DEUXIÈME PARTIE
À MI-PARCOURS, UN BILAN
GLOBALEMENT POSITIF
I. LA RECENTRALISATION SEMBLE, À CE STADE, AVOIR ATTEINT SES OBJECTIFS FINANCIERS
A. LA FIN DE « L'ASPHYXIE BUDGÉTAIRE » DES DÉPARTEMENTS, POUR UN COÛT MODÉRÉ POUR L'ÉTAT
1. Les départements expérimentateurs sortent « gagnants » de la recentralisation face à la hausse des dépenses de RSA
Si les conséquences de l'expérimentation du RSA sur la situation financière des départements recentralisés ne pourront être tirées qu'avec plusieurs années de recul, il est toutefois possible d'établir le gain - ou la perte - financier théorique de la recentralisation pour les départements. Il convient pour ce faire de comparer le montant des recettes reprises par l'État au titre de sa rétro-compensation au montant des dépenses exposées par l'État au titre du RSA recentralisé dans ces départements.
Pour l'exercice 2022, on constate que les deux départements participant à l'expérimentation sont « gagnants » de la recentralisation : leur gain financier théorique s'est établi en 2022 à 13,1 millions d'euros pour les Pyrénées-Orientales et 21,9 millions d'euros pour la Seine-Saint-Denis.
Gain financier théorique des départements expérimentateurs en 2022
(en euros)
Pyrénées-Orientales |
Seine-Saint-Denis |
||
Dépenses RSA exécutées par
l'État dans le département |
150 099 447 € |
540 095 771 € |
|
Reprise des ressources historiques (2022) |
dont fractions de TICPE RMI/RSA |
68 261 139 € |
233 659 678 € |
dont FMDI |
6 608 527 € |
25 457 439 € |
|
Reprise des ressources « d'accompagnement » (2022) |
dont DCP |
11 003 406 € |
34 808 320 € |
dont fraction de 20 % de DMTO |
29 020 230 € |
60 261 273 € |
|
Reprise de DGF (2022) |
dont reprise sur la dotation de compensation |
12 470 128 € |
27 205 179 € |
dont reprise sur la dotation forfaitaire |
9 570 933 € |
136 848 652 € |
|
Total des recettes reprises en 2022 |
136 934 363 € |
518 240 541 € |
|
Gain (+) ou perte (-) théorique pour le
département |
+ 13 165 084 € |
+ 21 855 230 € |
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par la DGCL
Comme le souligne la DGCL, ce gain théorique est à mettre en relation avec la capacité d'autofinancement brute de ces deux départements, qui s'établissait à 100 millions d'euros pour les Pyrénées-Orientales et à 206,9 millions d'euros pour la Seine-Saint-Denis cette même année.
Pour la première année de la recentralisation, le gain financier théorique représentait donc 13,1 % de l'épargne brute des Pyrénées-Orientales et 10,6 % de celle du département de Seine-Saint-Denis.
En 2023, les départements expérimentateurs, auxquels s'est joint le département de l'Ariège, sont toujours bénéficiaires net de l'expérimentation. Le gain financier théorique des départements des Pyrénées-Orientales et de la Seine-Saint-Denis s'est ainsi accru, passant respectivement de 13,1 et 21,9 millions d'euros en 2022 à 21,6 et 43,8 millions d'euros en 2023. Le département de l'Ariège bénéficie, pour sa première année d'expérimentation, d'un gain net de 2,8 millions d'euros46(*).
Gain financier théorique des départements expérimentateurs en 2023
(en euros)
Ariège |
Pyrénées-Orientales |
Seine-Saint-Denis |
||
Dépenses RSA exécutées par l'État dans le département en 2023 |
40 900 000 € |
158 500 000 € |
547 400 000 € |
|
Reprise des ressources historiques (2023) |
dont fractions de TICPE RMI/RSA |
17 605 510 € |
68 261 139 € |
233 659 678 € |
dont FMDI |
2 085 301 € |
6 608 527 € |
25 457 439 € |
|
Reprise des ressources « d'accompagnement » (2023) |
dont DCP |
7 054 113 € |
11 565 791 € |
36 732 723 € |
dont fraction de 20 % de DMTO |
4 158 168 € |
28 380 226 € |
43 741 678 € |
|
Reprise de DGF (2023) |
dont reprise sur la dotation de compensation |
6 890 399 € |
12 470 128 € |
27 205 179 € |
dont reprise sur la dotation forfaitaire |
320 337 € |
9 570 933 € |
136 848 652 € |
|
Total des recettes reprises en 2023 |
38 113 828 € |
136 856 744 € |
503 645 349 € |
|
Gain (+) ou perte (-) théorique pour le
département |
+ 2 786 172 € |
+ 21 643 256 € |
+ 43 754 651 € |
Note : Les données relatives aux dépenses et aux montant variables de ressources reprises ne sont pas définitives.
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par la DGCL
Les président des départements expérimentateurs, entendus par les rapporteurs spéciaux, s'accordent pour constater que l'expérimentation a amélioré, du moins ceteris paribus, la situation de leur département. Ainsi, le président du conseil département de la Seine-Saint-Denis a indiqué que la hausse de l'épargne brute du département en 2022 « a en grande partie été permise par cette recentralisation (...), notamment grâce aux modalités de calcul du droit à compensation. »
Ce constat est partagé par les présidentes des conseils départementaux de l'Ariège et des Pyrénées-Orientales, qui ont reconnu que « la recentralisation du RSA a retiré [au département] une charge dynamique (revalorisation monétaire annuelle a minima) et un panier de recettes relativement peu croissant (dotations et DMTO) », ce qui permet mécaniquement « un allègement du fardeau » des dépenses d'allocation.
Toutefois, les présidents nuancent leur optimisme en rappelant que, du point de vue strictement financier, le gain financier théorique retiré de la recentralisation doit être immédiatement réinvesti dans les engagements des départements, pris par convention avec l'État, au titre de l'accompagnement et de l'insertion des bénéficiaires.
En outre, un accord unanime se dégage entre les départements expérimentateurs pour considérer que leur situation financière demeure précaire malgré la recentralisation : les présidents des conseils départementaux de la Seine-Saint-Denis et des Pyrénées-Orientales ont ainsi souligné que l'amélioration de leur situation financière devait être nuancée du fait de la charge portée par ces départements au titre des deux AIS qu'ils continuent de financer, à savoir l'allocation personnalisée pour l'autonomie (APA) et la prestation de compensation du handicap (PCH).
Le premier a ainsi fait état d'un taux de couverture particulièrement faible de ces AIS par la CNSA - de 34 % pour l'APA et 26 % pour la PCH, contre respectivement 43 % et 41 % pour la moyenne nationale. La seconde a fait savoir aux rapporteurs spéciaux que, même une fois le RSA recentralisé, ses dépenses de fonctionnement avaient progressé sensiblement plus rapidement (+ 6,1 %) que les recettes de fonctionnement (+ 1,8 %).
Enfin, les trois départements constatent que leur situation financière est fortement dégradée par le ralentissement économique, qui produit une chute des DMTO et une baisse de la dynamique de la TVA. Ainsi, le président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis a mentionné une diminution de 70 millions d'euros des recettes de DMTO entre 2022 et 2023. L'Ariège et les Pyrénées-Orientales subissent la même dynamique baissière.
2. Un coût budgétaire pour l'État diminué par la prise en compte des recettes reprises en compensation
a) Un coût budgétaire difficile à établir et en progression depuis le début de l'expérimentation
Les dépenses exposées par l'État au titre de la recentralisation du RSA sont inscrites sur le programme 304 « Inclusion sociale et protection des personnes » de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». L'établissement du coût « brut » budgétaire de la recentralisation du RSA pas les rapporteurs spéciaux ne s'est toutefois pas avéré aisé : en effet, les chiffres inscrits dans les documents budgétaires relatifs à la mission ne coïncidaient pas avec les données reçues des administrations sollicitées dans le cadre du présent contrôle.
En revanche, les données transmises par la DGCL, la DGCS, la caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) et la caisse centrale de mutualité sociale agricole (CCMSA) étaient globalement concordantes. Ce sont donc ces données qui ont servi de base au présent rapport. Les dépenses exposées par l'État au titre de la recentralisation expérimentale du RSA s'élèveraient ainsi à 690 millions d'euros en 2022, 746,8 millions d'euros en 2023 et 751,3 millions d'euros en 2024.
Évolution des dépenses
exposées par l'État
au titre de la recentralisation
expérimentale du RSA
(en millions d'euros)
Note : les données pour 2023, transmises par la DGCL, et les données pour 2024, transmises par la DGCS sur la base des prévisions de la CNAF, sont prévisionnelles.
Source : commission des finances d'après les données fournies par la DGCL, la DGCS et la CNAF
Ces dépenses semblent s'inscrire dans une nette trajectoire haussière : + 8,2 % entre 2022 et 2023 et + 0,6 % entre 2023 et 2024. Il convient toutefois de faire preuve de prudence, les données définitives pour les années 2023 et 2024 étant encore prévisionnelles.
En outre, il faut nuancer l'ampleur de la hausse de 8,2 % des dépenses de RSA constatée entre 2022 et 2023 : celle-ci tient avant tout à une mesure de périmètre, le département de l'Ariège ne s'étant joint à l'expérimentation qu'en 2023. À périmètre constant, la hausse des dépenses de RSA exposées par l'État n'est que de 2,3 % entre 2022 et 2023.
Dans le détail, l'augmentation de la charge pesant sur l'État au titre du RSA recentralisé en métropole est surtout le fait du département de Seine-Saint-Denis (+ 10,6 millions d'euros entre 2022 et 2024). Toutefois, c'est dans le département des Pyrénées-Orientales que la progression des dépenses de RSA est la plus rapide (+ 6,3 % entre 2022 et 2024).
Évolution des dépenses
exposées par l'État au titre de la recentralisation du
RSA
dans chaque département expérimentateur
(en millions d'euros)
Note : les données pour 2023, transmises par la DGCL, et les données pour 2024, transmises par la DGCS sur la base des prévisions de la CNAF, sont prévisionnelles.
Source : commission des finances d'après les données fournies par la DGCL, la DGCS et la CNAF
Dans le droit commun, le RSA est versé aux allocataires par les caisses d'allocations familiales (CAF) ou de mutualités sociales agricoles (MSA) pour le compte du département. Les caisses procèdent donc à une avance, que le département leur rembourse en cours d'année.
Dans le schéma de financement issu de la recentralisation, l'État s'est substitué aux départements. Comme le prévoit la loi47(*), les dépenses de RSA du mois de décembre précédant la première année de recentralisation ont été prises en charge par l'État - ce qui explique un versement de 44 millions d'euros au titre de 2021 pour la CAF et la MSA en Seine-Saint-Denis, ainsi qu'un versement de 3,5 millions d'euros au titre de 2022 pour la CAF et la MSA en Ariège.
Enfin, le cas des Pyrénées-Orientales est particulier. Le département s'étant porté volontaire pour 2022 au début de cette même année, la convention de recentralisation signée entre l'État, la sécurité sociale et le conseil départemental a prévu que l'État se substituerait au département à compter du 30 juin 2022, et qu'il rembourserait le département pour les versements à la CAF et à la MSA effectués entre janvier et le 30 juin.
Entre 2022 et 2023, l'État a donc versé 1 548,1 millions d'euros au titre de la recentralisation expérimentale du RSA.
Destinataires des dépenses de l'État
au titre de la recentralisation expérimentale du RSA
(en euros)
|
2021 |
2022 |
2023 |
Total |
CAF-09 |
3 236 759,07 € |
37 968 988,69 € |
41 205 747,76 € |
|
MSA Grand Sud |
214 779,78 € |
2 808 951,73 € |
3 023 731,51 € |
|
CAF-66 |
87 064 437,60 € |
155 134 080,99 € |
242 198 518,59 € |
|
MSA Midi Pyrénées Sud |
2 121 470,24 € |
3 922 184,38 € |
6 043 654,62 € |
|
CAF-93 |
44 000 701,34 € |
603 167 624,46 € |
547 252 521,56 € |
1 194 420 847,36 € |
MSA Île-de-France |
5 525,04 € |
134 131,77 € |
109 212,72 € |
248 869,53 € |
Département des Pyrénées-Orientales |
60 913 492,16 € |
60 913 492,16 € |
||
Total |
44 006 226,38 € |
756 852 695,08 € |
747 195 940,07 € |
1 548 054 861,53 € |
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par la DGCL, la DGCS, la CNAF et la CCMSA
b) La reprise de recettes départementales diminue sensiblement le coût « net » de la recentralisation pour l'État
Ces dépenses nouvelles ne représentent toutefois pas pour l'État un coût aussi élevé qu'il y paraît. En effet, une partie de ces dépenses est prise en charge par les recettes reprises aux départements par l'État, qui se traduisent pour ce dernier, soit par la perception des DMTO en lieu et place des département, soit par de moindres décaissements.
Outre les DMTO, deux ressources reprises par l'État aux départements transitent par le programme 833 du compte de concours financier « Avances aux collectivités territoriales » :
- les fractions de TICPE constituant la compensation aux départements du transfert du RMI puis de la réforme du RSA alloués aux départements expérimentateurs n'ont pas été inscrites sur l'action 02 du programme 833, engendrant une économie pour l'État de 301,9 millions d'euros en 2022 et de 319,5 millions d'euros en 2023 ;
- les frais de gestion de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) rétrocédées aux départements au moyen du dispositif de compensation péréquée (DCP) n'ont pas été versés aux départements concernés, pour un montant de 45,8 millions d'euros en 2022 et 55,4 millions d'euros en 2023.
Les deux ressources restantes ayant fait l'objet d'une reprise par l'État aux départements constituent des prélèvements sur recettes (PSR). Il s'agit :
- des dotations forfaitaire et de compensation au sein de la dotation globale de fonctionnement (DGF) des départements concernés, dont le montant a été diminué de 186,1 millions d'euros en 2022 et de 193,3 millions d'euros en 2023 ;
- des attributions des départements concernés au titre du fonds de mobilisation départemental pour l'insertion (FMDI), correspondant au dernier montant perçu par le département avant la recentralisation, soit 32,1 millions d'euros en 2022 et 34,2 millions d'euros en 2023.
Si l'État connaît - par symétrie avec les départements, qui sont, comme on l'a vu, « gagnants » - une perte théorique, celle-ci est partiellement couverte par les recettes reprises aux départements. La perte financière théorique de l'État au titre de la recentralisation du RSA est donc de 35 millions d'euros en 2022, et de 68 millions d'euros en 2023. Il apparaît donc que l'expérimentation de la recentralisation du RSA n'a, une fois prise en compte la reprise de recettes départementales, qu'un coût net modéré pour l'État - environ dix fois inférieur à son coût « brut » mesuré par le simple constat des dépenses exposées sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
Coût
financier théorique de l'État au titre de la recentralisation
expérimentale du RSA en métropole en 2022 et 2023
(en euros)
2022 |
2023 |
|
Dépenses |
690 195 218 € |
746 800 000 € |
Ariège |
- |
40 900 000 € |
Pyrénées-Orientales |
150 099 447 € |
158 500 000 € |
Seine-Saint-Denis |
540 095 771 € |
547 400 000 € |
Recettes |
655 174 904 € |
678 615 921 € |
Ariège |
- |
38 113 828 € |
Pyrénées-Orientales |
136 934 363 € |
136 856 744 € |
Seine-Saint-Denis |
518 240 541 € |
503 645 349 € |
Gain (+) ou perte (-) théorique pour l'État |
- 35 020 314 € |
- 68 184 079 € |
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par la DGCL
* 46 Les données financières définitives des départements n'étant pas encore disponibles, il n'est pas possible de comparer ces gains financiers pour 2023 aux capacités d'autofinancement de l'année correspondante.
* 47 Premier alinéa du V de l'article 43 de la loi de finances pour 2022.