Docteur Roland COUTANCEAU
Fondateur d'une antenne de psychiatrie et
psychologie légale
réservée aux adultes à la
Garenne-Colombes
Président de l'Association de psychiatrie et de
psychologie légale
M. COUTANCEAU
.- Pour la clarté de ce que j'ai
à dire, je vais vous annoncer le schéma de l'axe que je suivrai.
Tout d'abord, je vous donnerai un certain nombre de données actuelles de
cliniciens qui, en France, dans les pays francophones et aux Etats-Unis,
s'occupent du suivi des délinquants sexuels.
Dans un deuxième temps, je parlerai des particularités du suivi
de ces délinquants sexuels et de ce que l'on peut concevoir comme
expérience institutionnelle pour suivre ces délinquants.
Ensuite, après l'exposé de toutes ces données, je donnerai
quelques éléments sur les modalités de terrain, car je
pense qu'au-delà du vote du texte, il est souhaitable que la
représentation nationale y reste attentive afin que, dans la pratique,
on puisse stimuler ces expériences institutionnelles.
Mais je commencerai par me présenter professionnellement. Je suis expert
près des cours d'appel depuis plus de quinze ans. Je suis, depuis une
dizaine d'années, psychiatre consultant au Centre national des prisons
de Fresnes, un lieu où passent après assises tous ceux qui ont un
reliquat de peine de plus de dix ans, et j'ai créé il y a
quelques années une consultation en criminologie clinique et en
psychiatrie-psychologie légale s'adressant d'abord aux victimes puis,
à partir de 1991-1992, aux sujets transgressifs, en particulier aux
délinquants sexuels.
Par ailleurs, j'ai participé à des travaux de commission qui sont
cités dans le projet de loi, notamment ceux de la Commission Balier sur
le traitement des agressions sexuelles. J'ai aussi été entendu,
par la Commission Cartier et j'ai participé à la Commission sur
l'expertise de prélibération conditionnelle avant la sortie de
prison.
Par l'intermédiaire de l'Association de psychiatrie et psychologie
légale, dont je suis le président, nous avons un réseau,
notamment, avec nos collègues francophones belges et canadiens qui
s'occupent du même problème.
Quelles sont les données sur cette question ? Je parlerai d'abord
de la récidive.
Dans la littérature internationale, les chiffres sur la récidive
sans suivi ni traitement des délinquants sexuels sont les suivants. En
ce qui concerne les pères incestueux, nous avons moins de 5 % de
récidive en l'absence de tout suivi. Cela veut dire que l'inceste
judiciarisé récidive peu. Mais il y a quand même un certain
nombre de sujets qui récidivent, notamment certains comportements
incestueux qui masquent en fait une logique pédophilique. Il s'agit
souvent d'un beau-père dont on s'aperçoit au bout d'un certain
nombre de semaines de suivi qu'il a séduit la mère mais que son
but premier était l'accès aux enfants. C'était un
pédophile masqué derrière le comportement incestueux.
Vous voyez donc que l'inceste judiciarisé récidive peu,
d'où l'importance de l'expertise, parce qu'il y a quand même ceux
qui récidivent.
En ce qui concerne les violeurs de femmes adultes, on a moins de 10 % de
récidive en l'absence de tout suivi.
En ce qui concerne les pédophiles, on a 10 à 20 % de
récidive en l'absence de suivi.
Je vous donne maintenant, pour la France, les chiffres sur la récidive
du ministère de la Justice (ils sont sortis récemment) concernant
l'analyse des casiers judiciaires après un regard de plus de huit
à dix ans : viol/viol : 3,5 % ; attentats à la
pudeur/viols (il s'agit d'une majoration de l'agression) :
3,5 % ; attentats à la pudeur/attentats à la
pudeur : 10 %. Le clinicien voit la fréquence de la
récidive dans la dynamique pédophilique. En effet, quand on passe
d'un attentat à la pudeur à un autre attentat à la pudeur,
on s'aperçoit que beaucoup de pédophiles sont, comme je le dis
familièrement, des tripoteurs manipulateurs, c'est-à-dire qu'ils
s'en tiennent, pendant un temps en tout cas, à l'attentat à la
pudeur.
Je déduis de ces chiffres que, premièrement, tous les
délinquants sexuels, si c'est un homme qui a commis un viol, ne sont pas
des récidivistes, ce qui justifie l'importance de l'expertise de ce
problème difficile qu'est la dangerosité criminologique. Bien
évidemment, l'expert ne peut pas mettre sa main au feu à cet
égard, mais ceux d'entre nous qui connaissons le mieux ces sujets
peuvent donner au magistrat, pour l'éclairer, les éléments
de relatif bon pronostic et les éléments de relatives
réserves en ce qui concerne tel ou tel individu.
L'un des éléments importants pour apprécier la
dangerosité de quelqu'un, c'est, notamment, de voir son positionnement
humain et psychologique face aux faits qui lui sont reprochés en lui
disant simplement : "que pouvez-vous nous dire sur le fait que l'on vous
accuse
d'avoir fait cela ?" C'est ce qui permet de décoder sa
personnalité.
Deuxièmement, qui sont-ils au point de vue psycho-pathologique (et
je n'abuserai pas de notre jargon) ? Il y a très peu de
névrosés et de psychotiques parmi les délinquants sexuels.
Ils ont des troubles de la personnalité. Ce sont des psychopathes
impulsifs et instables, des caractères paranoïaques, rigides,
susceptibles, méfiants, égocentriques, mégalomanes, et
souvent plus des immaturo-pervers que des pervers à proprement parler,
c'est-à-dire des sujets qui ont un égocentrisme infantile et une
tendance, finalement (pour le dire avec un concept moderne), à
dénier l'altérité d'autrui : ils s'occupent
très peu de l'autre. C'est une espèce d'égocentrisme
pulsionnel.
Par conséquent, ils ont des troubles de la personnalité. Je pense
donc qu'à la question de savoir si ce sont des délinquants ou des
malades, on peut répondre que ce sont au moins des délinquants et
des malades, quoique "malades" n'est pas le terme adéquat. Sauf,
peut-être, pour les pédophiles, pour lesquels la classification
internationale considère le fait d'avoir une fantasmatique
privilégiée pour l'enfant comme une pathologie mentale, la
plupart des délinquants sexuels ne sont pas des malades, de mon point de
vue. Il y a d'ailleurs beaucoup de délinquants sexuels, heureusement
(même si cela fait une de trop), qui ne feront qu'une seule agression
sexuelle dans leur vie. C'est dire qu'ils sont sensibles à la sanction
judiciaire.
Là encore, cela me fait penser que la manière de se situer face
à eux est plus claire si l'on se situe plutôt d'un point de vue
juridique que d'un point de vue médical. Beaucoup me disent : "j'ai
compris ; je ne récidiverai pas". Que puis-je leur
répondre ? Je ne leur dis pas forcément : "vous
êtes un malade". Simplement, en termes sociaux, on peut leur dire que la
société s'octroie le droit de vérifier, de confirmer ou,
le cas échéant, d'infirmer la non-dangerosité qu'ils
veulent bien mettre en avant.
Au fond, il me semble (et vous verrez la manière dont je conclurai tout
à l'heure sur le problème de l'injonction ou de l'obligation de
soins) qu'il ne faut pas que le seul argument de la société soit
de dire : "soignez-vous". Il faut pouvoir dire : "nous
allons accompagner
votre sortie d'un certain nombre de mesures sociales, dont l'une pourrait
être, dans le champ de la justice et non pas forcément dans celui
de la santé, le fait de participer à des groupes de parole".
Autrement dit, cela pourrait être dans le champ de la santé, mais
ce n'est pas forcément le cas.
C'est ce que mon ami belge Freddy Gazan appelle "la guidance",
c'est-à-dire que le ministère de la Justice pourrait tout
à fait s'octroyer un suivi non pas thérapeutique mais
criminologique pour imposer, comme mesures sociales, un lieu où,
parallèlement à d'autres mesures de contrainte, on dirait
à ce sujet : "la société s'octroie un certain hamac
de sécurité".
Par conséquent, j'anticipe sur mon regard de tout à
l'heure : il y aurait, de temps en temps, le champ du soin, pour ceux qui
en accepteraient la perspective. Quant aux autres, la société
leur imposerait un suivi non pas thérapeutique mais criminologique et
ils seraient donc dans le champ propre de la justice.
Le troisième élément qui permet de situer ces sujets,
c'est qu'ils sont extrêmement variables. Ils sont très
différents sur le plan psychopathologique, ils posent des
problèmes de dangerosité criminologique éminemment
différents et ils se positionnent de façon tout à fait
différente face aux faits. Pour travailler, par exemple, dans le champ
du soin, il faut qu'il y ait au moins une reconnaissance partielle ou
implicite. "
Je ne m'en souviens pas, mais si elle le dit, c'est
vrai"
,
disent certains délinquants, qui disent ne pas se souvenir mais qui ne
critiquent pas - c'est très important - le discours de la
victime.
Face à cela, il y a les négateurs, ceux qui nient banalement,
sans protester contre leur incarcération, ceux qui nient en mettant en
avant le complot ou ceux qui nient perversement, avec un grand sourire, en
disant : "ce n'est pas moi" et souvent avec une attitude de défi.
Dans le champ de la santé, le psychiatre ou le psychologue-clinicien ne
va prendre en charge que ceux qui reconnaissent les faits. Cela aurait-il un
sens de prendre quelqu'un qui nie ? Pour le psychiatre thérapeute,
non. En revanche, pour le psychiatre criminologue, c'est extrêmement
intéressant et, curieusement, à l'antenne de psychiatrie et de
psychologie légale où je travaille depuis des années avec
l'obligation de soins, qui existait déjà dans la loi avant le
projet des deux Gardes des Sceaux, je vois aussi (mais je n'appelle pas cela de
la thérapie), dans une évaluation longitudinale, certains
individus qui nient et qui, curieusement, disent : "je nie, mais je
veux
bien vous revoir, Docteur". Qu'est-ce que cela veut dire ? Sur le plan
rationnel, faut-il leur dire : "votre attitude n'est pas
logique ; si
vous niez, pourquoi venir en thérapie ou en entretien ?" ou faut-il
tenter une évaluation longitudinale qui permettrait au sujet
d'éventuellement reconnaître les faits ?
De façon générale (et c'est pourquoi je me suis
démarqué de l'ensemble des psychiatres qui, finalement, n'ont pas
la pratique, ni par l'expertise, ni par le milieu carcéral, ni par le
suivi de ces délinquants sexuels), il y a un concept extrêmement
important en criminologie clinique : la situation à risque. Il y a
des sujets qui ont une psychopathologie moyennement criminogène mais qui
vont déraper exceptionnellement dans une situation à risques.
Là aussi, il est extrêmement important d'essayer de repérer
les choses sur le plan de l'expertise et, par conséquent, de ne pas
mettre des systèmes trop contraignants.
Je veux dire qu'il y a une intelligence du tri et une pertinence de l'expertise
qui doivent présider au choix de prononcer ou non cette peine de suivi
socio-judiciaire, sous la responsabilité du magistrat
éclairé par un certain nombre d'éléments.
Quelles sont les spécificités de ce que nous faisons, nous, en
psychiatrie légale ?
Premièrement, sur cent sujets délinquants sexuels (et les
chiffres peuvent varier), dans mon échantillon, 10 % seulement font
une demande spontanée, 70 % vont accepter si le magistrat leur
dit : "il faudrait que vous soyez suivi", et 20 % refusent
un suivi,
soit parce qu'ils disent : "je nie et il est logique que je
refuse", soit
parce que ces sujets, tout en reconnaissant les faits, disent : "je
n'aime
pas les psychiatres ni les psychologues et j'ai compris : la
société m'a condamné et je ne recommencerai plus".
A partir de là, dans notre champ de psychiatres, il y a une
idéalisation du problème de la demande qui, à mon avis,
est simplement adaptée pour les névrosés. Les sujets qui
ne sont pas névrosés ne demanderont jamais un suivi, sauf si on
les y incite. C'est notamment l'expérience qui a été faite
dans le milieu carcéral par Claude Balier, qui vous parlera tout
à l'heure. Il s'agit, au fond, d'inciter et de stimuler ces sujets qui
sont des "immaturo-quelque chose". Ce sont en effet des
immatures :
immaturo-paranoïaques, immaturo-pervers, immaturo-psychopathes. Certains
d'entre eux vont accepter le principe du suivi, mais après une forte
incitation.
Quel est l'enjeu de ces thérapies ? Elles sont différentes, que
les collègues le veuillent ou non, des thérapies classiques. Il y
a en effet quelque chose de classique qui consiste à aménager la
personnalité et à travailler avec le sujet, mais il y a des
choses spécifiques à la psychiatrie légale comme l'analyse
du passage à l'acte et la confrontation du sujet à son passage
à l'acte.
Ce qui me semblait le plus pratique, c'est que la loi nous donne accès
au dossier pénal. En effet, on ne peut pas faire une thérapie ou
un suivi d'un sujet délinquant sexuel si on ne le confronte pas à
son dossier dans le cadre de cet espace. Il faut donc que l'on ait accès
au dossier, sans quoi il va banalement minimiser les choses alors que la
qualité même de ce que je peux me représenter de son
évolution dépend de la qualité de son autocritique par
rapport à tous les aspects précis qui lui sont reprochés
par la victime. Par conséquent, l'analyse du passage à l'acte est
spécifique.
Le deuxième élément qui n'est pas habituel pour nos
collègues - et c'est normal - c'est la prévention de la
récidive. Un thérapeute a habituellement un contrat singulier
avec une personne qui lui demande de venir le voir, ce qui est assez simple. En
l'occurrence, en psychiatrie et psychologie légale, qu'il le veuille ou
non, le thérapeute est obligé d'avoir à l'esprit, sans
être obsédé ou trop inquiété par cela, le
problème de la récidive. La récidive n'est pas un
symptôme comme un autre.
En ce qui concerne le positionnement par rapport à ces sujets, quand la
consultation externe a été connue, je peux vous dire que des
sujets sont venus me voir et qu'ils voulaient me raconter comment ils
touchaient habituellement des enfants en me disant : "Docteur, il
faut que
je m'en sorte". Je leur ai donc dit d'emblée, dans les entretiens
préliminaires : "ici, Monsieur, on vous aide à ne pas
récidiver ou à ne pas passer à l'acte". Il s'agit
finalement d'un classique de la thérapie : "on peut tout penser, on
peut tout fantasmer, y compris toucher des enfants, mais on ne peut pas passer
à l'acte".
Si le contrat singulier n'est pas marqué d'emblée, si on ne
précise pas très fortement au sujet que l'on n'est pas là
pour l'écouter gentiment mais pour l'aider afin qu'il s'interdise
désormais tout passage à l'acte, on ne peut pas progresser. Ce
préliminaire est donc absolument indispensable à ces
consultations en psychiatrie et psychologie légale.
Au-delà de ces données, j'en viens à quelques
réflexions sur les lieux institutionnels où, à mon avis,
on pourrait faire ces suivis. Le premier, bien sûr, c'est la prison. Moi
qui ai tenté cette consultation en externe, je suis ravi (et vous me
comprendrez) que le sujet ait d'abord été suivi en milieu
carcéral. Pour ceux qui m'ont été envoyés "bruts",
avec leur seule évolution, en sortant de la prison, nous avons eu un peu
de mal à les cadrer, comme vous pouvez l'imaginer. Par
conséquent, il est évident qu'une forte incitation dans le milieu
carcéral est fondamentale.
Mais j'écoutais les députés débattre du projet et
je voyais qu'il restait un petit différend, notamment, entre
l'injonction de soins et l'obligation de soins, et je vais vous proposer ce qui
serait, pour moi, praticien de terrain, consensuel et intellectuellement
cohérent avec les suivis dont j'ai l'expérience.
Indiscutablement, puisque je travaille avec l'obligation de soins depuis des
années, en ce qui me concerne, le premier projet de loi ne me posait pas
de problèmes. Cependant, je pense que pour ce qui est des
modalités d'application, en tenant compte de la culture qui est celle de
l'ensemble de la profession aujourd'hui, il est évident que la
deuxième mouture passe mieux.
Cela dit, est-ce que l'on peut transcender les choses ? Avec
l'expérience de la consultation spécialisée, je
m'intéresse intellectuellement, bien sûr, au suivi de ces sujets,
mais vous avez vu que les chiffres de récidive, indépendamment du
suivi, sont moins importants que l'on aurait pu le craindre (à un moment
donné, on disait que les délinquants sexuels récidivent
beaucoup).
Par conséquent, ce qui me préoccupe, c'est de savoir si l'on peut
dépister par l'expertise ceux dont on peut penser, à tort ou
à raison, qu'ils seraient les plus problématiques. Finalement,
s'il y a un cadre législatif, est-ce qu'il ne doit pas tenter
(l'expérience montrera si c'est efficace ou non) de "serrer le jeu"
(pardonnez-moi l'expression) sur ceux dont on peut penser qu'ils sont plus
problématiques ?
Je pense personnellement, bien que je ne l'aie pas encore
vérifié, qu'il y a peut-être plus de récidivistes
parmi les sujets qui nient les faits que parmi les sujets qui les reconnaissent
(reconnaître quelque chose, c'est un élément humain), mais
c'est à vérifier. On peut le reconnaître aussi
artificiellement, mais, à mon avis, il y a peu de gens qui sont assez
subtils pour être à ce point stratégiques face à
l'expert ou au magistrat.
Par conséquent, ma préoccupation, en tant que psychiatre
criminologue, c'est effectivement qu'il y ait un mode de fonctionnement
efficace. Je pense donc intellectuellement, en tant que spécialiste,
d'après des débats que j'ai vus se produire en Belgique ou
ailleurs, qu'il serait cohérent que les experts formés puissent
tout d'abord éclairer au mieux le magistrat pour qu'il n'ouvre pas le
parapluie et prononce une peine de suivi socio-judiciaire. En effet,
après tout, nous avons déjà un arsenal pour suivre
certains individus puisque nous travaillions, avant la loi actuelle, dans le
cadre de l'antenne de psychiatrie et de psychologie légale.
Ensuite, à mon avis, les mesures sociales sont aussi efficaces que le
suivi. Par exemple, il y a des sujets pédophiles qui ne transgresseront
que dans le cadre particulier de la fonction professionnelle ou d'une
activité de loisirs proposée aux enfants. Si on leur interdit
cela, on se donne un élément extrêmement fort pour les
empêcher de récidiver. C'est pourquoi je dis que la mesure sociale
est aussi efficace, sinon plus, que l'obligation de suivi.
Mais j'en viens à l'obligation de suivi. Ce qui me semblerait
intellectuellement le plus cohérent, c'est que l'obligation de suivi
soit prononcée systématiquement, effectivement, quand il y a
peine de suivi socio-judiciaire et non pas pour tous les cas, et que l'on ait
deux armes.
La première, si le sujet l'accepte, serait le champ du soin. Avec des
sujets qui reconnaissent, c'est cohérent pour le psychiatre, grâce
à des équipes de psychiatrie légale qui acceptent de
travailler avec l'injonction de soins. A cet égard, la deuxième
mouture du texte, pour le champ du soin, est tout à fait
toilettée et opérante.
En revanche, je ne vois pas pourquoi le législateur pourrait s'interdire
une obligation de suivi (ce serait la deuxième arme), au cas où
le sujet refuserait le champ du soin, qui serait dans le champ de la justice.
Le modèle, c'est la consultation du C.R.A.S.C. de mon ami Freddy GAZAN,
en Belgique, qui est une institution subventionnée par le
ministère de la Justice et qui n'est pas un établissement de
soin. Il appelle cela "la guidance", mais peu importe ; d'autres
l'appelleront "l'accompagnement psycho-pénal", c'est-à-dire que
le ministère de la Justice se donne un bras propre avec obligation de
suivi.
En fait, à partir du moment où l'on ne considère pas tous
ces sujets comme malades, est-il pertinent de parler de thérapies ?
Simplement, la société s'octroie la possibilité d'avoir un
accompagnement pour vérifier, le cas échéant, si quelqu'un
est ou non dangereux.
Il y aurait donc là une deuxième arme dans le champ de
l'application des peines, parallèlement à d'autres mesures
sociales, par le biais de groupes de parole destinés à la
prévention de la récidive, des groupes à proprement parler
criminologiques et n'appartenant plus au champ de la santé qui
pourraient s'adresser, par exemple, à des sujets qui nient. Un
psychiatre ne les prendra pas dans le champ du soin, mais on pourrait leur dire
: "l'une des mesures sociales, Monsieur, consiste à ce que, tous les
quinze jours ou tous les mois, vous irez dans un groupe, parce que la justice
de la République vous a reconnu coupable".
Par conséquent, on aurait aussi une arme psychologique à cet
égard. En effet, tous ces sujets, pour moins récidiver, ont
besoin malgré tout, au titre des mesures sociales d'interdiction,
d'être confrontés à leur passage à l'acte,
d'être interpellés psychologiquement sur ce qu'on leur reproche et
sur le respect de l'autre. Ces groupes de la prévention de la
récidive pourraient donc dépendre aussi du ministère de la
Justice.
Voilà ma proposition pour transcender ce débat, qui me semble, en
tant que praticien de terrain - je ne vous le cache pas - un peu
intellectuel et qui concerne la différence entre l'injonction de soins
et l'obligation de soins.
J'en viens maintenant à quelques remarques sur le texte.
En ce qui me concerne, je suis surtout soucieux que le texte soit applicable
sur le terrain, puisque j'y suis et (pourquoi pas ?) qu'il soit le moins
dépensier possible. Je vous mets effectivement en garde contre les
mesures de systématisation. Par exemple, je ne pense pas pertinent,
après évaluation, que tous ces sujets (je le dirai aux magistrats
car je suis formateur à l'E.N.M.) relèvent d'un suivi
socio-judiciaire. Il ne faut pas être inquiet avec tous les
délinquants sexuels, même en les faisant évaluer une fois.
Il faut donc prendre un certain nombre de risques, sans quoi on va
systématiser les suivis, ce qui serait aberrant.
Par conséquent, il vaut mieux cibler notre effort, d'où la
qualité de l'évaluation.
Deuxièmement, il est apparu (je n'ai pas trop compris pourquoi et je le
dis franchement devant le Sénat) la question d'une double expertise
obligatoire, qui me semble extrêmement lourde économiquement.
Maintenant, je ne sais pas si d'autres médecins que des psychiatres
veulent aussi participer à l'accessibilité du suivi. La loi
prévoit un médecin et cela ne me choque pas que, de temps en
temps, des endocrinologues ou des médecins qui s'intéressent
à la criminologie soient évaluateurs pour le magistrat, mais cela
me semble (et je le dis à la représentation nationale) une
dépense folle et inutile. Il faut que l'expertise soit faite par
quelqu'un de formé ; c'est tout.
Personnellement, je ne plaide pas spécialement pour la chapelle des
psychiatres de façon exclusive. Je pense qu'il faut que ce soient des
gens rompus à la criminologie clinique, mais la double expertise me
semble une dépense inutile pour la collectivité publique.
Je pense aussi que, même si ce n'est pas - et j'en suis bien
conscient - le cadre législatif, il est important d'éclairer
la représentation nationale d'éléments sur des
modalités de terrain qui nous préoccupent.
Au fond, comme vous le voyez, il faut que les choses soient bien
évaluées. Effectivement, les experts ont actuellement un
problème, c'est que l'expertise pénale, de notre point de vue,
devrait avoir un statut particulier. Actuellement, des experts
démissionnent, non pas simplement parce que l'expertise pénale
est moins payée qu'au civil, mais surtout parce qu'elle est prise dans
le champ global de l'expertise, qui est en général une pratique
libérale. Il y a donc une logique de fiscalisation particulière,
alors que, parmi les experts, il y a des gens comme moi, qui expertisent
beaucoup, et des collègues de terrain qui vont faire deux ou trois
expertises par mois et qui ne peuvent donc pas relever d'une logique
privée, d'autant que ce sont des psychiatres publics.
Il y a donc là une mesure technique à prendre (la Commission des
lois pourrait peut-être nous aider à ce sujet) sur la
spécificité de l'expertise pénale.
De même (mais je suis bien conscient du fait que ce n'est pas le cadre
législatif), il est évidemment important que le ministère
de la Santé pense à l'application de la loi dans le champ propre
de la santé. En ce qui me concerne, j'ai demandé que ce que font
certains psychiatres des hôpitaux soit considéré comme de
la santé publique. En effet, ce n'était pas le cas et mon
directeur, qui est un ami, me dit parfois de façon
familière : "tu voles de l'argent à la Santé pour un
budget qui devrait être attribué à la Justice". C'est une
polémique intra-hospitalière, mais il me semble important de dire
qu'il s'agit de santé publique.
Par ailleurs, vous avez vu que les psychiatres - et c'est normal -
sont inquiets parce qu'ils ont déjà d'autres pathologies à
prendre en compte. Je propose donc que les services qui veulent le faire soient
des services volontaires, afin que l'on n'oblige pas les gens à faire
ces suivis en psychiatrie légale, que les services qui veulent le faire
aient une équivalence de psychiatrie légale et que, si possible,
on ait une petite aide dans les restructurations actuelles des hôpitaux.
Ces éléments très concrets sont extrêmement
intéressants.
Je dirai un mot, pour finir, sur le problème des victimes.
J'ai fait, depuis des années, des expertises de retentissement
psychologique et de crédibilité, et si je soutiens tout à
fait la possibilité, pour une victime, que son audition soit
vidéoscopée, je m'interroge (je vous le dis franchement) sur sa
systématisation. En ce qui me concerne, contrairement à d'autres
collègues, je ne pense pas que le fait de parler à une victime de
ce qui s'est passé soit forcément traumatisant. Je pense que cela
dépend du tact de l'intervenant, du tact du magistrat, du tact de la
brigade des mineurs (j'ai vu des policiers extrêmement bien
formés) et du tact de l'expert, c'est-à-dire que le tact humain
me semble plus important que toute systématisation obsessionnelle et
difficile à faire.
A cet égard, je vous ferai observer (certains d'entre vous sont
juristes) qu'il y a des inconvénients à la vidéo
systématique. Vous comprenez bien que si l'interlocuteur qui interroge
l'enfant pose n'importe quelle question trop suggestive, elle est visible
à jamais et qu'elle peut donc prêter à une
polémique. En effet, la plupart des victimes - inutile de le
dire - sont sincères : on ne s'amuse pas à raconter que
l'on est violé par son père. On vient très peu
déclarer que l'on a été violé car c'est souvent
auto-traumatique, c'est-à-dire que le pourcentage de
crédibilité est très fort en ce qui concerne l'inceste,
très fort aussi en ce qui concerne l'agression des enfants et
relativement fort pour les agressions sur les femmes adultes.
Par conséquent, c'est plus une confirmation de la
crédibilité qui est en jeu pour l'expertise, mais, en ce qui me
concerne, à la fois pour des raisons stratégiques, des raisons de
réalité et des raisons économiques, je
préférerais (mais c'est un regard que je vous donne de
façon tout à fait ouverte) que l'entretien
vidéoscopé soit une option pour les parents de l'enfant victime
et que l'on ne le systématise pas, parce qu'on risque d'avoir une
difficulté de terrain.
En outre, je pense que ce qui compte le plus, c'est la formation des
intervenants face à l'enfant. A mon avis, un entretien avec quelqu'un
qui est formé est une chance pour certains enfants victimes, car il est
bon aussi qu'un adulte structurant leur dise quelque chose sur ce qui s'est
passé. Interpeller quelqu'un pour le faire parler de ce qui s'est
passé, cela peut être une chance s'il est face à quelqu'un
d'humain qui lui dit quelque chose d'humanisant. Ce n'est pas forcément
traumatisant.
Je situe les choses dans la relation humaine. Il y avait parfois (pourquoi ne
pas le dire ?) des intitulés proprement choquants comme :
"
est-ce que la victime est mythomane, vicieuse ou
perverse ?"
Evidemment, c'est une formulation complètement inadaptée, mais il
me semble que la formule plus ouverte et non systématique serait, toutes
proportions gardées, plus subtile, la vidéo ne me semblant pas,
en ce qui me concerne, une formule miracle. Je crois beaucoup plus à la
formation de tous les intervenants qui ont un contact avec les enfants.
Voilà quelques réflexions à partir d'un certain nombre de
données qui m'ont paru intéressantes sur le sujet.
M. le PRESIDENT
.- Je vous remercie infiniment, Messieurs, des
informations et des éclairages très précieux que vous nous
avez donnés. Je note un élément factuel. J'avoue que je
suis heureusement surpris par les taux de récidive que vous avez
indiqués. J'aurais cru qu'ils étaient beaucoup plus importants.
Maintenant, il est possible qu'à l'intérieur des
récidivistes, il y ait des catégories de délinquants
primaires qui soient plus récidivistes que d'autres. Nous avions entendu
un jour l'un de vos illustres confrères, le docteur Dubigeon, qui nous
avait dit : "
le pervers récidive toujours
".
M. COUTANCEAU
.- Mais il n'y avait qu'un seul expert, ce jour-là...
M. le PRESIDENT
.- Vous voyez que nous avons fait des progrès,
ô combien intéressants...
M. LACOUR
.- Je voudrais répondre très brièvement
sur ce sujet. Sur le numéro vert, dans 90 % des cas, les appels
pour attentats sexuels sont dus à la famille immédiate et
à l'entourage socio-éducatif de l'individu.
En fait, ce que veut dire le taux de récidive sur le casier judiciaire,
c'est d'abord que l'on ignore le temps qui s'est passé pour que la chose
se découvre. La récidive a eu lieu en amont de la justice.
Deuxièmement, quand la justice intervient dans les histoires d'inceste
ou même d'entourage socio-éducatif, il y a une séparation
de fait (c'est la sanction) et il y a une maturation des
intéressés (c'est évident dans les histoires
familiales : un adolescent ne se laisse pas faire du tout de la même
manière qu'un gosse de 11 ou 12 ans).
Troisièmement, il y a une pression considérable sur l'individu
qui a été démasqué : s'il ne se tient pas
à carreau, tout va lui tomber sur la figure.
Autrement dit, ce n'est pas du tout un chiffre absolu. Ce qui me semble plus
intéressant (et c'est pourquoi les chiffres américains sont
parfois très différents des chiffres français), c'est,
dans les anamnèses de pervers, d'autant plus quand ce ne sont pas des
pervers familiaux, de savoir ce qu'il en a été au cours de leur
existence et ce qu'il en est au cours de leur prise en charge. On
s'aperçoit alors qu'effectivement, quand c'est leur unique mode
d'accession au plaisir, ils ont bien du mal à y renoncer, même
s'ils savent que cela va leur coûter très cher.
Donc il faut beaucoup se méfier des chiffres, car ils peuvent être
retournés dans un sens ou dans un autre.
M. le PRESIDENT
.- Je vais donner la parole à notre
collègue Jacques Bimbenet, qui est le rapporteur de la commission des
Affaires sociales et qui souhaite vous poser quelques questions.
M. BIMBENET
.- Merci, Monsieur le Président. Effectivement, si la
commission a souhaité se saisir pour avis de ce texte, c'est uniquement
sur les dispositions qui modifient le code de la santé publique ou le
code de la Sécurité sociale, afin d'apporter un éclairage
complémentaire à l'excellent travail de notre collègue,
M. Jolibois, et à la commission des Lois, dont je salue le
président, M. Larché.
J'ai trois questions très courtes à poser.
Premièrement, les traitements chimiques utilisés sur des
délinquants sexuels sont-ils de nature à produire des
répercussions physiologiques après l'arrêt du
traitement ? En d'autres termes, existe-t-il des cas de contre-indication
pour des raisons médicales ? Je me place ici sur le plan de la
santé publique.
Deuxième question : s'agissant de la psychologie des
délinquants sexuels, pensez-vous qu'ils montrent un haut degré de
dissimulation qui leur permettrait de se soumettre aux traitements pendant une
ou plusieurs années, tout en ayant en tête constamment
l'idée de l'interrompre pour assouvir leurs pulsions ?
Troisième question : si vous avez un doute sur la
sincérité d'un patient que vous suivez depuis longtemps et si
celui-ci ne se rend pas à une consultation régulière,
mensuelle par exemple, et ne peut plus être contacté à son
domicile, ne pensez-vous pas qu'il est essentiel d'avertir rapidement les
services de la Justice ? La responsabilité du médecin ne
serait-elle pas alors moralement engagée en cas de récidive du
délinquant ?
Voilà, Monsieur le Président, les trois questions que je
souhaitais poser.
M. COUTANCEAU
.- En ce qui concerne les anti-androgènes, je vais
vous donner rapidement deux éléments. Premièrement, de par
notre évaluation, ils ne sont pas systématiquement souhaitables
et proposables. Par exemple, très peu de pères incestueux
relèvent des anti-androgènes, de même que très peu
de violeurs de femmes adultes. N'en relèvent qu'un certain nombre de
pédophiles que, dans la littérature internationale, on estime
à 10 %. Qui sont-ils ? Ceux qui, même s'ils
exagèrent et même si ce n'est pas totalement vrai, se disent en
permanence obsédés par leurs fantasmes, comme s'ils
étaient des espèces de bombes ambulantes prêtes à
sauter sur les enfants, ce qui est évidemment faux (ils disent cela de
façon disculpabilisatrice). Ce sont parfois des sujets extrêmement
persécutés par leurs fantasmes.
Encore une fois, cela me permet de dire que l'agression sexuelle est une
pathologie de la relation humaine. Ce n'est pas une pathologie hormonale, ce
n'est pas un "trop d'hormones", et je crois qu'il est important de le
dire.
Cela veut dire que lorsque nous souhaitons (et nous le disons à certains
sujets) prescrire des anti-androgènes, c'est effectivement toujours
lié à une thérapie relationnelle.
Donc premièrement, les anti-androgènes ont des indications
relativement faibles, contrairement à ce que l'on pourrait penser, et ce
n'est pas un remède miracle, loin s'en faut.
Deuxièmement, nous sommes des médecins, et il y a donc des
évaluations médicales et biologiques avant la prescription, car
il y a des contre-indications comme tout traitement médical, bien
évidemment, mais je ne vais pas les citer ici car ce serait trop
technique.
En revanche, tout est réversible. De toute façon,
l'
androcure
, qui est le plus connu, ne supprime pas l'érection,
c'est-à-dire qu'un sujet qui est sous certains androgènes peut
avoir une sexualité correcte avec sa compagne, s'il en a une, mais ce
qui nous intéresse, nous, c'est de diminuer le côté
obsédant que l'on observe chez certains.
Par ailleurs, je vous donne un autre élément qui va vous montrer
qu'il n'y a pas de magie dans les anti-androgènes : dans certains
pays anglo-saxons, on essaie, puisque l'on considère que ces fantasmes
obsédants sont très proches d'une note obsessionnelle, des
médicaments que l'on donne sur d'autres types d'obsession et de
mentalisation obsédante, à savoir certains
antidépresseurs, pour s'attaquer aux fantasmes obsédants.
Par conséquent, je dirai très simplement que le traitement
anti-androgène a certains types d'indications, qu'il est toujours
utilisé après une évaluation permanente et avec un suivi
biologique, dans le cadre de l'équipe médicale et que, en gros,
son effet est réversible quand il s'arrête.
En ce qui concerne le contenu des suivis, vous comprenez bien que l'un des
éléments fondamentaux de ce type de suivi en psychiatrie et en
psychologie légales, consiste, de façon ferme, chaleureuse,
humaine mais confrontante, à interpeller le sujet sur
l'authenticité de son renoncement à l'acte. C'est un
élément central. Effectivement, on peut comprendre que, dans un
premier temps, c'est surtout vrai pour les pédophiles. Certains jeunes
pédophiles ont en effet une espèce de hantise, parce qu'ils
comprennent bien que s'interdire l'acte, c'est se condamner à
l'auto-érotisme avec leurs fantasmes, s'ils n'ont pas la chance d'avoir,
par ailleurs (parce que les sujets pédophiles sont complexes), une
tendance homosexuelle ou hétérosexuelle adulte. L'un des axes
essentiels de la thérapie consiste à aller interpeller la
lucidité du sujet à l'égard de la réalité de
l'autre.
Au fond, je ne peux pas vous répondre dans l'absolu, mais je dirai que
la question que vous vous posez est l'un des éléments centraux de
l'échange et du travail psychologique avec ces sujets. Voilà ce
que je peux dire sur les deux premières questions.
M. le PRESIDENT
.- C'est donc M. Lacour qui va répondre à
la troisième.
M. LACOUR
.- C'est une ancienne et vaste question. J'y réponds de
manière très paisible en disant que je me sens obligé de
lever le secret professionnel et, en général, d'avertir
directement ou indirectement le procureur de la République quand il y a
un danger patent et quasi immédiat. En dehors de ces circonstances, tout
peut être un cas d'espèce, mais la plupart de mes patients ont,
à un moment donné, des fantasmes de meurtres ou d'agressions
diverses dans la tête, et je ne suis pas sûr que, sur un
échantillon standard que je ne voudrais pas prendre ici, on ne
trouverait pas des choses bizarres...
Je répète donc qu'il faut que ce soit patent et qu'il y ait une
notion de danger relativement immédiat. Dans ces conditions, je
considère, peut-être pour dégager ma conscience, que si le
sujet m'a dit cela, c'est qu'il voulait que je l'arrête. C'est donc
à moi de prendre des mesures soit légales, soit un peu
extralégales (c'est ma cuisine) pour l'arrêter, puisqu'il avait
envie que je le fasse.
M. JOLIBOIS
.- J'ai deux questions à vous poser. La
première s'adresse à vous deux, Messieurs. Compte tenu de ce que
vous nous avez dit de très passionnant, considérez-vous qu'il est
une tâche possible, pour le magistrat d'un tribunal qui va condamner
quelqu'un pour un acte qui est commis à un moment donné, de
prévoir une durée, à la sortie de prison, pendant laquelle
il y aura un suivi socio-judiciaire, que ce soit en matière
correctionnelle ou en matière criminelle ? Et est-ce qu'une
expertise qu'il demande à des praticiens tels que vous-mêmes sera
de nature à l'éclairer pour qu'il puisse se prononcer en termes
de durée pour plus tard ?
J'aimerais avoir l'avis de nos deux experts.
M. LACOUR
.- Je pense que pour ce qui est des 10 % qui ne sont pas
dans les 90 % que j'ai cités, c'est-à-dire qui ne sont pas
liés à la famille ou à l'enfant d'une manière ou
d'une autre, la représentation des impulsions et des désirs
sexuels va rester pratiquement toute la vie. Si le sujet n'est plus dans la
possibilité de continuer pour x raisons, l'action du suivi s'interrompt,
mais, sinon, le suivi ambulatoire, de toute évidence, doit être
très long. Ce sont des images qui ne s'effacent pas facilement du tout,
sous réserve des cas heureux que décrivait Roland Coutanceau.
M. JOLIBOIS
.- Cela tendrait à dire qu'il faudra que les
magistrats mettent le maximum de la durée pour ne pas prendre de risques.
M. LACOUR
.- Je répète que je parle des cas
extra-familiaux. Les cas familiaux sont un peu différents.
M. COUTANCEAU
.- Je pense qu'on ne peut répondre à cette
question que de façon criminologique. En fait, la peine
complémentaire que s'octroie la société est une
possibilité pour diminuer la récidive, mais il appartient
à l'intéressé de s'en saisir.
Pour vous répondre de la façon la plus concrète possible,
je vous dirai qu'il y a des sujets pédophiles dans leur tête qui
ne passent jamais à l'acte. C'est ce que je dis d'ailleurs à
certains de ceux qui passent à l'acte. Ils me disent : "je suis
attiré par les enfants ; donc je suis obligé de passer
à l'acte sur les enfants". Je crois que la plupart d'entre nous ne sont
pas pédophiles, évidemment, mais je veux dire qu'il n'y a pas de
fatalité. Ce n'est pas parce que quelqu'un a des fantasmes ou parce que
son "choix d'objet" (comme on le dit dans notre jargon) s'est
construit de
façon à être attiré
préférentiellement, exclusivement ou secondairement par les
enfants qu'il y a une fatalité au passage à l'acte.
Il y a un élément que je n'ai pas donné et qui illustre
aussi fort bien le débat. Un Canadien a démontré qu'un
certain pourcentage d'hommes hétérosexuels adultes (de 10
à 20 % selon lui) tout à fait banals sont exceptionnellement
excitables par l'enfant. Cela veut dire que lorsque je suis devant un acte
pédophilique, dans certains cas, ce n'est pas un sujet pédophile
(et ce que je dis n'est pas paradoxal), c'est-à-dire que ce n'est pas un
sujet habituellement excité par les enfants.
Par conséquent, quand quelqu'un est préférentiellement ou
habituellement excité par les enfants, il faut effectivement savoir
qu'il n'y a pas de fatalité à passer à l'acte. On peut se
condamner à l'auto-érotisme avec ses fantasmes. C'est ce que font
d'ailleurs nombre de pédophiles de bon niveau que l'on a trouvés
à cause des rafles de cassettes. Ce sont des gens qui ne sont pas connus
sur le plan judiciaire (beaucoup ont un certain âge) et qui gèrent
leurs fantasmes de façon auto-érotique.
Au fond, que fait le spécialiste que je suis ? Je travaille pour
faire en sorte que certains apprennent, comme ceux-là, à
gérer ce destin particulier d'être attiré par les enfants
et s'interdisent le passage à l'acte.
Maintenant, vous me demandez combien il faut de temps. J'ai vu des
collègues, dans certaines commissions, dire qu'il faudrait que ce soit
éternel parce que les fantasmes sont éternels, mais je raisonne
aussi en citoyen : la peine est forcément à durée
délimitée (tous les juristes le savent). Donc on se donne une
chance sociale. De plus, il est dans l'intérêt du sujet
(Mme Cartier le disait tout à l'heure et c'est ce que j'ai souvent
répondu, car je suis aussi préoccupé par les droits de
l'homme et du citoyen) qu'il y ait un temps pendant lequel on puisse travailler
avec lui pour qu'il devienne quelqu'un qui s'interdit le passage à
l'acte.
Dans l'absolu, certains médecins, dans le champ thérapeutique
pur, vous diront que certains suivis sont à durée
indéterminée (c'est le cas pour d'autres maladies mentales) mais
qu'au fond, on a à travailler dans le temps qui nous est donné.
Par conséquent, pour répondre à votre question, je dirai
que le temps est un peu arbitraire. Par exemple, le législateur fixe
tant de temps pour la correctionnelle et tant de temps pour les criminels, mais
je connais des gens qui ont fait un acte criminel, au sens juridique, et qui ne
sont pas dangereux du tout. Peu importe. C'est la logique de la sanction que je
respecte. C'est le quantum de peine qui ne dépend pas du psychiatre,
sachant que je travaillerai dans le cadre qui m'est donné pour faire le
meilleur travail. Finalement, ce chiffre est un peu arbitraire. Voilà ce
que je peux dire.
M. JOLIBOIS
.- Je vous remercie. Il me reste une autre question...
Vous nous dites que l'on ne peut pas faire l'enregistrement vidéo de
manière automatique. Dans ce cas, pour vous, qui doit donner le
consentement ?
M. COUTANCEAU
.- En fait, je soutiens un peu ce mouvement, mais j'essaie
de m'interroger en conscience. Par tempérament, je me méfie des
choses systématisées qui ont souvent des effets imprévus.
Donc je pense que si, dans sa sagesse, le législateur offrait cette
possibilité aux parents ou au représentant légal (puisque
la loi prévoit aussi, ce qui est très bien, quelqu'un qui est le
tuteur légal de l'enfant), ce serait une bonne chose.
Par conséquent, je propose, en ce qui me concerne, que ce soit ce
représentant de l'enfant qui pense qu'il est de l'intérêt
de l'enfant d'avoir cette audition vidéoscopée, mais il est vrai
que, dans le fond de ma pensée, je ne pense pas forcément que
c'est la seule solution. Autrement dit, je soutiens ce mouvement, mais je pense
que la systématisation est peut-être questionnable. Donc je vous
réponds que c'est le représentant de l'enfant.
M. JOLIBOIS
.- Merci. Vous m'avez clairement répondu.