B. LA CONVENTION DU CONSEIL DE L'EUROPE DU 11 MAI 2011
Le 11 mai 2011, a été signée à Istanbul une convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique. Cette convention a pour objet de prévoir des règles minimales en matière de prévention, de prise en charge des victimes, ainsi que de poursuite et de répression des auteurs d'infractions auxquelles les femmes sont particulièrement exposées, telles que les violences sexuelles (viols et agressions sexuelles), les violences physiques et psychologiques, le harcèlement, les mariages forcés, les mutilations génitales ou encore les « crimes d'honneur ». L'étude d'impact accompagnant le projet de loi présente les stipulations de la convention. En voici l'essentiel.
1. Prévention et soutien aux victimes d'infraction
La convention comporte un volet relatif à la formation des professionnels et à la prévention.
En particulier son article 16 prévoit que les Parties (États signataires) doivent prendre des mesures législatives (ou autres) afin d'établir et de soutenir des programmes préventifs d'intervention et de traitement à destination des auteurs de violences domestiques et sexuelles, dont l'objectif est notamment de les inciter à modifier leur comportement afin de prévenir tout risque de récidive.
Elle comporte aussi des dispositions relatives à la protection et au soutien des victimes d'infraction de façon à ce qu'elles puissent être assistées et accompagnées notamment sur les plans juridiques et matériels.
Aux termes de l'article 28, les Parties doivent veiller à ce que les professionnels normalement liés par les règles du secret professionnel puissent s'en affranchir afin d'adresser un signalement aux autorités compétentes s'ils ont des motifs de croire qu'un acte grave de violences a été commis et risque de se reproduire.
2. Définition des infractions
Les articles 33 à 42 constituent l'une des parties les plus importantes de la Convention, puisqu'ils listent les actes que les Parties doivent ériger en infractions pénales.
Sont ainsi définis et doivent être incriminés : les violences psychologiques, le harcèlement, les violences physiques, les violences sexuelles (dont le viol, les autres actes à caractère sexuel non consentis et le fait de contraindre autrui à se livrer à des actes à caractère sexuel non consentis avec un tiers). Le harcèlement sexuel doit être réprimé, dans le cadre du droit du travail, du droit civil ou du droit pénal.
L'article 37 est relatif à la répression des mariages forcés. Il stipule en particulier que les Parties doivent ériger en infraction pénale le fait intentionnel de « tromper un adulte ou un enfant afin de l'emmener sur le territoire d'une Partie ou d'un État autre que celui où il réside avec l'intention de le forcer à contracter un mariage » . Cette incrimination n'est actuellement pas prévue dans notre droit.
L'article 38 concerne les mutilations génitales féminines. Il impose en particulier d'ériger en infractions pénales le fait d'inciter ou de contraindre une fille à subir une mutilation, ou de lui fournir les moyens à cette fin. S'agissant des faits commis sur une mineure, il prévoit d'incriminer également l'incitation à commettre ces faits, que cette incitation soit ou non suivie d'effet.
L'article 39 est relatif à l'avortement et à la stérilisation forcés, c'est-à-dire pratiqués sans le consentement éclairé de la victime.
L'article 42 prévoit que l' « honneur », la culture, la coutume, la religion et la tradition ne peuvent être invoqués comme justifiant la commission d'infractions, et notamment de celles commises dans le but de punir une victime du fait de son comportement.
Il ressort de l'article 43 que la relation entre l'auteur et la victime de l'infraction ne doit pas faire obstacle à l'engagement de poursuites pénales. Le rapport explicatif cite l'exemple du viol commis entre époux, qui pendant longtemps n'a pas été reconnu comme une infraction.
L'article 45, relatif aux sanctions des infractions et aux autres mesures, impose aux Parties de prendre les mesures législatives (ou autres) nécessaires afin que les infractions visées par la Convention soient passibles de sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives », et puissent inclure des peines privatives de liberté pouvant donner lieu à extradition. Le paragraphe 2 mentionne que les parties peuvent adopter d'autres mesures telles que des mesures de surveillance ou de suivi des personnes condamnées, ainsi que des mesures de déchéance des droits parentaux.
3. Dispositions relatives à l'enquête et aux poursuites
L'article 50 impose aux Parties de prendre les mesures nécessaires pour permettre aux services répressifs d'intervenir en cas d'urgence et d'offrir aux victimes de violences des mesures de prévention et de protection. Ces mesures consistent notamment en la possibilité de pénétrer dans des lieux où se trouve une personne en danger, de traiter et conseiller les victimes de manière appropriée, d'auditionner les victimes dans des locaux de nature à instaurer une relation de confiance.
L'article 52, relatif aux ordonnances d'interdiction, prévoit la mise en oeuvre de mesures destinées, en cas d'urgence, à permettre aux autorités compétentes d'ordonner à l'auteur de violences de quitter le domicile de la victime, et de lui interdire d'entrer en contact avec elle. Ces mesures correspondent, dans notre droit interne, aux ordonnances de protection, délivrées par le juge aux affaires familiales dans les conditions prévues aux articles 515-9 et suivants du Code civil.
Selon l'article 53, dont l'objet est proche de l'article 52, les législations des États parties doivent prévoir la possibilité de rendre des ordonnances d'injonction et/ou de protection en faveur des victimes de violences, dont l'objectif est de prévenir la réitération des faits et de protéger les victimes.
L'article 54 concerne la recevabilité des preuves. Il énonce que les preuves relatives aux antécédents sexuels de la victime ne doivent être recevables que lorsque cela est pertinent et nécessaire. Le rapport explicatif précise toutefois que cet article n'exclut pas la possibilité de présenter de telles preuves.
L'article 55 §1 prévoit la possibilité d'engager des poursuites pénales indépendamment d'une plainte de la victime. Le paragraphe 2 mentionne que les organisations gouvernementales et non gouvernementales ainsi que les conseillers spécialisés dans la violence domestique doivent pouvoir aider et assister les victimes au cours de l'enquête et de la procédure judiciaire.
L'article 56 est relatif aux mesures de protection. Le paragraphe 1 contient une liste des mesures générales nécessaires pour protéger les victimes : mesures de protection des victimes et des témoins, obligation d'information en cas de libération ou d'évasion de l'auteur, information sur les droits des victimes tout au long de l'enquête, possibilité d'être entendues et d'apporter des éléments de preuve, protection de leur image et de leur vie privée, limitation des contacts visuels avec l'auteur des faits, possibilité d'être assistées par un interprète... Notre droit est déjà conforme sur ce point, à l'exception de l'information de la victime en cas d'évasion de l'auteur des faits, qui n'est pas prévue. Le paragraphe 2 traite plus spécifiquement des enfants victimes, qui doivent pouvoir bénéficier de mesures de protection spécifiques adaptées à leur vulnérabilité, comme la possibilité de témoigner hors la présence de l'auteur des faits afin d'éviter toute intimidation.
L'article 57, relatif à l'aide juridique, pose le principe de l'accès des victimes à une aide juridique ainsi qu'à une assistance juridique gratuite, tout en renvoyant au droit interne pour en fixer les modalités.
L'article 58 concerne le délai de prescription. Il impose aux parties de prendre les mesures nécessaires pour que ce délai courre, s'agissant des infractions visées aux articles 36 à 39 (violences sexuelles, mariages forcés, mutilations génitales, avortement et stérilisation forcés), « pour une durée suffisante et proportionnelle à la gravité de l'infraction en question » afin que l'engagement de poursuites pénales puisse se faire à la majorité de la victime.
4. Dispositions relatives à la coopération internationale
L'article 62 §1 énonce des principes généraux devant gouverner la coopération entre Parties. Le paragraphe 2 prévoit que les victimes d'une infraction puissent déposer plainte dans leur État de résidence, quand bien même les faits auraient été commis dans un autre État. Le §4 prévoit que les parties intègrent la prévention et la lutte contre la violence faite aux femmes et la violence domestique dans les accords et programmes d'assistance au développement conclus avec des États tiers au Conseil de l'Europe.
L'article 63 prévoit la transmission d'informations entre Parties, notamment lorsqu'une Partie a de sérieuses raisons de penser qu'une personne risque d'être victime d'infractions prévues aux articles 36 à 39 sur le territoire d'une autre Partie. Les conventions citées dans l'article 63, signées par la France, donnent une base légale à l'échange de telles informations.
L'article 64 invite les Parties à un échange d'informations afin de prévenir toute infraction ; cet échange d'information peut intervenir spontanément, sans demande préalable.