II. LA PRÉVENTION ET LA LUTTE CONTRE LA VIOLENCE À L'ÉGARD DES FEMMES ET LA VIOLENCE DOMESTIQUE
L'arsenal répressif contre les violences faites aux femmes est de plus en plus complet en France. La vraie innovation en application de la convention d'Istanbul est l'incrimination de la tromperie en vue d'envoyer une personne à l'étranger pour lui faire subir un mariage forcé. Il est difficile de lutter contre ce phénomène, et l'État français se trouve assez impuissant quand la personne se trouve en territoire étranger.
La convention d'Istanbul entraîne par ailleurs deux autres changements : l'incrimination de la tentative d'interruption de grossesse non souhaitée, et l'incitation à subir une mutilation sexuelle non suivie d'effet.
A. LES VIOLENCES À L'ÉGARD DES FEMMES
La lutte contre la violence à l'égard des femmes progresse en efficacité en France depuis plusieurs années. L'adaptation de la convention d'Istanbul amène à porter un regard particulier sur les mariages forcés.
1. Une priorité depuis plusieurs années
La lutte contre les violences faites aux femmes fait l'objet d'une priorité de nos politiques pénales, donc de l'action des Parquets et de la Chancellerie. Ceci se traduit par un taux élevé de réponse pénale et une forte augmentation du nombre de condamnations.
Le taux de réponse pénale pour les infractions en la matière est de 88 %. Ce taux correspond à la part des affaires faisant l'objet d'une poursuite, d'une procédure alternative réussie ou d'une composition pénale réussie dans l'ensemble des affaires pouvant faire l'objet de poursuites.
Il est supérieur au taux général (toutes infractions confondues) mesuré en 2011, qui est de 79,1 %. Ceci signifie que le taux de classement sans suite de ce genre d'affaires est relativement plus faible que celui des autres types de faits.
Les condamnations (y compris compositions pénales) pour violences conjugales (crimes et délits) enregistrées par le casier judiciaire pour les années 2004 à 2011 ont augmenté de plus de 80 % passant de 9 129 condamnations à 16 430 (soit 2,4 % des 674 596 condamnations, y compris les compositions pénales inscrites en 2011).
En matière criminelle, en 2011, on dénombre 90 condamnations (96 en 2010). En 2011, on dénombre 14 condamnations pour des violences ayant entraîné la mort du/de la conjoint(e) sans intention de la donner (15 en 2010) et 38 condamnations pour meurtre (contre 46 en 2010).
En matière délictuelle, le nombre des condamnations est de 16 340 en 2011 contre 9 122 en 2004 (soit une augmentation de 79,1 %). La majeure partie est constituée par les violences ayant entraîné une interruption temporaire de travail inférieure ou égale à 8 jours (8 940 en 2011 et 9 209 en 2010).
Les condamnés sont très majoritairement des hommes.
Ainsi, au sein du contentieux des violences conjugales en 2011 :
Source : direction des affaires criminelles et des grâces
Il est probable que les victimes soient le plus souvent des femmes, même si le ministère de la justice n'établit pas de statistiques officielles en la matière.
Dans cette évolution, il n'est pas possible de faire avec certitude le partage entre une éventuelle augmentation de la délinquance réelle et l'effet des politiques de prévention et de répression. Mais ces dernières ont provoqué une prise de conscience et incitent les femmes et la société à ne pas laisser ces actes impunis. Il est donc assez probable que l'augmentation du nombre des affaires ayant une traduction judiciaire n'est pas pour l'essentiel imputable à une augmentation des faits, mais plutôt à une volonté croissante de les révéler et de les réprimer.
L'amélioration de l'accueil des victimes, de la prise en charge immédiate des plaintes, la généralisation des actions des délégations départementales aux droits des femmes, les campagnes médiatiques ont certainement facilité les plaintes en la matière.
Depuis 2005, trois lois et six circulaires ou dépêches sont venues renforcer la protection des victimes et coordonner la politique pénale.
Un guide actualisé relatif aux violences commises au sein du couple, est à la disposition des magistrats des juridictions sur le site intranet de la DACG.
L'évolution de ce contentieux a été marquée au cours de ces dernières années par un souci constant d'amélioration de la protection et de la prise en charge des victimes.
Cette préoccupation s'est particulièrement concrétisée ces dernières années avec l'entrée en vigueur, en 2010, de l'ordonnance de protection des victimes de violences et la mise en oeuvre des dispositifs expérimentaux du DEPAR (dispositif électronique de protection anti-rapprochement) et de la téléprotection.
2. L' « escroquerie » au mariage forcé à l'étranger : un phénomène nécessitant une lutte adaptée
Il n'est pas rare que des familles envoient leurs enfants à l'étranger contre leur gré, suite à une tromperie. Croyant partir en vacances ou rendre visite à une grand-mère malade, des jeunes filles et des femmes sont ensuite contraintes à un mariage.
Le pays est celui d'origine des parents, ou de résidence du futur époux. Il s'agit quelquefois aussi d'un pays d'émigration du reste de la famille, non résidente en France. Les victimes sont très majoritairement binationales.
Outre le mariage forcé, les victimes subissent bien souvent de multiples atteintes à leur liberté, à leur intégrité voire à leur vie. La nuit de noce est bien souvent l'occasion d'un viol. Et par la suite, elles peuvent subir : tenue vestimentaire imposée, avortement forcé, violences, séquestration et autres privations de liberté, mutilations sexuelles, crime dit d'honneur (parce qu'elles ne sont pas vierges ou qu'elles demandent le divorce).
A noter que de nombreuses victimes, y compris les garçons, ne sont pas envoyées à l'étranger en vue d'un mariage forcé mais pour être soustraites à leurs choix de vie personnels : relation hors de la « communauté », homosexualité, concubinage, grossesse hors mariage.
Une des conséquences concrètes du départ à l'étranger suite à tromperie est le non-retour en France des femmes et filles victimes. Certaines ne reviendront jamais en France.
Cet empêchement du retour fait partie intégrante du mode opératoire utilisé par de nombreuses familles pour se soustraire à l'application de la loi française.
Exemple de tromperie en vue d'un mariage
forcé
Témoignage recueilli par l'association « Voix
de femmes »
Objet: SOS aidez-nous SVP Bonjour, Je me présente D. Zahra née le XX 1992 à Lyon (69), ma petite soeur D. Salima née le XX 1996 au Pré-Saint-Gervais (93). Nos parents nous ont emmenées en Algérie en prétextant des vacances mais une fois arrivé, ils nous ont enlevés nos papiers et interdit de quitter le territoire algérien. Ma soeur est forcée à aller dans une école arabe alors qu'elle ne sait ni lire ni écrire la langue, moi je n'ai pas le droit de sortir de la maison sans être accompagnée de mon père ou d'un de mes oncles. Nous sommes dans un village situé à environ 40 km d'Alger et à 10 km de la ville, en deux mois c'est la seule occasion que j'ai de vous lancer cet appel au secours. Ma mère est retournée en France nous laissant seule avec notre père en Algérie. Il est très nerveux et parfois violent, nous n'avons pas d'eau courante et notre habitation est en pleine construction. J'ai essayé d'appeler le consulat de France d'Alger mais en vain... J'ai contacté l'assistante sociale du lycée où j'ai fait mes études -Lycée XXX situé à Pantin 93) Mme XXX qui m'a donné vos adresses mails respectives étant donné que c'est le seul moyen que j'ai d'avoir contact avec l'extérieur. Le téléphone est trop risqué car je suis surveillée 24h/24. Avant d'arrivé ici j'avais validé mon inscription à l'école de formation XX (rue XX à Paris) pour validé un CQP de secrétaire juridique et ma soeur était en classe de 1ere STG au lycée XX (avenue XX aux Lilas 93). Mon père nous dit que la seule condition pour que je rentre en France c'est d'accepter de me marier avec un algérien... Ce que je ne conçois pas. Je vous en prie aidez-nous à sortir de là... Dans l'attente d'une réponse nous donnant un peu d'espoir, veuillez agréer Madame, Monsieur, nos respects. |
Notre droit est pour le moment mal armé pour faire face à ce phénomène, qui se répand d'autant plus que la répression des mariages forcés devient plus efficace sur le territoire national.