N° 436

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 mars 2025

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi visant à garantir le suivi de l'exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction,

Par Mme Françoise DUMONT,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Sénat :

751 (2023-2024) et 437 (2024-2025)

L'ESSENTIEL

La proposition de loi n° 751 (2023-2024) d'Anne-Marie Nédélec et Émilienne Poumirol vise à traduire dans la loi une préconisation du rapport de la mission d'information sur les cancers imputables à l'activité de sapeur-pompier présenté le 29 mai 20241(*), visant à renforcer la traçabilité des expositions des sapeurs-pompiers à des substances nocives pour leur santé.

Le rapport d'information a en effet mis en lumière un risque de sous-déclaration généralisée des maladies professionnelles des sapeurs-pompiers, tenant pour partie aux difficultés à démontrer le lien entre les pathologies dont souffrent les soldats du feu et les expositions répétées à des agents toxiques dans le cadre de leur activité.

L'article unique de la proposition de loi vise en conséquence à inscrire dans la partie législative du code général de la fonction publique l'obligation pour le service départemental d'incendie et de secours (Sdis) de réaliser une fiche d'exposition dès lors qu'un sapeur-pompier a, dans le cadre de ses fonctions, été au contact d'agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR) ou prévus par le code de la sécurité sociale. Afin de garantir une application uniforme et exhaustive de ce suivi dans l'ensemble des Sdis, cet article prévoit la publication de modèles de fiches d'exposition dont pourraient se saisir les autorités territoriales.

La commission a adopté un amendement de coordination visant à tenir compte de la publication par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion de crise, le 14 janvier 2025, des modèles de fiches d'exposition requis par la présente proposition de loi.

I. LE SÉNAT A RÉCEMMENT MIS EN LUMIÈRE LES FAILLES DANS LA TRAÇABILITÉ DE L'EXPOSITION DES SAPEURS-POMPIERS À DES SUBSTANCES NOCIVES POUR LEUR SANTÉ

A. MALGRÉ LA RECONNAISSANCE DE LA CANCÉROGÉNICITÉ DE L'ACTIVITÉ DE SAPEUR-POMPIER, LE NOMBRE DE MALADIES PROFESSIONNELLES DEMEURE FAIBLE

En 2022, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a classé l'activité de sapeur-pompier comme cancérogène pour l'homme, s'agissant notamment du mésothéliome (risque plus élevé de 58 % chez les sapeurs-pompiers par rapport à la population générale) et du cancer de la vessie (risque plus élevé de 16 % par rapport à la population générale). Ces pathologies pourraient, selon le centre, provenir de l'exposition des agents à l'amiante et aux hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). Le Circ fait également état des preuves « limitées » concernant le lien entre l'activité de sapeur-pompier et l'apparition de cancers du côlon, de la prostate et des testicules, du mélanome et du lymphome non hodgkinien.

En France, deux types de cancer, le carcinome du nasopharynx et le carcinome hépatocellulaire, sont présumés imputables au service. Si un agent est atteint d'une affection ne bénéficiant pas de cette présomption, il lui incombe alors d'établir le lien entre la maladie et l'exercice de ses fonctions afin de pouvoir obtenir la reconnaissance en maladie professionnelle.

Or, selon les données de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), seules 24 déclarations de maladies professionnelles pour les sapeurs-pompiers ont été recensées pour l'année 2023, et 31 en 2022. Cela représente 0,55 % de la sinistralité pour cette catégorie d'emploi en 2023. La Caisse indique en outre qu'aucun cancer professionnel n'a été détecté pour un sapeur-pompier professionnel entre 2013 et 2025.

Au regard du nombre limité d'affections reconnues comme étant d'origine professionnelle, la mission d'information sénatoriale a constaté un risque de sous-déclaration d'ampleur, qui pourrait s'expliquer, selon les auteurs de la proposition de loi, par la difficulté à obtenir des preuves de l'exposition de l'agent à des substances CMR.

B. UNE MISE EN oeUVRE DISPARATE DES OBLIGATIONS RÉGLEMENTAIRES DE TRACABILITÉ DE L'EXPOSITION DES SAPEURS-POMPIERS

En l'état du droit, afin de favoriser la traçabilité des contaminations éventuelles, l'employeur est tenu de délivrer une attestation d'exposition à un risque cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction (CMR), établie après avis du médecin de prévention dès la fin de l'engagement de l'agent au sein de l'établissement, soit lors d'un transfert vers un autre établissement, soit en fin de carrière2(*). Cette attestation d'exposition est constituée du relevé cumulatif des années écoulées depuis le début de la traçabilité, chaque relevé annuel comprenant l'ensemble des activités potentiellement exposantes réalisées dans l'année. En outre, pour l'exposition à certains risques (amiante, rayonnements optiques artificiels, travaux hyperbares) le renseignement d'une fiche d'exposition est obligatoire après chaque exposition.

Le dossier permet ainsi au sapeur-pompier de constituer une base de données mobilisable, le cas échéant, pour la découverte d'une affection ne disposant pas d'une présomption d'imputabilité au service.

Toutefois, comme le soulignait la mission d'information sénatoriale, « si une fiche d'intervention comprenant des informations telles que la nature de l'intervention, l'heure et le lieu, les moyens engagés ou encore les actions réalisées est effectivement renseignée pour chaque intervention de chaque sapeur-pompier dans l'ensemble des Sdis, une fiche d'exposition n'est pas systématiquement remplie, de l'aveu même de la DGSCGC ». L'association nationale des directeurs et directeurs départementaux adjoints des services d'incendie et de secours reconnait effectivement des difficultés à se conformer à l'obligation, en raison de la variété des expositions des sapeurs-pompiers et du non-respect occasionnel des exigences en matière de port des équipements de protection individuelle.

Devant ces difficultés, la mission d'information sénatoriale recommandait « l'édiction d'un modèle national de fiche d'exposition à des facteurs de risques spécifique à l'activité de sapeur-pompier », afin de faciliter un suivi harmonisé des expositions des agents dans chaque Sdis. Cette préconisation a été suivie d'effet, le directeur général de la sécurité civile et des crises ayant transmis une circulaire aux directeurs de Sdis, le 14 janvier 2025, rappelant les obligations en matière de traçabilité et présentant, en annexe, des modèles de synthèse annuelle d'exposition et d'attestation d'activités potentiellement exposantes, déclinés pour les sapeurs-pompiers professionnels et volontaires.

II. LA PRÉSENTE PROPOSITION DE LOI ENTEND CONFÉRER UNE VALEUR LÉGISLATIVE AUX OBLIGATIONS DE SUIVI DES EXPOSITIONS DES AGENTS AFIN DE GARANTIR LEUR APPLICATION UNIFORME ET EXHAUSTIVE PAR LES SDIS

La présente proposition de loi vise à inscrire dans la partie législative du code général de la fonction publique l'obligation pour l'employeur d'établir un relevé d'exposition dès lors qu'un sapeur-pompier professionnel ou volontaire est exposé dans le cadre de ses fonctions à un agent cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction ou figurant sur l'un des tableaux mentionnés à l'article L. 461-2 du code de la sécurité sociale, aujourd'hui prévu par des dispositions d'ordre réglementaire. La proposition de loi prévoit également la publication, par arrêté conjoint des ministres chargés du travail et de la fonction publique, d'un modèle de fiche d'exposition.

La commission a estimé que l'octroi d'une valeur législative aux dispositions visées par le présent article constitue une garantie supplémentaire de la mise en oeuvre des obligations incombant aux autorités territoriales en matière de traçabilité de l'exposition de leurs agents.

L'adoption du présent article doit ainsi permettre aux directeurs de Sdis de se saisir des modèles mis à disposition afin d'améliorer la qualité et la régularité du suivi de l'exposition des sapeurs-pompiers, favorisant la reconnaissance de l'origine professionnelle des maladies.

À plus long terme, le renseignement exhaustif des expositions des sapeurs-pompiers et la meilleure connaissance des risques professionnels pourront profiter aux recherches épidémiologiques et ainsi permettre l'amélioration des dispositifs de prévention. À cet égard, la commission a salué la création d'un observatoire de la santé des agents des Sdis en 2024, ayant pour objet l'amélioration de la connaissance des risques encourus par les agents et l'élaboration de consensus sociaux autour de leur prise en charge.

Le rapporteur a rappelé que le renforcement de la traçabilité des expositions à des substances nocives doit impérativement se conjuguer avec l'amélioration des dispositifs de prévention proposés aux agents des Sdis. Elle a ainsi appelé à une meilleure application des protocoles de sécurité au sein des services d'incendie et de secours, à des progrès dans le développement des équipements de protection individuelle ainsi qu'à un suivi médical accru des agents ayant été au contact d'éléments polluants ou toxiques pour la santé.

La commission a adopté, sur proposition du rapporteur, un amendement visant à tenir compte de la publication des modèles d'exposition prévus par le présent article, survenue entre le dépôt du texte et son examen en commission.

*

* *

La commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique
Garantir la traçabilité des expositions professionnelles nocives à la santé des sapeurs-pompiers

L'article unique vise à traduire dans la loi une préconisation de la mission d'information sur les cancers imputables à l'activité de sapeur-pompier présentée dans le rapport du 29 mai 20243(*), visant à renforcer la traçabilité des expositions des sapeurs-pompiers à des substances nocives pour leur santé. Le rapport d'information a en effet mis en lumière un risque de sous-déclaration généralisée des maladies professionnelles des sapeurs-pompiers, tenant pour partie aux difficultés à démontrer le lien entre les pathologies dont souffrent les soldats du feu et les expositions répétées à des agents toxiques dans le cadre de leur activité.

En conséquence, le présent article vise à inscrire dans la partie législative du code général de la fonction publique l'obligation pour le service départemental d'incendie et de secours (Sdis) de réaliser une fiche d'exposition dès lors qu'un sapeur-pompier a, dans le cadre de ses fonctions, été au contact d'agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction ou prévus par le code de la sécurité sociale. Afin de garantir une application uniforme et exhaustive de ce suivi dans l'ensemble des Sdis, le présent article prévoit la publication de modèles de fiche d'exposition dont pourraient se saisir les autorités territoriales.

La commission a adopté un amendement de coordination visant à tenir compte de la publication par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion de crise, le 14 janvier 2025, des modèles de fiche d'exposition requis par le présent article.

1. Les obligations de suivi de l'exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction sont inégalement respectées sur l'ensemble du territoire

La mission d'information sur les cancers imputables à l'activité de sapeur-pompier d'Anne-Marie Nédélec et Émilienne Poumirol a mis en lumière les carences dans le suivi de l'exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR), pouvant conduire au développement de maladies liées à leur activité professionnelle.

1.1. Malgré la reconnaissance de la cancérogénicité de l'activité de sapeur-pompier, le nombre de maladies professionnelles déclarées demeure faible

a. La récente mission d'information du Sénat a rappelé les risques médicaux liés à la polyexposition des sapeurs-pompiers à des substances toxiques

En 2022, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a classé l'activité de sapeur-pompier comme cancérogène pour l'homme notamment s'agissant du mésothéliome (risque plus élevé de 58 % chez les sapeurs-pompiers par rapport à la population générale) et du cancer de la vessie (risque plus élevé de 16 % par rapport à la population générale). Ces pathologies pourraient, selon le centre, provenir de l'exposition des agents à l'amiante et aux hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). Le Circ fait également état des preuves « limitées » concernant le lien entre l'activité de sapeur-pompier et l'apparition de cancers du côlon, de la prostate et des testicules, du mélanome et du lymphome non hodgkinien.

Les travaux du centre indiquent en outre que « l'exposition professionnelle en tant que pompier est complexe et comprend une variété de dangers résultants d'incendies et d'évènements non liés à l'incendie. [...] Les pompiers peuvent être exposés aux produits de combustion des incendies (par exemple, les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et les particules), aux matériaux de construction (dont l'amiante), aux produits chimiques contenus dans les mousses anti-incendie (par exemple, les substances perfluorées et polyfluorées (PFAS), aux retardateurs de flamme, au diesel gaz d'échappement et autres dangers (par exemple, travail de nuit et rayonnement ultraviolet) »4(*).

Les effets de cette polyexposition expliquent la variété des risques auxquels sont soumis les sapeurs-pompiers dans l'exercice de leurs fonctions.

Les risques induits par l'exercice de l'activité de sapeur-pompier

Parmi les principaux risques auxquels sont exposés les sapeurs-pompiers, peuvent notamment être cités, sans prétention à l'exhaustivité :

le risque traumatique (plaies, contusions, lésions ostéoarticulaires, brûlures) ;

le risque toxique (inhalation de fumées, de poussières ou de suie, accidents de transport de matières dangereuses) ;

le risque de stress thermique et de déshydratation (du fait du port des équipements de protection individuelle lourds et gênants pour la thermorégulation et de l'exposition à des températures élevées) ;

le risque infectieux (contagion par proximité d'une personne malade, accidents d'exposition aux liquides biologiques) ;

le risque de troubles musculosquelettiques ;

le risque cardio-vasculaire ;

le risque respiratoire (bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), asthme) ;

le risque psychologique (stress, syndrome post-traumatique, anxiété, dépression) ;

le risque radiologique ;

- ou encore le risque routier.

Source : Rapport d'information n° 641 relatif aux cancers imputables
à l'activité de sapeur-pompier d'Anne-Marie Nédélec et Émilienne Poumirol.

La mission d'information sur les cancers professionnels des sapeurs-pompiers a néanmoins fait le constat des faiblesses du modèle français dans la connaissance des risques induits par l'activité de sapeur-pompier.

En effet, s'il est désormais communément admis que les sapeurs-pompiers sont exposés à plusieurs types de produits de combustion présentant un risque certain pour leur santé, les conséquences médicales de l'activité de sapeur-pompier ont fait l'objet d'un nombre très limité d'études en France au cours des dernières décennies. Du reste, celles-ci tendaient à conclure à un meilleur état de santé chez les sapeurs-pompiers que dans l'ensemble de la population en raison du phénomène du « travailleur sain ».

En outre, la mission déplore les limites de la banque nationale de données créée par la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) chargée de recenser les déclarations d'accidents du travail et de maladies professionnelles des fonctions publiques territoriale et hospitalière issues du logiciel Prorisq, via lequel les employeurs territoriaux et hospitaliers suivent la sinistralité. Selon la mission, ce dispositif se heurte en effet à la forte sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles en France.

b. Le faible nombre de maladies professionnelles chez les sapeurs-pompiers laisse présager un phénomène de sous-déclaration d'ampleur

En dépit de la reconnaissance des risques pour la santé inhérents à leurs missions, le nombre de sapeurs-pompiers atteints d'une maladie professionnelle demeure très limité en France. La caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) n'a en effet recensé que 24 déclarations de maladies professionnelles pour les sapeurs-pompiers professionnels en 2023, après 31 en 2022, représentant 0,55 % de la sinistralité pour cette catégorie d'emploi. La caisse indique en outre qu'aucun cancer professionnel n'a été détecté pour un sapeur-pompier professionnel entre 2013 et 2025.

Au regard du nombre limité d'affections d'origine professionnelle, la mission d'information sénatoriale conclut à un risque de sous-déclaration d'ampleur, « qui pourrait s'expliquer par la difficulté à obtenir des preuves de l'exposition de l'agent »5(*).

1.2. Le circuit de reconnaissance des maladies professionnelles requiert un suivi précis de l'exposition des sapeurs-pompiers à des agents toxiques

a. L'imputabilité d'une pathologie au service pour les sapeurs-pompiers professionnels

La reconnaissance de maladies professionnelles chez les sapeurs-pompiers professionnels suit la procédure de droit commun applicable à l'ensemble des agents de la fonction publique territoriale.

Jusqu'en 2017, il appartenait au fonctionnaire estimant être atteint d'une maladie d'origine professionnelle d'établir son imputabilité au service. De fait, contrairement aux salariés du secteur privé, les fonctionnaires ne bénéficiaient pas d'une présomption d'origine professionnelle pour toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles.

Depuis lors6(*), l'article L. 822-20 du code général de la fonction publique prévoit trois procédures permettant de reconnaître l'origine professionnelle d'une pathologie pour les agents de la fonction publique territoriale :

· Premièrement, toute maladie désignée par les tableaux de maladies professionnelles annexés au code de la sécurité sociale et contractée dans l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions dans les conditions prévues par ces tableaux est présumée imputable au service ;

Les cancers présumés imputables au service pour les sapeurs-pompiers

Les tableaux de maladies professionnelles annexés au code de la sécurité sociale ne reconnaissent que deux types de cancer comme pouvant être présumés imputables au service :

le carcinome du nasopharynx faisant suite à des travaux d'extinction des incendies, avec un délai de prise en charge de 40 ans sous réserve d'une exposition de cinq ans7(*) ;

le carcinome hépatocellulaire en lien avec l'activité de sapeur-pompier, avec un délai de prise en charge de 30 ans8(*).

La direction générale de la sécurité civile et de la gestion de crise (DGSCGC) indique que les tableaux de maladies professionnelles n'ont pas encore été révisés à la suite des dernières avancées scientifiques, notamment de l'étude menée par le Circ, bien que la demande ait été formulée auprès de la direction générale du travail.

· si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux prévues par les tableaux annexés au code de la sécurité sociale ne sont pas remplies, la maladie désignée par un tableau peut être reconnue imputable au service lorsque le fonctionnaire ou l'ayant droit établit qu'elle est directement causée par l'exercice de ses fonctions ;

· une maladie ne figurant pas dans les tableaux de maladies professionnelles peut également être imputée au service si le fonctionnaire ou l'ayant droit établit qu'elle est essentiellement et directement causée par l'exercice de ses fonctions et qu'elle entraîne une incapacité permanente à un taux déterminé et évalué dans les conditions prévues par décret en Conseil d'État.

Lorsque le sapeur-pompier professionnel déclare sa maladie auprès de son employeur, celui-ci peut le soumettre à une expertise médicale par un médecin agréé et mener une enquête administrative pour vérifier l'exactitude des faits et des circonstances ayant conduit à l'apparition de la maladie. Le médecin du travail est informé des déclarations de maladies professionnelles reçues. Si la maladie est inscrite à l'un des tableaux de maladies professionnelles, le médecin du travail en informe le Sdis qui peut directement reconnaître l'imputabilité au service. Si la maladie ne satisfait pas à tous les critères d'un tableau ou n'y figure pas, l'avis d'une instance spécifique à la fonction publique, le conseil médical, est recueilli après transmission du rapport du médecin du travail. Le conseil médical, composé de médecins agréés, de représentants du service d'incendie et de secours et de représentants des personnels, rend un avis sur l'origine professionnelle de la pathologie. L'avis du conseil médical ne lie pas la décision de reconnaissance de l'imputabilité au service rendue par le Sdis.

La reconnaissance de l'origine professionnelle de l'affection permet au sapeur-pompier de bénéficier :

- du remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident par l'employeur9(*) ;

- en cas d'incapacité temporaire de travail, du congé pour invalidité temporaire imputable au service (Citis) ainsi que du maintien de son traitement jusqu'à ce que l'agent soit en mesure de reprendre son service10(*) ;

- après consolidation de l'état de santé, et en cas d'incapacité permanente partielle, d'une allocation temporaire d'invalidité (ATIACL) cumulable avec le traitement.

b. La procédure de reconnaissance des maladies imputables au service pour les sapeurs-pompiers volontaires

S'agissant des sapeurs-pompiers volontaires atteints d'une maladie contractée en service ou à l'occasion du service, la reconnaissance de l'imputabilité au service appartient au président du conseil d'administration du Sdis après rapport du conseil médical. Cette décision ouvre droit à la prise en charge complète des frais de santé ainsi qu'à des indemnités journalières compensant la perte de revenus subie pendant la période d'incapacité de travail11(*).

En cas d'invalidité permanente, le sapeur-pompier volontaire peut également percevoir une allocation ou une rente d'invalidité permanente, égales au montant perçu par un sapeur-pompier de même grade ou calculées sur la référence du salaire annuel de l'intéressé ou de ses revenus professionnels ou, pour les sapeurs-pompiers volontaires fonctionnaires, du montant de la rémunération perçue au cours des douze mois précédents.

1.3. L'obligation de suivi de l'exposition est imparfaitement mise en oeuvre par les Sdis

Au regard du faible nombre de maladies professionnelles déclarées par les sapeurs-pompiers, la mission d'information sénatoriale identifie plusieurs facteurs pouvant conduire à l'absence de reconnaissance de l'origine professionnelle des affections.

Outre les réticences de certains médecins à établir le certificat médical initial, du fait d'un déficit de formation ou de l'ignorance de leur rôle dans le système de financement des maladies professionnelles, la mission insiste sur les difficultés dans l'obtention des preuves de l'exposition de l'agent à des facteurs de risques, notamment quand l'exposition est ancienne ou peu documentée. En effet, lorsqu'un agent est atteint d'une pathologie ne figurant pas sur les tableaux professionnels, l'imputabilité de celle-ci à son activité professionnelle repose sur la capacité de l'agent et du conseil médical à établir un lien entre les missions exercées et l'apparition de la maladie.

En l'état du droit, afin de favoriser la traçabilité des contaminations éventuelles, l'employeur est tenu de délivrer une attestation d'exposition à un risque cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction (CMR), établie après avis du médecin de prévention dès la fin de l'engagement de l'agent au sein de l'établissement, soit lors d'un transfert vers un autre établissement, soit en fin de carrière12(*).

Cette attestation d'exposition est constituée du relevé cumulatif des années écoulées depuis le début de la traçabilité.

Par ailleurs, pour l'exposition à certains risques (amiante13(*), rayonnements optiques artificiels14(*), travaux hyperbares15(*)), le renseignement d'une fiche d'exposition est obligatoire après chaque exposition.

L'ensemble de ces documents permet ainsi au sapeur-pompier de constituer une base de données mobilisable, le cas échéant, pour la découverte d'une affection ne disposant pas d'une présomption d'imputabilité au service.

L'employeur consigne également la totalité des risques professionnels auxquels sont exposés les travailleurs au sein d'un document unique d'évaluation des risques professionnels16(*) (DUERP). Ce document est conservé par l'employeur et tenu à la disposition des travailleurs ainsi que de toute personne ou instance pouvant justifier d'un intérêt à y avoir accès pendant une durée de 40 ans à compter de leur élaboration.

La mission d'information sénatoriale alerte cependant sur le fait que, « si une fiche d'intervention comprenant des informations telles que la nature de l'intervention, l'heure et le lieu, les moyens engagés ou encore les actions réalisées est effectivement renseignée pour chaque intervention de chaque sapeur-pompier dans l'ensemble des Sdis, une fiche d'exposition n'est pas systématiquement remplie, de l'aveu même de la DGSCGC ».

L'association nationale des directeurs et directeurs départementaux adjoints des services d'incendie et de secours reconnait effectivement des difficultés à se conformer à l'obligation de traçabilité des expositions prévue par le décret du 5 novembre 2015, car celle-ci « est clairement conçue pour des postes de travail où le type d'exposition est connu ». Or, « pour les sapeurs-pompiers, le type d'exposition est inconnu et hypothétique au regard des différents moyens de protection existants, et notamment le port des tenues de protection de degré divers ainsi que des protections respiratoires ». De fait, même en tenant compte du port des équipements de protection, l'exposition des sapeurs-pompiers aux substances nocives demeure variable en fonction des caractéristiques des interventions effectuées.

La Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) constate ainsi une grande hétérogénéité dans les dispositifs de suivi d'exposition des Sdis, certains étant proactifs (recours à des logiciels de traçabilité comme Prorisq, réalisation de fiches d'expositions systématiques après chaque intervention jugée à risque ou suivi médical spécifique post-exposition plus complet que les obligations légales) et d'autres délaissant ces obligations, parfois perçues comme moins primordiales dans les Sdis composés principalement de sapeurs-pompiers volontaires.

Devant ces difficultés, la mission d'information sénatoriale recommandait « l'édiction d'un modèle national de fiche d'exposition à des facteurs de risques spécifique à l'activité de sapeur-pompier »17(*).

1.4. Une circulaire récente vise à accompagner les Sdis dans le respect de leurs obligations

Afin de garantir une meilleure application des dispositions relatives à la prévention et au suivi de l'exposition des sapeurs-pompiers à des agents CMR et, in fine, faciliter la reconnaissance des maladies d'origine professionnelle, le directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises a transmis à tous les directeurs de SIS, le 14 janvier 2025, une circulaire relative à la santé et à la sécurité en service des agents des Sdis.

La circulaire rappelle la responsabilité de l'employeur concernant la production du relevé d'exposition des sapeurs-pompiers avant chaque visite médicale. Est ainsi rappelé que le suivi d'exposition se compose de :

la synthèse annuelle, constituée du relevé annuel des activités potentiellement exposantes et du relevé cumulatif des années écoulées depuis le début de la traçabilité, transmise en prévision de chaque visite médicale périodique à la médecine d'aptitude du sapeur-pompier et, le cas échéant, à la médecine du travail ;

l'attestation des activités potentiellement exposantes, transmise par le Sdis à l'agent en fin de carrière, compilant le relevé cumulatif des années écoulées depuis le début de la traçabilité et conservée pour une durée de 50 ans.

En outre, afin de pallier les difficultés à disposer de relevés d'exposition uniformes et exhaustifs dans tous les Sdis, la DGSCGC a adjoint en annexe à la circulaire un modèle pour ces deux documents, déclinés pour les sapeurs-pompiers professionnels et volontaires, satisfaisant ainsi la recommandation n° 4 du rapport d'information d'Anne Marie Nédélec et Émilienne Poumirol.

Les modèles contiennent notamment un historique des activités ayant donné lieu à une exposition potentielle à un CMR ou à certains facteurs de risques professionnels, en identifiant précisément les activités pour lesquelles l'exposition est avérée (feux d'espaces naturels, formations feux réels, usage d'émulseurs avec PFAS) et en prévoyant le relevé du nombre d'expositions et de leur durée.

Afin de tenir compte de l'impossibilité de renseigner chaque composant des fumées d'incendies ainsi que les autres polluants présents, dont les concentrations varient en fonction des situations, ces modèles se fondent sur des données standards sur la base d'un « cocktail potentiellement exposant (HAP, PFAS, CO, CO2, amiante, effort physique, chaleur) »18(*).

La standardisation de la traçabilité des activités potentiellement exposantes permise par l'appropriation de ces modèles par tous les Sdis doit ainsi permettre une meilleure orientation individuelle des agents vers des examens médicaux de dépistage conseillés par les recommandations scientifiques en vigueur, ainsi qu'une simplification des démarches de reconnaissance en maladie professionnelle des pathologies, y compris lorsque celles-ci surviennent à distance des expositions.

Toutefois, comme rappelé par la DGSCGC ainsi que la FNSPF, ces modèles d'exposition, même correctement renseignés, présentent des limites, tenant à l'impossibilité de tenir compte du rôle endossé par chaque agent lors d'une intervention, ou aux failles dans le port des équipements de protection individuelle. En définitive, bien qu'indispensable, la traçabilité de l'exposition ne saurait dispenser l'ensemble des acteurs de la sécurité civile du respect et de l'amélioration des politiques de prévention par le port des équipements de protection, l'application des protocoles de sécurité, ou encore le suivi médical prévu par les textes. Ce suivi médical relève, d'une part, des visites annuelles ou bisanuelles d'aptitude19(*), qui constituent une première démarche de prévention et de dépistage et, d'autre part, du suivi médical post-professionnel prévu pour l'ensemble des fonctionnaires territoriaux ayant été exposés dans le cadre de leurs fonctions à un agent cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction ou figurant sur l'un des tableaux mentionnés à l'article L. 461-2 du code de la sécurité sociale20(*).

2. La proposition de loi confère une valeur législative aux exigences de suivi de l'exposition des sapeurs-pompiers

Le présent article vise à inscrire dans la partie législative du code général de la fonction publique l'obligation pour l'employeur d'établir un relevé d'exposition, dès lors qu'un sapeur-pompier professionnel ou volontaire est exposé dans le cadre de ses fonctions à un agent cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction ou figurant sur l'un des tableaux mentionnés à l'article L. 461-2 du code de la sécurité sociale, aujourd'hui prévu par des dispositions d'ordre réglementaire.

L'article impose également la publication, par arrêté conjoint des ministres chargés du travail et de la fonction publique, d'un modèle de fiche d'exposition.

3. L'avis de la commission

La commission a estimé que l'octroi d'une valeur législative aux dispositions visées par le présent article, jusqu'alors prévues par des mesures réglementaires, pérennise utilement les obligations incombant aux autorités territoriales en matière de traçabilité de l'exposition de leurs agents.

L'adoption du présent article doit ainsi permettre aux directeurs de Sdis de se saisir des modèles mis à disposition afin d'améliorer la qualité et la régularité du suivi de l'exposition des sapeurs-pompiers, garantissant une reconnaissance simplifiée de l'origine professionnelle des maladies, y compris lorsque celles-ci se déclarent postérieurement aux expositions.

À plus long terme, le renseignement exhaustif des expositions des sapeurs-pompiers et la meilleure connaissance des risques encourus pourront profiter aux recherches épidémiologiques et ainsi permettre une connaissance et une prévention renforcée des risques encourus par les sapeurs-pompiers. À cet égard, la commission a salué la création par la DGSCGC d'un observatoire de la santé des agents des Sdis en 2024, ayant pour objet l'amélioration de la connaissance des risques encourus par les agents et l'élaboration de consensus sociaux autour de leur prise en charge.

Le rapporteur a rappelé que le renforcement de la traçabilité des expositions à des substances nocives doit impérativement se conjuguer avec l'amélioration des dispositifs de prévention proposés aux agents des Sdis. Elle a ainsi appelé à une meilleure application des protocoles de sécurité au sein des services d'incendie et de secours, à des progrès dans le développement des équipements de protection individuelle ainsi qu'à un suivi médical rigoureux des agents ayant été au contact d'éléments polluants ou toxiques pour la santé.

La commission a adopté, sur proposition du rapporteur, un amendement COM-1 visant à tenir compte de la publication des modèles d'exposition prévus par le présent article, survenue entre le dépôt du texte et son examen en commission.

La commission a adopté l'article unique ainsi modifié.

EXAMEN EN COMMISSION

Mme Françoise Dumont, rapporteur. - Chers collègues, la proposition de loi que nous allons examiner aujourd'hui fait suite aux travaux de la mission d'information d'Anne-Marie Nédélec et Émilienne Poumirol sur les cancers imputables à l'activité de sapeur-pompier, qui s'est achevée en mai dernier.

Comme le préconisait la mission d'information, le texte vise à renforcer le suivi de l'exposition des sapeurs-pompiers à des agents toxiques pour leur santé, notamment afin de favoriser la reconnaissance des maladies professionnelles au sein de la profession. En effet, les progrès scientifiques récents ont permis de mieux identifier les risques encourus par les soldats du feu, sans que ces derniers fassent nécessairement l'objet d'un suivi renforcé.

Il n'est nul besoin de rappeler les multiples dangers auxquels les sapeurs-pompiers font face, au quotidien, pour assurer le secours et la protection de leurs concitoyens. Les risques d'accidents du travail, qui représentent 99 % de la sinistralité déclarée chez les agents des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis), sont désormais largement documentés.

Ces dernières années, la recherche internationale a également permis de mieux expertiser les risques de maladies professionnelles consécutives aux expositions répétées des sapeurs-pompiers à des substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction.

Il est ainsi désormais avéré que le contact quotidien avec les produits de combustion des incendies, les matériaux de construction - dont l'amiante - ou encore les produits chimiques contenus dans les mousses anti-incendie et les retardateurs de flamme est susceptible de conduire au développement de pathologies graves, y compris des années après l'exposition.

Aussi, depuis 2022, le Centre international de recherche sur le cancer catégorise l'activité de sapeur-pompier comme cancérogène. Il relève notamment un risque d'apparition plus élevé de 58 % que pour la population générale pour le cancer du mésothéliome, et de 16 % pour le cancer de la vessie. Des preuves plus limitées existent s'agissant d'une prévalence accrue des cancers du côlon, de la prostate ou du mélanome.

Or, si les risques médicaux sont désormais mieux documentés à l'échelle internationale, le nombre de maladies professionnelles déclarées chez les sapeurs-pompiers demeure à un niveau particulièrement faible en France. Loin d'être réjouissant, ce constat pourrait, selon le rapport d'information de nos collègues, refléter un phénomène de sous-déclaration d'ampleur des pathologies imputables au service.

De fait, la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) n'a recensé que vingt-quatre déclarations de maladies professionnelles pour les sapeurs-pompiers professionnels en 2023, représentant 0,5 % de la sinistralité pour cette catégorie d'emploi. La Caisse indique, en outre, qu'aucun cancer professionnel n'a été détecté chez ces agents entre 2013 et 2025.

La faiblesse de ces chiffres ne peut qu'interpeller au regard des connaissances scientifiques récentes dont je viens de vous faire part, et nous amener à nous interroger quant aux obstacles scientifiques, administratifs ou humains à la reconnaissance de l'origine professionnelle de certaines pathologies.

Cette question est primordiale, puisque, en l'absence de la reconnaissance d'une maladie professionnelle, l'agent ne peut ni voir ses frais médicaux pris en charge par le Sdis, ni bénéficier du congé pour invalidité temporaire imputable au service assurant un niveau de revenu équivalent, ni percevoir l'allocation temporaire d'invalidité.

À cette question primordiale, nos deux collègues auteures de la proposition de loi répondent en pointant du doigt les difficultés des sapeurs-pompiers à démontrer le lien entre leur pathologie et les missions exercées dans le cadre de leur fonction.

En effet, hormis pour certaines maladies figurant dans les tableaux annexés au code de la sécurité sociale et disposant, en conséquence, d'une présomption d'imputabilité au service, il revient à l'agent d'établir que sa pathologie est essentiellement et directement causée par son activité afin d'obtenir la reconnaissance de la maladie professionnelle.

Or, comme l'a démontré la mission d'information, bien trop souvent, le malade ne dispose pas de preuves matérielles recensant les expositions à des agents toxiques année après année et n'est donc pas en mesure d'objectiver l'origine professionnelle de sa maladie.

Pourtant, le cadre réglementaire impose une telle traçabilité : l'obligation de réaliser un relevé d'exposition à des substances nocives figure, en effet, dans un décret en date du 5 novembre 2015. Celui-ci prévoit que l'autorité territoriale réalise annuellement une synthèse relevant l'ensemble des activités potentiellement exposantes de l'agent, et délivre, lorsque ce dernier quitte le Sdis, un document cumulant toutes les synthèses annuelles. Ces documents sont, en théorie, conservés pour une durée de cinquante ans.

Toutefois, de l'aveu même des directeurs de Sdis, ces dispositions sont aujourd'hui très imparfaitement mises en oeuvre. Cela est particulièrement préjudiciable, puisque des relevés d'exposition incomplets, voire inexistants, rendent presque impossible la démonstration de l'imputabilité au service, le conseil médical ne disposant alors d'aucun élément factuel.

En conséquence, la présente proposition de loi entend répondre à ces défaillances par deux leviers. D'une part, elle prévoit l'inscription dans la loi de l'obligation, pour le Sdis, de réaliser une fiche d'exposition dès lors qu'un sapeur-pompier a, dans le cadre de ses fonctions, été au contact d'agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction. La production effective de ces fiches d'exposition doit faciliter la démonstration du lien entre la pathologie d'un pompier et son activité, y compris si cette dernière a pris fin il y a plusieurs années.

D'autre part, la proposition de loi prévoit la publication de modèles nationaux de fiche d'exposition, dont les Sdis pourraient se saisir afin de garantir une traçabilité exhaustive et standardisée entre tous les départements.

L'inscription de cette obligation - aujourd'hui réglementaire - dans la loi doit entraîner un réel sursaut de la part des employeurs pour se conformer aux normes en vigueur. Si certains Sdis sont proactifs et ont adopté des dispositifs de suivi mieux-disants que les obligations réglementaires, d'autres sont malheureusement en situation de décrochage. Le renforcement de la portée de ces obligations par l'adoption du présent texte doit permettre de mettre fin à cette inégalité. En outre, l'octroi d'une valeur législative à ces dispositions leur garantit une protection plus forte, puisqu'elles ne pourront être amoindries par de futurs décrets et feront l'objet d'un suivi attentif et régulier par le Parlement.

La proposition de loi prévoit, en complément, la publication d'un modèle national de fiche d'exposition à des facteurs de risques spécifiques à l'activité des sapeurs-pompiers, afin de faciliter le respect des obligations de suivi par les employeurs. En effet, comme l'ont indiqué les directeurs de Sdis, les spécificités de l'exposition des pompiers rendent très difficile l'évaluation exacte des risques de contamination, puisque ceux-ci varient pour chaque intervention, en fonction du type d'incident ainsi que du port ou non des équipements de protection. En l'absence d'instructions nationales, les modalités de traçabilité s'avèrent très disparates et souvent incomplètes, donc inutilisables par le patient et le médecin agréé.

Faisant suite aux recommandations de la mission d'information et anticipant ainsi quelque peu l'examen de ce texte, la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) a publié, le 14 janvier dernier, des modèles nationaux de synthèse annuelle d'exposition et d'attestation d'activités potentiellement exposantes.

L'utilisation de ces modèles nationaux par l'ensemble des Sdis doit garantir la standardisation de la traçabilité des activités potentiellement exposantes, permettre une meilleure orientation individuelle des agents vers des examens médicaux de dépistage, ainsi que favoriser la reconnaissance en maladie professionnelle des pathologies, y compris lorsque celles-ci surviennent à distance des expositions.

Dans sa rédaction actuelle, la proposition de loi de nos collègues prévoit que ces modèles soient publiés par arrêté conjoint des ministres chargés du travail et de la fonction publique. Or, les modèles publiés il y a un mois par le ministère de l'intérieur semblent satisfaisants en tous points et ont déjà été communiqués à l'ensemble des Sdis. Par souci de lisibilité et de cohérence, je vous propose donc d'adopter un amendement prenant acte de la publication des documents par la DGSCGC depuis le dépôt du texte, afin de ne pas exiger la parution d'un nouvel arrêté.

Avant de conclure, mes chers collègues, je tiens tout de même à souligner que le renforcement de la traçabilité des expositions à des substances nocives prévu par ce texte doit impérativement se conjuguer avec l'amélioration des dispositifs de prévention à destination des sapeurs-pompiers.

Je pense notamment à la nécessité de garantir une meilleure application des protocoles de sécurité au sein de l'ensemble des établissements, de poursuivre les progrès dans le développement des équipements de protection et, enfin, d'assurer un suivi médical rigoureux des agents ayant été au contact d'éléments polluants ou toxiques pour la santé.

En effet, les dispositions que nous examinons aujourd'hui demeureront dénuées d'intérêt si les pouvoirs publics n'agissent pas en amont pour limiter au maximum l'exposition des agents aux substances susceptibles de les blesser et pour détecter les pathologies au plus tôt.

À cet égard et pour conclure, je salue la création, en 2024, d'un observatoire de la santé des agents des Sdis, qui a pour objet l'amélioration de la connaissance des risques encourus par les pompiers et l'élaboration de consensus sociaux autour de leur prise en charge. Cette nouvelle instance est toute désignée pour assurer le suivi de la mise en oeuvre des dispositions que nous examinons aujourd'hui, en maintenant un dialogue et un accompagnement utile de l'ensemble des parties prenantes.

M. Michel Masset. - Je remercie la rapporteure pour cette présentation. N'était-il pas envisageable d'intégrer un volet dédié à la santé des sapeurs-pompiers dans le schéma départemental d'analyse et de couverture des risques (Sdacr) ?

Par ailleurs, vous avez souvent parlé de sapeurs-pompiers professionnels, mais j'espère que les sapeurs-pompiers volontaires sont eux aussi pris en compte.

M. Pierre-Alain Roiron. - Ce texte s'inscrit dans la continuité de la mission d'information consacrée aux cancers professionnels des sapeurs-pompiers et répond à un enjeu majeur de santé publique : la protection de ceux qui sont en première ligne afin de protéger nos concitoyens.

Les sapeurs-pompiers volontaires et professionnels sont exposés à des risques graves et souvent invisibles, le Centre international de recherche sur le cancer ayant classé leur exposition aux fumées et aux substances toxiques comme cancérogène, avec des risques avérés de cancers divers. Pourtant, force est de constater que la reconnaissance des maladies professionnelles chez les sapeurs-pompiers reste insuffisante en France, seuls deux types de cancers étant reconnus, contre une vingtaine dans d'autres pays, dont le Canada.

Ce texte vise à combler ce retard en renforçant la traçabilité des expositions aux agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction. Nous saluons la proposition visant à instaurer un modèle national de fiche d'exposition à remplir pour chaque intervention à risque : elle permettra de documenter précisément les expositions et, ce faisant, facilitera la reconnaissance des maladies professionnelles. La fiche constitue un outil indispensable pour établir un lien entre les pathologies et l'activité professionnelle, notamment pour les cancers qui ne bénéficient pas encore d'une présomption d'imputabilité.

Cette proposition de loi ne doit pas être une fin en soi. Elle doit s'inscrire dans une politique globale de prévention et de protection, incluant notamment l'élargissement de la présomption d'imputabilité, le renforcement du suivi médical post-professionnel et une dotation en équipements de protection individuelle efficaces et certifiés, tels que des cagoules filtrantes, dont le déploiement nous semble encore trop lent.

Par ailleurs, il convient de ne pas minorer les lacunes actuelles en matière de prévention : la gestion fragmentée des risques entre les différents services départementaux, l'absence, jusqu'il y a peu, d'un modèle national de fiche d'exposition et les fortes contraintes budgétaires qui pèsent sur les Sdis ont rendu la traçabilité des expositions inefficace et inégale selon les départements.

Cette proposition de loi va dans le bon sens ; nous la soutiendrons.

Mme Françoise Dumont, rapporteur. - Monsieur Masset, les Sdacr concernent l'échelon départemental, alors que la proposition de loi de nos collègues vise justement une harmonisation de la traçabilité des expositions au niveau national.

Les sapeurs-pompiers volontaires sont bien évidemment concernés par les dispositions envisagées.

Mme Muriel Jourda, présidente. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous revient d'arrêter le périmètre indicatif de la proposition de loi. Je vous propose de considérer que ce périmètre comprend les dispositions relatives aux modalités de suivi de l'exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

Mme Françoise Dumont, rapporteur. - L'amendement COM-1 vise à ne pas imposer la prise d'un nouvel arrêté relatif à la publication de modèles nationaux de fiche d'exposition, puisque ces documents existent déjà.

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort de l'amendement examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article unique

Mme DUMONT, rapporteur

1

Ne pas imposer la parution d'un nouvel arrêté pour la publication de modèles nationaux de fiche d'exposition

Adopté

RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45 DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS DU RÈGLEMENT DU SÉNAT

Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 21(*).

De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie22(*). Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte23(*). Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel ajoute un second critère : il considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial24(*).

En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.

En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des lois a arrêté, lors de sa réunion du mercredi 12 mars 2025, le périmètre indicatif de la proposition de loi n° 751 (2023-2024), visant à garantir le suivi de l'exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction

Elle a considéré que ce périmètre incluait des dispositions relatives aux modalités de suivi de l'exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
ET DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Auteurs de la loi

Mme Émilienne Poumirol, sénateur de la Haute-Garonne

Mme Anne-Marie Nédélec, sénatrice de la Haute-Marne

Ministère de l'intérieur - Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC)

M. Julien Marion, directeur général

M. Didier Pourret, conseiller santé

M. Franck Vinesse, sous-directeur de la doctrine et des ressources humaines

Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF)

M. Norbert Berginiat, vice-président de la FNSPF chargé des secours et soins d'urgence aux personnes et du service de santé et de secours médical

M. Guillaume Bellanger, directeur de cabinet

M. Fabien Matras, ancien député du Var

CONTRIBUTIONS ÉCRITES

- Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP)

- Conférence nationale des services d'incendie et de secours (CNSIS)

- Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL)

- Association nationale des directeurs et directeurs départementaux adjoints des services d'incendie et de secours (ANDSIS)

- Association nationale des médecins des services d'incendie et de secours (Anamnesis)

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl23-751.html


* 1  Rapport d'information n° 641 (2023-2024) fait au nom de la commission des affaires sociales sur les cancers imputables à l'activité de sapeur-pompier par Mmes Anne-Marie NÉDÉLEC et Émilienne POUMIROL, enregistré à la présidence du Sénat le 29 mai 2024.

* 2 Article 3 du décret n° 2015-1438 du 5 novembre 2015 relatif aux modalités du suivi médical post-professionnel des agents de la fonction publique territoriale exposés à une substance cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction.

* 3  Rapport d'information n° 641 (2023-2024) fait au nom de la commission des affaires sociales sur les cancers imputables à l'activité de sapeur-pompier par Mmes Anne-Marie NÉDÉLEC et Émilienne POUMIROL, enregistré à la présidence du Sénat le 29 mai 2024.

* 4 Monographie Volume 132 - Exposition professionnelle en tant que pompier? du Centre international de Recherche sur le Cancer (Circ), juin 2022.

* 5  Rapport d'information n° 641 relatifs aux cancers imputables à l'activité de sapeur-pompier d'Anne-Marie Nédélec et Émilienne Poumirol.

* 6 Ordonnance n° 2017-53 du 19 janvier 2017 portant diverses dispositions relatives au compte personnel d'activité, à la formation et à la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique.

* 7 Annexe II au code de la sécurité sociale : tableau n° 43 bis (affections cancéreuses provoquées

par l'aldéhyde formique).

* 8 Annexe II au code de la sécurité sociale : tableau n° 45 (infections d'origine professionnelle par les virus des hépatites A, B, C, D et E).

* 9 Article L. 822-24 du code général de la fonction publique.

* 10 Articles L. 822-21 et L. 822-22 du code général de la fonction publique.

* 11 Article 1er de la loi n° 91-1389 du 31 décembre 1991 relative à la protection sociale des sapeurs-pompiers volontaires en cas d'accident survenu ou de maladie contractée en service.

* 12 Article 3 du décret n° 2015-1438 du 5 novembre 2015 relatif aux modalités du suivi médical post-professionnel des agents de la fonction publique territoriale exposés à une substance cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction.

* 13 Article R. 4412-120 du code du travail.

* 14 Article R. 4452-22 du code du travail.

* 15 Article R. 4461-13 du code du travail.

* 16 Article L. 4121-3-1 du code du travail.

* 17 Proposition n° 4 du rapport.

* 18 Instruction du directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises aux directeurs des services d'incendie et de secours, 14 janvier 2025.

* 19 Arrêté du 6 mai 2000 fixant les conditions d'aptitude médicale des sapeurs-pompiers professionnels et volontaires et les conditions d'exercice de la médecine professionnelle et préventive au sein des services départementaux d'incendie et de secours.

* 20 Article L. 813-2 du code général de la fonction publique.

* 21 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.

* 22 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.

* 23 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.

* 24 Décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020 - Loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France.

Partager cette page