B. LA RÉPRESSION DE LA TRAITE DES ÊTRES HUMAINS EN FRANCE

1. Une criminalité internationale

La traite des êtres humains se caractérise par son aspect international, victimes comme criminels sont le plus souvent étrangers, ce qui exige une attention particulière portée aux avoirs financiers résultant de ces crimes et une collaboration renforcée entre services et par-delà les frontières.

a) Des victimes essentiellement étrangères

La France est un pays de destination mais également un pays de transit pour toutes les formes d'exploitation dans le cadre de la traite des êtres humains. Celle-ci se limite souvent dans les faits à l'exploitation sexuelle ou à la prostitution forcée (80 % des cas).

Évolution du nombre de condamnations pour proxénétisme

Source : direction des affaires criminelles et des grâces

Le traitement de cette infraction a été confié à l'office central de répression de la traite des êtres humains. 189 victimes françaises ont été recensées en 2010 pour 149 en 2011. Toutes nationalités confondues 654 victimes ont été dénombrées la même année (Afrique 172, Europe de l'Est et Balkans 159, Europe de l'Ouest 156, Amérique du Sud 83, Asie 58 et Maghreb 26).

Depuis les années 1990, les victimes de traite à des fins de prostitution sont à 80 % environ de nationalité étrangère. Par exemple en 2011, sur les 12 enquêtes pour traite des êtres humains en zone Gendarmerie, 25 victimes étaient étrangères pour 4 françaises. Elles sont majoritairement issues de régions économiques très défavorisées. Les proxénètes exploitant ces victimes sont eux aussi des mêmes nationalités étrangères.

Que ce soit pour les victimes ou les auteurs, les "pays sources" de la prostitution sur le territoire français sont  par ordre d'importance les suivants : Roumanie, Bulgarie, Nigeria,  Brésil, Équateur et Chine.

L'exploitation sexuelle n'est toutefois pas la seule forme de traite des êtres humains, qui vise aussi le travail forcé et la criminalité forcée (le vol en particulier).

Les victimes sont aussi bien des hommes que des femmes.

Source : direction générale de la gendarmerie nationale

b) La question fondamentale de la saisie des avoirs criminels

Les forces de l'ordre françaises développent systématiquement les recherches visant à identifier et à saisir les avoirs criminels.

L'État Français s'est efforcé ces dernières années de renforcer son dispositif judiciaire et ses outils répressifs dans le domaine de la confiscation des avoirs criminels. Depuis 2005, la direction centrale de la police judiciaire s'est dotée d'une plateforme d'identification des avoirs criminels dont les fonctionnaires sont chargés des enquêtes sur les patrimoines lors d'affaires judiciaires touchant la criminalité organisée. La police aux frontières (PAF) a créé en janvier 2011 une unité spécialisée dans la recherche et la confiscation des avoirs criminels issus de la traite. Le groupe des affaires signalées et des avoirs criminels enquête en collaboration avec les services fiscaux, services sociaux et autres services.

Ces dispositifs ont permis une forte augmentation du montant des avoirs criminels saisis. En fin d'année 2011, le montant des avoirs criminels saisis par la PAF relativement à ces faits s'élevait à 1 661 265 euros soit 8 fois plus qu'en 2010. En outre, la loi du 9 juillet 2010 vise à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale. Elle permet de geler les biens des trafiquants présumés dès le début de l'enquête. Ce texte crée une procédure de saisie pénale aux fins de confiscation (biens mobiliers et immobiliers, biens incorporels) et instaure une Agence de gestion et recouvrement des avoirs saisis et confisqués.

c) L'importance de la coopération entre forces de l'ordre

La complexité des affaires de traite des êtres humains, les réseaux mafieux qui en sont à l'origine, et leurs ramifications internationales, justifient que les enquêtes soient le plus souvent confiées aux juridictions interrégionales spécialisées (JIRS).

L'Unité de coordination opérationnelle de la lutte contre le trafic et l'exploitation des migrants a été créée le 25 octobre 2010. Elle procède au démantèlement de filières d'acheminement de clandestins et combat toutes les formes d'exploitation qui en découlent (travail dissimulé, traite des êtres humains, traitement contraire à la dignité humaine etc...).

L'Office Central pour la Répression de l'Immigration irrégulière et de l'Emploi d'étrangers Sans Titre, dépendant de la Police nationale, a également établi un partenariat avec l'Office Central de lutte contre le travail illégal, qui relève de la Gendarmerie, afin de renforcer la lutte contre l'emploi des étrangers sans titre, cette infraction étant souvent liée aux filières d'aide à l'entrée et au séjour irréguliers.

2. Les difficultés rencontrées

La répression de la traite des êtres humains rencontre des difficultés de plusieurs natures, certaines sont matérielles, mais d'autres sont juridiques, et la directive comme le présent projet de loi s'efforcent d'y remédier.

a) Les difficultés de la coopération internationale

La section centrale de coopération opérationnelle de police est chargée de mettre en oeuvre le dispositif de coopération internationale le plus adapté dès lors que les faits constatés comportent des éléments étrangers (auteur ou victime étrangère, faits commis hors du territoire). Les enquêtes donnent lieu à des commissions rogatoires internationales.

La coopération progresse au sein de l'Union européenne, en particulier avec la Roumanie et la Bulgarie, États membres principalement concernés. Elle donne souvent lieu à la mise en place d'équipes d'enquête communes. En revanche cette coopération est plus difficile avec les États hors d'Europe. La Russie et le Nigéria par exemple, ne répondent pas aux demandes d'entraide de la France.

b) Les problèmes de protection des victimes

Les victimes de traite des êtres humains sont bien souvent dans des situations qui les vulnérabilisent au regard du droit français : elles se trouvent sur le territoire en situation irrégulière et/ou amenées à commettre des actes délictueux ou criminels au profit des auteurs de la traite. Cette situation pose des problèmes dans la détection puis la protection de ces victimes, qui elles-mêmes cherchent à échapper aux contacts avec les services publics. Cela rend aussi plus difficile l'établissement des faits, les victimes éprouvant les plus grandes difficultés à s'affranchir matériellement de la mainmise des trafiquants (sans compter les menaces sur leurs familles restées au pays).

Nos services tentent de faire face à cette problématique. Consigne est donnée aux unités arrêtant des personnes ayant commis des faits souvent constatés dans un cadre de traite (cambriolage, vol dans les transports, racolage etc.) de rechercher si ces personnes ne sont pas victimes de traite. Par ailleurs la loi prévoit un délai de réflexion de 30 jours laissée à la victime pour collaborer, et si elle opte pour cette collaboration, elle bénéficie d'un titre de séjour de 6 mois et le cas échéant du témoignage sous X et/ou d'une protection policière.

A noter que l'article 17 du présent projet de loi, en adaptation de la convention d'Istanbul, supprime la condition de régularité du séjour pour bénéficier des indemnisations prévues pour les préjudices corporels graves résultant des infractions les plus graves (voir infra -II-C-1. e) )

c) Un déficit de formation et de moyens d'hébergement

Les procédures relatives à la traite des êtres humains sont relativement rares (une trentaine par an, dont une dizaine en zone Gendarmerie). D'où la nécessité de renforcer la formation des enquêteurs de terrain, d'autant plus que le présent projet de loi devrait faciliter l'utilisation de cette incrimination.

Par ailleurs, les services et associations se heurtent bien souvent à des difficultés pour loger les victimes, faute de places d'hébergement en nombre suffisant.

d) Une difficulté à établir l'infraction

Le plus souvent connexe à des faits de proxénétisme, l'infraction de traite des êtres humains n'est actuellement quasiment jamais retenue par les parquets. La traite n'est retenue que dans environ 10 % des cas où elle pourrait l'être, les services préférant recourir à la seule qualification de proxénétisme, plus facile à établir.

Dans le droit actuel il faut en effet établir systématiquement qu'il y a eu échange de rémunération. Il faut aussi établir qu'il y a eu menaces, contraintes, violences ou autres sur la victime et recherche d'un profit financier de la part du trafiquant, l'un des deux types d'éléments ne pouvant suffire à soi seul.

Par ailleurs notre droit ne prévoit actuellement pas de lier la traite à l'esclavage ou au prélèvement d'organes, ce qui impose dans ces deux derniers cas de recourir à d'autres qualifications criminelles même lorsque, ce qui est le plus souvent le cas, ces crimes sont commis dans le cadre d'un trafic organisé d'êtres humains.

La directive et le présent projet de loi tendent à remédier à ces lacunes.

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