EXAMEN EN COMMISSION
Mme Françoise Dumont, rapporteur. - Chers collègues, la proposition de loi que nous allons examiner aujourd'hui fait suite aux travaux de la mission d'information d'Anne-Marie Nédélec et Émilienne Poumirol sur les cancers imputables à l'activité de sapeur-pompier, qui s'est achevée en mai dernier.
Comme le préconisait la mission d'information, le texte vise à renforcer le suivi de l'exposition des sapeurs-pompiers à des agents toxiques pour leur santé, notamment afin de favoriser la reconnaissance des maladies professionnelles au sein de la profession. En effet, les progrès scientifiques récents ont permis de mieux identifier les risques encourus par les soldats du feu, sans que ces derniers fassent nécessairement l'objet d'un suivi renforcé.
Il n'est nul besoin de rappeler les multiples dangers auxquels les sapeurs-pompiers font face, au quotidien, pour assurer le secours et la protection de leurs concitoyens. Les risques d'accidents du travail, qui représentent 99 % de la sinistralité déclarée chez les agents des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis), sont désormais largement documentés.
Ces dernières années, la recherche internationale a également permis de mieux expertiser les risques de maladies professionnelles consécutives aux expositions répétées des sapeurs-pompiers à des substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction.
Il est ainsi désormais avéré que le contact quotidien avec les produits de combustion des incendies, les matériaux de construction - dont l'amiante - ou encore les produits chimiques contenus dans les mousses anti-incendie et les retardateurs de flamme est susceptible de conduire au développement de pathologies graves, y compris des années après l'exposition.
Aussi, depuis 2022, le Centre international de recherche sur le cancer catégorise l'activité de sapeur-pompier comme cancérogène. Il relève notamment un risque d'apparition plus élevé de 58 % que pour la population générale pour le cancer du mésothéliome, et de 16 % pour le cancer de la vessie. Des preuves plus limitées existent s'agissant d'une prévalence accrue des cancers du côlon, de la prostate ou du mélanome.
Or, si les risques médicaux sont désormais mieux documentés à l'échelle internationale, le nombre de maladies professionnelles déclarées chez les sapeurs-pompiers demeure à un niveau particulièrement faible en France. Loin d'être réjouissant, ce constat pourrait, selon le rapport d'information de nos collègues, refléter un phénomène de sous-déclaration d'ampleur des pathologies imputables au service.
De fait, la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) n'a recensé que vingt-quatre déclarations de maladies professionnelles pour les sapeurs-pompiers professionnels en 2023, représentant 0,5 % de la sinistralité pour cette catégorie d'emploi. La Caisse indique, en outre, qu'aucun cancer professionnel n'a été détecté chez ces agents entre 2013 et 2025.
La faiblesse de ces chiffres ne peut qu'interpeller au regard des connaissances scientifiques récentes dont je viens de vous faire part, et nous amener à nous interroger quant aux obstacles scientifiques, administratifs ou humains à la reconnaissance de l'origine professionnelle de certaines pathologies.
Cette question est primordiale, puisque, en l'absence de la reconnaissance d'une maladie professionnelle, l'agent ne peut ni voir ses frais médicaux pris en charge par le Sdis, ni bénéficier du congé pour invalidité temporaire imputable au service assurant un niveau de revenu équivalent, ni percevoir l'allocation temporaire d'invalidité.
À cette question primordiale, nos deux collègues auteures de la proposition de loi répondent en pointant du doigt les difficultés des sapeurs-pompiers à démontrer le lien entre leur pathologie et les missions exercées dans le cadre de leur fonction.
En effet, hormis pour certaines maladies figurant dans les tableaux annexés au code de la sécurité sociale et disposant, en conséquence, d'une présomption d'imputabilité au service, il revient à l'agent d'établir que sa pathologie est essentiellement et directement causée par son activité afin d'obtenir la reconnaissance de la maladie professionnelle.
Or, comme l'a démontré la mission d'information, bien trop souvent, le malade ne dispose pas de preuves matérielles recensant les expositions à des agents toxiques année après année et n'est donc pas en mesure d'objectiver l'origine professionnelle de sa maladie.
Pourtant, le cadre réglementaire impose une telle traçabilité : l'obligation de réaliser un relevé d'exposition à des substances nocives figure, en effet, dans un décret en date du 5 novembre 2015. Celui-ci prévoit que l'autorité territoriale réalise annuellement une synthèse relevant l'ensemble des activités potentiellement exposantes de l'agent, et délivre, lorsque ce dernier quitte le Sdis, un document cumulant toutes les synthèses annuelles. Ces documents sont, en théorie, conservés pour une durée de cinquante ans.
Toutefois, de l'aveu même des directeurs de Sdis, ces dispositions sont aujourd'hui très imparfaitement mises en oeuvre. Cela est particulièrement préjudiciable, puisque des relevés d'exposition incomplets, voire inexistants, rendent presque impossible la démonstration de l'imputabilité au service, le conseil médical ne disposant alors d'aucun élément factuel.
En conséquence, la présente proposition de loi entend répondre à ces défaillances par deux leviers. D'une part, elle prévoit l'inscription dans la loi de l'obligation, pour le Sdis, de réaliser une fiche d'exposition dès lors qu'un sapeur-pompier a, dans le cadre de ses fonctions, été au contact d'agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction. La production effective de ces fiches d'exposition doit faciliter la démonstration du lien entre la pathologie d'un pompier et son activité, y compris si cette dernière a pris fin il y a plusieurs années.
D'autre part, la proposition de loi prévoit la publication de modèles nationaux de fiche d'exposition, dont les Sdis pourraient se saisir afin de garantir une traçabilité exhaustive et standardisée entre tous les départements.
L'inscription de cette obligation - aujourd'hui réglementaire - dans la loi doit entraîner un réel sursaut de la part des employeurs pour se conformer aux normes en vigueur. Si certains Sdis sont proactifs et ont adopté des dispositifs de suivi mieux-disants que les obligations réglementaires, d'autres sont malheureusement en situation de décrochage. Le renforcement de la portée de ces obligations par l'adoption du présent texte doit permettre de mettre fin à cette inégalité. En outre, l'octroi d'une valeur législative à ces dispositions leur garantit une protection plus forte, puisqu'elles ne pourront être amoindries par de futurs décrets et feront l'objet d'un suivi attentif et régulier par le Parlement.
La proposition de loi prévoit, en complément, la publication d'un modèle national de fiche d'exposition à des facteurs de risques spécifiques à l'activité des sapeurs-pompiers, afin de faciliter le respect des obligations de suivi par les employeurs. En effet, comme l'ont indiqué les directeurs de Sdis, les spécificités de l'exposition des pompiers rendent très difficile l'évaluation exacte des risques de contamination, puisque ceux-ci varient pour chaque intervention, en fonction du type d'incident ainsi que du port ou non des équipements de protection. En l'absence d'instructions nationales, les modalités de traçabilité s'avèrent très disparates et souvent incomplètes, donc inutilisables par le patient et le médecin agréé.
Faisant suite aux recommandations de la mission d'information et anticipant ainsi quelque peu l'examen de ce texte, la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) a publié, le 14 janvier dernier, des modèles nationaux de synthèse annuelle d'exposition et d'attestation d'activités potentiellement exposantes.
L'utilisation de ces modèles nationaux par l'ensemble des Sdis doit garantir la standardisation de la traçabilité des activités potentiellement exposantes, permettre une meilleure orientation individuelle des agents vers des examens médicaux de dépistage, ainsi que favoriser la reconnaissance en maladie professionnelle des pathologies, y compris lorsque celles-ci surviennent à distance des expositions.
Dans sa rédaction actuelle, la proposition de loi de nos collègues prévoit que ces modèles soient publiés par arrêté conjoint des ministres chargés du travail et de la fonction publique. Or, les modèles publiés il y a un mois par le ministère de l'intérieur semblent satisfaisants en tous points et ont déjà été communiqués à l'ensemble des Sdis. Par souci de lisibilité et de cohérence, je vous propose donc d'adopter un amendement prenant acte de la publication des documents par la DGSCGC depuis le dépôt du texte, afin de ne pas exiger la parution d'un nouvel arrêté.
Avant de conclure, mes chers collègues, je tiens tout de même à souligner que le renforcement de la traçabilité des expositions à des substances nocives prévu par ce texte doit impérativement se conjuguer avec l'amélioration des dispositifs de prévention à destination des sapeurs-pompiers.
Je pense notamment à la nécessité de garantir une meilleure application des protocoles de sécurité au sein de l'ensemble des établissements, de poursuivre les progrès dans le développement des équipements de protection et, enfin, d'assurer un suivi médical rigoureux des agents ayant été au contact d'éléments polluants ou toxiques pour la santé.
En effet, les dispositions que nous examinons aujourd'hui demeureront dénuées d'intérêt si les pouvoirs publics n'agissent pas en amont pour limiter au maximum l'exposition des agents aux substances susceptibles de les blesser et pour détecter les pathologies au plus tôt.
À cet égard et pour conclure, je salue la création, en 2024, d'un observatoire de la santé des agents des Sdis, qui a pour objet l'amélioration de la connaissance des risques encourus par les pompiers et l'élaboration de consensus sociaux autour de leur prise en charge. Cette nouvelle instance est toute désignée pour assurer le suivi de la mise en oeuvre des dispositions que nous examinons aujourd'hui, en maintenant un dialogue et un accompagnement utile de l'ensemble des parties prenantes.
M. Michel Masset. - Je remercie la rapporteure pour cette présentation. N'était-il pas envisageable d'intégrer un volet dédié à la santé des sapeurs-pompiers dans le schéma départemental d'analyse et de couverture des risques (Sdacr) ?
Par ailleurs, vous avez souvent parlé de sapeurs-pompiers professionnels, mais j'espère que les sapeurs-pompiers volontaires sont eux aussi pris en compte.
M. Pierre-Alain Roiron. - Ce texte s'inscrit dans la continuité de la mission d'information consacrée aux cancers professionnels des sapeurs-pompiers et répond à un enjeu majeur de santé publique : la protection de ceux qui sont en première ligne afin de protéger nos concitoyens.
Les sapeurs-pompiers volontaires et professionnels sont exposés à des risques graves et souvent invisibles, le Centre international de recherche sur le cancer ayant classé leur exposition aux fumées et aux substances toxiques comme cancérogène, avec des risques avérés de cancers divers. Pourtant, force est de constater que la reconnaissance des maladies professionnelles chez les sapeurs-pompiers reste insuffisante en France, seuls deux types de cancers étant reconnus, contre une vingtaine dans d'autres pays, dont le Canada.
Ce texte vise à combler ce retard en renforçant la traçabilité des expositions aux agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction. Nous saluons la proposition visant à instaurer un modèle national de fiche d'exposition à remplir pour chaque intervention à risque : elle permettra de documenter précisément les expositions et, ce faisant, facilitera la reconnaissance des maladies professionnelles. La fiche constitue un outil indispensable pour établir un lien entre les pathologies et l'activité professionnelle, notamment pour les cancers qui ne bénéficient pas encore d'une présomption d'imputabilité.
Cette proposition de loi ne doit pas être une fin en soi. Elle doit s'inscrire dans une politique globale de prévention et de protection, incluant notamment l'élargissement de la présomption d'imputabilité, le renforcement du suivi médical post-professionnel et une dotation en équipements de protection individuelle efficaces et certifiés, tels que des cagoules filtrantes, dont le déploiement nous semble encore trop lent.
Par ailleurs, il convient de ne pas minorer les lacunes actuelles en matière de prévention : la gestion fragmentée des risques entre les différents services départementaux, l'absence, jusqu'il y a peu, d'un modèle national de fiche d'exposition et les fortes contraintes budgétaires qui pèsent sur les Sdis ont rendu la traçabilité des expositions inefficace et inégale selon les départements.
Cette proposition de loi va dans le bon sens ; nous la soutiendrons.
Mme Françoise Dumont, rapporteur. - Monsieur Masset, les Sdacr concernent l'échelon départemental, alors que la proposition de loi de nos collègues vise justement une harmonisation de la traçabilité des expositions au niveau national.
Les sapeurs-pompiers volontaires sont bien évidemment concernés par les dispositions envisagées.
Mme Muriel Jourda, présidente. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous revient d'arrêter le périmètre indicatif de la proposition de loi. Je vous propose de considérer que ce périmètre comprend les dispositions relatives aux modalités de suivi de l'exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Mme Françoise Dumont, rapporteur. - L'amendement COM-1 vise à ne pas imposer la prise d'un nouvel arrêté relatif à la publication de modèles nationaux de fiche d'exposition, puisque ces documents existent déjà.
L'amendement COM-1 est adopté.
L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort de l'amendement examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article unique |
|||
Mme DUMONT, rapporteur |
1 |
Ne pas imposer la parution d'un nouvel arrêté pour la publication de modèles nationaux de fiche d'exposition |
Adopté |