toujours.

Deuxièmement, pour la suite de l'expérimentation, nous appelons l'attention sur certains facteurs d'incertitude politique, comme les effets de la loi pour le plein emploi. Ce texte a assez profondément réformé les « droits et devoirs » associés au RSA, notamment le régime des sanctions ou les obligations d'activité - je pense en particulier aux quinze heures par semaine. N'oublions pas non plus la suppression, annoncée par le Premier ministre précédent, de l'allocation de solidarité spécifique (ASS), due aux chômeurs en fin de droits. Cette mesure aurait pour effet d'augmenter le nombre de bénéficiaires du RSA. En résulterait un important transfert de charges de l'État vers les départements. En tout état de cause, nous souhaitons que ces incertitudes ne pèsent pas sur l'expérimentation. De plus, nous recommandons de surseoir à la suppression de l'ASS ou, à défaut, de prévoir une compensation juste et progressive aux départements des nouvelles entrées dans le RSA dues à cette mesure.

Troisièmement, il nous semble que le recours à une expérimentation pour réaliser une recentralisation « à la carte » du RSA a constitué, pour le gouvernement d'alors, un artifice juridique permettant d'appliquer un droit dérogatoire à une partie du territoire sans que le minimum de méthode scientifique requis pour une expérimentation ait été prévu. À cet égard, il est révélateur que le principe d'une évaluation de l'expérimentation ait été ajouté sur l'initiative du Conseil d'État, et non du Gouvernement. En conséquence, nous recommandons de prévoir une évaluation alliant deux démarches : d'une part, une évaluation continue, dans chaque département, permettant le suivi de l'expérimentation et des « sorties positives » des dispositifs d'insertion ; de l'autre, une évaluation au terme de l'expérimentation, comparant les résultats d'accès à l'emploi des bénéficiaires du RSA dans les départements expérimentateurs et dans la France entière. Ce travail serait mené par un évaluateur indépendant.

Quatrièmement, il nous a paru pertinent de considérer quels pourraient être les options à l'issue de l'expérimentation.

L'option privilégiée par les départements expérimentateurs, c'est-à-dire la pérennisation de la recentralisation sur une partie seulement du territoire métropolitain, serait probablement impossible sans révision de la Constitution. Dès lors, outre la prorogation de l'expérimentation, les seules options praticables sont l'abandon ou la généralisation de la recentralisation.

Il nous a semblé utile de formuler trois principes cardinaux - un pour chaque cas de figure - ce qui constitue en quelque sorte notre quatrième recommandation. Si l'on décidait de prolonger l'expérimentation, ce choix devrait être justifié du point de vue de la démarche expérimentale. Il ne doit pas être une manière de repousser une décision inévitable. Si l'on décidait de généraliser la recentralisation, il conviendrait d'avoir au préalable obtenu l'accord des départements de France. Si l'on décidait de procéder à une « re-décentralisation », ce qui serait tout à fait inédit, il conviendrait de s'assurer a minima que les ressources transférées aux départements expérimentateurs ne soient pas inférieures au niveau des ressources reprises par l'État en 2022.

Dans ce dernier cas de figure, nous recommandons d'engager une réflexion quant aux modalités d'accompagnement financier des départements expérimentateurs lors de leur retour au droit commun. Pour éviter d'aggraver les charges de l'État à l'heure où le déficit est un grave sujet d'inquiétude, la mobilisation de dispositifs de péréquation, comme le fonds de mobilisation départementale pour l'insertion (FMDI), serait particulièrement pertinente.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Votre rapport nous rajeunit en évoquant un « bilan globalement positif » car certains d'entre nous n'étaient pas nés quand, en 1979, a été prononcée cette formule devenue célèbre. Peut-être la doit-on aujourd'hui à l'un de nos deux rapporteurs spéciaux...

Nous, élus locaux, sommes bien sûr favorables à la décentralisation, pour des raisons nombreuses et pleinement fondées. Mais les collectivités territoriales doivent, comme les autres acteurs, faire preuve de cohérence : si un transfert de compétences se révèle financièrement désavantageux, est-il pour autant injustifié ? Certains départements peuvent ainsi soutenir la décentralisation du RSA au motif que, même si elle leur coûte cher, elle offre de meilleurs résultats : dès lors qu'ils contrôlent mieux l'ensemble de la chaîne, ils oeuvrent plus efficacement pour l'obtention de qualifications et le retour vers l'emploi. Avez-vous entendu des témoignages en ce sens ?

M. Stéphane Sautarel. - Merci à nos deux rapporteurs spéciaux, dont j'approuve l'essentiel des préconisations.

Je tiens à revenir sur l'une d'entre elles. Vous proposez de renforcer la capacité de péréquation du FDMI. Ce fonds, d'un peu moins de 500 millions d'euros, est actuellement composé de trois parts, dont une seule est dédiée à la péréquation, les deux autres étant orientées vers la compensation, d'une part, et vers le soutien à l'effort d'insertion, d'autre part. De quelle manière doit-on procéder concrètement ? Quel serait l'objectif de ce FMDI réformé ? Quel serait, selon vous, le meilleur critère de répartition des crédits au sein du FDMI et quelle devrait en être l'architecture ?

M. Thierry Cozic. - À mon tour, je remercie nos rapporteurs spéciaux de la qualité de leur travail.

Globalement, les départements tirent bénéfice de cette expérimentation, dont le coût pour l'État reste finalement assez réduit. Néanmoins, en faisant ce choix, ne cherche-t-on pas à dévitaliser les départements, à les priver de leurs compétences pour mieux les supprimer à terme ? La prochaine étape n'est-elle pas la recentralisation des politiques d'insertion ?

Mme Isabelle Briquet. - Le succès de cette expérimentation tient clairement à l'accompagnement spécifique déployé par les départements. Or, en l'état actuel des finances départementales, on est en droit de s'inquiéter pour l'avenir.

Pouvez-vous nous préciser pourquoi, selon vous, la recentralisation pérenne du RSA est impossible sans généralisation à l'ensemble du territoire ?

M. Grégory Blanc. - Je voterai bien sûr ces recommandations. Toutefois, en matière de décentralisation, il faut aussi poser la question des recettes, tout spécialement pour les départements. On leur a transféré des compétences sociales avec des recettes assises essentiellement sur l'immobilier et, dans une moindre mesure, sur la TVA. En vertu de la loi de finances pour 2014, le gouvernement Ayrault leur a donné une petite liberté de taux, afin qu'ils disposent d'un peu de souplesse ; mais, aujourd'hui, presque tous les départements sont au maximum.

Nous sommes bel et bien face à un problème d'adéquation entre les recettes et les compétences confiées. Il faut traiter cette question, faute de quoi la décentralisation des compétences sociales sera condamnée à l'échec et il faudra recentraliser en bloc.

M. Michel Canévet. - Je tiens moi aussi à remercier nos rapporteurs spéciaux des éléments d'analyse qu'ils nous ont communiqués.

Étant résolument pour la décentralisation, je ne puis que déplorer les mouvements de recentralisation. Faut-il en déduire que les élus des départements concernés n'ont pas réellement traité la problématique à laquelle ils devaient faire face, en réduisant le nombre de bénéficiaires du RSA ? C'est précisément ce que fait le département du Finistère : il s'est donné pour objectif de réduire de 1 000 par an le nombre de bénéficiaires du RSA afin de recouvrer des marges de manoeuvre, et il y arrive.

M. Vincent Delahaye. - Vive le Finistère !

M. Michel Canévet. - En ce sens, le rapport gagnerait à étudier précisément l'évolution du nombre de bénéficiaires du RSA par département. N'oublions pas que l'enjeu, in fine, c'est la réinsertion.

M. Jean-Marie Mizzon. - Cette expérimentation place notre pays dans un système dual. Dans certains cas, le RSA relève des départements ; dans d'autres, sa gestion est renationalisée. Ne sommes-nous pas, en l'occurrence, dans une logique de différenciation ? Il s'agit là d'une autre grille de lecture.

En outre, avez-vous observé, à la faveur de ce travail, des différences dans les taux de recours ou de non-recours au RSA ?

M. Vincent Capo-Canellas. - Nos deux rapporteurs spéciaux se sont assez largement appuyés sur l'expérience de la Seine-Saint-Denis, où, entre 2018 et 2023, le nombre de réorientations a été multiplié par sept. La réorientation de la stratégie d'insertion a certes fait l'objet de débats, mais le dialogue avec l'État a permis de poser l'équation et d'aboutir au doublement des crédits d'insertion. C'est un acquis indéniable.

L'approche globale est à l'évidence la meilleure voie d'insertion pour des publics souvent très à l'écart du monde du travail et qui risquent parfois d'être désocialisés, quand ils ne le sont pas déjà. Il s'agit là d'un enjeu majeur, que nos rapporteurs spéciaux soulignent avec raison.

M. Pascal Savoldelli. - Merci à nos rapporteurs du travail qu'ils ont accompli et de la prudence qu'ils manifestent : on ne peut pas ignorer qu'en parallèle dix-huit, puis vingt-neuf départements ont mis en place la règle des quinze heures de travail pour l'obtention du RSA. Cette expérimentation est d'une tout autre ampleur.

Pour en revenir aux trois départements dont nous traitons aujourd'hui, je ne suis pas sûr que l'autocontrôle - car les départements et les administrations qui mettent en oeuvre l'expérimentation vont eux-mêmes l'évaluer - soit la meilleure méthode : de fait, il est rare que l'on se désavoue.

Enfin, à titre personnel, je souhaiterais ajouter un quatrième principe cardinal aux trois principes énoncés. On parle beaucoup de l'offre de travail, mais il ne faut pas pour autant occulter la demande. Derrière les chiffres, il y a des femmes et des hommes.

J'y insiste, en la matière, il faut faire preuve de prudence. J'opterai donc pour une abstention constructive et « globalement positive »...

M. Claude Raynal, président. - Il y a quelque temps, la Cour des comptes avait relevé que le recours aux DMTO n'était pas le meilleur moyen de financer les départements à long terme ; j'avais moi-même adressé cette observation à l'ADF, sans grand succès. Certains départements, aujourd'hui, font mine de s'en apercevoir... Il faut trouver des solutions, mais, pour ce qui est de la gestion du RSA, la situation actuelle est nécessairement temporaire : si les trois départements en question doivent revenir en arrière, ce sera douloureux pour eux.

L'enjeu, comme le souligne M. Blanc, c'est effectivement de trouver les bons équilibres pour le financement des départements. On ne peut pas continuer à financer les politiques sociales avec des ressources si disparates d'une année sur l'autre. Il va falloir trouver une formule permettant aux départements d'assumer à la fois leurs charges financières et leurs obligations.

Ce rapport, nécessairement prudent, a donc tout son intérêt. Il faut distinguer beaucoup plus clairement, d'une part, ce qui est indispensable et doit en conséquence être couvert par des recettes pérennes et, de l'autre, ce qui est moins impératif et relève de recettes un peu plus aléatoires. Le débat est devant nous.

M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Monsieur le rapporteur général, les départements expérimentateurs sont plutôt favorables à la recentralisation. Ils insistent avant tout sur le contexte de non-maîtrise de la dépense, dont la fixation relève de l'État. Aux augmentations automatiques, qui suivent le coût de la vie, s'est ainsi ajoutée une hausse de 10 % sous le quinquennat de François Hollande, à laquelle les départements ont dû faire face sans que des recettes particulières leur soient allouées. Ils ont simplement été autorisés à augmenter les DMTO d'une fraction de point.

C'est ce contexte qu'il faut prendre en compte. En outre, les départements qui ont manifesté leur intérêt pour cette expérimentation sont placés dans une situation financière singulière : la dépense était en train de leur échapper et de mettre en péril leur équilibre budgétaire, quand ce n'était pas déjà fait.

Monsieur Sautarel, l'architecture du FMDI a été critiquée il y a longtemps déjà par la Cour des comptes. Tout d'abord, la fraction de compensation n'est pas assez fléchée vers les départements qui en ont le plus besoin. Ensuite, l'efficacité de la fraction d'insertion, censée inciter les départements à développer l'insertion des bénéficiaires du RSA, n'est pas avérée. Enfin, la fraction de péréquation que nous proposons de renforcer ne représente pas des montants suffisants pour être efficace - elle couvre, à l'heure actuelle, à peine le tiers de l'ensemble. Nous n'avons pas étudié plus en détail cette question, qui ne relève pas directement de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », mais il paraîtrait possible de recentrer le FMDI sur sa mission de péréquation. Les critères de répartition de ce fonds pourraient s'apparenter aux critères d'éligibilité retenus pour l'expérimentation : le reste à charge de RSA par habitant, la proportion de bénéficiaires du RSA dans la population et le revenu par habitant. C'est le sens de la proposition que nous avons émise.

Monsieur Cozic, le risque de dévitalisation des conseils départementaux et de détricotage de leurs compétences est perpétuellement à l'esprit des présidents de département. Nombre d'entre eux ont d'ailleurs refusé pour ces raisons de s'engager dans la voie de la recentralisation du RSA. Ceux qui sont entrés dans l'expérimentation y ont été contraints par leur situation budgétaire.

Avant la décentralisation de cette compétence, l'allocation était versée par l'État, et les départements devaient consacrer 20 %, puis 17 % des dépenses d'allocation au financement de l'insertion - les montants non dépensés au titre de l'insertion étant repris par l'État. Ce système, inflationniste, était donc lui aussi assez peu satisfaisant.

Monsieur Canévet, dans les départements expérimentateurs, les dépenses d'allocation étaient si élevées que les élus n'ont pas eu de marges de manoeuvre pour investir dans l'insertion. De plus, dans les périodes économiquement défavorables, les dépenses d'insertion sont assez peu efficaces, tout simplement parce qu'il y a très peu d'offre sur le marché du travail et que, malheureusement, les bénéficiaires du RSA restent les derniers servis. Pour que les efforts d'insertion puissent porter leurs fruits, il faut à la fois un contexte économique favorable et des dépenses clairement ciblées.

Monsieur Blanc, la question des recettes est essentiellement du ressort de M. le rapporteur général, mais, à l'évidence, la fiscalité locale est aujourd'hui un vrai sujet. Face aux sujets d'urgence, les collectivités territoriales n'ont plus de levier fiscal pour traiter des sujets d'urgence. En effet, ils ne peuvent plus recourir à la taxe foncière, quoi que l'on pense de ce levier. Or la part des dépenses sociales a considérablement crû dans les budgets des départements. Les communes socialement défavorisées font face aux mêmes problèmes.

Enfin, comme vous le soulignez monsieur le président, le retour en arrière serait très difficile pour les départements expérimentateurs. Il serait très compliqué de généraliser la recentralisation contre la volonté des départements ; l'arrêt de l'expérimentation serait tout aussi difficile et replongerait les départements concernés dans les difficultés dont ils commencent à sortir ; sa prolongation est envisageable, mais in fine il faudra trancher.

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Le risque de recentralisation rampante nous a conduits à demander une évaluation robuste et indépendante au terme de l'expérimentation, qui n'en est encore qu'à ses débuts. C'est indispensable, car cette recentralisation ne doit pas être un prétexte à tout recentraliser. Les présidents de département sont conscients de ce danger et ils font preuve de vigilance.

Madame Briquet, en matière de différenciation territoriale, la jurisprudence constitutionnelle considère que le législateur peut déroger au droit commun, mais seulement dans de strictes conditions, que nous détaillons dans notre rapport.

À cadre constitutionnel constant, l'article 72 de la Constitution implique que les collectivités territoriales d'une même catégorie aient les mêmes compétences. S'il est possible d'appliquer un droit dérogatoire en outre-mer, où le RSA est déjà recentralisé de manière définitive dans certains départements, c'est parce que les collectivités territoriales en question relèvent de l'article 73 de la Constitution, en vertu duquel la loi peut y faire l'objet d'adaptations.

En outre, une telle recentralisation définitive qui ne serait pas généralisée à l'ensemble du territoire aboutirait à traiter différemment des territoires placés dans des situations similaires : dans les départements de la Somme et de l'Aisne, tous deux situés dans les Hauts-de-France, la proportion de bénéficiaires du RSA dans la population est peu ou prou la même. Or l'un des deux départements pourrait se voir appliquer la recentralisation et l'autre la décentralisation.

Enfin, la frontière entre collectivités territoriales de l'article 72 et collectivités d'outre-mer s'en trouverait atténuée.

Pour l'ensemble de ces raisons, une recentralisation définitive portant sur une seule partie du territoire métropolitain risquerait fort d'être censurée.

Monsieur Mizzon, le taux de non-recours est par définition difficile à évaluer. Toujours est-il que certains départements agissent pour contrer ce phénomène. Le département de Seine-Saint-Denis expérimente ainsi, avec la ville de Saint-Denis, une opération intitulée « territoire zéro non-recours ». C'est là un outil parmi d'autres.

Enfin, monsieur Savoldelli, vous avez raison de rappeler le dispositif des quinze heures de travail, expérimenté par de nombreux départements. Ce dispositif est censé offrir aux bénéficiaires du RSA un moyen de s'engager, de s'insérer et d'être accompagnés ; il faut en revanche éviter l'écueil de la stigmatisation des allocataires par une forme de « travail forcé ».

L'enjeu est aussi la capacité de France Travail et des départements à encadrer et à accompagner ces allocataires quinze heures par semaine. Il n'est pas sûr qu'un accompagnement si intensif puisse être assuré : c'est aussi une question budgétaire. Paradoxalement, les départements expérimentateurs seront peut-être les mieux placés, grâce aux marges de manoeuvre qu'ils auront ainsi, normalement, recouvrées.

La commission a adopté les recommandations des rapporteurs spéciaux et a autorisé la publication de leur communication sous la forme d'un rapport d'information.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
ET DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Direction générale de la cohésion sociale (DGCS)

- M. Jean-Benoît DUJOL, directeur général de la cohésion sociale ;

- Mme Caroline LEFEBVRE, adjointe au bureau des minimas sociaux.

Direction générale des collectivités locales (DGCL)

- M. Thomas FAUCONNIER, sous-directeur des finances locales et de l'action économique ;

- M. Thomas MONTBABUT, chef de bureau du financement des transferts de compétences.

Conseil départemental de l'Ariège

- Mme Christine TEQUI, présidente ;

- M. Francis DEJEAN, directeur général des services ;

- Mme Christine SÉVERIN, directrice de la solidarité départementale.

Conseil départemental des Pyrénées-Orientales

- Mme Hermeline MALHERBE, présidente ;

- M. Jérémie LE FOUILLER, directeur général des services ;

- M. Bernard LE FLOC'H, directeur général adjoint des solidarités.

Conseil départemental de Seine-Saint-Denis

- M. Stéphane TROUSSEL, président ;

- M. Olivier VEBER, directeur général des services ;

- M. Stéphane CORBIN, directeur général adjoint des solidarités.

Contribution écrite

Assemblée des Départements de France (ADF).

TABLEAU DE MISE EN oeUVRE ET DE SUIVI (TEMIS)

N° de la proposition

Proposition

Acteurs concernés

Calendrier prévisionnel

Support

1

Poursuivre les discussions avec le département de la Guadeloupe afin de trouver une solution technique et juridique lui permettant, s'il le souhaite toujours, de bénéficier de la recentralisation du RSA sur le fondement de l'article 73 de la Constitution

DGCS, DGCL, CNAF, département de Guadeloupe

Dès que possible

Loi ordinaire et loi de finances

2

Surseoir à la suppression de l'ASS jusqu'au terme de l'expérimentation ou, à défaut, compenser aux départements l'accroissement de charges induit par le report des bénéficiaires de l'ASS vers le RSA

Gouvernement, DGEFP, DGCL

Jusqu'à fin 2026

Éventuellement, loi de finances

3

Mener une évaluation rigoureuse de l'expérimentation selon une approche au niveau « micro », menée en continu par les administrations compétentes de l'État et des départements et fondée sur les données relatives aux « sorties positives » des dispositifs d'insertion départementaux

DGCS, DGEFP, départements concernés

En continu

Rapports annuels prévus par les conventions

Mener une évaluation rigoureuse de l'expérimentation selon une approche au niveau « macro », menée au terme de l'expérimentation par un évaluateur indépendant et fondée sur la comparaison de données départementales avec des données nationales sur le retour à l'emploi des bénéficiaires du RSA

Évaluateur indépendant

Second semestre 2026

Rapport d'évaluation final prévue par le loi 3DS

4

Ne prolonger l'expérimentation que si cette prolongation est justifiée du point de vue de la démarche expérimentale, en permettant le cas échéant la participation de nouveaux départements selon les critères d'éligibilités actuels

Gouvernement

1er janvier 2027

Loi de finances

Obtenir l'accord de l'assemblée générale des départements de France préalablement à tout projet de recentralisation du RSA sur tout le territoire

Gouvernement

1er janvier 2027

Négociations, loi ordinaire et loi de finances

En cas de potentielle « re-décentralisation », assurer aux départements expérimentateurs un niveau de ressources compensatrice au moins égal au niveau des ressources reprises par l'État au début de l'expérimentation

Gouvernement

1er janvier 2027

Loi de finances

5

Pour prévenir les effets d'une potentielle « re-décentralisation » inédite, engager dès à présent une réflexion sur les moyens d'atténuer au mieux les difficultés des départements les plus fragiles, par exemple en réformant des dispositifs de péréquation tels que le FMDI

DGCL, Parlement

Avant 2027

Rapport d'évaluation final
Rapport parlementaire


* 1 Le RSA n'a été institué dans les départements et certaines collectivités d'outre-mer que plus tardivement, à compter de 2011.

* 2 Loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion.

* 3 Article L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles.

* 4 Le RSA peut également bénéficier aux personnes de moins de 25 ans dès lors qu'ils assument la charge d'enfants né ou à naître ou qu'ils sont « jeunes actifs « (ayant travaillé deux années au cours des trois dernières années).

* 5 Loi n° 2003-1200 du 18 décembre 2003 portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité.

* 6 Article 72, alinéa 2 de la Constitution.

* 7 Cour des comptes, Le revenu de solidarité active, janvier 2022.

* 8 Cour des comptes, Le revenu de solidarité active, janvier 2022.

* 9 Article L. 3334-16-2 du code général des collectivités territoriales.

* 10 Conseil constitutionnel, décision n° 2011-142/145 QPC du 30 juin 2011, Départements de la Seine-Saint-Denis et autres.

* 11 Ibid.

* 12 Conseil d'État, 21 février 2018, Département du Calvados, n° 409286.

* 13 Article L. 1614-2 du code général des collectivités territoriales.

* 14 Loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014.

* 15 Institué par l'article 42 de la loi de finances initiale pour 2014 et codifié à l'article L. 3334-16-3 du code général des collectivités territoriales.

* 16 Rapport sur la situation des finances publiques locales annexé au projet de loi de finances pour 2024.

* 17 Institué par l'article 77 de la loi de finances initiale pour 2014.

* 18 En effet, les départements se sont trouvés en capacité de fixer un taux pouvant s'établir, au maximum, à 4,5 % contre 3,8 % auparavant.

* 19 Rapport sur la situation des finances publiques locales annexé au projet de loi de finances pour 2024.

* 20 Rapport sur la situation des finances publiques locales annexé au projet de loi de finances pour 2024.

* 21 La Gazette des communes, « Les départements se prononcent contre la recentralisation du RSA », 23 juin 2016.

* 22 Ibid.

* 23 Drees, Minima sociaux et prestations sociales, Édition 2023, septembre 2023.

* 24 Stéphane Troussel, «  RSA : la recentralisation de son financement expérimenté en Seine-Saint-Denis », Fondation Jean Jaurès, décembre 2022.

* 25 La Gazette des communes, « Ces départements qui ne veulent plus du RSA », 11 février 2022.

* 26 Cour des comptes, « Le revenu de solidarité active », janvier 2022.

* 27 Réponse au questionnaire des rapporteurs spéciaux.

* 28  Article 43 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022.

* 29 Loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale.

* 30 Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

* 31 Décision n° 2019-796 DC du 27 décembre 2019, Loi de finances pour 2020.

* 32 Article 81 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019.

* 33 Article 77 de la loi de finances n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 34 Voir notamment l'étude du Conseil d'État, « Les expérimentations : comment innover dans la conduite des politiques publiques ? », octobre 2019.

* 35 Décret n° 2022-1358 du 26 octobre 2022 relatif aux critères d'éligibilité des départements à l'expérimentation relative à la gestion du revenu de solidarité active.

* 36 Décret n° 2022-1358 du 26 octobre 2022 relatif aux critères d'éligibilité des départements à l'expérimentation relative à la gestion du revenu de solidarité active.

* 37 Rapport général n° 163 (2021-2022) fait par M. Jean-François Husson, au nom de la commission des finances du Sénat, sur le projet de loi de finances pour 2022, tome II. Se reporter au commentaire de l'article 12.

* 38 Amendement n° 586 du Gouvernement, déposé le 8 décembre 2021 (nouvelle lecture).

* 39 M. Stéphane Troussel, «  RSA : la recentralisation de son financement expérimenté en Seine-Saint-Denis », Fondation Jean Jaurès, décembre 2022.

* 40 Rapport général n° 163 (2021-2022) fait par M. Jean-François Husson, au nom de la commission des finances du Sénat, sur le projet de loi de finances pour 2022, tome II. Se reporter au commentaire de l'article 12.

* 41 Projet annuel de performances, mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », annexé au projet de loi de finances pour 2023.

* 42 Décret n° 2022-322 du 4 mars 2022 relatif à la liste des départements retenus pour participer à l'expérimentation prévue par l'article 43 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022.

* 43 Décret n° 2022-1628 du 23 décembre 2022 relatif à la liste des départements retenus pour participer à l'expérimentation prévue par l'article 43 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 au 1er janvier 2023.

* 44 La Gazette des communes, « Ces départements qui ne veulent plus du RSA », 11 février 2022.

* 45 Ibid.

* 46 Les données financières définitives des départements n'étant pas encore disponibles, il n'est pas possible de comparer ces gains financiers pour 2023 aux capacités d'autofinancement de l'année correspondante.

* 47 Premier alinéa du V de l'article 43 de la loi de finances pour 2022.

* 48 Réponse de la DGCS au questionnaire des rapporteurs spéciaux.

* 49 Article L. 3334-16-2 du code général des collectivités territoriales.

* 50 Le détail exact des compétences déléguées est énuméré dans les articles 3 des différentes conventions de gestion signées entre l'État et les caisses.

* 51 Cour des comptes, Le revenu de solidarité active, janvier 2022.

* 52 Le Monde, « Profilage et discriminations : enquête sur les dérives de l'algorithme des caisses d'allocations familiales », Enquête Les Décodeurs, 4 décembre 2023.

* 53 Cour des comptes, Le revenu de solidarité active, janvier 2022.

* 54 Cour des comptes, Le revenu de solidarité active, janvier 2022.

* 55 Convention entre le président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis et le préfet de ce département.

* 56 Convention entre la présidente du conseil départemental des Pyrénées-Orientales et le préfet de ce département.

* 57 Réponse de la DGCS au questionnaire des rapporteurs spéciaux.

* 58 Cour des comptes, Le revenu de solidarité active, janvier 2022.

* 59 Part au 31 décembre de l'année considérée des personnes orientées parmi les personnes soumises aux droits et devoirs.

* 60 Délai moyen entre la date d'entrée dans le RSA et la date de primo-orientation, pour les personnes soumises aux droits et devoirs durant l'année considérée.

* 61 Cour des comptes, Le revenu de solidarité active, janvier 2022.

* 62 Cour des comptes, Le revenu de solidarité active, janvier 2022.

* 63 Cour des comptes, Le revenu de solidarité active - Annexe au cahier territorial - Département de Seine-Saint-Denis, janvier 2022.

* 64 Il s'agissait souvent de centres communaux ou intercommunaux d'action sociale (CCAS ou CIAS).

* 65 Stéphane Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, Fondation Jean Jaurès.

* 66 Cour des comptes, Le revenu de solidarité active, janvier 2022.

* 67 La DGCS a mentionné des « pratiques restrictives du conseil départemental concernant le droit au RSA pour les travailleurs indépendants, auxquelles la recentralisation a mis fin ».

* 68 Rapport général n° 163 (2021-2022) fait par M. Jean-François Husson, au nom de la commission des finances du Sénat, sur le projet de loi de finances pour 2022, tome II. Se reporter au commentaire de l'article 12.

* 69 Amendement n° I-1633 du Gouvernement.

* 70 Voir notamment l'instruction DGCS/SD1C/2022/23 du 1er janvier 2022 relative à la mise en oeuvre de la nouvelle procédure de sanctions dans le cadre de l'expérimentation de recentralisation du revenu de solidarité active (RSA).

* 71 Loi n° 2023-1196 du 18 décembre 2023 pour le plein emploi.

* 72 Rapport n° 801 (2022-2023) fait par Mme Pascale Gruny au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi pour le plein emploi.

* 73 Hervé Rihal, « Le renforcement des devoirs des bénéficiaires du revenu de solidarité active : beaucoup de bruit pour pas grand-chose », Droit social, janvier 2024.

* 74 Hervé Rihal, art. cit.

* 75 ANDASS, Recommandations de l'ANDASS pour la mise en oeuvre de la loi pour le plein emploi en faveur des bénéficiaires du RSA, 15 avril 2024.

* 76 Rapport annuel de performances 2023, mission « Travail et emploi ».

* 77 Le montant forfaitaire du RSA est de 635,71 euros par mois pour une personne seule en 2024.

* 78 IGAS, « Scénarios de réforme de l'allocation de solidarité spécifique (ASS) », juin 2014.

* 79 Denis Anne et Yannick L'Horty, Droits connexes et aides sociales locales : un nouvel état des lieux. Rapport final, mai 2021, cité dans Cour des comptes, Le revenu de solidarité active, janvier 2022.

* 80 Le Monde, « Pourquoi la suppression de l'allocation de solidarité spécifique, censée inciter les chômeurs à retravailler, est critiquée », 13 février 2024.

* 81 La ministre Catherine Vautrin avait annoncé le lundi 3 juin 2023 à l'AFP que la suppression de l'allocation de solidarité spécifique (ASS), n'était « plus un sujet d'actualité immédiate ».

* 82 Conseil d'État, « Les expérimentations : comment innover dans la conduite des politiques publiques ? », octobre 2019.

* 83 Conseil d'État, avis AG, 3 avril 2014, n° 388486.

* 84 Conseil d'État, étude précitée.

* 85 Conseil d'État, avis AG, 6 mai 2021, n° 402412.

* 86 La rubrique « objectifs poursuivis » est sobrement remplie des quelques lignes suivantes : « La mesure proposée permettra aux départements volontaires de ne plus avoir la charge de l'instruction, de l'attribution et du financement du RSA. En contrepartie, ces derniers pourraient mobiliser les moyens ainsi dégagés sur l'orientation et l'accompagnement des bénéficiaires dans le cadre de leur compétence en matière d'insertion. »

* 87 Conseil d'État, étude précitée.

* 88 C'est en tout cas ce qu'a indiqué la direction générale des collectivités territoriales, lors de son audition par les rapporteurs spéciaux.

* 89 Aux termes de l'article L. 842-1 du code de l'action sociale et des familles, « Toute personne résidant en France de manière stable et effective qui perçoit des revenus tirés d'une activité professionnelle a droit à une prime d'activité (...). »

* 90 Loi organique n° 2021-467 du 19 avril 2021 relative à la simplification des expérimentations mises en oeuvre sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution

* 91 Conseil d'État, avis AG, 7 décembre 2017, n° 393651.

* 92 Réponse de l'ADF au questionnaire des rapporteurs spéciaux.

* 93 Voir à ce sujet les développements consacrés à ces thématiques à la fin de la deuxième partie du présent rapport.

* 94 Voir à ce sujet les développements consacrés à l'impact de la réforme de France Travail sur l'expérimentation, au début de la troisième partie du présent rapport.

* 95 Par symétrie avec l'entrée dans l'expérimentation, où le droit à compensation avait été calculé en omettant l'année 2021.

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