II. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE N° 140
Sur la base des constats qui viennent d'être effectués, la proposition de résolution européenne n° 140, déposée par le sénateur Cyril Pellevat, le 21 mai dernier a un double objectif :
- préserver l'engagement citoyen volontaire et bénévole au service de la protection civile par une directive européenne spécifique (A) ;
- soutenir et conforter le Mécanisme de protection civile de l'Union européenne, afin d'améliorer son efficacité dans la prévention et la réponse aux catastrophes naturelles ou d'origine humaine (B).
A. PRÉSERVER LE VOLONTARIAT SAPEUR-POMPIER
Une directive spécifique pour protéger l'engagement volontaire
Six ans après sa publication, l'arrêt Matzak donne lieu en France à des jurisprudences contradictoires qui maintiennent les sapeurs-pompiers volontaires dans une situation inédite de fragilité juridique. Il demeure donc comme une « épée de Damoclès » suspendue au-dessus de l'organisation des secours. Simultanément, aucun texte européen n'a été proposé pour prendre en considération les spécificités des « forces de sécurité et des secours d'urgence ».
La possibilité d'une assimilation des sapeurs-pompiers volontaires à des « travailleurs » au sens de la directive 2003/88/CE est donc toujours d'actualité.
C'est pourquoi la proposition de résolution européenne appelle à la présentation par la Commission européenne, qui a le monopole de l'initiative législative au niveau européen, et à l'adoption rapide d'une directive spécifique « à l'engagement citoyen bénévole et volontaire », afin de l'exclure du champ d'application de la directive 2003/88/CE, pour « sauvegarder les systèmes européens de protection civile et favoriser la solidarité européenne face au changement climatique » (alinéa n° 20).
M. Julien Marion, DGSCGC, a précisé que le ministère observait avec intérêt toutes les initiatives susceptibles de conforter le volontariat sapeur-pompier et, plus généralement, le volontariat de la sécurité civile, au niveau européen.
B. CONFORTER LA DIMENSION EUROPÉENNE DE LA PROTECTION CIVILE
1. Vers un « Erasmus de la protection civile » ?
Reprenant une proposition phare du document d'interpellation de la FNSPF aux candidats aux dernières élections européennes, la proposition de résolution européenne recommande la mise en place d'un « Erasmus de la protection civile » (alinéa 24).
Certes, comme l'a rappelé M. Julien Marion, des échanges existent déjà aujourd'hui entre services d'incendie et de secours des États membres et entre écoles de formation des sapeurs-pompiers et acteurs de la sécurité civile. Ainsi, au cours de l'été 2024, la France va accueillir 226 sapeurs-pompiers de différents États membres pour lutter contre les feux de forêt.
Mais l'adoption formelle d'un « Erasmus de la sécurité civile » permettrait de rendre ces échanges plus réguliers et de leur faire bénéficier de financements européens plus étendus. Plus nourris, de tels échanges pourraient favoriser une meilleure connaissance mutuelle et l'interopérabilité accrue des personnels et des matériels.
Brefs rappels sur le programme « Erasmus »
Le programme Erasmus a vu le jour en 1987 et est devenu l'une des plus grandes réussites de l'Union européenne. Son objectif est de promouvoir l'échange d'étudiants, d'enseignants et de personnels des établissements d'enseignement supérieur au sein de l'Union européenne et dans des pays tiers. Il est devenu Erasmus+ à compter de 2014.
En pratique, grâce à ce programme, les étudiants des États membres peuvent suivre une partie de leurs études ou réaliser un stage dans un autre pays. Ce qui constitue une opportunité réelle de découverte d'un autre système d'enseignement et d'un autre pays, d'améliorer ses compétences linguistiques et de nouer des contacts scolaires ou professionnels précieux.
Les participants au programme Erasmus+ reçoivent une bourse (d'un montant qui a pour objet de couvrir les frais supplémentaires liés à la vie sur place). Et les crédits académiques obtenus pendant la période d'échange Erasmus font l'objet d'une reconnaissance par l'institution d'origine, facilitant la continuité des études. Depuis sa création, le programme a bénéficié à 12,5 millions de personnes. La France est le premier pays d'envoi d'étudiants, d'apprenants et de personnels dans le cadre de ce programme (plus de 136 000 mobilités financées en 2022).
Pour la période 2021 2027, Erasmus + bénéficie d'un budget de 26,2 milliards d'euros (en hausse de 80 % par rapport au Cadre budgétaire précédent).
Son champ d'application s'étend également à l'éducation et à l'accueil des jeunes enfants à l'enseignement et à la formation professionnels (apprentissage), aux organisations de jeunesse et au sport. La période de mobilité est variable : de 2 jours à 12 mois pour les étudiants ; de 6 à 18 mois pour les apprentis.
Le programme Erasmus+ est géré par la Commission européenne, par l'agence exécutive « Éducation, audiovisuel et culture » (EACEA), ainsi que par les agences nationales dans les pays participant au programme et les bureaux nationaux dans certains pays partenaires.
L'objectif est à la fois :
- de rapprocher les formations des acteurs de la protection civile et de favoriser les exercices communs avec apprentissage des équipements ;
- de créer un lieu de discussion pour ces acteurs, sapeurs-pompiers, secouristes, spécialistes des situations de crise, afin de de leur permettre de partager leurs « retours d'expérience » et d'échanger leurs bonnes pratiques ;
- de contribuer ainsi à approfondir la coopération opérationnelle de ces acteurs et, par conséquent, d'améliorer la rapidité et l'efficacité de leurs interventions conjointes qui, du fait de la récurrence des catastrophes et de leur grande ampleur, devraient devenir régulières.
2. Pour un renforcement du dispositif RescEU afin de sécuriser les moyens aériens nationaux de la sécurité civile
La proposition de résolution européenne souhaite la poursuite de la montée en puissance du dispositif RescEU, et son utilisation pour tester des scenarii de crise partagés et développer des protocoles d'intervention unifiés (alinéa 25).
Elle s'intéresse en particulier à sa composante aérienne, qui, pour rappel, doit bénéficier surtout à la France. À ce titre, la proposition de résolution :
- salue le doublement de la flotte européenne de protection civile mis en oeuvre au cours de l'été 2023, « qui a illustré concrètement la solidarité entre les États membres » ;
- invite les États membres, en particulier la France, à respecter la trajectoire annoncée de modernisation de leur flotte aérienne de protection civile, conjointement à la mise en place d'une flotte européenne complémentaire (alinéa 27) ;
- souligne aussi la nécessité d'ouvrir une réflexion sur un « positionnement géographique stratégique des moyens européens de protection civile ». L'idée sous-jacente est de vérifier régulièrement si ces moyens sont pré-positionnés de manière opportune au regard des risques recensés et des moyens nationaux des États membres (alinéa 28) ;
- invite l'Union européenne à soutenir les efforts des États membres par des financements européens adaptés et par des appels d'offres groupés avec les États membres dans le cadre du renouvellement de leurs flottes nationales d'avions bombardiers d'eau, à conduire une revue capacitaire européenne pour définir un volume de production suffisant d'avions bombardiers d'eau dans les États membres et à favoriser l'émergence d'un avion bombardier d'eau européen (alinéas 29 et 30).
Sur ce dernier point, si la commission des affaires européennes du Sénat prend note avec compréhension du « choix capacitaire » des autorités françaises souhaitant renouveler la flotte nationale de Canadair, d'une part, pour bénéficier d'appareils neufs mais également pour prolonger la durée opérationnelle des appareils existants (pièces de rechange), elle souligne simultanément la nécessité d'encourager une solution française et européenne pour des impératifs de souveraineté politiques, opérationnels et économiques52(*).
Elle observe à cet égard qu'Airbus, l'avionneur européen, a testé certains de ses avions A400M en version « bombardier d'eau » et que ces essais ne doivent pas être ignorés : s'ils ne peuvent pas se recharger comme les Canadair en « rasant » la surface d'un plan d'eau, ces appareils peuvent apporter une solution complémentaire en emportant une plus grande capacité (20 000 tonnes) et peuvent voler la nuit.
Elle prend acte également avec intérêt du projet « Frégate 100 » de la start up bordelaise Hynaero, qui, partant des atouts du Canadair, développerait un avion plus rapide, ayant une plus grande capacité de largage (10 000 tonnes) et modernisé pour permettre des liaisons fiables avec les sapeurs-pompiers intervenant au sol. Néanmoins, le prototype n'est espéré qu'en 2028.
3. Adapter les financements disponibles
Si les États membres sont les premiers responsables de la protection de leur population, et, ce faisant, doivent prévoir les budgets nécessaires à cette protection, l'Union européenne devrait aussi actualiser les financements disponibles pour les actions de prévention, de préparation et de réaction aux crises de protection civile, qui, du fait du dérèglement climatique et du contexte géopolitique, devraient connaître un développement important au cours des prochaines années.
En toute logique, la proposition de résolution européenne (alinéa 22) appelle donc les États membres et la Commission européenne à « calibrer » ces financements au regard des besoins prioritaires.
* 52 Pour un point de situation détaillé sur les défis de la flotte aérienne de sécurité civile, voir le rapport d'information n° 838 (2022-2023) « La flotte de bombardiers d'eau de la sécurité civile : un renouvellement à accélérer, une gestion à optimiser » de M. Jean-Pierre Vogel, sénateur, au nom de la commission des finances, en date du 5 juillet 2023.