RAPPORT N° 265 - PROJET DE LOI, ADOPTE AVEC MODIFICATIONS PAR L'ASSEMBLEE NATIONALE, EN DEUXIEME LECTURE, RELATIF A LA PREVENTION ET A LA REPRESSION DES INFRACTIONS SEXUELLES AINSI QU'A LA PROTECTION DES MINEURS
M. Charles JOLIBOIS, Sénateur
COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LEGISLATION, DU SUFFRAGE UNIVERSEL, DU REGLEMENT ET D'ADMINISTRATION GENERAL - RAPPORT N° 265 - 1997/1998
Table des matières
- LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION
-
EXPOSÉ GÉNÉRAL
- I. LES DISPOSITIONS RELATIVES AU SUIVI SOCIO-JUDICIAIRE
- II. LES DISPOSITIONS RELATIVES À LA PROTECTION DES INTÉRÊTS DU MINEUR VICTIME DANS LE CADRE D'UNE PROCÉDURE PÉNALE
-
III. LES AUTRES DISPOSITIONS RESTANT EN DISCUSSION
- A. LES ARTICLES ADOPTÉS AVEC AMENDEMENTS OU INTRODUITS PAR LE SÉNAT ET SUPPRIMÉS PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
- B. LES ARTICLES SUPPRIMÉS PAR LE SÉNAT ET RÉTABLIS PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
-
C. LES DISPOSITIONS MODIFIÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN DEUXIÈME LECTURE
-
1. Les articles sur lesquels l'Assemblée nationale est revenue à sa rédaction
de première lecture
- a) L'article 9, relatif au recours à un réseau de télécommunications pour commettre certaines infractions
- b) L'article 15, relatif à la responsabilité pénale des personnes morales pour atteintes sexuelles
- c) L'article 18 ter, relatif au délai de prescription de l'action publique en cas de délit sexuel contre un mineur
- d) L'article 31 quater, relatif à la preuve de la vérité de faits diffamatoires constitutifs d'infractions sexuelles.
- 2. Les articles sur lesquels l'Assemblée nationale a adopté une rédaction nouvelle
-
1. Les articles sur lesquels l'Assemblée nationale est revenue à sa rédaction
de première lecture
- D. LES ARTICLES INSÉRÉS PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN DEUXIÈME LECTURE
- EXAMEN DES ARTICLES
-
CHAPITRE II
DISPOSITIONS MODIFIANT LE CODE
DE PROCÉDURE PÉNALE -
CHAPITRE III
DISPOSITIONS MODIFIANT
LE CODE DE LA SANTÉ PUBLIQUE -
TITRE II
DISPOSITIONS AYANT POUR OBJET DE PRÉVENIR
ET DE RÉPRIMER LES INFRACTIONS SEXUELLES,
LES ATTEINTES À LA DIGNITÉ DE LA PERSONNE HUMAINE
ET DE PROTÉGER LES MINEURS VICTIMES-
Article 7A
Assimilation des délits à caractère sexuel
au regard de la récidive -
Article 7
Définition du délit
de harcèlement sexuel -
Article 9
Utilisation d'un réseau de télécommunications
pour commettre les délits de proxénétisme, de corruption
de mineur ou d'atteinte sexuelles sur mineur -
Article 10
Création d'un délit de bizutage
-
Article 12
Aggravation des sanctions
de certaines infractions commises en
milieu scolaire à l'égard de mineurs -
Article 12 bis et 12 ter
Diffusion d'une image à caractère pédophile -
Article 14 bis, 15 et 16 bis
Etablissements, offrant des biens
ou des services à caractère pornographiques
-
Article 7A
-
CHAPITRE II
DISPOSITIONS MODIFIANT
LE CODE DE PROCÉDURE PÉNALE
ET CONCERNANT LA PROTECTION DES VICTIMES-
Article 18 A
Recevabilité de la constitution de partie civile
de certaines associations -
Article 18 ter
Délai de prescription de l'action publique
pour certains délits commis contre les mineurs -
Articles 18 quater et 18 quinquies
Décisions de classement sans suite -
Article 19
Protection des mineurs victimes -
Article 19 bis
Réductions de peine susceptibles d'être accordées
aux auteurs d'infractions sexuelles
-
Article 18 A
-
CHAPITRE III
DISPOSITIONS RELATIVES À L'INTERDICTION
DE MISE À DISPOSITION
DE CERTAINS DOCUMENTS AUX MINEURS -
TITRE III
DISPOSITIONS DIVERSES ET DE COORDINATION-
Article 30 bis
Mention au casier judiciaire de la condamnation
à une peine de suivi socio-judiciaire -
Article 31 bis
Réparation du dommage causé à un mineur
victime de violences ou d'atteintes sexuelles -
Article 31 quater
Preuve de la vérité des faits diffamatoires
lorsqu'ils sont constitutifs d'infractions sexuelles -
Article 32 bis
Conditions de sortie d'un établissement psychiatrique
d'une personne pénalement irresponsable -
Article 33 bis
Application immédiate des nouvelles dispositions
relatives à la prescription
-
Article 30 bis
-
PRÉSENTATION DES TRAVAUX
par M. Jacques LARCHÉ, Président de la commission des Lois
et M. Charles JOLIBOIS, rapporteur - LE POINT DE VUE DES PSYCHIATRES
- L'ACTION DU PARQUET
-
LE RÔLE DES INTERVENANTS DANS LE MILIEU CARCÉRAL
-
Dr Claude BALIER
Président d'une commission qui a inspiré le projet de loi et fondateur du service médico-psychologique régional de la prison de Varces (Isère) -
M. Pascal FAUCHER
Président de l'Association nationale des juges
de l'application des peines -
M. Godefroy DU MESNIL DU BUISSON
Maître de conférences à l'Ecole nationale de la magistrature
-
Dr Claude BALIER
- LES MEMBRES DU CORPS ENSEIGNANT
- LES PARENTS DES VICTIMES
- LE RÔLE DES MAGISTRATS CHARGÉS DE LA JEUNESSE
- LES MEMBRES DU GOUVERNEMENT
N° 265
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 4 février 1998
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ AVEC MODIFICATIONS PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, EN DEUXIÈME LECTURE, relatif à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs,
Par M. Charles JOLIBOIS,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Robert Pagès, Georges Othily, vice-présidents ; Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson, secrétaires ; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Jean Derian, Michel Dreyfus-Schmidt, Michel Duffour, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel Millaud, Jean-Claude Peyronnet, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Alex Türk, Maurice Ulrich, Robert-Paul Vigouroux.
Voir les numéros
:
Assemblée nationale
(
11
ème législ.) :
Première lecture :
202
,
228
et T.A.
9
.
Deuxième lecture :
397
,
622
et T.A.
74.
Sénat
: Première lecture :
11
,
49
,
51
et
T.A.
28
(1997-1998).
Deuxième lecture :
234
(1997-1998).
|
Droit pénal. |
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION
Réunie le mercredi 4 février 1998 sous la
présidence de M. Jacques Larché, président, la commission
des Lois a procédé, sur le rapport de M. Charles Jolibois,
à l'examen en deuxième lecture du projet de loi relatif à
la prévention et à la répression des infractions sexuelles
ainsi qu'à la protection des mineurs.
Le rapporteur a indiqué que, dès la première lecture,
l'Assemblée nationale et le Sénat avaient approuvé dans
leur principe les trois principaux objectifs de ce texte, à savoir :
- la création d'une peine complémentaire de suivi
socio-judiciaire qui, encourue par les auteurs d'infractions sexuelles,
consisterait à soumettre le condamné à des mesures
destinées à prévenir la récidive (exercer une
activité professionnelle, suivre une formation, ne pas exercer une
activité impliquant un contact habituel avec des mineurs, suivre un
traitement médical...) ;
- le renforcement de la répression des atteintes sur les mineurs,
notamment par la création de nouvelles incriminations ou en rendant plus
sévères les conditions de prescription ;
- la mise en place d'un statut du mineur victime afin de renforcer la
défense de ses intérêts dans le cadre d'une
procédure pénale (avec notamment l'enregistrement de l'audition
du mineur victime afin d'éviter la multiplication de dépositions
traumatisantes).
Le rapporteur a cependant fait observer que, sans remettre en cause cet accord
de principe, de nombreux points demeuraient en discussion, certains portant sur
des éléments de détail, d'autres sur des dispositions plus
substantielles.
C'est ainsi que la commission a adopté trente et un amendements tendant
notamment à :
- porter la durée maximale du suivi socio-judiciaire de cinq à
dix en cas de délit et de dix à vingt ans en cas de crime ;
- limiter à des infractions contre des mineurs le champ d'application de
la nouvelle circonstance aggravante consistant à recourir à un
réseau de télécommunications pour commettre certaines
infractions ;
- supprimer la disposition tendant à créer un délit
spécial de bizutage, le rapporteur ayant fait observer que le droit
pénal permettait d'ores et déjà de réprimer les
abus en cette matière et souligné que ceux-ci pouvaient en outre
faire l'objet de poursuites disciplinaires ;
- supprimer la disposition adoptée par l'Assemblée nationale pour
porter de trois à dix ans la durée de prescription de l'action
publique des délits à caractère sexuel commis sur des
mineurs ;
- interdire l'utilisation devant la juridiction de jugement de l'enregistrement
de l'audition du mineur victime d'une infraction sexuelle ;
- prévoir la destruction de cet enregistrement à l'expiration
d'un délai de cinq ans à compter de la date d'extinction de
l'action publique ;
- conserver en matière d'infractions sexuelles l'interdiction droit
commun de rapporter la preuve de la vérité des faits
diffamatoires dès lors que ces faits sont prescrits ou ont
été amnistiés.
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le projet de loi relatif à la prévention et à la
répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des
mineurs, adopté par le Sénat à l'unanimité le 30
octobre 1997, revient en deuxième lecture devant notre assemblée.
Sans revenir dans le détail sur les dispositions de ce projet de loi,
qui ont été largement présentées dans le rapport de
première lecture (Sénat ; 1997-1998, n° 49), votre
rapporteur rappellera que ce texte poursuit trois objectifs principaux.
Il vise tout d'abord à créer une peine complémentaire de
suivi socio-judiciaire
, qui serait encourue par les auteurs
d'infractions sexuelles. Elle consisterait à soumettre le
condamné à des mesures destinées à prévenir
la récidive telles que recevoir les visites de l'agent de probation,
exercer une activité professionnelle ou suivre une formation, ne pas
exercer une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs. Le
suivi socio-judiciaire pourrait également comprendre une injonction de
soins, dont le prononcé serait soumis au consentement de
l'intéressé.
Le deuxième objet du projet de loi consiste à
renforcer la
répression des atteintes sur les mineurs
. C'est dans cette optique
qu'il prévoit de créer de nouvelles incriminations, telles que
l'interdiction de mettre certains documents à la disposition des
mineurs, ou de rendre plus sévère les conditions de prescription
des infractions sexuelles commises contre des mineurs.
Enfin, le projet de loi vise à mettre en place un
statut du mineur
victime
afin de renforcer la défense de ses intérêts
dans le cadre d'une procédure pénale. A cette fin, il propose
notamment l'enregistrement de l'audition du mineur victime d'une infraction
sexuelle afin d'éviter, dans la mesure du possible, la multiplication de
dépositions traumatisantes.
Dès la première lecture, l'Assemblée nationale et le
Sénat ont approuvé dans leur principe ces trois orientations.
Les points demeurant en discussion entre les deux assemblées portent
ainsi soit sur des éléments de détail soit sur des
dispositions plus substantielles mais qui ne sauraient occulter cet accord de
principe.
De même, si votre rapporteur concentrera son propos sur les articles
restant en discussion, le présent exposé général ne
saurait passer sous silence les dispositions déjà votées
dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale telles que, par
exemple, les articles 1er
bis
, 2 et 3 (relatifs au champ d'application
du suivi socio-judiciaire), 8 (créant une peine complémentaire
d'interdiction d'exercer une activité impliquant un contact avec des
mineurs), 11 (relatif à la levée du secret professionnel en cas
de sévices infligés à des mineurs), 13 (aggravant les
peines en cas d'atteinte sexuelle sur un mineur de quinze ans), 15 (relatif
à la répression du "
tourisme sexuel
") ou 18
bis
(sur la prescription de l'action publique des crimes sexuels commis
sur des mineurs).
Compte tenu des dispositions, d'ores et déjà votées dans
les mêmes termes, vingt-sept articles sur les trente-cinq articles du
projet de loi sont encore soumis à l'examen du Sénat :
- quatre, qui avaient été adoptés avec amendements ou
introduits par le Sénat, ont été supprimés par les
députés ;
- huit, qui avaient été supprimés par le Sénat, ont
été rétablis par l'Assemblée nationale ;
- treize avaient été adoptés par le Sénat et ont
été modifiés par l'Assemblée nationale.
- deux nouveaux articles ont été introduits par
l'Assemblée nationale en deuxième lecture.
I. LES DISPOSITIONS RELATIVES AU SUIVI SOCIO-JUDICIAIRE
A. LA PEINE COMPLÉMENTAIRE DE SUIVI SOCIO-JUDICIAIRE (ARTICLE PREMIER)
Cette disposition clef du projet de loi a été
adoptée en des termes relativement proches par les deux
assemblées.
Outre des différences rédactionnelles, les points restant en
discussion portent sur :
- la
durée du suivi socio-judiciaire
, que l'Assemblée
nationale souhaite fixer à cinq ans en cas de condamnation pour
délit et à dix ans en cas de condamnation pour crime alors que le
Sénat avait proposé respectivement dix et vingt ans. Votre
commission des Lois rappelle que, les soins n'ayant pas d'effet curatif mais
seulement symptomatique, le délinquant peut redevenir dangereux
dès qu'il cesse le traitement . C'est pourquoi elle vous propose de
revenir sur ce point au texte du Sénat ;
- la peine encourue en cas de
méconnaissance du suivi
socio-judiciaire, fixée à cinq ans par le Sénat alors que
l'Assemblée nationale souhaite distinguer selon que le contrevenant sera
un délinquant (auquel cas la peine encourue serait de deux ans) ou un
criminel (la peine encourue pour méconnaissance du suivi
socio-judiciaire étant alors de cinq ans). Votre commission des Lois
vous propose de revenir sur ce point au texte adopté par le Sénat
en première lecture, une durée maximale de deux ans pouvant, dans
certaines hypothèses, se révéler insuffisante ;
- la nature de l'expertise précédant le prononcé d'une
injonction de soins. En première lecture, l'Assemblée nationale
avait souhaité une
" double expertise ".
Le
Sénat, tout en jugeant souhaitable de procéder à une
expertise à la fois somatique et psychologique, avait supprimé
cette exigence d'une double expertise, estimant inutile une seconde expertise
lorsque le délinquant serait manifestement apte (ou inapte) à
recevoir des soins. Sur la proposition du Gouvernement, l'Assemblée
nationale a décidé en deuxième lecture que l'expertise
seraient réalisée par deux experts pour les crimes les plus
graves (meurtre ou assassinat d'un mineur accompagné d'un viol, de
tortures ou d'actes de barbarie) ou
" lorsque les circonstances de
l'affaire ou la personnalité de la personne "
le justifieront.
Votre commission des Lois vous propose d'accepter l'exigence d'une double
expertise pour les crimes les plus graves. En revanche, elle vous soumet un
amendement tendant à supprimer cette exigence lorsque les circonstances
de l'affaire ou la personnalité de la personne le justifieront,
l'article 159 du code de procédure pénal prévoyant, d'ores
et déjà, plusieurs experts dans une hypothèse analogue.
B. L'EXÉCUTION DU SUIVI SOCIO-JUDICIAIRE (ARTICLE 5)
Sur ce point, l'Assemblée nationale a apporté,
outre des coordinations, deux modifications au texte du Sénat :
- concernant tout d'abord la périodicité du
rappel par le
juge
de l'application des peines de la faculté d'entreprendre un
traitement en prison pour une personne condamnée à un suivi
socio-judiciaire comprenant une injonction de soins : le Sénat propose
une fois par an, l'Assemblée nationale tous les six mois. Estimant que
le juge de l'application des peines pourra toujours, s'il l'estime utile,
rappeler cette faculté plus fréquemment, votre commission vous
propose de revenir sur ce point à la solution retenue par le
Sénat en première lecture ;
- concernant le
choix du
juge
chargé de veiller au respect
du suivi socio-judiciaire par un jeune délinquant :
l'Assemblée nationale souhaite que l'âge de vingt-et-un ans
constitue un véritable couperet, le juge des enfants étant alors
obligatoirement dessaisi au profit du juge de l'application des peines, quand
bien même le suivi socio-judiciaire serait appelé à prendre
fin peu après. Le Sénat, en revanche, aurait souhaité que,
entre vingt-et-un et vingt-trois ans, le juge des enfants puisse continuer
à suivre l'intéressé. C'était donc un dispositif
plus souple puisque, si le juge des enfants était obligatoirement
compétent avant vingt-et-un ans et le juge de l'application des peines
après vingt-trois ans, une période intermédiaire
était prévue pour désigner, au cas par cas, le magistrat
le mieux placé. C'est pourquoi votre commission des Lois vous propose de
revenir à cette solution.
C. LA MISE EN oeUVRE DU SUIVI SOCIO-JUDICIAIRE COMPRENANT UNE INJONCTION DE SOINS (ARTICLE 6)
Trois différences de fond subsistent entre les deux
assemblées :
- concernant l'autorité chargée d'établir la
liste de
psychiatres
ou de médecins sur laquelle sera choisi le
médecin coordonnateur : le Sénat avait proposé le
Procureur de la République, l'Assemblée nationale propose le
représentant de l'Etat après avis du procureur. Votre commission
des Lois vous soumet un amendement tendant à revenir au texte du
Sénat ;
- concernant le
choix du médecin traitant
par
l'intéressé : l'Assemblée nationale souhaite que ce
choix soit soumis à l'accord du médecin coordonnateur ; le
Sénat avait proposé que, en cas de désaccord persistant
sur le choix entre le patient et le coordonnateur, le médecin traitant
soit désigné par le juge de l'application des peines. Cette
dernière solution paraît préférable dans la mesure
où elle impose un dialogue entre le patient et le médecin
coordonnateur, le juge de l'application des peines n'intervenant qu'en
dernière extrémité. En revanche, le texte de
l'Assemblée nationale revient à conférer au médecin
coordonnateur le pouvoir de décision, le patient n'ayant plus qu'un
pouvoir de proposition. C'est pourquoi votre commission des Lois vous propose
de revenir sur ce point à la solution du Sénat ;
- concernant enfin les
documents de la procédure
susceptibles
d'être transmis au médecin traitant. Le Sénat avait
souhaité qu'il puisse obtenir toute pièce du dossier alors que
l'Assemblée nationale énumère les documents communicables
(rapports des expertises, ordonnances de renvoi, jugement...) revenant en cela
à son texte de première lecture. Votre commission des Lois ne
vous propose pas de modification sur ce point.
II. LES DISPOSITIONS RELATIVES À LA PROTECTION DES INTÉRÊTS DU MINEUR VICTIME DANS LE CADRE D'UNE PROCÉDURE PÉNALE
Ces dispositions relèvent toutes de l'article 19 du projet de loi, sur lequel, l'Assemblée nationale a apporté quatre séries de modifications au texte voté par le Sénat en première lecture.
-
· L'Assemblée nationale a supprimé l'adjonction du
Sénat prévoyant que le mineur victime d'une infraction sexuelle
serait obligatoirement assisté d'un
avocat
. Lors de la
première lecture, Mme le Garde des Sceaux avait émis de fortes
réserves sur cette disposition. Elle avait notamment fait valoir que le
mineur serait déjà entouré de plusieurs personnes, dont
l'administrateur
ad
hoc
, chargé de la défense
de ses intérêts. Votre commission des Lois, soucieuse de ne pas
multiplier les intervenants auprès du mineur, ne vous propose donc pas
de rétablir cette disposition.
· L'Assemblée nationale avait, en première lecture, souhaité préciser les conditions de désignation de l'administrateur ad hoc , que le Sénat avait estimé relever du domaine réglementaire. En seconde lecture, l'Assemblée nationale s'est limitée à poser le principe de la désignation de cet administrateur parmi les proches de l'enfant ou sur une liste de personnalités, renvoyant à un décret pour la fixation des autres modalités. Votre commission des Lois vous propose donc de retenir sur ce point le texte de l'Assemblée nationale.
· L'Assemblée nationale a repris la précision selon laquelle le juge d'instruction ne procède aux auditions et confrontations du mineur victime d'une infraction sexuelle que lorsque ces actes sont strictement nécessaires à la manifestation de la vérité. Votre commission des Lois juge regrettable une telle précision, qui laisse accroire qu'un magistrat pourrait procéder à des auditions inutiles. C'est pourquoi elle vous propose de la supprimer.
· S'agissant de l'enregistrement de l'audition d'un mineur victime d'une infraction sexuelle, l'Assemblée nationale a apporté cinq modifications de fond :
- L'Assemblée nationale a prévu que la transcription écrite de l'enregistrement, exigée par le Sénat, serait facultative. Votre commission des Lois vous propose, à la réflexion, de supprimer purement et simplement cette transcription qui ferait double emploi avec le procès-verbal de l'audition ;
- L'Assemblée nationale a posé de nouveau l'obligation, supprimée par le Sénat, d'établir une copie de l'enregistrement aux fins d'en faciliter la consultation ultérieure au cours de la procédure. Votre commission des Lois se rallie à cette décision de nos collègues députés ;
- L'Assemblée nationale a aussi permis de visionner ou d'entendre l'enregistrement ou sa copie au cours de la procédure, y compris devant la juridiction de jugement, alors que le Sénat l'avait exclu devant celle-ci. Votre commission des Lois estime que l'audition de l'enregistrement devant la juridiction de jugement serait contraire au principe de l'oralité des débats, clé de voûte de la procédure criminelle ;
- L'Assemblée nationale a supprimé l'obligation, prévue par le Sénat, de détruire l'enregistrement cinq ans après l'extinction de l'action publique. Votre commission des Lois juge préférable de prévoir cette destruction.
III. LES AUTRES DISPOSITIONS RESTANT EN DISCUSSION
A. LES ARTICLES ADOPTÉS AVEC AMENDEMENTS OU INTRODUITS PAR LE SÉNAT ET SUPPRIMÉS PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Ces articles, au nombre de quatre, sont les suivants :
-
·
L'article 5A, relatif au fichier génétique des
délinquants sexuels
. L'Assemblée nationale a supprimé
cette disposition pour l'insérer dans l'article 19 du projet de loi.
Cette suppression ne soulève donc pas de difficulté.
· L'article 12 ter , qui aggravait les peines encourues en cas de diffusion d'image à caractère pédophile. L'Assemblée nationale a souhaité que cette aggravation figure à l'article 12 bis , qui traite du même objet. Elle a donc amélioré la présentation du projet de loi sans le modifier sur le fond.
· Les articles 14 bis et 16 bis , insérés par le Sénat pour interdire l'exploitation d'un " sex-shop " à moins de 100 mètres d'un établissement accueillant habituellement des mineurs . L'Assemblée nationale a estimé que, le Gouvernement préparant un décret pour interdire l'accès de ces établissements aux mineurs, une telle interdiction serait inutile. Votre commission ne vous propose pas d'amendements pour rétablir ces dispositions.
B. LES ARTICLES SUPPRIMÉS PAR LE SÉNAT ET RÉTABLIS PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
1. les articles rétablis par l'Assemblée nationale dans une rédaction identique à celle rejetée par le Sénat
Ces articles, au nombre de cinq, sont :
-
·
L'article 7
, qui tend à compléter la
définition du délit de harcèlement sexuel figurant
à l'article 223-33 du code pénal en ajoutant à l'usage
d'ordres, menaces ou contraintes l'exercice de
" pressions de toute
nature
", par une personne abusant de sa position d'autorité en
vue d'obtenir des faveurs sexuelles. Le Sénat l'avait supprimé en
soulignant notamment le caractère peu précis de la notion de
" pressions de toutes nature
".
· Les articles 18 quater et 18 quinquies , relatifs aux conditions du classement sans suite. L'article 18 quater prévoit que le procureur de la République informera par écrit le plaignant en cas de décision de classement sans suite. L'article 18 quinquies prévoit, en outre, dans les affaires concernant la délinquance sexuelle, une motivation de l'avis de classement. Le Sénat avait jugé en première lecture que de telles innovations ne pouvaient être décidées que dans le cadre d'une réforme d'ensemble de la procédure pénale annoncée depuis lors par Madame le Garde des Sceaux.
· L'article 19 bis , qui rend nécessaire une expertise psychiatrique pour les réductions de peines entraînant une libération immédiate. En première lecture, la commission des Lois avait fait observer que cette disposition entraînerait 2 à 3.000 expertises par an pour un résultat quasiment nul puisqu'il n'aurait tout au plus pour effet que de retarder la sortie de prison de quelques mois.
· L'article 31 bis , qui prévoit que la gravité du dommage subi par un mineur à la suite d'une infraction sexuelle est appréciée en tenant compte de l'âge de celui-ci. Le Sénat avait jugé cette précision inutile et regrettable car elle laisserait entendre que les juges ne tiennent pas d'ores et déjà compte de l'âge de la victime dans l'évaluation du préjudice.
2. Les articles rétablis par l'Assemblée nationale dans une rédaction différente de celle rejetée par le Sénat
a) L'article 10, créant un délit spécial de bizutage
Ce nouveau délit serait ainsi défini
" hors le cas de violences, de menaces ou d'atteintes sexuelles, le
fait pour une personne d'amener autrui, contre son gré ou non, par
contrainte ou pression de toute nature, à subir ou à commettre
des actes humiliants ou dégradants, notamment lors de manifestations ou
de réunions liées aux milieux scolaire, éducatif, sportif
ou associatif est puni de six mois d'emprisonnement et de 50.000 F
d'amende ".
Les peines seraient doublées lorsque la victime serait une personne
particulièrement vulnérable.
Par ailleurs, les personnes morales pourraient être
déclarées pénalement responsables de ce délit.
Votre commission des Lois partage pleinement le souci de nos collègues
députés de lutter contre les abus du bizutage.
Elle considère en revanche que ce problème ne saurait être
résolu par la création d'un nouveau délit. Comme l'a
déjà souligné votre rapporteur lors de la première
lecture, le dispositif répressif en vigueur permet de sanctionner les
excès en cette matière. Sans prétendre, loin de là,
à l'exhaustivité (tant les incriminations en cette matière
sont nombreuses) on citera :
- les violences qui, selon une précision apportée par la loi du
22 juillet 1996, sont passibles de trois ans d'emprisonnement quand bien
même elles n'auraient entraîné aucune incapacité de
travail dès lors qu'elles sont commises avec préméditation
ou par plusieurs personnes, ce qui est en pratique le cas du bizutage. Il
convient à cet égard de rappeler que, selon la jurisprudence,
constituent des violences des comportements qui, même sans atteindre
matériellement la personne, sont de nature à provoquer chez elle
une sérieuse émotion. Par ailleurs, comme le souligne
l'"
Instruction concernant le bizutage "
signée en
septembre dernier par M. Claude Allègre, ministre de l'éducation
nationale, de la recherche et de la technologie, et
Mme Ségolène Royal, ministre délégué
chargé de l'enseignement scolaire, "
l'instigateur des
violences, même s'il n'a pas pris directement part à leur
réalisation, encourt exactement la même peine que le ou les
auteurs des faits, en tant que complice. En clair, des individus qui se
réunissent pour mettre au point, plusieurs semaines à l'avance,
des pratiques de bizutage à caractère violent, peuvent être
poursuivis du chef de complicité de violences avec
préméditation
" ;
- les agressions sexuelles ;
- les menaces ;
- les blessures involontaires.
Certes, le texte adopté par l'Assemblée nationale prend soin
d'exclure de son champ d'application les violences, menaces et agressions
sexuelles. Mais votre commission des Lois ne trouve pas d'exemple
d'excès de bizutage hors de ces trois hypothèses qui ne tombe pas
d'ores et déjà sous le coup de la loi pénale, qu'il
s'agisse, entre autres, de l'administration de substances nuisibles ou de la
manifestation illicite sur la voie publique.
Dans ces conditions, la création d'un délit spécifique,
loin d'être une manifestation du souci des pouvoirs publics de vouloir
réprimer effectivement les abus de bizutage, pourrait être
interprété comme un aveu de faiblesse. Comment les auteurs de ces
actes condamnables pourraient-ils croire à l'application effective de la
loi future si les lois existantes ne sont pas appliquées ?
Votre commission des Lois considère donc que le défaut de
répression des abus du bizutage ne résulte pas des lacunes du
droit positif et que ceux-ci ne sauraient être évités par
une simple modification législative. Face aux réticences des
victimes pour porter plainte, il appartient aux pouvoirs publics d'agir pour
réprimer les excès, soit par la voie judiciaire, soit par la voie
disciplinaire. Aussi vous propose-t-elle de supprimer l'article 10.
b) L'article 18 A, relatif à la constitution de partie civile des associations de lutte contre les violences sexuelles
En l'état actuel du droit, la recevabilité de
l'action de ces associations est subordonnée à l'accord de la
victime ou, si celle-ci est mineure, à l'accord du titulaire de
l'autorité parentale ou du représentant légal.
En première lecture, l'Assemblée nationale avait
décidé que, lorsque la victime serait mineure, l'avis du
représentant légal ne serait requis que dans l'hypothèse
où le mineur ne serait pas en état de donner lui-même son
avis.
Le Sénat avait supprimé cet article sur la proposition du
Gouvernement (et avec l'avis favorable de la commission des Lois) lequel avait
vu une contradiction juridique entre l'incapacité du mineur et le fait
de subordonner une procédure à son avis. Le Garde de Sceaux avait
également craint des pressions sur le mineur et évoqué le
risque de difficultés sur le point de savoir si un mineur est ou non
capable de donner son consentement.
Le texte rétabli par l'Assemblée nationale est substantiellement
différent de celui qu'avait supprimé le Sénat :
- son paragraphe I prévoit que l'accord du mineur ne sera pas
exigé s'il est âgé de moins de treize ans (ce qui revient
à exiger le consentement du mineur à partir de treize ans) ;
- son paragraphe II, voté sur proposition du Gouvernement,
prévoit que, à défaut d'accord du représentant
légal, l'accord pourra être donné par le juge des tutelles.
Par ailleurs, lorsqu'il s'agira de tourisme sexuel ou d'inceste, aucun accord
ne sera nécessaire.
Votre commission des Lois vous propose d'adopter le paragraphe II. Elle vous
demande en revanche de supprimer l'adjonction de l'Assemblée nationale
selon laquelle serait demandé l'accord du mineur de plus de treize ans
(c'est-à-dire le paragraphe I). Cette exigence lui paraît en effet
incompatible avec l'incapacité juridique du mineur et susceptible de
donner lieu à des pressions sur celui-ci.
c) L'article 32 bis, relatif aux conditions de sortie d'un établissement psychiatrique d'une personne pénalement irresponsable.
En sa rédaction actuelle, l'article L.348-1 du code de
la santé publique subordonne cette sortie à deux décisions
conformes résultant de deux examens psychiatriques
réalisés séparément par deux psychiatres
n'appartenant pas à l'établissement.
L'article 32
bis
proposait de substituer à cette procédure
l'exigence d'un avis conforme d'une commission composée de deux
médecins, dont un psychiatre n'appartenant pas à
l'établissement, et d'un magistrat désigné par le premier
président de la cour d'appel.
Le Sénat avait supprimé cette disposition, éloignée
de l'objet du projet de loi et qui soulevait d'importants problèmes de
fond, concernant notamment l'opportunité de faire intervenir un
magistrat dans un problème d'ordre médical (puisqu'il s'agit
avant tout de savoir si l'intéressé est encore dangereux).
L'Assemblée nationale a rétabli cet article en lui apportant
quelques aménagements qui ne résolvent pas ce problème.
C'est pourquoi votre commission des Lois vous propose de
supprimer à
nouveau l'article 32
bis
.
C. LES DISPOSITIONS MODIFIÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN DEUXIÈME LECTURE
Parmi ces articles, deux ont fait l'objet de la part de l'Assemblée nationale de simples améliorations rédactionnelles que votre commission des Lois vous propose de retenir :
-
· l'article 12, qui érige en circonstance aggravante le fait
qu'un délit soit commis à l'intérieur ou aux abords d'un
établissement scolaire ou éducatif ;
· l'article 24, qui interdit de céder aux mineurs des vidéocassettes pornographiques ou d'incitation à la violence.
1. Les articles sur lesquels l'Assemblée nationale est revenue à sa rédaction de première lecture
a) L'article 9, relatif au recours à un réseau de télécommunications pour commettre certaines infractions
Cet article érige en circonstance aggravante le fait de
recourir à un réseau de télécommunications pour
commettre certaines infractions.
Il s'agit notamment du viol, du proxénétisme ou de la corruption
de mineur.
Le Sénat, contrairement à l'Assemblée nationale, avait
souhaité limiter cette nouvelle circonstance aggravante aux seuls cas
où la victime est mineure. Votre commission des Lois vous propose de
revenir à cette solution.
b) L'article 15, relatif à la responsabilité pénale des personnes morales pour atteintes sexuelles
L'Assemblée nationale l'a modifié par simple coordination avec sa décision de supprimer l'article 14 bis sur l'installation ou l'exploitation d'un sex-shop à proximité d'un établissement accueillant habituellement des mineurs. Pour les raisons évoquées ci-dessus à propos des articles 14 bis et 16 bis , votre commission des Lois ne vous propose pas de modifier cet article.
c) L'article 18 ter, relatif au délai de prescription de l'action publique en cas de délit sexuel contre un mineur
L'Assemblée nationale souhaite ajouter à cet
article un second alinéa afin de porter ce délai à dix
ans, le Sénat ayant décidé, en première lecture, de
conserver le délai actuel de trois ans.
Votre commission des Lois rappelle que le délai de prescription des
délits commis sur des mineurs courra à compter de la
majorité de la victime. Il sera donc toujours plus long (et souvent de
beaucoup) que le délai de droit commun de trois ans. Ainsi, si la
victime est âgée de dix ans au moment des faits, la prescription
ne pourra être acquise avant qu'elle ait atteint vingt-et-un ans, soit un
délai d'au moins onze années.
Dans ces conditions, il paraît inopportun de vider de sa substance la
distinction traditionnelle entre les crimes et les délits en alignant la
prescription des seconds sur celle prévue pour les premiers.
C'est pourquoi, comme elle l'avait fait en première lecture, votre
commission des Lois vous propose de supprimer la dérogation
prévue par le second alinéa de l'article 18
ter.
d) L'article 31 quater, relatif à la preuve de la vérité de faits diffamatoires constitutifs d'infractions sexuelles.
Cet article permet la preuve de la vérité des
faits diffamatoires lorsqu'ils sont constitutifs d'infractions sexuelles contre
un mineur.
Le Sénat avait prévu que cette preuve ne pourrait être
rapportée lorsque l'infraction serait amnistiée ou prescrite ou
en cas de réhabilitation. L'Assemblée nationale est revenue sur
cette limitation, autorisant la preuve de la vérité des faits
diffamatoires dans tous les cas.
Tout en comprenant parfaitement le souci de nos collègues
députés, votre commission des Lois estime que la faculté
de prouver, sans limite de temps, des faits amnistiés ou prescrits est
par essence contraire à l'idée de pardon ou d'oubli sous-jacente
à l'amnistie et à la prescription.
S'agissant tout d'abord de l'amnistie, elle considère que le
législateur ne peut à la fois décider que des faits sont
effacés et, parallèlement, autoriser de rappeler leur existence.
C'est donc au Parlement qu'il appartient de veiller à ce que des
comportements trop graves pour être pardonnés n'entrent pas dans
le champ des lois d'amnistie. A cet égard, votre commission des Lois
tient à rappeler que, lors de la discussion de la dernière loi
d'amnistie, en 1995, elle s'était efforcée d'exclure
expressément de celle-ci les agressions et atteintes sexuelles sur les
mineurs (l'Assemblée nationale étant opposée à
cette exclusion expresse au motif que, compte tenu des peines prononcées
en pratique pour ces infractions, celles-ci ne pouvaient en tout état de
cause entrer dans le champ de l'amnistie, qui concernait les infractions punies
d'un maximum de trois mois d'emprisonnement ferme ou de neuf mois avec sursis).
S'agissant en second lieu de la prescription, votre commission des Lois
constate qu'elle ne sera désormais acquise que fort tardivement. En
effet, dans tous les cas, le délai de prescription d'une agression ou
d'une atteinte sexuelle sur un mineur ne commencera à courir qu'à
compter de la majorité de la victime, ce qui limitera les
possibilités d'oubli. En revanche, la faculté de remettre en
lumière des faits prescrits viderait totalement de sa substance la
prescription elle-même.
C'est pourquoi, votre commission des Lois propose de revenir sur cet article au
texte adopté par le Sénat en première lecture.
2. Les articles sur lesquels l'Assemblée nationale a adopté une rédaction nouvelle
a) L'article 12 bis, relatif au délit de diffusion d'image pédophile
Les deux assemblées ont souhaité aggraver les
peines prévues par l'article 227-23 du code pénal, incriminer
également la diffusion de l'image virtuelle d'un mineur et aggraver les
peines en cas de recours à un réseau de
télécommunications.
En seconde lecture, l'Assemblée nationale a en outre prévu :
- l'incrimination de l'importation, de l'exportation ou du fait de faire
importer ou exporter une image à caractère pédophile ;
- un renversement de la charge de la preuve lorsque l'image serait celle d'une
personne dont l'aspect physique est celui d'un mineur ; il faudrait alors
établir que cette personne était âgée de dix-huit
ans au jour de la fixation ou de l'enregistrement de son image.
Votre commission des Lois vous propose d'adopter le texte de l'Assemblée
nationale.
b) L'article 30 bis, relatif à la mention au casier judiciaire de la condamnation à une peine de suivi socio-judiciaire
L'Assemblée nationale a ajouté un paragraphe
afin d'autoriser l'inscription au casier judiciaire des informations
nécessaires au bon accomplissement du suivi socio-judiciaire.
Selon le code de procédure pénale, les incapacités
résultant d'une condamnation avec sursis cessent d'avoir effet du jour
où la condamnation est réputée non avenue. Le paragraphe
ajouté par l'Assemblée nationale précise que ces
dispositions ne s'appliquent pas au suivi socio-judiciaire ou à la peine
d'interdiction d'exercer une activité impliquant un contact habituel
avec des mineurs.
Votre commission des Lois juge cette adjonction fort opportune.
D. LES ARTICLES INSÉRÉS PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN DEUXIÈME LECTURE
Ces articles ont tous deux été insérés sur la proposition du Gouvernement. Il s'agit de :
-
· L'article 7 A qui assimile les délits d'agressions sexuelles et
d'atteintes sexuelles au regard de la récidive.
· L'article 33 bis qui prévoit l'application des nouvelles règles de prescription aux infractions non encore prescrites lors de l'entrée en vigueur de la loi. Ce faisant, il édicte une dérogation au principe posé par l'article 112-2 (4°) du code pénal selon lequel les lois relatives à la prescription ne s'appliquent pas la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur quand elles auraient pour résultat d'aggraver la situation de l'intéressé.
*
* *
Sous le bénéfice de ces observations et des amendements qu'elle vous soumet, votre commission des Lois vous propose d'adopter le présent projet de loi.
EXAMEN DES ARTICLES
TITRE PREMIER
DISPOSITIONS RELATIVES AU SUIVI SOCIO-JUDICIAIRE
CHAPITRE PREMIER
DISPOSITIONS MODIFIANT LE CODE PÉNAL
Article premier
Suivi socio-judiciaire
Cet article a pour objet de créer une peine
complémentaire de suivi socio-judiciaire susceptible d'être
prononcée à l'égard des personnes condamnées pour
un crime ou un délit à caractère sexuel.
A l'occasion de la première lecture, votre rapporteur avait
consacré une dizaine de pages au commentaire de cette disposition
(Sénat 1997-1998, n° 49, pages 53 et suivants). Aussi ne juge-t-il
pas nécessaire de revenir dans le détail sur cet article.
Rappelons néanmoins que cette peine complémentaire emporte, pour
le condamné, l'obligation de se soumettre, sous le contrôle du
juge de l'application des peines, à des mesures destinées
à prévenir la récidive : s'abstenir de paraître
en certains lieux, de fréquenter des mineurs... Le suivi
socio-judiciaire peut également comprendre une injonction de soins, si
une expertise médicale établit que l'intéressé est
susceptible de suivre un traitement. - Adopté -
Par ailleurs, la décision de condamnation doit fixer la durée
maximum de l'emprisonnement encourue par le condamné en cas
d'inobservation de ses obligations.
Au-delà de l'accord de principe des deux assemblées sur ce
dispositif, des différences subsistent sur quatre points.
-
·
Sur l'appellation des mesures auxquelles le condamné
à un suivi socio-judiciaire devra se soumettre
L'Assemblée nationale souhaite dénommer " mesures de surveillance " celles auxquelles tout condamné à un suivi socio-judiciaire devra toujours se soumettre et " mesure d'assistance " celles qui ne lui seront imposées que sur décision expresse de la juridiction.
En première lecture, le Sénat les avait dénommées respectivement " mesures de contrôle " et " mesures d'aide ".
Votre commission des Lois rappelle que ces deux dernières expressions correspondent à la terminologie tant du code de procédure pénale (articles 739 et suivants) que du code pénal (articles 132-44 et suivants) pour des mesures identiques. Le projet de loi définit d'ailleurs les mesures du suivi socio-judiciaire en renvoyant précisément à l'article 132-44 du code pénal.
Il semble donc plus satisfaisant, sur un plan strictement juridique, de dénommer " mesures de contrôle " et " mesures d'aide " les obligations du condamné à une peine de suivi socio-judiciaire. Aussi votre commission des Lois vous soumet-elle trois amendements à cette fin.
· Sur la durée maximale du suivi socio-judiciaire
Revenant à son texte de première lecture, l'Assemblée nationale a souhaité fixer cette durée à cinq ans en cas de délit et à dix ans en cas de crime
Plusieurs personnes entendues par votre commission des Lois lors de la journée d'auditions publiques du 15 octobre 1997 ou par votre rapporteur ont dénoncé le caractère arbitraire de cette durée:
- d'abord, elle peut se révéler trop courte, d'autant plus que les médecins s'accordent pour affirmer que les soins n'ont pas d'effet curatif mais seulement symptomatique : le délinquant peut redevenir aussi dangereux qu'avant dès qu'il cesse le traitement ;
- en second lieu, il est paradoxal que la durée de la peine la moins contraignante (le suivi socio-judiciaire) soit inférieure à celle de la peine la plus lourde (la prison). Ainsi, l'auteur d'un crime pourrait être condamné à trente ans de réclusion ou a perpétuité mais, en cas de libération, ne serait pas tenu à être suivi plus de dix années.
En première lecture, votre rapporteur avait souligné que le paradoxe était encore plus net pour les délits " puisque le suivi socio-judiciaire peut se substituer à la prison : imagine-t-on que la juridiction remplace dix ans de prison par cinq ans de suivi socio-judiciaire ? "
Inversement, votre commission des Lois reconnaît qu'une personne peut difficilement être suivie toute sa vie par un médecin traitant, en relation avec un médecin coordonnateur et sous le contrôle du juge de l'application des peines.
C'est pourquoi, elle juge souhaitable d'augmenter sensiblement la durée maximale du suivi socio-judiciaire sans pour autant que celle-ci puisse être illimitée.
Votre commission des Lois vous propose donc un amendement portant la durée maximale de la peine de suivi socio-judiciaire de cinq à dix ans en cas de délit et de dix à vingt ans en cas de crime.
· Sur la durée de l'emprisonnement encouru en cas de méconnaissance du suivi socio-judiciaire
L'Assemblée nationale souhaite opérer une distinction selon que le suivi socio-judiciaire aura été prononcé pour un délit ou pour un crime : la juridiction pourrait fixer la durée de l'emprisonnement encouru à deux ans dans le premier cas et à cinq ans dans le second. Lors de la première lecture, votre commission des Lois avait fait observer qu'une durée maximale de deux ans en cas de délit risquait, dans certaines hypothèses, de se révéler insuffisante et ce d'autant plus que deux juridictions pourraient décider de la réduire :
- la juridiction de jugement tout d'abord, pour laquelle cette peine ne constituerait qu'un maximum, conformément aux principes généraux du nouveau code pénal ;
- le juge de l'application des peines en second lieu, qui pourra décider de ne mettre à exécution qu'une partie de la peine fixée par la juridiction.
Par ailleurs, dans la mesure où, comme vous le propose votre commission des Lois, la durée du suivi socio-judiciaire en cas de délit serait portée à dix ans, le condamné pourrait préférer accomplir un maximum de deux années de prison plutôt que se soumettre durant dix ans à une série de mesures fort contraignantes. C'est pour éviter qu'un tel calcul " coût-avantages " ne joue au préjudice du suivi socio-judiciaire que votre commission des Lois vous propose un amendement portant de deux à cinq ans la durée maximale de l'emprisonnement encouru pour inobservation dudit suivi en matière correctionnelle.
· Sur l'expertise préalable à toute injonction de soins
Une différence subsiste néanmoins quant aux modalités de cette expertise.
En première lecture, le Sénat avait supprimé l'exigence d'une " double expertise " posée par l'Assemblée nationale.
Certes, comme l'avait indiqué à votre rapporteur M. le Professeur Victor Courtecuisse, membre du Comité national d'éthique, l'appréciation de l'aptitude d'un délinquant sexuel à recevoir des soins peut nécessiter une expertise à la fois psychiatrique et somatique, tout particulièrement endocrinologique.
Le Sénat n'avait pas jugé utile d'aller jusqu'à exiger une double expertise et ce pour les raisons suivantes :
- il peut se présenter des hypothèses dans lesquelles le délinquant est manifestement apte à recevoir des soins. Une seconde expertise ne ferait alors qu'accroître les coûts et la durée de la procédure ;
- rien n'empêche de procéder effectivement, en une seule expertise, à une analyse à la fois psychiatrique et endocrinologique du condamné, soit que l'expert ait la double fonction, soit que l'expertise soit réalisée par un collège d'experts ;
- enfin, en cas d'incertitude, la juridiction de jugement peut toujours, en application de l'article 159 du code de procédure pénale, ordonner une nouvelle expertise.
En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a, dans une large mesure, pris en compte les observations du Sénat.
Elle a en effet prévu une expertise réalisée par deux experts dans deux séries d'hypothèses :
- pour les crimes les plus odieux (meurtre ou assassinat de mineur accompagné de viol ou d'actes de barbarie). Sur ce point, la solution de l'Assemblée nationale consacrerait une pratique constante puisque, selon les informations fournies à votre rapporteur, ces infractions, donnent d'ores et déjà lieu à des expertises réalisées par deux ou plusieurs expert. C'est pourquoi votre commission des Lois estime que cette solution peut être retenue ;
- " lorsque les circonstances de l'affaire ou la personnalité de la personne poursuivie le justifie ". Sur ce point, l'adjonction de l'Assemblée nationale est redondante avec l'article 159 précité qui prévoit d'ores et déjà la possibilité de désigner plusieurs experts " si les circonstances le justifient ". C'est pourquoi votre commission des Lois vous soumet un amendement supprimant cette adjonction.
Votre commission des Lois vous propose d'adopter le présent article premier modifié par les six amendements ci-dessus présentés.
CHAPITRE II
DISPOSITIONS MODIFIANT LE CODE
DE
PROCÉDURE PÉNALE
Article 5 A
Création d'un fichier national
d'empreintes génétiques
des délinquants sexuels
Cet article prévoyait d'introduire au sein du code de
procédure pénale un article 78-6 créant un fichier
national destiné à centraliser les prélèvements de
traces génétiques et les empreintes génétiques des
auteurs d'infractions sexuelles.
L'Assemblée nationale a supprimé cette disposition pour la
reprendre à l'article 19.
Votre commission des Lois approuve cette initiative et vous propose donc de
maintenir la suppression
de cet article 5 A.
Article 5
Exécution du suivi
socio-judiciaire
Cet article a pour objet d'insérer au sein du code de
procédure pénale des articles 763-1 à 763-11
précisant les modalités d'exécution de la peine de suivi
socio-judiciaire.
Il confie au juge de l'application des peines le soin de veiller à cette
exécution, le condamné devant justifier auprès de celui-ci
de l'accomplissement des obligations qui lui sont imposées. Il permet
à ce magistrat de modifier ou de compléter ces mesures.
Seules trois différences subsistent sur ce long article entre le texte
adopté par l'Assemblée nationale en deuxième lecture et
celui voté par le Sénat en première lecture.
-
·
La première différence concerne les modalités
de l'expertise médicale
exigée préalablement à
la décision du juge de l'application des peines de prononcer une
injonction de soins ou à la décision de la juridiction saisie
d'une demande de relèvement du suivi socio-judiciaire.
Par coordination avec sa décision sur l'expertise médicale préalable au prononcé d'un injonction de soins par la juridiction de jugement (à l'article premier), l'Assemblée nationale a prévu en deuxième lecture que cette expertise serait réalisée par deux experts en cas de meurtre ou assassinat d'un mineur accompagné d'un viol ou d'actes de barbarie et lorsque les circonstances de l'affaire ou la personnalité du condamné le justifieront. Votre commission des Lois vous propose sur ce point deux amendements de coordination avec la solution qu'elle vous a soumise à l'article premier (et qui consiste à supprimer la précision inutile selon laquelle deux experts seront désignés lorsque les circonstances de l'affaire le justifieront).
· La deuxième différence concerne la périodicité du rappel par le juge de l'application des peines de la faculté pour le condamné à un suivi socio-judiciaire comprenant une injonction de soins d'entreprendre un traitement en prison. L'Assemblée nationale propose tous les six mois ; le Sénat avait décidé tous les ans lors de la première lecture. Votre commission des Lois vous soumet un amendement tendant à revenir à cette solution. Elle estime en effet éminemment souhaitable d'éviter d'alourdir outre mesure les charges du juge de l'application des peines, d'autant plus que rien n'empêchera ce magistrat de rappeler plus fréquemment cette faculté au condamné s'il l'estime souhaitable.
· La troisième et dernière différence concerne le magistrat compétent pour suivre les personnes condamnées à un suivi socio-judiciaire âgées d'un peu plus de vingt-et-un ans.
Une telle solution peut se révéler trop rigide lorsque le suivi socio-judiciaire est appelé à prendre fin peu après le vingt et unième anniversaire. Elle impose en effet au juge des enfants, qui a pu suivre l'intéressé pendant plusieurs années, de transmettre le dossier à un nouveau magistrat, qui ne connaît donc pas le condamné, pour quelques mois voire quelques semaines.
C'est pourquoi le Sénat avait décidé en première lecture que le juge des enfants pourrait demeurer compétent lorsque le suivi socio-judiciaire doit arriver à son terme avant que le condamné atteigne l'âge de vingt-trois ans.
Mme le Garde des Sceaux et l'Assemblée nationale se sont opposés à cette solution au motif, selon le rapport de Mme Frédérique Bredin, qu'elle ne " faisait que déplacer le problème de seuil qui se posera nécessairement un jour ".
Mais une telle objection ne saurait être retenue. En effet, le texte du Sénat ne revenait pas à déplacer le seuil mais seulement à prévoir une période intermédiaire (entre vingt-et-un et vingt-trois ans) au cours de laquelle, selon les cas, le juge compétent serait soit le juge des enfants soit le juge de l'application des peines . Le vingt et unième anniversaire n'agirait donc pas comme un couperet mais seulement comme référence pour apprécier quel magistrat serait le mieux à même de suivre le condamné à compter de cette date. Ce dispositif permettrait donc une solution circonstanciée . En particulier, le juge des enfants pourrait continuer à suivre un jeune dont le suivi viendrait à échéance peu après son vingt et unième anniversaire (car il ne serait guère utile de faire intervenir le juge de l'application des peines pour quelques semaines). Inversement, ce magistrat pourrait se dessaisir si le suivi était appelé à s'achever peu avant le jour des vingt-trois ans (car dans ce cas le juge de l'application des peines serait appelé à intervenir pendant près de deux ans).
C'est parce qu'une solution souple lui paraît préférable au dispositif rigide adopté par l'Assemblée nationale que votre commission des Lois vous soumet un amendement tendant à revenir au texte voté par le Sénat en première lecture.
Votre commission des Lois a adopté le présent article 5 modifié par les quatre amendements présentés ci-dessus.
CHAPITRE III
DISPOSITIONS MODIFIANT
LE CODE DE LA
SANTÉ PUBLIQUE
Article 6
Mise en oeuvre du suivi
socio-judiciaire
comprenant une injonction de soins
Cet article a pour objet d'insérer dans le code de la
santé publique une nouvelle division, composée des articles L.
355-33 à L. 355-37, consacrée à la mise en oeuvre de
l'injonction de soins prononcée dans le cadre d'un suivi
socio-judiciaire.
Il prévoit la désignation par le juge de l'application des peines
d'un médecin coordonnateur, chargé notamment de servir
d'intermédiaire entre le médecin traitant et la justice. C'est ce
médecin coordonnateur qui doit transmettre au juge de l'application des
peines les éléments nécessaires au contrôle de
l'injonction de soins.
Outre des précisions fort opportunes (selon lesquelles l'agent de
probation pourrait être destinataire des informations adressées au
juge de l'application des peines), l'Assemblée nationale a adopté
trois modifications au texte voté par le Sénat en première
lecture.
- · Sur l'autorité chargée d'établir la liste sur laquelle sera choisi le médecin coordonnateur
-
·
Sur la désignation du médecin traitant
Revenant à son texte de première lecture, l'Assemblée nationale a prévu que le choix du condamné serait soumis à l'accord du médecin coordonnateur.
En première lecture, votre rapporteur avait fait part des interrogations du Bureau du Conseil national de l'Ordre des médecins, qui avait souligné l'absence de critère sur la base duquel le médecin coordonnateur donnerait ou refuserait son accord.
C'est la raison pour laquelle le Sénat avait prévu de supprimer ce droit de veto du médecin coordonnateur pour lui substituer une désignation par le juge de l'application des peines mais seulement dans l'hypothèse d'un désaccord persistant entre le médecin coordonnateur et le condamné. Votre commission des Lois juge cette solution préférable car elle instaure un dialogue entre les intéressés sans pour autant donner le dernier mot à l'un d'entre eux. En revanche, le dispositif de l'Assemblée nationale revient à donner au patient une simple faculté de proposition de son médecin traitant, la décision relevant du coordonnateur. C'est pourquoi votre commission des Lois vous propose un amendement tendant à revenir à la solution retenue par le Sénat en première lecture.
· Sur les documents de la procédure susceptibles d'être transmis au médecin traitant
Votre commission des Lois a adopté le présent article 6 modifié par les deux amendements présentés ci-dessus.
TITRE II
DISPOSITIONS AYANT POUR OBJET DE
PRÉVENIR
ET DE RÉPRIMER LES INFRACTIONS SEXUELLES,
LES
ATTEINTES À LA DIGNITÉ DE LA PERSONNE HUMAINE
ET DE
PROTÉGER LES MINEURS VICTIMES
CHAPITRE PREMIER
DISPOSITIONS MODIFIANT LE CODE PÉNAL
Article 7A
Assimilation des délits à
caractère sexuel
au regard de la récidive
Cet article, introduit en deuxième lecture par
l'Assemblée nationale à l'initiative du Gouvernement, tend
à insérer dans le code pénal un article 132 -16-1
précisant que les délits d'agressions sexuelles et d'atteintes
sexuelles sont considérés comme une même infraction au
regard de la récidive.
Votre commission des Lois vous propose de l'adopter
sans modification.
Article 7
Définition du délit
de
harcèlement sexuel
Cet article a pour objet de modifier l'article 222-33 du code
pénal qui incrimine le harcèlement sexuel.
Ce délit est actuellement défini comme
" le fait de
harceler autrui en usant d'ordres, de menaces ou de contraintes, dans le but
d'obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de
l'autorité que lui confèrent ses fonctions ".
Le présent article 7 tend à ajouter au fait d'user d'ordres, de
menaces ou de contraintes le fait d'exercer
" des pressions de
toute
nature ".
Il vise donc à harmoniser la définition
pénale du harcèlement sexuel avec celle donnée par le code
du travail en son article L. 122-46.
Cependant, comme elle l'avait souligné, lors de la première
lecture, votre commission des Lois juge trop imprécise la notion de
" pressions de toute nature "
. Elle rappelle à cet
égard qu'il appartient au législateur de définir les
infractions pénales avec précision.
Ainsi votre commission des Lois vous propose-t-elle de nouveau un
amendement
de suppression
de l'article 7.
Article 9
Utilisation d'un réseau de
télécommunications
pour commettre les délits de
proxénétisme, de corruption
de mineur ou d'atteinte sexuelles
sur mineur
Cet article a pour objet d'ériger en circonstance
aggravante le fait de recourir à un réseau de
télécommunications pour commettre certaines infractions, à
savoir :
- le viol (article 222-24 du code pénal) et les autres agressions
sexuelles (article 222-28) ;
- le proxénétisme (article 225-7) ;
- la corruption de mineur (article 227-22) ;
- l'atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans (article 227-26).
On observera que, dans sa rédaction issue des travaux du Sénat,
cet article 9 visait aussi le délit de diffusion d'image
pédophile, incriminé par l'article 227-23 du code pénal.
Dans un souci opportun de clarification, l'Assemblée nationale a
supprimé cette modification au sein de cette disposition pour la
reprendre à l'article 12
bis
, qui réécrit ledit
article 227-23.
Sur le fond, votre commission des Lois comprend et partage le souci de nos
collègues députés de réprimer plus efficacement le
développement de l'utilisation de réseaux tels qu'Internet ou le
Minitel pour l'organisation de réseaux de pédophilie.
Il ne faudrait cependant pas donner l'impression d'une frilosité, voire
d'une méfiance du législateur à l'égard de ces
procédés modernes de communication. Par ailleurs, les adultes ont
suffisamment de discernement pour éviter de tomber dans les
pièges tendus par les organisateurs de ces réseaux. Au surplus,
les victimes des réseaux de pédophilie sont par hypothèse
mineurs.
C'est pourquoi votre commission des Lois, reprenant un
amendement
adopté par le Sénat en première lecture, vous demande de
limiter le champ d'application de cette nouvelle circonstance aggravante aux
infractions concernant les mineurs.
Elle vous propose d'adopter l'article 9 ainsi modifié.
Article 10
Création d'un délit de
bizutage
Cet article a pour objet de créer au sein du code
pénal une section intitulée
" du bizutage "
,
composée des articles 225-16-1 à 225-16-3.
En première lecture, le Sénat avait supprimé l'article 10
qui définissait alors le bizutage comme le fait, hors les cas de
violences, de menaces ou d'atteintes sexuelles, de faire subir à une
personne
" par des contraintes ou des pressions de toute nature,
des
actes ou des comportements portant atteinte à la dignité de la
personne humaine, lors de manifestations ou de réunions liées aux
milieux scolaire, éducatif, sportif ou associatif "
.
Tout en approuvant le souci des auteurs du projet de loi de réprimer
plus efficacement les abus constatés au cours de séances de
bizutage, votre commission des Lois avait constaté que le code
pénal définissait plusieurs infractions permettant d'ores et
déjà de sanctionner ces excès. Votre rapporteur avait
notamment souligné l'interprétation jurisprudentielle de la
notion de violences qui conduit à réprimer celles qui, sans
atteindre matériellement la victime, sont de nature à provoquer
chez elle un choc émotif.
Votre commission avait par ailleurs, fait observer que la définition
retenue pour le nouveau délit aurait nécessité une
interprétation subjective de la part du juge dans la mesure où
l'atteinte à la dignité de la personne humaine n'était pas
précisément définie.
Elle avait également craint que, par son caractère vague et
comportemental, le texte fut dangereusement détourné de son objet
initial.
Aussi, le Sénat avait-il décidé, sur la proposition de
votre commission des Lois, de supprimer cet article 10.
En deuxième lecture l'Assemblée nationale a rétabli cet
article dans une rédaction substantiellement différente de cette
rejetée par le Sénat.
S'inspirant largement d'un amendement déposé en première
lecture par les sénateurs membres du groupe socialiste et
apparenté, nos collègues députés ont proposé
la rédaction suivante pour le futur article 225-16-1 :
" Hors
les cas de violences, de menaces ou d'atteintes sexuelles, le fait pour une
personne d'amener autrui, contre son gré ou non, par contrainte ou
pression de toute nature, à subir ou à commettre des actes
humiliants ou dégradants, notamment lors de manifestations ou de
réunions liées aux milieux scolaire, éducatif, sportif ou
associatif, est puni de six mois d'emprisonnement et de 50.000 F
d'amende ".
Le futur article 225-16-2 double ces peines lorsque l'infraction est commise
sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due
à son âge, à une maladie, à une infirmité,
à une déficience physique ou psychique ou à un état
de grossesse, est apparente ou connue de son auteur.
Enfin, le futur article 225-16-3 prévoit la responsabilité
pénale des personnes morales pour le délit de bizutage.
Votre commission des Lois considère que ce nouveau dispositif se heurte
aux mêmes objections, et apparaît même à certains
égards plus dangereux que celui rejeté par le Sénat en
première lecture.
Elle juge la notion d'actes humiliants ou dégradants trop subjective et
imprécise.
Le futur article 225-16-1 pourrait d'autant plus être
détourné de son objet (la répression des excès du
bizutage) qu'il serait appelé à jouer même si la
" victime " était consentante. Ainsi, ne risquerait-il pas
de
devenir un instrument de censure pour certains spectacles de foire, de cabaret
ou de cirque, pour certaines oeuvres picturales, sculpturales ou
cinématographiques ?
Enfin, quel que soit le dispositif retenu, le problème de fond
demeure : l'adoption d'une loi propre au bizutage lorsque le droit actuel
permet d'ores et déjà d'en réprimer les abus ne pourrait
être perçu que comme un aveu de faiblesse et, paradoxalement,
encourager les auteurs de ces excès.
La prévention des abus du bizutage ne passe pas par une
réforme législative mais par une application des textes existants
; elle ne nécessite pas une loi mais des exemples ; elle ne sera pas
atteinte par une énième annonce de l'intention des pouvoirs
publics de lutter contre ces excès mais par des sanctions effectives,
judiciaires ou disciplinaires.
C'est pourquoi votre commission des Lois vous propose un
amendement de
suppression
de cet article 10.
Article 12
Aggravation des sanctions
de certaines
infractions commises en
milieu scolaire à l'égard de mineurs
Cet article a pour objet d'ériger en circonstance
aggravante de certaines infractions le fait que celles-ci soient commises
à l'intérieur d'un établissement scolaire ou, à
l'occasion des entrées ou des sorties des élèves, aux
abord, d'un tel établissement.
L'Assemblée nationale a adopté de simples amendements
rédactionnels ou de précision au texte voté par le
Sénat en première lecture.
Votre commission des Lois vous propose donc d'adopter cet article
sans
modification.
Article 12 bis et 12 ter
Diffusion d'une image
à caractère pédophile
L'article 12
bis
a pour objet de réécrire
l'article 227-23 du code pénal, relatif au délit de diffusion de
l'image d'un mineur à caractère pornographique.
L'article 12
ter
ayant le même objet, l'Assemblée nationale
l'a opportunément supprimé pour l'intégrer au sein de
l'article 12
bis.
En première lecture, le Sénat avait apporté deux
modifications à la rédaction dudit article 227-23 :
- d'une part, il avait précisé que serait réprimée
la diffusion non seulement de l'image d'un mineur mais aussi de sa
représentation et ce afin de viser les images virtuelles ;
- d'autre part, sur la proposition du groupe communiste, républicain et
citoyen, il avait aggravé la peine d'emprisonnement encouru par le
contrevenant en la portant de un à trois ans (et de trois à cinq
ans si le mineur est âgé de moins de quinze ans).
En seconde lecture, l'Assemblée nationale a approuvé ces
modifications. Elle a en outre prévu :
- l'incrimination de l'importation, de l'exportation ou du fait de faire
importer ou exporter une image de caractère pédophile ;
- un renversement de la charge de la preuve lorsque l'image serait celle d'une
personne dont l'aspect physique est celui d'un mineur ; il faudrait alors
établir que cette personne était âgée de dix-huit
ans au jour de la fixation ou de l'enregistrement de son image.
Votre commission des Lois vous propose d'adopter l'article 12
bis
sans
modification et de
maintenir la suppression
de l'article 12
ter.
Article 14 bis, 15 et 16 bis
Etablissements, offrant
des biens
ou des services à caractère pornographiques
L'article 14
bis
avait été
inséré en première lecture par le Sénat, à
l'initiative de nos collègues du groupe RPR, afin d'interdire
l'installation ou l'exploitation des établissements offrant à
titre gratuit ou onéreux des biens ou services à caractère
pornographique à moins de 100 mètres d'un établissement ou
d'une aire accueillant habituellement des mineurs. La méconnaissance de
cette interdiction aurait été passible de 50 000 F d'amende.
Les articles 15 et 16
bis
prévoyaient la possibilité de
condamner pénalement les personnes morales pour cette infraction.
L'Assemblée nationale a estimé que ce nouveau délit
n'aurait pas lieu d'être dès lors que le Gouvernement
s'était engagé à prendre un décret interdisant aux
mineurs l'accès desdits établissements. En séance
publique, Mme le Garde des Sceaux a confirmé qu'un texte sur ce sujet
était en préparation. Nos collègues députés
ont en conséquence supprimé les articles 14
bis
et 16
bis
et modifié l'article 15.
Votre commission des Lois ne vous propose pas de rétablir les articles
14
bis
et 16
bis
ni de modifier l'article 15.
CHAPITRE II
DISPOSITIONS MODIFIANT
LE CODE DE
PROCÉDURE PÉNALE
ET CONCERNANT LA PROTECTION DES VICTIMES
Article 18 A
Recevabilité de la constitution de
partie civile
de certaines associations
Cet article a pour objet de modifier l'article 2-2 du code de
procédure pénale, relatif aux conditions permettant aux
associations de lutte contre les violences sexuelles d'exercer les droits
reconnus à la partie civile pour certaines infractions (meurtre,
assassinat, actes de barbarie, violences, agressions sexuelles...).
En sa rédaction actuelle, cet article 2-2 subordonne la
recevabilité de cette action à l'accord de la victime ou, si
celle-ci est mineure, à celui du titulaire de l'autorité
parentale ou du représentant légal.
En première lecture, le Sénat avait, sur la proposition du
Gouvernement, supprimé l'article 18 A qui substituait l'accord du
mineur, s'il était en état de le donner, à celui du
titulaire de l'autorité parentale ou du représentant légal.
A l'appui de son amendement de suppression, Mme le Garde des Sceaux avait
avancé trois séries de considérations :
- l'accord du mineur aurait remis en cause les fondements mêmes du droit
civil des mineurs, qui sont juridiquement "
incapables, cette
incapacité ayant été édictée dans leur
propre intérêt, afin d'assurer leur protection
" ;
- le risque de pressions dont les mineurs auraient pu faire l'objet de la part
de certaines associations ;
- le risque de difficultés sur le point de savoir si un mineur aurait ou
non été en état de donner son consentement.
En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a rétabli
l'article 18 A mais dans une rédaction fort différente de celle
rejetée par le Sénat. Le nouvel article 18 A adopté par
les députés comprend en effet deux paragraphes :
- le paragraphe I exige l'accord du mineur victime en lieu et place du
représentant légal lorsqu'il est âgé de treize ans
au moins ;
- le paragraphe II prévoit que, si le représentant légal
ne donne pas son accord, cet accord pourra être demandé au juge
des tutelles, étant précisé qu'aucune autorisation n'est
nécessaire en cas d'inceste ou de " tourisme sexuel ".
Votre commission des Lois approuve ce second paragraphe qui répond
à toutes les objections soulevées par le Garde des Sceaux en
première lecture (ledit paragraphe résultant d'ailleurs d'un
amendement du Gouvernement).
Elle considère en revanche que le paragraphe I ne répond ni au
problème juridique tenant à l'incapacité du mineur ni au
risque de pressions sur celui-ci. Aussi vous propose-t-elle un
amendement
tendant à le supprimer.
Votre commission des Lois vous propose d'adopter le présent
article 18 A ainsi modifié.
Article 18 ter
Délai de prescription de
l'action publique
pour certains délits commis contre les mineurs
Cet article a pour objet de modifier l'article 8 du code de
procédure pénale, relatif à la prescription de l'action
publique en matière correctionnelle, afin de prévoir de nouvelles
dérogations au droit commun de la prescription pour les délits
à caractère sexuel commis contre les mineurs :
- d'une part, le délai de prescription commencerait toujours à
courir à compter de la majorité de la victime (alors que, selon
le droit actuel, ce point de départ spécifique ne joue que si le
délinquant a autorité sur la victime) ;
- d'autre part, en cas d'agression sexuelle aggravée
(c'est-à-dire ayant entraîné une lésion ou commise
par une personne ayant autorité ou par plusieurs personnes) ou
d'atteintes sexuelles sur un mineur de quinze ans, le délai de
prescription serait porté de trois à dix ans.
Si le premier point a été accepté par les deux
assemblées dès la première lecture, le Sénat
s'était en revanche opposé à porter à dix ans le
délai de prescription de l'action publique pour certains délits.
Une telle modification alignerait en effet la durée de prescription de
ces infractions sur celle des crimes. Elle viderait donc d'une partie de sa
substance la distinction entre la procédure criminelle et la
procédure correctionnelle. Elle constituerait également un
précédent ouvrant la voie à de nouvelles
dérogations qui porteraient atteinte à la cohérence du
nouveau code pénal.
C'est pourquoi votre commission des Lois a adopté un
amendement
supprimant ce délai spécifique de dix ans pour la prescription de
l'action publique en matière correctionnelle.
Elle vous propose d'adopter le présent article 18
ter
ainsi
modifié.
Articles 18 quater et 18 quinquies
Décisions de
classement sans suite
Ces articles ont pour objet de modifier l'article 40 du code
de procédure pénale afin de prévoir que les
décisions de classement sans suite seront notifiées "
par
écrit
" au plaignant et, en cas d'infraction sexuelle, seront
motivées.
En première lecture, le Sénat avait supprimé ces
dispositions qui relèvent davantage d'une réforme d'ensemble de
la procédure pénale que d'un texte relatif à la protection
des mineurs.
L'Assemblée nationale les ayant rétabli en deuxième
lecture, votre commission des Lois vous soumet de nouveau des
amendements
tendant à les supprimer.
Article 19
Protection des mineurs victimes
Cet article a pour objet d'insérer dans le code de procédure pénale un titre relatif à la procédure applicable aux infractions de nature sexuelle et à la protection des mineurs. Ce nouveau titre comprendrait les articles 706-47 à 706-55, également insérés par le présent article 19 dans le code de procédure pénale.
-
· En première lecture, le Sénat avait supprimé le
texte proposé pour
l'article 706-47
, qui apportait une
précision inutile sur le délai de prescription des crimes et
délits commis sur des mineurs. L'Assemblée nationale a maintenu
cette suppression en deuxième lecture.
· Le texte proposé pour l'article 706-48 exige, avant tout jugement sur le fond, une expertise médicale en cas d'infraction sexuelle ou meurtre ou assassinat de mineur précédé ou accompagné d'un viol, de tortures ou d'actes de barbarie. L'Assemblée nationale a retenu en deuxième lecture le texte voté par le Sénat.
· Le texte proposé pour l'article 706-48-1 avait été introduit par le Sénat en première lecture afin de prévoir que tout mineur victime d'une infraction sexuelle serait assisté d'un avocat. Cette disposition traduisait le souci de votre commission des Lois d'assurer au mieux la défense des intérêts du mineur victime dans le cadre d'une procédure pénale et d'aligner les droits de celui-ci sur ceux du mineur délinquant. Le rapporteur de l'Assemblée nationale, Mme Frédérique Bredin, a toutefois fait observer que le mineur délinquant et le mineur victime n'étaient pas dans la même situation : " le premier doit assurer sa défense, alors que le second a avant tout besoin d'un soutien psychologique. Or, les personnes qui sont autorisées en vertu du nouvel article 706-54 du code de procédure pénale à l'assister durant les auditions ou les confrontations (psychologue, membre de la famille, personne chargée d'un mandat du juge des enfants, administrateur ad hoc) semblent mieux placées pour le faire ; en outre l'administrateur ad hoc est chargé d'assurer la protection des intérêts du mineur (art. 706-51 du code de procédure pénale) ".
-
· Le texte proposé pour
l'article 706-49
permet une
expertise médico-psychologique des mineurs victimes d'une infraction
mentionnée à l'article 706-48
" destinée à
apprécier la nature et l'importance du préjudice subi et à
établir si celui-ci rend nécessaire des traitements ou des soins
appropriés "
. En deuxième lecture, l'Assemblée
nationale a simplement clarifié la présentation du premier
alinéa de cette disposition, sans en modifier le fond.
· Le texte proposé pour l'article 706-50 traite des conséquences de l'ouverture d'une procédure pour infraction sexuelle sur la procédure d'assistance éducative dont le mineur victime de ladite infraction peut faire l'objet.
En première lecture, l'Assemblée nationale avait en outre insisté sur la faculté pour le procureur de la République d'apprécier l'opportunité de requérir du juge des enfants l'ouverture d'une procédure d'assistance éducative si le mineur ne faisait pas l'objet d'une telle procédure. Estimant cette adjonction inutile, le Sénat l'avait supprimée.
En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a réintégré cette précision après que Mme Frédérique Bredin eut regretté que le Sénat n'ait pas donné d'autres explications que son caractère inutile.
Votre rapporteur vous rappelle donc le souci de votre commission des Lois, largement développé dans son rapport de première lecture, de " veiller au caractère nécessaire des dispositions proposées " . Dans la mesure où il va de soi que le procureur de la république " apprécie l'opportunité " de requérir l'ouverture d'une assistance éducative, votre commission des Lois vous soumet un amendement supprimant cette précision en revenant au texte adopté par le Sénat en première lecture.
-
· Le texte proposé pour
l'article 706-51
prévoit la
désignation d'un administrateur
ad hoc
lorsque la protection des
intérêts du mineur victime n'est pas assurée par ses
représentants légaux. En première lecture, le Sénat
avait élargi le rôle de cet administrateur
ad hoc
à
la protection des intérêts du mineur et non seulement à
l'exercice des droits de la partie civile. L'Assemblée nationale a
approuvé cette initiative, précisant simplement (et utilement)
que la désignation de l'administrateur interviendrait lorsque les
représentants légaux n'assureraient pas
" complètement "
la protection des
intérêts du mineur.
· Le texte proposé pour l'article 706-51-1 précise les conditions de désignation de l'administrateur ad hoc . En première lecture, le Sénat avait supprimé cette disposition qui, entrant par trop dans le détail, ne relevait pas du domaine de la loi. L' Assemblée nationale l'a rétablie en deuxième lecture en se limitant à poser le principe d'une désignation de l'administrateur ad hoc soit parmi les proches de l'enfant, soit sur une liste de personnalités dont les modalités de constitution sont fixées par décret en Conseil d'Etat (ledit décret précisant également les conditions de son indemnisation). Votre commission des Lois estime que cette nouvelle rédaction respecte les domaines de compétence respectifs des pouvoirs législatif et réglementaire.
· Le texte proposé pour l'article 706-52 précise que le juge d'instruction ne procède aux auditions et confrontations des mineurs victimes d'une infraction sexuelle que lorsque ces actes sont strictement nécessaires à la manifestation de la vérité. Votre commission des Lois juge cette précision inutile (car il va sans dire que le magistrat ne procède qu'à des auditions strictement nécessaires) et même regrettable dans la mesure où elle pourrait laisser accroire qu'un magistrat instructeur pourrait procéder à des auditions qui ne seraient pas strictement nécessaires. C'est pourquoi votre commission des Lois vous soumet un amendement tendant à supprimer le texte proposé pour l'article 706-52 du code de procédure pénale.
· Le texte proposé pour l'article 706-53 prévoit l'enregistrement de l'audition du mineur victime d'une infraction sexuelle.
En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a également rétabli l'obligation, supprimée par le Sénat, d'effectuer une copie de l'enregistrement aux fins d'en faciliter la consultation, l'enregistrement original étant placé sous scellés fermés. Votre commission des Lois estime à la réflexion souhaitable d'établir une copie. Elle approuve également la précision apportée par nos collègues députés selon laquelle la consultation s'effectue en principe à partir de la copie, mais à partir de l'enregistrement original si une partie le demande.
S'agissant des conditions dans lesquelles les avocats pourront consulter la copie, l'Assemblée nationale a indiqué qu'elles devraient garantir la confidentialité de la consultation. Votre commission des Lois vous soumet un amendement précisant que cette consultation, qu'elle soit le fait des parties, des experts ou des avocats, s'effectuera en présence du juge d'instruction ou d'un greffier.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale a rétabli la faculté, supprimée par le Sénat en première lecture, d'utiliser l'enregistrement devant la juridiction de jugement. Sur ce point, Mme Frédérique Bredin a fait observer que le Sénat n'avait pas donné d'autre précision que l'incompatibilité de cette utilisation avec le principe de l'oralité des débats criminels devant la cour d'assises. Aussi votre rapporteur juge-t-il utile de rappeler ce qu'il écrivait en première lecture : " il est fondamental d'éviter que l'enregistrement ne conduise à figer les choses en faisant irrémédiablement obstacle à toute nouvelle audition de l'enfant. Une telle interprétation serait lourde de conséquences pour les droits de la défense (car il convient de pouvoir contester une affabulation de l'enfant, qui n'est pas à exclure) ou pour l'enfant lui-même (qui pourrait se trouver totalement inhibé lors de l'enregistrement). " Aussi, votre commission des Lois vous soumet-elle deux amendements :
- le premier amendement reprend la précision, apportée par le Sénat en première lecture, selon laquelle l'enregistrement ne fait pas obstacle à des auditions ou confrontations ultérieures du mineur ;
- le second amendement exclut la faculté d'utiliser l'enregistrement devant la juridiction de jugement. Le fait que cette utilisation soit contraire au principe de l'oralité (car elle empêcherait les magistrats et les jurés d'entendre directement le mineur à l'audience et, le cas échéant, de lui demander des précisions) constitue une raison supplémentaire pour cet amendement, en sus du souci de votre commission des Lois d'éviter que l'enregistrement ne fige irrémédiablement les choses.
Enfin, votre commission des Lois vous soumet un amendement rétablissant l'obligation, supprimée par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, de détruire l'enregistrement (et sa copie) à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de la date de l'extinction de l'action publique.
-
· Le texte proposé pour
l'article 706-54
prévoit la
présence d'un psychologue ou d'un membre de la famille du mineur ou de
l'administrateur
ad hoc
lors des auditions ou confrontations d'un mineur
victime d'une infraction sexuelle. Alors que le Sénat avait
conféré un caractère facultatif à cette
présence, l'Assemblée nationale, revenant à son texte de
première lecture, l'a rendue obligatoire. Toutefois, la position du
Sénat en première lecture avait été
justifiée par son souci d'éviter la multiplication des
intervenants auprès du mineur, alors même que celui-ci aurait
déjà été assisté d'un avocat. Dans la mesure
où votre commission des Lois ne vous propose pas de rétablir
l'assistance obligatoire d'un avocat, cette justification n'a plus lieu
d'être et le texte de l'Assemblée nationale peut être retenu.
· Le texte proposé pour l'article 706-55 a été inséré par l'Assemblée nationale en deuxième lecture afin de reprendre à cet endroit le dispositif relatif au fichier national d'empreintes génétiques des délinquants sexuels, qui figurait initialement à l'article 5A du projet de loi.
Article 19 bis
Réductions de peine susceptibles
d'être accordées
aux auteurs d'infractions sexuelles
Cet article a pour objet de modifier l'article 722 du code de
procédure pénale afin d'exiger une expertise pour l'octroi des
réductions de peine entraînant une libération
immédiate.
Seules sont donc concernées les réductions de peines susceptibles
d'être accordées lors de la dernière année
d'incarcération. En effet, les réductions de peine
accordées lors des années antérieures n'entraînent
pas, par hypothèse, de libération immédiate.
Dans ces conditions, le présent article 19
bis
n'aurait qu'un
effet fort limité puisque, au pire, il allongerait la détention
de quelques mois.
Par ailleurs, si le condamné est appelé à exécuter
une injonction de soins à sa sortie de prison, une expertise devra en
tout état de cause être effectuée si la condamnation a
été prononcée plus de deux ans auparavant (futur
article 763-6 du code de procédure pénale, résultant
de l'article 5 du projet de loi).
Or cet article 19
bis
correspondrait à un surplus de 2 à
3 000 expertises par an, selon les informations fournies par M.
Pascal Faucher, président de l'Association nationale des juge de
l'application des peines, lors de la journée d'auditions publiques
organisée par votre commission le 15 octobre 1997.
C'est pourquoi, comme en première lecture, votre commission des Lois
vous soumet un
amendement
tendant à supprimer cet article.
CHAPITRE III
DISPOSITIONS RELATIVES À
L'INTERDICTION
DE MISE À DISPOSITION
DE CERTAINS DOCUMENTS AUX
MINEURS
Article 24
Interdiction de céder aux mineurs
des vidéocassettes pornographiques
ou d'incitation à la
violence
Cet article, qui énumère des documents dont la
cession aux mineurs est interdite de plein droit (films pornographiques ou
d'incitation à la violence) a fait l'objet à l'Assemblée
nationale d'un amendement rédactionnel.
Votre commission des Lois vous propose de l'adopter
sans modification.
TITRE III
DISPOSITIONS DIVERSES ET DE COORDINATION
Article 30 bis
Mention au casier judiciaire de la
condamnation
à une peine de suivi socio-judiciaire
Cet article a pour objet de modifier diverses dispositions du
code pénal et du code de procédure pénale afin de
conserver au casier judiciaire la mention des peines de suivi socio-judiciaire
et d'interdiction d'exercer une activité impliquant un contact habituel
avec des mineurs.
En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a ajouté un
paragraphe au texte voté par le Sénat afin de compléter
les articles 736 et 746 du code de procédure pénale.
Selon ces articles, les incapacités, interdictions et
déchéances résultant d'une condamnation assortie du sursis
simple (article 736) ou avec mise à l'épreuve (article 746)
cessent d'avoir effet du jour où la condamnation est
réputée non avenue.
L'application de ces articles aurait donc conduit à supprimer du casier
judiciaire les peines de suivi socio-judiciaire et d'interdiction d'exercer une
activité impliquant un contact habituel avec des mineurs dès le
jour où la peine d'emprisonnement avec sursis aurait été
réputée non avenue.
C'est pour éviter d'effacer ces peines complémentaires du casier
judiciaire (et permettre ainsi à des employeurs potentiels de savoir
qu'ils s'apprêtent à embaucher une personne frappée de
l'interdiction d'exercer l'emploi auquel on la destine) que l'Assemblée
nationale a précisé que les dispositions précitées
des articles 736 et 746 ne s'appliqueraient pas au suivi socio-judiciaire ni
à la peine d'interdiction d'exercer une activité impliquant un
contact habituel avec des mineurs.
Votre commission des Lois vous propose d'adopter le présent
article 30
bis
sans modification.
Article 31 bis
Réparation du dommage
causé à un mineur
victime de violences ou d'atteintes
sexuelles
Cet article a pour objet d'introduire au sein du code civil
un
article 388-3 précisant que, lorsqu'un dommage est causé par des
tortures, des actes de barbarie, des violences ou des atteintes sexuelles
contre un mineur, il est tenu compte de l'âge de celui-ci pour
évaluer la gravité du préjudice subi et fixer sa
réparation.
En première lecture le Sénat avait supprimé cette
disposition, votre commission des Lois l'ayant jugée inutile et
même susceptible de soulever des difficultés en induisant un
raisonnement
a contrario
selon lequel l'âge de la victime ne
serait pas pris en compte lorsque le dommage ne résulterait pas d'une
atteinte sexuelle.
Comme elle l'avait fait en première lecture, votre commission des Lois
vous soumet un
amendement
tendant à supprimer le présent
article 31
bis
.
Article 31 quater
Preuve de la vérité
des faits diffamatoires
lorsqu'ils sont constitutifs d'infractions
sexuelles
Cet article a pour objet de modifier l'article 35 de la loi
du
29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
En sa rédaction actuelle, cet article 35 interdit de prouver la
vérité des faits diffamatoires dans trois séries
d'hypothèses :
" a) Lorsque l'imputation concerne la vie privée de la personne ;
" b) Lorsque l'imputation se réfère à des faits qui
remontent à plus de dix années ;
" c) Lorsque l'imputation se réfère à un fait
constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné
lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou
la révision. "
Le présent article 31
quater
prévoit que ces trois
séries d'interdiction ne s'appliquent pas lorsque les faits
diffamatoires constituent des agressions ou des atteintes sexuelles commises
sur un mineur.
En première lecture, le Sénat avait admis cette
possibilité pour le a) et le b) mais l'avait exclue pour le c), estimant
contraire au principe même de la prescription, de l'amnistie ou de la
réhabilitation de pouvoir faire publiquement part de faits prescrits,
amnistiés ou pour lesquels la personne a été
réhabilitée.
Pour ces mêmes raisons, votre commission des Lois vous soumet un
amendement
tendant à revenir au texte adopté par le
Sénat en première lecture.
Elle vous propose d'adopter le présent article 31
quater
ainsi
modifié.
Article 32 bis
Conditions de sortie d'un
établissement psychiatrique
d'une personne pénalement
irresponsable
Cet article a pour objet de réécrire
l'article L. 348-1 du code de la santé publique, relatif aux
conditions de sortie de l'établissement psychiatrique dans lequel a
été internée d'office une personne ayant
bénéficié d'un non-lieu, d'une relaxe ou d'un acquittement
pour démence et jugée susceptible de compromettre l'ordre public
ou la sûreté des personnes.
En sa rédaction actuelle, cet article L. 348-1 subordonne
cette sortie à des décisions conformes de deux psychiatres
n'appartenant pas à l'établissement établissant de
manière concordante que l'intéressé n'est plus dangereux
ni pour lui-même ni pour autrui.
En première lecture, l'Assemblée nationale avait substitué
à cette procédure l'exigence de l'avis conforme d'une commission
composée de deux médecins, dont un psychiatre n'appartenant pas
à l'établissement, et d'un magistrat désigné par le
premier président de la cour d'appel.
Le Sénat avait supprimé cette disposition qui soulevait une
question débordant largement du champ du projet de loi, à savoir
l'opportunité de faire intervenir un magistrat dans une décision
avant tout médicale (dans la mesure où il s'agit de savoir si une
personne est encore dangereuse).
En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a
légèrement modifié sa première rédaction, en
prévoyant que la commission serait composée de deux psychiatres
et d'un magistrat (toujours désigné par le premier
président de la cour d'appel).
Votre commission des Lois constate que cette nouvelle rédaction ne
répond en rien à l'objection soulevée en première
lecture.
C'est pourquoi elle vous propose un
amendement de suppression
de
l'article 32
bis
.
Article 33 bis
Application immédiate des
nouvelles dispositions
relatives à la prescription
Cet article, inséré par l'Assemblée
nationale en deuxième lecture à l'initiative du Gouvernement,
rend applicables aux infractions non encore prescrites lors de l'entrée
en vigueur de la loi les nouvelles règles de prescription posées
par les articles 18
bis
et 18
ter
.
Il s'agit donc d'une dérogation au principe posé par
l'article 112-2, 4°, du nouveau code pénal selon lequel les
lois relatives à la prescription de l'action publique sont applicables
immédiatement à la répression des infractions commises
avant leur entrée en vigueur "
sauf quand elles auraient pour
résultat d'aggraver la situation de l'intéressé
"
(ce qui est partiellement le cas des articles 18
bis
et
18
ter
).
Votre commission des Lois vous propose d'adopter cet article
sans
modification.
*
* *
Sous le bénéfice de ces observations et des amendements qu'elle vous soumet, votre commission des Lois vous propose d'adopter le projet de loi relatif à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs.
PRÉSENTATION DES TRAVAUX
par M. Jacques
LARCHÉ, Président de la commission des Lois
et M. Charles
JOLIBOIS, rapporteur
M. Jacques LARCHÉ, Président
.- Mesdames
et Messieurs, la commission des Lois a jugé nécessaire,
après en avoir délibéré, de consacrer une
journée d'auditions publiques à l'étude de ce
problème qui a trait de manière générale à
la protection de l'enfance. Pour nous, ce n'est pas une routine mais, au
contraire, la manière que nous avons de souligner l'importance que nous
attachons à ce projet.
C'est cette importance qui nous a conduits à demander à un
certain nombre de personnalités éminentes, toutes
spécialistes des questions que nous avons à étudier, de
nous apporter leurs points de vue, de telle manière que l'on puisse les
transformer en une loi utile à la société. Par les
informations qu'elles nous donneront, elles nous permettront (puisque, encore
une fois, c'est notre souci) de légiférer avec le maximum
d'efficacité et, peut-être, dans ce domaine aussi, le maximum de
prudence.
En effet, c'est un sujet qui est extraordinairement délicat. Autant la
loi est nécessaire, autant il est aussi nécessaire de ne pas
outrepasser un certain nombre de limites qui doivent être maintenues,
pour éviter que se répande une sorte de psychose sur ces
problèmes, dont nous avons quelquefois certaines manifestations et des
conséquences pénibles.
Je vais donner la parole à notre ami Charles Jolibois, qui pourra
peut-être nous donner l'orientation générale. En effet, le
travail que nous accomplissons aujourd'hui n'est pas le seul : en sa
qualité de rapporteur, Charles Jolibois a procédé à
de nombreuses auditions, et vous en avez d'ailleurs le compte-rendu dans votre
dossier. Vous savez que c'est une habitude que nous avons prise maintenant et
qui permet à chacun d'entre nous d'apprécier le résultat
des entretiens que le rapporteur mène en notre nom. Il va donc nous dire
un mot de cette orientation générale avant que nous ne donnions
la parole à Mme Cartier, qui est professeur de droit pénal
et qui est l'auteur du rapport sur le suivi post-pénal.
Nous avons aussi parmi nous notre collègue et ami, M. Bimbenet, qui
doit intervenir pour avis au nom de la commission des Affaires sociales. Nous
lui souhaitons bien sûr la bienvenue.
M. Charles JOLIBOIS, Rapporteur
.- Monsieur le Président, mes
chers collègues, Mesdames et Messieurs, effectivement, j'ai
déjà procédé à quelques auditions en ma
qualité de rapporteur. Selon l'usage auquel la commission est
attachée, de même que moi-même, à titre personnel, je
vous ai fait distribuer un compte-rendu de ces auditions. Vous verrez que j'ai
déjà entendu M. Delarue, le président de
l'Association pour la défense des usagers de l'administration.
J'ai également entendu le bâtonnier de Paris, accompagné
d'une délégation d'avocats qui sont particulièrement
concernés par ces problèmes de la défense des enfants et
qui fréquentent les audiences de ce type d'affaire.
Nous avons entendu ensuite l'association "Enfance et sécurité" et
un groupe de psychiatres de l'Association des secteurs de psychiatrie en milieu
pénitentiaire, du Syndicat des psychiatres français, du Syndicat
des psychiatres des hôpitaux, du Syndicat des psychiatres d'exercice
public et du Syndicat des psychiatres de secteur.
Nous avons aussi entendu le Conseil français des associations pour les
droits de l'enfant, le COFRADE.
Enfin, nous avons entendu les rapporteurs du Comité national
d'éthique : M. le Conseiller doyen de la Cour de
cassation, Jean Michaud, et M. le Professeur de pédiatrie,
Victor Courtecuisse.
Ces auditions n'ont fait que confirmer, comme le disait tout à l'heure
le président, la grande délicatesse du sujet, la prudence que
nous devons avoir et, probablement et surtout, le caractère
extrêmement complexe des problèmes à régler. En
effet, nous ne sommes plus dans une législation du type du code
pénal, où on décide d'une question qui est celle de la
faute d'un inculpé, de l'aspect punition et répression, mais dans
cette phase post-pénale dans laquelle viennent plusieurs sortes de
conflits : la nécessité de réhabilitation, la
nécessité de soins, la nécessité de protection de
la société.
Chacun des spécialistes que nous avons entendus a un éclairage
souvent particulier quant à sa profession et je crois que, pour
l'instant, parmi toutes les difficultés que j'entrevois, il y a celle de
faire, dans une loi, la synthèse équilibrée et prudente de
tous ces éclairages particuliers. Ce sera notre but, et vous verrez que
la journée d'aujourd'hui est consacrée également à
l'audition de toutes ces professions, y compris celle des magistrats, qui
approchent du plus près ce genre d'affaire.
Mme Marie-Elisabeth CARTIER
Professeur de droit
pénal à l'Université de Paris II
(auteur d'un rapport
sur le suivi post-pénal)
Mme CARTIER
.- Je voudrais commencer par apporter un
certain nombre de précisions. Vous m'avez attribué la
paternité d'un rapport sur le suivi post-pénal mais, en
réalité, c'est plus compliqué que cela : il
s'agissait de la présidence d'une commission qui avait été
chargée de travailler sur la prévention de la récidive des
criminels. C'est dire que le sujet était à la fois plus vaste et
plus étroit. En effet, nous ne nous sommes pas limités du tout
à la période d'assistance post-pénale et nous avons
recherché tous les moyens, au cours de la détention des
criminels, permettant d'améliorer leur situation, de mieux les
préparer à la sortie et, à la sortie, de trouver les
solutions pour les mettre en charge. Nous nous étions donc axés
sur les problèmes posés par les criminels.
Il est vrai que j'ai rédigé le rapport, mais j'ai
travaillé avec une commission dans laquelle se trouvait un certain
nombre de personnes (notamment M. Balier, qui va venir tout à
l'heure) et qui a complété ses travaux par une étude plus
poussée sur la délinquance sexuelle.
Par conséquent, ces travaux se complètent, mais nous n'avions pas
l'intention de traiter les seuls délinquants sexuels et, en
réalité, si nous avons proposé un suivi post-pénal,
c'était pour l'appliquer à tous les criminels, sans exception.
C'est peut-être un peu utopique, mais il me semble qu'un trafiquant de
stupéfiants, par exemple, est aussi dangereux quand il sort de prison
qu'un délinquant sexuel. Il faut donc peut-être commencer par les
délinquants sexuels mais aussi envisager, à long terme, quelque
chose d'équivalent pour l'ensemble des criminels qui présentent
un danger à la sortie de prison.
Le projet actuel est à la fois plus large et plus étroit,
puisqu'il envisage la mise en place d'un suivi post-pénal, non seulement
pour les criminels mais aussi pour des personnes condamnées pour
délit. L'ordre de mission que nous avons reçu nous limitait aux
criminels, mais il est bien évident que nous nous réjouissons de
voir que nos suggestions ont été entendues et étendues.
Sur le plan juridique, nous avons rencontré des difficultés pour
définir ce que nous avons appelé un suivi post-pénal.
L'intitulé a été rejeté par M. Toubon, le
Garde des Sceaux qui a suivi M. Méhaignerie, et je crois qu'il avait
raison. En effet, le terme "
post-pénal
" signifie :
"
après la peine
". Or, la solution à laquelle nous nous
sommes arrêtés étant de créer une peine
complémentaire, on ne peut pas parler de post-pénal avec une
peine complémentaire.
Je dois dire que je n'étais pas du tout satisfaite de l'intitulé
issu des travaux qui avaient été présentés par
M. Toubon : le terme "
suivi médico-social
", qui avait
d'ailleurs heurté les psychiatres. Je crois qu'il faut en effet avoir
une conception différente de ce suivi et, personnellement, je
préfère la formule nouvelle : "
suivi
socio-judiciaire
". Ce n'est pas parfait, mais c'est certainement mieux,
dans la mesure où cela inclut effectivement une injonction de soins et
parce que cela s'étend à des mesures d'assistance et de
surveillance qui peuvent être bien différentes et qui, à
mon avis, sont tout aussi essentielles que celles qui relèvent de
l'injonction de soins.
La difficulté que nous avons rencontrée a été de
savoir comment mettre en place un suivi post-pénal, puisque nous
l'avions appelé ainsi. C'est très difficile, parce qu'il est bien
connu en France que, lorsque la peine est terminée, il n'est plus
possible d'imposer une nouvelle peine. Nous n'avons pas de sentences
indéterminées. Par conséquent, lorsqu'un criminel sort de
prison et qu'il a payé sa dette à la société, il
doit pouvoir partir librement.
Nous avons donc essayé de trouver une formule juridique qui conviendrait
et nous avons pensé à quantité de formules. Nous avions
pensé à une condamnation à une peine criminelle assortie
d'un sursis qui prendrait effet à la fin de la peine, mais l'idée
d'un sursis paraissait inadaptée.
Nous avions pensé aussi (parce que nous avions été
particulièrement préoccupés par le phénomène
de l'érosion des peines liée aux réductions de peine et
aux grâces collectives qui fait que de très nombreux criminels
sortent de prison alors qu'ils n'ont pas fait l'intégralité de
leur peine) essayer de rentabiliser les réductions de peine (et les
juges de l'application des peines avaient d'ailleurs fait des propositions
à cet égard), c'est-à-dire de transformer les
réductions de peine en suivi post-pénal : la personne
sortirait bien de prison quand les réductions de peine auraient fait
effet, mais on exploiterait la durée de la réduction de peine
pour un suivi post-pénal, ce qui ne contredit pas le fait que les
sentences ne peuvent pas être prolongées.
En définitive, après réflexion, nous avons choisi de
donner au suivi post-pénal la nature d'une peine complémentaire.
Il faut savoir que, dans le nouveau code pénal, il n'y a que des peines.
Je crois savoir que l'on avait beaucoup hésité pour savoir si on
introduisait un clivage entre peines et mesures de sûreté.
Finalement, la notion de mesures de sûreté ne figure pas dans le
nouveau code pénal. Il est certain que si l'on avait pu utiliser la
formule "mesures de sûreté", les choses auraient été
différentes, mais nous n'avons que des peines principales et
complémentaires. C'est ainsi que nous nous sommes orientés vers
la formule "
peine complémentaire
".
Ce que je peux dire au passage sur le projet actuel, c'est qu'il n'utilise pas
la formule "
peine complémentaire
". Il y a un flou artistique
sur
la nature de la mesure. Dans le projet précédent, il était
dit clairement que c'était une peine complémentaire, mais dans le
projet actuel, on ne le dit pas. Cela dit, je pense que tout le monde l'aura
compris, puisque c'est la seule formule possible. D'ailleurs, la place
où l'on va mettre ce suivi socio-judiciaire est bien située
à la fin de la division du code pénal sur les peines
complémentaires. Donc je crois que c'est clair.
C'est donc une peine complémentaire qui, comme toute peine, doit
être prononcée le jour de la condamnation. On ne peut pas (cela
aurait été peut-être une bonne solution) envisager de
prononcer ce suivi à la sortie de prison. Il faut que ce soit fait au
moment de la condamnation ; c'est notre système juridique qui
l'exige.
C'est ainsi que vous indiquez que c'est la juridiction de jugement (nous nous
étions intéressés à la cour d'assises et vous vous
intéressez aussi au tribunal correctionnel) qui va prononcer cette peine
complémentaire de suivi socio-judiciaire. La question que nous nous
sommes posée était de savoir si cette mesure devait être
obligatoire ou facultative pour la juridiction.
Pour la cour d'assises, nous avions pensé qu'il serait
préférable que la mesure soit obligatoire. Il faut bien
comprendre que, lorsque la cour d'assises statue, elle va le faire pour
quelqu'un qui sortira de prison quinze ou vingt ans après. Par
conséquent, elle n'a pas nécessairement entre les mains des
éléments suffisants. Les individus changent
énormément en prison, et il nous paraissait donc un peu
surréaliste de voir la cour d'assises statuer sur une peine
complémentaire qui ne prendrait effet que quinze ou vingt ans
après.
Cela dit, maintenant que se pose aussi le problème du tribunal
correctionnel et que cette peine pourra être prononcée à
titre de peine principale, je pense que les questions ne sont pas les
mêmes. Je conçois donc que ce soit une décision que prend
la juridiction du jugement.
Il faut donc admettre que c'est une peine complémentaire (ne nous
voilons pas la face à cet égard). C'est une peine qui a, comme
certaines peines complémentaires que nous connaissons, un aspect
à la fois de surveillance et de contrôle, et également un
aspect d'assistance et, en particulier, d'aide à la réinsertion.
Je crois que c'est tout à fait dans la logique d'un certain nombre de
peines complémentaires aujourd'hui.
Compte tenu du peu de temps que j'ai, je voudrais simplement faire quelques
observations sur le projet tel qu'il a été modifié par
l'Assemblée nationale.
Je commencerai par l'intitulé de la mesure, que je trouve meilleur que
celui du projet Toubon et meilleur que le nôtre. On pourrait
peut-être en trouver d'autres, mais ce n'est pas évident.
Cela dit, je regrette personnellement que cette loi n'ait pas été
l'occasion d'envisager, comme nous l'avions fait, le problème d'un suivi
socio-judiciaire pour un plus grand nombre de délinquants. Je pense que
la façon dont les textes sont rédigés ne serait pas
parfaitement adaptée si on veut, dans quelque temps, prévoir un
suivi socio-judiciaire pour des délinquants qui ne sont pas des
délinquants sexuels. On aurait peut-être pu
réfléchir à ce problème de manière plus
large que les seuls délinquants sexuels. En effet, même s'ils sont
effectivement des délinquants qu'il faut prendre en considération
et pour lesquels il faut nécessairement faire beaucoup de choses, je
pense qu'un trafiquant de stupéfiants, comme je le disais tout à
l'heure, a certainement sur la conscience la mort de quantité de jeunes,
exactement comme un délinquant sexuel.
Je voudrais maintenant faire des remarques à partir du projet tel que
modifié par l'Assemblée nationale. Je trouve que l'on arrive
à des choses un peu surréalistes dans les intitulés. Nous
nous sommes dotés d'un nouveau code pénal il y a seulement trois
ans et nous allons avoir, si je reprends le projet tel qu'il est donné
par l'Assemblée nationale, un "
article 131-36-1-1
".
Pour
les enseignants, dont je suis, je vous assure que, lorsqu'il faut dire aux
étudiants : "
article 131-36-1-1"
, ce n'est pas facile et qu'ils
ne le retiennent pas, pas plus que les praticiens.
Je croyais que le nouveau système de numérotation allait
permettre d'éviter les inconvénients actuels, qui consistaient
à ajouter des "
1-1-1
". Je constate que ce n'est pas le cas,
puisque l'on va se retrouver avec des numéros comme ceux-là, ce
que je déplore vivement. Ne pourrait-on pas essayer d'utiliser des
textes existants ? Je ne le sais pas. C'est donc un regret pour les
intitulés.
J'en viens à quelques observations ponctuelles. Le premier
problème que j'ai évoqué est, notamment, le fait que
l'article 131-36-1 alinéa 1er laisse à la juridiction de jugement
le soin de fixer la durée du suivi post-pénal. C'est très
bien pour les magistrats du tribunal correctionnel, car il est certain que le
suivi sera ramené à exécution très rapidement, les
peines correctionnelles n'étant pas très longues, mais je me
demande si, pour la cour d'assises, le fait de prévoir le suivi pour des
années très éloignées, sachant qu'on lui demande
également de prévoir l'injonction de soins, est une bonne chose.
Est-ce que l'expertise qui est faite au moment où la cour d'assises
statue sera encore valable quinze ou vingt ans après ? J'ai vu
qu'il y aura d'autres expertises, bien entendu, et également des
possibilités de relèvement, mais je crois qu'il y a un
décalage entre le moment de la décision et le moment où
celle-ci sera ramenée à exécution.
J'ai une critique à faire sur la sanction de l'inexécution par le
condamné de ses obligations. Les députés ont prévu,
dans l'article 131-36 alinéa 1, que la décision de condamnation
va prévoir la durée de l'emprisonnement pour le condamné
qui n'exécuterait pas ses obligations. Il est indiqué que cet
emprisonnement ne pourra pas
"excéder deux ans en cas de condamnation
pour délit et cinq ans en cas de condamnation pour crime"
.
Nous avions réfléchi à la question de savoir comment
sanctionner la violation de l'inexécution du suivi post-pénal, et
nous avions pensé qu'il y aurait une certaine cohérence avec
d'autres textes du nouveau code pénal qui sanctionnent la violation d'un
certain nombre de peines comme le travail d'intérêt
général ou l'interdiction de séjour, c'est-à-dire
les article 434-38 et suivants. Nous avions proposé dans notre rapport
un texte qui prenait place à la suite de ces articles 434-38 et
suivants, qui était rédigé comme le texte sur la violation
des obligations de l'interdiction de séjour et qui prévoyait
qu'en cas de violation, le condamné pourrait être condamné
à une peine de deux ans d'emprisonnement, mais que, pour cela, il devait
comparaître devant une juridiction.
Personnellement, je crois qu'il n'est pas souhaitable, tout d'abord, que ce
soit la juridiction de jugement qui fixe comme cela, de manière un peu
arbitraire, la sanction de la violation de l'inexécution.
Premièrement, je pense qu'il serait assez cohérent d'avoir un
texte dans le cadre des atteintes à l'autorité de la justice.
Deuxièmement, je pense que ce n'est pas le rôle du juge
d'application des peines, puisque c'est à lui que l'on a confié
le soin de décider de l'exécution de cette peine.
Je pense qu'on en demande trop au juge d'application des peines (je ne sais pas
si le président de l'association est là, mais il le dira
peut-être) et que son rôle peut être, dans certains cas (on
le voit pour le sursis à une mise à l'épreuve ou pour la
libération conditionnelle), de prendre des décisions,
d'élargir certaines mesures et d'adapter la situation, mais en
l'occurrence, c'est autre chose : on demande au juge d'application des
peines de faire exécuter une peine d'emprisonnement. Personnellement, je
pense que c'est une juridiction qui devrait être chargée de
décider de l'exécution de cette peine. Evidemment, cela irait de
soi si on considérait que la violation des obligations du suivi
post-pénal est une infraction, auquel cas la personne
comparaîtrait devant une juridiction.
Au passage, j'indiquerai que, parmi les problèmes que nous avions
évoqués, nous nous étions demandés s'il ne serait
pas souhaitable, à terme, de réfléchir à la mise en
place d'un code de l'exécution des peines et également,
peut-être, à l'institution d'une juridiction de l'exécution
des peines. Je crois que ce serait une très bonne chose, car cela
donnerait une logique et une cohérence aux décisions qui
pourraient être prises.
Pour moi - et c'est très important -, il vaut mieux une
infraction nouvelle comme la violation des obligations de l'interdiction de
séjour, par exemple, et il ne faut pas que ce soit le juge d'application
des peines qui soit amené à faire exécuter ces peines.
Je ferai une petite remarque sur l'article 131-36-1-1. Vous parlez de
"
mesures de surveillance applicables à la personne condamnée
à un suivi socio-judiciaire"
, et vous dites que ce sont celles qui
sont prévues à l'article 132-44. Or, à l'article 132-44,
on ne parle pas de
"mesures de surveillance"
mais de
"
mesures de
contrôle
". Ne serait-il pas souhaitable d'utiliser la même
terminologie ? En effet, toutes ces mesures sont, d'une part, des mesures
de contrôle et, d'autre part, des mesures d'assistance.
Autre remarque : j'ai vu que l'Assemblée nationale a
déplacé le contenu de certaines des mesures du suivi, comme
celles qui consistent à s'abstenir de paraître dans des lieux
où se trouvent des mineurs ou de fréquenter certains lieux, pour
le placer à l'article 136-36-1-1. Auparavant, cette
énumération se trouvait dans le code de procédure
pénale.
On peut effectivement hésiter, dans la mesure où ce sont des
obligations qui font maintenant partie d'une peine complémentaire,
à les mettre à la suite de l'ensemble des peines
complémentaires mais, d'un autre côté, il y a, dans le code
de procédure pénale, des mesures de ce type qui sont
prévues dans d'autres situations. Par conséquent, je ne sais pas
si le fait d'alourdir encore le code pénal est une très bonne
chose.
Par ailleurs, je trouve personnellement bien que le suivi puisse être
prononcé comme peine principale. C'est tout à fait logique,
puisque c'est ce qu'a voulu le nouveau code pénal. Autrefois, on parlait
de peines de substitution et on parle maintenant de peines alternatives. Je
crois que, pour des infractions mineures, par exemple celles qui sont commises
par des délinquants sexuels, c'est une bonne solution, si tant est, bien
entendu, que le suivi soit effectif et que l'on puisse obtenir des solutions.
Je sais que, dans un certain nombre de pays étrangers, même des
criminels qui ont commis des crimes graves peuvent voir leur peine (par exemple
quinze ans de réclusion) transformée en un suivi qui est
effectivement bien mis à exécution. Donc je trouve qu'au moins en
matière correctionnelle, il est bon que ce suivi devienne une peine
principale.
Il se pose alors le problème de l'inexécution, et c'est pourquoi,
personnellement, je pense qu'il faut une sanction particulière de
l'inexécution.
Sur le suivi, c'est à peu près tout ce que je voulais dire. Pour
une fois, les travaux d'une commission n'ont pas été
enterrés. J'avoue que cela m'a fait un grand plaisir. D'habitude, on dit
qu'on nomme une commission pour enterrer un problème...
M. le PRESIDENT
.- Ce sont des mauvaises langues...
Mme CARTIER
.- Je vois qu'à travers les ministres de la Justice
successifs, le projet a fait son chemin. Je me réjouis que, pour une
fois, il y ait un consensus entre différents ministres, a fortiori
après un changement de majorité. C'est une chose qui me satisfait
tout à fait.
J'ai regardé ensuite les autres dispositions. Concernant le
problème du fichier génétique, je me suis demandée
si c'était bien la place du texte, à l'article 78-6 du code de
procédure pénale, puisque le texte se trouve dans une partie qui
concerne les enquêtes. Je sais bien qu'il se trouve après les
textes qui concernent le fichier pour les empreintes digitales, ce qui
obéit à une certaine logique, mais je me demande s'il n'y aurait
pas une autre place plus adaptée. En fait, ce fichier sera
conservé après la condamnation. C'est donc un peu
différent.
Sur le fond, j'y suis favorable, mais il est certain qu'il faut prendre le
maximum de précautions pour éviter de tomber dans des atteintes
aux libertés.
Vous avez vu avec moi ce qui se passe actuellement aux Etats-Unis, où
cela devient de la folie, puisque l'on peut maintenant consulter sur Minitel le
nom des personnes qui ont été condamnées pour des
infractions sexuelles. C'est dramatique, parce que ces gens vont sortir de
prison et ne pourront plus rentrer dans un magasin.
J'ajoute que la Cour suprême des Etats-Unis vient d'adopter une solution
qui me paraît très dangereuse aussi et qui consiste à
créer un suivi des délinquants sexuels civils,
c'est-à-dire que ce n'est pas quelque chose qui relèverait d'une
juridiction pénale. Cela a été décidé par
l'un des Etats américains et la Cour suprême a reconnu que
c'était conforme à la Constitution. C'est ainsi qu'un
délinquant sexuel pourra à vie, aux Etats-Unis, faire l'objet
d'un suivi civil, c'est-à-dire qu'il ne sera pas contrôlé
par une juridiction répressive et ne sera pas limité dans le
temps. Il sera décidé en fonction de la dangerosité de
l'individu.
Ce sont des dérives qui me paraissent extrêmement dangereuses et
qui risquent d'ailleurs de se retourner contre les objectifs poursuivis.
Le fichier, c'est autre chose. Je pense qu'il peut renseigner utilement la
police et la justice. S'il est entouré de protections, cela rendra des
services et évitera peut-être des infractions graves.
Il y a un autre problème qui n'est pas abordé et dont nous avions
traité au cours des travaux de la commission. Comme les psychiatres vous
le diront, le délinquant sexuel est un délinquant un peu
particulier. En effet, quand il a commis l'infraction, il y a une
période très brève au cours de laquelle il reconnaît
sa culpabilité. C'est la période où il est
arrêté. C'est peut-être à ce moment-là qu'il
faudrait lui proposer des soins, parce qu'il a conscience de ce qu'il a fait et
qu'il serait peut-être disposé à suivre des soins et
à se reconnaître comme malade. Ensuite, le délinquant
sexuel est quelqu'un qui, très vite, fait ce que les psychiatres
appellent un chemin de déni, et si vous le revoyez quelque temps
après, il ne reconnaît plus les faits et ne se reconnaît
plus comme délinquant. C'est ainsi que, lorsque la juridiction le
condamnera, et a fortiori quand il sortira de prison, il estimera qu'il est
injuste de lui appliquer un suivi post-pénal.
Le docteur Balier, par exemple, qui était dans un S.M.P.R. situé
dans une maison d'arrêt, avait fait observer que c'était une
chance de pouvoir rencontrer les délinquants sexuels au lendemain de
leur arrestation, parce que c'est un moment où l'on peut encore faire
quelque chose et leur proposer des soins (sans qu'il s'agisse d'obligations,
bien entendu). A ce moment-là, ils sont parfois prêts à
accepter quelque chose qu'ils n'accepteront plus après six mois, un an
ou beaucoup plus tard. C'est donc un problème qu'il faudrait
peut-être évoquer un jour.
Pour en terminer avec le projet (mais il y aurait peut-être d'autres
choses), je voudrais dire que je ne suis pas très favorable au texte sur
le bizutage. Je pense que, dans le nouveau code pénal, nous avons des
textes modernes qui pourraient, le cas échéant, être
adaptés aux phénomènes de bizutage qui sont
particulièrement choquants. Par exemple, on sait bien que les coups et
blessures volontaires ont toujours été interprétés
par la jurisprudence comme pouvant s'appliquer à des mouvements qui,
parfois, n'impliquent pas un contact physique entre l'auteur et la victime.
Autrement dit, à mon avis, ces textes trop pointus ne sont pas
souhaitables, et il faudrait en revanche essayer de voir les textes qui
pourraient s'appliquer ; il y en a un certain nombre.
Enfin, il reste le problème du tourisme sexuel. J'ai constaté
qu'on étend la répression du tourisme sexuel non seulement aux
Français qui vont à l'étranger (on a apporté
là des exceptions à la règle de l'application de la loi
pénale dans l'espace, ce qui est tout à fait normal), en
admettant que l'on pourrait poursuivre les Français ayant commis ces
agissements à l'étranger quand bien même le pays dans
lequel ils se sont rendus ne punirait pas ces infractions (ici, on n'exige pas
de réciprocité d'incrimination, ce qui ne me choque pas, dans la
mesure où il en va de même pour les crimes, et je considère
que ces agissements sont très graves), mais également aux simples
résidents en France. J'avoue que je ne sais pas bien comment cela va
fonctionner. Comment déterminera-t-on quelqu'un qui est résident
en France ? Faudra-t-il qu'il ait une carte de séjour ?...
Je crois que si on punissait déjà les Français qui,
à l'étranger, ont commis des actes de ce type, ce serait un
véritable progrès. Comment fera-t-on pour punir en plus les
simples résidents ? Je ne vois pas très bien.
Je ferai une dernière remarque, car j'ai vu que l'on a
créé une nouvelle action civile. A mon avis, on développe
trop les actions civiles. On se demande vraiment maintenant pourquoi on a un
ministère public. Si vous enseignez l'action civile aux
étudiants, vous allez être obligé d'énumérer
toutes ces associations. Bien entendu, je respecte profondément l'action
de ces associations et je conçois qu'elles soient utiles pour aider
à la découverte d'infractions, mais je pense que, là
aussi, il faudra peut-être essayer de voir comment on pourrait
éviter cette énumération d'associations
privilégiées qui concurrencent le ministère public.
Enfin - et je terminerai là-dessus -, je suis personnellement
très favorable à la réforme de l'article 348-1 du code de
la santé publique. C'est un problème qui nous a beaucoup
préoccupés, et je crois qu'il a préoccupé aussi
M. Boulay et beaucoup de personnes. Vous savez que les délinquants
qui sont reconnus pénalement irresponsables, comme dans le passé
avec l'article 64 de l'ancien code pénal, échappent à
la justice. Ils vont être placés le plus souvent dans des
établissements psychiatriques et leur sortie de ces
établissements échappe complètement à la justice.
Le résultat, c'est qu'on voit sortir, un ou deux ans après, des
criminels qui ont commis des actes effroyables.
Bien entendu, j'ai confiance dans la décision des psychiatres, mais il
n'en demeure pas moins que, notamment pour les victimes, il y a une
inquiétude profonde. Je pense que, comme cela se pratique en Belgique,
il serait bon que la justice ait un certain droit de regard sur cette
décision de sortie, mais je ne sais pas si elle sera acceptée,
parce que cela soulève évidemment beaucoup de problèmes.
Pour conclure, je dirai que ce projet me satisfait, puisqu'il est le
prolongement de nos travaux et que je m'en réjouis, sous réserve
des critiques que je viens de formuler.
M. le PRESIDENT
.- Je vous remercie, Madame. Vous avez déjà
résolu un certain nombre de problèmes. En tout cas, vous avez
ouvert un certain nombre de pistes qui vont sans aucun doute faciliter notre
tâche. Vous avez noté que la terminologie avait une extrême
importance. Au-delà de ce qui est proposé, il faudra sans aucun
doute que nous réfléchissions, de notre côté,
à une modification éventuelle des termes qui ont
été suggérés.
Par ailleurs, il est un problème que nous aurons à aborder, c'est
celui, dont on débat beaucoup (on en parlait encore ce matin sur les
ondes), du bizutage. Vous avez laissé entendre - c'est là
votre opinion - qu'il ne vous paraissait pas absolument évident que
le bizutage, au sens large, devait être érigée
lui-même en délit et qu'il existait dans le code toute une
série de dispositions qui permettaient de réprimer ce que ce
bizutage, lorsqu'il dépasse le traditionnel, peut avoir de choquant et
d'inadmissible.
Peut-être certains d'entre nous souhaiteront vous poser des questions
avant que je vous renouvelle nos remerciements et vous rende votre
liberté.
M. JOLIBOIS
.- Madame le Professeur, je vous remercie beaucoup. La
clarté de votre exposé ainsi que son contenu m'ont
énormément plu.
Le problème principal que vous avez réglé va
véritablement au fond des choses. C'est celui du suivi
post-pénal. Deux questions se posent à cet égard :
premièrement, est-il ou non une peine complémentaire ?
Deuxièmement, si c'est une peine complémentaire, qui doit la
prononcer ?
Concernant la première question, vous avez parlé du flou
artistique. Il est évident que l'on se heurte à l'opposition des
médecins, d'après ce que j'ai compris depuis le début de
mes auditions, qui ne veulent en aucun cas, du point de vue
déontologique, que l'on puisse considérer que se soigner est une
peine. Cela dit, ce n'est pas tout à fait exact, parce que ce n'est pas
se soigner qui est une peine ; c'est le fait de ne pas se soigner qui peut
donner lieu à une sanction, c'est quand on viole l'obligation de se
soigner que l'on a commis une infraction.
Par conséquent, compte tenu de la nouvelle direction prise, je crois
qu'il faut dire les choses carrément. Etes-vous sûre que le fait
de placer cela dans un chapitre "peine complémentaire" soit
suffisant ? C'est une peine complémentaire, d'après vous,
et, si j'ai bien compris, vous pensez qu'il est normal que ce soit une peine
complémentaire.
Mme CARTIER
.- Cela ne peut être qu'une peine complémentaire.
M. JOLIBOIS
.- Dans votre analyse du code pénal et de cette suite
post-pénale, cela ne peut donc être qu'une peine
complémentaire.
Le deuxième point qui est fondamental, c'est que vous nous dites, si
j'ai bien compris, que lorsque l'on prononce une peine très longue, aux
assises par exemple, il est totalement impossible de prévoir ce que sera
la situation médicale ou sociale d'une personne à dix ou vingt
ans d'échéance. En revanche, vous dites qu'il n'en va pas de
même pour une peine correctionnelle plus courte.
Vous préconisez la création d'un délit consistant dans le
fait de ne pas suivre le programme socio-médical fixé par les
magistrats (auquel cas une peine serait prononcée au moment où
l'infraction serait commise, par une juridiction). En revanche, si l'on
retenait la solution du projet de loi, la peine serait prononcée par
anticipation au moment où la juridiction prononcerait la peine
générale. Dans ce cas, ne croyez-vous pas que la juridiction, au
moment où elle prononce la peine générale, aurait
tendance, pour assurer la protection de la société, d'en
prononcer une qui serait assez forte pour que la personne soit prise sous ce
que j'appellerai "une ombrelle" ou un "parapluie pénal", ce
qui
permettrait de suivre plus tard l'intéressé et de protéger
la société ?
Le prononcé de la peine post-pénale au moment de la condamnation
ne risquerait-il pas, finalement, selon vous, d'empêcher
l'adéquation de cette peine à ce qu'elle devrait être quand
on a toutes les données au moment précis ? Ce serait une
sorte de peine de protection de la société, mais elle ne serait
pas adaptée.
Mme CARTIER
.- Il suffit de prévoir une peine fixe en fonction de
la nature de l'infraction, et ce ne serait pas la peine qui serait
effectivement exécutée. Nous avons proposé, nous, qu'au
moment où l'individu va sortir de prison, on fasse de nouvelles
expertises et que l'on prenne une décision. On peut alors le relever
éventuellement de cette peine : vous aurez certainement, à
la veille de leur sortie de prison, des gens qui n'auront plus aucun
problème et que l'on peut libérer. Comme il faudra des
expertises, des experts pourront peut-être le dire.
Maintenant, s'il y a doute, il faut bien voir que, dans cette peine
complémentaire, vous n'avez pas que l'injonction de soins mais aussi des
quantités de mesures de contrôle et d'assistance. Vous pouvez
considérer que l'injonction de soins rentre dans les mesures
d'assistance. C'est une assistance à la réinsertion et une mesure
qui est prise pour prévenir la récidive. Or on prévient la
récidive dans l'intérêt des victimes, mais aussi dans
l'intérêt du délinquant lui-même.
Aujourd'hui, les peines complémentaires sont des mesures qui sont des
peines mais qui ont en arrière-plan des mesures de sûreté.
Lorsque vous allez interdire à quelqu'un de conduire, si vous prononcez
cette peine parce que la personne a provoqué un accident de la
circulation, c'est une peine complémentaire, mais vous voyez bien, en
arrière-plan, la mesure de sûreté qui est prise : vous
allez protéger la société contre cette personne qui ne
sait pas conduire et vous allez la protéger elle-même en lui
évitant un accident.
Donc je crois que la peine complémentaire a un double visage, en quelque
sorte. Elle a un visage de peine (ce sont les mesures de contrôle) et
elle a un autre visage qui est l'aspect des mesures de sûreté,
même si l'on ne le dit pas. Je pense qu'à ce point de vue, il
faudra nécessairement, au moins pour les crimes, revoir la situation
à la sortie de prison. C'est inévitable.
Par conséquent, même si la cour d'assises l'a condamné
à cinq ans de suivi post-pénal, il n'est pas dit à la
sortie qu'il aura vraiment besoin de cinq ans de suivi. De même, il
n'aura peut-être pas besoin de soins, mais on peut peut-être
essayer de savoir où il habite, ce qu'il fait et qui il voit.
On a souvent évoqué un crime sexuel qui a été
commis il y a trois ou quatre ans : deux petites filles ont
été tuées près de Perpignan. L'assassin avait
été condamné, était sorti de prison et était
allé s'installer à Perpignan, libre comme l'air. Personne ne
savait où il était. Cela lui a permis de se lier à une
famille où il y avait des enfants. S'il y avait eu un simple suivi par
la Gendarmerie (il ne s'agit pas de faire comme aux Etats-Unis,
c'est-à-dire de mettre des affiches dans toute la ville pour dire :
"voilà un délinquant sexuel !"), on aurait pu simplement avertir
la famille qu'il y avait un problème. La famille ne pouvait pas imaginer
une seule minute que cette personne qu'elle avait introduite dans son
intimité était quelqu'un qui était sorti de prison et qui
avaient commis plusieurs infractions sexuelles.
Donc je crois qu'il faut voir la peine sous l'angle, à la fois, des
mesures de surveillance et des mesures d'assistance avec, peut-être,
l'injonction de soins.
Il est certain que le fait de le prononcer au moment de la condamnation n'est
pas toujours très réaliste. Il faut nécessairement que
l'on revoie la personne au moment de la sortie, du moins pour les criminels.
M. BADINTER
.- Madame le Professeur, je voudrais simplement vous poser
une question. Comme je n'ai pas encore eu l'occasion de le vérifier en
détail (mais je connais l'excellence de votre diagnostic juridique),
j'aimerais savoir si vous vous êtes assurée que les
éléments de l'infraction dite de "bizutage" sont
déjà couverts par les dispositions existantes du code
pénal.
Mme CARTIER
.- Je peux vous donner des exemples. On a des textes qu'il
faudrait pointer systématiquement.
M. JOLIBOIS
.- Il y a aussi la mise en danger, dont vous n'avez pas
parlé.
Mme CARTIER
.- J'avoue que je n'avais pas du tout pensé à
la mise en danger. Simplement, comme cela se traduit souvent par des
comportements de connotation sexuelle, je pense aux textes sur les exhibitions.
D'un autre côté, il y a des contraventions de violence volontaire,
qui ont toujours été interprétées par la
jurisprudence de manière extrêmement large, mais cela ne vous
paraît peut-être pas suffisant pour certains agissements.
En tout état de cause, je pense qu'il faudrait pointer les textes de
manière systématique.
M. JOLIBOIS
.- Nous l'avons déjà fait, et il y a une
circulaire qui vient de paraître à ce sujet, qui rappelle
l'ensemble des textes et dans laquelle on a oublié à mon avis
celui sur la mise en danger.
Mme CARTIER
.- J'avoue que la mise en danger n'est pas du tout un texte
auquel j'aurais pensé.
LE POINT DE VUE DES PSYCHIATRES
____
Docteur Michel LACOUR
Psychiatre à
l'hôpital de Poissy
M. le PRESIDENT. -
Nous passons à un entretien
avec le docteur Lacour et le docteur Coutanceau, que je prie de bien vouloir
prendre place à mes côtés.
Vous allez nous apporter un point de vue que nous nous devons d'entendre. Au
cours d'une autre audition publique, nous avions déjà entendu le
docteur Cordier qui nous avait apporté des informations très
précises et très importantes. Nous souhaitons en avoir le maximum.
M. LACOUR
.- Merci beaucoup de m'avoir invité. Je voudrais tout
d'abord me présenter. Je suis Michel Lacour, j'ai un secteur adultes
à Poissy et j'ai fait de la psychiatrie infanto-juvénile. Je suis
un non-spécialiste de la question et c'est à ce titre que je suis
intéressant, ou que j'espère vous intéresser, dans la
mesure où j'ai toujours reçu pour des soins, des victimes, leurs
familles et où j'ai toujours été dans la situation de
celui qui reçoit sans être spécialement formé. Je
faisais simplement mon travail parce que c'était mon travail et c'est ce
point de vue que je vais exprimer.
C'est un point de vue (j'en ai beaucoup discuté avec mes
collègues) qu'exprime très facilement le psychiatre public de
base. A ce titre, cela peut avoir un certain intérêt, du moins en
ce qui concerne l'efficacité des mesures proposées.
Je commencerai par exprimer quelques idées générales sur
la loi. Je pense qu'elle a été extraordinairement
améliorée par rapport à sa version initiale, et j'en
remercie tous ceux qui ont participé à ce travail de
réflexion, qu'ils appartiennent à la Chancellerie ou aux
commissions, qui sont passées d'une chose qui me semblait insupportable
à un résultat qui est, certes, encore discutable mais qui tient
beaucoup mieux la route.
Je vais parler tout d'abord des éléments négatifs.
Premièrement, c'était une loi d'émotion populaire et de
circonstance, ce qui n'est pas forcément la meilleure manière de
procéder, mais il y a eu, heureusement, un début de
réflexion. Cela dit, elle est fondée sur des
présupposés d'efficacité et de
généralisation des soins qui reviennent tout le temps dans la
discussion du rapport de l'Assemblée nationale alors que, lorsqu'on lit
le rapport, on voit très bien qu'ils ne sont pas fondés,
c'est-à-dire que tant l'efficacité que la
généralisation ne sont pas prouvées. La
généralisation n'existe qu'en Belgique et on en connaît le
résultat. Quant à l'efficacité, tout le monde trouve que
c'est intéressant, mais personne n'est capable de fournir des chiffres
scientifiques et "béton" sur une population standard. C'est un
problème important que l'on verra sur les mesures concrètes.
Deuxièmement, c'est quand même une loi de confusion de la sanction
et du soin, ce qui me pose problème. Je ne suis pas contre les lois
d'obligation de soins. Elles ont existé pour la tuberculose et la
syphilis avec - il faut le dire - un certain succès, mais sont
apparues secondairement (et non pas primitivement) des méthodes
scientifiques de traitement.
Le problème, ici, c'est que l'on n'est pas sûr, dans la phase
actuelle, que ces méthodes tiennent encore la route sur le plan
scientifique, ce qui ne veut pas dire qu'elles ne la tiendront pas dans dix ans.
La loi de 1838 révisée en 1890 n'était vraisemblablement
pas mal pour l'époque, mais elle a abouti au grand enfermement. La loi
de 1958 sur les alcooliques dangereux n'a pas été
appliquée, tout simplement. Quant à celle de 1970 sur les
toxicomanes, elle a à peine été appliquée et elle a
été tout à fait impuissante à éradiquer la
montée du fléau. Par conséquent, la confusion des
rôles ne semble pas du tout un gage d'efficacité en cette
matière. Cela donne un peu bonne conscience quand on rédige, mais
ce n'est pas forcément très efficace.
A côté du durcissement des peines, du suivi socio-judiciaire, qui
me semble effectivement très important, et des mesures
préventives qui nécessitaient une loi, que, personnellement, en
tant que citoyen, j'approuve tout à fait (cet aspect correspond à
ce que pense le citoyen lambda et il est très bien de l'exprimer par une
loi), tout cela amènera en plus, vraisemblablement, un certain nombre
d'intéressés à réfléchir, pour autant que je
les connaisse.
Quant aux soins, je répète que je suis un peu plus
gêné, tout en sachant que la loi va passer. En effet, je me suis
dit, toujours à la lecture du texte de l'Assemblée nationale, que
les dépenses sont complètement occultées. A cet
égard, on trouve des chiffres tout à fait fantaisistes, comme
500 F pour la formation d'un médecin spécialiste ! On
ne parle pas de centres de formation et de recherche ; on ne parle pas des
seules choses qui seraient intéressantes pour explorer cette voie.
En revanche, on parle, toujours par sous-entendus, de
généralisations et, quasiment, d'une obligation de
résultat, ce qui est très préoccupant.
A mon avis, une circulaire, qui aurait prévu des moyens pour des centres
de soins, de formation et de recherche et qui aurait permis de former du
personnel et d'aboutir à des résultats fiables au bout d'une
dizaine d'années, aurait été plus cohérente et,
surtout, plus efficace.
En effet, j'ai peur que l'on se retrouve avec l'essentiel des patients
attribués à des gens comme moi, les psychiatres de secteur, parce
qu'ils ne font pas payer, les libéraux prenant "les bons cas" (ils
existent). En fait, on sait très bien que la récidive en milieu
familial n'est pas très fréquente au bout de dix ans de prison,
surtout quand les enfants sont partis. Je veux dire par là que l'on
mêle beaucoup de catégories différentes dans cette notion
de perversion, que c'est une discussion qui n'est pas inintéressante en
ce qui concerne les résultats et que l'on a beaucoup de mal à
différencier les différentes catégories quand on regarde
les résultats.
Quant au fond, je pense que l'injonction a amélioré la situation,
dans la mesure où elle n'a plus été inscrite comme
obligatoire, mais il s'agit quand même d'une obligation, ce qui pose un
problème technique. En effet, les vrais pervers (que j'ai connus et que
nous avons tous connus) sont des spécialistes du parapluie. Ce sont des
gens qui viennent vous voir parce qu'on leur a dit de le faire, ce qui leur
permet de sortir de prison et d'améliorer un peu leur
sécurité par rapport aux instances répressives qui les
menacent. Tant que cela marche, ils viennent, ils sont même ravis que
nous envoyions des petits papiers au tribunal, puisque c'est ce qu'ils viennent
chercher, mais nous avons énormément de mal à accrocher
une relation psychothérapique avec eux.
Quand j'en parle avec mes collègues (mais ce que je dis n'est pas vrai
pour Roland Coutanceau car nous sommes dans des situations différentes),
je m'aperçois que nous avons du mal à évoquer un cas pour
lequel nous soyons sûrs d'avoir été vraiment efficaces, et
ce sur vingt à trente ans de carrière. Je parle bien des pervers
récidivistes en dehors de leur famille. Ceux qui ont été
repérés et qui ont causé un séisme dans le milieu
familial ne sont évidemment pas dans la possibilité réelle
de reproduire ce qui s'est passé avant, mais ceux qui étaient
dans la possibilité de le faire ne s'arrêtent pas "comme
ça", du moins dans leur tête.
En ce qui concerne le bizutage, on en a parlé et je suis d'accord avec
l'intervenante précédente.
J'en viens aux éléments positifs.
Il fallait faire quelque chose qui donne un espoir aux parents (c'est
fondamental et vous en entendrez parler tout à l'heure, car il
n'était pas possible de les laisser dans l'état où ils
étaient) et qui permette de développer une prévention
encore complètement embryonnaire. Je veux dire par là que,
même si on en sauve un de temps en temps, cela vaut le coup d'essayer. De
plus, je suis persuadé que l'avenir va largement dans ce sens. Donc il
faut y aller.
Ce n'est pas cela que je discute. Je discute de l'efficacité d'une
mesure générale alors qu'il aurait mieux valu faire des mesures
ponctuelles financées et les élargir peu à peu, en
tâche d'huile, avec des gens compétents et motivés pour le
faire.
Donner un cadre légal et contraignant à la prévention et
au contact semble tout à fait cohérent. Il n'existait à
cet égard que des déserts. Je pense que, ce faisant, on entre un
peu dans le XXème siècle et que, malgré tout, là
aussi, cela peut tout à fait faire réfléchir les gens. Une
menace de "coup de pied au cul" peut avoir une action thérapeutique
dans
certains cas.
Tout cela pour dire que cette loi va passer, mais que je peux quand même
suggérer, point par point, quelques petites modifications pratiques, en
me cantonnant au strict problème médical. Je répète
en effet que j'approuve l'ensemble de la loi et que je parle en tant que
technicien.
L'article 131-36-2 pose quelques problèmes. J'ai déjà dit
que cette injonction me paraissait une obligation à peine
déguisée. De même, la notion "
sans son consentement"
est pleine d'euphémisme (pour être gentil) et je ne suis pas
sûr que la rédaction soit très claire pour
l'intéressé. Mais c'est ainsi : c'est une cote mal
taillée.
Cela dit, je répète que l'obligation de soins me semble
très inefficace, et je souhaiterais presque qu'il soit écrit
quelque part que l'obligation de résultat est plutôt
étrangère à l'esprit de la loi. Elle n'a été
appliquée qu'en Belgique, avec le résultat que l'on sait.
L'injonction non obligatoire, mais sous menace de deux à cinq ans de
prison, est également très "euphémisante" (pour être
gentil), et je pense qu'elle nous met dans une situation difficile pour essayer
d'établir une relation de confiance avec des gens qui sont souvent
très adaptés et très spécialistes du parapluie. Ils
ont pas mal d'années de route derrière eux et ils savent
très bien comment on peut profiter des parapluies et des failles du
système.
Par conséquent, l'obligation ne me plaît pas beaucoup. Elle est
reprise dans le code de procédure pénale, ce qui est logique.
En ce qui concerne la santé publique, il y a tout ce compte
d'apothicaire qui ne me semble pas bon et qui conclut fort logiquement qu'il
faut 500 F pour la formation des médecins et un régime de
paiement pour les experts et les spécialistes. Je veux dire par
là que le débat est complètement occulté. C'est une
chose dont on ne parle pas dans la loi et qui est simplement
évoquée de manière lyrique dans le débat. La
conclusion, c'est que c'est un débat occulté.
A cet égard, je répète tout d'abord que, nous, psychiatres
publics, sommes confrontés à une période dans laquelle, en
raison des ordonnances Juppé, l'hôpital public est soumis à
une cure d'austérité assez sévère. Il est
évident que nous ne disposons pas de moyens illimités mais, au
contraire, de moyens en baisse.
Ensuite, en raison du
numerus clausus
de tous les médecins, mais
aussi des spécialistes, on va se précipiter d'ici cinq ans dans
le gouffre démographique qui fait qu'un poste sur deux ne va pas pouvoir
être renouvelé. Nous avons donc quelques soucis sur nos
possibilités d'accumuler beaucoup de missions supplémentaires.
Celle-là n'en est qu'une parmi d'autres, mais elle risque d'être
quelque peu pesante, d'autant plus que l'on nous dira, si jamais cela ne marche
pas (et on sait bien que cela risque de ne pas marcher dans un certain nombre
de cas) : "Docteur, qu'avez-vous fait ?"
Nous insistons donc beaucoup sur la nécessité de faire de la
formation, d'avoir des gens disponibles et de créer des centres
expérimentaux, sans quoi ce n'est pas sérieux. Il faut absolument
trouver des solutions permettant d'agir dans ce sens. Sinon, on ne fait que de
l'adaptation au coup par coup et le nouveau système risque de ne pas
marcher, comme n'ont pas marché des tas de choses
précédemment.
Je passe à l'article 335-3. C'est aussi une chose que nous connaissons
bien, parce qu'elle apparaissait dans toutes les obligations de soin. C'est
l'histoire des attestations régulières et du rôle de
dénonciateur quand cela ne va pas. C'est une vieille querelle, mais il
ne faut pas voir les principes ; il faut simplement voir
l'efficacité.
Si quelqu'un vient me voir avec l'idée que je vais le dénoncer si
je pense qu'il va refaire des bêtises, il est évident que cela ne
va pas faciliter l'instauration d'un dialogue un tout petit peu honnête.
Personnellement, je le ferai si j'ai le sentiment que cela va très mal
tourner, mais c'est une relation très tordue sur le plan
thérapeutique, et je crois qu'il ne s'agit plus du secret médical
car il y a des clauses de levées du secret médical.
Par conséquent, sur le plan de l'efficacité, avec des gens en
général très intelligents, c'est un problème.
Pour les obligations de soins, je me sens capable de dire : "il est
venu
à ma consultation" mais non pas : "je vous mets un bon point si
vous venez ou un mauvais point si vous ne venez pas". C'est un point de
vue que
partagent à peu près tous ceux qui se sont frottés
à cela.
Je tiens aussi à relever un tout petit point (j'ai fait en effet de la
pédopsychiatrie et je reçois encore des victimes) : je me
demande si, dans l'article 706-54, il ne manque pas une petite phrase sur la
destruction des films. Je sais bien que cela concerne les archives judiciaires
et que ce n'est pas mon problème, mais les films sont une chose beaucoup
plus émouvante. Je ne souhaiterais donc pas que, dans des histoires
d'inceste, qui sont les plus banales, les documents puissent
réémerger dix ou vingt ans après pour illustrer les
scènes de famille. Il manque une chose qui n'a pas été
prévue.
En revanche, je pense qu'il est très bien d'éviter aux enfants de
déposer dix fois de suite dans une procédure. Je ne suis pas du
tout opposé à cela. Simplement, je pense qu'il faut
prévoir le devenir des documents filmés. Heureusement, ils se
dégradent spontanément...
Pour ne pas trop occuper votre temps, je voudrais en terminer par le point sur
lequel la personne qui m'a précédé a achevé son
exposé pour dire exactement le contraire. Il s'agit de l'article L. 348
du code de la santé publique (loi de 1938 révisée en
1990), qui doit être révisée au bout de cinq ans et qui a
fait l'objet d'une étude de la Commission Stroll au ministère de
la Santé. La Commission Stroll avait en effet proposé une
judiciarisation de l'entrée dans les systèmes de placement
obligatoire et une médicalisation des conditions de sortie. Si vous
réfléchissez bien, c'est exactement l'inverse de ce dont on
discute dans la transformation actuelle.
Je sais bien que la situation actuelle n'est pas parfaite, parce que les deux
experts qui sont prévus dans la loi de 1990 ne sont pas souvent d'accord
et qu'il y a des craintes locales, si bien que l'on a beaucoup de mal à
accorder les violons. C'est pourquoi certains jugent les procédures de
sortie quelque peu incohérentes, ce qui est évident.
Cela dit, je ne voudrais pas que l'on passe d'une position de
médicalisation de la sortie à une judiciarisation partielle ou
totale par le biais de ce petit article. A cet égard, il faut relire les
débats de l'Assemblée nationale pour voir que cela peut
être soit partiel, soit plus étendu, sans avoir une discussion
sérieuse là-dessus. C'est comme le reste : cela vient trop
vite pour que l'on modifie un article qui est essentiel.
Je vous le dis comme je le pense. J'ai un service ouvert, où je n'ai pas
de cellule. J'ai régulièrement un homicide, un infanticide, etc.,
et je me débrouille très bien avec tout cela, mais si, au lieu
d'en avoir un, j'en ai trois ou quatre sans pouvoir envisager d'autre solution
que de les garder dans le service pendant dix ou quinze ans, je ne pourrai pas
gérer mon service comme je le fais actuellement. Alors que je me suis
battu toute ma vie pour que l'on passe d'une psychiatrie carcérale
à une psychiatrie de soins (je crois que j'y suis à peu
près arrivé), je n'ai pas trop envie que l'on rebascule à
l'inverse.
Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas réfléchir
là-dessus, mais la solution qui consiste à modifier l'article me
semble une réflexion un peu courte par rapport au problème
posé : la structure globale de l'appareil de soins en psychiatrie.
J'arrête mon intervention là-dessus, mais ce n'est pas un point
négligeable pour nous.
M. le PRESIDENT
. - Nous vous remercions, Docteur, Je vais
peut-être donner la parole à votre collègue, après
quoi, dans le cadre de notre horaire, nous pourrons vous poser des questions.
Docteur Roland COUTANCEAU
Fondateur d'une antenne de
psychiatrie et psychologie légale
réservée aux adultes
à la Garenne-Colombes
Président de l'Association de
psychiatrie et de psychologie légale
M. COUTANCEAU
.- Pour la clarté de ce que j'ai
à dire, je vais vous annoncer le schéma de l'axe que je suivrai.
Tout d'abord, je vous donnerai un certain nombre de données actuelles de
cliniciens qui, en France, dans les pays francophones et aux Etats-Unis,
s'occupent du suivi des délinquants sexuels.
Dans un deuxième temps, je parlerai des particularités du suivi
de ces délinquants sexuels et de ce que l'on peut concevoir comme
expérience institutionnelle pour suivre ces délinquants.
Ensuite, après l'exposé de toutes ces données, je donnerai
quelques éléments sur les modalités de terrain, car je
pense qu'au-delà du vote du texte, il est souhaitable que la
représentation nationale y reste attentive afin que, dans la pratique,
on puisse stimuler ces expériences institutionnelles.
Mais je commencerai par me présenter professionnellement. Je suis expert
près des cours d'appel depuis plus de quinze ans. Je suis, depuis une
dizaine d'années, psychiatre consultant au Centre national des prisons
de Fresnes, un lieu où passent après assises tous ceux qui ont un
reliquat de peine de plus de dix ans, et j'ai créé il y a
quelques années une consultation en criminologie clinique et en
psychiatrie-psychologie légale s'adressant d'abord aux victimes puis,
à partir de 1991-1992, aux sujets transgressifs, en particulier aux
délinquants sexuels.
Par ailleurs, j'ai participé à des travaux de commission qui sont
cités dans le projet de loi, notamment ceux de la Commission Balier sur
le traitement des agressions sexuelles. J'ai aussi été entendu,
par la Commission Cartier et j'ai participé à la Commission sur
l'expertise de prélibération conditionnelle avant la sortie de
prison.
Par l'intermédiaire de l'Association de psychiatrie et psychologie
légale, dont je suis le président, nous avons un réseau,
notamment, avec nos collègues francophones belges et canadiens qui
s'occupent du même problème.
Quelles sont les données sur cette question ? Je parlerai d'abord
de la récidive.
Dans la littérature internationale, les chiffres sur la récidive
sans suivi ni traitement des délinquants sexuels sont les suivants. En
ce qui concerne les pères incestueux, nous avons moins de 5 % de
récidive en l'absence de tout suivi. Cela veut dire que l'inceste
judiciarisé récidive peu. Mais il y a quand même un certain
nombre de sujets qui récidivent, notamment certains comportements
incestueux qui masquent en fait une logique pédophilique. Il s'agit
souvent d'un beau-père dont on s'aperçoit au bout d'un certain
nombre de semaines de suivi qu'il a séduit la mère mais que son
but premier était l'accès aux enfants. C'était un
pédophile masqué derrière le comportement incestueux.
Vous voyez donc que l'inceste judiciarisé récidive peu,
d'où l'importance de l'expertise, parce qu'il y a quand même ceux
qui récidivent.
En ce qui concerne les violeurs de femmes adultes, on a moins de 10 % de
récidive en l'absence de tout suivi.
En ce qui concerne les pédophiles, on a 10 à 20 % de
récidive en l'absence de suivi.
Je vous donne maintenant, pour la France, les chiffres sur la récidive
du ministère de la Justice (ils sont sortis récemment) concernant
l'analyse des casiers judiciaires après un regard de plus de huit
à dix ans : viol/viol : 3,5 % ; attentats à la
pudeur/viols (il s'agit d'une majoration de l'agression) :
3,5 % ; attentats à la pudeur/attentats à la
pudeur : 10 %. Le clinicien voit la fréquence de la
récidive dans la dynamique pédophilique. En effet, quand on passe
d'un attentat à la pudeur à un autre attentat à la pudeur,
on s'aperçoit que beaucoup de pédophiles sont, comme je le dis
familièrement, des tripoteurs manipulateurs, c'est-à-dire qu'ils
s'en tiennent, pendant un temps en tout cas, à l'attentat à la
pudeur.
Je déduis de ces chiffres que, premièrement, tous les
délinquants sexuels, si c'est un homme qui a commis un viol, ne sont pas
des récidivistes, ce qui justifie l'importance de l'expertise de ce
problème difficile qu'est la dangerosité criminologique. Bien
évidemment, l'expert ne peut pas mettre sa main au feu à cet
égard, mais ceux d'entre nous qui connaissons le mieux ces sujets
peuvent donner au magistrat, pour l'éclairer, les éléments
de relatif bon pronostic et les éléments de relatives
réserves en ce qui concerne tel ou tel individu.
L'un des éléments importants pour apprécier la
dangerosité de quelqu'un, c'est, notamment, de voir son positionnement
humain et psychologique face aux faits qui lui sont reprochés en lui
disant simplement : "que pouvez-vous nous dire sur le fait que l'on vous
accuse
d'avoir fait cela ?" C'est ce qui permet de décoder sa
personnalité.
Deuxièmement, qui sont-ils au point de vue psycho-pathologique (et
je n'abuserai pas de notre jargon) ? Il y a très peu de
névrosés et de psychotiques parmi les délinquants sexuels.
Ils ont des troubles de la personnalité. Ce sont des psychopathes
impulsifs et instables, des caractères paranoïaques, rigides,
susceptibles, méfiants, égocentriques, mégalomanes, et
souvent plus des immaturo-pervers que des pervers à proprement parler,
c'est-à-dire des sujets qui ont un égocentrisme infantile et une
tendance, finalement (pour le dire avec un concept moderne), à
dénier l'altérité d'autrui : ils s'occupent
très peu de l'autre. C'est une espèce d'égocentrisme
pulsionnel.
Par conséquent, ils ont des troubles de la personnalité. Je pense
donc qu'à la question de savoir si ce sont des délinquants ou des
malades, on peut répondre que ce sont au moins des délinquants et
des malades, quoique "malades" n'est pas le terme adéquat. Sauf,
peut-être, pour les pédophiles, pour lesquels la classification
internationale considère le fait d'avoir une fantasmatique
privilégiée pour l'enfant comme une pathologie mentale, la
plupart des délinquants sexuels ne sont pas des malades, de mon point de
vue. Il y a d'ailleurs beaucoup de délinquants sexuels, heureusement
(même si cela fait une de trop), qui ne feront qu'une seule agression
sexuelle dans leur vie. C'est dire qu'ils sont sensibles à la sanction
judiciaire.
Là encore, cela me fait penser que la manière de se situer face
à eux est plus claire si l'on se situe plutôt d'un point de vue
juridique que d'un point de vue médical. Beaucoup me disent : "j'ai
compris ; je ne récidiverai pas". Que puis-je leur
répondre ? Je ne leur dis pas forcément : "vous
êtes un malade". Simplement, en termes sociaux, on peut leur dire que la
société s'octroie le droit de vérifier, de confirmer ou,
le cas échéant, d'infirmer la non-dangerosité qu'ils
veulent bien mettre en avant.
Au fond, il me semble (et vous verrez la manière dont je conclurai tout
à l'heure sur le problème de l'injonction ou de l'obligation de
soins) qu'il ne faut pas que le seul argument de la société soit
de dire : "soignez-vous". Il faut pouvoir dire : "nous
allons accompagner
votre sortie d'un certain nombre de mesures sociales, dont l'une pourrait
être, dans le champ de la justice et non pas forcément dans celui
de la santé, le fait de participer à des groupes de parole".
Autrement dit, cela pourrait être dans le champ de la santé, mais
ce n'est pas forcément le cas.
C'est ce que mon ami belge Freddy Gazan appelle "la guidance",
c'est-à-dire que le ministère de la Justice pourrait tout
à fait s'octroyer un suivi non pas thérapeutique mais
criminologique pour imposer, comme mesures sociales, un lieu où,
parallèlement à d'autres mesures de contrainte, on dirait
à ce sujet : "la société s'octroie un certain hamac
de sécurité".
Par conséquent, j'anticipe sur mon regard de tout à
l'heure : il y aurait, de temps en temps, le champ du soin, pour ceux qui
en accepteraient la perspective. Quant aux autres, la société
leur imposerait un suivi non pas thérapeutique mais criminologique et
ils seraient donc dans le champ propre de la justice.
Le troisième élément qui permet de situer ces sujets,
c'est qu'ils sont extrêmement variables. Ils sont très
différents sur le plan psychopathologique, ils posent des
problèmes de dangerosité criminologique éminemment
différents et ils se positionnent de façon tout à fait
différente face aux faits. Pour travailler, par exemple, dans le champ
du soin, il faut qu'il y ait au moins une reconnaissance partielle ou
implicite. "
Je ne m'en souviens pas, mais si elle le dit, c'est
vrai"
,
disent certains délinquants, qui disent ne pas se souvenir mais qui ne
critiquent pas - c'est très important - le discours de la
victime.
Face à cela, il y a les négateurs, ceux qui nient banalement,
sans protester contre leur incarcération, ceux qui nient en mettant en
avant le complot ou ceux qui nient perversement, avec un grand sourire, en
disant : "ce n'est pas moi" et souvent avec une attitude de défi.
Dans le champ de la santé, le psychiatre ou le psychologue-clinicien ne
va prendre en charge que ceux qui reconnaissent les faits. Cela aurait-il un
sens de prendre quelqu'un qui nie ? Pour le psychiatre thérapeute,
non. En revanche, pour le psychiatre criminologue, c'est extrêmement
intéressant et, curieusement, à l'antenne de psychiatrie et de
psychologie légale où je travaille depuis des années avec
l'obligation de soins, qui existait déjà dans la loi avant le
projet des deux Gardes des Sceaux, je vois aussi (mais je n'appelle pas cela de
la thérapie), dans une évaluation longitudinale, certains
individus qui nient et qui, curieusement, disent : "je nie, mais je
veux
bien vous revoir, Docteur". Qu'est-ce que cela veut dire ? Sur le plan
rationnel, faut-il leur dire : "votre attitude n'est pas
logique ; si
vous niez, pourquoi venir en thérapie ou en entretien ?" ou faut-il
tenter une évaluation longitudinale qui permettrait au sujet
d'éventuellement reconnaître les faits ?
De façon générale (et c'est pourquoi je me suis
démarqué de l'ensemble des psychiatres qui, finalement, n'ont pas
la pratique, ni par l'expertise, ni par le milieu carcéral, ni par le
suivi de ces délinquants sexuels), il y a un concept extrêmement
important en criminologie clinique : la situation à risque. Il y a
des sujets qui ont une psychopathologie moyennement criminogène mais qui
vont déraper exceptionnellement dans une situation à risques.
Là aussi, il est extrêmement important d'essayer de repérer
les choses sur le plan de l'expertise et, par conséquent, de ne pas
mettre des systèmes trop contraignants.
Je veux dire qu'il y a une intelligence du tri et une pertinence de l'expertise
qui doivent présider au choix de prononcer ou non cette peine de suivi
socio-judiciaire, sous la responsabilité du magistrat
éclairé par un certain nombre d'éléments.
Quelles sont les spécificités de ce que nous faisons, nous, en
psychiatrie légale ?
Premièrement, sur cent sujets délinquants sexuels (et les
chiffres peuvent varier), dans mon échantillon, 10 % seulement font
une demande spontanée, 70 % vont accepter si le magistrat leur
dit : "il faudrait que vous soyez suivi", et 20 % refusent
un suivi,
soit parce qu'ils disent : "je nie et il est logique que je
refuse", soit
parce que ces sujets, tout en reconnaissant les faits, disent : "je
n'aime
pas les psychiatres ni les psychologues et j'ai compris : la
société m'a condamné et je ne recommencerai plus".
A partir de là, dans notre champ de psychiatres, il y a une
idéalisation du problème de la demande qui, à mon avis,
est simplement adaptée pour les névrosés. Les sujets qui
ne sont pas névrosés ne demanderont jamais un suivi, sauf si on
les y incite. C'est notamment l'expérience qui a été faite
dans le milieu carcéral par Claude Balier, qui vous parlera tout
à l'heure. Il s'agit, au fond, d'inciter et de stimuler ces sujets qui
sont des "immaturo-quelque chose". Ce sont en effet des
immatures :
immaturo-paranoïaques, immaturo-pervers, immaturo-psychopathes. Certains
d'entre eux vont accepter le principe du suivi, mais après une forte
incitation.
Quel est l'enjeu de ces thérapies ? Elles sont différentes, que
les collègues le veuillent ou non, des thérapies classiques. Il y
a en effet quelque chose de classique qui consiste à aménager la
personnalité et à travailler avec le sujet, mais il y a des
choses spécifiques à la psychiatrie légale comme l'analyse
du passage à l'acte et la confrontation du sujet à son passage
à l'acte.
Ce qui me semblait le plus pratique, c'est que la loi nous donne accès
au dossier pénal. En effet, on ne peut pas faire une thérapie ou
un suivi d'un sujet délinquant sexuel si on ne le confronte pas à
son dossier dans le cadre de cet espace. Il faut donc que l'on ait accès
au dossier, sans quoi il va banalement minimiser les choses alors que la
qualité même de ce que je peux me représenter de son
évolution dépend de la qualité de son autocritique par
rapport à tous les aspects précis qui lui sont reprochés
par la victime. Par conséquent, l'analyse du passage à l'acte est
spécifique.
Le deuxième élément qui n'est pas habituel pour nos
collègues - et c'est normal - c'est la prévention de la
récidive. Un thérapeute a habituellement un contrat singulier
avec une personne qui lui demande de venir le voir, ce qui est assez simple. En
l'occurrence, en psychiatrie et psychologie légale, qu'il le veuille ou
non, le thérapeute est obligé d'avoir à l'esprit, sans
être obsédé ou trop inquiété par cela, le
problème de la récidive. La récidive n'est pas un
symptôme comme un autre.
En ce qui concerne le positionnement par rapport à ces sujets, quand la
consultation externe a été connue, je peux vous dire que des
sujets sont venus me voir et qu'ils voulaient me raconter comment ils
touchaient habituellement des enfants en me disant : "Docteur, il
faut que
je m'en sorte". Je leur ai donc dit d'emblée, dans les entretiens
préliminaires : "ici, Monsieur, on vous aide à ne pas
récidiver ou à ne pas passer à l'acte". Il s'agit
finalement d'un classique de la thérapie : "on peut tout penser, on
peut tout fantasmer, y compris toucher des enfants, mais on ne peut pas passer
à l'acte".
Si le contrat singulier n'est pas marqué d'emblée, si on ne
précise pas très fortement au sujet que l'on n'est pas là
pour l'écouter gentiment mais pour l'aider afin qu'il s'interdise
désormais tout passage à l'acte, on ne peut pas progresser. Ce
préliminaire est donc absolument indispensable à ces
consultations en psychiatrie et psychologie légale.
Au-delà de ces données, j'en viens à quelques
réflexions sur les lieux institutionnels où, à mon avis,
on pourrait faire ces suivis. Le premier, bien sûr, c'est la prison. Moi
qui ai tenté cette consultation en externe, je suis ravi (et vous me
comprendrez) que le sujet ait d'abord été suivi en milieu
carcéral. Pour ceux qui m'ont été envoyés "bruts",
avec leur seule évolution, en sortant de la prison, nous avons eu un peu
de mal à les cadrer, comme vous pouvez l'imaginer. Par
conséquent, il est évident qu'une forte incitation dans le milieu
carcéral est fondamentale.
Mais j'écoutais les députés débattre du projet et
je voyais qu'il restait un petit différend, notamment, entre
l'injonction de soins et l'obligation de soins, et je vais vous proposer ce qui
serait, pour moi, praticien de terrain, consensuel et intellectuellement
cohérent avec les suivis dont j'ai l'expérience.
Indiscutablement, puisque je travaille avec l'obligation de soins depuis des
années, en ce qui me concerne, le premier projet de loi ne me posait pas
de problèmes. Cependant, je pense que pour ce qui est des
modalités d'application, en tenant compte de la culture qui est celle de
l'ensemble de la profession aujourd'hui, il est évident que la
deuxième mouture passe mieux.
Cela dit, est-ce que l'on peut transcender les choses ? Avec
l'expérience de la consultation spécialisée, je
m'intéresse intellectuellement, bien sûr, au suivi de ces sujets,
mais vous avez vu que les chiffres de récidive, indépendamment du
suivi, sont moins importants que l'on aurait pu le craindre (à un moment
donné, on disait que les délinquants sexuels récidivent
beaucoup).
Par conséquent, ce qui me préoccupe, c'est de savoir si l'on peut
dépister par l'expertise ceux dont on peut penser, à tort ou
à raison, qu'ils seraient les plus problématiques. Finalement,
s'il y a un cadre législatif, est-ce qu'il ne doit pas tenter
(l'expérience montrera si c'est efficace ou non) de "serrer le jeu"
(pardonnez-moi l'expression) sur ceux dont on peut penser qu'ils sont plus
problématiques ?
Je pense personnellement, bien que je ne l'aie pas encore
vérifié, qu'il y a peut-être plus de récidivistes
parmi les sujets qui nient les faits que parmi les sujets qui les reconnaissent
(reconnaître quelque chose, c'est un élément humain), mais
c'est à vérifier. On peut le reconnaître aussi
artificiellement, mais, à mon avis, il y a peu de gens qui sont assez
subtils pour être à ce point stratégiques face à
l'expert ou au magistrat.
Par conséquent, ma préoccupation, en tant que psychiatre
criminologue, c'est effectivement qu'il y ait un mode de fonctionnement
efficace. Je pense donc intellectuellement, en tant que spécialiste,
d'après des débats que j'ai vus se produire en Belgique ou
ailleurs, qu'il serait cohérent que les experts formés puissent
tout d'abord éclairer au mieux le magistrat pour qu'il n'ouvre pas le
parapluie et prononce une peine de suivi socio-judiciaire. En effet,
après tout, nous avons déjà un arsenal pour suivre
certains individus puisque nous travaillions, avant la loi actuelle, dans le
cadre de l'antenne de psychiatrie et de psychologie légale.
Ensuite, à mon avis, les mesures sociales sont aussi efficaces que le
suivi. Par exemple, il y a des sujets pédophiles qui ne transgresseront
que dans le cadre particulier de la fonction professionnelle ou d'une
activité de loisirs proposée aux enfants. Si on leur interdit
cela, on se donne un élément extrêmement fort pour les
empêcher de récidiver. C'est pourquoi je dis que la mesure sociale
est aussi efficace, sinon plus, que l'obligation de suivi.
Mais j'en viens à l'obligation de suivi. Ce qui me semblerait
intellectuellement le plus cohérent, c'est que l'obligation de suivi
soit prononcée systématiquement, effectivement, quand il y a
peine de suivi socio-judiciaire et non pas pour tous les cas, et que l'on ait
deux armes.
La première, si le sujet l'accepte, serait le champ du soin. Avec des
sujets qui reconnaissent, c'est cohérent pour le psychiatre, grâce
à des équipes de psychiatrie légale qui acceptent de
travailler avec l'injonction de soins. A cet égard, la deuxième
mouture du texte, pour le champ du soin, est tout à fait
toilettée et opérante.
En revanche, je ne vois pas pourquoi le législateur pourrait s'interdire
une obligation de suivi (ce serait la deuxième arme), au cas où
le sujet refuserait le champ du soin, qui serait dans le champ de la justice.
Le modèle, c'est la consultation du C.R.A.S.C. de mon ami Freddy GAZAN,
en Belgique, qui est une institution subventionnée par le
ministère de la Justice et qui n'est pas un établissement de
soin. Il appelle cela "la guidance", mais peu importe ; d'autres
l'appelleront "l'accompagnement psycho-pénal", c'est-à-dire que
le ministère de la Justice se donne un bras propre avec obligation de
suivi.
En fait, à partir du moment où l'on ne considère pas tous
ces sujets comme malades, est-il pertinent de parler de thérapies ?
Simplement, la société s'octroie la possibilité d'avoir un
accompagnement pour vérifier, le cas échéant, si quelqu'un
est ou non dangereux.
Il y aurait donc là une deuxième arme dans le champ de
l'application des peines, parallèlement à d'autres mesures
sociales, par le biais de groupes de parole destinés à la
prévention de la récidive, des groupes à proprement parler
criminologiques et n'appartenant plus au champ de la santé qui
pourraient s'adresser, par exemple, à des sujets qui nient. Un
psychiatre ne les prendra pas dans le champ du soin, mais on pourrait leur dire
: "l'une des mesures sociales, Monsieur, consiste à ce que, tous les
quinze jours ou tous les mois, vous irez dans un groupe, parce que la justice
de la République vous a reconnu coupable".
Par conséquent, on aurait aussi une arme psychologique à cet
égard. En effet, tous ces sujets, pour moins récidiver, ont
besoin malgré tout, au titre des mesures sociales d'interdiction,
d'être confrontés à leur passage à l'acte,
d'être interpellés psychologiquement sur ce qu'on leur reproche et
sur le respect de l'autre. Ces groupes de la prévention de la
récidive pourraient donc dépendre aussi du ministère de la
Justice.
Voilà ma proposition pour transcender ce débat, qui me semble, en
tant que praticien de terrain - je ne vous le cache pas - un peu
intellectuel et qui concerne la différence entre l'injonction de soins
et l'obligation de soins.
J'en viens maintenant à quelques remarques sur le texte.
En ce qui me concerne, je suis surtout soucieux que le texte soit applicable
sur le terrain, puisque j'y suis et (pourquoi pas ?) qu'il soit le moins
dépensier possible. Je vous mets effectivement en garde contre les
mesures de systématisation. Par exemple, je ne pense pas pertinent,
après évaluation, que tous ces sujets (je le dirai aux magistrats
car je suis formateur à l'E.N.M.) relèvent d'un suivi
socio-judiciaire. Il ne faut pas être inquiet avec tous les
délinquants sexuels, même en les faisant évaluer une fois.
Il faut donc prendre un certain nombre de risques, sans quoi on va
systématiser les suivis, ce qui serait aberrant.
Par conséquent, il vaut mieux cibler notre effort, d'où la
qualité de l'évaluation.
Deuxièmement, il est apparu (je n'ai pas trop compris pourquoi et je le
dis franchement devant le Sénat) la question d'une double expertise
obligatoire, qui me semble extrêmement lourde économiquement.
Maintenant, je ne sais pas si d'autres médecins que des psychiatres
veulent aussi participer à l'accessibilité du suivi. La loi
prévoit un médecin et cela ne me choque pas que, de temps en
temps, des endocrinologues ou des médecins qui s'intéressent
à la criminologie soient évaluateurs pour le magistrat, mais cela
me semble (et je le dis à la représentation nationale) une
dépense folle et inutile. Il faut que l'expertise soit faite par
quelqu'un de formé ; c'est tout.
Personnellement, je ne plaide pas spécialement pour la chapelle des
psychiatres de façon exclusive. Je pense qu'il faut que ce soient des
gens rompus à la criminologie clinique, mais la double expertise me
semble une dépense inutile pour la collectivité publique.
Je pense aussi que, même si ce n'est pas - et j'en suis bien
conscient - le cadre législatif, il est important d'éclairer
la représentation nationale d'éléments sur des
modalités de terrain qui nous préoccupent.
Au fond, comme vous le voyez, il faut que les choses soient bien
évaluées. Effectivement, les experts ont actuellement un
problème, c'est que l'expertise pénale, de notre point de vue,
devrait avoir un statut particulier. Actuellement, des experts
démissionnent, non pas simplement parce que l'expertise pénale
est moins payée qu'au civil, mais surtout parce qu'elle est prise dans
le champ global de l'expertise, qui est en général une pratique
libérale. Il y a donc une logique de fiscalisation particulière,
alors que, parmi les experts, il y a des gens comme moi, qui expertisent
beaucoup, et des collègues de terrain qui vont faire deux ou trois
expertises par mois et qui ne peuvent donc pas relever d'une logique
privée, d'autant que ce sont des psychiatres publics.
Il y a donc là une mesure technique à prendre (la Commission des
lois pourrait peut-être nous aider à ce sujet) sur la
spécificité de l'expertise pénale.
De même (mais je suis bien conscient du fait que ce n'est pas le cadre
législatif), il est évidemment important que le ministère
de la Santé pense à l'application de la loi dans le champ propre
de la santé. En ce qui me concerne, j'ai demandé que ce que font
certains psychiatres des hôpitaux soit considéré comme de
la santé publique. En effet, ce n'était pas le cas et mon
directeur, qui est un ami, me dit parfois de façon
familière : "tu voles de l'argent à la Santé pour un
budget qui devrait être attribué à la Justice". C'est une
polémique intra-hospitalière, mais il me semble important de dire
qu'il s'agit de santé publique.
Par ailleurs, vous avez vu que les psychiatres - et c'est normal -
sont inquiets parce qu'ils ont déjà d'autres pathologies à
prendre en compte. Je propose donc que les services qui veulent le faire soient
des services volontaires, afin que l'on n'oblige pas les gens à faire
ces suivis en psychiatrie légale, que les services qui veulent le faire
aient une équivalence de psychiatrie légale et que, si possible,
on ait une petite aide dans les restructurations actuelles des hôpitaux.
Ces éléments très concrets sont extrêmement
intéressants.
Je dirai un mot, pour finir, sur le problème des victimes.
J'ai fait, depuis des années, des expertises de retentissement
psychologique et de crédibilité, et si je soutiens tout à
fait la possibilité, pour une victime, que son audition soit
vidéoscopée, je m'interroge (je vous le dis franchement) sur sa
systématisation. En ce qui me concerne, contrairement à d'autres
collègues, je ne pense pas que le fait de parler à une victime de
ce qui s'est passé soit forcément traumatisant. Je pense que cela
dépend du tact de l'intervenant, du tact du magistrat, du tact de la
brigade des mineurs (j'ai vu des policiers extrêmement bien
formés) et du tact de l'expert, c'est-à-dire que le tact humain
me semble plus important que toute systématisation obsessionnelle et
difficile à faire.
A cet égard, je vous ferai observer (certains d'entre vous sont
juristes) qu'il y a des inconvénients à la vidéo
systématique. Vous comprenez bien que si l'interlocuteur qui interroge
l'enfant pose n'importe quelle question trop suggestive, elle est visible
à jamais et qu'elle peut donc prêter à une
polémique. En effet, la plupart des victimes - inutile de le
dire - sont sincères : on ne s'amuse pas à raconter que
l'on est violé par son père. On vient très peu
déclarer que l'on a été violé car c'est souvent
auto-traumatique, c'est-à-dire que le pourcentage de
crédibilité est très fort en ce qui concerne l'inceste,
très fort aussi en ce qui concerne l'agression des enfants et
relativement fort pour les agressions sur les femmes adultes.
Par conséquent, c'est plus une confirmation de la
crédibilité qui est en jeu pour l'expertise, mais, en ce qui me
concerne, à la fois pour des raisons stratégiques, des raisons de
réalité et des raisons économiques, je
préférerais (mais c'est un regard que je vous donne de
façon tout à fait ouverte) que l'entretien
vidéoscopé soit une option pour les parents de l'enfant victime
et que l'on ne le systématise pas, parce qu'on risque d'avoir une
difficulté de terrain.
En outre, je pense que ce qui compte le plus, c'est la formation des
intervenants face à l'enfant. A mon avis, un entretien avec quelqu'un
qui est formé est une chance pour certains enfants victimes, car il est
bon aussi qu'un adulte structurant leur dise quelque chose sur ce qui s'est
passé. Interpeller quelqu'un pour le faire parler de ce qui s'est
passé, cela peut être une chance s'il est face à quelqu'un
d'humain qui lui dit quelque chose d'humanisant. Ce n'est pas forcément
traumatisant.
Je situe les choses dans la relation humaine. Il y avait parfois (pourquoi ne
pas le dire ?) des intitulés proprement choquants comme :
"
est-ce que la victime est mythomane, vicieuse ou
perverse ?"
Evidemment, c'est une formulation complètement inadaptée, mais il
me semble que la formule plus ouverte et non systématique serait, toutes
proportions gardées, plus subtile, la vidéo ne me semblant pas,
en ce qui me concerne, une formule miracle. Je crois beaucoup plus à la
formation de tous les intervenants qui ont un contact avec les enfants.
Voilà quelques réflexions à partir d'un certain nombre de
données qui m'ont paru intéressantes sur le sujet.
M. le PRESIDENT
.- Je vous remercie infiniment, Messieurs, des
informations et des éclairages très précieux que vous nous
avez donnés. Je note un élément factuel. J'avoue que je
suis heureusement surpris par les taux de récidive que vous avez
indiqués. J'aurais cru qu'ils étaient beaucoup plus importants.
Maintenant, il est possible qu'à l'intérieur des
récidivistes, il y ait des catégories de délinquants
primaires qui soient plus récidivistes que d'autres. Nous avions entendu
un jour l'un de vos illustres confrères, le docteur Dubigeon, qui nous
avait dit : "
le pervers récidive toujours
".
M. COUTANCEAU
.- Mais il n'y avait qu'un seul expert, ce jour-là...
M. le PRESIDENT
.- Vous voyez que nous avons fait des progrès,
ô combien intéressants...
M. LACOUR
.- Je voudrais répondre très brièvement
sur ce sujet. Sur le numéro vert, dans 90 % des cas, les appels
pour attentats sexuels sont dus à la famille immédiate et
à l'entourage socio-éducatif de l'individu.
En fait, ce que veut dire le taux de récidive sur le casier judiciaire,
c'est d'abord que l'on ignore le temps qui s'est passé pour que la chose
se découvre. La récidive a eu lieu en amont de la justice.
Deuxièmement, quand la justice intervient dans les histoires d'inceste
ou même d'entourage socio-éducatif, il y a une séparation
de fait (c'est la sanction) et il y a une maturation des
intéressés (c'est évident dans les histoires
familiales : un adolescent ne se laisse pas faire du tout de la même
manière qu'un gosse de 11 ou 12 ans).
Troisièmement, il y a une pression considérable sur l'individu
qui a été démasqué : s'il ne se tient pas
à carreau, tout va lui tomber sur la figure.
Autrement dit, ce n'est pas du tout un chiffre absolu. Ce qui me semble plus
intéressant (et c'est pourquoi les chiffres américains sont
parfois très différents des chiffres français), c'est,
dans les anamnèses de pervers, d'autant plus quand ce ne sont pas des
pervers familiaux, de savoir ce qu'il en a été au cours de leur
existence et ce qu'il en est au cours de leur prise en charge. On
s'aperçoit alors qu'effectivement, quand c'est leur unique mode
d'accession au plaisir, ils ont bien du mal à y renoncer, même
s'ils savent que cela va leur coûter très cher.
Donc il faut beaucoup se méfier des chiffres, car ils peuvent être
retournés dans un sens ou dans un autre.
M. le PRESIDENT
.- Je vais donner la parole à notre
collègue Jacques Bimbenet, qui est le rapporteur de la commission des
Affaires sociales et qui souhaite vous poser quelques questions.
M. BIMBENET
.- Merci, Monsieur le Président. Effectivement, si la
commission a souhaité se saisir pour avis de ce texte, c'est uniquement
sur les dispositions qui modifient le code de la santé publique ou le
code de la Sécurité sociale, afin d'apporter un éclairage
complémentaire à l'excellent travail de notre collègue,
M. Jolibois, et à la commission des Lois, dont je salue le
président, M. Larché.
J'ai trois questions très courtes à poser.
Premièrement, les traitements chimiques utilisés sur des
délinquants sexuels sont-ils de nature à produire des
répercussions physiologiques après l'arrêt du
traitement ? En d'autres termes, existe-t-il des cas de contre-indication
pour des raisons médicales ? Je me place ici sur le plan de la
santé publique.
Deuxième question : s'agissant de la psychologie des
délinquants sexuels, pensez-vous qu'ils montrent un haut degré de
dissimulation qui leur permettrait de se soumettre aux traitements pendant une
ou plusieurs années, tout en ayant en tête constamment
l'idée de l'interrompre pour assouvir leurs pulsions ?
Troisième question : si vous avez un doute sur la
sincérité d'un patient que vous suivez depuis longtemps et si
celui-ci ne se rend pas à une consultation régulière,
mensuelle par exemple, et ne peut plus être contacté à son
domicile, ne pensez-vous pas qu'il est essentiel d'avertir rapidement les
services de la Justice ? La responsabilité du médecin ne
serait-elle pas alors moralement engagée en cas de récidive du
délinquant ?
Voilà, Monsieur le Président, les trois questions que je
souhaitais poser.
M. COUTANCEAU
.- En ce qui concerne les anti-androgènes, je vais
vous donner rapidement deux éléments. Premièrement, de par
notre évaluation, ils ne sont pas systématiquement souhaitables
et proposables. Par exemple, très peu de pères incestueux
relèvent des anti-androgènes, de même que très peu
de violeurs de femmes adultes. N'en relèvent qu'un certain nombre de
pédophiles que, dans la littérature internationale, on estime
à 10 %. Qui sont-ils ? Ceux qui, même s'ils
exagèrent et même si ce n'est pas totalement vrai, se disent en
permanence obsédés par leurs fantasmes, comme s'ils
étaient des espèces de bombes ambulantes prêtes à
sauter sur les enfants, ce qui est évidemment faux (ils disent cela de
façon disculpabilisatrice). Ce sont parfois des sujets extrêmement
persécutés par leurs fantasmes.
Encore une fois, cela me permet de dire que l'agression sexuelle est une
pathologie de la relation humaine. Ce n'est pas une pathologie hormonale, ce
n'est pas un "trop d'hormones", et je crois qu'il est important de le
dire.
Cela veut dire que lorsque nous souhaitons (et nous le disons à certains
sujets) prescrire des anti-androgènes, c'est effectivement toujours
lié à une thérapie relationnelle.
Donc premièrement, les anti-androgènes ont des indications
relativement faibles, contrairement à ce que l'on pourrait penser, et ce
n'est pas un remède miracle, loin s'en faut.
Deuxièmement, nous sommes des médecins, et il y a donc des
évaluations médicales et biologiques avant la prescription, car
il y a des contre-indications comme tout traitement médical, bien
évidemment, mais je ne vais pas les citer ici car ce serait trop
technique.
En revanche, tout est réversible. De toute façon,
l'
androcure
, qui est le plus connu, ne supprime pas l'érection,
c'est-à-dire qu'un sujet qui est sous certains androgènes peut
avoir une sexualité correcte avec sa compagne, s'il en a une, mais ce
qui nous intéresse, nous, c'est de diminuer le côté
obsédant que l'on observe chez certains.
Par ailleurs, je vous donne un autre élément qui va vous montrer
qu'il n'y a pas de magie dans les anti-androgènes : dans certains
pays anglo-saxons, on essaie, puisque l'on considère que ces fantasmes
obsédants sont très proches d'une note obsessionnelle, des
médicaments que l'on donne sur d'autres types d'obsession et de
mentalisation obsédante, à savoir certains
antidépresseurs, pour s'attaquer aux fantasmes obsédants.
Par conséquent, je dirai très simplement que le traitement
anti-androgène a certains types d'indications, qu'il est toujours
utilisé après une évaluation permanente et avec un suivi
biologique, dans le cadre de l'équipe médicale et que, en gros,
son effet est réversible quand il s'arrête.
En ce qui concerne le contenu des suivis, vous comprenez bien que l'un des
éléments fondamentaux de ce type de suivi en psychiatrie et en
psychologie légales, consiste, de façon ferme, chaleureuse,
humaine mais confrontante, à interpeller le sujet sur
l'authenticité de son renoncement à l'acte. C'est un
élément central. Effectivement, on peut comprendre que, dans un
premier temps, c'est surtout vrai pour les pédophiles. Certains jeunes
pédophiles ont en effet une espèce de hantise, parce qu'ils
comprennent bien que s'interdire l'acte, c'est se condamner à
l'auto-érotisme avec leurs fantasmes, s'ils n'ont pas la chance d'avoir,
par ailleurs (parce que les sujets pédophiles sont complexes), une
tendance homosexuelle ou hétérosexuelle adulte. L'un des axes
essentiels de la thérapie consiste à aller interpeller la
lucidité du sujet à l'égard de la réalité de
l'autre.
Au fond, je ne peux pas vous répondre dans l'absolu, mais je dirai que
la question que vous vous posez est l'un des éléments centraux de
l'échange et du travail psychologique avec ces sujets. Voilà ce
que je peux dire sur les deux premières questions.
M. le PRESIDENT
.- C'est donc M. Lacour qui va répondre à
la troisième.
M. LACOUR
.- C'est une ancienne et vaste question. J'y réponds de
manière très paisible en disant que je me sens obligé de
lever le secret professionnel et, en général, d'avertir
directement ou indirectement le procureur de la République quand il y a
un danger patent et quasi immédiat. En dehors de ces circonstances, tout
peut être un cas d'espèce, mais la plupart de mes patients ont,
à un moment donné, des fantasmes de meurtres ou d'agressions
diverses dans la tête, et je ne suis pas sûr que, sur un
échantillon standard que je ne voudrais pas prendre ici, on ne
trouverait pas des choses bizarres...
Je répète donc qu'il faut que ce soit patent et qu'il y ait une
notion de danger relativement immédiat. Dans ces conditions, je
considère, peut-être pour dégager ma conscience, que si le
sujet m'a dit cela, c'est qu'il voulait que je l'arrête. C'est donc
à moi de prendre des mesures soit légales, soit un peu
extralégales (c'est ma cuisine) pour l'arrêter, puisqu'il avait
envie que je le fasse.
M. JOLIBOIS
.- J'ai deux questions à vous poser. La
première s'adresse à vous deux, Messieurs. Compte tenu de ce que
vous nous avez dit de très passionnant, considérez-vous qu'il est
une tâche possible, pour le magistrat d'un tribunal qui va condamner
quelqu'un pour un acte qui est commis à un moment donné, de
prévoir une durée, à la sortie de prison, pendant laquelle
il y aura un suivi socio-judiciaire, que ce soit en matière
correctionnelle ou en matière criminelle ? Et est-ce qu'une
expertise qu'il demande à des praticiens tels que vous-mêmes sera
de nature à l'éclairer pour qu'il puisse se prononcer en termes
de durée pour plus tard ?
J'aimerais avoir l'avis de nos deux experts.
M. LACOUR
.- Je pense que pour ce qui est des 10 % qui ne sont pas
dans les 90 % que j'ai cités, c'est-à-dire qui ne sont pas
liés à la famille ou à l'enfant d'une manière ou
d'une autre, la représentation des impulsions et des désirs
sexuels va rester pratiquement toute la vie. Si le sujet n'est plus dans la
possibilité de continuer pour x raisons, l'action du suivi s'interrompt,
mais, sinon, le suivi ambulatoire, de toute évidence, doit être
très long. Ce sont des images qui ne s'effacent pas facilement du tout,
sous réserve des cas heureux que décrivait Roland Coutanceau.
M. JOLIBOIS
.- Cela tendrait à dire qu'il faudra que les
magistrats mettent le maximum de la durée pour ne pas prendre de risques.
M. LACOUR
.- Je répète que je parle des cas
extra-familiaux. Les cas familiaux sont un peu différents.
M. COUTANCEAU
.- Je pense qu'on ne peut répondre à cette
question que de façon criminologique. En fait, la peine
complémentaire que s'octroie la société est une
possibilité pour diminuer la récidive, mais il appartient
à l'intéressé de s'en saisir.
Pour vous répondre de la façon la plus concrète possible,
je vous dirai qu'il y a des sujets pédophiles dans leur tête qui
ne passent jamais à l'acte. C'est ce que je dis d'ailleurs à
certains de ceux qui passent à l'acte. Ils me disent : "je suis
attiré par les enfants ; donc je suis obligé de passer
à l'acte sur les enfants". Je crois que la plupart d'entre nous ne sont
pas pédophiles, évidemment, mais je veux dire qu'il n'y a pas de
fatalité. Ce n'est pas parce que quelqu'un a des fantasmes ou parce que
son "choix d'objet" (comme on le dit dans notre jargon) s'est
construit de
façon à être attiré
préférentiellement, exclusivement ou secondairement par les
enfants qu'il y a une fatalité au passage à l'acte.
Il y a un élément que je n'ai pas donné et qui illustre
aussi fort bien le débat. Un Canadien a démontré qu'un
certain pourcentage d'hommes hétérosexuels adultes (de 10
à 20 % selon lui) tout à fait banals sont exceptionnellement
excitables par l'enfant. Cela veut dire que lorsque je suis devant un acte
pédophilique, dans certains cas, ce n'est pas un sujet pédophile
(et ce que je dis n'est pas paradoxal), c'est-à-dire que ce n'est pas un
sujet habituellement excité par les enfants.
Par conséquent, quand quelqu'un est préférentiellement ou
habituellement excité par les enfants, il faut effectivement savoir
qu'il n'y a pas de fatalité à passer à l'acte. On peut se
condamner à l'auto-érotisme avec ses fantasmes. C'est ce que font
d'ailleurs nombre de pédophiles de bon niveau que l'on a trouvés
à cause des rafles de cassettes. Ce sont des gens qui ne sont pas connus
sur le plan judiciaire (beaucoup ont un certain âge) et qui gèrent
leurs fantasmes de façon auto-érotique.
Au fond, que fait le spécialiste que je suis ? Je travaille pour
faire en sorte que certains apprennent, comme ceux-là, à
gérer ce destin particulier d'être attiré par les enfants
et s'interdisent le passage à l'acte.
Maintenant, vous me demandez combien il faut de temps. J'ai vu des
collègues, dans certaines commissions, dire qu'il faudrait que ce soit
éternel parce que les fantasmes sont éternels, mais je raisonne
aussi en citoyen : la peine est forcément à durée
délimitée (tous les juristes le savent). Donc on se donne une
chance sociale. De plus, il est dans l'intérêt du sujet
(Mme Cartier le disait tout à l'heure et c'est ce que j'ai souvent
répondu, car je suis aussi préoccupé par les droits de
l'homme et du citoyen) qu'il y ait un temps pendant lequel on puisse travailler
avec lui pour qu'il devienne quelqu'un qui s'interdit le passage à
l'acte.
Dans l'absolu, certains médecins, dans le champ thérapeutique
pur, vous diront que certains suivis sont à durée
indéterminée (c'est le cas pour d'autres maladies mentales) mais
qu'au fond, on a à travailler dans le temps qui nous est donné.
Par conséquent, pour répondre à votre question, je dirai
que le temps est un peu arbitraire. Par exemple, le législateur fixe
tant de temps pour la correctionnelle et tant de temps pour les criminels, mais
je connais des gens qui ont fait un acte criminel, au sens juridique, et qui ne
sont pas dangereux du tout. Peu importe. C'est la logique de la sanction que je
respecte. C'est le quantum de peine qui ne dépend pas du psychiatre,
sachant que je travaillerai dans le cadre qui m'est donné pour faire le
meilleur travail. Finalement, ce chiffre est un peu arbitraire. Voilà ce
que je peux dire.
M. JOLIBOIS
.- Je vous remercie. Il me reste une autre question...
Vous nous dites que l'on ne peut pas faire l'enregistrement vidéo de
manière automatique. Dans ce cas, pour vous, qui doit donner le
consentement ?
M. COUTANCEAU
.- En fait, je soutiens un peu ce mouvement, mais j'essaie
de m'interroger en conscience. Par tempérament, je me méfie des
choses systématisées qui ont souvent des effets imprévus.
Donc je pense que si, dans sa sagesse, le législateur offrait cette
possibilité aux parents ou au représentant légal (puisque
la loi prévoit aussi, ce qui est très bien, quelqu'un qui est le
tuteur légal de l'enfant), ce serait une bonne chose.
Par conséquent, je propose, en ce qui me concerne, que ce soit ce
représentant de l'enfant qui pense qu'il est de l'intérêt
de l'enfant d'avoir cette audition vidéoscopée, mais il est vrai
que, dans le fond de ma pensée, je ne pense pas forcément que
c'est la seule solution. Autrement dit, je soutiens ce mouvement, mais je pense
que la systématisation est peut-être questionnable. Donc je vous
réponds que c'est le représentant de l'enfant.
M. JOLIBOIS
.- Merci. Vous m'avez clairement répondu.
L'ACTION DU PARQUET
____
M. Philippe JEANNIN
Procureur de la République
à Meaux
M. JEANNIN
.- Permettez-moi tout d'abord de me
présenter. Je suis Philippe Jeannin, procureur de la République
près le tribunal de grande instance de Meaux, qui est une juridiction de
taille moyenne comprenant sept magistrats du parquet et qui a un ressort
comprenant 500 000 habitants environ.
M. le PRESIDENT
.- Vous êtes donc quelque peu surchargés...
M. JEANNIN
.- Le projet de loi, évidemment, nous interpelle
à plusieurs niveaux. Il s'agit de situer d'abord l'action du parquet
dans le cadre de cette répression des violences sexuelles et de voir,
ensuite, l'adéquation des nouvelles dispositions par rapport aux
problèmes que nous pouvons rencontrer quotidiennement dans la mise en
oeuvre de l'action publique.
Tout d'abord, par rapport à ces types d'infraction, il faut bien voir
que l'action du parquet, en réalité, doit se situer, à mon
sens, à trois niveaux :
- premièrement, assurer la meilleure coordination possible et la
fiabilité des signalements en matière d'infraction sexuelle,
notamment lorsqu'il s'agit de victimes mineures ;
- deuxièmement, assurer une prise en charge des victimes ;
- troisièmement, apporter une réponse judiciaire adéquate
vis-à-vis de l'auteur de ces infractions.
Effectivement, le projet de loi s'intéresse, pour l'essentiel, à
deux aspects. Le premier est la prévention du risque de récidive
des auteurs, dont nous avons déjà beaucoup parlé ce
matin ; le deuxième touche à certaines dispositions qui
intéressent la victime. Je vais essayer de les resituer dans le cadre de
l'action du parquet.
Tout d'abord, il faut savoir qu'un parquet consacre beaucoup de son temps en
amont de ses problèmes. Actuellement, le signalement de ces infractions
n'est plus du tout, dans sa qualité et dans sa précision, ce que
nous connaissions il y a un certain nombre d'années.
Tout cela résulte d'une action qui a été menée
essentiellement suite à la loi de 1989 sur la protection des mineurs et
qui a permis une coordination des signalements, notamment par les actions qui
ont été entreprises avec les conseils généraux,
c'est-à-dire les services spécialisés dépendant des
départements, et l'Education nationale.
Dans ce cadre, bien évidemment, ces signalements arrivent maintenant
directement aux parquets, et il est donc intéressant d'en noter le
pourcentage d'origine. Il faut savoir qu'actuellement, environ 80 % nous
viennent directement soit des services de l'Education nationale, soit des
services du département, et que seulement 20 % nous viennent par
les autres sources, dont les plaintes déposées directement par
les services de police.
Au niveau local, les parquets ont été mobilisés par
rapport à la création des réseaux associatifs de prise en
charge des intérêts des victimes qui, lorsqu'ils sont mis en
place, facilitent grandement le traitement de ce type de situation.
J'en viens à ce que l'on peut dire sur la prise en charge directe de ces
affaires par les parquets.
Tout d'abord, le projet de loi pose à nouveau le problème de la
prescription de l'action publique. Dans ce domaine, la nouveauté est de
généraliser le début du cours de la prescription de
l'action publique à compter de la majorité des victimes,
lorsqu'elles sont mineures, sans faire de distinction par rapport à
l'auteur de l'infraction, qu'il s'agisse ou non d'une personne ayant
autorité.
Je dois dire que ce texte, qui a déjà été
pratiqué dans sa mouture ancienne, ne donne pas de grandes
difficultés sur le plan des crimes. En effet, finalement, par rapport
à ce qui a été dit tout à l'heure, on constate que
l'utilisation de ce texte est très fréquente pour des agissements
qui ont commencé dans la petite enfance et qui sont
révélés, finalement, peu de temps après la
majorité ou peu de temps après que le mineur,
libéré de la contrainte familiale, lorsque ces faits ont lieu
dans ce domaine, a pu se soustraire à l'emprise de son violeur ou de son
agresseur. Dans ce cas, on retrouve, sur le plan de la preuve, un nombre
suffisant d'éléments, dans le cadre de l'enquête, pour
pouvoir facilement déboucher.
En ce qui concerne les délits, bien évidemment, la
généralisation à tout auteur de crime sur mineur, dans la
limite de ceux qui ont été visés par le texte, me
paraît également justifiée, sans distinguer s'il s'agit ou
non de personnes qui ont autorité.
En revanche, nous avons pu voir que deux délits, les agressions
sexuelles ainsi que les atteintes sexuelles, étaient visés comme
pouvant finalement se voir attribuer, pour la prescription de l'action
publique, un délai de dix ans. Je crois tout d'abord que mettre, pour de
tels délits, la prescription au niveau de ce qu'elle est en
matière criminelle est un peu illogique. Ensuite, je dirai que, pour les
délits, qui sont quand même très divers (il est vrai que,
dans l'agression sexuelle, comme on vous l'a dit tout à l'heure, il y a
une gradation), le fait de reporter trop loin le délai de prescription
semble assez difficile à pratiquer et risque de s'appliquer à des
affaires qui, apparaissant trop tardivement, seront très difficiles
à faire émerger.
Par conséquent, je crois finalement qu'il serait raisonnable (et je
pense que ce point est très positif) de retenir effectivement les
infractions criminelles avec une prescription de dix ans à compter de la
majorité et de retenir les infractions de nature correctionnelle avec
une prescription de trois années courant, évidemment lorsqu'ils
sont commis sur des victimes mineures, à compter de la majorité.
Le deuxième point qui conditionne la possibilité de poursuivre
les infractions, c'est le problème des infractions commises par les
Français à l'étranger. Là aussi, il n'y a pas
beaucoup d'observations à faire, si ce n'est qu'il convient de poser le
problème (qui a déjà été soulevé) de
la notion de résident.
Pour le reste, j'ai l'expérience concrète du cas que l'on pouvait
juger un peu scandaleux d'un enseignant exerçant à
l'étranger dont nous avions appris, dans le cadre d'une enquête
sur un réseau pédophile opérant en France, qu'il avait
commis des abus sur des mineurs à l'étranger et à
l'encontre duquel nous n'avons pas pu engager des poursuites en France, compte
tenu du fait que, d'une part, dans le pays où s'étaient
déroulés les faits, nous avions fort peu de chances d'obtenir une
dénonciation officielle et que, d'autre part, les victimes étant
restées à l'étranger et étant souvent des mineurs
recrutés dans des milieux où on les livrait quasiment à la
prostitution, nous ne pouvions pas non plus attendre la moindre plainte de leur
part.
Je crois donc que, dans ces hypothèses, on se trouve un peu dans la
même situation que pour le tourisme sexuel. Je crois que, là
aussi, la gravité attachée à certaines de ces infractions
justifie cette disposition dérogatoire.
J'en viens aux enquêtes liées aux affaires s'inscrivant dans le
cadre familial. A cet égard, je souhaite également évoquer
un point qui est souvent très traumatisant pour les mineurs qui sont
placés dans ces situations : les mesures de placement d'urgence qui
doivent être prises, notamment au moment du déclenchement de ces
enquêtes. Bien évidemment, toutes ces mesures sont mises en oeuvre
avec le concours des services éducatifs près des tribunaux,
c'est-à-dire les services de la protection judiciaire de la jeunesse.
Donc je dirai que, sur ce point, la loi viendra, pour l'essentiel, confirmer
des pratiques qui existent déjà.
Ensuite, j'évoquerai une disposition qui me paraît
également très importante mais sur laquelle je me demande s'il ne
faudrait pas la détacher purement et simplement de la constitution de
partie civile : le tutorat
ad hoc
.
En effet, le rôle du tuteur
ad hoc
est toujours conçu dans
le projet comme un accompagnateur qui est lié à la constitution
de partie civile et qui vient se substituer au mineur afin de l'aider dans ses
démarches et le suivi de cette procédure, alors que les
conditions de la commission de l'infraction ou sa situation familiale
née de l'infraction ne lui permettent plus de trouver ce soutien
indispensable dans le cadre de la procédure.
Je crois pour ma part que l'on pourrait concevoir une version plus
appropriée du tuteur
ad hoc
, qui demanderait effectivement des
moyens supérieurs. Je me demande en effet si ce tuteur
ad hoc
ne
pourrait pas, parfois, être désigné dès le
début de l'enquête, même provisoirement, par les services du
parquet.
Je vous rappelle que l'une des phases les plus douloureuses de ces
procédures, pour les victimes, qu'elles soient majeures ou mineures,
c'est cette phase de l'enquête durant laquelle, nonobstant les
précautions que l'on essaie de prendre, on ne peut éviter les
multiples auditions, les multiples examens médicaux et les passages
devant le psychologue. Certes, ces mesures sont nécessaires et elles
existent souvent, mais je crois que, pour le mineur, c'est une phase qui est
particulièrement difficile.
Donc je crois que le tuteur
ad hoc
, relayé par exemple, dans le
cadre de ce que l'on voit avec le développement de l'aide aux victimes,
pourrait trouver sa place, finalement, dès l'origine de l'affaire. Je le
dis d'autant plus que l'on voit, d'après les expériences qui sont
actuellement conduites, notamment dans le cadre du développement des
maisons de justice ou des antennes de justice (selon les choix retenus par les
parquets et leurs partenaires), que ces antennes de justice deviennent des
sortes de guichets multiples dans lesquels on fait de la médiation
pénale, de la médiation familiale ou de l'accueil aux victimes et
où, actuellement, dans notre juridiction, nous essayons, avec une
formation adaptée, de développer un tutorat
ad hoc
local
pour ce qui concerne ce type de prise en charge.
Cela offre l'avantage que le tuteur va être proche du jeune qui sera pris
en charge puisqu'il habitera la même commune. Peut-être le
connaîtra-t-il par le rôle qu'il joue dans tel ou tel milieu
associatif.
Je crois que ce serait un élément très intéressant
et plus complet que ce tutorat intervenant au niveau de la constitution de
partie civile.
J'ajoute qu'en tout état de cause, la disposition est nécessaire,
puisque, actuellement, indépendamment des dispositions qui permettent au
juge d'instruction d'agir, lorsque l'affaire concerne une infraction mettant en
cause la personne ayant autorité ou le responsable légal, nous
n'avons d'autre solution que d'utiliser, en tiraillant quelque peu les textes,
l'article 388 du code civil, qui n'est pas adapté spécifiquement
aux enquêtes pénales.
Bien entendu, la défense du mineur en justice me paraît aussi
essentielle, et je dois souligner sur ce point le développement de plus
en plus important d'une défense plus spécialisée et
assurée par les barreaux dans les divers tribunaux, avec une
organisation spécifique en ce qui concerne la prise en charge des
mineurs.
Je passe maintenant à ce qui concerne l'enquête et au moment
crucial, pour la victime, qu'est le passage devant les services de police.
Le premier problème (et la loi s'y attache) est celui de la
multiplicité des confrontations et auditions. A cet égard, je
crois que la proposition de l'enregistrement sur système vidéo
peut être bien évidemment retenue. Je crois que la loi va
l'entourer d'un certain nombre de garanties, parfois d'ailleurs un peu
complexes, sur les problèmes que vont poser la consultation de ces
enregistrements vidéo par la défense en même temps que la
consultation des dossiers et la communication de pièces de
procédure, mais ces difficultés peuvent à mon avis
être résolues matériellement.
Cela dit, il est important de laisser (le texte le fait, tout en le
recommandant) le caractère facultatif de ce type d'enregistrement. En
effet, même s'il existe, nous ne pourrons pas nous dispenser, dans bon
nombre d'hypothèses, malheureusement, d'avoir à effectuer ces
confrontations, soit parce que les faits sont contestés, soit parce que
nous avons deux positions très tranchées dans l'affaire, des
accusations et des dénégations. Dans ces hypothèses, il
est bien évident que nous sommes obligés d'en passer par la
confrontation.
Je vois dans la généralisation du système du tuteur
ad
hoc
, qui est quelqu'un qui peut jouer un rôle passif au cours de ces
confrontations, la possibilité de garantir au mineur la présence,
en toute hypothèse, d'une personne à ses côtés. Il
est vrai que, parfois, certains magistrats refusent la présence du
parent et que tout cela peut se discuter. Cela dit, le législateur peut
trancher et l'imposer.
Il est vrai que l'on rencontre dans certaines affaires, notamment celles
s'inscrivant dans le cadre familial, des positions parfois ambiguës de la
part du parent vis-à-vis de l'auteur des faits, même s'il
mène la constitution de partie civile en sa qualité de
représentant légal.
Par conséquent, je crois que l'enregistrement servira, bien
évidemment, si les auteurs d'agressions sexuelles reconnaissent les
faits, quand on vient les interroger sur des agissements qui ont
été dénoncés, et ne changent pas de position. Dans
ces conditions, on peut penser que l'enregistrement vidéo peut suffire,
ce qui évite de nouvelles auditions devant le magistrat instructeur.
De même, en ce qui concerne les enquêtes, le problème qui
reste à résoudre dans ce domaine (tout comme cela a
été souligné au sujet de la prise en charge du suivi des
auteurs d'infractions sexuelles) est celui de l'implantation de services qui
ont un niveau de compétence suffisant et qui peuvent prendre en charge
les examens de victimes, les examens médicaux et le suivi psychologique
qui s'impose.
Ce problème est résolu, notamment à Paris, dans la petite
couronne, par la mise en place de ce genre de consultations dans le cadre
d'urgences médico-judiciaires, avec des experts qui connaissent ces
questions. Je crois que l'on imagine mal, parfois, les difficultés que
rencontrent les parquets pour arriver à coordonner la mise en place de
ces services et assurer les financements nécessaires au-delà des
frais de justice. Dans ce domaine, des problèmes budgétaires se
posent également.
Je crois que l'on ne peut également que rappeler la
nécessité, si on veut être efficace dans ce domaine, de
disposer de parquets spécialisés capables de coordonner tout ce
qui concerne, au-delà des infractions en matière sexuelle, les
problèmes de familles et les problèmes de mineurs. Nous sommes
malheureusement loin d'avoir partout des moyens à la hauteur des
ambitions. Nous essayons, pour le mieux, d'implanter peu à peu dans les
juridictions, là où cela n'existe pas, ce type de service qui,
sur le plan du déroulement des enquêtes et de l'efficacité,
est également indispensable.
En ce qui concerne les autres dispositions, je dirai un mot du suivi
socio-judiciaire et de l'injonction de soins. Dans ce dispositif, s'il est
finalement adopté tel quel, au-delà de tous les débats
(j'ai entendu parler tout à l'heure d'un suivi criminologique), je
regarde les moyens de nos juges d'application des peines, de nos conseillers
d'insertion et de nos juridictions, et je crois que, malheureusement, nous ne
sommes pas en état d'assurer actuellement des suivis de type
criminologique.
Finalement, le mérite du projet, à partir de ce qui existait et
de l'obligation de soins que nous connaissions dans le cadre du sursis avec
mise à l'épreuve, c'est d'avoir tenté de l'adapter tout en
essayant d'assurer une certaine prévention, sans aller jusqu'aux
extrêmes du "tout répressif". En effet, je dois dire que c'est une
tendance que nous observons maintenant dans nos cours d'assises de même
que dans la juridiction correctionnelle : nous notons une augmentation
très nette (est-ce l'influence médiatique par rapport aux
affaires dont nous parlons ?) du quantum des peines qui sont
prononcées.
Par conséquent, je pense qu'il est indispensable de se prononcer sur la
nature du suivi. A cet égard, je dois dire qu'en ce qui concerne
l'application des peines, le nombre de dossiers que les juridictions doivent
gérer fait que des obligations telles que celles qui consistent à
dire : "monsieur, vous n'entrerez pas en contact avec des
mineurs" sont un
peu du même ordre que l'obligation que l'on donne de ne pas
fréquenter les débits de boisson.
Lorsqu'il s'agira d'une interdiction liée à une activité
professionnelle, je pense que nous pourrons avoir des mesures de contrôle
adéquates, mais lorsqu'il s'agira d'une interdiction totale de
fréquenter tels mineurs, sauf ceux énumérés (comme
le dit le projet de texte) éventuellement dans la décision, il
sera très difficile de savoir si M. X, à un moment
donné, n'a pas été fréquenter les bacs à
sable pour y recruter une victime, par exemple.
En tout état de cause, l'injonction de soins paraît importante,
mais il faut souligner la difficulté, pour le corps médical,
d'avoir à assurer ce type de mesure en ce sens que, comme on le sent
bien, c'est une tentative pour essayer de prendre en charge ces questions par
un suivi psychologique au long cours, mais peut-être aussi un moyen
d'avoir un repère donné au juge d'application des peines de
façon plus fixe sur le fait de savoir si quelqu'un suit le minimum du
traitement qui lui aura été imposé.
Je me demande si, dans la mesure où le parquet aurait une faculté
de saisir la juridiction pour, notamment, faire prononcer, en cas
d'inobservation des obligations, le complément de peine qui
résulte du suivi socio-judiciaire, il ne faudrait pas non plus une
information directe du parquet, qui est quand même le centralisateur de
tous les renseignements. En fait, la sanction de l'inobservation du suivi
étant en pratique le nouveau signalement d'un risque social, je me
demande s'il ne faudrait pas donner cette information également au
parquet.
Voilà, dans les grandes lignes, et fort mal exposées, les
quelques remarques que pouvait faire un magistrat du parquet sur ce projet qui,
je dois le dire, recouvre une partie de nos activités dans ce domaine.
Vous avez bien senti que, au-delà de la recherche de ces infractions,
les parquets consacrent actuellement, dans le cadre de la politique de la ville
et de nos relations avec les départements, une grande part de leurs
activités à ces missions de prévention et de signalement.
Je vous remercie de votre attention.
M. le PRESIDENT
.- Je vous remercie. Je n'insisterai pas sur les
relations qui peuvent s'établir entre les conseillers
généraux et les parquets. Nous en connaissons l'excellence.
J'ai noté malgré tout un problème sur lequel il faudra
revenir et qui est celui de l'enregistrement, car il peut faire
apparaître des difficultés considérables pour l'exercice du
droit de la défense.
M. Yvon TALLEC
Premier substitut
Chef de la
12ème section du Parquet des mineurs de Paris
M. Yvon TALLEC
.- La section des mineurs du parquet de
Paris est une importante section en nombre, puisqu'y travaillent sept
magistrats et vingt-et-un fonctionnaires. Nous sommes en relation avec cinq
juges d'instruction spécialisés dans les affaires de mineurs,
treize juges des enfants et une chambre correctionnelle qui ne traite que de ce
contentieux.
Au point de vue des statistiques, la brigade de protection des mineurs de
Paris, sur 986 affaires pénales traitées en 1996, a relevé
488 affaires de violence sexuelle, soit 49,5 % de son contentieux. Je vous
rappelle ces quelques chiffres pour vous indiquer que ces affaires de violence
sexuelle sont en hausse de 8,2 % par rapport à 1996, qu'à
l'intérieur de ce contentieux, les viols ont tendance à baisser
et que les agressions et atteintes sexuelles sont en hausse de 16 %.
Il faut noter que, sur ces viols et atteintes sexuelles, 38,9 % ont
été commis dans un cadre familial par des ascendants ou des
personnes ayant autorité, et que 25 % des auteurs de ces
infractions sont des mineurs. C'est dire que la proposition qui va être
retenue par la représentation nationale sur le suivi socio-judiciaire et
qui, comme vous le savez, a été étendue aux mineurs, est
importante pour nous, puisque nous observons de façon très
inquiétante cette montée de la proportion des mineurs comme
auteurs d'agressions et de violences sexuelles.
78 % des victimes ont moins de 15 ans lorsqu'elles ont été
victimes de viols, et 82,5 % ont moins de 15 ans lorsqu'il s'agit
d'agressions et d'atteintes sexuelles. Nous observons au fil de ces
dernières années un rajeunissement des auteurs mineurs (cela a
déjà été dit) mais, surtout, des victimes mineures.
Je vais donc essayer de vous apporter un point de vue très concret sur
l'approche concernant plus spécialement les mineurs, et le texte que
vous allez être amenés à étudier, à
éventuellement modifier et à voter est quand même
très finalisé sur une meilleure protection des mineurs.
Nous nous réjouissons de ce texte, dont la double paternité nous
semble très riche puisque, au fil du temps, les propositions se sont
considérablement améliorées.
En ce qui concerne le suivi socio-judiciaire, du point de vue du parquet, il
semble important de pouvoir tenir suffisamment d'éléments,
lorsque nous avons à requérir cette peine, soit à titre de
peine complémentaire, soit à titre de peine principale, devant la
juridiction qui aura à en décider.
Il est certain, et je m'associerai à tout ce qui a été dit
jusqu'à présent, que l'une des difficultés les plus
grandes pour ce type de peine, en particulier pour les peines
complémentaires, est l'insuffisance de nos moyens. Vous savez que la
justice, aujourd'hui, et en particulier celle des mineurs, pèche par ce
que j'appellerai une "déficience de son service après-vente". Je
pense que le judiciaire arrive à tenir à peu près la barre
pour ce qui est de la décision, mais les choses deviennent tout à
fait catastrophiques pour nous, et surtout pour les mineurs, quand on
considère cette insuffisance de moyens, qui allonge sans arrêt les
délais de prise en charge de toutes ces mesures complémentaires
qui sont extrêmement intéressantes mais qui, faute de temps et de
moyens suffisants, ne sont souvent pas mises en oeuvre.
Combien de fois avons-nous à requérir alors qu'il s'agit d'une
seconde affaire, d'une récidive, et que les sursis de mise à
l'épreuve qui ont été prononcés pour l'affaire
précédente n'ont même pas encore le moindre début
d'exécution. Combien de fois essayons-nous de convaincre la juridiction
pour prononcer un travail d'intérêt général ou une
mesure de réparation, tout en sachant qu'il n'existe pas de services
suffisamment diligents et dotés de suffisamment de moyens pour les
mettre en oeuvre.
Cette difficulté en termes de moyens (j'insiste aujourd'hui à ce
sujet puisque vous aurez vraisemblablement à la régler lorsque
vous examinerez le budget de la Justice) est, pour le suivi socio-judiciaire,
ce qui me paraît le plus important.
Cela étant rappelé, ce texte est un progrès, surtout dans
cette dimension du traitement médical, encore que nous devions
être très vigilants à ne pas jouer le mouvement de
balancier, à ce que la justice ne lâche pas ses
responsabilités du côté des médecins. Il a
été bien dit ce matin que cette décision devait être
judiciaire.
Je voudrais maintenant reprendre, sous leurs aspects les plus concrets, les
éléments qui ont été présentés
à la fois par Mme Cartier et par le docteur Coutanceau et qui
concernaient le phasage, qui me semble insuffisant aujourd'hui dans le texte,
de la mise en oeuvre de ce suivi socio-judiciaire.
Lorsqu'il s'agit de la possibilité, pour le parquet, de requérir
une mesure de suivi socio-judiciaire dans le cadre d'une peine principale, le
parquet va être dans l'instantanéité du moment où la
décision doit être prononcée. Donc il pourra indiquer,
à partir des avis des experts, qu'il lui apparaît important qu'un
suivi socio-judiciaire soit mis en place pour une durée qui, comme vous
le savez, en matière correctionnelle, peut aller jusqu'à cinq ans
et, en matière criminelle, jusqu'à dix ans.
Mais, comme Mme Cartier l'a bien indiqué ce matin, lorsque, en
matière d'affaires criminelles, la cour d'assises aura à
prononcer une peine d'emprisonnement souvent très longue (je vous
rappelle que, dans ce genre d'affaire, elle peut aller de huit à quinze
ans, voire plus), je crois qu'il serait important, plutôt que de
maintenir aujourd'hui le principe consistant à renvoyer vers le juge
d'application des peines la prise en charge de l'avenir de la mesure, de
renvoyer, pour un reexamen du dossier, sinon vers le tribunal de
l'exécution (ce qui n'existe pas en matière pénale), du
moins vers la juridiction qui a prononcé cette peine. On
réaliserait des expertises actualisées à la suite de ce
temps passé en détention. Le législateur a d'ailleurs bien
souligné l'intérêt d'une liaison entre ce qui pourrait
être fait, justement, dans le cadre carcéral et la
possibilité d'affecter ces détenus dans des centres
spécialisés où ils recevraient un certain nombre de soins
médico-psychologiques pour que puisse être
réévaluée, par rapport à la dangerosité ou
le risque de récidive de l'intéressé, cette peine de suivi
socio-judiciaire.
Pour ce qui concerne la répression des infractions de nature sexuelle et
celle mettant en péril les mineurs, le texte tel qu'il a
été corrigé par l'Assemblée nationale
présente d'excellentes dispositions, en particulier le fait d'avoir
corrigé le décalage qui existait avec l'article 227-25, qui vise
les atteintes sexuelles commises sur des mineurs sans contraintes ni violences
(qui étaient punies précédemment d'une peine de prison de
deux ans qui a été fixée par l'Assemblée nationale
à cinq ans pour rétablir un équilibre avec la circonstance
aggravante du 227-26, qui prévoit une peine de dix ans), mais je pense
qu'il faudrait peut-être aller encore un peu plus loin dans
l'appareillage répressif vis-à-vis de l'auteur des atteintes
sexuelles, pour ce qui concerne l'actuel article 227-27, qui prévoit des
pénalités pour les atteintes sexuelles commises sans violence, ni
contrainte, ni surprise sur des mineurs âgés de 15 à 18 ans.
Les deux seules circonstances aggravantes aujourd'hui sont celles d'ascendants
ou de personnes ayant autorité ou celles de personnes qui abusent de
l'autorité que leur confère leur fonction. Or nous relevons dans
la pratique que la quasi-totalité des mineurs fugueurs qui sont
concernés dans cette tranche d'âge de 15 à 18 ans
sont soumis, au cours de leur fugue, à énormément de
sollicitations de la part de majeurs qui se livrent avec eux à des
rapports sexuels sans violence, ni contrainte, ni surprise, mais moyennant la
pression, qui n'est pas mince, d'une contrepartie financière et d'une
rémunération. C'est dans cette tranche d'âge qu'est
favorisée la possibilité d'installation desdits mineurs dans la
prostitution, voire dans des réseaux de prostitution.
Nous pensons donc qu'il serait souhaitable d'ajouter aux circonstances
aggravantes de l'article 227-27 un "troisièmement" qui prévoirait
la possibilité de condamner ces atteintes sexuelles commises sans
contrainte, ni violence, ni surprise lorsqu'elles s'accompagnent du versement,
par un majeur bien évidemment, d'une rémunération.
Enfin, sur ce point des pénalités, dans le jeu entre les deux
projets qui nous ont été soumis, a été
abandonnée l'infraction de détention d'images à
caractère pornographique. Dans le cadre de l'affaire Toro Bravo,
à Paris, dont la presse s'est fait l'écho, le parquet a
été assez gêné dans ses réquisitions pour la
raison suivante : aujourd'hui, les diffuseurs sont punis d'une peine qui
va de un à trois ans, de même que ceux qui diffusent des messages
à caractère pornographique sont punis d'une peine de trois ans,
mais, pour les receleurs, c'est-à-dire tous ceux dont il a
été question ce matin, qui détiennent du matériel
pornographique et qui ne sont pas obligatoirement, au regard de l'ordre public,
des personnes risquant de passer à l'acte sur des mineurs, nous sommes
obligés de nous livrer à une construction juridique consistant
à les poursuivre et à les condamner sur la base du recel, en
général, dont le maximum de la peine est de cinq ans.
Je pense qu'à cet égard, il serait peut-être
intéressant de réintroduire cette infraction spécifique de
détention d'images de mineurs à caractère pornographique.
Pour ce qui est de la protection des mineurs et des différentes
questions qui sont soumises à votre examen, je retiens une proposition
sur l'administrateur
ad hoc
qui, comme mon collègue vient de
vous le dire, est pour nous un auxiliaire précieux qui pourrait
effectivement être désigné dès le début de
l'enquête de police par le parquet. Je me réjouis de voir que,
dans l'article 706-51-1, il est bien prévu que cet administrateur
ad
hoc
puisse être désigné par le magistrat, quelles que
soient les circonstances, lorsque les parents ne paraissent pas aptes à
assurer la protection du mineur. Je me réjouis également qu'un
décret doive fixer prochainement sa rémunération.
Cela dit, je pense qu'il y aurait tout d'abord une petite amélioration
technique à apporter. Je crois en effet qu'il faut éviter la
multiplication des termes. L'Assemblée nationale a retenu dans cet
article "
le mandataire
ad hoc
" alors qu'ailleurs, il
est question
de "
l'administrateur
ad hoc
". Je crois qu'il nous
faudrait
harmoniser ces définitions et bien retenir, dans cet article 706-51-1,
la notion "
d'administrateur
ad hoc
" (et non pas de
"
mandataire
", pour que les choses soient bien claires), et je
me
réjouirais de voir supprimer le "
s'il y a lieu
" à propos
du décret qui doit fixer la rémunération.
Vous savez qu'actuellement, les administrateurs
ad hoc
sont des
personnes qui travaillent sur la base du bénévolat, qu'elles sont
obligées de venir pleurer dans nos cabinets de parquetiers ou de juges
pour utiliser nos téléphones parce qu'elles ne peuvent se faire
rembourser aucun frais de ce type et que, si elles doivent aller visiter (c'est
le cas très fréquemment) des mineurs qui demeurent loin du
tribunal où l'affaire est traitée, elles n'ont pas de
remboursement de leurs frais. Puisqu'il est prévu une liste
d'agréments, c'est-à-dire - je le suppose - une
qualification et une formation, ce qui est tout à fait positif, il
faudrait que la rémunération ne soit pas
"s'il y a lieu"
mais tout à fait prévue par les textes.
Enfin, je voudrais terminer par ce qui m'intéresse le plus dans ce
texte, à savoir l'utilisation de la vidéo dans la
procédure judiciaire concernant les mineurs.
Tout d'abord, je m'attriste quelque peu de voir que, sous l'effet
médiatique, la maltraitance des mineurs, aujourd'hui, a basculé
dans le champ des abus sexuels. La maltraitance des mineurs ne se limite pas
aux abus sexuels. Rappelez-vous ces campagnes que nous avons connues
après la loi de 1989 : il n'existait en France, à voir les
affiches qui couvraient nos murs, que des enfants éborgnés,
pleins d'hématomes, aux bras cassés et à la mâchoire
déformée. Aujourd'hui, il n'existe plus, en maltraitance, que des
mineurs abusés sexuellement.
Il me semblerait donc tout à fait essentiel que, dans cette
possibilité d'utilisation de la vidéo pour l'audition des mineurs
victimes, vous réintroduisiez la possibilité d'une extension des
mineurs victimes de violences, et non pas seulement d'abus sexuels,
c'est-à-dire les articles 222-10, 222-12, 222-13 et, pour partie, 222-14
(je dis "pour partie" parce que le premier alinéa de l'article 222-14
vise les violences ayant entraîné la mort et il serait donc tout
à fait déplacé de viser la totalité de cet
article), dans les 2ème, 3ème et 4ème alinéas.
A ce sujet, sur le plan de la rédaction, il serait souhaitable que soit
modifié le début de cet article 706-53, qui, assez
maladroitement, vise l'article 706-48. Lorsque vous lisez l'article 706-48 du
projet, vous vous apercevez qu'il commence par : "
les personnes
poursuivies pour le meurtre ou l'assassinat d'un mineur
précédé ou accompagné d'un viol et de
tortures".
Je ne pense pas que l'on puisse vidéoscoper ceux qui,
malheureusement, sont décédés à la suite de ces
traitements. Il faudrait donc supprimer le renvoi à l'article 706-48 et
bien viser la liste des textes suivants, à savoir 222-23, etc. (je vous
fais l'économie de l'énumération).
Il conviendrait également d'ajouter cette possibilité
d'utilisation de l'audiovisuel pour la maltraitance au sens très large.
Cela étant dit, je voudrais indiquer ici qu'à mon avis,
l'utilisation de l'audiovisuel peut constituer un progrès dans la
procédure pénale concernant les mineurs victimes mais qu'il faut
aussi avoir d'extrêmes réserves vis-à-vis de l'utilisation
de cet audiovisuel. Il serait peut-être un peu long de le
développer ici, mais vous êtes sensibilisés à
l'impact des images.
Ce texte a un mérite tout à fait essentiel que je n'ai pas
rappelé mais qui va beaucoup aider les juges d'instruction : la
qualité du traitement à réserver aux mineurs victimes.
Vous savez que c'est déjà une pratique puisque, depuis de
nombreuses années, les juridictions y sont extrêmement
sensibilisées, et M. Coutanceau a parlé de l'humanité
et du tact. Il est donc important qu'un texte aide ceux qui ont à
connaître de ces procédures en précisant qu'il faut
éviter la multiplication des auditions. Cela permettra en particulier
aux juges d'instruction de refuser des demandes d'audition
complémentaire, etc.
Cependant, alors que, d'un côté, on simplifie, il ne faudrait pas
rigidifier et alourdir les choses de l'autre en introduisant cet audiovisuel
partout. En effet, vous risqueriez alors d'introduire d'autres rigidités
qui sont celles de l'image.
Je préférais donc l'ancienne rédaction : "
au cours
de l'enquête
ou
de l'information"
(et non pas "
et de
l'information"
), puisque l'idée est bien d'avoir une chaîne de
traitement complète. En effet, la majorité des affaires dont nous
vous parlons concernant les mineurs sont initiées par une plainte
intervenant à la suite du signalement d'un service social ou d'un
service éducatif et débouchent sur une enquête
auprès des services spécialisés, c'est-à-dire, en
général, lorsque les juridictions en sont dotées,
auprès de la brigade de protection des mineurs.
Par conséquent, la nécessité de réutiliser
l'audiovisuel, pour le juge d'instruction, doit être tout à fait
mesurée. Il ne faudrait pas que l'on substitue à une
procédure orale une procédure vidéoscopée et
visuelle jusqu'au bout.
A cet égard, je vous indique que, pour finir (cela a été
mentionné ce matin), il y a le problème de la protection par
rapport à l'utilisation possible de ces bandes. Il me semble important
que la proposition qui a été faite par l'Assemblée
nationale soit maintenue, c'est-à-dire, si j'ai bien compris, que nous
ayons un enregistrement original et une copie, mais je crois qu'il vous
faudrait revoir, si ce n'est pas déjà fait, le texte sur ces
enregistrements qui, pour l'instant (on le comprend), à la suite des
ajouts liés aux amendements, est très obscur pour les praticiens
que nous sommes. J'insiste beaucoup sur ce point.
Il est parlé "
d'une copie"
et "
des
enregistrements"
(au
pluriel). Soit il faut être très précis et très
clair en parlant "
d'une copie"
et
"d'un
enregistrement"
, soit il
faut parler "
de tout"
ou "
de chaque
enregistrement",
en
sous-entendant les enregistrements qui ont lieu pendant la phase
d'enquête initiale, dans les services de police, puis ceux qui auront
paru opportuns au juge d'instruction. Il faut donc une grande clarté
à cet égard.
Il faut aussi une grande clarté sur l'utilisation de l'original et des
copies.
Je pense qu'il faut absolument que vous prévoyiez que copie et original
(ou originaux) soient placés sous scellés, pour éviter les
risques que nous avons connus ailleurs lorsqu'il s'agissait de la diffusion de
P.V. manuscrits, c'est-à-dire pour éviter que cette copie (pour
employer un langage un peu trivial) se promène dans le tribunal. Il est
écrit ici : "
cette copie est faite à partir de
l'enregistrement original, après ouverture des scellés par la
juridiction"
. Je pense qu'il faut que vous soyez très
précis : qu'il s'agisse de la copie ou de l'original placé
sous scellés, le visionnage de cette bande ne peut être fait, me
semble-t-il, qu'en présence du juge d'instruction et dans son cabinet
ainsi qu'en présence de l'avocat. Il n'est pas envisageable qu'une copie
ou un enregistrement original puisse se promener et être dupliqué
dans les couloirs du palais, sinon ailleurs. Imaginez les effets que pourraient
produire l'utilisation de telles images sur les médias, quels qu'ils
soient.
Mon dernier point concerne le bizutage, et je serai très court. Je
m'associe à ce qui a été dit, en particulier par
Mme Cartier, sur le peu d'intérêt que présente pour le
parquet cette nouvelle disposition, puisque nous avons déjà un
appareillage suffisant en matière pénale.
Je me suis posé la même question que celle que vous avez
posée tout à l'heure. En effet, le texte est assez
étonnant : il prévoit qu'en dehors de toute violence,
certains actes de bizutage peuvent porter gravement atteinte à la
dignité de la personne, ce qui est exact, mais, dans la
réalité, il y a des violences.
Je pense donc qu'il serait peut-être intéressant, si ces textes
n'étaient pas abandonnés (et je pense qu'il sera un peu difficile
de les abandonner pour des raisons politiques évidentes), de
prévoir une circonstance aggravante de plus (vous me direz qu'il y en a
beaucoup) dans l'article 222-13 sur les violences, en intégrant ce
contexte scolaire et ces violences visant les atteintes à la
dignité de la personne.
J'en ai terminé, Monsieur le Président.
M. le PRESIDENT
.- Je vous remercie.
M. JOLIBOIS
.- Je n'ai qu'une question à poser. Vous avez tous les
deux, Messieurs les Procureurs, suggéré que le tuteur
ad
hoc
puisse être nommé directement à la phase de
l'enquête. Par qui et comment peut-il l'être ? Est-ce que vous
envisagez une procédure ou est-ce seulement le parquet qui le
ferait ?
M. TALLEC
.- C'est le procureur qui le désignerait.
M. JEANNIN
.- Oui, tout à fait. Il faut voir que toutes ces
procédures, comme les trois quarts de ce qui est traité dans ce
type de dossier, sont traitées quasiment en temps réel. Donc
lorsque l'enquête démarre, le magistrat du parquet qui est de
permanence et qui suit l'affaire, qu'il s'agisse d'un généraliste
ou d'une section spécialisée, est tout à fait
habilité à désigner, dès lors que l'on a
effectivement une liste d'intervenants compétents dans ce domaine, le
tuteur
ad hoc
.
M. JOLIBOIS
.- La seule chose, c'est qu'il n'y a pas d'appel possible,
puisque c'est une mesure d'administration judiciaire.
M. JEANNIN
.- Il n'y en avait pas non plus jusqu'ici dans la
désignation.
M. JOLIBOIS
.- Il y a quand même le contrôle de la chambre
d'accusation sur l'ordonnance du juge.
M. JEANNIN
.- Je n'ai pas d'exemples d'appel sur la désignation du
tuteur
ad hoc
.
M. TALLEC
.- De toute façon, le projet prévoit la
possibilité de la présence d'un administrateur
ad hoc
, par
exemple, dans les auditions vidéo, ce qui est vidé de sens tant
que le juge d'instruction n'est pas saisi, puisque le ministère
ad
hoc
ne sera désigné que lorsqu'un juge d'instruction sera
saisi.
Sur ce point de l'audition, d'ailleurs, il est vrai que le procureur aura un
rôle tout à fait important à jouer pour décider,
tout d'abord, de l'opportunité de ladite audition et, ensuite, de la
présence ou non d'un certain nombre de sachants, en particulier les
parents, puisqu'il en a été question tout à l'heure. Dans
de nombreuses affaires où les parents sont auteurs, il est bien
évident qu'il est déjà non opportun de recueillir leur
avis. Je pense que l'essentiel, c'est d'avoir l'avis du mineur (c'est la
moindre des choses).
Quant aux représentants légaux, il doit y avoir un pouvoir
d'appréciation du parquet. On peut tout à fait concevoir que les
personnes qui sont mises en cause et qui sont représentants
légaux ne souhaitent pas l'audition vidéo, et je pense que le
parquet doit pouvoir passer outre et faire procéder à cette
audition.
M. JOLIBOIS
.- Très bien. Merci.
M. de BOURGOING
.- M. Tallec a regretté tout à l'heure que
l'on parle de temps en temps "
d'administrateur
" et de temps en
temps de
"
mandataire
", mais il y a un troisième terme : celui de
"
tuteur
". Au fond, il y en a trois. Vous nous avez dit que vous
regrettiez qu'il y en ait deux alors qu'en fait, il y en a trois. Je crois donc
qu'il faudrait faire un choix.
M. TALLEC
.- Je pense qu'il faut effectivement un seul terme.
M. de BOURGOING
.- Quelle serait votre préférence ?
M. TALLEC
.- Ma préférence irait à
"
l'administrateur
ad hoc"
, puisque le terme
"
tuteur
"
introduit une ambiguïté avec la tutelle (avec le tuteur du mineur)
et que "
mandataire
" me semble moins précis.
M. DREYFUS-SCHMIDT
.- Ce n'est qu'un détail, Monsieur le
Président, mais j'ai une question à poser à propos de la
mise sous scellés des enregistrements. Je voudrais que l'on pense aux
droits de la défense. En effet, quand un avocat arrive dans une affaire,
il me paraît avoir le droit de voir les enregistrements. Vous avez fait
allusion à une affaire d'enregistrements qui étaient sous
scellés. Or j'ai connu un avocat qui voulait voir l'enregistrement pour
savoir s'il acceptait ou non de plaider, ce qui n'a pas été
possible parce qu'elle était sous scellés.
M. TALLEC
.- Techniquement, le juge d'instruction peut décider de
procéder à l'ouverture des scellés. Il faut d'ailleurs
qu'il en soit ainsi.
M. DREYFUS-SCHMIDT
.- Mais après que l'instruction est
terminée, Monsieur le Procureur.
M. JEANNIN
.- Sur ce point, tout dépend de la nature que vous
donnerez à ce scellé. Soit vous considérez que c'est une
pièce de la procédure, auquel cas il faudra trouver un moyen
présentant effectivement le maximum de garanties pour que la
défense puisse y avoir accès dans le cadre de la communication du
dossier, soit vous considérez que c'est une pièce à
conviction, ce qui me semble difficile, auquel cas nous sommes uniquement dans
la procédure d'ouverture de scellés.
Je pense que, si c'est une pièce de la procédure (et cela semble
quand même y correspondre, puisque ce n'est jamais que l'enregistrement
de l'audition), il faut trouver un moyen, effectivement, pour que la
défense puisse l'avoir, mais je rejoins mon collègue,
M. Tallec, pour dire qu'il faut faire également très
attention, à partir du moment où on passe à
l'enregistrement vidéo, aux risques de fuites, même involontaires,
de ces pièces qui, malheureusement - nous le savons -
passionneraient certains prédateurs dans ce domaine.
M. DREYFUS-SCHMIDT
.- Nous sommes tout à fait d'accord.
LE RÔLE DES INTERVENANTS DANS LE MILIEU CARCÉRAL
_____
Dr Claude BALIER
Président d'une commission qui
a inspiré le projet de loi et fondateur du service
médico-psychologique régional de la prison de Varces
(Isère)
M. BALIER
.- J'indique tout de suite que ce que je vais
dire repose sur quinze années de pratique de chef de service dans un
SMPR à la maison d'arrêt de Varces, une maison d'arrêt qui
reçoit mille entrants par année et où nous avons vu le
taux de délinquants sexuels augmenter sensiblement à partir des
années 1989 et passer assez rapidement de 4 % environ à 10
ou 12 %.
Je m'appuierai également sur la publication de livres que j'ai faits, en
particulier "Psychanalyse des comportements sexuels violents", sur
une pratique
de chargé de mission par la Direction générale de la
santé, pendant trois ans, pour essayer de développer les soins
des agresseurs sexuels, de rapporteur de la commission santé-justice sur
les traitements applicables à cette population et, enfin, de responsable
d'une recherche importante financée par la Direction
générale de la santé, recherche que nous avons remise
début septembre, après trois années de travail, à
la D.G.S., et qui porte sur 176 délinquants sexuels
incarcérés en France sur 17 sites différents.
Ce n'est pas une population représentative de la population
incarcérée en France, car cela aurait été un
travail trop difficile et trop monumental, mais il s'agit d'un
échantillon conséquent. Nous avons d'ailleurs travaillé en
relations avec l'INSERM, et cette recherche est susceptible de nous donner des
renseignements importants sur le type de pathologie et les soins possibles.
Sur ces 176 délinquants sexuels, il y avait 65 % d'agressions sur
mineurs et il s'agissait de viols dans la moitié des cas, aussi bien des
incestes que des viols pratiqués par des personnes extérieures
à la famille. 35 % des agressions, par conséquent,
étaient des agressions sur des adultes.
Très rapidement, je voudrais resituer la pathologie, et j'irai dans le
même sens que le docteur Coutanceau tout à l'heure. On ne
naît pas "pervers", en quelque sorte. D'ailleurs, ce terme est de
plus en
plus évité, car il a une connotation purement morale et nous
renseigne très peu sur ce qui se passe profondément chez le
sujet. Or savoir ce qui se passe profondément chez le sujet, c'est
pouvoir ensuite le soigner.
Le fait que 30 % au moins (cela ressort de notre enquête et ce
résultat est corroboré par des enquêtes américaines)
des délinquants sexuels ont été eux-mêmes
abusés dans leur enfance nous indique qu'il y a des traumatismes
à l'origine, et cela confirme le fait que l'on ne naît pas
délinquant sexuel.
Lorsqu'il n'y a pas de traumatisme de ce genre-là, ce sont des
traumatismes très précoces qui se passent dans des relations
parentales extrêmement déficitaires.
Ce qui ressort de cette enquête, c'est que la pathologie est multiple (le
docteur Coutanceau l'a dit), mais plus particulièrement, nous constatons
un défaut de mentalisation. Pour bien comprendre les choses en
très peu de mots, il y a une sorte de vide fondamental dû aux
traumatismes très précoces. Quand il y a un vide complet dans la
pensée, cela veut dire que l'autre devient menaçant. C'est ainsi
qu'il faut comprendre les viols : c'est comme si la femme allait
pénétrer chez le sujet qui, pour s'en sortir, pour se sortir
alors d'une folie (car on est bien alors dans la folie), doit maîtriser
absolument, sur le plan externe, l'objet redoutable.
Lorsqu'il s'agit d'un enfant, c'est son double qu'il voit, le double qu'il a
été lorsqu'il était enfant, démuni et impuissant,
quelquefois abusé.
Devant cette espèce d'hallucination, il faut remettre d'urgence les
choses à l'extérieur.
Cela nous donne une indication sur une particularité de ces
personnalités, à savoir le clivage. Extérieurement, elles
peuvent se comporter de façon tout à fait satisfaisante et mettre
de côté radicalement l'aspect pathologique, ce qui entraîne
une angoisse profonde.
Cela a des conséquences très importantes. Si on se borne à
attendre la demande et à écouter, évidemment, on n'aura
rien parce que, du fait du clivage, la pathologie est mise de
côté. Il faut donc une attitude particulière (qu'ont
très peu les psychiatres, qui ne sont pas formés à cette
pathologie) pour aller au devant des choses et pour établir un contact
à un niveau profond.
Il ne s'agit pas de maladies, bien entendu, mais de troubles de la
personnalité, ce qui n'enlève nullement la responsabilité
du sujet. Au contraire, mettre le sujet devant ses responsabilités,
c'est un acte déjà thérapeutique.
Le problème de la récidive, tel qu'il est apparu dans notre
enquête, est nettement plus important que l'enquête du centre
d'étude de l'administration pénitentiaire, qui ne
considère que les cas judiciarisés en indiquant qu'il y a peu de
récidive. En fait, le tiers des entrants que nous avons vus avaient
déjà été incarcérés, mais la
moitié du groupe des 176 font état d'actes antérieurs non
judiciarisés, et les actes délictuels ont commencé
généralement peu de temps après l'adolescence.
Un autre constat très important que nous avons fait : plus il y a
de récidives, plus l'acte devient grave, comme si le sujet ne trouvait
pas une solution dans ses actes pour se sauver de la folie et qu'il allait
toujours de plus en plus loin. Nous avons des cas qui se sont évidemment
terminés très mal.
Cela pose le problème du traitement et du suivi.
En ce qui concerne tout d'abord la question de la demande, je dirai d'abord
que, parmi les 176 sujets que nous avons vus, 15 % ont dit : "je
ne
suis pas concerné ; la psychiatrie, ce n'est pas mon
problème et de toute façon, ce n'est pas moi, etc." Cela veut
dire que les médecins ne pourront rien et que l'idée d'une peine
systématique de suivi médical est illusoire pour cette
population. Il y aura donc là, de toute façon, un grave
problème à résoudre (parce que ce sont souvent les sujets
parmi les plus dangereux) qui restera de niveau purement judiciaire.
On nous a dit tout à l'heure qu'il y avait peu de demandes
spontanées et c'est vrai. On dit toujours qu'il n'y a que 5 à
10 % de demandes. Or notre enquête, qui comportait un questionnaire
extrêmement important nécessitant en moyenne trois heures et demi
d'entretien, en allant pour certains sujets jusqu'à neuf heures (en
plusieurs fois, bien entendu), a permis de nouer un contact étroit entre
l'investigateur et le délinquant.
50 % des sujets ont demandé à entrer en traitement
aussitôt après avoir passé le questionnaire et les autres
ont demandé un certain temps de délai pour se décider et
ont donné des réponses plus tardives et plus mesurées.
Cela veut dire que le problème de l'obligation de soins en prison n'est
pas d'actualité, n'est pas nécessaire, qu'il introduirait quelque
chose de faux dans la relation entre psychologues et patients et que, en outre,
il serait dangereux. En effet, si on en vient à l'idée, comme on
voit cette tendance surgir de temps en temps, qu'après tout, le
traitement hormonal résoudrait tous les problèmes, il est
évident qu'une obligation de soins qui consisterait à
délivrer un traitement hormonal d'autorité en prison serait
purement catastrophique, d'autant que, de toute façon, traitement
hormonal ou non, on sait que cela ne suffit pas à résoudre le
problème de la récidive. On connaît par exemple des cas de
castration chirurgicale effective qui n'ont pas empêché des
récidives. Cela a été notamment le cas en Allemagne, dans
les années 80.
J'introduis ainsi la notion du traitement. Certes, le traitement hormonal est
utile dans un certain nombre de cas (le docteur Cordier, qui en est le grand
spécialiste, parle de 10 à 20 % des cas), lorsqu'il y a des
fantasmes répétés dont le sujet se sent totalement
aliéné et qu'il y a alors une demande de sa part pour en sortir.
Mais, en prison, de toute façon, il est inutile, parce que nous pouvons
soulager le patient de ses fantasmes aliénants par d'autres moyens, au
travers d'actes de psychothérapie.
Le traitement de fond, par conséquent, se pose au niveau de
l'identité. Indéniablement, il s'agit d'une pathologie difficile
à traiter, mais il faut distinguer, entre le traitement et le suivi, ce
que les psychiatres ont confondu en disant : "qu'est-ce qu'est une
peine
de suivi ? C'est le médecin qui doit décider de la fin du
traitement".
Or cette peine de suivi, qui s'appelle désormais dans la loi "suivi
socio-judiciaire", ce qui est beaucoup mieux, est une chose à mon avis
extrêmement importante. L'enquête nous a
révélé que, dans cette menace de folie qui réside
à l'intérieur de l'identité du sujet, ou plutôt de
son défaut d'identité, les problèmes extérieurs,
les problèmes de réalité ont besoin d'être
posés très clairement. C'est tout à fait satisfaisant pour
eux et c'est rassurant.
Par conséquent, lorsque l'on dit à un sujet : "vous devriez
vous faire soigner", ce n'est pas dans le sens de l'obligation que le
psychiatre doit l'entendre. J'ai traité de nombreux sujets, en dehors du
milieu carcéral, qui étaient soumis à une obligation, et
ma force était de dire : "monsieur, si on a prononcé une
incitation, une injonction ou une obligation de soins, c'est vraiment qu'il y a
quelque chose qui ne va pas à l'intérieur de vous et que vous ne
voyez pas. Donc voyons-le ensemble". C'est alors que se déclenchait une
véritable relation qui devenait rapidement thérapeutique.
Cela dit, le traitement de fond est difficile. Il faut des
équipes : on ne peut pas travailler seul avec ces sujets. On peut
donc imaginer (c'est ce qui se fait déjà) qu'un traitement de
fond pourrait être fait au niveau des SMPR, c'est-à-dire dans les
maisons d'arrêt, en attente du jugement ou peu de temps après
celui-ci.
Ensuite, il faut considérer le long temps d'application de la peine, qui
se fait en établissement pour peine et, à cet égard, on
peut considérer qu'il s'agit d'entretenir l'acquis qui a
été réalisé dans le cadre d'un travail
d'équipe important, c'est-à-dire que la dépense
d'énergie est beaucoup moins importante tout au long de ces
années où il s'agit d'entretenir l'acquis, notamment par des
techniques de groupe, des ateliers, etc.
Eventuellement (cela se fait déjà dans certains SMPR), il
conviendrait de reprendre le sujet six mois avant la sortie (c'est ce qui se
fait au SMPR de Fresnes) pour bien reprendre les choses en mains avant la
sortie. Si cette action est assortie d'un suivi de longue haleine, ce simple
suivi permet à coup sûr d'éviter des récidives. Je
veux parler d'un suivi par un médecin, par un psychologue ou par un
agent de probation. J'ai travaillé beaucoup avec des agents de
probation, et je peux dire que j'étais plus libre pour discuter avec eux
par rapport au secret professionnel qu'avec le juge d'application des peines et
que j'en ai rencontré des quantités qui faisaient un excellent
travail de suivi pendant des années et, à coup sûr,
évitaient une récidive.
Comme je le disais tout à l'heure, ces sujets ont besoin d'actes
extérieurs, d'actes bien posés et de rappels de la
réalité, ce qui les rassure et leur permet de mieux
maîtriser leur déficit.
Il reste un point très important (mais je le traiterai
rapidement) : le problème de la formation des équipes. En
psychiatrie, on a été jusque ici très peu confronté
à cette pathologie. Les équipes qui interviennent maintenant dans
les établissements pour peine, qui sont des équipes de secteur,
sont désemparées et nous demandent ce qu'il faut faire.
Nous avons le même problème pour les experts. Il y a très
peu de temps, un expert a écrit dans un texte : "sur ces
sujets-là, je ne vois pas de maladie mentale et par conséquent,
c'est un problème purement judiciaire" (en matière de maladies
mentales, il se référait à la schizophrénie ou
quelque chose de ce genre).
C'est pour tenter de résoudre ce gros problème de formation que
nous avons créé une association pour la recherche et le
traitement des auteurs d'agressions sexuelles et que nous nous
déplaçons en province, mais il est évident que le
problème doit être pris dans une beaucoup plus large
échelle.
M. Pascal FAUCHER
Président de l'Association
nationale des juges
de l'application des peines
M. Pascal FAUCHER
.- Il y a un an, notre association
était présente dans cette salle pour poser la question de
l'avenir de la probation en France, et un certain nombre des intervenants que
vous avez souhaité auditionner étaient présents. Par
conséquent, nous aurons à ce sujet un discours assez
cohérent avec ce qui a été dit par les médecins
psychiatres et avec ce qui sera dit également cet après-midi au
nom des victimes et de leurs familles.
Les juges de l'application des peines, que nous représentons, ne sont
pas uniquement des magistrats ayant des fonctions spécialisées.
Nous sommes aussi, très régulièrement (je l'étais
moi-même la semaine dernière encore), assesseurs en cour d'assises
et assesseurs ou présidents de juridictions correctionnelles. Nous avons
donc, de par ces différentes fonctions, une vision assez globale du
processus pénal et, notamment, la possibilité de participer avec
nos collègues à la recherche de la juste peine au moment du
jugement, mais aussi de voir quels étaient les effets de cette juste
peine et de pouvoir éventuellement réajuster cette peine en cours
d'exécution.
Le projet de loi qui est aujourd'hui en discussion, à ce titre, nous
paraît être une bonne avancée dans le sens de ce qu'a
expliqué Mme Cartier ce matin, c'est-à-dire de la
question : que faire, une fois que des gens jugés dangereux ont
fini leur temps de peine en prison, pour continuer à les suivre et
à les contrôler ?
A ce titre, même si je vais émettre quelques réserves ou
quelques bémols sur le présent projet, nous avons une approche
favorable de ce texte. Nous apprécions notamment (c'est une
évolution entre les différents textes qui nous avaient
été soumis) le fait que le suivi judiciaire soit premier dans le
dispositif et que l'injonction de soins soit seconde et facultative lorsqu'elle
est prononçable. En effet (c'est notre expérience de praticiens
qui nous le fait dire), nous sommes plus souvent face à des gens
à qui il va falloir imposer le fait de ne pas travailler dans telles
conditions, de ne pas habiter à tel endroit et de ne pas
fréquenter telle ou telle personne, que face à des
problématiques médicales avec des thérapies à
mettre en oeuvre.
Je pense notamment à un versant qui n'est pas toujours présent
dans nos esprits quand nous parlons de délinquants sexuels : le
versant de tous les faits commis à l'intérieur de la famille. Je
ne vais pas utiliser des termes de psychiatrie, car je n'ai aucune
légitimité ni aucune compétence pour le faire, mais en
parlant de criminologie (domaine dans lequel je me sens un peu plus
compétent), nous pouvons dire, selon nos pratiques, que, par rapport aux
pères, aux oncles ou aux grands-pères incestueux, le rappel
à la loi, qui est formalisé par la décision pénale,
par une sanction qui est de plus en plus lourde ou par l'exécution de
cette sanction, introduit des barrières qui vont très largement
limiter le risque de nouveaux passages à l'acte du même ordre.
On a parlé de la difficulté d'évaluer la récidive,
et le docteur Balier a parlé de personnes qui ont souvent commis
plusieurs actes graves avant d'être prises pour la première fois.
L'étude du ministère qui nous a été soumise et qui
fait partie du projet de loi parle du versant qui vient après en posant
la question de savoir ce qui se passe une fois que la condamnation a
été prononcée. On peut dire que, notamment pour tout ce
qui est intra-familial, on revoit très peu les gens qui ont
été condamnés, du fait du passage judiciaire, de cette
condamnation et de l'exécution de cette peine.
Quand nous opérons des suivis, nous disons au travailleur social qu'un
simple rappel à la loi suffira, c'est-à-dire qu'il convient de
rappeler régulièrement à ce condamné qu'il a
été condamné pour ces faits, que c'est inadmissible et
qu'il n'est pas question qu'il se remette dans les conditions de les
recommencer, en prenant une nouvelle femme, en ayant de nouveau de jeunes
enfants, et ainsi de suite.
C'est un mécanisme de contrôle socio-judiciaire qui nous
paraît justifié comme étant premier dans ce dispositif.
Nous apprécions aussi toutes les dispositions qui vont permettre aux
juges de l'application des peines de répondre directement à
l'inobservation des mesures de contrôle et des obligations dans ce
domaine. Cela va permettre au juge de l'application des peines de prendre,
d'office ou sur réquisition du procureur de la République, une
décision immédiate d'incarcération, parce que les
obligations n'auraient pas été respectées.
Si nous disons que nous y sommes favorables, c'est parce que la
procédure qui existe actuellement pour d'autres peines est tout à
fait insatisfaisante. En effet, en ce qui concerne le sursis avec mise à
l'épreuve, nous faisons un rapport à la juridiction
correctionnelle selon lequel la personne ne respecte pas ses obligations. Ce
rapport est rédigé et transmis, le procureur de la
République audience, avec les délais d'audiencement, et le
tribunal arrive, trois, quatre, cinq ou six mois, voire un an après,
pour décider s'il y a lieu ou non de sanctionner cette inobservation.
La procédure, qui est instaurée par le suivi socio-judiciaire, de
réponse rapide par le juge de l'application des peines, avec, bien
entendu, des garanties procédurales et un appel possible, sans compter
que cette mesure est exécutoire par provision, nous paraît aller
dans le bon sens d'une réponse adaptée et la plus rapide possible
à l'inobservation d'obligations par des délinquants ou criminels
qui sont dangereux ou qui peuvent l'être.
Nous apprécions aussi dans ce projet (et j'en resterai là pour ce
qui est des compliments) le côté "coordination" entre
médecins et juges, et également entre la juridiction et le juge
de l'application des peines.
Il faut savoir que, du fait du fonctionnement sectorisé des
juridictions, il y a une assez grande coupure dans le traitement des dossiers.
L'affaire arrive devant le tribunal, celui-ci rend une décision et il
peut alors se passer des délais de trois, quatre, cinq ou six mois,
voire d'un an dans des cas aberrants, avant que le juge de l'application des
peines compétent au regard de la loi soit saisi officiellement de la
décision et puisse donc commencer à avoir connaissance des faits
qui sont reprochés, convoquer la personne et entamer un suivi, sans
compter (j'en parlerai tout à l'heure) le temps que nous devons mettre
pour faire suivre réellement le dossier par les travailleurs sociaux que
nous avons sous notre autorité.
J'en resterai donc là avec les compliments, parce que je souhaite faire
un certain nombre de remarques sur le texte. Ce ne sont pas des remarques
négatives, mais il s'agit de dangers qui nous paraissent présents
dans le texte et qui pourraient avoir quelques conséquences
fâcheuses.
Premièrement (et je serai rapide sur ce plan), la délinquance ou
la criminalité à laquelle s'adresse la peine en question est
très diversifiée de par les dangerosités que
présentent les individus. Le seul point commun entre toutes ces
infractions, c'est le traumatisme que subit la victime. Qu'il s'agisse d'un
père incestueux ou d'un violeur de femmes adultes, la victime de ces
abus sexuels présente des traumatismes assez voisins. Pour autant, en
termes de prévention de la récidive, les auteurs de ces faits
présentent des dangerosités tout à fait différentes.
Il s'ensuit que nous sommes tout à fait favorables à la souplesse
du texte, qui permet à la juridiction de fond de ne pas être
obligée de prononcer un suivi socio-judiciaire ni l'injonction de soins,
mais bien de réserver ces dispositifs aux gens qui apparaissent les plus
dangereux, et non pas d'adopter une systématisation qui aurait le risque
de banaliser cette peine vis-à-vis de tous les intervenants, y compris
de l'auteur des faits.
A travers la lecture du texte, il y a aussi un certain nombre de questions de
connaissance de la réalité du traitement judiciaire et
pénitentiaire qui apparaissent. L'Assemblée nationale a
débattu de l'opportunité de réductions de peine, de
libérations conditionnelles ou d'autres aménagements de peine
pour ces condamnés, avec la double idée qu'il faudrait que la
personne fasse des démarches positives à l'intérieur de la
prison (parce que tout le monde sent bien qu'il a intérêt à
entreprendre des démarches si cela lui est nécessaire) et qu'il
serait également nécessaire, d'un autre côté, que
des aménagements puissent se faire en cours d'exécution de peine.
Nous pensons que le fait d'inciter aux soins et à un comportement
positif par des mesures d'aménagement, qui sont d'ailleurs toujours
facultatives et laissées à l'appréciation du juge de
l'application des peines sous le contrôle du procureur de la
République, n'est pas un luxe choquant et constitue au contraire un
outil important de prévention de la récidive.
Si on peut dire à une personne : "monsieur, vous avez des troubles
de comportement, mais en faisant des efforts réels" (bien entendu, tout
le travail des experts et du juge va consister à voir jusqu'où
cette incitation de soins est respectée, utile et réelle), "il
peut y avoir un éventuel aménagement de peine", de toute
façon, il faut savoir que cet aménagement reste extrêmement
marginal quand on voit les chiffres : il n'y a en effet que 5 % des
condamnés pouvant prétendre à la libération
conditionnelle qui en bénéficient et, là-dessus, il y a un
certain nombre de personnes qui ne sont pas des délinquants sexuels.
La réalité pénitentiaire est également assez
méconnue. Elle est dramatique, et je ne parle pas de la surpopulation
carcérale ni des conditions matérielles de détention. Le
1er février 1994, a été votée une loi qui avait
été qualifiée de "loi sur la perpétuité
réelle" et qui a prévu que des délinquants
condamnés à un certain nombre de peines seraient mis dans des
établissements spécialisés. C'est ce que rappelle le
projet de loi actuel. Eh bien sachez que l'administration pénitentiaire
a décidé que tous les établissements seraient
considérés comme spécialisés, par décret, et
ce pour une raison toute simple : elle n'a pas les moyens de mettre sept
ou huit mille détenus dans des établissements effectivement
spécialisés. L'élargissement initial de la loi de 1994
à tous les délinquants sexuels a donc faussé le jeu pour
l'administration pénitentiaire.
Or sachez que la plupart des établissements pour peine n'ont pas
d'équipes médicales spécialisées. Les SMPR, dans
lesquels a beaucoup travaillé le docteur Balier, sont principalement
dans des maisons d'arrêt. Il peut donc y avoir des établissements
qui comptent trois à quatre cents détenus avec des infractions de
ce type (Caen, Casabianda, Mozac), où on n'a que des psychiatres
vacataires qui viennent, quand le ministère de la Santé arrive
à en recruter, pour traiter les pathologies aiguës, mais
certainement pas pour entreprendre un travail de fond, avec une équipe
spécialisée.
Il est important de percevoir cette réalité. Tout cela pour dire
que, si vous donnez des objectifs (vous allez bientôt parler du budget du
ministère de la Justice et aussi du budget du ministère de la
Santé), il faut que les moyens viennent à l'appui de ces
objectifs.
Je peux vous parler du centre de détention de Mozac. Ma collègue
y a passé des mois sans que l'hôpital spécialisé qui
est chargé du suivi arrive à recruter quelqu'un qui vienne faire
des vacations minimum dans cet établissement. Il y a bien cela en jeu
derrière. Il ne s'agit pas de dire à un détenu : "si
vous ne vous soignez pas, on considérera que vous êtes dangereux
et on ne vous fera pas sortir" et, dans le même temps, ne pas faire
d'offre de soins.
Il reste deux questions. La première est la suivante : fallait-il
créer une nouvelle peine ? En tant que juristes, conservateurs par
essence puisque nous sommes là pour conserver le droit dans
l'état où il est, nous avons toujours un petit haussement
d'épaules en disant : "fallait-il à nouveau
légiférer ?" Nous pensons toujours que, par rapport à
ce problème, pour donner les outils qui figurent dans ce texte et que
nous approuvons, une simple réforme du sursis avec mise à
l'épreuve suffisait, même s'il y aurait eu effectivement une moins
bonne lisibilité politique, en modifiant les délais et les
conditions de révocation et en précisant l'obligation de soins.
Nous ne sommes pas là pour faire ce choix. C'est le pouvoir
exécutif et le pouvoir législatif qui sont là pour le
faire et nous le respectons, mais nous tenions quand même à le
dire.
Il reste la question des moyens. Tout à l'heure, j'entendais avec
beaucoup de plaisir mes collègues du parquet dire combien nous
étions démunis. Je vais donc vous donner deux chiffres pour vous
faire comprendre la situation : il y a 177 juges de l'application des
peines en postes budgétaires à l'heure actuelle (sachant qu'il y
a deux ou trois créations de poste par an) qui sont présents sur
une centaine de juridictions. Cela signifie qu'il y a au moins 80 tribunaux de
grande instance où nos collègues font cela en plus du reste, et
non pas forcément prioritairement, parce qu'il y a d'autres
priorités dans une juridiction. Parallèlement, nous avons environ
850 travailleurs sociaux travaillant en milieu ouvert et susceptibles de suivre
les cas (les chiffres ont un peu augmenté puisqu'il y a eu quelques
recrutements ces dernières années).
Or nous suivons, à nous tous, 160 000 mesures par an. Il suffit de
faire un ratio. Ce sont des chiffres de l'administration pénitentiaire
et non pas des chiffres "maison" : je vous donne mes sources bien
volontiers...
M. le PRESIDENT
.- Et la commission apprécie.
M. FAUCHER
.- Vous comprendrez vite que nous sommes obligés de
faire des choix de non-suivi de dossiers, c'est-à-dire que nous passons
notre temps, nous, juges de l'application des peines, à définir
des priorités auprès des travailleurs sociaux et à
dire : "on va suivre ces dossiers-ci et non pas ces
dossiers-là".
Il est évident que l'introduction d'une peine nouvelle avec des
exigences (que nous comprenons bien), au nom de la société, de
réel suivi et de réel attachement à ce que va faire
l'individu sur des périodes fort longues (elles peuvent atteindre cinq
ou dix ans, c'est-à-dire que ce ne sont pas des suivis socio-judiciaires
très faciles) va demander du temps et de l'énergie, sans compter
toute la mise en oeuvre qui va consister à créer des dynamiques,
à l'intérieur de la juridiction, entre les parquets, les juges du
siège et les juges de l'application des peines qui en font partie, et
également entre les juges de l'application des peines, les
médecins coordonateurs, les médecins experts et les
médecins traitants. Cela va demander un investissement important dont je
ne suis pas sûr que nous avons bien les moyens aujourd'hui.
Il reste (je vous l'ai fait communiquer), un document détaillant nos
propositions sur le texte, si bien que je n'insisterai pas sur ces propositions
de modification. Il s'agit pour la plupart de propositions de modification qui
sont plus relatives à la forme, afin de mettre le présent texte
en cohérence avec les textes déjà existants.
Je ferai simplement deux ou trois remarques à ce sujet.
Premièrement, il a été instauré par
l'Assemblée nationale un amendement qui introduit la
nécessité d'une double expertise dans un certain nombre de
dispositions pour prononcer l'injonction de soins ou pour que le juge de
l'application des peines puisse la prononcer. Je peux vous dire que nous
n'aurons pas les moyens en experts pour le faire. Certes, à Paris, dans
la région parisienne ou dans les grandes villes, on pourra faire quelque
chose, mais en ce qui me concerne, à Poitiers, je ne sais pas si je
pourrai systématiquement faire appel à deux experts, car il faut
qu'ils puissent être disponibles, qu'ils acceptent les mesures et qu'ils
ne soient pas les médecins traitants du SMPR, ce qui complique un peu
les choses.
Il est clair que mes collègues de Tulle, de Bergerac, de
Périgueux ou de la Rochelle, où il y a un centre de
détention, pour ne parler que de la région dans laquelle je suis,
ne trouveront pas le nombre d'experts suffisants. On risque donc de multiplier
les expertises à tous crins sans en avoir les moyens humains. On peut
toujours espérer, au moyen d'une formation, développer ce travail
de médecine légale, mais, pour l'instant, nous n'avons pas ces
moyens.
Enfin, je souhaite revenir sur un certain nombre de mesures dont nous ne voyons
pas forcément l'utilité dans ce cadre.
Je commencerai par les articles 19 bis et 19 ter qui ont
été introduits par l'Assemblée nationale et qui visent
à renforcer le dispositif de l'article 722, 5ème alinéa,
lui-même introduit par la loi du 1er février 1994. Les articles
19 bis et 19 ter du projet de loi visent à rendre obligatoire
la mesure d'expertise par trois experts, dans certains cas, en exigeant une
expertise préalable avant toute réduction de peine pouvant
introduire une libération immédiate
non pas
de
quelqu'un qui entre dans le cadre du suivi socio-judiciaire mais de toute
personne condamnée pour une infraction de nature sexuelle.
Cela doit représenter 2 000 à 3 000 expertises
supplémentaires sur l'année, et il est clair que si l'on banalise
la mesure expertale par rapport à ces mesures de réduction de
peine, on risque de démobiliser tout le monde, les experts et les juges,
sur l'utilité de l'expertise. Or nous croyons qu'une expertise peut
avoir du sens et être utile, et nous ne pensons pas que le renforcement
de l'article 722, 5ème alinéa, par les articles 19 bis et
19 ter du projet de loi soit utile. Nous proposons la suppression de ces
deux articles, qui engendreront plus de complications pour le juge et les
experts que de contraintes pour le condamné.
Il reste un article qui n'a pas été abordé :
l'article 763-10, qui est présent dans l'article 5 du projet, qui
prévoit les rapports entre le juge des enfants et le juge de
l'application des peines et qui fixe le principe selon lequel le juge des
enfants et le tribunal pour enfants ou la chambre spécialisée des
mineurs à la cour d'appel ont les compétences du juge de
l'application des peines, du tribunal et des appels correctionnels pour les
majeurs. Cela dit, il fixe une barrière, qui est celle des 21 ans.
Si le tribunal pour enfants prononce un suivi socio-judiciaire, à partir
de 21 ans, le juge des enfants est automatiquement dessaisi et ne pourra
plus suivre, et c'est en conséquence le juge de l'application des peines
qui récupère le dossier.
Nous pensons que cette barrière n'est pas une bonne chose. Tout d'abord,
il n'est pas aberrant d'imaginer l'hypothèse de quelqu'un dont le suivi
socio-judiciaire va s'arrêter dans le courant de la 21ème
année. Il n'apparaît donc pas utile de dire a priori qu'il y a un
changement d'interlocuteur entre les juges et les travailleurs sociaux.
Nous préférons un dispositif plus souple qui consisterait
à dire que le juge des enfants est compétent, puisque c'est une
juridiction des mineurs qui a prononcé le suivi et que, s'il l'estime
nécessaire, il peut se dessaisir au profit du juge de l'application des
peines quand la personne est devenue majeure. Cela permet de bien gérer
une certaine cohérence. Le juge de l'application des peines est alors
saisi par le juge des enfants si la mesure doit continuer fort longtemps et si
l'on a affaire à une problématique de majeurs
On peut penser au cas suivant : une cour d'assises de mineurs condamne
quelqu'un (cela arrive assez régulièrement), le mineur
condamné sort quatre ou cinq ans après sa majorité et il
est clair que le collègue juge des enfants saisira le juge d'application
des peines. Mais si c'est un suivi socio-judiciaire prononcé à
titre de peine principale, le problème peut se poser.
Nous proposons donc de supprimer un membre de phrase, ce qui nous semble de
nature à régler la difficulté que nous signalons.
Je terminerai par un dernier problème qui n'a été
abordé ni dans le projet initial, ni dans le texte de l'Assemblée
nationale. Il s'agit d'un problème qu'en tant que juges de l'application
des peines, nous rencontrons au quotidien : quand commence la
mesure ? Nous passons notre temps à chercher quand commence et
quand finit une mesure.
Jusqu'en 1994, parce que les choses n'étaient pas claires, si vous aviez
pris vingt juges de l'application des peines et leur aviez posé une
unique question à ce sujet, vous auriez eu droit à de très
longs débats pour savoir quand commence et quand finit une mesure.
Depuis le nouveau code pénal, certaines dispositions ont
précisé quand commençait une mesure et quand elle
finissait. Mais, dans le projet de loi, il n'est pas précisé
quand commence la peine de suivi socio-judiciaire, notamment quand elle est
prononcée à titre de peine principale. Quand elle est
prononcée à titre de peine complémentaire avec une peine
d'emprisonnement, il n'y a pas de problème : le texte dit en effet
que lorsque la privation de liberté est terminée, le suivi
socio-judiciaire commence.
Mais quand la personne est libre et qu'elle est condamnée à une
peine de suivi socio-judiciaire à titre de peine principale, il est
important que soit fixé le début de ce suivi pour savoir, d'une
part, quand il va se terminer et, d'autre part, quand on va pouvoir commencer
à rencontrer l'intéressé.
Nous faisons donc une proposition cohérente avec le sursis de mise
à l'épreuve en disant :
"dès que la
décision est exécutoire"
, mais il faut que ce soit inscrit
dans la loi, sans quoi on aura la jurisprudence de la Chambre criminelle de la
Cour de cassation qui existait au préalable et qui précise :
"
en l'absence de dispositions particulières, si ce n'est pas quand la
peine est exécutoire, c'est quand la peine est définitive"
,
ce qui implique un délai de deux mois. Vous comprendrez bien qu'il peut
être parfois urgent de ne pas attendre les deux mois pour intervenir
judiciairement et sur le plan socio-éducatif et pour rappeler la
personne à ses obligations.
J'en ai terminé, Monsieur le Président.
M. Godefroy DU MESNIL DU BUISSON
Maître de
conférences à l'Ecole nationale de la magistrature
M. du MESNIL du BUISSON
.- Très
brièvement, Monsieur le Président, j'apporterai quelques
compléments à ce qu'a dit M. le Président Faucher.
Je suis Godefroy du Mesnil du Buisson, j'ai été juge de
l'application des peines pendant huit ans et je suis actuellement maître
de conférences à l'Ecole nationale de la magistrature,
chargé d'enseigner cette fonction. Je suis également
vice-président de l'Association nationale des juges de l'application des
peines.
J'ai remarqué tout à l'heure quelques émois dans la salle
lorsque M. Faucher mentionnait le chiffre de 160 000 mesures dont
sont chargés chaque année les 177 juges de l'application des
peines. Par "mesures", il faut entendre soit "peines", soit
des mesures telles
que la liberté conditionnelle, qui vont placer sous le contrôle du
juge de l'application des peines des personnes qui sortent de prison
conditionnellement. On peut évaluer à environ un tiers des
dossiers ceux qui ne sont pas suivis par les juges de l'application des peines
et les comités de probation.
Par quels moyens ces dossiers vont-ils être signalés ? Ils le
seront soit parce que telle victime se manifestera, ayant découvert quel
est le juge chargé de ce dossier, et dira : "telle personne revient
habiter dans mon quartier alors que ma fille a été victime d'une
agression sexuelle de sa part ; je vous le dis, Monsieur le Juge, pour que
vous puissiez réagir", parce que le traumatisme créé est
important, surtout lorsqu'il n'y a pas eu de peine privative de liberté
; soit lorsqu'une nouvelle infraction est commise, auquel cas le dossier ancien
sera ressorti, ce qui n'est peut-être pas la meilleure manière de
traiter des dossiers jugés.
Je ferai ensuite deux petites observations, l'une portant sur l'information et
l'autre sur l'incitation.
L'un des mérites du projet est de permettre l'information aussi bien du
thérapeute que du médecin coordonateur, et également du
juge de l'application des peines. On a peine à imaginer qu'il y ait un
hiatus, une coupure, entre l'audience de jugement et l'application de la peine.
C'est dire que le dossier qui aura servi de fondement au jugement n'est que
très rarement transmis au juge de l'application des peines qui aura
souvent été extrêmement mal informé et, dans les
pires des cas, informé surtout par le condamné lui-même. Le
dossier étant déposé au greffe correctionnel, les
pièces sont transmises, suivant les juridictions, très
irrégulièrement - il faut le dire - et l'information du
juge de l'application des peines aura pu être, dans de très
nombreux cas, assez lacunaire.
Par conséquent, la disposition de l'article L 355-31, qui prévoit
cette information détaillée par la remise des expertises et du
réquisitoire définitif (et non pas du procès-verbal de
synthèse, qui a été oublié) aussi bien au
médecin traitant qu'au coordinateur et donc, en filigrane, au juge de
l'application des peines, ne peut être qu'extrêmement satisfaisante.
Cette information permettra de résoudre ce hiatus qui a pu exister
pendant bien longtemps et d'amener le juge de l'application des peines (c'est
l'un des autres mérites du projet, et M. le Président Faucher l'a
souligné tout à l'heure) à apporter une réponse
cohérente et efficace. J'ai coutume de dire qu'autrefois, en tant que
juge d'instruction, j'avais plus de possibilités de répondre
à une mise en examen qui n'observait pas le contrôle judiciaire
qu'en tant que juge de l'application des peines lorsqu'un déclaré
coupable ne respectait pas les obligations de la mise à l'épreuve.
Dans le cadre du contrôle judiciaire, on sait que la
rééducation existe alors que, dans le cadre de la mise à
l'épreuve, pour des déclarés coupables, il y a une
procédure de saisie du tribunal que M. Faucher vous a indiquée
tout à l'heure.
Cela permet donc d'obtenir une réponse directe du juge de l'application
des peines qui répondra de manière mesurée, suivant le
cas, aux incidents pouvant survenir.
Le dernier point est la question de l'incitation. Il est prévu dans le
projet actuel que le juge de l'application des peines propose un traitement au
condamné et que cette proposition soit faite tous les six mois. Il ne
nous apparaît pas, dans l'état actuel aussi bien du nombre de
juges de l'application des peines que des délais dans lesquels ceux-ci
sont saisis, qu'il puisse être envisagé que cette disposition
reçoive une application effective.
Autant, pour ce qui correspond à la saisie du juge de l'application des
peine, une incitation annuelle est envisageable, autant une incitation
semestrielle peut être extrêmement difficile à mettre en
oeuvre, voire irréalisable dans le contexte actuel.
Par ailleurs, notre association - vous le savez - n'ignore pas que la
procédure devant la cour d'assises, en particulier, est orale. Par
conséquent, qui est désormais le mieux placé pour inciter
au préalable le condamné, sinon les juges qui ont assisté
à l'audience, qui ont entendu la victime et les parties et qui peuvent,
mieux que quiconque, sensibiliser le condamné à cette
nécessité des soins ?
C'est la raison pour laquelle nous proposons que la première incitation
soit effectuée par le président de la cour d'assises ou par l'un
des juges assesseurs, qui sont les seuls à savoir réellement ce
qui a été dit par la cour d'assises, ce qui reste dans
l'ignorance du juge de l'application des peines. Cette incitation donnant lieu
à une explication du sens de la peine et pouvant donner lieu à un
procès-verbal d'audition permettrait d'éviter qu'au lendemain du
jugement du tribunal correctionnel ou de l'arrêt en matière
criminelle, il y ait une "administrativisation" de la peine qui
amènerait la personne qui se trouve dans un cadre pénitentiaire
à déployer ses plus grands efforts pour faire oublier à
ses co-détenus et oublier elle-même les causes de sa
détention.
Cette incitation par le juge du jugement aurait le mérite de la
rapidité, puisqu'elle pourrait avoir lieu pour les longues peines, bien
évidemment, dès que la décision est définitive,
soit onze jours après son prononcé pour les décisions de
cour d'assises, et permettrait à l'activité judiciaire de prendre
directement le relais, pour éviter que le juge de l'application des
peines, qui serait évidemment destinataire du procès-verbal
d'audition du président de la juridiction ayant fait cette
première incitation, ne soit face à l'absurdité du temps
perdu.
M. DREYFUS-SCHMIDT
.- J'ai simplement quelques questions à poser
très rapidement.
La première s'adresse au docteur Balier et concerne le médecin
coordonnateur. Est-ce qu'il n'y a pas de problème déontologique
à ce qu'il accepte ou non un médecin traitant ? Je vous pose
la question.
M. BALIER
.- Le problème du médecin coordonnateur est
effectivement un gros problème. Tel qu'il est présenté
dans la loi, on le voit se dessiner comme un expert, mais je ne suis pas
persuadé que ce soit la bonne voie. En fait, il m'a toujours
semblé que le médecin coordonnateur devrait plutôt
être du côté des thérapeutes, à charge pour
lui d'engager un dialogue avec le juge de l'application des peines.
En outre, nous verrions l'avantage (nous en avons discuté au niveau de
notre commission), même si c'est difficile à concevoir, d'avoir un
médecin spécialiste dans chaque département, qui serait
nommé par exemple par les DDASS, ou en tout cas par la Santé, en
fonction de ses travaux, etc. Le problème, c'est que l'on ne trouve pas
actuellement beaucoup de médecins de ce genre.
Dans les cas difficiles, j'ai souvent fait état de mon expérience
en Suisse, où j'ai participé, en tant que président,
à une commission pluridisciplinaire (il y avait notamment des
psychologues et des assistantes sociales) destinée à traiter des
gros problèmes. En effet, quand il s'agit de prendre une décision
pour un meurtrier, par exemple, qui est arrivé en fin de peine, qui
poursuit un traitement et dont le traitement ne donne pas tout à fait
satisfaction au médecin traitant, je crois vraiment qu'il faut
être plusieurs conseillers pour pouvoir donner un avis compétent
à l'administration pénitentiaire. C'est ce qui se passe en
Suisse, dans le canton de Vaux.
M. DREYFUS-SCHMIDT
.- Je renouvelle ma question. Je vois qu'il est
prévu que le choix du médecin traitant soit soumis à
l'accord du médecin coordonnateur. Est-ce que cela ne pose pas un
problème déontologique ?
M. BALIER
.- C'est en effet un peu choquant, mais je vais vous donner une
expérience que j'ai déjà citée à plusieurs
reprises. J'ai suivi, pendant des années, des exhibitionnistes. Le
procureur s'étant aperçu que le fait de les mettre en prison
n'avançait pas beaucoup les choses, il leur avait dit : "allez voir
un médecin et ramenez-moi un papier qui prouve que vous êtes
suivis". Ils sont donc allés voir un médecin
généraliste, qui était assez dépourvu.
Ensuite, il y en a un qui avait un peu plus réfléchi et qui s'est
dit : "cela se passe en bas ; il faut que j'aille voir un
urologue".
L'urologue ne s'est pas senti très compétent.
Un autre a encore plus réfléchi en se disant : "c'est en
bas, mais c'est vraiment très particulier", et il est allé voir
une gynécologue...
C'est alors que le procureur a pensé que quelque chose n'allait pas et
qu'il m'a téléphoné pour me dire : "je vous les
envoie systématiquement, et vous voyez comment faire après". Cela
a marché beaucoup mieux et cela a été efficace,
d'après lui.
M. DREYFUS-SCHMIDT
.- Merci. Mes autres questions sont pour le
président Faucher, qui nous a dit qu'une modification de la
législation sur le sursis avec mise à l'épreuve lui aurait
paru suffisante. Quid de ceux qui sont incarcérés ? Pour
ceux-là, je ne vois pas comment cela aurait pu suffire.
M. FAUCHER
.- On aurait très bien pu envisager d'élargir
les conditions d'octroi du sursis avec mise à l'épreuve et de le
rendre plus pertinent, notamment en matière criminelle, parce que,
à l'heure actuelle, on ne peut pas le prononcer en matière
criminelle.
M. DREYFUS-SCHMIDT
.- Je suis d'accord, mais comment peut-il y avoir un
suivi socio-judiciaire ?...
M. FAUCHER
.- En prison ? Il y en a un, parce que le condamné
est là. Quant aux débats pour savoir si on doit interférer
ou non sur les soins, ils me paraissent un peu vains. Le condamné sait
très bien qui, à la fin de la peine, va pouvoir
éventuellement le faire sortir plus tôt ou non. C'est le juge de
l'application des peines qui est tout à fait en mesure de dire :
"Monsieur, il y a une offre de soins dans l'établissement ; comme
vous n'y allez pas, j'en tiendrai compte, bien entendu".
M. DREYFUS-SCHMIDT
.- Est-ce que le suivi socio-judiciaire est
prévu également pour les gens qui sont
incarcérés ?
M. FAUCHER
.- Le suivi socio-judiciaire, si j'ai bien compris
l'économie du texte, ne s'exerce pas juridiquement, mais on rappelle en
tout cas qu'un jour, il va y avoir la libération et qu'il y aura
à ce moment-là des exigences, si bien que le condamné a
tout intérêt à commencer dès l'incarcération.
On le fait déjà quand il s'agit d'un sursis de mise à
l'épreuve avec obligation de soins, quand il s'agit de préparer
la sortie et de dire : "attention, Monsieur, vous allez sortir dans
quelques semaines ou dans quelques mois".
M. JOLIBOIS
.- La mesure commence à la sortie de prison, mais
pendant l'incarcération, on leur dit : "vous pouvez vous faire
soigner". Ce n'est pas le même système.
M. DREYFUS-SCHMIDT
.- Concernant les établissements
pénitentiaires spéciaux qui sont prévus pour les auteurs
de meurtres accompagnés de viols, de tortures et de barbarie, n'est-il
pas ennuyeux de prévoir que ce soit dans les mêmes
établissements que l'on met tous ceux qui seront suivis, alors qu'il
peut y avoir des cas beaucoup moins graves ?
M. FAUCHER
.- En fait, on se pose des questions par rapport à ces
établissements spécialisés sans avoir une réponse
précise. On ne sait pas s'il faut regrouper ce type de
délinquants avec d'autres et les mélanger. On n'a pas vraiment de
réponse parce que, pour l'instant, il n'y a pas de réponse de
l'administration pénitentiaire qui permette d'y voir clair.
Toujours est-il qu'en attendant, ces délinquants sont regroupés
dans des établissements où il n'y a pas de centres de soins et
sont mélangés à d'autres dans des établissements
où il y a des centres de soins mais où le fait d'aller voir le
psychiatre est un aveu de culpabilité de ce type de fait
vis-à-vis du reste de la population pénale. Ils se disent :
"si je vais voir le psychiatre, je montre que je suis un
"pointeur" et à
la première occasion, je risque d'avoir des représailles de la
part des autres détenus. Donc je ne vais pas voir le psychiatre."
Je crois que l'administration pénitentiaire se pose aussi des questions
à ce sujet. Le fait qu'elle ait répondu à la loi du 1er
février 1994 en disant que tous les établissements sont
spécialisés prouve qu'elle n'a pas de réponse certaine
dans ce domaine.
M. DREYFUS-SCHMIDT
.- Enfin, j'ai une double question à poser sur
les pouvoirs que l'on donne au juge de l'application des peines qui pourrait
décider lui-même, après un débat. Cela m'avait
choqué à première vue, mais vous dites que c'est
très bien parce que cela ira beaucoup plus vite. On peut donc en
discuter (et nous aurons l'occasion de le faire), mais ne craignez-vous pas,
surtout, alors que vous êtes déjà peu nombreux avec
beaucoup de travail, que cela ne retarde encore le reste de votre travail s'il
y a de véritables débats avec le procureur, l'avocat, etc. ?
M. FAUCHER
.- On peut partir du principe (et on le voit bien dans le
cadre d'autres mesures) que, lorsqu'un contrôle s'exerce, on ne va pas
systématiquement à la révocation ou à la mise
à exécution à la fin. Donc cela va concerner (on peut
l'espérer malgré tout) une minorité de gens qui ne
respecteront pas ces obligations. Par conséquent, on n'aura pas des
audiences tous les jours.
Cela dit, de toute façon, nous faisons déjà ce travail
d'une autre manière, puisque nous constituons un dossier qui va saisir
le tribunal correctionnel. On peut argumenter auprès du tribunal
correctionnel en expliquant pourquoi il faut révoquer, sachant
qu'à la fin, au lieu de dire : "
par ces motifs, disons mettre
à exécution"
, on dit : "
par ces motifs, disons saisir
le tribunal correctionnel et disons que M. le Procureur, etc..."
Donc nous faisons déjà ce travail. Le fait qu'il y ait des
débats ne me paraît pas compliquer les choses de manière
démesurée. En tout cas, grâce à cette intervention,
nous allons enfin disposer de véritables moyens d'exercer nos mesures. A
ce jour, nous n'avons pas le pouvoir du mandat d'arrêt, du mandat
d'amener et du mandat de comparution, qui nous sont refusés par les
textes actuels, ce qui fait que, lorsque quelqu'un est dans la nature, qu'on le
fait rechercher et qu'il est inscrit dans le fichier des personnes
recherchées, s'il est arrêté alors que nous ne sommes pas
là, il est relâché immédiatement, parce qu'il n'y a
aucun titre pour le détenir.
M. DREYFUS-SCHMIDT
.- J'en viens à ma dernière
question : est-ce que, d'une certaine manière, le juge des mineurs
n'a pas suffisamment de travail (lui aussi, le malheureux) avec les mineurs
pour ne pas lui donner encore la charge des gens qui ne sont plus
mineurs ?
M. FAUCHER
.- On lui laisse la possibilité de se dessaisir.
M. le PRESIDENT
.- Il peut quand même paraître curieux de
décider qu'à 21 ans, alors qu'il y en a encore pour six
mois, on doit changer de juge.
M. DREYFUS-SCHMIDT
.- Pour moi, la majorité est à 18 ans,
Monsieur le Président.
M. le PRESIDENT
.- Oui, mais c'est 21 ans pour le tribunal des
enfants, et vous le savez bien.
M. FAUCHER
.- La mesure va jusqu'à 21 ans pour les juges des
enfants et pour les protections "jeunes majeurs", c'est-à-dire
qu'effectivement, ils peuvent intervenir jusqu'à 21 ans, mais
uniquement à la demande.
M. le PRESIDENT
.- S'il reste cinq ou six ans quand on atteint
21 ans, il est évident que l'on changera de juge.
Pierre Fauchon m'a demandé la parole.
M. FAUCHON
.- J'ai une question très simple et tout à fait
ponctuelle, Monsieur le Président. Vous avez cité des chiffres
qui ne nous ont pas surpris, puisque vous savez que nous travaillons sur ce
problème des moyens de la justice de notre mieux depuis
déjà plusieurs années. Cela dit, vous avez cité ce
nombre de juges par rapport au nombre des affaires qui devraient être
traitées, et le rapprochement des dossiers donne un résultat
quelque peu effrayant.
Cela dit, est-ce que je vous gêne si je vous demande de nous indiquer
quel serait le nombre normal de juges de l'application des peines qu'il devrait
y avoir dans notre pays ?
M. le PRESIDENT
.- Pour l'application de la loi ?
M. FAUCHON
.- Je dirai presque dès maintenant, puisque nous sommes
déjà très en-dessous.
M. JOLIBOIS
.- Est-ce que c'est le nombre de juges complémentaires
que vous demandez ?
M. FAUCHON
.- On me répondra comme on le voudra : soit le
nombre de juges qu'il faudrait en plus, soit le nombre total de juges. J'ai
noté qu'il y en avait 177. Je demande simplement un ordre de grandeur.
M. FAUCHER
.- En ordre de grandeur, je vous donnerai simplement les
chiffres que, au début des années 70, le ministère de la
Justice annonçait comme étant les ratios de juges de
l'application des peines : un juge de l'application des peines pour 800
mesures en milieu ouvert (je parle de mesures en flux, ce qui fait environ 500
mesures en stock), un juge pour 350 détenus en établissements
pour peine et un juge pour 500 détenus en maison d'arrêt.
Je précise qu'il y a 3,25 ou 3,5 collègues à Evry, par
exemple, alors qu'il y a 5 000 détenus à Fleury. Il faudrait
donc recruter une dizaine de juges supplémentaires.
Je ne dis pas qu'il faut forcément rejoindre ces critères, parce
que cela devient des moyens démesurés, et nous avons nous aussi
conscience de la limite des réponses budgétaires qui peuvent nous
être apportées, mais il est clair que l'amélioration de la
situation passerait à nos yeux avant tout par la budgétisation de
postes de juges de l'application des peines sur l'ensemble des juridictions.
Aujourd'hui, nous avons des collègues qui sont nommés par
l'Assemblée générale et qui exercent à 10 ou
20 % quand ils ont le temps de le faire. Par conséquent, ils n'ont
pas ces moyens de contrôle.
La budgétisation des postes permettrait de dire qu'il y a un juge de
l'application des peines en titre dont la fonction première est
d'être un juge de l'application des peines. Ensuite, il ferait comme
nous : nous faisons autre chose et nous rendons service à la
juridiction en étant présidents d'audience ou assesseurs et en
prenant des audiences civiles quand c'est nécessaire, mais nous sommes
d'abord des juges spécialisés.
Le deuxième problème, c'est que de nombreux établissements
pour peine sont dans des petites juridictions, pour des raisons
d'équilibre du territoire, où il y a très peu de
magistrats, et c'est ainsi que le juge de l'application des peines, à ce
titre, est mis à toutes les sauces, parce qu'il n'y a que quatre
magistrats du siège et que pour composer une audience correctionnelle,
il en faut trois. Pendant ce temps-là, il ne peut pas être dans
l'établissement pour peine dans lequel il devrait être
présent et actif.
Il faut donc redéfinir ses charges de travail qui ne sont pas
satisfaisantes aujourd'hui.
M. le PRESIDENT
.- Nous avons déjà entendu à
différentes occasions cette théorie qui a été un
peu celle de la commission : le fait que l'on ne peut pas mettre en
application une réforme si les moyens ne sont pas réunis. C'est
un problème que nous poserons à Mme le Garde des
Sceaux.
On nous a dit par exemple que l'on ne pouvait pas continuer la réforme
de la cour d'assises parce que les moyens nécessaires n'étaient
pas réunis. Ici, nous nous apercevons que ce qui est prévu comme
moyens pour la Justice est peut-être le minimum et aussi que rien n'est
dit sur les dépenses énormes qui vont incomber au
ministère de la Santé.
Ce sont des questions que nous poserons, et le gouvernement prendra ses
responsabilités. C'est une théorie que, sur tous les bancs de
cette commission, nous avons tellement souvent mise en avant que je pense que
c'est une théorie de la commission tout entière et qu'elle ne
varie pas au fur et à mesure des textes présentés.
Il y a toute une série de points qui incombent au ministère de la
Santé. On pourra vous en faire la liste et vous en verrez le coût.
Messieurs, je vous remercie.
LES MEMBRES DU CORPS ENSEIGNANT
____
Mme Maggy LEROY-HYEST
Médecin conseiller
auprès de l'Inspecteur d'Académie, responsable du service de
promotion de la santé en faveur des élèves de
Seine-Saint-Denis
Mme Maggy LEROY-HYEST
.- Je vous remercie tout d'abord
de me permettre de témoigner sur l'action de l'école
(c'est-à-dire directeurs, chefs d'établissement, enseignants,
personnels médico-sociaux) lorsqu'un mineur a
révélé qu'il était victime d'un abus sexuel. Mon
témoignage essaiera de montrer la situation que nous connaissons et
l'amélioration entrevue par le nouveau texte.
En tant que conseiller de l'inspecteur d'académie et responsable du
service de promotion de la santé en faveur des élèves, je
travaille en Seine-Saint-Denis, qui compte près de 300 000
élèves.
Cette année, les médecins du service ont reçu 1 553
appels pour enfants en danger contre 1 342 l'année
précédente, soit une augmentation de 16 %. Il est à
noter qu'en cinq ans, il y a eu progression de 43 % des appels, 70 %
d'entre eux émanant de l'école (direction et enseignants).
Sur ces 1 553 appels, 82 étaient pour des suspicions d'abus
sexuels, soit plus de deux par semaine ; 25 émanaient
d'écoles maternelles, 32 d'écoles primaires et 25 du
second degré. Nous en connaissons très rarement les suites
après signalement.
A partir de ces appels, différents points sont à envisager.
Le premier est le degré de gravité et d'urgence impliquant dans
l'immédiat le signalement au procureur et à l'aide sociale
à l'enfance, ou la possibilité de se donner le temps de la
concertation entre les différents intervenants auprès de l'enfant
(je devrais ajouter qu'il peut s'agir aussi bien de la victime que de
l'agresseur lorsqu'il s'agit d'un jeune).
Le deuxième point est la situation de l'auteur présumé de
l'abus sexuel dans le milieu familial (adulte ou jeune), hors milieu familial
(adulte ou jeune) et dans le milieu institutionnel scolaire ou
périscolaire (adulte ou jeune). Depuis les toutes dernières
années, le nombre de jeunes agressés par d'autres jeunes augmente
de manière sensible, voire inquiétante.
Le troisième point est relatif aux circonstances de la
révélation.
En Seine-Saint-Denis, plusieurs institutions, dont le Conseil
général, l'Inspection académique et la justice, ont mis en
place des comités de lutte contre les abus sexuels avec les
médecins scolaires et de PMI, des assistantes sociales et les personnels
du planning. Ces comités réalisent des séances de
prévention dans les écoles et les établissements, soit en
prévention banale, soit après agression dans une école
où se trouve une jeune victime ou un jeune agresseur.
Il peut arriver que, pendant ou après une séance de
prévention de la maltraitance et des abus sexuels, un enfant fasse une
révélation à son enseignant, aux animateurs ou aux
médecins scolaires. L'enseignant qui assiste à la séance
est informé qu'il peut faire appel au médecin scolaire ou aux
personnes du comité si un enfant révèle une maltraitance
ou un abus sexuel en dehors de cette information.
D'une manière plus générale, la révélation
peut se faire à tout moment, le plus souvent à un enseignant ou
au chef d'établissement, par la victime elle-même, par ses
camarades, la famille ou les voisins.
En cas d'abus sexuel, particulièrement, il est demandé aux
enseignants d'écouter l'enfant et de ne pas poser de questions risquant
d'induire les réponses. Le soin de l'interrogatoire est, bien
évidemment, laissé à la police et à la justice,
mais il peut arriver que le personnel enseignant ou d'éducation fasse
appel au médecin scolaire pour l'aider dans la rédaction du
signalement, pour constater des coups, ou bien parce que l'enseignant a du mal
à réaliser le dire indicible de l'enfant.
L'information à la famille, selon la situation, se fait par le chef
d'établissement ou directeur d'école, en présence ou non
du médecin scolaire ou de l'assistante sociale scolaire.
S'il s'agit d'un cas intra-familial, l'école ne prévient pas la
famille et suit les instructions du procureur ou de l'inspecteur de l'aide
sociale à l'enfance.
Dans tous les cas où la famille n'est pas impliquée,
l'école va expliquer les démarches et les suites possibles. Si le
médecin scolaire pense que c'est nécessaire, il propose à
la famille de venir le revoir ou de faire suivre l'enfant sur le plan
psychologique, avec le souci de ne pas interférer dans l'enquête.
Beaucoup de familles de notre département ne connaissent pas bien le
monde de la justice.
Quelques situations intra-institutionnelles ont amené les
différentes institutions du département à réaliser
une plaquette donnant des repères sur la conduite à tenir dans
l'établissement scolaire vis-à-vis des enseignants, des autres
élèves et de leur famille dans le respect de la loi et de la
présomption d'innocence.
Dans la majorité des situations extra-familiales (agression en milieu
scolaire ou aux alentours, en centre de loisirs ou autre par un adulte ou un
jeune), la victime, les parents, les frères et soeurs et les camarades
sont souvent traumatisés, et des interventions urgentes pour
écouter et apaiser doivent être mises en place. Ces interventions
nécessitent, de la part des médecins scolaires,
compétences, disponibilité et expérience.
Actuellement, ces mêmes médecins, qui doivent intervenir dans des
situations également traumatisantes de grande violence dans les
écoles ou établissements du département, ont du mal
à assurer sur leur propre secteur les tâches plus banales mais non
moins nécessaires de santé scolaire. Les enfants en danger ou
victimes d'abus sexuels sont, pour les médecins scolaires du
département, l'une des toutes premières priorités qu'ils
ont de plus en plus de difficultés à assumer en raison de
l'insuffisance de recrutement.
Autre point à aborder : le signalement étant
effectué, les suites données à la situation ne sont plus
connues de l'école qui, de ce fait, ne peut plus accompagner
efficacement la famille et le jeune. Parfois, la famille souhaite changer
d'établissement et quitter le secteur. L'ancienne école ne peut
plus aider et la nouvelle n'est pas souvent informée, selon la
volonté de la famille. Il me semble que le soutien devrait être
complètement extérieur.
Le manque d'accompagnement et de suivi des jeunes victimes interroge les
médecins scolaires qui ne peuvent pas intervenir efficacement
auprès de ces jeunes dans le cadre de leur mission. L'inquiétude,
voire la frustration, des personnels sanitaires et sociaux vient de leur
impression de ne pas pouvoir suivre et aider les victimes et leur entourage.
Lorsqu'un jeune est agresseur, la situation est aussi difficile, car, souvent,
ce jeune a lui-même été victime.
En conclusion, face à ce fléau de la maltraitance et des abus
sexuels, il est nécessaire de pouvoir répondre à plusieurs
niveaux : prévention, révélation, signalement,
accompagnement dans le suivi scolaire et accompagnement avant, après et
pendant l'action de la justice. Les quatre premiers éléments
relèvent du rôle de l'école ; le dernier n'est plus de
notre ressort mais il est essentiel et devrait pourvoir s'articuler avec
l'accompagnement du suivi scolaire, si cela est favorable à l'enfant.
La formation des enseignants et des personnels médico-sociaux qui se met
en place est à renforcer et à développer pour que chacun
contribue, à sa place, à lutter efficacement contre ce
fléau.
Par rapport au texte de loi en projet en ce qui concerne les victimes,
l'accompagnement me semble tout à fait indispensable pour toutes les
familles et les victimes qui en ont besoin, et ce le plus précocement
possible.
De même, l'enregistrement de l'interrogatoire des victimes me semble de
nature à leur éviter de revivre le traumatisme mais doit
s'entourer de grandes garanties, que l'on a évoquées toute cette
matinée.
Quant à l'information du chef d'établissement, lorsqu'il s'agit
d'agresseurs dans l'enceinte de l'école ou aux alentours, elle me
paraît tout à fait indispensable pour aider le jeune, victime ou
agresseur, dans sa réinsertion scolaire et dans ses difficultés
scolaires éventuelles, mais je laisserai le chef d'établissement
en parler en début d'après-midi.
M. le PRESIDENT
.- Je vous remercie, Madame, de cet exposé sur
votre expérience de terrain. C'est dans un département voisin du
mien que cette action est menée et chacun d'entre nous - vous le
savez - essaie d'y répondre à l'échelon
départemental.
Je ferai une seule remarque. Il est bien certain que le nombre d'affaires
signalées tient en partie au fait qu'un tabou qui existait il y a dix
ans dans tous les milieux a été levé. A l'école, on
n'en parlait pas, les médecins étaient réticents et les
informations étaient extrêmement limitées.
Maintenant, faut-il parler de fléau ? C'est sûrement un
problème qui existe, mais parler de fléau, c'est grave. En tout
cas, si, d'aventure, nous en étions menacés, nous voudrions tout
faire pour l'éviter.
M. MAHEAS
.- On ne peut pas parler de fléau, mais les chiffres
sont quand même significatifs, puisque vous avez vu l'augmentation des
cas dans un département comme le nôtre.
Cela dit, il est vrai qu'il y a la conjonction de deux
éléments : le fait que, maintenant, on parle plus librement,
mais également le fait que certains actes sont constatés alors
qu'ils ne l'étaient pas auparavant.
Je voudrais donc poser une question complémentaire au docteur au sujet
de notre projet de loi qui porte sur la prévention et la
répression des infractions sexuelles, mais également sur la
protection des mineurs. Concernant la protection des mineurs, ce texte parle
notamment (et cela intéresse aussi le chef d'établissement) de
l'aggravation des peines contre certaines infractions commises en milieu
scolaire et, plus particulièrement, dans le domaine des trafics de
stupéfiants et des consommations d'alcool, des délits liés
à la corruption des mineurs qui se passe à l'intérieur de
l'établissement scolaire, mais également à la sortie et
à l'entrée de celui-ci.
C'est un problème énorme, mes chers collègues. Celui dont
nous avons traité toute la matinée est aussi un problème
énorme, mais celui-là est peut-être en train de devenir,
effectivement, un fléau.
Je souhaite donc demander au docteur quelles sont les actions possibles. Est-ce
que l'Education nationale s'est portée partie civile à certains
moments ou ne fait-elle que des signalements ? Nous, élus, nous
nous portons rarement partie civile, mais je pense qu'il va falloir qu'on nous
en donne la possibilité quand il se passe des choses à la sortie
des écoles. Est-ce que, de votre côté, vous avez ce genre
d'action typique pour protéger à la fois les jeunes et les
enseignants ?
Mme LEROY-HYEST
.- Je pense que je laisserai davantage le chef
d'établissement répondre à cette question. Il me semble
que le partenariat instauré dans notre département est une
première réponse. Mais, effectivement, il m'apparaît aussi
que les liaisons directes ou les circuits de signalement directs au procureur
sont une réponse. Là encore, j'insiste sur le partenariat. C'est
dans un tel but que cette action est menée.
M. Gérard DEVIS
Proviseur du Lycée
Pothier d'Orléans
M. DEVIS
- Merci, monsieur le président,
de ces mots chaleureux prononcés également en aparté.
J'exerce des fonctions de direction dans un lycée depuis vingt trois
ans. Auparavant, j'étais professeur de biologie et géologie.
Je suis proviseur au Lycée Pothier d'Orléans qui compte
près de 2.200 élèves, dont 850 élèves de
classes préparatoires et - ce n'est pas sans doute pas étranger
à ma présence - une section sports-études judo qui a fait
la " une " de l'actualité lors de la rentrée scolaire
pour une affaire de bizutage.
Après avoir écouté les intervenants de ce matin :
juristes, médecins, j'ai quelque scrupule à prendre la parole
tant j'ai l'impression d'avoir beaucoup plus appris que je ne pourrai vous
apporter moi-même. Je vous apporterai donc un témoignage d'homme
du terrain d'un établissement scolaire, avec deux ou trois points
d'éclairage sur le projet de loi, avant de répondre à vos
questions éventuelles.
M. le PRÉSIDENT
- Votre établissement comporte-t-il des
sections " prépas " et avez-vous de bons
résultats ?
M. DEVIS
- Sur les 2200 élèves, 850 sont en classes
préparatoires littéraires, économiques et commerciales. Et
nous avons de bons résultats.
Dans mes fonctions de chef d'établissement, je suis à la fois un
homme de terrain et un éducateur, tout comme mes collaborateurs
conseillers d'éducation, proviseurs-adjoints et professeurs.
Dans ce cadre, nous souhaitons un cadre juridique assez clair pour agir, et ce,
pour deux raisons : se sentir à l'aise dans la profession, et être
en mesure d'apporter la connaissance de la loi à nos
élèves dans l'acte éducatif. Nous avons donc à
connaître les lois qui régissent la vie quotidienne de nos
élèves et à les leur rendre accessibles.
Outre le respect de la loi, les établissements scolaires ont un
règlement intérieur. Il me paraît donc essentiel de bien
distinguer ce qui relève de la loi de ce qui relève du
règlement intérieur de l'établissement.
Je ne parlerai pas des agressions sexuelles dont sont parfois victimes nos
élèves en dehors de leur statut de lycéen ou de
collégien. S'agissant du " bizutage ", peut-être y
a-t-il un risque de confusion dans certains esprits entre le règlement
intérieur et la loi, avec le sentiment que l'établissement est en
quelque sorte, par nature, hors-la-loi. Une fois la porte franchie, une autre
loi s'appliquerait : le règlement. Du coup, on se sent un peu
protégé.
Enfin, n'oublions pas que la "loi du silence" a joué pendant de
nombreuses années dans des domaines dont les médias commencent
à s'emparer, comme vous avez pu le constater cette année.
Nous avons donc à conduire une information préventive en
direction de tous les jeunes sur les sujets qui vous préoccupent. Pour
ce faire, il faut assurer une bonne connaissance des textes. Comme vous l'avez
compris, je n'ai aucune compétence dans le domaine juridique. J'en ai un
peu honte dans la mesure où Pothier, dont le lycée porte le nom,
était un brillant juriste et l'un des pères-fondateurs du Code
civil si je ne me trompe.
Nous avons donc à connaître ces lois, à les expliquer,
à mettre en garde les élèves, qui sont le public potentiel
des actions de bizutage, contre cette interdiction et les sanctions qui
pourraient résulter d'une transgression des interdits. Nous le faisons
évidemment dans des réunions d'accueil, tant auprès des
élèves de la section " sports-études " dont j'ai
dit quelques mot tout à l'heure que des classes préparatoires.
Certains établissements - le Lycée Saint-Louis pour ne pas le
citer - prévoient des engagements écrits des élèves
de classes préparatoires pour ne pas verser dans ces actions de
bizutage.
Nous avons aussi l'obligation morale d'inviter les jeunes à briser la
loi du silence quand ils ont été victimes d'actes de bizutage
répréhensibles par la loi.
Evidemment, malgré une bonne information, dès lors que des
mesures d'interdiction sont prises, il y a risque de transgression des
interdits, notamment de la part des adolescents. Les psychiatres qui sont venus
témoigner pourraient en parler mieux que moi : il est presque dans
la nature des choses d'être tenté de franchir les interdits.
Il faut donc expliquer les interdits, avoir une démarche
éducative complémentaire par rapport à la loi. Puisque
nous avons mission de faire appliquer la loi, nous devons insister sur le
respect d'autrui. D'un point de vue déontologique, on doit s'interdire
de porter atteinte à la dignité des individus dans un
établissement scolaire.
La formule a été reprise dans le projet de loi, mais elle me
paraît trop vague et doit forcément donner lieu à
débat dans un établissement scolaire, pour savoir ce qui est
permis, ce qui est interdit, et quel est le seuil de l'atteinte à la
dignité. Je ne prendrai qu'un seul exemple d'un bizutage, avec des
degrés très divers dans la gravité des faits. Pour les
judokas, faire des "pompes" dans le couloir est une forme de bizutage.
Généralement, nous avons affaire à de beaux
athlètes et les étudiants de deuxième année se
permettent de demander aux "bleus" de première année de faire ces
" pompes ", y compris devant la gent féminine de la classe.
Ce
n'est pas facile à accepter, même s'ils sont habitués aux
exercices physiques. et aux "pompes" que leur demande leur entraîneur
dans le cadre d'un entraînement bien programmé. Mais cela se passe
dans un autre contexte où il n'y a pas atteinte à la
dignité.
Dès lors, il appartient au législateur de savoir à quel
moment il y aura atteinte à la liberté, à quel moment on
sera dans le domaine de ce qui reste acceptable, tolérable. Il nous
appartiendra de savoir si les faits sont répréhensibles par la
loi ou s'ils relèvent de sanctions disciplinaires. C'est un réel
problème.
Je voudrais revenir sur la "loi du silence" à propos de laquelle la
commission des lois n'a pas à se prononcer, mais qui empoisonne la vie
depuis très longtemps dans les établissements scolaires.
J'ai évoqué tout à l'heure la distinction à faire
entre la loi et le règlement intérieur, la notion d'un
établissement "fermé" par rapport à son environnement.
Cette "fermeture" s'explique notamment par la protection par rapport à
un environnement parfois délicat. Historiquement, la fermeture a
quelquefois eu une autre dimension ; on pensait pouvoir y faire
régner la loi, une loi propre à l'établissement. C'est
sans doute l'une des raisons de l'absence de remontée en surface de
phénomènes de bizutage qui, manifestement ne datent pas de 1997.
Les faits que j'ai vécus en tant qu'élève d'école
normale d'instituteurs étaient aussi graves que ceux que j'ai
été amenés à sanctionner cette année dans
mon établissement.
Tout cela ne relève plus uniquement du domaine même
législatif mais aussi de la réflexion interne au ministère
de l'Education nationale, avec les chefs d'établissements, les
collectivités, les communautés scolaires. Pour les
établissements scolaires, c'était sans doute la peur de la
médiatisation parfois outrancière, la peur du qu'en dira-t-on, la
peur de voir l'image d'un établissement scolaire écornée,
qui a amené à étouffer les affaires, à masquer la
réalité. Dans certains cas, je n'ose imaginer qu'il y ait eu des
preuves formelles. Sur la base de rumeurs qui s'amplifient, on a pu
éviter de trop creuser les choses pour ne pas se retrouver en
difficulté. Il y a là matière à réflexion.
Cela étant dit, pour en avoir discuté avec de très
nombreux collègues, les mentalités ont considérablement
évolué. Une nouvelle loi, une réactivation des textes
actuels, peut-être une synthèse des textes faite dans le cadre
d'une circulaire ministérielle en début d'année scolaire
et portée à la connaissance des membres de la communauté
scolaire, pourrait avoir un bon impact. Les adultes, les jeunes doivent
comprendre que la loi s'applique avec toute sa rigueur également au sein
des établissements scolaires, et que le Règlement
intérieur ne s'y substitue pas à la loi de l'Etat
français.
Le Règlement intérieur doit rappeler l'interdiction en termes
clairs. Il n'est pas là pour se substituer à la loi ; il
n'est fait que pour la compléter sur des dispositions de vie quotidienne
en particulier et parfois la reformuler en termes simples et accessibles
à tous, sachant que les lycées et collèges ne sont pas
peuplés que de juristes en puissance. Le Règlement
intérieur est là pour formuler les idées, pour les rendre
accessibles à tout le monde, et pour les raccrocher à l'acte
pédagogique, à l'acte éducatif et au respect des autres.
M. le PRÉSIDENT
- Merci, Monsieur le proviseur. Vous avez fait
allusion à quelques faits que j'avoue ne pas connaître à
propos de votre section " sports-études ".
M. DEVIS
- Monsieur le président, malgré nous, nous avons
fait la " une " des médias suite à des actes de
bizutage qui m'ont amené à enquêter très rapidement
et à sanctionner deux élèves. L'un d'eux est passé
en conseil de discipline après avoir été exclu
provisoirement de l'établissement. L'information a été
transmise à l'inspecteur d'académie. En outre, certains faits,
relativement graves ayant une connotation sexuelle, le procureur de la
République en a également été informé.
La chaîne hiérarchique a très bien fonctionné : Mme
la ministre des Enseignements scolaires est venue le lendemain même dans
l'établissement, avec évidemment tous les médias.
L'opération menée au niveau de l'établissement a eu une
résonance nationale.
M. le PRÉSIDENT
- Monsieur le proviseur, je me permets de vous
interrompre : pensez-vous qu'un ministre ne peut pas se déplacer sans
média ?
M. DEVIS
- Vous me permettrez de ne pas répondre à cette
question. J'ai constaté que les médias étaient là.
Dans un premier temps, l'écho qui a suivi a été assez
désagréable pour l'établissement qui était en
quelque sorte montré du doigt : il y avait du bizutage au lycée
Pothier. Comme ensuite, on nous a rendu hommage d'avoir traité le
problème avec fermeté, cela ne fut pas complètement
négatif pour l'établissement. C'est également ainsi que
l'on fait avancer les choses sur un plan plus général.
M. le PRÉSIDENT
- Merci de cette précision.
La parole est à M. Jolibois.
M. JOLIBOIS
- Une question, monsieur le proviseur : certes la loi du
silence empêche de savoir, mais quand on sait.. ! Autrefois, dans
certains cas, on savait !
Quelles sont les sanctions que vous pouvez prendre ? Vous pouvez
intervenir disciplinairement quand il y a dérapage du bizutage, pour
autant que l'on puisse faire une distinction entre " bon "
bizutage
et bizutage " dérapé ", qui serait un délit
actuellement poursuivi. Qu'avez-vous à votre disposition ? Vous
l'avez d'ailleurs utilisé.
M. DEVIS
- Selon la gravité des faits, cela va de l'avertissement
- qui n'est que l'annonce d'une sanction ultérieure en cas de
récidive ou d'une autre faute - à l'exclusion temporaire et au
conseil de discipline avant une exclusion définitive de
l'établissement.
M. JOLIBOIS
- Et aussi de déposer une plainte auprès du
procureur. (assentiment de M. Devis). Voilà donc les armes à
votre disposition. A votre connaissance, de nombreux chefs
d'établissement n'utilisent pas ces armes, non pas forcément
à cause de la loi du silence, mais parce qu'ils pensent que ce n'est pas
suffisamment grave pour prévenir le procureur. Cette décision
repose entre vos mains en fait.
M. DEVIS
- Il est vrai que l'on a un pouvoir d'appréciation de la
gravité des fautes commises dans un établissement scolaire, de ce
qui relève de la discipline de l'établissement et de ce qui est
une faute par rapport à la loi et relève éventuellement du
pénal. Il y a donc là, à l'évidence, un besoin de
formation complémentaire pour les chefs d'établissement.
Cette année, pour la première fois depuis longtemps, une
circulaire signée des deux ministres de tutelle, M. Allègre et
Mme Royal, a été publiée lors de la rentrée
scolaire . Elle faisait le point sur un certain nombre d'articles du Code
pénal concernant les interdits et les sanctions dans le cadre de la
violence ou de l'agression sexuelle.
Il est vrai que dans le bizutage - terme très ambigu qui peut
également comporter des éléments positifs - on trouve une
forme d'atteinte à la dignité de l'individu qui ne relève,
ni de l'agression sexuelle, ni de la violence au sens physique, mais qui place
l'individu en position délicate par rapport à un public qui
l'humilie. C'est peut-être sur ce point que l'on aurait besoin de
précision.
M. BONNET
- Vous avez déjà répondu partiellement
à ma question. J'ai également connu la tradition du bizutage
à l'Ecole normale. J'ai failli subir le bizutage mais j'y ai
échappé grâce à ma stature qui m'a permis de
résister à mes agresseurs. Mais ceci est une vieille affaire.
Néanmoins, je me pose la question parce que j'ai été
témoin, à cette époque déjà, de sanctions
contre des élèves de l'Ecole normale d'instituteurs qui avaient
abusé.
La question que je me pose maintenant est la suivante : il y a une circulaire
aujourd'hui. Faut-il encore légiférer ? L'outil dont nous
disposons n'est-il pas suffisant ? Je pose ma question naïvement et
je n'ai pas d'a priori dans ce domaine. Cela dit, je voudrais faire
l'économie d'un texte dans la mesure où l'on n'en a pas besoin.
Vous avez pratiquement répondu à la question, peut-être pas
assez précisément à mon goût. En tant que praticien,
avez-vous encore besoin de textes plus précis ?
M. DEVIS
- En tout cas, sur les atteintes à la dignité, on
a besoin au minimum d'une explication et d'une action pour permettre aux
établissements de se mettre au diapason. S'agissant de la loi et
n'étant pas juriste, j'avoue une relative incompétence dans ce
domaine pour vous répondre plus précisément.
M. BADINTER
- J'avais le sentiment que " violence "
et
" violence physique ", c'est aussi toutes les formes de
contrainte
morale auxquelles on ne peut pas résister. La violence, c'est ce qui est
contrainte.
M. JOLIBOIS
- Et la mise en danger selon le nouveau Code pénal.
M. BADINTER
- Je cherche, mais la spécificité
m'échappe.
M. HOEFFEL
- Le propos est sans doute raide, mais les politiques en
prennent parfois aussi " plein la figure ". Ne pensez-vous
pas que le
prétexte d'une loi consacrant le bizutage comme quelque chose de
condamnable, permettrait à certains patrons d'établissements de
s'abriter, alors que, jusqu'à présent, ils pensaient que ce
n'était pas interdit par la loi puisque c'était admis,
toléré ? Faut-il vraiment changer la loi ?
M. DEVIS
- Je ne sais pas si on tolérait vraiment. De nombreux
collègues ignorent ce qui se passe réellement.
Vous avez fait allusion à l'époque où nous étions
élèves-maîtres ; pour ma part, je suis convaincu que le
directeur de l'Ecole normale de l'époque ignorait ce qui se passait dans
son établissement. (Signes de protestation) Du moins, ne pouvait-il
connaître les choses les plus graves, ou alors il était fautif
à l'extrême car il les couvrait.
M. le PRÉSIDENT
- A mon époque, mon proviseur savait
très bien tout cela !
M. DEVIS
- Peut-être les mentalités ont-elles aussi
évolué chez les proviseurs.
Si l'arsenal juridique existe, tant mieux. Néanmoins, une loi qui
préciserait les choses en matière de bizutage pourrait avoir un
impact psychologique sur la population scolaire. Cela permettrait de dire que
les choses ont changé. Dans ce domaine, on avance toujours par
pallier ; peut-être a-t-on besoin de se sentir conforté. Je
reste donc modérément affirmatif, n'ayant pas tous les tenants et
aboutissants sur le plan juridique.
M. le PRÉSIDENT
- Y a-t-il d'autres questions ? (non)
On entend surtout parler de bizutage dans les classes
" prépas ". Pour ma part, cela ne me choque pas.
M. Michel DREYFUS-SCHMIDT
- Monsieur le président, je n'avais pas
d'autre question à poser, mais si l'on attaque le débat, je suis
de l'avis de M. le proviseur, à savoir que j'ai souvent combattu
les effets d'affiche. En l'occurrence, cela peut psychologiquement
démontrer que des choses sont interdites alors qu'on ne pouvait pas le
savoir.
Je ne voulais pas le dire, réservant cela pour le débat.
M. le PRÉSIDENT
- Vous avez eu raison.
M. DEVIS
- Pour conclure en ce qui me concerne, certains
défenseurs du bizutage, voire d'une forme de bizutage assez dur,
s'appuient sur le côté initiatique de celui-ci : on entre dans une
caste, on doit faire ses preuves, souffrir un peu etc. Cela ne touche
d'ailleurs pas uniquement l'Education nationale.
M. HOEFFEL
- Il y a le Ku Klux Klan !
M. DEVIS
- Cette année, j'ai l'exemple d'un étudiant qui
avait réussi quatre concours d'entrée dans des écoles
d'ingénieurs et à l'Ecole de l'Air. Il était très
motivé, il avait son brevet de pilote pour entrer à l'Ecole de
l'Air et il en a démissionné au bout de quatre jours pour cause
de bizutage. Il se retrouve en licence de physique - ce qui n'a rien de
déshonorant - mais il pouvait faire mieux.
Il y a donc ce sentiment d'appartenir à une caste et cette valeur
initiatique du bizutage. Implicitement, cela revient à l'idée que
la loi s'arrête à l'entrée de la caste. Cela me gêne,
non seulement par rapport à la loi elle même, mais aussi sur le
plan éducatif. Il faut savoir que tous les actes qui sont commis durant
cette période de l'adolescence et dans le système éducatif
ont en quelque sorte valeur d'exemple. On est dans une période
d'éducation, même si celle-ci peut se poursuivre jusqu'au dernier
souffle. Cela me paraît important de ce point de vue aussi.
LES PARENTS DES VICTIMES
___
M. Alain BOULAY
Président de l'Association Aide
aux Parents d'Enfants Victimes
M. BOULAY -
Mesdames et messieurs, je ne suis un
professionnel, ni de la justice, ni du monde médical. Je m'adresse
à vous en en tant que représentant des victimes, des enfants
victimes, et surtout en tant que représentant des parents qui ont perdu
un enfant, assassiné ou disparu. Notre association regroupe un
très grand nombre de ces familles.
Pour nous, éviter l'assassinat d'un enfant, c'est tout d'abord
s'intéresser aux milliers d'enfants maltraités, agressés,
torturés et violés. Il faut prendre le problème
très en amont.
Au mois de mai dernier, à la veille de la discussion du projet de loi de
M. Toubon, la dissolution de l'Assemblée nationale avait
" freiné " nos espoirs, nous étions forcément
assez déçus, ayant beaucoup travaillé sur ce projet.
L'espoir nous a été rendu puisque le projet revient aujourd'hui,
presque dans son intégralité. Le Gouvernement l'a repris à
son compte, certainement en l'améliorant puisque déjà, le
traitement de ces individus et leur suivi socio-judiciaire a été
séparé, ce qui comble une lacune du texte
précédent.
Aucune agression sexuelle n'est anodine. Les psychiatres en ont parlé ce
matin. Quand on parlait d'attouchements ou d'exhibitionnisme, pendant tout un
temps, tout le monde ricanait, presque grassement. C'était le
début d'un phénomène très grave avec, en l'absence
de la barrière sociale que constituent la loi et le jugement, une
escalade de la perversion, et de la violence. Cette escalade aboutira
très souvent au viol, et parfois au meurtre.
Ce matin, on a évoqué les statistiques officielles. Quelqu'un
avait souligné que les pédophiles récidivaient à
100 pour-cent. C'est un peu notre avis. Le chiffre est-il exact ? Je n'en
ferai pas une querelle.
Je me pose une question : lorsque l'on va incarcérer un père
incestueux qui aura agressé son ou ses enfants pendant plusieurs
années, va-t-on parler de récidive ou considérera-t-on que
c'est la première fois qu'il a agressé, même si cela a
duré plusieurs années ?
Lorsqu'un éducateur sera arrêté en fin de carrière,
comme ce fut le cas cette année, et que l'on s'apercevra qu'il a
agressé trente à cinquante enfants dans sa vie, sans que personne
n'ait eu à en connaître, s'agit-il d'une récidive, oui ou
non ?
Pour moi, la récidive est celle de l'acte. Or, les chiffres qui nous ont
été donnés concernent la récidive des
condamnations. Il ne faut pas mélanger ces deux éléments,
le plus grave étant bien sûr la récidive de l'acte.
Le texte qui nous est présenté aujourd'hui me paraît
forcément incomplet, car rien n'est parfait. Vous êtes là
pour l'améliorer ; tout le monde veut l'améliorer. Notre
association y est tout à fait favorable.
En premier lieu, il ne faut pas laisser dans la nature des individus que l'on
sait dangereux. Cette prise en charge des agresseurs sexuels à leur
sortie de prison est une nécessité absolue. Actuellement, on
considère qu'ils ont purgé leur peine vis-à-vis de la
société et qu'ils n'ont donc plus de compte à lui rendre.
Dans ce cas-là, on les laisse sortir et ils récidivent.
Le texte est très complet, mais j'aimerais vous donner la vision des
victimes sur certains points.
J'ai été très intéressé par tout ce qui a
été dit ce matin, et tout particulièrement par
l'exposé très clair du professeur Cartier qui a
disséqué chaque point de ce texte. Elle a rappelé certains
flous que j'avais relevés dans le texte sur les différentes
terminologies : par exemple, on ne parle plus de " peines
complémentaires ". La première fois que j'ai lu le texte,
j'ai cru qu'il n'y avait plus de peine du tout. Or, le texte précise
bien qu'un suivi sera établi au moment du jugement. Ce qui est
donné au moment du jugement s'appelle une peine. Si cela s'ajoute
à une peine carcérale, cela s'appelle bien une peine
complémentaire. Appelons donc un chat un chat.
De la même manière, on parle d'injonction de soins en disant qu'il
n'y a plus d'obligation. Cela rassurera sans doute de nombreux médecins
à qui l'obligation faisait peur. Certes, il y a injonction de soins,
mais si la personne n'est pas d'accord, elle retourne en prison. Ce n'est pas
une obligation. Encore une fois, on tourne autour des choses.
Je ne m'attacherai pas aux termes, et si l'on ne peut pas parler de peine
complémentaire et que l'on en reste à " injonction de
soins ", je l'accepte bien sûr. L'essentiel est que la loi passe
sans querelle de terminologie, même si, à certains moments, j'ai
l'impression qu'on essaie de noyer les choses pour ne pas devoir les dire trop
clairement.
A propos, de l'injonction de soins, j'ai en mémoire plusieurs cas, en
particulier celui de M. Van Geloven , l'assassin de deux petites filles, Ingrid
et Muriel. Cela se passait dans le sud de la France en 1993. Cet individu avait
agressé à plusieurs reprises des petites filles par des
attouchements et de l'exhibitionnisme. A chaque fois, son casier judiciaire
avait été " nettoyé " par un magistrat et il se
retrouvait donc avec un casier judiciaire vierge. Il était
également suivi par un psychiatre - que j'appellerai un psychiatre de
ville - ce qui ne l'a pas empêché d'aller tuer deux enfants !
Pour tendre à la plus grande efficacité , je souhaiterais que le
médecin traitant ne soit pas choisi au hasard mais sur une liste de
médecins spécialisés et spécialement formés.
On disposera d'une liste de médecins pour le médecin
coordonnateur ; il conviendrait que les médecins traitants figurent eux
aussi sur une liste de médecins agréés.
" L'injonction de soins " occupe une grande place dans le
texte, mais
la peine de suivi socio-judiciaire ne se limite pas simplement à cela. A
mes yeux, les mesures de surveillance sont encore plus importantes. Ce matin,
le professeur Balier en a longuement parlé ; ces mesures de surveillance
me paraissent répondre au souci majeur d'éviter les
récidives en limitant les contacts entre ces individus et les enfants -
j'allais dire - pour ne pas les tenter.
A mon avis, ces mesures devraient être obligatoires - le professeur
Cartier en a parlé - et accompagner automatiquement les jugements. Pour
l'instant, c'est laissé à une certaine appréciation du
tribunal. Cela peut être dangereux. On pourrait aussi imaginer que cette
peine soit automatique. Le contenu serait bien sûr sous la
compétence et la responsabilité des juges, soit au moment du
jugement soit par le juge d'applications des peines qui peut encore
aménager cette peine. Au moins aurait-on la certitude qu'à la
sortie de prison, le délai aura été suffisant pour
permettre aux médecins et aux magistrats de faire quelque chose. C'est
le plus important.
Parmi ces mesures, la plus spectaculaire, celle sur laquelle nous insistons
beaucoup, est l'interdiction d'exercer toute activité professionnelle ou
bénévole en contact avec des mineurs. Cela dit, cette
interdiction ne doit pas être limitée à cinq ou dix ans,
selon que l'acte a été qualifié de crime ou de
délit, mais doit être définitive, à vie.
Il ne faudrait pas faire régresser la loi. Actuellement, des personnes
ont une interdiction à vie d'exercer une profession en contact avec des
enfants. Elles sont par exemple exclues de l'Education nationale. La
différence est que ce n'est pas dit exactement de la même
façon. Il ne faudrait donc pas que la loi aille en-deçà de
ce qui existe.
Toujours à propos de cette interdiction qui est un élément
essentiel, le plus important est de savoir comment elle sera appliquée.
Va-t-on simplement sanctionner quelqu'un qui va exercer, ou va-t-on lui
interdire d'exercer ? Ces deux questions me paraissent fondamentales. Pour
ma part, je souhaiterais savoir comment cette interdiction sera
appliquée.
Va-t-on mettre en place des moyens particuliers, des procédures ?
Nous proposons de mettre une contrainte à l'embauche, à savoir
que la responsabilité pénale de l'employeur puisse être
engagée si celui-ci embauche une personne frappée de cette
interdiction. A l'employeur ensuite de se retourner vers n'importe quel
organisme, que ce soit le casier judiciaire s'il n'est pas blanchi, pour
s'assurer que la personne peut avoir un contact avec les enfants.
La meilleure solution serait cette contrainte d'embauche pour que
l'interdiction soit faite en amont, et non pas en aval, au moment d'une
sanction si la personne a transgressé l'interdit.
Je compléterais également ces mesures de surveillance (cfr.
article 131-36-1.1) concernant les mesures d'accompagnement du suivi
socio-judiciaire par une interdiction de résidence dans la région
où réside la victime. Très souvent en effet, à sa
sortie de prison, l'individu revient dans sa région - qui est parfois un
voisin - avec le risque de se retrouver face à sa victime. Je sais
qu'aujourd'hui, certains juges d'application des peines prononcent des
interdictions de résidence. J'aimerais que cette interdiction de
séjour dans la région où vit la victime figure dans le
texte de loi. De même, pour tous les étrangers installés en
France, je souhaiterais que figure une interdiction de séjour en France
car je ne pense pas que si ces individus viennent agresser des enfants en
France, ils puissent continuer à vivre chez nous.
Je voudrais également revenir sur l'inexécution du suivi dont on
a parlé ce matin. Il est précisé que la personne qui ne
veut pas se faire soigner retournera en prison deux ou cinq ans selon la peine
infligée. C'est vrai pour l'injonction de soins. Comme on ne peut
obliger personne à se soigner, le condamné préfère
parfois rester en prison.
Pour tout ce qui concerne le suivi socio-judiciaire, je ne comprends plus. On
ne peut quand même pas se dédouaner de cinq ans de prison pour
pouvoir ensuite retrouver un poste à l'Education nationale ! Cette
inexécution de suivi ne devrait valoir que pour l'injonction de soins.
Si cinq ans après l'injonction de soins, la personne sort de prison, le
suivi socio-judiciaire doit, lui, continuer, et toutes les interdictions
afférentes doivent être maintenues. La personne incriminée
n'est jamais dédouanée de l'obligation de ne plus approcher des
enfants. Cela me paraît primordial dans le mesure où le texte ne
le précise pas.
Cette partie, importante à nos yeux, constitue la base de la lutte
contre la récidive. Bien sûr, notre association s'est beaucoup
intéressée à tout ce qui concerne l'aide aux victimes et
à toute la partie relative au soutien aux victimes.
Même si nul n'est censé ignorer la loi, personne ne la
connaît parce qu'on ne l'apprend nulle part ; il n'y a plus
d'éducation civique à l'école. La victime est
confrontée au monde judiciaire sans rien savoir. Nous demandons donc
qu'il soit fait obligation aux magistrats de recevoir les victimes ou leurs
familles très rapidement après les faits pour leur expliquer les
procédures et leurs droits. C'est d'application pour les
délinquants puisque dès la garde à vue, on leur
précise quels sont leurs droits et qu'ils peuvent avoir recours à
un avocat, alors que cela n'est jamais précisé aux victimes.
Une procédure spécifique aux victimes devrait donc être
mise en place.
Dans le texte précédent de M. Toubon figurait un amendement
de la commission des Lois prévoyant cette mesure. Cet amendement qui n'a
pas été repris et j'aimerais qu'il le soit dans le nouveau projet.
Dans ce nouveau projet, est également évoquée la
possibilité d'extension aux associations du droit de se porter partie
civile. On estimera à juste titre que c'est fort bien, dans la mesure
où des enfants ont été agressés et que des
associations peuvent les soutenir. En tant que président d'association,
je ne vous dirai pas le contraire.
Cela étant dit, il y a une limite à tout. J'avoue que les
associations ne devraient pouvoir se porter partie civile qu'avec l'accord de
la victime, si elle le peut. On voit trop souvent des associations qui se
servent de procès très médiatisés comme d'une
tribune pour assurer leur propre publicité, et ce, contre l'avis des
victimes. Dans ce cadre, ce serait utiliser une victime à des fins
partisanes.
J'avais conçu une idée où les parties civiles se
situeraient à deux niveaux : d'une part, des parties civiles
primaires ou principales, qui seraient la victime, le plaignant ou son
représentant, et d'autre part, des parties civiles plus secondaires qui,
elles, n'auraient peut-être pas exactement les mêmes droits,
sachant que l'on ne peut pas placer au même niveau des victimes et des
associations qui pourraient se servir de ces tribunes.
Il convient donc d'être extrêmement prudents à cet
égard. Le texte précise que : " les associations ne
peuvent se porter partie civile que si les victimes sont d'accord ",
mais
je connais une multitude de cas où c'est totalement faux.
Je voudrais également revenir sur l'audition et l'utilisation de la
vidéo. Nous souhaitons fortement que l'audition des enfants victimes
soit limitée. Je pense ici aux enfants maltraités et aux enfants
agressés. L'enregistrement vidéo est un outil important.
Néanmoins, je m'interroge, notamment sur la valeur d'un
témoignage. Ces vidéos seront vues lors du procès
d'Assises, remplaçant le témoignage de l'enfant. Actuellement, un
témoignage est un document écrit figurant au dossier. Dans le cas
de la vidéo, il s'agira d'un témoignage verbal et gestuel. Il y
aura donc une interprétation de l'attitude de l'enfant suivant la
sensibilité de telle ou telle personne.
Avec cet enregistrement vidéo, la notion même de témoignage
va évoluer. Je ne dis pas que j'y suis opposé, mais il faut en
prendre parti. Imaginons un enfant qui a été violé, qui
est bien entouré, et imaginons que cet enfant s'en sorte. Dans un
enregistrement vidéo de son audition, cet enfant ne donnera pas l'image
d'un enfant accablé, mais celle d'un enfant normal. Certains risquent de
penser que cet enfant n'est pas traumatisé, que ce n'est pas si grave,
et que donc, il n'y a pas un délit si grave.
Il faut donc être extrêmement vigilant sur l'enregistrement
vidéo et il conviendrait de mettre en place un protocole pour que les
choses se fassent de façon carrée et correcte.
Quant à la détention de la cassette vidéo, il faut savoir
si celle-ci constitue une pièce du dossier ou une pièce à
conviction. S'il s'agit d'une pièce du dossier, c'est très grave
puisque toutes les parties peuvent avoir copie des pièces du dossier.
D'autre part, étonnamment, il a été dit que l'on n'en
faisait qu'une copie. S'il y a dix parties civiles plus la défense, il y
aura onze copies, obligatoires en tant que pièces du dossier.
Dans ces conditions, le risque est grand de retrouver tout cela dans tous les
médias (radios, télévision et journaux), dès le
lendemain. Nous demandons donc que cette pièce fasse partie du dossier,
mais ne soit pas considérée au même titre que les autres
pièces afin qu'aucune copie ne soit donnée à aucune
partie. Cela reste valable, y compris lorsque l'affaire est jugée et que
le dossier peut être remis. Ce matin, on parlait de la destruction. Il
n'est pas question que dix ans plus tard, une émission sur tel ou tel
fait rappelle par exemple que le ministre Untel a été
violé il y a vingt ans et montre un extrait de la vidéo. On ne
sait jamais ce qui peut se passer. Là aussi, il y a quelque chose
à faire, s'agissant de la vie privée de l'enfant qui a
témoigné pour le procès et non pas pour sa vie
entière.
Sur la prise en charge financière des victimes, on a dit que les frais
médicaux étaient pris en charge à cent pour cent pour les
victimes mineures de moins de quinze ans. Un amendement a été
rejeté, un peu rapidement à mon sens, par l'Assemblée
nationale lors du débat auquel j'assistais. Nous n'avons pas trop bien
compris. Nous demandons donc l'extension à tous les mineurs de la prise
en charge, ainsi que la prise en charge des parents et des frères et
soeurs. On sait que le traumatisme est global pour la famille. Cette prise en
charge doit pouvoir être assurée en cas de
nécessité.
Il serait surprenant que la prise en charge complète des victimes soit
refusée au moment même où la société va
prendre en charge, pendant des années, le traitement des agresseurs. Les
victimes paient et le traitement des agresseurs ne serait pas payant !
Toujours en matière financière, on s'intéresse beaucoup
à la commission d'indemnisation des victimes (civi) qui va ensuite
rembourser les familles. On demande que certaines dispositions soient
modifiées et que le Fonds de garantie prenne en charge tous les frais de
copie du dossier. La copie du dossier, qui n'est pas prise en charge,
coûte très cher aux familles ainsi que les frais d'avocat. Tous
ces frais sont à charge des familles et des victimes.
De même, on souhaiterait que les procédures liées à
cette commission soient allégées. Actuellement, lorsqu'une
affaire est jugée, il faut retourner devant la civi. On demande que les
sommes, accordées systématiquement par le procès civil qui
suit le procès pénal, soient versées automatiquement aux
victimes. Une procédure permettrait ensuite au Fonds de garantie de se
retourner contre l'auteur des faits qui a été condamné. Ce
n'est peut-être pas à la victime de devoir se retourner contre
l'auteur des faits. De nombreux parents subissent des traumatismes qui
perdurent encore après le procès. Le Fonds de garantie fait
généralement appel et il faut encore des années pour
obtenir les indemnisations justement méritées ou les
remboursements de frais.
Par rapport au projet précédent, j'ai été
étonné que l'on n'évoque plus du tout la détention
de cassettes pédophiles, pornographiques, que l'on ne condamne plus
spécifiquement dans la loi. Toute cette partie a été
complètement gommée ; on ne parle plus que d'incitation
à la débauche sur les mineurs.
Je suis d'autant plus surpris que le congrès de Stockholm de 1996 avait
été très clair à cet égard et que la France
avait ratifié tous les critères qui en avaient
émergé : tout matériel pornographique devait
être sanctionné. Cela a complètement disparu de la loi.
Dans le procès " Toro Bravo ", il a quasiment fallu un
artifice pour condamner les détenteurs dans le cadre de la notion de
recel. Or, cette notion de recel intervient dans le cadre d'un vol. Quelqu'un
qui achète légalement à l'étranger ou en France une
cassette qu'on lui dit pédophile ensuite, pourra affirmer que ce n'est
pas du recel. Le terme de " détention de matériel
pornographique mettant en scène des enfants " devrait donc
être sanctionné de façon explicite dans le texte.
Sans vouloir entrer dans le détail, je suis tout à fait favorable
à l'élargissement du délai de la prescription, à la
création du fichier d'empreintes génétiques, à la
présence du magistrat pour décider de la sortie d'individus qui
ont été frappés des responsabilités pénales
au titre de l'article 122. De même, nous sommes favorables à
toutes les mesures contre le tourisme sexuel. Tous ces points sont fondamentaux
et nous les soutenons.
Par ailleurs, nous souhaiterions voir étendre les mesures de protection
des mineurs de moins de 15 ans à tous les mineurs. L'article 19ter le
prévoyait. Certains ont demandé qu'il soit supprimé. Nous
préférons qu'il soit maintenu pour pouvoir, le cas
échéant, l'étendre à tous les mineurs.
Enfin, nous souhaitons que toutes les mesures contre les agressions sexuelles
soient étendues à toute la maltraitance sur enfant pour
éviter tout sectarisme sur tel ou tel type de maltraitance où
l'on considérerait que certaines maltraitances sont
avérées et d'autres peut-être pas.
Un dernier mot concernant les enfants disparus dont on n'a pas beaucoup
parlé. Notre association regroupe des familles dont les enfants ont
disparu ; pour moi, ces enfants sont en danger. Le crime se mondialisant,
nous souhaiterions qu'un texte oblige les services de police et de gendarmerie
à signaler toute disparition d'enfant à Interpol. Actuellement,
cela relève en quelque sorte du " bon vouloir " d'un juge ou
d'un enquêteur. Dans de nombreux cas, Interpol n'est pas saisi pour la
disparition d'un enfant qui aurait pu passer une frontière, tout
simplement par ce qu'il y a l'intime conviction que cela s'est
déroulé dans la région et qu'il n'y a pas sortie du
territoire national.
Or, les cas sont fréquents. Interpol ne coûte rien, nous sommes en
contact avec eux. Les informations sont mises dans un fichier mondial, et cela
ne peut qu'être bénéfique aux enfants disparus. De plus, ce
n'est pas très difficile à faire.
Pour conclure, je dirai que cette loi qui - je l'espère - sera
votée, fait l'unanimité malgré de petites divergences.
Cela dit, des moyens financiers doivent être mis en place pour qu'elle
soit appliquée dans tous ses aspects. Par exemple, la création du
fichier d'empreintes génétiques implique une autorisation
préalable du Conseil d'Etat. Il serait souhaitable que cette
procédure ne retarde pas la mise en place effective d'un tel fichier.
De la même manière, concernant l'interdiction d'exercer un
métier, des mesures devraient être prises pour que cette
interdiction soit réelle et ne reste pas lettre morte.
J'ai bien conscience que de voter une loi est relativement facile, et que la
faire appliquer est difficile, car il faudra faire changer les
mentalités de tous ceux qui appliquent la loi. Des problèmes
éthiques existent : en particulier, s'agissant de la création de
fichiers, certains ne sont pas d'accord. Il en va de même lorsqu'on
touche au secret professionnel. Le texte inclut ces éléments. Il
faut se rappeler que la protection des enfants doit vraiment passer au-dessus
de tout. La Convention des droits de l'enfant, ratifiée par la France,
le demande ; la France devrait donc s'y conformer.
M. le PRÉSIDENT -
Nous vous remercions très vivement de
votre intervention. Nous savons l'arrière-plan, pour vous, de tout cela.
Nous avons compris combien vous vous étiez élevé,
au-delà de circonstances personnelles douloureuses, pour
réfléchir à l'ensemble du problème.
Vous avez donné un certain nombre d'indications tout à fait
précises. Sans doute, notre rapporteur voudra-t-il reprendre certains
points.
M. JOLIBOIS -
Monsieur le président, l'analyse est très
complète. Monsieur Devis, vous avez dit qu'on ne poursuivait pas le
détenteur de cassette. Il apparaît que cela ne figure pas dans le
texte parce que le délit pour détention de cassette tombe sous le
coup de la loi sur le recel. Il est vrai que la détention de cassette
peut poser bien des problèmes, alors que toute la jurisprudence du recel
est extrêmement cadrée. Sachez que ce problème sera
analysé et ne nous échappera pas.
M. BOULAY -
Je vous remercie.
LE RÔLE DES MAGISTRATS CHARGÉS DE LA JEUNESSE
____
Mme Anne-Marie VIGNAUD
Juge des enfants à
Bordeaux
Mme VIGNAUD -
Monsieur le président, je remercie
la commission des Lois de m'avoir invitée pour échanger quelques
années d'expérience et toute une réflexion que nous avons
menée à Bordeaux sur cette question des mineurs victimes d'abus
sexuels.
Après avoir été substitut du procureur pendant quelques
années, je suis maintenant juge des enfants à Bordeaux - par
conviction dirais-je - depuis plus de dix ans. Je parlerai en mon nom propre et
au nom de mon collègue, Christian Cheumiène, qui a partagé
ma réflexion et mes propositions d'articles que nous vous avions soumis
en mars dernier. Je veux aussi évoquer toute une expérience que
nous avons menée au tribunal de Bordeaux depuis 1993, expérience
dont la convention a été signée par le président du
tribunal de grande instance de Bordeaux, par le procureur de la
république, par M. le bâtonnier, les experts et une association
spécialisée d'éducateurs.
Après M. Boulay, je suis ici, en tant que juge des enfants, pour
demander au législateur qu'il donne enfin un véritable statut
à l'enfant victime. Car de qui parlons-nous et de quoi parlons-nous
lorsque l'on parle de l'enfant victime dans le cadre de la procédure
pénale ? Cet enfant, dans la procédure pénale,
n'existe pas, il est " incapable " au sens juridique du
terme. Il
convient de le rappeler car cela a des conséquences.
Cela signifie que l'enfant ne peut choisir lui même un avocat, que
l'enfant ne peut demander un acte d'instruction, que l'enfant ne peut demander
une modalité dans l'enquête. Il doit passer par quelqu'un, en
l'occurrence ses parents, représentants légaux, titulaires de
l'autorité parentale. Ce sont eux qui doivent être aux
côtés de l'enfant chaque fois que cela est possible. Nous verrons
que, malheureusement, 80 pour cent des affaires judiciaires nous montrent
que cela n'est pas possible.
Dès lors, dans toute la mesure du possible, il faut que cet enfant
vienne parler. Imaginez quand même ! Ces enfants de 8, 10, 15 ans
doivent pouvoir parler de sodomie, de viol, d'agression sexuelle ! Compte
tenu du statut de l'enfant, si l'officier de police judiciaire, si le juge
d'instruction le décide ainsi, l'enfant sera entendu seul, sans son
père, sans sa mère. Rien, dans la loi, ne dit que la
présence du parent est obligatoire. J'en appelle donc avec beaucoup de
conviction à vous, législateurs. Le corps législatif, le
corps social, le corps politique ont à s'honorer si, enfin, la loi
accorde à l'enfant un véritable statut. Car ce texte de loi, qui
m'intéresse et dont je n'aurai pas le temps de parler article par
article, aborde la question, mais par bribes.
Il est question d'enregistrement vidéo, d'accompagnateur, de
psychologue. Un psychologue est là pour soigner, pour faire de la
thérapie ; il n'est pas là pour assister l'enfant dans tous
les actes de la procédure. Reparlons-en donc.
Je vous demande d'inscrire dans la loi le principe selon lequel,
désormais, dans notre pays, tout enfant qui sera victime d'agression
sexuelle doit être assisté dans tous les actes, dès le
début de l'enquête, dès le dépôt de la plainte
- c'est très important - par son ou ses parents chaque fois que cela est
possible. Cela signifie que ce parent ne doit pas être
évacué si on pense que pour les commodités de
l'enquête ou de l'instruction, il vaut mieux entendre l'enfant seul.
Nous sommes de bons juges, nous savons parler aux enfants. Ce n'est pas de nous
dont il s'agit, c'est des enfants. L'enfant ne sait pas que vous êtes un
bon juge ; il ne connaît que son parent. Ce parent n'intervient pas
dans la procédure pénale, mais sa présence rassurante,
étayante, à ses côtés, doit être
assurée du premier au dernier acte. Voilà en tout cas ce qui est
souhaité - je ne sais pas ce qui est souhaitable - lorsque les enfants
sont victimes d'agression sexuelle extérieure à la famille.
Mais de quoi parlons-nous ? La réalité judiciaire est que
plus de 80 pour cent des affaires que nous traitons concernent des enfants
victimes d'agressions sexuelles dans leur milieu familial : le père, le
concubin, le grand-père, l'oncle, le grand frère ; tous ces
agresseurs familiers de l'enfant qui sont traduits devant les tribunaux !
Pourquoi les enfants parlent-ils aujourd'hui ? Pourquoi sommes-nous sortis
du monde du silence ? A cet égard, il convient de rappeler la loi
du 10 juillet 1989 qui fait obligation à tous les travailleurs sociaux
de " dire ". Nous ne sommes plus dans la période du secret.
Le
secret coûte cher à notre mémoire : à Bordeaux,
on peut le dire justement aujourd'hui ! Nous sommes donc sortis du monde
du secret, du silence, et les enfants parlent. Mais une fois qu'ils ont
parlé, que faisons-nous ?
Ces enfants, victimes d'infractions sexuelles dans leur milieu familial,
étaient entendus jusqu'à maintenant dans des conditions
" bricolées " : un voisin, un assistant social, des
gens
qui allaient les accompagner, les soutenir de façon très
parcellaire. Si la parole est libératrice, les enfants veulent que cela
s'arrête. Arrive donc un moment où ils craquent, où ils
parlent. Mais après, que faisons-nous pour les soutenir, lorsque le
sentiment de culpabilité et la souffrance entrent également en
jeu.
Certes, il faudra des soins, mais avant de pouvoir se faire soigner, encore
faut-il comprendre ce qui se passe dans le cadre du procès pénal.
Nous disons - certains auteurs l'ont repris - qu'après le traumatisme de
l'agression, le traumatisme du procès est un second traumatisme pour
l'enfant.
Nous souhaitons donc que vous précisiez fermement dans la loi que chaque
fois que les titulaires de l'autorité parentale sont défaillants
ou mis en cause, un accompagnateur soit désigné pour l'enfant
dès le premier acte de l'enquête, dès cette fameuse
plainte. Cet accompagnateur ne peut pas être n'importe qui. Cela ne peut
pas être un psychologue, même si pour moi, un psychologue n'est pas
n'importe qui. Mais ce n'est pas son travail. Est-ce lui qui, ensuite, va
accompagner l'enfant chez le gynécologue, chez l'expert
médico-légal lorsque celui-ci voudra l'examiner ? Est-ce lui
qui va l'accompagner devant le juge d'instruction lorsque ce dernier voudra
l'entendre, etc.
Il faut savoir qu'il y a aussi de nombreux actes, bien que le texte permette
d'éviter la multiplication de certains actes. Consacrons donc dans la
loi que chaque fois que des mineurs sont victimes d'agresseurs
extérieurs à la famille, le parent doit être
présent, admis dans les cabinets d'instruction, admis devant les
officiers de police judiciaire, sans que cela crée de nullité. En
effet, la présence aujourd'hui d'une personne extérieure à
la procédure peut entraîner la nullité de la
procédure.
Deuxième point : lorsque l'agresseur fait partie de la famille, pour de
multiples raisons que l'on peut comprendre aisément, le parent de
l'enfant ne pourra pas l'assister dans une neutralité, dans un
" étayage ". Il faut donc que quelqu'un soit
désigné. Comment le désigner ? C'est ce que nous
faisons à Bordeaux.
Nous considérons que ces enfants-là sont en danger. Dans notre
société, quel est le juge protecteur du danger de l'enfant ?
C'est le juge des enfants. Ainsi que nous le faisons à Bordeaux , chaque
fois qu'un enfant dépose plainte, la gendarmerie ou le commissariat de
police téléphone au procureur de la République pour
signaler : " Il y a cette plainte, ces faits ". Nous
avons
déjà des éléments pour savoir d'abord que c'est
dans le milieu familial. Le parent restant, la mère bien sûr
pourrait remplir ce rôle. Mais nous constatons combien c'est difficile,
dans quelle ambiguïté elle se trouve très souvent. Donc,
elle ne le fait pas ou très mal, en culpabilisant l'enfant.
Il faut donc absolument que quelqu'un de neutre soit désigné.
Après la plainte, après la gendarmerie, après l'appel au
procureur de la République qui saisit immédiatement le juge des
enfants, nous intervenons. Nous sommes organisés pour pouvoir le faire,
pour désigner tout de suite un service éducatif
spécialisé qui se met lui-même en contact avec les services
de gendarmerie pour pouvoir être aux côtés de l'enfant
dès qu'il intervient.
A quoi sert cet accompagnement ? Il sert, pour l'enfant, à donner
du sens à tout ce qui va se passer. Vous parliez, monsieur Boulay, de la
nécessité d'un juge. Je ne suis pas persuadée que cela
soit la meilleure approche. Il faut donner à l'enfant un sens à
ce qui va se passer. Cet éducateur pourra le faire dans la
neutralité, dans la continuité, et surtout aussi dans la
supervision. Il se joue tellement de choses dans ces auditions, dans ces
contacts avec l'enfant qu'il faut savoir ce qui s'y joue aussi pour le
professionnel, aurais-je envie de dire.
Cet éducateur va donc donner sens, va l'accompagner :
" Voilà pourquoi le gendarme t'entend, voilà pourquoi le
juge d'instruction t'entend ; voilà pourquoi le médecin va
examiner ton corps ", ce corps de l'enfant déjà si
agressé. Que ne sait-on sur les expertises médico-légales
qui sont aussi autant d'intrusions au niveau du corps des enfants ? A
Bordeaux, cet éducateur l'accompagne donc du premier acte jusqu'à
la fin, jusqu'au procès. Il est présent aux côtés de
l'enfant, dans le cabinet du juge d'instruction. Le fait que le
Bâtonnier, au nom des avocats bordelais, ait accepté cette
présence, a fait qu'aucune nullité n'a été
soulevée pour ou à cause de la présence d'un tiers
à la procédure. Mais nous sommes dans notre système
conventionnel. Il faudrait consacrer ce principe dans la loi. Que dire de
plus ? C'est notre expérience. La loi aura à s'honorer si
l'on consacre enfin un vrai statut du mineur victime !
Nous savons qu'il y a des expériences diverses à Paris où
l'administrateur ad hoc désigné va aussi faire de
l'accompagnement.
Attention, ne soyons pas dans la confusion de nos places. Les
problématiques incestueuses sont des problématiques de confusion
des places, des rôles et des fonctions dans une famille. Soyons donc bien
à nos places ! Un accompagnateur fait de l'éducatif, donne
du sens ; un administrateur ad hoc sera désigné par le juge
d'instruction comme le précise le texte déjà
adopté..
La loi le dira maintenant. Auparavant, l'article 87-1 du CPP
précisait : " le juge d'instruction peut
désigner ". Dans la pratique judiciaire, on sait souvent ce que
veut dire " peut ", c'est-à-dire très peu souvent.
C'est un débat que le juge d'instruction n'est pas habitué
à poser, il désigne encore peu souvent un administrateur ad hoc.
Chacun à sa place : l'accompagnateur pour accompagner, donner du sens ;
l'administrateur ad hoc désigné par le juge d'instruction pour
considérer les intérêts patrimoniaux. Après la
protection de la personne, c'est le deuxième aspect de la protection :
la protection des intérêts. Seul l'administrateur ad hoc
désignera, choisira, si c'est l'intérêt de l'enfant, de se
constituer partie civile ; l'avocat fera son travail d'avocat : voir le
dossier, demander des actes, plaider pour l'enfant et plaider notamment au
moment du procès.
Voilà le système que je vous propose. Vous avez une occasion de
faire passer ces principes. Ne les abordez pas par divers petits aspects. Je
dépose auprès de M. le président de la
commission des Lois nos deux dernières propositions d'articles,
très simples et très claires. De plus, cela coûte peu cher,
si je puis me permettre d'intervenir sur ce dernier point qui compte
aujourd'hui.
Pour ces enfants en danger dans 80 pour cent d'affaires familiales, la
justice des mineurs serait saisie et les services éducatifs seraient de
toute façon employés et payés. Cela ne coûterait
donc pas plus cher, mais il faut reconnaître ce principe d'un
accompagnement extérieur quand la présence des parents n'est pas
possible.
J'en termine ici, peut-être ai-je été un peu longue.
M. Le PRÉSIDENT -
Je vous remercie, madame. Je ne doute pas un
seul instant que les propositions que vous nous ferez seront parfaitement
claires si j'en juge par votre exposé. Je pense que notre rapporteur est
déjà en possession de ces propositions.
Mme VIGNAUD -
Je les modifie, monsieur le président.
M. JOLIBOIS -
Vous modifiez 706-51, 706-50, le 706-51 ...
Mme VIGNAUD -
Et je propose un 375-2. Voulez-vous que j'en fasse une
lecture ?
M. JOLIBOIS -
Oui, s'il vous plaît parce que le 756-51, on ne le
retient plus.
Mme VIGNAUD -
L'article 706-49 concerne la désignation d'un
administrateur ad hoc par le juge d'instruction. Je dois dire qu'il reprend,
presque terme pour terme, l'article que nous avions proposé. C'est fait,
c'est acquis, c'est très bien !
Dans l'article 706-50, sur la question de l'autorité parentale, nous
proposons : " Dès le début de l'enquête, et
jusqu'à la décision définitive, les actes concernant le
mineur victime de l'une des infractions mentionnées à l'article
746-48 seront réalisés en présence d'un titulaire de
l'autorité parentale sur la demande d'un des parents de l'enfant. Si la
protection des titulaires de l'autorité parentale apparaît
insuffisante ou si les faits dénoncés visent une personne
titulaire en tout ou partie de l'exercice de l'autorité parentale, ces
actes seront réalisés en présence d'une personne
spécialement désignée par un service éducatif,
conformément aux dispositions de l'article 375-2 du Code civil. Cette
personne tenue au secret professionnel ne pourra être entendue sur les
faits de la procédure pénale.. " C'est un point important
pour nous : elle ne doit pas être entendue dans le cadre de la
procédure ; elle est là pour l'enfant et non pas pour être
un auxiliaire de justice.
La protection des mineurs dans notre pays, qui donne compétence au juge
des enfants, concerne l'article 375 du Code civil. C'est lui qui fixe la
question du danger. Nous proposons donc un article 375-2 qui précise :
" Si un mineur doit participer sans protection suffisante aux actes
d'enquête d'instruction ou de jugement concernant l'une des infractions
mentionnées à l'article 706-48 du Code de procédure
pénale dont il est victime, ou si celui qui est visé par la
révélation de cette infraction est titulaire, en tout ou partie,
de l'exercice de l'autorité parentale, la présence d'une personne
désignée par un service éducatif sera ordonnée par
le juge des enfants. Le juge statuera dans les vingt quatre heures, à la
demande du mineur lui-même, des père et mère conjointement
ou de l'un d'eux, du tuteur, de la personne ou du service à qui l'enfant
a été confié, " - l'enfant peut être
placé dans un foyer, dans une famille d'accueil et dire - c'est souvent
le cas - que lorsqu'il va le week-end chez lui, il est violé. Cette
personne peut donc demander l'intervention ou ce service au juge des enfants -
" du ministère public, "- les juges des enfants sont saisis
aux trois-quarts par le parquet - " du juge d'instruction ou de la
juridiction de jugement. Le juge des enfants pourra ordonner cette mesure
d'office. " Il peut aujourd'hui toujours se saisir - dit la loi - à
titre exceptionnel.
" Cette même décision pourra être prise par le
procureur de la République, en cas d'urgence, à charge de saisir
dans les huit jours le juge compétent qui maintiendra ou rapportera la
mesure. " C'est technique mais cela me semble correspondre à ce
qu'il faudrait faire.
M. JOLIBOIS -
Si l'on prend l'article 756-51 dans la numérotation
du nouveau projet, le grand vide restant à combler est le suivant :
comme l'article 706-51 parle du juge d'instruction, il suffirait de donner ce
pouvoir au procureur de la République (assentiment de Mme Vignaud), pour
que dès le début de l'enquête, il puisse procéder
à la désignation du tuteur ad hoc dans les cas où, une
contrariété d'intérêt ou une situation en
créerait le besoin. Mais il paraît difficile d'analyser toutes les
situations qui peuvent naître, qui tendraient à rendre obligatoire
cette désignation dans le texte de loi. On peut faire confiance au
magistrat pour savoir au début d'une enquête, si la situation est
telle qu'il faut absolument un tuteur ad hoc.
Mme VIGNAUD -
Il convient de poser le problème très
clairement. Ou les parents peuvent accompagner leur enfant, et c'est tant mieux
et on n'aura même pas besoin d'administrateur ad hoc. Ou ils ne le
peuvent pas, et il s'agit alors de constater dès le départ cette
défaillance. Le procureur de la République, informé,
saisit quelqu'un.
M. JOLIBOIS -
D'accord lorsque la protection des intérêts
du mineur victime n'est pas assurée par ses représentants
légaux. (Assentiment de Mme Vignaud) La première
démarche est d'en appeler aux représentants légaux ;
si les représentants légaux sont dans un cas où il ne
peuvent pas, automatiquement le mécanisme se déclenche.
M. BADINTER -
Si vous me permettez, je crois que cela ne se situe pas
sur le même plan. Dans le projet, il s'agit de représenter aux
fins d'exercer les droits liés à la situation de partie civile.
C'est un mandat ad hoc d'essence juridique. Ce dont Mme Vignaud nous parle est,
je crois, d'ordre psychologique.
Mme VIGNAUD -
Protection au sens total, un statut.
M. BADINTER -
Ce n'est pas la même chose que l'exercice des droits
qui demeure un mandat d'ordre juridique. L'administrateur ad hoc ici...
M. JOLIBOIS -
Ici, ce n'est pas forcément limité.
M. BADINTER -
Alors, il faudrait le préciser.
M. JOLIBOIS -
Il faudrait le préciser, mais dans le texte, cela
ne l'est pas forcément. C'est l'ensemble des droits, et pas seulement le
droit de partie civile. Il pourrait y avoir naturellement le droit d'assister
à la vidéo etc.
M. BADINTER -
Aujourd'hui, le texte prévoit un administrateur ad
hoc, pour exercer, s'il y a lieu, au nom de l'enfant, les droits reconnus
à la partie civile. C'est donc vraiment de la représentation
légale ; ce n'est pas de l'assistance, de la protection de
l'enfance au sens où on l'entend. C'est à compléter dans
ce sens. Il faudrait élargir un peu.
M. le PRÉSIDENT -
Les suggestions sont extrêmement
intéressantes, mais nous n'allons pas entrer immédiatement dans
l'appréciation de leur bien-fondé. C'est un point
extrêmement important. Nous voyons très clairement les divergences
susceptibles d'apparaître entre la rédaction qui nous est
proposée et celle qui est au départ de notre réflexion
actuelle : d'une part, un devoir d'assistance, et de l'autre, un devoir de
représentation dans le cadre de la défense des
intérêts civils. Je vous remercie, madame.
Y a-t-il d'autres questions ? (non). Je vous réitère mes
remerciements.
Mme Christiane BERKANI
Juge d'instruction à
Paris pour les mineurs
Mme BERKANI -
Monsieur le président, je suis
juge d'instruction à Paris, exclusivement spécialisée dans
les dossiers de mineurs victimes mais également de mineurs
délinquants. Dans cette double approche de la confrontation entre la
Justice et les mineurs, je suis frappée par le fait que, depuis plus de
cinquante ans, nous sommes persuadés que la procédure
pénale doit être adaptée aux plus jeunes d'entre les
justiciables. Mais cette évidence n'est faite que pour les mineurs
délinquants par le biais de l'Ordonnance du
2 février 1945.
C'est seulement aujourd'hui, pratiquement à l'aube de l'an 2000,
qu'arrive enfin l'émergence du statut de l'enfant victime,
c'est-à-dire l'adaptation des règles de procédure
pénale aux plus jeunes de nos victimes.
Nous le constatons en permanence dans nos cabinets puisque nous recevons des
enfants extrêmement jeunes qui sont en état de grande souffrance
pour devoir raconter et répéter les choses abominables qui leur
sont arrivées.
Il est déjà difficile pour un adulte, de parler de son
intimité, de sa vie sexuelle ; imaginez ce que cela peut être pour
un enfant, quelquefois un enfant qui n'a même pas idée
véritablement de ce qui lui est arrivé. Il n'empêche qu'il
devra le dire, le répéter et le redire encore, avec de plus en
plus de détails. De surcroît, si les mineurs délinquants
ont affaire aux juges, il faut savoir que les plus jeunes des mineurs
délinquants ont affaire au juge des enfants et non pas au juge
d'instruction. Les juges d'instruction n'ont affaire qu'aux plus
âgés de ces mineurs délinquants, alors que les victimes
mineures, aussi jeunes soient-elles, vont se retrouver dans le cabinet d'un
juge d'instruction qui est en recherche de la manifestation de la
vérité, c'est-à-dire une quête qui peut être
extrêmement difficile à vivre pour la victime, quel que soit son
âge.
L'apport véritablement majeur de ce texte dans notre droit positif est
cette considération du statut de l'enfant victime en procédure
pénale. Je rejoins en cela parfaitement les réflexions que
faisait ma collègue juge des enfants à ce niveau.
Cela étant, un véritable statut de l'enfant victime
nécessite une approche globale, et le texte actuel a le mérite
d'être plus complet que le précédent puisqu'il y a
davantage de dispositions qui dessinent les contours de ce statut. Je ne les
énumérerai pas, je voudrais au contraire vous dire ce qui me
paraît manquer dans cette approche.
J'ai noté avec grande satisfaction que l'administrateur ad hoc devient
une obligation quand on constate que les intérêts du mineur ne
sont pas complètement assurés par les parents. C'est une
évidence, il fallait que cela devienne obligatoire pour le juge et que
cela ne soit pas laissé à la discrétion des magistrats. En
tout état de cause, cette avancée est notable, mais il reste un
grand absent dans ce texte : l'avocat de l'enfant, tout simplement.
Je fais ce parallèle parce qu'un mineur délinquant a droit
à un avocat dès la première heure de sa garde à vue
suivant son âge. Un mineur délinquant ne peut pas être
auditionné, interrogé sans un avocat présent, alors qu'un
mineur victime peut être entendu par un juge seul dans son bureau.
Mme Vignaud indiquait qu'il faut absolument la présence du parent si
possible ou au moins d'un tiers. Je ne suis pas d'accord avec l'argumentation
développée par Mme Vignaud sur cette présence. La
logique du juge des enfants n'est pas la même que la logique du juge
d'instruction : la logique du juge des enfants est celle d'une protection
; c'est le but et l'objectif. La logique du juge d'instruction est, certes, de
ne pas malmener les parties en présence, mais c'est aussi une recherche
de la manifestation de la vérité. Or, la parole de l'enfant n'est
pas du tout la même quand son parent est présent, même si
son parent n'est pas l'auteur des faits, bien entendu. Tout simplement parce
que, dès lors que l'on est dans la sphère sexuelle, un enfant va
oser dire, jusqu'au bout de leur horreur, à un policier, à un
juge, à un psychologue, à un avocat ou à un
éducateur les choses qui lui sont arrivées, alors qu'il n'osera
pas les dire devant son père ou sa mère. Un enfant qui a subi une
pénétration sexuelle aura un mal fou à oser dire cela
à son parent ; il essaiera d'en dire le moins possible. Cela, on
l'observe systématiquement.
D'autre part, nous sommes quelquefois confrontés à un autre
problème : la suspicion d'allégation mensongère,
à savoir si l'enfant nous dit ou non la vérité. Si le
parent - qui est certes son protecteur naturel mais qui peut, par exemple dans
le cadre d'un dossier de divorce aigu, être l'adversaire de celui qui est
suspecté - est présent, comment saura-t-on quelle est la parole
libre de l'enfant si cette présence - certes rassurante sur le plan de
la protection et sur le plan psychologique - est imposée en
permanence ?
Sur le plan de la procédure pénale, il me paraît essentiel
que l'enfant soit en permanence protégé lorsque sa parole
s'exprime, mais il ne faut pas qu'il le soit par quelqu'un qui n'est pas neutre
par rapport à cette parole.
Par conséquent, je rejoins l'intervention de M. Boulay quand il
demandait que les juges disent rapidement aux victimes quels sont leurs droits
et leurs possibilités. Voilà le rôle de l'avocat.
Voilà pourquoi il conviendrait d'opérer un parallélisme
des formes dans l'adaptation de la procédure pénale entre le
mineur délinquant et le mineur victime. Il faut que le mineur en
procédure pénale ait toujours un avocat à ses
côtés, qu'il soit victime ou délinquant, mais il faut que
l'avocat soit là. Or, cela, je ne l'ai pas du tout trouvé dans le
texte ! J'aurais peut être souhaité que le projet de loi
prenne en compte cette nécessité de l'avocat de l'enfant.
Un dernier mot pour dire que l'avocat de l'enfant n'est pas l'administrateur ad
hoc, pas plus d'ailleurs qu'il n'est l'accompagnant de l'enfant. Je partage la
réflexion qui a été faite à ce propos.
L'accompagnement de l'enfant au travers de la procédure peut se faire
par le parent, par un administrateur ad hoc, par un éducateur, par un
psychologue. L'avocat, lui, n'est pas un accompagnant ; l'avocat est une
présence juridique permanente auprès de l'enfant.
Il faut savoir que, avec administrateur ad hoc ou pas, l'administrateur ad hoc
ne sera pas présent dans nos cabinets quand nous entendrons l'enfant.
L'enfant peut fort bien avoir un administrateur ad hoc, ce dernier ne sera pas
dans notre cabinet quand nous ferons l'audition. En revanche l'avocat y sera
obligatoirement, d'où l'intérêt de la présence de
l'avocat.
D'autre part, si l'avocat est introduit dès les premiers actes de la
procédure pour les mineurs délinquants, pourquoi un mineur
victime n'aurait-il pas droit à voir un avocat dès qu'il
révèle des faits dont il a été victime ? Cet
avocat permettrait de répondre à la préoccupation des
victimes, c'est-à-dire une préoccupation pédagogique
d'explication des droits, de ce qu'il faut faire et de ce qu'il ne faut pas
faire. Voilà ce que je voulais dire concernant ce grand absent, à
mes yeux, dans ce projet de loi, à savoir l'avocat de l'enfant.
Je voudrais revenir très brièvement sur l'audition vidéo.
Nous, juges d'instruction, sommes préoccupés par la
multiplicité des auditions d'enfants victimes. On estime que l'enfant
est entendu au moins une dizaine de fois sur les faits qu'il a subis ; et
encore, ce chiffre est-il sans doute sous-estimé.
L'avantage de la vidéo permet sans doute d'éviter la comparution
permanente de cet enfant à toutes les étapes de la
procédure. Un autre avantage à la vidéo réside dans
le fait que, quelquefois, l'enfant, surtout l'enfant très jeune, exprime
les faits, non seulement avec des mots, mais aussi avec des gestes, avec des
mimiques, avec des attitudes. Il est très difficile de retranscrire,
dans un procès-verbal, ces attitudes, ces mimiques, ces gestes,
même si l'on s'efforce de mentionner que l'enfant se met à
pleurer, se prostre sur sa chaise, fait un geste d'étranglement ou un
geste de va-et-vient avec sa main droite.
L'avantage de la vidéo est de montrer l'enfant tel qu'il exprime sa
douleur au moment de sa déposition. Cela étant, je rejoins
parfaitement les inquiétudes exprimées par M. Boulay :
l'image n'est pas neutre. Le choc des images, c'est quelque chose.
L'interprétation des images est très importante, et elles ne
doivent pas être utilisées ni projetées à des gens
qui ne sont pas formés à les recevoir.
L'image permet l'interprétation, et il ne faut pas que cette
interprétation se retourne contre le mineur. Par conséquent, si
l'on veut aider le mineur par la vidéo, il ne faut pas prendre des
mesures qui risquent de se retourner contre lui en fin de compte.
C'est pourquoi je rejoins les point de vue exprimés ce matin par mes
collègues du parquet : la vidéo doit être un outil
réservé aux professionnels. Cela ne doit pas être une
obligation systématique parce que ce n'est pas adapté à
tous nos dossiers ni à tous les cas de figure. Cela ne doit rester
qu'une possibilité pour nous, que l'on adapte parce que ces dossiers
exigent constamment que l'on s'adapte aux faits et aux victimes. Pour pouvoir
s'adapter, il faut donc éviter d'entrer dans un système de
contrainte procédurale.
En revanche, il convient d'élargir cet outil à tous les cas de
maltraitance, et pas seulement aux cas de maltraitance sexuelle. Dans le
domaine de la maltraitance, il y a la maltraitance sexuelle mais il y a aussi
tout le reste. Dans le domaine de la maltraitance physique, nous voyons des
enfants qui sont gravement et durablement traumatisés, au point que leur
parole ne peut pas s'exprimer pendant des années. Pourquoi seraient-ils
exclus de ces dispositions qui concernent leur statut de mineurs en
justice ?
Je rejoins la préoccupation de mes collègues du parquet sur le
fait que les enregistrements vidéo ne doivent en aucune façon
pouvoir circuler dans les palais de justice. L'image est quelque chose de
dangereux, l'image est surconsommée dans notre société
actuelle. A l'évidence, si les images circulent dans les palais, elles
circuleront hors des palais ; si elles circulent hors des palais, on aura alors
atteint un objectif totalement contraire à celui que l'on recherche
aujourd'hui, c'est-à-dire la protection des plus jeunes victimes.
Pour terminer, j'ajouterai que j'ai vu autre chose dans ma pratique, et qui
n'est pas du tout évoqué dans le projet de loi : je veux
parler de la qualification criminelle de viol qui est au centre de ce projet de
loi.
On a beaucoup parlé de viols, d'agressions sexuelles, d'atteintes
sexuelles. Quels sont les éléments constitutifs du viol ?
Les éléments constitutifs du viol, c'est : " l'acte de
pénétration sexuelle de quelque nature qu'il soit, commis sur la
personne d'autrui par menace, contrainte, violence ou surprise. "
Article
202-23 du Code pénal, sauf erreur de ma part.
Cette rédaction datant des années quatre vingt a fait l'objet
d'interprétations restrictives dans les tribunaux en raison de sa
rédaction. C'est " sur la personne d'autrui ", qui pose
problème. Chez certains parquetiers, certaines juridictions, certains
juges d'instruction et certains tribunaux en cour d'Assises, on en a
déduit que la " pénétration sur la personne
d'autrui " implique que ce soit l'agresseur qui pénètre la
victime ; il faut que ce soit l'organe de l'agresseur qui soit
pénétrant.
Les membres éminents de cette commission ne m'en voudront pas, mais je
vais mettre les deux mains dans la boue pour vous expliquer clairement ce que
cela implique. Cela nous pose un problème pour la fellation. Depuis
longtemps, la fellation est considérée par la chambre criminelle
de la cour de Cassation comme un viol. Mais il s'agit - et toute la
jurisprudence existe en cette matière - de la fellation que se fait
faire l'agresseur. C'est-à-dire que le sexe de l'agresseur rentre dans
la bouche de l'enfant. " Pénétration sur la personne
d'autrui ", pas de problème, c'est le viol, article 222-23. Mais il
faut savoir que dans les agressions commises sur les mineurs - notamment dans
tous les dossiers de pédophilie - c'est le contraire qui est le plus
courant, c'est-à-dire que l'agresseur fait une fellation à
l'enfant, auquel cas, ce qui pénètre, c'est le sexe de l'enfant
dans la bouche de l'agresseur. Moyennant quoi, certains juristes
considèrent, par interprétation restrictive de l'article 222-23,
que ceci ne peut être qualifié de viol mais d'agression sexuelle.
Cette interprétation n'était pas dans l'esprit du
législateur de l'époque. J'ai cherché dans les
débats parlementaires de l'époque selon la bonne vieille
méthode exégétique, et je n'ai pas trouvé une telle
distinction, à savoir que le législateur aurait volontairement
voulu distinguer ce que l'on appelle la fellation active de la fellation
passive.
Je passe sur les détails, mais le problème existe aussi sur la
sodomie que l'agresseur se fait faire par l'enfant. Cela existe.
Le problème est que sur le plan psychique, une fellation faite ou une
fellation subie, que l'enfant prenne le sexe de l'agresseur dans sa bouche ou
que l'agresseur prenne le sexe de l'enfant dans la bouche, les
dégâts sont les mêmes. Cette distinction-là est
vraiment celle de juristes qui, sur le plan psychologique et psychique,
n'existe pas.
D'autre part, sur le plan de l'exégèse du texte, on ne peut que
constater que cette distinction n'a pas été voulue par le
législateur. Il faut savoir que nous n'avons pas de jurisprudence dans
ce domaine. Nous travaillons donc dans l'à peu près. Cela
signifie qu'il y a des variations de politique pénale d'un tribunal
à l'autre : des enfants victimes de fellation se voient
considérés comme victimes de viol dans telle région, et
comme victimes d'agression sexuelle dans telle autre.
Plus grave encore, cela veut dire que les mêmes faits, qualifiés
" viol " ne seront pas prescrits, et qualifiés
" agression sexuelle ", seront considérés comme
prescrits. Nous sommes constamment confrontés à ce
problème.
Cela veut dire que des agresseurs, suivant que l'on considère
l'interprétation restrictive de la loi, vont être poursuivis et
condamnés au criminel pour un fait, alors que, dans un tribunal voisin,
un agresseur qui aura commis le fait identique, se verra, lui,
écarté de l'application de la loi pénale au
bénéfice de la prescription tout simplement.
Cela signifie qu'en termes de politique pénale, cela a des
conséquences redoutables dans notre pratique quotidienne. Il faut savoir
qu'un très grand nombre de pédophiles passent à l'acte par
fellation imposée à l'enfant. Nous sommes constamment dans cette
problématique-là.
Je souhaiterais que votre éminente commission se penche sur cette
question parce qu'il n'y a pas de jurisprudence. Pour indication, un
arrêt du 30 septembre 1997 de la chambre d'accusation de Paris vient de
dire que la fellation imposée à un enfant est un viol. Cet
arrêt du 30.09.1997 fait l'objet d'un double pourvoi : un pourvoi du
parquet général dans l'intérêt de la loi et un
pourvoi de l'agresseur qui préférerait se voir reprocher un fait
correctionnel plutôt qu'un fait criminel.
Il n'empêche que la chambre criminelle de la cour de Cassation n'a jamais
statué sur ce problème auquel nous sommes constamment
confrontés.
Modestement, je propose donc que l'on réfléchisse à la
définition du viol, par le biais de cet article 222-23, en disant que :
" le viol est un acte de pénétration, de quelque nature
qu'il soit, commis par violence, menace, contrainte ou surprise " et
qu'on
enlève " sur la personne d'autrui ". Finalement, que
signifie
" sur la personne d'autrui " ? Que l'on ne peut pas se
violer
soi-même, certes, mais " sur la personne d'autrui " ne doit
pas
vouloir dire ou écarter ce que l'on appelle la fellation passive par
rapport à la fellation active.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous remercie, madame.
M. DREYFUS-SCHMIDT
- Monsieur le président, Mme le juge a fait
une démonstration tout à fait brillante et convaincante au moins
d'une chose : peut-être a-t-on eu tort d'étendre, en 1980, la
notion de viol, ce qui fait que l'on ne sait plus de quoi on parle. Une autre
solution serait d'enlever les mots " de quelque nature que ce
soit ",
de manière que l'on sache que le viol est le viol tel qu'on l'entendait
avant, et que les atteintes sexuelles sont les atteintes sexuelles. C'est aussi
une solution.
Mme Berkani
- C'est surtout " sur la personne
d'autrui " qui
est gênant. " Sur " signifie qu'il faut que la
pénétration soit dans le sens agresseur - agressé.
M. DREYFUS-SCHMIDT -
J'ai bien compris, mais on peut penser aussi, vous
le savez comme moi, qu'avant 1980, le viol, c'était la
pénétration par les parties sexuelles et non pas par un crayon ou
un autre objet.
M. BADINTER
- Monsieur le président, à propos de
l'enregistrement audiovisuel, j'ai été très
intéressé par ce qu'a dit Mme Berkani. J'aimerais avoir son
sentiment. Il est évident que l'enregistrement audiovisuel emporte avec
lui une force émotionnelle considérable. J'ai eu l'occasion de le
vérifier, notamment aux Etats-Unis, en voyant l'influence qu'un
enregistrement audiovisuel pouvait exercer sur les jurés.
L'enfant étant victime d'un majeur, par conséquent la
procédure va se dérouler devant la cour d'Assises ordinaire.
J'imaginais dès ce moment-là, l'impression que la projection en
cours d'audience de l'enregistrement audiovisuel produirait sur les
jurés. Elle serait très supérieure d'une certaine
manière, ou risquerait de l'être, à celle que produit la
déposition de l'enfant, qui est déjà considérable
et que l'on essaie d'entourer de toutes les précautions. C'est un
problème qui, à cet instant, me paraissait devoir être
examiné de près.
Peut-on concevoir, peut-on envisager d'admettre, si l'enfant est
présent, la projection aux jurés dans une cour d'Assises de
mineurs d'un enregistrement tel quel ? Ce n'est pas une petite affaire, il
faut y réfléchir de très près.
Mme BERKANI
- Effectivement, je crois qu'il faut y
réfléchir de très près parce que l'impact de
l'image est quelque chose de redoutable et peut laisser la porte ouverte
à n'importe quelle attitude.
A mon sens, il y a du pour et du contre. Nous déplorons quelquefois que
les enfants soient obligés de comparaître à l'audience.
Comparaître à l'audience, surtout quand il s'agit d'une cour
d'Assises, implique d'avoir face à soi douze personnes, douze paires
d'yeux : l'agresseur sur votre droite, éventuellement les avocats de
l'agresseur ; tout ce que va avec la cour d'Assises. C'est effroyable, à
tel point que certaines législations permettent d'entendre l'enfant,
mais en pièce séparée, par rapport à la juridiction
" en fonctionnement ", si je puis dire.
En tout état de cause, la vidéo pourrait éventuellement
permettre d'éviter la présence de l'enfant à l'audience -
c'est un avantage - avec, quand même, l'avantage pour la juridiction de
voir l'enfant...
M. BADINTER
- Pardonnez-moi, cela me paraît impossible, tout
simplement au regard de l'exercice des droits de défense, de la
procédure orale de la cour d'Assises. (assentiment de Mme Berkani)
Comment voudriez-vous, alors que l'essentiel va reposer sur les
déclarations de l'enfant, qu'on lui substitue un enregistrement
audiovisuel que, par définition, on ne peut pas interroger ? C'est
impossible au regard du principe de la procédure elle-même.
Mme BERKANI
- Effectivement, uniquement la vidéo, oui.
Mme VIGNAUD
- Il y a d'autres inconvénients que l'on n'aborde pas
suffisamment. Il y a eu beaucoup de travaux autour de la parole de l'enfant.
Certains pédopsychiatres disent qu'il est très dangereux, pour
l'enfant lui-même, de figer sa parole dans quelque chose : il a
parlé et plus rien ne bouge.
Là aussi, on a à réfléchir et à se poser la
question concernant l'enregistrement vidéo : quel serait son sens, son
utilité ? Son utilité est pour l'enfant - on le pose comme
tel - afin d'éviter qu'il soit réentendu. Mais dans le projet de
loi, tel qu'il est, et dans la pratique de certains tribunaux comme Bordeaux,
on a évité la multiplication des actes, on a évité
des confrontations. Il me semble que cet instrument peut être dangereux,
à terme, pour l'enfant.
M. BADINTER
- Si vous me permettez, monsieur le président, a-t-on
déjà réalisé de tels enregistrements dans la
pratique ?
Mmes VIGNAUD et BERKANI
- Oui.
M. BADINTER
- En a-t-on à Bordeaux ?
Mme VIGNAUD
- A La Réunion.
M. BADINTER
- Pourrait-on en avoir un ? La commission pourrait-elle
le regarder ?
Mme VIGNAUD
-: Oui. A La Réunion, une expérience
appelée " Mélanie " s'inspire du modèle
anglo-saxon. C'est très développé aux Etats-Unis et au
Canada. Je crois que le tribunal de Saint-Denis travaille de cette
façon. La Chancellerie connaît bien cette expérience.
Mme BERKANI
- Sans aller jusqu'à La Réunion, la brigade de
protection des mineurs de Paris a réalisé des enregistrements
vidéo à titre expérimental il y a quelques années,
uniquement pour la maltraitance non sexuelle. A ma connaissance, il y en a
trois ou quatre qui ont été réalisés. A partir de
la mi-novembre, d'autres expérimentations doivent recommencer à
la BPN de Paris.
M. BADINTER
- En matière sexuelle aussi ? (Assentiment de
Mme Berkani) Monsieur le président, cela vaudrait la peine d'en voir
une.
M. le PRÉSIDENT
- C'est une démarche que nous pouvons
faire. Malgré tout, je me pose le problème de
l'intérêt de l'enregistrement pour l'enfant. Pour les droits de la
défense, il y a quand même deux hypothèses : une
hypothèse dans laquelle l'accusation de l'enfant est extrêmement
vraisemblable, et même à la limite, il y a une reconnaissance des
faits par l'accusé. Puis, il y a l'autre hypothèse - elle n'est
pas exclue, nous le savons bien - dans laquelle l'enregistrement vidéo
ne fait que traduire le mensonge de l'enfant...
M. DREYFUS-SCHMIDT
- Comme pour tous les témoins.
M. le PRÉSIDENT
- Nous le savons, c'est rare, mais cela existe.
Nous avons eu l'occasion de le constater : l'enfant ment de A à Z,
poussé par sa mère. Cela existe, vous savez. Pour faire
reconnaître que c'est une affabulation et que cette affabulation est le
résultat d'une machination. ! J'ai un cas très précis
en mémoire du résultat d'une affabulation, donc d'une
machination, avec reconnaissance de non-culpabilité, dans le cadre
même de la procédure. Là, il y a un problème.
Mme BERKANI
- A propos de l'utilisation de la vidéo dans les
systèmes, notamment canadiens, qui ont été
transposés à La Réunion depuis 1992, il faut quand
même savoir que l'enregistrement vidéo n'est qu'une partie de tout
un processus qui concerne la parole de la victime. La vidéo est un outil
qui permet ensuite de faire ce que l'on appelle une expertise de
crédibilité, qui est faite par des experts psychologues
formés à une technique particulière. Cette expertise de
crédibilité repose sur dix neuf critères
" scientifiques " dégagés par la recherche.
On considère en effet qu'entre un enfant qui ment et un enfant qui ne
ment pas, ou un enfant qui a réellement vécu un fait et un enfant
qui ne l'a pas vécu, il y a des différences qu'on va retrouver
dans le discours et dans l'image. L'enregistrement vidéo de l'enfant
sert ensuite à cet expert qui intervient par après et qui fait
l'expertise de crédibilité, sans réentendre l'enfant dans
tout le détail. Il se sert de la vidéo.
Alors que dans le système tel que nous l'avons en projet en France, nous
n'avons qu'un bout de ce système parce que nous n'avons pas, pour
l'instant, les techniques d'examen de crédibilité tel que les
nord-américains le conçoivent. Nous n'avons pas de psychologues
formés ; les premiers psychologues français à être
formés à ces techniques sont en cours de formation, en cours
d'études en quelque sorte. Nous n'avons pas ces psychologues à
l'image de ceux qui exercent au Canada ou qui ont été
formés à La Réunion par le Canada. Nous n'avons encore
qu'une partie du processus.
Mme VIGNAUD
- Parlant des mineurs victimes d'abus sexuels, je ne
voudrais pas que l'on termine sur ce que l'on appelle l'expertise de
crédibilité.
Dans la réalité judiciaire, on assiste le plus souvent à
des classements sans suite de procédures concernant les auteurs de ces
faits. Dans cette affaire, la difficulté réside dans le fait que
nous sommes confrontés à deux types d'intérêts,
aussi importants l'un que l'autre : la défense et l'agresseur.
Nous ne pouvons pas, juristes que nous sommes, évacuer d'un revers de la
main cette question des garanties procédurales apportées à
un auteur et à ses accusateurs. La question des droits de la
défense est donc fondamentale. Par ailleurs, nous sommes un nouveau
mouvement pour faire émerger la victime, la grande oubliée du
procès pénal...
M. DREYFUS-SCHMIDT
- Il y a quand même la partie civile !
Mme VIGNAUD
- Il faut quand même voir comment sont traitées
les victimes à l'audience correctionnelle. Vous disposez de dix secondes
pour demander des dommages-intérêts etc. Peu importe, ce n'est pas
le débat.
M. DREYFUS-SCHMIDT
- Il y a de très bons avocats de la partie
civile !
Mme VIGNAUD
- C'est vrai, heureusement, mais quand ils n'ont pas
d'avocat, c'est terrible pour eux, cela va très vite.
Pour les mineurs victimes, il s'agit de leur faire un statut et de le
revendiquer. C'est un mineur qui, en même temps, accuse ; ce n'est
pas facile. Il faut aussi donner des garanties à l'auteur des faits.
Mais on s'aperçoit que le mineur victime n'a pas de statut reconnu, en
tout cas aujourd'hui, et qu'il faut l'affirmer.
Sur les expertises de crédibilité, je connais d'éminents
pédopsychiatres, et je demande que l'on fasse attention ! Pour ma
part, je n'ai jamais eux le culte de l'expertise anglo-saxonne, qui me
paraît être quelque chose de l'ordre de la manipulation, où
l'expert-psychologue devient un auxiliaire de justice dans le cadre de
l'enquête de flagrance ou préliminaire. Je ne pense pas que
beaucoup d'experts français souhaiteraient travailler de cette
manière. Ce n'est pas forcément la vocation première d'un
thérapeute d'être là pour expertiser la
vérité de la parole d'un enfant.
Parler de ces affaires est extrêmement difficile. C'est vrai qu'un
contentieux se développe actuellement sur ce que l'on appelle les
allégations d'abus sexuels en matière familiale. Nous, juges et
avocats, faisons attention à ne pas nous laisser manipuler, et c'est
vrai que c'est très difficile. Tout de même, le gros des affaires
- sachons-le - dans notre pays et ailleurs, c'est quand même l'inceste,
l'agression sexuelle. Il est très dur pour une enfant d'accuser son
père. Sachez que les adolescentes de 15 - 16 ans sont très
rarement là pour faire tomber leur père. Parler, c'est
l'effondrement familial. J'en terminerai ici.
LES MEMBRES DU GOUVERNEMENT
Mme Elisabeth GUIGOU
Garde des Sceaux, Ministre de la
Justice
M. le PRÉSIDENT
- Madame le Garde des Sceaux, au
nom de la commission des Lois, je vous souhaite une très cordiale
bienvenue. En substance, je vous explique brièvement ce que nous avons
fait ce matin.
Nous apportons une très grande attention au texte que vous nous avez
proposé au nom du Gouvernement. Avant de vous entendre, nous avons
souhaité procéder à des auditions qui nous ont
apporté beaucoup. Nous avons eu la chance d'avoir, cette fois, des avis
contradictoires qui nous permettent d'échapper à tout reproche de
monolithisme, tout au moins entre nous.
Nous avons entendu successivement des psychiatres, des représentants du
parquet, le procureur de la République, M. Hameau, des
spécialistes de l'intervention en milieu carcéral, M. Pascal
Faucher et le Dr Balier. Nous avons également entendu des membres du
corps enseignant, parce que nous considérons que l'action de l'Education
nationale peut être extrêmement importante : Mme Leroy-Hyest,
médecin-conseiller dans la Seine-Saint-Denis, M. Devis, proviseur du
lycée Pothier à Orléans, puis M. Boulay au nom des parents
de victimes. Ensuite, nous avons entendu des magistrats spécialement
chargés de la jeunesse : Mme Vignaud, juge des enfants à
Bordeaux, et Mme Berkani, juge d'instruction à Paris pour les mineurs.
Nous vous avons ainsi brossé un tableau aussi complet que possible de
nos travaux jusqu'à votre arrivée parmi nous pour
compléter notre information.
La parole est à Mme le Garde des Sceaux.
Mme Elisabeth GUIGOU, Garde des Sceaux, ministre de la Justice
-Monsieur
le président, je vois avec intérêt que nous avons
consulté à peu près les mêmes personnes, ce qui - je
l'espère - sera un gage de cohérence de nos débats. Je ne
serai pas très longue dans ce propos introductif, d'abord parce que ce
texte a déjà été présenté au
Parlement, et qu'il vaut sans doute mieux essayer d'en approcher les points
susceptibles de faire l'objet de discussions.
A l'évidence, nous sommes devant un sujet extrêmement grave. C'est
bien parce qu'il y a une attente forte dans notre pays que le Gouvernement
auquel j'appartiens a décidé de proposer à nouveau, et
sans tarder, au Parlement la discussion d'un projet de loi sur les atteintes
sexuelles. Ce projet avait déjà été
déposé par mon prédécesseur, M. Toubon, et celui
que je présente reprend l'architecture générale du projet
de mon prédécesseur.
Néanmoins, j'ai tenu à prendre en compte le débat
parlementaire et le débat public qu'a inspiré le projet
déposé par mon prédécesseur. J'ai également
souhaité ajouter certaines dispositions qui me paraissaient devoir
compléter le précédent projet.
Les modifications concernent essentiellement le suivi des délinquants
sexuels ; les ajouts concernent la protection des mineurs victimes ;
et l'élargissement des infractions concernent les délits de
nature sexuelle et le bizutage. Je reviendrai sur ces questions pour expliciter
mon raisonnement et mon point de vue sur ces sujets qui ont déjà
fait l'objet de débats approfondis.
Sur le contrôle et le suivi des délinquants sexuels, le but est
bien entendu de limiter la récidive, sachant que tous les experts que
j'ai consultés m'ont confirmé que l'on ne peut jamais être
sûr à cent pour cent que la récidive n'interviendra pas.
A ce propos, je voudrais faire une remarque préalable, dont je me suis
d'ailleurs entretenue avec votre rapporteur il y a quelque temps, et que
m'inspirent les débats qui on eu lieu à l'Assemblée
nationale. Ces crimes sont d'autant plus horribles qu'ils touchent des victimes
particulièrement fragiles : les enfants. Devant de tels crimes, on peut
être tenté de prendre toutes dispositions pour que, jamais plus
cela ne puisse se reproduire. Il faut avoir l'honnêteté
intellectuelle et morale de dire que si l'on pousse trop loin ce raisonnement -
certains députés à l'Assemblée nationale l'ont fait
- on suggère à nouveau le recours à la peine de mort ou
à la généralisation de peines incompressibles. Il faut
être extrêmement attentifs à ce type de dérive.
Je le signale en préalable, parce que cela m'a frappée lors du
débat à l'Assemblée nationale. Le Gouvernement auquel
j'appartiens ne se situe pas dans cette perspective. La question qui est donc
posée - que d'ailleurs la grande majorité des élus qui
sont intervenus à l'Assemblée nationale se pose, quels que soient
leurs groupes politiques - est donc de savoir comment on peut limiter la
récidive et comment on peut être aussi efficace que possible,
s'agissant de personnes vis-à-vis desquelles les experts, en particulier
les médecins, ont des analyses qui sont loin d'être simples ?
A cet égard, il nous a semblé que le projet
précédent comportait un défaut : il confondait la
peine et la thérapie. Ce défaut a été abondamment
souligné par les milieux médicaux qui avaient fait savoir, en
particulier les psychiatres, qu'ils ne voyaient pas comment, à rendre ce
type de thérapie obligatoire, on pouvait la rendre efficace sans un
minimum d'adhésion et de volonté de la personne concernée.
Plus prosaïquement, comment instituer une obligation dont l'application
dépend de la volonté du corps médical ? Si le corps
médical se refuse à appliquer une disposition, des injonctions ou
des obligations de thérapie, je ne vois pas comment on remplit le but
qui doit être le nôtre, à savoir la recherche d'une solution
qui fonctionne.
Face à ce blocage, j'ai, moi aussi, consulté de nombreux
spécialistes cet été, et nous avons recherché une
forme de suivi qui soit à la fois médical, mais aussi social et
judiciaire. En effet, de nombreux experts et médecins m'avaient
signalé que, quelquefois, certaines personnes ne sont pas accessibles
à un traitement médical.
Par conséquent, que se passe-t-il lorsque le traitement médical
n'est pas possible ? Dans le projet précédent, lorsque le
traitement médical n'était pas possible, il ne se passait plus
rien à la sortie de prison. Compte tenu de toutes ces
considérations, nous avons décidé que le suivi devait
être à la fois médical, social et judiciaire, commencer
à s'effectuer en prison - le débat parlementaire
précédent l'avait déjà prévu - qu'il puisse
continuer après, et que l'on marie injonction et incitation. Il ne
s'agit pas de laisser le choix à la volonté du condamné.
Ce sont des personnalités complexes que je ne veux pas qualifier,
n'étant pas médecin. Cela dit, on voit bien que l'incitation,
voire la pression, même s'il n'y a pas obligation, peut être
répétée.
Voilà donc le dispositif : tous les six mois, le juge d'application des
peines, pendant le séjour en prison, propose un suivi médical. On
ne peut l'imposer mais il est proposé de façon
répétitive. Il est intégré dans
l'appréciation qui sera portée par le juge d'application des
peines sur le comportement du condamné, avec d'autres
éléments d'ailleurs : indemnisation des victimes, comportement en
prison. A la sortie, ce suivi peut être poursuivi. Même s'il n'a
pas été prononcé au départ, ce suivi médical
peut être prononcé. Ensuite, il peut y avoir un suivi social, un
suivi judiciaire qui peut aller jusqu'à interdire à certaines
personnes d'être en contact avec des enfants ou de pratiquer des
professions qui les mettent en contact avec des enfants.
Il nous a semblé que c'était une façon de garantir - sans
assurance absolue - que la récidive n'interviendrait pas, de donner le
maximum de chances au traitement médical, de favoriser la meilleure
coopération possible entre médecin traitant, psychiatre et
magistrat dans la mise en application de ce suivi.
Deuxième grande disposition de ce projet : la protection des victimes.
Nous avons ressenti le besoin de nous pencher sur un statut des mineurs
victimes. Il est en effet paradoxal que notre Code pénal prévoie
un statut des mineurs délinquants et non pas des mineurs victimes. C'est
après un travail approfondi avec les associations
spécialisées dans la prise en charge des mineurs victimes que
nous avons décidé de proposer un certain nombre de dispositions.
Certaines figuraient déjà dans le projet de loi
précédent, comme la prescription. On les a affinées.
D'autres n'y figuraient pas.
Quelles sont ces dispositions principales ? Tout d'abord la prescription
dont le point de départ est différé jusqu'à la
majorité des victimes. Cette disposition était déjà
prévue. Nous avons rajouté que, pour les délits les plus
graves, la durée de la prescription soit portée à dix ans
et non plus seulement à trois ans comme c'est le cas pour les
délits.
Cela veut dire que sur la durée de prescription, les personnes pourront
continuer à dénoncer les violences, les infractions dont elles
ont fait l'objet pendant leur minorité jusqu'à l'âge de 28
ans lorsqu'il s'agit de crime ou de délit grave.
Autres dispositions : l'obligation que les victimes fassent l'objet d'une
expertise médico-psychologique pour pouvoir mieux apprécier la
nature et l'importance du préjudice ;
- que les soins prodigués aux mineurs de 15 ans soient remboursés
à cent pour cent ;
-que les mineurs victimes puissent être représentés par un
administrateur ad hoc lorsque leur tuteur ou leur représentant
légal ne peut pas exercer ce rôle. Quand on sait que 80 pour
cent des violences sexuelles ont lieu dans les familles, c'est effectivement
une question importante. Souvent, les parents, voire même la famille
élargie, ne peuvent, ou ne veulent pas assumer ce rôle de
protection ou d'expression des intérêts de l'enfant ;
- que les auditions ou les confrontations des mineurs soient limitées
strictement afin de ne pas aggraver le traumatisme. On sait qu'en cette
matière, lorsque l'on redit, souvent l'on revit ce que l'on a
vécu ;
- que lors des auditions, le mineur puisse être accompagné par une
personnalité qualifiée, qu'il s'agisse d'un éducateur,
d'un psychologue ou d'un proche ;
- que les auditions puissent faire l'objet d'un enregistrement audio ou
vidéo. Je dis bien l'un ou l'autre : cette partie du texte a
été modifiée à l'Assemblée nationale. A cet
égard, je présenterai un amendement du Gouvernement à
l'Assemblée nationale pour modifier le texte. Je crois qu'il faut
laisser la possibilité de n'avoir que des enregistrements sonores, parce
que certains enfants refuseront d'être filmés. Parfois aussi,
parce que l'on ne disposera pas forcément du matériel audiovisuel
sous la main.
Le texte aggrave la répression de certains infractions, comme la
corruption de mineurs, en cas d'utilisation d'un réseau de
téléinformatique, Minitel ou Internet.
Dernière catégorie de dispositions - je ne ferai que les
mentionner puisqu'elles ont déjà été abondamment
commentées : la possibilité de réprimer le
harcèlement sexuel. Cela figurait déjà dans le Code du
travail. On a une définition extensible, mais ce n'était pas le
cas dans toutes les situations que l'on peut rencontrer.
Le bizutage a donné lieu à de nombreux débats, et
nous-mêmes au ministère de la Justice, nous nous sommes
interrogés. Au-delà de ce qui existe déjà dans le
Code pénal, faut-il introduire de nouvelles dispositions ? Nous
avons fait l'analyse, après un travail très approfondi, que les
violences les plus graves intervenant au cours de bizutages, les violences
sexuelles caractérisées, pouvaient être
réprimées sur la base des dispositions existantes du Code
pénal. Néanmoins, certains types de violences - par exemple des
pressions collectives - n'étaient pas et ne pouvaient pas être
réprimés sur la base du Code pénal actuel.
Si vous le souhaitez, nous pouvons approfondir ce point dans la discussion.
Pour ma part, je me suis fait communiquer des exemples précis pour
pouvoir me déterminer.
Voilà, monsieur le Président, ce que je peux dire en introduction
sur ce texte.
M. le PRÉSIDENT
- Madame le Garde des Sceaux, nous vous
remercions de la présentation de ce texte. Il n'est pas besoin de dire
que nous avons prêté une extrême attention à ce que
vous avez dit.
Madame le Garde des Sceaux, j'adhère totalement à votre propos.
Vous avez indiqué qu'il s'agissait d'un problème grave auquel le
législateur devait apporter des solutions, que c'était un texte
fort. Nous le considérons comme tel. Vous nous avez dit aussi que c'est
un texte du Gouvernement, j'en suis bien persuadé. Mais enfin, je
suppose que, puisqu'il s'agit d'un texte du Gouvernement, tous les membres du
Gouvernement, quels qu'ils soient, adhèrent maintenant aux propositions
qui sont faites.
Mme Elisabeth GUIGOU, Garde des Sceaux, ministre de la Justice
- Bien
entendu.
M. JOLIBOIS -
Madame le Garde des Sceaux : une remarque
générale et une remarque plus ciblée. Concernant la
remarque générale, avez-vous actuellement des études
relativement affinées du nombre de magistrats que représenterait
(qu'impliquerait?) l'application normale de ce texte : le nombre de magistrats,
le coût; s'il y aurait dans toutes les juridictions le personnel
spécialisé d'assistance ? Vous savez que la commission des
Lois est légitimement préoccupée par le problème
des moyens de la Justice depuis un certain temps déjà ;
question que nous avions déjà abordée ensemble lorsque
j'ai eu le plaisir de vous rencontrer à propos de ce texte.
Deuxième question, plus ciblée : concernant l'article 50 nouveau,
je me préoccupe du problème que pose la création du
Fichier national destiné à centraliser les
prélèvements de traces et empreintes génétiques
etc. Cet article, à ma connaissance, a été introduit par
un amendement de l'Assemblée nationale, et le Gouvernement ne s'y
était pas opposé. Je crois que vous aviez indiqué que vous
vous renseigneriez, que vous prendriez contact avec la cnil pour savoir comment
cet article pouvait être compatible avec une jurisprudence
générale de la cnil, et surtout comment et jusqu'à quel
point ce fichier, pourrait être utilisé.
Troisième question ciblée : avez-vous pu approfondir la
question posée par l'application de ces textes pour les infractions qui
seraient commises à travers le réseau Internet ? Nous nous
sommes déjà entretenus de la difficulté du point
d'application pénale de ces délits très fugitifs commis au
travers d'un réseau Internet qui, par définition, est à la
fois international et quasi-secret dans certains cas.
M. DREYFUS-SCHMIDT
- C'est un point qui peut paraître de
détail mais je suis quelque peu choqué de la confusion entre
crime et délit. Il y en a déjà eu : on a vu des
délits qui sont devenus des crimes, on voit des crimes qui sont
correctionnalisés. Mais c'est la première fois que j'entends
parler de l'hypothèse d'une prescription criminelle pour un
délit. Encore une fois, c'est une détail, mais ou il y a
délit ou il y a crime, sinon plus personne ne s'y reconnaîtra si
l'on porte atteinte à des règles aussi simples et sacro-saintes
que celles-là.
Je voulais donc connaître le fondement de la chose. Tout de même,
en la matière, tout le monde accepte déjà que la
prescription ne parte que de la majorité - c'est déjà
quelque chose d'extraordinaire - mais si en plus on ajoute dix ans pour un
délit, cela fait vraiment beaucoup !
M. le PRÉSIDENT
- Je suis tout à fait d'accord avec vous,
mais on peut comprendre malgré tout que, dans ce domaine, après
la majorité - 18 - 21 ans - il y a un problème. Je reconnais
qu'il faut peut-être le trancher. Nous en reparlerons entre nous en
commission suivant les principes qui sont ceux que vous avez dits ou suivant
cette considération particulière qui se fonde sur des
données extrêmement psychologiques et difficiles : à 18
ans, on est majeur. On a trois ans pour se rappeler de ce qui s'est
passé à l'âge de 5 ou 6 ans.
M. DREYFUS-SCHMIDT
- Pour un délit en tout cas.
M. le PRÉSIDENT
- Pour un délit, bien sûr. Mais on
ne sait pas si c'est un crime.
M. BONNET
- Madame la ministre, pouvez-vous nous dire ce que vous pensez
de l'irruption de la vidéo dans un tel domaine ? Que pensez-vous de
l'introduction de la vidéo dans une instance judiciaire devant tout un
public qui pourra reprendre cela dans les médias, et plus
singulièrement dans certaines publications qui font appel aux instincts
les moins évocateurs de sentiments nobles ? C'est une chose qui,
pour ma part, m'épouvante, surtout dans un tel domaine.
M. HYEST
- Monsieur le président, il y a une tendance
générale à la multiplication des délits qui fait
que le Code pénal devient très compliqué. Vous nous avez
dit, madame le Garde des Sceaux, que vous vous étiez interrogée
sur le nouveau délit de " bizutage ". Vous nous avez dit que
c'est en fonction de situations qui ne sont pas couvertes par les dispositions
générales du Code pénal - qui sont effectivement des
violences de tous ordres - que vous avez été amenée
à retenir cette nouvelle incrimination.
J'aimerais connaître ces situations. On trouve une traduction de ces
situations dans un texte : atteinte à la dignité de la personne.
Quand on insulte une personne, on insulte sa dignité. Jusqu'où
va-t-on ? Le délit est précis et correspond à une
situation réelle. Ou alors ne risque-t-on pas d'avoir un texte qui ne
soit pas applicable, les attitudes en plus.
M. le PRÉSIDENT
- Quelqu'un souhaite-t-il encore prendre la
parole ?
M. BADINTER
- Monsieur le président, à propos des
problèmes juridiques très complexes, à mon sens, que pose
l'utilisation de tout enregistrement audiovisuel au regard des principes de
moralité des débats et au regard des droits de la défense,
ce n'est pas un question simple. Il faut y regarder de très près.
M. Bonnet a évoqué l'aspect émotionnel, le risque
d'impression, hors de la cour d'Assises elle-même ou du tribunal, pour un
mineur, de l'effet produit par une projection. Pour ce qui me concerne, c'est
tout à fait autre chose. Cela se situe au regard des exigences de la
procédure pénale, que ce soit la procédure criminelle ou
la procédure correctionnelle, s'agissant d'adultes, auteurs
d'infractions.
M. le PRÉSIDENT
- Oui, nous avons évoqué ce
problème tout à l'heure, madame. Nous nous sommes mis dans la
situation de défenseurs éventuels qui seraient face à une
déclaration mensongère enregistrée. Ce n'est pas
très fréquent, mais c'est possible.
L'auteur des propos est peut-être encore présent ; il nous a
été dit que c'était une situation que l'on pouvait dominer
techniquement, parce qu'il existait peut-être sur le marché
à venir des psychologues qui, à partir de 19 critères,
étaient tout à fait capables de détecter si ce qui
était dit était mensonger ou vrai.
On a eu un réflexe de retrait, les 19 critères nous ont quelque
peu surpris.
M. BONNET
- Dix neuf tests de crédibilité.
M. le PRÉSIDENT
- Par ailleurs, puisque le problème des
moyens a été évoqué - nous savons combien vous y
êtes sensible - il est certain que les moyens sont prévus pour ce
qui relève de la Justice, mais dans la limite de ce que permet le
budget. Il y a aussi les dépenses éventuelles du ministère
de la Santé qui ne me semblent pas avoir été bien prises
en compte, tout au moins dans l'évaluation.
La parole est à M. Pierre Fauchon.
M. FAUCHON
- Monsieur le président, pour répondre à
votre provocation, je voulais rejoindre ce qui a été dit par
d'autres sur le bizutage. Je suis de ceux qui sont très contents que
l'on s'inquiète enfin de ce qui se passe, qui est si contraire à
la dignité humaine et qui, chose extraordinaire, se déroule dans
les milieux de l'enseignement où on pouvait espérer trouve une
plus grande délicatesse de manières.
Cela étant dit, faut-il vraiment un texte nouveau ? Je suis
convaincu qu'il y a des actions à conduire, mais faut-il vraiment un
texte nouveau ? Je suis toujours réticent à créer de
nouveaux textes parce que c'est quelquefois la seule chose qu'on puisse faire.
C'est une vieille habitude chez nous : on est en présence d'un
problème grave et on en prend conscience tout soudainement, comme s'il
était nouveau. On rédige donc un texte, alors que quelquefois le
texte existe et que si on voulait le prendre un peu plus au sérieux et
l'appliquer dans ces cas-là, on obtiendrait des résultats
peut-être équivalents !
Mme Elisabeth GUIGOU, Garde des Sceaux, ministre de la Justice
-
Monsieur le président, pour répondre à votre rapporteur,
M. Jolibois, les moyens sont pour moi une question fondamentale à
laquelle je suis particulièrement sensible. J'ai d'ailleurs
décidé de ne plus annoncer de projets de loi qui ne seraient pas
suivis de moyens destinés à garantir leur application. Je me suis
donc évidemment posé cette question dès le départ.
L'une des raisons, parmi d'autres, de la crise de confiance dans le
système judiciaire vient souvent du fait que l'on a fait des effets
d'annonce sans s'assurer que cela serait suivi d'une application. J'en ai
tiré des conclusions très concrètes dans mon projet de
budget pour 1998 que j'aurai l'honneur de présenter devant vous
bientôt.
D'abord, cela a été un élément important pour
justifier l'augmentation du nombre de magistrats. Je signale que mon projet de
budget prévoit, pour 1998, 70 postes de magistrats. Les postes sont
disponibles mais ils ne seront évidemment pas tout de suite
attribués, sachant qu'il faut le temps de recruter les personnes et de
les former. C'est la plus forte création de postes de magistrats depuis
dix ans. J'ai décidé d'affecter ces postes de magistrats, si
toutefois mon budget est voté par le Parlement, en priorité aux
juges des enfants, aux juges des affaires familiales, et aux juges
d'application des peines. C'est déjà un premier
élément.
J'ai ensuite décidé, sur les 762 postes créés -
effectifs nouveaux qui comprennent des magistrats et des fonctionnaires, dont
les 70 dont je viens de parler - d'en affecter 100 à la protection
judiciaire de la Jeunesse, c'est-à-dire justement à ces
éducateurs dont certains prendront en charge le suivi social, en partie
en tout cas, et dans certains cas le suivi judiciaire.
Un effort a donc été fait pour tenir compte en particulier de
l'existence de cette loi. Cela dit, vous avons raison de poser la question :
qu'en est-il des responsabilités des autres ministères ? Je
ne peux évidemment pas prendre d'engagement à la place de mes
collègues du Gouvernement. Lorsque j'ai élaboré ce projet
de loi, j'ai travaillé avec mes collègues du Gouvernement qui
sont principalement concernés, c'est-à-dire le ministre de
l'Intérieur, le ministre de la Santé et la ministre
déléguée à l'enseignement scolaire.
Peu avant la présentation du projet devant l'Assemblée nationale,
j'ai réuni ces mêmes ministres à la Chancellerie -
procédure assez exceptionnelle que je n'ai jamais connue sous les
gouvernements précédents auxquels j'ai participés - pour
que nous examinions la façon dont nous allions pouvoir assurer
l'application des dispositions du projet de loi, et en partie sur la
façon dont les enfants allaient être effectivement accueillis.
En dehors des moyens matériels, qui auditionnerait en premier les
enfants ? Après avoir consulté des associations, notamment
de protection des victimes - certaines d'entre elles étaient
conviées à cette réunion - nous avons décidé
d'étudier, à titre expérimental d'abord, mais avec
vocation à être généralisée, la
création de deux ou trois lieux dans les hôpitaux où se
déplaceraient les magistrats et les policiers pour écouter les
enfants, et où on garantirait que la première personne à
écouter l'enfant victime serait un pédopsychiatre, justement
parce que ces experts médicaux ont l'expérience de
l'écoute des enfants. Ils savent détecter, non seulement ce qu'il
y a derrière les paroles, mais aussi derrière les silences. On
voit bien qu'une première audition qui serait assez
systématiquement opérée par des praticiens, des
médecins, aurait pratiquement moins de risque de fermer les choses.
D'autre part, de la même façon que lors d'un accident grave de la
route, l'on doit être interrogé, et que les juges et les
médecins se déplacent à l'hôpital, je ne vois pas
pourquoi on ne ferait pas ce même effort pour les enfants. En tout cas,
je suis très favorable à ce genre de choses. Naturellement, cela
doit être entouré de précautions : chacun a des
responsabilités propres, chacun doit rester dans ses fonctions, que ce
soient les médecins, les policiers ou les magistrats. Il n'est pas
question de tout mélanger..
En tout cas, le souci du Gouvernement est de ne pas se limiter à faire
voter une loi - vous évoquiez ce point, monsieur le sénateur -
mais aussi de la faire appliquer. Voilà ce que je peux dire sur la
question des moyens.
Sur le Fichier national, c'est vrai que l'idée d'un tel fichier n'avait
pas été proposée dans le projet de loi par le
Gouvernement, parce que nous pensions que c'était plutôt du
ressort réglementaire. Mais nous ne contestions pas l'utilité
d'un tel fichier. Les députés ont préféré
mentionner le fichier dans la loi ; un amendement avait été
proposé qui allait très loin dans la détermination de ce
que serait ce fichier. Je l'ai refusé, mais je ne suis pas
opposée au principe de l'existence d'un fichier mentionné dans le
projet de loi, tout en précisant que ce fichier devra être
élaboré après consultation de la Commission nationale
Informatique et Liberté.
Où en sommes nous à ce propos ? D'abord, nous faisons
évidemment un travail approfondi, car qui dit fichier dit aussi
attention à la protection des libertés. On se pose
immédiatement plusieurs questions. Qui mettre dans ce fichier ?
Comment le contrôler et qui peut l'utiliser ? Qui peut
l'utiliser ? Question fondamentale. Je n'ai pas d'a priori et
d'idée arrêtée, mais j'aborde cette question avec beaucoup
de prudence, et je crois que nous devons faire très attention.
Nous avons d'abord engagé un travail interministériel de
consultation des ministères concernés : Intérieur,
Défense et Justice. Quand j'aurai reçu la position de ces
différents ministères, je saisirai alors officiellement la
Commission nationale Informatique et Liberté.
C'est vrai que nous avons déjà réfléchi, en dehors
de ces grandes questions, sur des problèmes très complexes. Par
exemple, pourra-t-on inclure dans ce fichier des empreintes
génétiques de personnes condamnées pour infraction
sexuelle lorsque leur empreinte n'aura pas été établie au
cours de la procédure d'information ? Question importante
évidemment.
Lorsqu'on ne peut pas trouver de trace génétique - puisque c'est
le terme employé dans le texte - sur la victime, comment fait-on ?
C'est un exemple pour signaler le type de problème. En tout cas, ce
seront les empreintes des condamnés qui seront retenues, et
naturellement ce seront les juges qui pourront utiliser ce fichier.
L'idée de ce fichier est destinée à permettre aux
magistrats de pouvoir être plus efficaces dans leurs investigations.
Voilà ce que je peux dire pour l'instant. Nous allons
considérablement approfondir ce sujet, et je ne me déterminerai
pas sans avoir l'avis formel de la Commission nationale Informatique et
Liberté.
Sur Internet, vous avez raison de dire, monsieur le rapporteur, que c'est un
sujet important que nous commençons à peine à aborder. Les
personnes, les serveurs qui abonnent au réseau Internet peuvent,
d'ailleurs à leur insu, se trouver complices d'infractions
pénales en diffusant sans le savoir des images pornographiques à
caractère pédophile etc.
Comment arriver à contrôler ? En principe, selon le Code
pénal, on ne peut pas être poursuivi quand on n'est pas
directement responsable. Sauf qu'on ne peut pas s'en tenir là,
s'agissant d'un réseau mondial.. Moralement, on ne peut pas en rester
à l'idée que nous ne pouvons pas contrôler les infractions
à nos lois qui seraient commises par le biais d'Internet.
Une réflexion est menée actuellement par le Gouvernement, en
liaison avec les professionnels qui eux-mêmes s'inquiètent parce
qu'ils ne veulent pas être complices d'infractions graves. C'est une
question que je préférerais voir réglée à
l'occasion d'un projet de loi spécifique que ma collègue,
ministre de la Communication, devrait principalement présenter et auquel
mon ministère devrait être étroitement associé.
J'en viens à la question de Michel Dreyfus-Schmidt sur les délits
: pourquoi augmenter la durée de prescription ? Pour des
délits très graves - qui ne sont pas des crimes - commis sur des
mineurs de 15 ans par des ascendants : des attouchements sexuels
effectués par un père sur son enfant, ou par un éducateur
d'ailleurs, je pense que 21 ans, c'est court comme délai de
prescription. On sait que les victimes de ces atteintes sexuelles sont
justement dans la position particulière de se sentir coupables, en
particulier lorsque leur agresseur est quelqu'un de leur famille, à plus
forte raison quand c'est un parent : le père ou la mère, mais le
plus souvent le père. C'est ce cas où les victimes se sentent
coupables.
Il y a donc une difficulté particulièrement grande à en
parler. Ce n'est pas nécessairement en repoussant le délai de
prescription que l'on garantit quoi que ce soit. Mais enfin, en laissant le
temps, quand les victimes deviennent adultes, qu'elles commencent à
avoir une vie sexuelle, certaines choses se libèrent. Voilà le
raisonnement. Je reconnais que d'un point de vue d'idéal juridique, ce
n'est pas l'idéal. Mais je me suis déterminée sur la base
du premier ordre de considération.
Monsieur Bonnet ainsi que M. Robert Badinter posent la question de
l'utilisation de la vidéo, notamment à l'audience. Nous avons
introduit cette disposition pour limiter le traumatisme de l'enfant, pour
permettre qu'on en effectue un enregistrement, et qu'ensuite, on utilise cet
enregistrement audio ou audiovisuel pour éviter la multiplication des
auditions. Voilà le raisonnement de base.
En ce qui concerne l'utilisation de cet enregistrement durant le procès,
ce n'est pas une obligation, c'est une faculté qui est ouverte. Je
reconnais que la puissance de l'image est quelque chose à laquelle il
faut faire très attention. A deux points de vue : soit, comme le disait
M. Bonnet, parce qu'il peut y avoir une curiosité malsaine de toutes les
personnes présentes dans un procès vis-à-vis de ce type
d'images terribles. Et puis, il peut y avoir aussi une utilisation excessive.
On peut imaginer les problèmes que peuvent créer pour la
défense la puissance de l'image, l'émotion qu'elle dégage.
C'est vrai mais c'est facultatif. J'ai plutôt tendance à faire
confiance à la sagesse des magistrats, des avocats présents. Je
pense qu'il y aura dialogue pour éviter ce type de mauvaise utilisation
dont je ne nie pas la possibilité au moment du procès. En tout
cas, au cours de l'instruction, l'utilisation de ce type d'instrument me
paraît important.
Sur la question du bizutage, quelles infractions; quelles violences justifient
cette nouvelle incrimination ? Je suis très attentive à
votre remarque sur le fait de ne pas légiférer à tout va.
Je crois également qu'il y a une prolifération, une tendance
à pénalisation qui n'est pas bonne dans son principe, elle
encombre. Surtout, elle rend difficile une recherche précise de certains
faits.
Ce qui a emporté ma décision, c'est l'exemple qui m'a
été cité des formes de pression collective qu'on ne peut
pas qualifier de viol ou de violence caractérisée. Quand un
groupe force un jeune homme ou une jeune fille à masturber des animaux,
cela n'entre pas nécessairement dans les qualifications actuelles du
Code pénal. Il n'y a pas viol, il n'y a pas violence
caractérisée. Et pourtant, on ne peut pas nier que ce sont des
atteintes très graves à la dignité des personnes.
Voilà le genre de choses qui se produisent quelquefois malheureusement
dans certaine bizutages. Il y en a d'autres que Mme Ségolène
Royal, si elle était là, pourrait vous citer, tant la liste est
longue. Pour ma part, c'est cet exemple-là qui m'a frappée.
M. le président
- Excusez-moi, mais un juge novateur peut
très bien dire que c'est une violence.
M. Pierre Fauchon
- On irait en cour de Cassation.
M. le PRÉSIDENT
- A la suite d'un procès portant sur
l'hypothèse que vous avez évoquée, avec tous les
qualifications qui s'ensuivraient, et si on allait en jugement en cour de
Cassation, on pourrait fort bien dire qu'il s'agit d'une violence.
M. Pierre FAUCHON
- Il faut bien reconnaître qu'avec un texte,
c'est plus court.
M. le PRÉSIDENT
- On ne peut pas faire un texte que pour des
hypothèses de ce genre. Ce n'est pas bien, certes, mais enfin !
Mme Ségolène ROYAL
Ministre
délégué auprès du Ministre de l'Education
nationale, de la Recherche et de la Technologie, chargé de
l'Enseignement scolaire.
M. le PRÉSIDENT
- La séance est reprise.
Madame la ministre, nous avons examiné l'ensemble des problèmes
posés par ce texte. Mme le Garde des Sceaux nous a apportés
certains éclairages et a répondu à certaines de nos
objections. Nous savons le rôle que vous avez joué dans la partie
de ce texte qui concerne ce que l'on appelle aujourd'hui la répression
du bizutage.
Je ne vous cache pas qu'à première vue, et de manière un
peu rapide sans doute, la réaction de la commission a été
de se demander - question que nous approfondirons - si l'ensemble de ce que
comporte le Code pénal nouveau ne permet pas de réprimer ce qu'il
peut y avoir d'abusif dans le maintien et l'exagération de traditions
que nous avons tous subies.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Ségolène ROYAL, ministre déléguée
auprès du ministre de l'Education nationale, de la Recherche et de la
Technologie, chargée de l'Enseignement scolaire
- Monsieur le
président, Mme le Garde des Sceaux a du déjà
répondre à cet aspect des choses.
La question que vous posez est tout à fait fondée parce qu'on
observe que les différents sévices subis lors des
opérations de bizutage trouvent, la plupart du temps, une traduction
dans l'actuel Code pénal. Toutefois, la nature même de ces
sévices fait que les victimes ne portent pas plainte parce qu'elles ont
peur des mesures de rétorsion, qu'elles veulent absolument poursuivre
leurs études, et que la première sanction des engagements de
plaintes serait que des victimes se trouveraient ainsi mises au ban des
établissements d'éducation qu'elles fréquentent.
L'actualité récente nous démontre d'ailleurs la grande
utilité de ce texte. J'ai mis en place, au ministère de
l'Education nationale, un numéro SOS Violence sur lequel arrivent tous
les jours une quarantaine d'appels. La plupart de ces appels sont anonymes.
Mais quand nous engageons des enquêtes dans les établissements sur
lesquelles portent ces signalements, nous observons qu'ils sont réels.
Ce sont les parents qui appellent la plupart du temps parce qu'ils sont
inquiets de l'état physique de leurs enfants. Cela a d'ailleurs conduit
à la fermeture de deux centres ensam de Lille, à la suite des
appels de détresse lancés par les parents ou par les proches des
étudiants dans ces établissements.
De même, ce qui s'est passé au lycée Thiers à
Marseille vient directement d'un appel de la famille d'une jeune fille qui
avait subi des violences à connotation sexuelle dans le cadre d'une
classe préparatoire.
Lorsque les interlocuteurs sont au téléphone, on conseille aux
familles de déposer une plainte, ce qui leur faciliterait les choses et
permettrait d'éradiquer définitivement ce type d'affaire. Or,
nous n'avons eu aucun dépôt de plainte.
Le dispositif législatif envisagé permet de poursuivre ces faits,
même lorsqu'il n'y a pas plainte. C'est la raison pour laquelle il est
indispensable, dans le contexte actuel où nous avons beaucoup de mal
à lever la loi du silence, de combattre certaines traditions. D'autant
qu'aucune tradition ne justifie certaines pratiques de brimades dont sont
d'ailleurs, en majorité, victimes les jeunes filles. Par
conséquent, un message de la représentation nationale est
nécessaire pour dire qu'il n'y a plus de comportement de
tolérance à l'égard de ces pratiques.
Les ministres successifs de l'Education ne sont pas restés inertes ;
tous ont rédigé des circulaires sur la base de l'actuel Code
pénal. Ces circulaires sont restées sans effet,
précisément parce qu'il n'y a pas de plainte des victimes.
Par conséquent, le dispositif législatif paraît d'autant
plus important que certains faits ne sont actuellement pas incriminés
dans le Code pénal, par exemple, lorsque les élèves
s'exercent sur eux-mêmes des violences sous la pression psychologique.
Pour vous donner un exemple, je me suis rendue récemment au lycée
Pothier d'Orléans, suite à l'appel d'un proviseur qui a
parfaitement bien réagi. Des élèves de seconde dans une
section sports-études judo avaient été contraints par
leurs camarades de première de se raser les organes sexuels chez eux
avant le retour de leur famille le lundi. Vous imaginez le traumatisme sur ces
enfants en classe de seconde !
Ce sont donc des jeunes qui s'exerçaient sur eux-mêmes des
violences. Ces faits ne sont pas incriminés par le Code pénal. Ou
alors, il faut prouver la pression psychologique, mais comme la logique du
bizutage veut que les victimes soient consentantes, volontaires pour s'infliger
à elles-mêmes ce type de sanction, toutes les plaintes
déposées ont été classées sans suite. C'est
ainsi qu'un élève d'une école des Arts et Métiers
qui avait maigri de huit kilos au cours de son bizutage - les faits ont
été constatés par un médecin - a eu le courage de
déposer plainte. Cette plainte a été classée sans
suite, et la société des anciens élèves a
porté plainte à son tour contre lui pour diffamation puisque sa
plainte n'avait pas été suivie de condamnation.
Il convient donc d'éradiquer certaines de ces pratiques dans la mesure
où ce sont toujours les plus faibles qui en sont les victimes. Ceux qui
ont une force psychologique arrivent à résister. Ceux qui sont
timides, trop gros, trop maigres, qui ont des défauts physiques sont
ceux qui sont en général les plus meurtris dans ces
procédures, parce qu'on sait que l'instinct du groupe est
particulièrement féroce et que la transgression des interdits se
fait au nom du groupe, au nom des pseudo traditions, puis au nom d'une certaine
passivité des adultes, malheureusement.
M. JOLIBOIS
- Nous nous sommes déjà exprimés
à ce sujet. L'un des arguments de ceux qui ne seraient pas prêts
à faire du bizutage un délit spécial est que le nouveau
Code pénal incluant le nouveau texte sur la mise en danger, permettrait
d'atteindre toutes les hypothèses. Tout particulièrement,
l'article 222-13 vise les violences qui n'ont entraîné aucune
incapacité de travail. Il précise notamment que quand plusieurs
personnes agissent en qualité d'auteurs ou de complices, et qu'il y a
choc émotif, même quand il n'y a pas d'incapacité de
travail, il y a forcément violence. Toute la jurisprudence de la Cour de
Cassation sur le choc émotif le démontre.
Par conséquent, on peut penser que s'il y avait une volonté des
gens qui détiennent le pouvoir disciplinaire et l'autorité dans
les lieux où cela se passe de prendre leurs responsabilités,
elles utiliseraient cet article à défaut des plaintes des
victimes.
Vous nous dites que les victimes ne porteraient pas plainte. Nous avons entendu
tout à l'heure le proviseur du lycée Pothier d'Orléans qui
a fait parvenir une sorte de plainte au procureur de la République, qui
lui-même, tout à fait sensibilisé par ce que vous dites, a
comme mission de poursuivre dans ces cas-là. La question qui se pose est
de savoir si le choc émotif, le choc psychologique ne seraient pas
suffisants.
A cela s'ajouterait l'action des deux ministres : celui qui rappelle à
l'autorité disciplinaire et celui qui poursuit, avec en même temps
une circulaire, peut-être complétée par rapport à
celle que vous avez faite plus récemment. Cette circulaire que l'on m'a
remise vise un certain nombre de délits mais peut-être pas la
totalité de ceux qui pourraient être visés, en
rappelant : " Vous avez l'autorité disciplinaire, exercez-la
parce que le texte est très difficile à faire. " D'autre
part, c'est un texte " comportemental " ; il y a des
comportements
attentatoires à la dignité des autres et il est difficile de les
traduire exactement et de manière très nuancée dans un
texte pénal pour bien déterminer les faits
répréhensibles par rapport à ceux qui ne le sont pas.
L'autorité disciplinaire ne pourrait-elle pas, si elle suivait avec
beaucoup de fidélité votre circulaire, réprimer ce qu'en
fait vous voulez réprimer ? Telle est la question que nous nous
posons.
M. DREYFUS-SCHMIDT
- Madame la ministre, j'ai quelque peu défendu
le texte tout à l'heure dans la mesure où il peut y avoir, pour
une fois au moins, un effet d'affiche. Cela a également
été défendu par un chef d'établissement que nous
avons entendu. On saura que le bizutage est quelque chose de sérieux qui
ne doit pas dépasser certaines limites. Cela peut se soutenir si l'on
trouvait dans le texte le mot " bizutage " par exemple.
Après
avoir parlé d'élèves ou d'étudiants, on en
était arrivé à l'Assemblée nationale à
parler de personnes, mais on a continué en disant : " lors de
manifestations ou de réunions liées au milieu scolaire,
éducatif, sportif ou associatif ". On doit le reconnaître.
Cela dit, il y a un problème : si ce que vous nous dites est vrai,
à savoir qu'il y a des actes ou des comportements qui portent atteinte
à la dignité de la personne humaine, et qui ne seraient pas
visés par le Code pénal - ce dont je ne suis pas sûr - il
faudrait les punir, même lorsque ce n'est pas lors de manifestations ou
de réunions liées aux milieux scolaires etc. Il n'y a pas de
raison.
M. JOLIBOIS
- C'est toute la question.
M. DREYFUS-SCHMIDT
- Cela pose la difficulté de ce texte. C'est
surmontable, mais tel qu'il est là, il n'y a pas de raison de se limiter
aux réunions ou aux manifestations sportives, scolaires etc.
M. le PRÉSIDENT
- C'est un problème. Nous vous avons
donné quelques informations ; ce sont de premières
réactions. Nous avons le texte, nous allons l'étudier et en
délibérer en commission. Notre état d'esprit est bien de
partager nos sentiments réciproques, à savoir qu'il y a un
problème et qu'il faut faire quelque chose. Mais quoi ?
M. JOLIBOIS
- Il faut faire quelque chose, mais quoi ?
M. le PRÉSIDENT
- A côté du bizutage que j'ai
moi-même vécu et qui n'était pas bien méchant, il y
a des choses vraiment atroces.
M. JOLIBOIS
-..et dangereuses dans certains cas, qui débouchent
sur de véritables accidents, ne l'oublions pas ! Les accidents ne
sont pas fréquents mais il y en a.
Mme Ségolène ROYAL, ministre déléguée
auprès du ministre de l'Education nationale, de la Recherche et de la
Technologie, chargée de l'Enseignement scolaire
- Monsieur le
président, en réponse à ces propos, ce qui m'interpelle,
c'est qu'il y a eu très peu de plaintes et que le peu de plaintes qui
ont été déposées ont été
classées. Même pour ceux qui ont eu le courage de porter plainte,
toutes ces plaintes ont été classées !
M. JOLIBOIS
- La politique pénale est inspirée par Mme le
Garde des Sceaux.
Mme Ségolène ROYAL, ministre déléguée
auprès du ministre de l'Education nationale, de la Recherche et de la
Technologie, chargée de l'Enseignement scolaire
- Oui, mais je
pense que les procureurs se sont appuyés sur un vide juridique pour
justifier cela. Je le précise par rapport à l'interrogation que
vous posez sur la nécessité ou non de compléter la loi, et
en particulier sur la notion de victime consentante.
M. BADINTER
- Monsieur le président, ma préoccupation est
d'un autre ordre. Ce qui me gêne - je suis partisan de la
répression du bizutage et de la fermeté dans ce domaine - et me
préoccupe, c'est que dans le nouveau Code pénal comme dans
l'ancien, nous avons essayé de prendre garde, autant que faire se
pouvait, à une hiérarchie des valeurs dans notre
société.
A notre époque, l'atteinte à la dignité humaine me
paraît relever d'incrimination, non pas mineure mais majeure. Ce qui me
gêne c'est qu'ici, on pense bizutage, cour d'école etc.,
lié - comme l'a évoqué Michel Dreyfus-Schmidt - à
certains cercles. Nous aboutissons à une incrimination qui contient,
dans sa version de l'Assemblée nationale : " (tout).acte ou
comportement portant atteinte à la dignité de la personne humaine
est puni de six mois d'emprisonnement. ", sans autre
précision !
Je demande que l'on s'interroge. Si nous allons vers une incrimination, il faut
examiner bien attentivement au regard de l'équilibre du Code, de l'acte
qui porte en soi atteinte à la dignité humaine. Je ne pense pas
que l'on puisse s'en tenir à ce niveau-là. Vraiment, c'est au
coeur des choses, et je n'ai pas besoin de dire quels partis politiques passent
leur temps à s'attaquer à la dignité humaine.
C'est un problème qui n'est pas simple, et je souhaiterais que nous y
réfléchissions tous. L'atteinte à la dignité
humaine, si l'on regarde le Code pénal aujourd'hui, ce n'est pas
grand-chose.
Mme Ségolène ROYAL, ministre déléguée
auprès du ministre de l'Education nationale, de la Recherche et de la
Technologie, chargée de l'Enseignement scolaire -
C'est vrai que
nous nous sommes posé la question. La réponse que nous avons
trouvée est la suivante : quand les actes sont déjà
qualifiés dans le Code pénal : viol, violences sexuelles,
absorptions de substances dangereuses etc., à ce moment-là, c'est
le code pénal qui s'applique avec les sanctions prévues à
ces actes nommément identifiés.
Mais nous avons observé qu'il y avait dans le bizutage une
dégradation de la personne humaine, des atteintes portées
à la personne humaine, des actes d'humiliation qui ne trouvaient pas de
qualification dans le Code pénal. C'est la raison pour laquelle il nous
a paru essentiel de trouver une nouvelle incrimination qui permette aussi,
à ces actes-là, d'être poursuivis.
Lorsque, par exemple, dans un bizutage récent, on force une jeune fille
à faire des fellations sur un vibromasseur, il n'y a pas de
qualification dans le Code pénal. Néanmoins, je considère
que c'est une atteinte intolérable. Cette jeune fille peut être
marquée à vie par ces actes qui lui sont imposés.
M. BADINTER
- Dans ce cas, il y a qualification.
Mme Ségolène ROYAL, ministre déléguée
auprès du ministre de l'Education nationale, de la Recherche et de la
Technologie, chargée de l'Enseignement scolaire
- Quelle est la
qualification ?
M. JOLIBOIS
- C'est une violence.
M. BADINTER
- C'est une violence sexuelle à l'état pur.
M. le PRÉSIDENT
- C'est une violence. La violence est un acte qui
vous conduit, avec des procédés contestables à accomplir
un certain nombre de choses que, normalement vous n'accompliriez pas. Cette
jeune fille a été placée dans une situation
intolérable ; c'est une violence.
Mme Ségolène ROYAL, ministre déléguée
auprès du ministre de l'Education nationale, de la Recherche et de la
Technologie, chargée de l'Enseignement scolaire
- Dans le cadre
du bizutage, si une plainte était déposée, elle serait
classée ; la jeune fille ne porterait donc pas plainte, et les
bizuteurs diront qu'elle était consentante.
C'est pourquoi on se heurte systématiquement à ce
problème, puisque, si la jeune fille portait plainte dans le cadre d'une
violence qui lui est imposée, alors les choses sont claires. La
difficulté, c'est que dans toutes les opérations de bizutage, la
victime ne porte jamais plainte parce qu'elle veut continuer ses études.
Le ressort même du bizutage est la menace sur la poursuite des
études. Il y a sujétion de jeunes à ces pratiques parce
qu'ils tiennent avant tout à la poursuite de leurs études. Il y a
donc un contexte particulier par rapport à un délit particulier.
M. le PRÉSIDENT
- Croyez-vous que la loi va les forcer à
porter plainte ?
M. BADINTER
- Le texte en tant que tel ne porte pas remède au
problème que vous évoquez. Le problème que vous
évoquez, qui est juste et qui est insupportable, c'est la
complicité de la victime pour des raisons qui sont en
réalité des contraintes - fausse complicité mais
complicité de fait - avec les auteurs de l'infraction pour des raisons
multiples : c'est la loi du silence. Il faut appeler les choses par leur nom.
Cela relève d'autres problèmes, c'est la poursuite
elle-même qui intervient, sans que l'on ait besoin à cet
égard, qu'elle soit déclenchée par la victime etc.
Nous sommes la commission des Lois et il faut donc examiner le texte en tant
que tel. Le texte ne règle pas le problème que vous
évoquez, pas plus celui-là que les autres. Cependant, nous sommes
à un degré d'incrimination concernant l'acte qui porte atteinte
à la dignité de la personne humaine. Le problème est
sérieux et il faut vraiment y réfléchir.