C. L'ADAPTATION PROPOSÉE
La France n'a pas encore ratifié la convention du 11 mai 2011. Son volet pénal fait l'objet du présent projet de loi.
1. Le projet de loi
La mise en conformité de la législation française avec la convention du 11 mai 2011 suppose cinq adaptations, dont trois concernant le code pénal sont opérées par l'article 16 du projet de loi et deux concernant le code de procédure pénale sont opérées par son article 17.
L'article 16 opère trois modifications au sein du code pénal. Le 1° crée une nouvelle incrimination sanctionnant le fait de tromper autrui de manière à lui faire quitter le territoire national dans le but de le forcer à conclure un mariage. Le 2° incrimine la tentative d'interruption de grossesse sans le consentement de la personne intéressée. Le 3° incrimine l'incitation non suivie d'effet d'une mineure à subir une mutilation sexuelle.
a) L' « escroquerie au mariage forcé à l'étranger »
L'article 37 de la convention du 11 mai 2011 a pour objet la prévention des mariages forcés.
Notre droit est conforme à cette prévention et cette répression pour ce qui concerne l'imposition d'une contrainte pour contracter un mariage.
En revanche, il ne prévoit pas le cas où le but de la manoeuvre est d'emmener la victime hors du territoire de son État de résidence.
Le projet de loi crée ainsi dans le code pénal un nouvel article 222-14-4 incriminant « le fait, dans le but de contraindre une personne à contracter un mariage ou à conclure une union à l'étranger, d'user à son égard de manoeuvres dolosives afin de la déterminer à quitter le territoire de la République ».
L'élément matériel de l'infraction sera constitué par des manoeuvres dolosives dont l'auteur aura usé à l'égard de la victime. L'expression « manoeuvres dolosives » est consacrée dans notre droit pour couvrir tous les actes visant à tromper autrui dans le but d'induire un comportement qu'il n'aurait pas adopté sans cette tromperie (dol).
Ce nouveau délit sera puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende. Il pourra également être sanctionné de peines complémentaires comme l'interdiction d'exercer une fonction publique, l'interdiction des droits civiques, civils et de famille, l'obligation d'accomplir un stage de citoyenneté ou encore l'interdiction de séjour.
b) Incrimination de la tentative d'interruption de grossesse sans le consentement de la personne intéressée
Le second paragraphe de l'article 41 de la convention impose aux États signataires de sanctionner la tentative d'un certain nombre de faits dont elle prévoit qu'ils doivent constituer des infractions pénales.
Le droit français est conforme à la stipulation de l'article 41 de la convention, hormis pour une infraction, celle d'interruption de grossesse sans le consentement de la personne intéressée mentionnée à l'article 39 de la convention.
Il s'agit de la tentative de l'infraction consistant dans « le fait de pratiquer un avortement chez une femme sans son accord préalable et éclairé ».
L'interruption de grossesse sans le consentement de la personne concernée est sanctionnée par l'article 223-10 du code pénal, qui prévoit des peines de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Aucune disposition expresse ne prévoit que la tentative de ce délit est punissable. Dans l'hypothèse où cette tentative d'avortement serait réalisée par une intervention chirurgicale réalisée par contrainte sur la femme enceinte, elle pourrait être sanctionnée en tant que violences. En revanche, si la tentative d'avortement est réalisée par l'administration à la femme enceinte, à son insu, d'une pilule abortive, l'acte commis pourrait ne pas être punissable. Ce serait le cas si l'avortement n'aboutit pas et si la femme enceinte n'est pas blessée ou intoxiquée.
Le projet prévoit donc explicitement que « la tentative du délit prévu à l'article 223-10 est punie des mêmes peines » que le délit lui-même.
La personne qui aura tenté de commettre ce délit encourra les mêmes peines complémentaires que celui qui l'a effectivement commis, notamment l'interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, d'exercer une activité de nature médicale ou paramédicale.
c) Incrimination de l'incitation non suivie d'effet d'une mineure à subir une mutilation sexuelle
L'article 38 de la convention prévoit l'obligation pour les États de sanctionner pénalement les mutilations génitales (cf supra B.2.).
Le droit interne est conforme aux stipulations de la convention sauf si l'incitation d'une jeune fille à subir une mutilation n'est pas suivie d'effet.
Le projet de loi introduit donc un nouveau délit : « le fait de faire à un mineur des offres ou des promesses ou de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques, ou d'user contre lui de pressions ou de contraintes de toute nature, afin qu'il se soumette à une mutilation sexuelle (...), lorsque cette mutilation n'a pas été réalisée ».
L'élément matériel de l'infraction pourra être caractérisé par plusieurs comportements : il pourra s'agir d'offres, de promesses, de propositions de dons, présents ou avantages quelconques, de pressions ou de contraintes de toute nature.
La victime de l'infraction devra être mineure au moment des faits, conformément au texte de la convention qui parle en l'occurrence de « fille » par différence avec le terme de « femme » utilisé par ailleurs. Le rapport explicatif sur la convention met en évidence l'objectif d'apporter aux mineures une protection particulière allant plus loin que celle accordée aux femmes adultes.
Cependant, le projet de loi ne limite pas l'application de cette disposition nouvelle aux seules jeunes filles, mais le rend applicable à tout mineur, fille ou garçon.
Ce nouveau délit sera puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende. Il pourra également être sanctionné de peines complémentaires comme l'interdiction des droits civiques, civils et de famille, l'interdiction de quitter le territoire de la République pour une durée de cinq ans au plus, l'interdiction d'exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs - à titre définitif ou pour une durée de dix ans au plus, ainsi que la peine de suivi socio-judiciaire.
Ce dispositif pourra avoir un effet préventif : en permettant de poursuivre des adultes (parents par exemple) ayant échoué dans leur tentative d'obtenir la mutilation sexuelle d'un mineur, il permettra plus facilement d'éviter qu'ils n'y réussissent ultérieurement.
d) Information de la victime en cas d'évasion de l'auteur de l'infraction
Parmi les mesures de protection devant être mises en oeuvre, l'article 56 de la convention prévoit que les États doivent veiller « à ce que les victimes soient informées, au moins dans les cas où les victimes et la famille pourraient être en danger, lorsque l'auteur de l'infraction s'évade ou est libéré temporairement ou définitivement ».
Actuellement, la législation française prévoit l'information de la victime dans plusieurs situations de libération par les autorités judiciaires de la personne poursuivie ou condamnée.
En revanche, l'information de la victime n'est aujourd'hui pas prévue en cas d'évasion de la personne poursuivie ou condamnée.
Le projet de loi (art. 17) transpose ces dispositions, en créant dans le code de procédure pénale un nouvel article 40-5 ainsi rédigé :
« En cas d'évasion d'une personne, le procureur de la République en informe la victime des faits ayant entraîné la détention lorsque celle-ci peut encourir un danger ou un risque identifié de préjudice. Cette information n'est pas communiquée si elle entraîne pour l'auteur des faits un risque identifié de préjudice. »
La restriction selon laquelle l'information n'est pas communiquée si elle entraîne pour l'auteur des faits un risque de préjudice - par exemple si la victime ou sa famille a exprimé une intention de vengeance -, n'est pas prévue par la convention du 11 mai 2011, mais elle l'est par la directive 2012/29/UE.
e) Suppression des conditions liées à la nationalité ou à la régularité du séjour pour bénéficier de l'indemnisation par la commission d'indemnisation des victimes d'infractions
L'article 30, § 2, de la convention stipule :
« 2. Une indemnisation adéquate par l'État devrait être octroyée à ceux qui ont subi des atteintes graves à l'intégrité corporelle ou à la santé, dans la mesure où le préjudice n'est pas couvert par d'autres sources, notamment par l'auteur de l'infraction, par les assurances ou par les services sociaux et médicaux financés par l'État. »
Les articles 706-3 à 706-13 du code de procédure pénale permettent aux victimes des infractions les plus graves de bénéficier d'une réparation intégrale des dommages qu'elles ont subis. Décidée par la commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) instituée auprès de chaque tribunal de grande instance, la réparation est ensuite versée par le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et autres infractions (FGTI).
Notre droit subordonne l'accès à l'indemnisation à des conditions de nationalité (française ou d'un État de l'Union européenne) ou de régularité du séjour. Or, l'article 30 de la Convention ne subordonne l'accès à l'indemnisation pour les atteintes graves à l'intégrité corporelle ou à la santé à aucune condition liée à la nationalité ou à la régularité du séjour de la victime.
Le 2° de l'article 17 du projet de loi supprime donc les conditions relatives à la nationalité ou à la régularité du séjour.
L'étude d'impact accompagnant le projet de loi évalue à + 0,46 % l'augmentation du montant des indemnisations qui devront être allouées par les CIVI. Le montant annuel prévu pour les indemnisations versées en 2012 par le FGTI ayant été de 267,52 millions d'euros, l'impact financier de l'élargissement des bénéficiaires potentiels est évalué à 1,230 million d'euros.
2. Apports de l'Assemblée nationale
a) Sur l'escroquerie au mariage forcé
L'Assemblée a adopté la proposition de sa commission des Lois, visant à prévoir la possibilité de prononcer la peine complémentaire d'interdiction du territoire national pour le nouveau délit de tromperie destinée à amener une personne à quitter le territoire national dans le but de lui faire conclure un mariage forcé à l'étranger, mais aussi pour les crimes et délits aggravés - créés par la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes - de violences commises dans le but de contraindre une personne à se marier.
Cette peine complémentaire a un but de prévention de la récidive des infractions liées au mariage forcé, puisqu'elle pourra être prononcée en tenant compte de la gravité des faits et des circonstances permettant de considérer qu'il existe un risque réel et sérieux d'accomplissement d'actes de même nature sur la personne victime ou toute autre personne. L'application de cette peine complémentaire pourra permettre, par exemple, de prévenir la récidive d'un père qui, ayant été condamné pour avoir emmené sa première fille se marier à l'étranger - que ce soit en commettant des violences ou par tromperie - voudrait faire de même avec une deuxième fille.
b) Sur l'incitation à subir une mutilation sexuelle
A l'initiative de Mme Marie-Anne Chapdelaine, l'Assemblée a élargi le périmètre de l'infraction d'incitation d'un mineur à subir une mutilation sexuelle à quiconque ferait l'apologie de cette pratique, et à quiconque provoquerait autrui à le faire sur un mineur déterminé, lorsque la mutilation n'a pas été réalisée.
c) Sur l'information de la victime en cas d'évasion de l'auteur de l'infraction
A l'initiative de sa commission des Lois, l'Assemblée a complété le nouvel article 40-5 du code de procédure pénale pour prévoir que l'information de l'évasion de l'auteur des faits devra être adressée non seulement à la victime, mais aussi à sa famille si celle-ci encourt un danger. Cette modification permet de transposer plus fidèlement l'article 56 de la Convention du 11 mai 2011, qui prévoit que l'information de l'évasion de l'auteur de l'infraction doit être délivrée « au moins dans les cas où les victimes et la famille pourraient être en danger ».