EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 24 septembre 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, rapporteurs spéciaux, sur la recentralisation du revenu de solidarité active (RSA).

M. Claude Raynal, président. - Nous passons à une communication de MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, rapporteurs spéciaux de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », sur la recentralisation du revenu de solidarité active, ou RSA.

M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Avant tout, je tiens à revenir sur le processus qui a abouti à recentraliser, à titre expérimental, le financement du RSA dans plusieurs départements métropolitains, processus auquel est dédiée la première partie de notre rapport.

Sans s'y appesantir, il n'est peut-être pas inutile de rappeler l'évidence : le RSA constitue le principal minimum social dans notre pays. Les seules dépenses d'allocation du RSA représentent environ 11 milliards d'euros et la France compte un peu moins de 2 millions de bénéficiaires du RSA.

Depuis 2003, dans un mouvement décentralisateur auquel le Sénat est attaché, l'ancêtre du RSA, le revenu minimum d'insertion (RMI), a été décentralisé. Dès lors, la gestion et le financement de cette prestation ont été confiés aux départements, qui exerçaient déjà une compétence d'insertion des bénéficiaires du RMI, dans une logique de « droits et devoirs » des allocataires envers la collectivité.

Ce transfert de compétences a certes fait l'objet d'une compensation, comme le prévoit l'article 72-2 de la Constitution, mais ladite compensation s'est rapidement révélée insuffisante. En effet, si les dépenses de RSA ont progressé bien au-delà de son coût historique, les ressources compensatrices n'ont pas connu la même dynamique : alors qu'en 2018 le RSA représentait environ 11 milliards d'euros, les ressources de compensation historiques représentaient à peine 7 milliards d'euros. Quant aux dispositifs d'accompagnement imaginés par les gouvernements successifs, ils ne sont pas parvenus à couvrir entièrement le reste à charge départemental lié au RSA.

Les départements dans lesquels les bénéficiaires du RSA sont les plus nombreux n'ont pas tardé à se trouver en difficulté : la charge du financement de l'allocation les asphyxiant, ils n'ont pu dégager les marges de manoeuvre financières nécessaires à l'accompagnement et à l'insertion des allocataires. Ainsi sont-ils entrés dans une forme de cercle vicieux : plus un département compte de bénéficiaires du RSA, moins il est à même de les accompagner vers l'emploi.

L'idée d'une recentralisation du RSA est ainsi devenue une antienne entêtante, à mesure que les inégalités territoriales se creusaient en la matière. En 2016 pourtant, l'Assemblée des départements de France (ADF) a rejeté à une large majorité un projet du Gouvernement en ce sens. Le motif était simple : la recentralisation de la compétence se serait accompagnée de la reprise par l'État des ressources départementales correspondantes. Un désaccord sur la date, donc sur le montant de la rétro-compensation due à l'État, a eu raison de ce projet. Tout juste le RSA fut-il recentralisé, entre 2019 et 2020, dans certains départements d'outre-mer, en raison des situations particulières de ces territoires, lesquelles ne peuvent être comparées à la situation des départements métropolitains.

Toutefois, du fait de la crise sanitaire et inflationniste, le département de Seine-Saint-Denis a obtenu du Gouvernement un dispositif expérimental courant de 2022 à 2026 : sous certaines conditions d'éligibilité, l'État reprendrait le financement du RSA dans les départements fragiles, en échange de quoi ces derniers s'engageraient à investir leurs marges de manoeuvre recouvrées dans l'insertion des bénéficiaires du RSA. La Seine-Saint-Denis et les Pyrénées-Orientales s'y sont engagés dès 2022 ; l'Ariège les a rejoints en 2023.

Au total, onze départements étaient éligibles à la recentralisation, mais seuls trois candidatures ont été retenues. Les paramètres de l'expérimentation permettent d'expliquer ce succès mitigé. Tout d'abord, pour les départements souhaitant entrer dans l'expérimentation en 2023, le montant des ressources à rétrocéder à l'État était plus élevé que pour ceux entrés en 2022, du fait de l'augmentation du nombre de bénéficiaires du RSA causée par les crises sanitaire et inflationniste. Ensuite, le choix de l'État de reprendre une partie des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) pour financer le RSA a pu dissuader plusieurs départements, ces recettes étant dynamiques, avec une tendance haussière. Enfin, nous regrettons que la Guadeloupe n'ait pu participer, pour des raisons essentiellement techniques. Il revient au Gouvernement d'aplanir ces difficultés afin de permettre une éventuelle recentralisation dans ce département.

Cela étant, si les paramètres de l'expérimentation sont bien à l'origine d'un faible engouement des départements pour la recentralisation du RSA, il nous semble que son succès doit être mesuré à l'aune d'autres critères. Je laisse à Éric Bocquet le soin de vous les exposer.

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Avant d'évaluer le succès ou l'échec de l'expérimentation, j'insiste sur le fait que la prudence est de mise. Arnaud Bazin vous a signalé que l'expérimentation courait de 2022 à 2026 ; il n'est bien sûr pas question, à la mi-2024, de prétendre porter un jugement définitif sur un dispositif qui peut encore évoluer. Il nous paraît simplement utile de proposer, alors que l'expérimentation est pour ainsi dire au milieu du gué, une évaluation à mi-parcours.

Ces précisions étant apportées, il nous semble que le succès de l'expérimentation doit être jaugé à l'aune de ses effets, d'une part, sur les finances départementales et, d'autre part, sur les allocataires du RSA bénéficiant des nouvelles politiques d'insertion mises en oeuvre dans le cadre de la recentralisation.

Selon les données disponibles à ce jour, les trois départements participants semblent, à mi-parcours, sortir gagnants de l'expérimentation : les dépenses de RSA recentralisées sont supérieures aux ressources reprises par l'État en compensation, dégageant des gains nets, en 2023, de 43,8 millions d'euros en Seine-Saint-Denis, de 21,6 millions d'euros dans les Pyrénées-Orientales et de 2,8 millions d'euros en Ariège.

Pour l'État, le coût de la recentralisation peut paraître important au regard des crédits inscrits en dépenses au titre de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » : 690,2 millions d'euros en 2022 et 746,8 millions d'euros en 2023. Toutefois, en tenant compte des reprises de recettes réalisées en vertu du droit à compensation, le coût net de la recentralisation pour l'État paraît très bien maîtrisé : 35 millions d'euros en 2022 et 68 millions d'euros en 2023. Il semble donc qu'à ce stade la recentralisation ait mis fin à l'asphyxie budgétaire des départements à un coût modéré pour l'État.

En outre, bien qu'elle ait pu dissuader certains départements de se porter candidats à l'expérimentation, la reprise d'une fraction dynamique de DMTO par l'État a conduit à partager l'aléa lié à cette recette volatile : l'État subit également la baisse actuelle des DMTO, partiellement à la place des départements expérimentateurs. L'effet de ciseau tant dénoncé par les départements se trouve ainsi atténué par la recentralisation. Sur son volet financier, l'expérimentation semble donc avoir atteint son objectif.

Je passe rapidement sur la gestion du RSA pendant l'expérimentation. Si cette compétence revient à l'État dans le cadre de la recentralisation, celui-ci l'a délégué aux caisses de protection sociale, à savoir les caisses d'allocations familiales (CAF) et les caisses de la mutualité sociale agricole (MSA), comme de nombreux départements le font en droit commun. Il semble que cette organisation, imposant peu de changements pour les bénéficiaires, ait cependant permis d'harmoniser certaines pratiques administratives qui, en l'absence de recentralisation, tendent à varier selon les départements.

J'en viens à l'apport crucial de cette expérimentation : son effet sur les politiques d'insertion et d'accompagnement mises en oeuvre par les départements en faveur des bénéficiaires du RSA.

Chaque département expérimentateur a signé avec l'État une convention par laquelle il s'engage à renforcer ses politiques en la matière. Ce renforcement intervient dès la phase d'orientation, car il revient aux départements d'accompagner les nouveaux bénéficiaires du RSA vers une structure d'insertion adaptée à leurs besoins. Plus l'orientation est rapide et pertinente, plus le parcours de l'allocataire sera fluide et son accompagnement adapté.

Les départements expérimentateurs se sont ainsi engagés à réduire les délais d'orientation : la Seine-Saint-Denis a misé sur un procédé d'orientation algorithmique à la rapidité éprouvée et les Pyrénées-Orientales ont mis en place, à la fin de 2023, une plateforme téléphonique dont les premiers résultats sont encourageants. Dans ce dernier département, les délais d'orientation ont ainsi été réduits de moitié depuis 2018. En Ariège, 55 % des nouveaux allocataires sont orientés en moins d'un mois. En Seine-Saint-Denis, les réorientations se développent, témoignant du souci du département d'adapter l'orientation aux besoins des bénéficiaires au fur et à mesure de leur parcours.

Les départements expérimentateurs ont également consacré des moyens croissants aux politiques d'insertion. Ainsi, en Seine-Saint-Denis, les crédits départementaux d'insertion ont été doublés en deux ans, de même que les effectifs de référents insertion. Une hausse comparable est observée dans les Pyrénées-Orientales, où les crédits d'insertion sont passés de 8 à 13 millions d'euros et où le nombre de conseillers d'insertion a triplé.

Les partenariats territoriaux avec Pôle emploi, devenu France Travail, ont également été renforcés, favorisant la montée en puissance d'un « accompagnement global » conduit conjointement par le département et le service public de l'emploi. Dans les Pyrénées-Orientales, la montée en charge de ce mode d'accompagnement est particulièrement ambitieuse : le nombre de bénéficiaires du RSA concernés doit passer de 700 à 2 100 personnes par an au terme de l'expérimentation.

L'écosystème d'accompagnement a également fait l'objet d'évolutions, voire de profondes transformations. En Ariège, où les solutions d'accompagnement étaient déjà très variées, la recentralisation permet d'expérimenter de nouvelles actions, comme la mise en place d'un outil dit « Job-Data » connectant des employeurs et des bénéficiaires du RSA. C'est sans doute dans le département de Seine-Saint-Denis que la politique locale d'insertion a été le plus profondément transformée, avec la mise en place des agences locales d'insertion (ALI), qui ont vocation à offrir un accompagnement socio-professionnel largement appuyé sur les structures d'insertion par l'activité économique (SIAE).

S'il est encore trop tôt pour se prononcer sur les résultats de ces nouvelles politiques d'insertion, les dynamiques sont assurément encourageantes. Les départements expérimentateurs comme les administrations de l'État les jugent plutôt prometteuses.

M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - J'en viens à présent aux recommandations de notre rapport.

S'agissant d'une évaluation à mi-parcours, nous nous sommes gardés d'en formuler un trop grand nombre, afin de ne pas préempter les résultats finaux de l'expérimentation.

Premièrement, nous préconisons que le département de la Guadeloupe, qui s'était porté candidat à l'expérimentation, mais n'a pas été retenu, puisse bénéficier de la recentralisation à l'avenir, s'il le souhaite toujours.

Deuxièmement, pour la suite de l'expérimentation, nous appelons l'attention sur certains facteurs d'incertitude politique, comme les effets de la loi pour le plein emploi. Ce texte a assez profondément réformé les « droits et devoirs » associés au RSA, notamment le régime des sanctions ou les obligations d'activité - je pense en particulier aux quinze heures par semaine. N'oublions pas non plus la suppression, annoncée par le Premier ministre précédent, de l'allocation de solidarité spécifique (ASS), due aux chômeurs en fin de droits. Cette mesure aurait pour effet d'augmenter le nombre de bénéficiaires du RSA. En résulterait un important transfert de charges de l'État vers les départements. En tout état de cause, nous souhaitons que ces incertitudes ne pèsent pas sur l'expérimentation. De plus, nous recommandons de surseoir à la suppression de l'ASS ou, à défaut, de prévoir une compensation juste et progressive aux départements des nouvelles entrées dans le RSA dues à cette mesure.

Troisièmement, il nous semble que le recours à une expérimentation pour réaliser une recentralisation « à la carte » du RSA a constitué, pour le gouvernement d'alors, un artifice juridique permettant d'appliquer un droit dérogatoire à une partie du territoire sans que le minimum de méthode scientifique requis pour une expérimentation ait été prévu. À cet égard, il est révélateur que le principe d'une évaluation de l'expérimentation ait été ajouté sur l'initiative du Conseil d'État, et non du Gouvernement. En conséquence, nous recommandons de prévoir une évaluation alliant deux démarches : d'une part, une évaluation continue, dans chaque département, permettant le suivi de l'expérimentation et des « sorties positives » des dispositifs d'insertion ; de l'autre, une évaluation au terme de l'expérimentation, comparant les résultats d'accès à l'emploi des bénéficiaires du RSA dans les départements expérimentateurs et dans la France entière. Ce travail serait mené par un évaluateur indépendant.

Quatrièmement, il nous a paru pertinent de considérer quels pourraient être les options à l'issue de l'expérimentation.

L'option privilégiée par les départements expérimentateurs, c'est-à-dire la pérennisation de la recentralisation sur une partie seulement du territoire métropolitain, serait probablement impossible sans révision de la Constitution. Dès lors, outre la prorogation de l'expérimentation, les seules options praticables sont l'abandon ou la généralisation de la recentralisation.

Il nous a semblé utile de formuler trois principes cardinaux - un pour chaque cas de figure - ce qui constitue en quelque sorte notre quatrième recommandation. Si l'on décidait de prolonger l'expérimentation, ce choix devrait être justifié du point de vue de la démarche expérimentale. Il ne doit pas être une manière de repousser une décision inévitable. Si l'on décidait de généraliser la recentralisation, il conviendrait d'avoir au préalable obtenu l'accord des départements de France. Si l'on décidait de procéder à une « re-décentralisation », ce qui serait tout à fait inédit, il conviendrait de s'assurer a minima que les ressources transférées aux départements expérimentateurs ne soient pas inférieures au niveau des ressources reprises par l'État en 2022.

Dans ce dernier cas de figure, nous recommandons d'engager une réflexion quant aux modalités d'accompagnement financier des départements expérimentateurs lors de leur retour au droit commun. Pour éviter d'aggraver les charges de l'État à l'heure où le déficit est un grave sujet d'inquiétude, la mobilisation de dispositifs de péréquation, comme le fonds de mobilisation départementale pour l'insertion (FMDI), serait particulièrement pertinente.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Votre rapport nous rajeunit en évoquant un « bilan globalement positif » car certains d'entre nous n'étaient pas nés quand, en 1979, a été prononcée cette formule devenue célèbre. Peut-être la doit-on aujourd'hui à l'un de nos deux rapporteurs spéciaux...

Nous, élus locaux, sommes bien sûr favorables à la décentralisation, pour des raisons nombreuses et pleinement fondées. Mais les collectivités territoriales doivent, comme les autres acteurs, faire preuve de cohérence : si un transfert de compétences se révèle financièrement désavantageux, est-il pour autant injustifié ? Certains départements peuvent ainsi soutenir la décentralisation du RSA au motif que, même si elle leur coûte cher, elle offre de meilleurs résultats : dès lors qu'ils contrôlent mieux l'ensemble de la chaîne, ils oeuvrent plus efficacement pour l'obtention de qualifications et le retour vers l'emploi. Avez-vous entendu des témoignages en ce sens ?

M. Stéphane Sautarel. - Merci à nos deux rapporteurs spéciaux, dont j'approuve l'essentiel des préconisations.

Je tiens à revenir sur l'une d'entre elles. Vous proposez de renforcer la capacité de péréquation du FDMI. Ce fonds, d'un peu moins de 500 millions d'euros, est actuellement composé de trois parts, dont une seule est dédiée à la péréquation, les deux autres étant orientées vers la compensation, d'une part, et vers le soutien à l'effort d'insertion, d'autre part. De quelle manière doit-on procéder concrètement ? Quel serait l'objectif de ce FMDI réformé ? Quel serait, selon vous, le meilleur critère de répartition des crédits au sein du FDMI et quelle devrait en être l'architecture ?

M. Thierry Cozic. - À mon tour, je remercie nos rapporteurs spéciaux de la qualité de leur travail.

Globalement, les départements tirent bénéfice de cette expérimentation, dont le coût pour l'État reste finalement assez réduit. Néanmoins, en faisant ce choix, ne cherche-t-on pas à dévitaliser les départements, à les priver de leurs compétences pour mieux les supprimer à terme ? La prochaine étape n'est-elle pas la recentralisation des politiques d'insertion ?

Mme Isabelle Briquet. - Le succès de cette expérimentation tient clairement à l'accompagnement spécifique déployé par les départements. Or, en l'état actuel des finances départementales, on est en droit de s'inquiéter pour l'avenir.

Pouvez-vous nous préciser pourquoi, selon vous, la recentralisation pérenne du RSA est impossible sans généralisation à l'ensemble du territoire ?

M. Grégory Blanc. - Je voterai bien sûr ces recommandations. Toutefois, en matière de décentralisation, il faut aussi poser la question des recettes, tout spécialement pour les départements. On leur a transféré des compétences sociales avec des recettes assises essentiellement sur l'immobilier et, dans une moindre mesure, sur la TVA. En vertu de la loi de finances pour 2014, le gouvernement Ayrault leur a donné une petite liberté de taux, afin qu'ils disposent d'un peu de souplesse ; mais, aujourd'hui, presque tous les départements sont au maximum.

Nous sommes bel et bien face à un problème d'adéquation entre les recettes et les compétences confiées. Il faut traiter cette question, faute de quoi la décentralisation des compétences sociales sera condamnée à l'échec et il faudra recentraliser en bloc.

M. Michel Canévet. - Je tiens moi aussi à remercier nos rapporteurs spéciaux des éléments d'analyse qu'ils nous ont communiqués.

Étant résolument pour la décentralisation, je ne puis que déplorer les mouvements de recentralisation. Faut-il en déduire que les élus des départements concernés n'ont pas réellement traité la problématique à laquelle ils devaient faire face, en réduisant le nombre de bénéficiaires du RSA ? C'est précisément ce que fait le département du Finistère : il s'est donné pour objectif de réduire de 1 000 par an le nombre de bénéficiaires du RSA afin de recouvrer des marges de manoeuvre, et il y arrive.

M. Vincent Delahaye. - Vive le Finistère !

M. Michel Canévet. - En ce sens, le rapport gagnerait à étudier précisément l'évolution du nombre de bénéficiaires du RSA par département. N'oublions pas que l'enjeu, in fine, c'est la réinsertion.

M. Jean-Marie Mizzon. - Cette expérimentation place notre pays dans un système dual. Dans certains cas, le RSA relève des départements ; dans d'autres, sa gestion est renationalisée. Ne sommes-nous pas, en l'occurrence, dans une logique de différenciation ? Il s'agit là d'une autre grille de lecture.

En outre, avez-vous observé, à la faveur de ce travail, des différences dans les taux de recours ou de non-recours au RSA ?

M. Vincent Capo-Canellas. - Nos deux rapporteurs spéciaux se sont assez largement appuyés sur l'expérience de la Seine-Saint-Denis, où, entre 2018 et 2023, le nombre de réorientations a été multiplié par sept. La réorientation de la stratégie d'insertion a certes fait l'objet de débats, mais le dialogue avec l'État a permis de poser l'équation et d'aboutir au doublement des crédits d'insertion. C'est un acquis indéniable.

L'approche globale est à l'évidence la meilleure voie d'insertion pour des publics souvent très à l'écart du monde du travail et qui risquent parfois d'être désocialisés, quand ils ne le sont pas déjà. Il s'agit là d'un enjeu majeur, que nos rapporteurs spéciaux soulignent avec raison.

M. Pascal Savoldelli. - Merci à nos rapporteurs du travail qu'ils ont accompli et de la prudence qu'ils manifestent : on ne peut pas ignorer qu'en parallèle dix-huit, puis vingt-neuf départements ont mis en place la règle des quinze heures de travail pour l'obtention du RSA. Cette expérimentation est d'une tout autre ampleur.

Pour en revenir aux trois départements dont nous traitons aujourd'hui, je ne suis pas sûr que l'autocontrôle - car les départements et les administrations qui mettent en oeuvre l'expérimentation vont eux-mêmes l'évaluer - soit la meilleure méthode : de fait, il est rare que l'on se désavoue.

Enfin, à titre personnel, je souhaiterais ajouter un quatrième principe cardinal aux trois principes énoncés. On parle beaucoup de l'offre de travail, mais il ne faut pas pour autant occulter la demande. Derrière les chiffres, il y a des femmes et des hommes.

J'y insiste, en la matière, il faut faire preuve de prudence. J'opterai donc pour une abstention constructive et « globalement positive »...

M. Claude Raynal, président. - Il y a quelque temps, la Cour des comptes avait relevé que le recours aux DMTO n'était pas le meilleur moyen de financer les départements à long terme ; j'avais moi-même adressé cette observation à l'ADF, sans grand succès. Certains départements, aujourd'hui, font mine de s'en apercevoir... Il faut trouver des solutions, mais, pour ce qui est de la gestion du RSA, la situation actuelle est nécessairement temporaire : si les trois départements en question doivent revenir en arrière, ce sera douloureux pour eux.

L'enjeu, comme le souligne M. Blanc, c'est effectivement de trouver les bons équilibres pour le financement des départements. On ne peut pas continuer à financer les politiques sociales avec des ressources si disparates d'une année sur l'autre. Il va falloir trouver une formule permettant aux départements d'assumer à la fois leurs charges financières et leurs obligations.

Ce rapport, nécessairement prudent, a donc tout son intérêt. Il faut distinguer beaucoup plus clairement, d'une part, ce qui est indispensable et doit en conséquence être couvert par des recettes pérennes et, de l'autre, ce qui est moins impératif et relève de recettes un peu plus aléatoires. Le débat est devant nous.

M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Monsieur le rapporteur général, les départements expérimentateurs sont plutôt favorables à la recentralisation. Ils insistent avant tout sur le contexte de non-maîtrise de la dépense, dont la fixation relève de l'État. Aux augmentations automatiques, qui suivent le coût de la vie, s'est ainsi ajoutée une hausse de 10 % sous le quinquennat de François Hollande, à laquelle les départements ont dû faire face sans que des recettes particulières leur soient allouées. Ils ont simplement été autorisés à augmenter les DMTO d'une fraction de point.

C'est ce contexte qu'il faut prendre en compte. En outre, les départements qui ont manifesté leur intérêt pour cette expérimentation sont placés dans une situation financière singulière : la dépense était en train de leur échapper et de mettre en péril leur équilibre budgétaire, quand ce n'était pas déjà fait.

Monsieur Sautarel, l'architecture du FMDI a été critiquée il y a longtemps déjà par la Cour des comptes. Tout d'abord, la fraction de compensation n'est pas assez fléchée vers les départements qui en ont le plus besoin. Ensuite, l'efficacité de la fraction d'insertion, censée inciter les départements à développer l'insertion des bénéficiaires du RSA, n'est pas avérée. Enfin, la fraction de péréquation que nous proposons de renforcer ne représente pas des montants suffisants pour être efficace - elle couvre, à l'heure actuelle, à peine le tiers de l'ensemble. Nous n'avons pas étudié plus en détail cette question, qui ne relève pas directement de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », mais il paraîtrait possible de recentrer le FMDI sur sa mission de péréquation. Les critères de répartition de ce fonds pourraient s'apparenter aux critères d'éligibilité retenus pour l'expérimentation : le reste à charge de RSA par habitant, la proportion de bénéficiaires du RSA dans la population et le revenu par habitant. C'est le sens de la proposition que nous avons émise.

Monsieur Cozic, le risque de dévitalisation des conseils départementaux et de détricotage de leurs compétences est perpétuellement à l'esprit des présidents de département. Nombre d'entre eux ont d'ailleurs refusé pour ces raisons de s'engager dans la voie de la recentralisation du RSA. Ceux qui sont entrés dans l'expérimentation y ont été contraints par leur situation budgétaire.

Avant la décentralisation de cette compétence, l'allocation était versée par l'État, et les départements devaient consacrer 20 %, puis 17 % des dépenses d'allocation au financement de l'insertion - les montants non dépensés au titre de l'insertion étant repris par l'État. Ce système, inflationniste, était donc lui aussi assez peu satisfaisant.

Monsieur Canévet, dans les départements expérimentateurs, les dépenses d'allocation étaient si élevées que les élus n'ont pas eu de marges de manoeuvre pour investir dans l'insertion. De plus, dans les périodes économiquement défavorables, les dépenses d'insertion sont assez peu efficaces, tout simplement parce qu'il y a très peu d'offre sur le marché du travail et que, malheureusement, les bénéficiaires du RSA restent les derniers servis. Pour que les efforts d'insertion puissent porter leurs fruits, il faut à la fois un contexte économique favorable et des dépenses clairement ciblées.

Monsieur Blanc, la question des recettes est essentiellement du ressort de M. le rapporteur général, mais, à l'évidence, la fiscalité locale est aujourd'hui un vrai sujet. Face aux sujets d'urgence, les collectivités territoriales n'ont plus de levier fiscal pour traiter des sujets d'urgence. En effet, ils ne peuvent plus recourir à la taxe foncière, quoi que l'on pense de ce levier. Or la part des dépenses sociales a considérablement crû dans les budgets des départements. Les communes socialement défavorisées font face aux mêmes problèmes.

Enfin, comme vous le soulignez monsieur le président, le retour en arrière serait très difficile pour les départements expérimentateurs. Il serait très compliqué de généraliser la recentralisation contre la volonté des départements ; l'arrêt de l'expérimentation serait tout aussi difficile et replongerait les départements concernés dans les difficultés dont ils commencent à sortir ; sa prolongation est envisageable, mais in fine il faudra trancher.

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Le risque de recentralisation rampante nous a conduits à demander une évaluation robuste et indépendante au terme de l'expérimentation, qui n'en est encore qu'à ses débuts. C'est indispensable, car cette recentralisation ne doit pas être un prétexte à tout recentraliser. Les présidents de département sont conscients de ce danger et ils font preuve de vigilance.

Madame Briquet, en matière de différenciation territoriale, la jurisprudence constitutionnelle considère que le législateur peut déroger au droit commun, mais seulement dans de strictes conditions, que nous détaillons dans notre rapport.

À cadre constitutionnel constant, l'article 72 de la Constitution implique que les collectivités territoriales d'une même catégorie aient les mêmes compétences. S'il est possible d'appliquer un droit dérogatoire en outre-mer, où le RSA est déjà recentralisé de manière définitive dans certains départements, c'est parce que les collectivités territoriales en question relèvent de l'article 73 de la Constitution, en vertu duquel la loi peut y faire l'objet d'adaptations.

En outre, une telle recentralisation définitive qui ne serait pas généralisée à l'ensemble du territoire aboutirait à traiter différemment des territoires placés dans des situations similaires : dans les départements de la Somme et de l'Aisne, tous deux situés dans les Hauts-de-France, la proportion de bénéficiaires du RSA dans la population est peu ou prou la même. Or l'un des deux départements pourrait se voir appliquer la recentralisation et l'autre la décentralisation.

Enfin, la frontière entre collectivités territoriales de l'article 72 et collectivités d'outre-mer s'en trouverait atténuée.

Pour l'ensemble de ces raisons, une recentralisation définitive portant sur une seule partie du territoire métropolitain risquerait fort d'être censurée.

Monsieur Mizzon, le taux de non-recours est par définition difficile à évaluer. Toujours est-il que certains départements agissent pour contrer ce phénomène. Le département de Seine-Saint-Denis expérimente ainsi, avec la ville de Saint-Denis, une opération intitulée « territoire zéro non-recours ». C'est là un outil parmi d'autres.

Enfin, monsieur Savoldelli, vous avez raison de rappeler le dispositif des quinze heures de travail, expérimenté par de nombreux départements. Ce dispositif est censé offrir aux bénéficiaires du RSA un moyen de s'engager, de s'insérer et d'être accompagnés ; il faut en revanche éviter l'écueil de la stigmatisation des allocataires par une forme de « travail forcé ».

L'enjeu est aussi la capacité de France Travail et des départements à encadrer et à accompagner ces allocataires quinze heures par semaine. Il n'est pas sûr qu'un accompagnement si intensif puisse être assuré : c'est aussi une question budgétaire. Paradoxalement, les départements expérimentateurs seront peut-être les mieux placés, grâce aux marges de manoeuvre qu'ils auront ainsi, normalement, recouvrées.

La commission a adopté les recommandations des rapporteurs spéciaux et a autorisé la publication de leur communication sous la forme d'un rapport d'information.

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