III. L'AMBITION DE MENER UNE « POLITIQUE D'INSERTION RADICALEMENT NOUVELLE » DOIT ENCORE SE CONCRÉTISER

A. UNE ATTENTION ACCRUE PORTÉE À L'ORIENTATION DES BÉNÉFICIAIRES DANS LE CADRE DE L'EXPÉRIMENTATION

Une fois leurs droits au RSA ouvert, les bénéficiaires du RSA ont également le droit à un accompagnement dont la vocation est de leur permettre de retrouver un emploi. Ils doivent donc être orientés, par les services du département dans lequel ils résident, vers un organisme d'insertion pour débuter leur accompagnement.

Selon la Cour des comptes, « l'objectif de cette orientation est triple : permettre d'engager l'accompagnement le plus rapidement possible pour l'ensemble des personnes concernées ; proposer la modalité d'accompagnement la plus adaptée à la situation de la personne ; viser prioritairement le retour à l'emploi, comme le précise clairement le code de l'action sociale et des familles.54(*) » Toujours selon la Cour, les trois principaux critères pour apprécier la performance de la phase d'orientation sont donc :

- le pourcentage de personnes effectivement orientées parmi celles qui doivent l'être ;

- le délai d'orientation à partir de l'ouverture de droits au RSA ;

- la qualité de l'orientation proposée, dont dépend la réalité puis la réussite de l'accompagnement.

1. Un renouvellement des procédures et une hausse des moyens pour une meilleure orientation
a) Une action résolue pour améliorer l'orientation des bénéficiaires

Les départements expérimentateurs ont tous profité de la recentralisation du RSA pour revoir leurs procédures d'orientation, afin d'en améliorer l'efficacité. Les départements de Seine-Saint-Denis et des Pyrénées-Orientales ont même pris des engagements en ce sens dans les conventions signées avec l'État au début de l'expérimentation.

Le département de la Seine-Saint-Denis s'est ainsi engagé « à poursuivre ses efforts pour améliorer l'orientation des nouveaux bénéficiaires. Il mettra en oeuvre dès 2022 de nouvelles règles, plus pertinentes, pour la proposition d'orientation, en cohérence avec l'évolution proposée dans la structuration des parcours socio-professionnels55(*) », en particulier s'agissant des publics jeunes et primo-entrants dans le dispositif. De même, le département des Pyrénées-Orientales s'est engagé, « dès la phase d'orientation, à accélérer l'entrée dans un parcours d'accompagnement via un outil numérique dédié56(*) ».

Dans ces deux départements, ces engagements se sont manifestés par une remise à plat des dispositifs d'orientation. Alors qu'en Seine-Saint-Denis l'ancien système apparaissait peu performant du point de vue des services de l'État57(*), un nouveau schéma a été mis en place, impliquant une recomposition du rôle des acteurs locaux. Le président du conseil départemental a ainsi indiqué aux rapporteurs spéciaux avoir fait le choix de privilégier une orientation automatisée grâce à un algorithme, seul les 15 % des cas les plus complexes donnant lieu à un entretien individuel.

Schéma de la procédure d'orientation majoritaire en Seine-Saint-Denis

Note : Agences locales d'insertion (ALI), France Travail (FT), Direction de l'insertion, de l'emploi et de l'économie sociale et solidaire (DIEESS).

Source : réponse du département de Seine-Saint-Denis au questionnaire des rapporteurs spéciaux

Ce choix « reflète la volonté du département de démarrer les parcours le plus rapidement possible » : au vu des volumes d'entrants chaque mois, le fait d'avoir une préconisation d'orientation intervenant très rapidement après l'ouverture des droits permet d'entamer l'accompagnement au plus vite. La Cour des comptes avait en effet relevé58(*) que les départements ayant opté pour une solution d'orientation algorithmique tendaient à avoir des délais d'orientation plus courts et donc des entrées dans l'accompagnement plus rapides que les autres départements. Le cas du département de Seine-Saint-Denis le confirme (cf. infra).

En Seine-Saint-Denis, l'expérimentation a également permis un investissement renouvelé dans la relation usager : depuis début 2024, le département double ses courriers d'orientation de SMS, et le dispositif « RDV insertion », déployé par bêta.gouv pour la prise de rendez-vous dans les services d'accompagnement, est expérimenté dans plusieurs territoires. Si le recul manque pour évaluer l'impact de ce nouveau canal de communication, il est certain qu'il constitue un progrès.

Le département des Pyrénées-Orientales poursuit, depuis la recentralisation du RSA les engagements pris dans sa convention d'appui à la lutte contre la pauvreté et d'accès à l'emploi (CALPAE), signée en 2018 avec l'État dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, en vue de mettre sur pieds une plateforme d'orientation téléphonique, avec pour objectif de réduire les délais d'orientation et d'accélérer le début de l'accompagnement. Cette plateforme, qui doit être contactée par l'allocataire dans les 15 jours suivants l'ouverture de ses droits, est opérationnelle depuis le 2 octobre 2023.

Si le département de l'Ariège n'a pris aucun engagement spécifique à l'orientation dans sa convention avec l'État, il poursuit toutefois son engagement en faveur de l'orientation des bénéficiaires du RSA pris dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté. Afin de réduire les délais d'orientation, le rythme de réunion des « plateformes d'orientation » pour orienter les nouveaux allocataires du RSA a été accéléré depuis 2019 dans le cadre de la CALPAE signée entre l'État et le département.

L'Ariège a également expérimenté de nouvelles modalités d'orientation, telles les « entretiens giratoires » dans le secteur de Foix : lorsque les données sur la situation du bénéficiaire sont insuffisantes, des organismes sont mandatés pour les recevoir afin de mieux évaluer leurs besoins.

b) Des résultats encourageants en matière de taux et de délais d'orientation

Les résultats de l'expérimentation en matière d'orientation semblent encourageants. En Seine-Saint-Denis, l'administration déconcentrée de l'État salue ainsi la qualité des procédures mises en place ainsi que la construction très partenariale du dispositif, et porte un regard optimiste sur les résultats qui en découleront.

Les données relatives aux taux d'orientation59(*) et aux délais d'orientation60(*) semblent en effet permettre un certain optimisme quant à la poursuite de l'expérimentation.

Évolution des taux et délais moyens d'orientation
dans les départements expérimentateurs entre 2018 et 2023

(en jours calendaires et en pourcentage)

   

2018

2019

2020

2021

2022

2023

Évolution depuis 2021*

Seine-Saint-Denis

Taux d'orientation

81 %

85 %

90 %

92 %

93 %

93 %

+ 0,8 %

Délai d'orientation

24

22

45

20

23

19

- 5,0 %

Pyrénées-Orientales

Taux d'orientation

76 %

75 %

83 %

85 %

83 %

81 %

- 4,7 %

Délai d'orientation

102

118

107

65

55

67

+ 3,1 %

Ariège

Taux d'orientation

83 %

97 %

90 %

90 %

86 %

96 %

+ 6,7 %

Délai d'orientation

60

68

54

57

68

-

+ 19,3 %

Moyenne nationale

Taux d'orientation

82 %

82 %

82 %

84 %

84 %

-

+ 0,7 %

Délai d'orientation

108

103

103

93

88

-

- 5,2 %

* L'évolution du délai d'orientation en Ariège est mesurée en 2022 par rapport à 2021. Il en va de même de l'évolution des taux et délais d'orientation moyens nationaux, fautes de données de l'enquête OARSA pour 2023.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par les départements expérimentateurs et l'enquête OARSA

Le taux d'orientation est sans doute le critère le plus important, puisque sans orientation un allocataire ne peut bénéficier de l'accompagnement auquel la loi lui donne droit. En 2022, la Cour des comptes s'était alarmée du pourcentage non négligeable d'allocataires durablement sans orientation61(*). Le délai moyen d'orientation permet quant à lui d'appréhender la rapidité de l'entrée dans l'accompagnement.

En Seine-Saint-Denis, le taux d'orientation a légèrement augmenté depuis la mise en oeuvre de l'expérimentation (+ 0,8 %), mais il était déjà élevé (92 %). Surtout, les délais d'orientation déjà très courts permis par l'orientation algorithmique ont été encore écourtés depuis 2021 (- 5 %), les rendant quasiment frictionnels.

Si les indicateurs incitent à plus de prudence s'agissant des Pyrénée-Orientales, ils ne suscitent aucune inquiétude particulière, la diminution du taux d'orientation (- 4,7 %) et l'augmentation des délais d'orientation (+ 3,1 %) étant vraisemblablement dues à la hausse continue du nombre des bénéficiaires du RSA dans le département depuis la mise en oeuvre de l'expérimentation (+ 6,9 %), qui est la plus importante parmi les départements expérimentateurs.

En outre, ces chiffres ne tiennent pas compte de la mise en place de la plateforme d'orientation téléphonique, qui n'a été opérationnelle que durant les trois derniers mois de l'année 2023. Or le département comme la DGCS sont optimistes à ce sujet : le premier a indiqué que cette plateforme avait « permis d'optimiser le taux d'orientation des nouveaux entrants dans un premier temps et va contribuer à terme à orienter le « stock » d'allocataires non orientés (de l'ordre de 20%) » tandis que la seconde a fait savoir qu'en moyenne sur les trois derniers mois de l'année 2023, 90 % des bénéficiaires du RSA étaient orientés par le biais de la plateforme téléphonique, avec des délais très satisfaisants : le délai moyen d'orientation par téléphone est de 16 jours et 18 jours s'écoulent en moyenne entre l'orientation et le premier rendez-vous d'accompagnement.

Enfin, selon le conseil départemental de l'Ariège, la part des nouveaux bénéficiaires du RSA orientés dans un délai de moins d'un mois est passé de 0 % en 2018 à 55 % en 2022, dans le cadre de la montée en charge des plateformes d'orientation. Le taux d'orientation a lui connu une augmentation dont on peut se réjouir (+ 6,7 %).

Ainsi, même dans les cas où des évolutions défavorables des taux et des délais moyens d'orientation peuvent être observées entre 2021 et 2023, ces constats doivent être nuancés : de telles évolutions peuvent résulter des flux de nouveaux bénéficiaires - particulièrement importants dans les départements expérimentateurs - et les effets les plus positifs de l'expérimentation sont encore à venir.

Sur une période un peu plus longue (2018-2023), les taux et les délais d'orientation s'améliorent continuellement.

2. Une amélioration de la pertinence de l'orientation par la réorientation ?

La pertinence de l'orientation est difficile à évaluer à l'aide d'indicateurs quantitatifs. Il est toutefois possible de donner à voir les cas dans lesquels l'orientation est rectifiée afin de mieux l'adapter à la situation et aux besoins de l'allocataire. Or il semble que, au moins dans le cas d'un département, l'expérimentation ait donné lieu à des pratiques d'orientation assouplies et moins cloisonnées.

Si le nombre de décisions de réorientation est stable en Ariège (865 en 2023 contre 820 en 2022) et si le taux de réorientation est globalement stable dans les Pyrénées-Orientales (2,6 % en 2023 contre 3,4 % en 2022), on constate une très forte montée en puissance des décisions de réorientation dans le département de Seine-Saint-Denis : alors qu'elles ne représentaient que 3,4 % des décisions d'orientation en 2021, les décisions de réorientation en représentent désormais 18,9 %, soit une hausse spectaculaire de + 455,9 % !

Évolution de la part des réorientations parmi les décisions d'orientation
dans les départements expérimentateurs entre 2018 et 2023

(en pourcentage)

 

2018

2019

2020

2021

2022

2023

Seine-Saint-Denis

2,9 %

2,5 %

1,6 %

3,4 %

13,5 %

18,9 %

Pyrénées-Orientales

2,6 %

3,4 %

2,2 %

3,3 %

3,4 %

2,6 %

Ariège

 

 

 

 

 

9,2 %

Note : les données pour l'Ariège sont manquantes.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par les départements expérimentateurs

Le président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis a ainsi indiqué que l'expérimentation a permis de revoir les différents parcours d'accompagnement à la faveur de la création d'une nouvelle instance de coordination des parcours dénommées « instance de concertation locale d'insertion », dont l'objectif est de résoudre collectivement les situations complexes et de proposer des orientations plus fluides et adaptées aux besoins des personnes.

S'il est encore trop tôt pour déterminer l'effet de cette nouvelle organisation sur les parcours des allocataires du RSA, il est certain qu'elle a permis de concevoir des parcours dans lesquels les réorientations sont plus fréquentes - ce qui constitue un exemple dont d'autres départements, expérimentateurs ou non, pourraient s'inspirer.


* 54 Cour des comptes, Le revenu de solidarité active, janvier 2022.

* 55 Convention entre le président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis et le préfet de ce département.

* 56 Convention entre la présidente du conseil départemental des Pyrénées-Orientales et le préfet de ce département.

* 57 Réponse de la DGCS au questionnaire des rapporteurs spéciaux.

* 58 Cour des comptes, Le revenu de solidarité active, janvier 2022.

* 59 Part au 31 décembre de l'année considérée des personnes orientées parmi les personnes soumises aux droits et devoirs.

* 60 Délai moyen entre la date d'entrée dans le RSA et la date de primo-orientation, pour les personnes soumises aux droits et devoirs durant l'année considérée.

* 61 Cour des comptes, Le revenu de solidarité active, janvier 2022.

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