TITRE II : SIMPLIFIER LES DÉMARCHES ADMINISTRATIVES DES ENTREPRISES

Article 2
Habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance pour simplifier
les démarches déclaratives des entreprises

L'article 2 vise à habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour simplifier les démarches déclaratives des entreprises pour une durée de 18 mois.

Tout en souscrivant pleinement à l'objectif de simplification des normes et procédures pesant sur les entreprises, la commission spéciale a décidé de supprimer cet article, jugeant la méthode retenue peu respectueuse du Parlement. Le caractère extrêmement large de la demande d'habilitation, la longueur de son délai et l'impossibilité d'obtenir la moindre précision sur les mesures qui pourraient être prises dans ce cadre en font un véritable blanc-seing donné au Gouvernement. La détermination de ces mesures est en effet renvoyée à des travaux de grande ampleur, non encore lancés à ce jour. Le Gouvernement n'ayant nul besoin d'habilitation pour engager de tels travaux, il lui appartiendra le moment venu de saisir le Parlement d'un dispositif plus abouti.

1. Le dispositif proposé : une habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance pour simplifier les démarches déclaratives des entreprises

Le présent article vise à habiliter le Gouvernement, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, à légiférer par ordonnance aux fins d'alléger les contraintes pesant sur les entreprises et les professionnels.

Selon les termes de cet article, les mesures qui peuvent être prises dans ce cadre concernent :

- la transformation de certains régimes d'autorisation administrative en régimes de déclaration préalable obligatoire, le cas échéant avec opposition possible de l'administration dans un délai déterminé ;

- la suppression de certains régimes de déclaration préalable obligatoire pour lesquels le respect des règles de droit concernées peut être assuré par d'autres moyens ;

- l'allègement ou la suppression de certaines procédures ou formalités déclaratives des entreprises.

L'habilitation est donnée pour un délai de 18 mois.

Enfin, il est prévu qu'un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication l'ordonnance.

2. La position de la commission : la suppression d'une demande habilitation prématurée et aux contours mal définis

Au vu de la complexité et du poids des normes pesant sur les entreprises de notre pays, largement documenté par les travaux de la délégation sénatoriale aux entreprises dans un rapport récent23(*), on ne peut que souscrire à l'objectif de simplification poursuivi par cet article.

Force est pourtant de constater que les termes de l'habilitation sont extrêmement larges, puisqu'il est question, sans plus de précision, de « transformer » ou supprimer « certains » régimes d'autorisation ou déclaration préalables, ainsi que d'« alléger » ou supprimer « certaines procédures ou formalités ». Le dispositif, ainsi rédigé, donnerait au Gouvernement la faculté de réformer des pans entiers de la législation économique, environnementale, fiscale et sociale...

Les travaux de la commission spéciale ne lui ont pas permis de disposer de la moindre précision, de la part du Gouvernement, sur les mesures envisagées dans ce cadre. Leur détermination est en effet renvoyée à des travaux de grande ampleur, non encore lancés à ce jour.

En tout état de cause, la portée de ces mesures ne saurait être purement technique. Pour ne prendre qu'un exemple, la généralisation du principe « dites-le nous une fois » présentée comme un objectif majeur de l'article peut impliquer la levée de certains obstacles législatifs à la communication de données entre administrations, justifiées par le secret fiscal ou professionnel. Si l'on ne peut que partager ce souci traduire enfin dans les faits de ce principe largement resté lettre morte à ce jour, la sensibilité des questions soulevées par de telles mesures demande un débat parlementaire éclairé.

La méthode retenue, qui s'apparente ainsi à une demande de blanc-seing, n'est pas respectueuse du Parlement.

Le Gouvernement n'a en effet nullement besoin d'une habilitation parlementaire pour engager et conduire de tels travaux, seuls à même d'identifier avec précision une liste de mesures opportunes en matière de simplification des procédures applicables aux entreprises, avant de saisir le Parlement de mesures plus substantielles et mieux définies.

C'est la raison pour laquelle la commission spéciale a adopté l'amendement de suppression COM-314 de son rapporteur Catherine Di Folco, ainsi que les amendements identiques COM-142, COM-236 et COM-292.

Cette suppression ne saurait avoir pour effet de retarder l'action en faveur de la simplification au regard de la longueur du délai d'habilitation demandé, qui s'élève à 18 mois, ce d'autant que le ministre de l'économie et des finances a exprimé devant la commission spéciale son souhait de renouveler l'exercice chaque année24(*). Sous réserve que cet engagement soit tenu, le prochain projet de loi de simplification donnera ainsi au Gouvernement l'occasion de présenter un dispositif abouti.

La commission a supprimé l'article 2.

Article 3
Habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance
pour développer les rescrits sectoriels et la « cristallisation »
des normes applicables aux entreprises

L'article 3 vise à habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour développer les rescrits sectoriels et la « cristallisation » des normes applicables aux entreprises.

La commission souscrit pleinement à l'objectif de simplification de la vie des entreprises et au développement de procédures de rescrits et autres mesures destinées à apporter aux entreprises la sécurité juridique dont elles ont besoin pour mener à bien leurs projets.

Toutefois, adoptant la même position de principe que pour l'article 2 du présent projet de loi, elle a décidé de supprimer cet article, jugeant la méthode retenue peu respectueuse du Parlement. Le Gouvernement n'ayant nul besoin d'habilitation pour engager de tels travaux, il lui appartiendra le moment venu de saisir le Parlement d'un dispositif plus abouti et réellement utile aux entreprises, alors que de nombreux dispositifs de rescrits existants sont à ce jour pas ou peu utilisés.

1. Le dispositif proposé : une habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance pour développer les rescrits sectoriels et la « cristallisation » des normes applicables aux entreprises

Le présent article vise à habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour développer les rescrits sectoriels et la cristallisation des normes applicables aux entreprises.

Rescrit, pré-décision et « cristallisation » des normes applicables

Dans son étude de novembre 2013 consacrée au rescrit25(*), le Conseil d'État définit celui-ci comme une « prise de position formelle de l'administration, qui lui est opposable, sur l'application d'une norme à une situation de fait décrite loyalement dans la demande présentée par une personne et qui ne requiert aucune décision administrative ultérieure ».

Dans la même étude, le Conseil d'État traite également de deux autres catégories de garanties apportées à l'administré, aux fins de simplification et sécurisation, qui sont couvertes par l'habilitation de 2014 et par celle figurant au projet d'article 3 du présent projet de loi.

- la pré-décision, c'est-à-dire une prise de position s'inscrivant dans une procédure administrative prédéfinie et constituant une « brique » de la décision finale. Le rescrit se distingue de la pré-décision en ce qu'il « ne précède pas l'édiction d'une décision ultérieure de l'administration ».

- la « cristallisation » des normes applicables, qui garantit à l'entreprise, pendant une durée déterminée, l'application des normes en vigueur à la date à laquelle elle a conçu son projet.

Source : commission spéciale

Le I du présent article définit ainsi le champ de l'habilitation, qui permet ainsi :

au 1°, l'édiction de mesures de « rescrits » ou de « pré-décision » sectorielles applicables aux entreprises. Il est précisé que ces garanties ont pour objet de prémunir le demandeur d'un changement d'interprétation ou d'appréciation de l'administration qui serait de nature à faire naître une créance de celle-ci à son encontre, à l'exposer à des sanctions administratives ou à compromettre l'obtention d'une décision administrative postérieure nécessaire à la réalisation de son projet ;

au 2°, l'édiction de mesures de « cristallisation » des normes applicables aux entreprises ;

Les 3° à 5° du même I tendent également à permettre aux ordonnances prises sur le fondement de cette habilitation la détermination des conditions de publication et d'opposabilité de ces mesures, ainsi que les régimes de recours administratif et contentieux qui leur sont applicables.

Les III et IV du présent article précisent respectivement que le délai d'habilitation est de 18 mois, et qu'un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l'ordonnance.

Le II du présent article tend à inscrire directement dans la loi certaines dispositions encadrant les mesures de garantie prises par ordonnances.

Le 1° du même II prévoit ainsi que les garanties sont accordées sur la base d'un dossier préalable présenté à l'administration et décrivant loyalement la situation de fait ou le projet en cause.

Le 2° prévoit qu'elles peuvent être accompagnées d'un engagement sur les délais dans lesquelles les décisions administratives nécessaires à la réalisation du projet pourraient intervenir ainsi que d'informations sur les procédures d'instruction des demandes correspondantes, notamment la description des procédures applicables et les conditions de régularité du dossier. Il est précisé que cet engagement et ces informations sont susceptibles d'engager la responsabilité de l'administration.

Enfin, les 3° et 4° limitent la portée des mesures prises, respectivement en prévoyant que celles-ci :

- peuvent être remises en cause pour l'avenir dans des conditions précisées par les ordonnances mentionnées ;

- ne peuvent pas faire obstacle à l'application des dispositions législatives ou réglementaires visant à préserver la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l'environnement

2. La position de la commission : supprimer une demande d'habilitation prématurée

2.1. Plusieurs mesures de rescrits sectoriels existent déjà, mais restent à ce jour peu utilisés

Le rescrit a historiquement été institué en matière fiscale26(*), où il est fortement utilisé. Ainsi, 20 000 rescrits ont été délivrés en 2022 par les services des finances publiques selon le rapport d'activité de la Direction générale des finances publiques (DGFiP).

Ce dispositif a plus récemment, dans la continuité de l'étude précitée du Conseil d'État, été étendu à des mesures sectorielles applicables aux entreprises, sur le fondement l'article 9 de la loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises, qui porte un dispositif d'habilitation dont la rédaction a pour l'essentiel été reprise par le présent article.

L'ordonnance n° 2015-1628 du 10 décembre 2015 a ainsi prévu un certain nombre de nouveaux rescrits, tel que :

- le rescrit « consommation »27(*) prise de position de l'administration au sujet des prix à la consommation pratiqués par les professionnels visant à prémunir le demandeur contre d'éventuelles sanctions administratives ;

- le rescrit « agricole » sur le contrôle des structures des exploitations agricoles28(*) ;

- le rescrit concernant l'accord ou le plan d'action d'une entreprise en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes29(*) et le rescrit relatif aux obligations en matière d'emploi des travailleurs handicapés30(*) en entreprise, qui instituent une garantie contre des sanctions prévues par le code du travail.

L'ordonnance précitée a également institué une mesure de pré-décision en matière d'agrément de reprise d'autorisation d'occupation temporaire (AOT) du domaine public de l'État. Le dispositif permet aux titulaires d'une telle autorisation d'obtenir la garantie que sera accordé l'agrément nécessaire à la substitution d'une personne déterminée, pour la durée du titre restant à courir, dans les droits et obligations résultant de ce dernier, sous réserve d'une utilisation compatible avec son affectation31(*).

En matière de « cristallisation », la même ordonnance a par exemple institué le « certificat d'urbanisme », qui permet que lorsqu'une demande d'autorisation ou une déclaration préalable est déposée dans le délai de dix-huit mois à compter de la délivrance d'un certificat d'urbanisme, les dispositions d'urbanisme, le régime des taxes et participations d'urbanisme ainsi que les limitations administratives au droit de propriété tels qu'ils existaient à la date du certificat ne peuvent être remis en cause à l'exception des dispositions qui ont pour objet la préservation de la sécurité ou de la salubrité publique32(*).

L'article 21 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance (ESSOC) a également institué, sans recourir à une habilitation à légiférer par ordonnance, de nouvelles procédures de rescrits sectoriels concernant notamment :

- le délai de paiement des entreprises, destiné à prémunir le demandeur contre les sanctions administratives33(*) ;

- les garanties commerciales, prémunissant le demandeur contre une sanction administrative34(*) ;

Les données communiquées aux rapporteurs par la direction des affaires juridiques du ministère de l'économie et des finances sur la mise en oeuvre de certains rescrits montrent cependant que les opérateurs économiques ne se sont pas ou peu emparés de ces procédures. Aussi, le rescrit « consommation » n'a ainsi fait l'objet que de six demandes en 2021, toutes incomplètes ou non recevables, d'aucune demande en 2022, et d'une demande en 2023, refusée. De même, le rescrit « garanti commerciale » n'a fait l'objet que d'une demande en 2022, refusée.

2.2. Une demande d'habilitation prématurée

S'agissant du présent article, la commission spéciale a entendu adopter la même position de principe que pour l'article 2 du présent projet de loi35(*).

Sur le fond, elle souscrit pleinement à l'objectif de simplification de la vie des entreprises et au développement de procédures de rescrits et autres mesures destinées à apporter aux entreprises la sécurité juridique dont elles ont besoin pour mener à bien leurs projets.

Toutefois, force est de constater que, là encore, le champ des législations potentiellement concernées par ces mesures n'est aucunement défini, et renvoyé à des travaux ultérieurs. À titre de comparaison, le dispositif de l'article 9 de la loi de simplification de 2014 précité comportait une énumération limitative du champ des codes législatifs et domaines concernés.

En tout état de cause, la portée de ces mesures ne saurait être purement technique dans la mesure où, par définition, les dispositifs de rescrit, de pré-décision et de cristallisation mettent en jeu le principe de légalité.

Le Gouvernement n'a nullement besoin d'une habilitation parlementaire pour engager et conduire de tels travaux, seuls à même de tirer un bilan des procédures de rescrits sectoriels existantes et d'identifier de nouvelles mesures souhaitables et pertinentes, et partant susceptibles d'être réellement utilisées.

C'est la raison pour laquelle la commission spéciale a adopté l'amendement de suppression COM-315 de son rapporteur Catherine Di Folco ainsi que les amendements identiques COM-238 et COM-293.

Comme pour celle de l'article 2, cette suppression ne saurait avoir pour effet de retarder l'action en faveur de la simplification au regard de la longueur du délai d'habilitation demandé, qui s'élève à 18 mois, ce d'autant que le ministre de l'économie et des finances a exprimé devant la commission spéciale son souhait de renouveler l'exercice chaque année36(*). Sous réserve que cet engagement soit tenu, le prochain projet de loi de simplification donnera ainsi au Gouvernement l'occasion de présenter un dispositif abouti.

La commission a supprimé l'article 3.

Article 3 bis
Modification du régime de « silence vaut acceptation »
pour les demandes formulées auprès de l'administration

L'article 3 bis, ajouté à l'initiative de Dany Wattebled, tend à modifier le régime de « silence vaut acceptation » pour les demandes formulées par des usagers auprès de l'administration. Reprenant le dispositif de la proposition de loi visant à mettre l'administration au service des usagers adoptée par le Sénat le 4 novembre 2021, cet article tend, d'une part, à mieux encadrer les conditions dans lesquelles le pouvoir réglementaire peut déroger au principe « silence vaut acceptation » et, d'autre part, à mieux encadrer certains délais s'imposant à l'administration afin de donner une portée plus effective à ce principe.

1. Le droit en vigueur : une application insuffisante et disparate du principe « silence vaut acceptation »

Mesure emblématique du « choc de simplification » porté en 2013 par le Gouvernement, l'inversion du principe - jusque-là bien établi - de la décision implicite de rejet par l'administration des demandes des usagers pour instaurer le principe de la décision implicite d'acceptation n'a pas connu une application aussi large que souhaitée.

En effet, si le législateur avait prévu en 2013 le principe selon lequel le « silence gardé pendant deux mois par l'autorité administrative sur une demande vaut décision d'acceptation »37(*), il avait également prévu deux dérogations à ce principe :

- d'une part, le principe de la décision implicite de rejet est demeuré applicable dans plusieurs cas (énumérés à l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration), soit qu'une décision implicite d'acceptation ne soit pas concrètement applicable - l'on pense par exemple au cas où la demande ne tendrait pas à l'adoption d'une décision présentant le caractère d'une décision individuelle - soit que son application soit susceptible de placer indûment l'administration en difficulté dans le cas où elle ne serait pas en mesure de répondre - par exemple s'agissant de demandes présentant un caractère financier ou dont l'acceptation implicite serait incompatible avec « le respect des engagements internationaux et européens de la France, la protection de la sécurité nationale, la protection des libertés et des principes à valeur constitutionnelle et la sauvegarde de l'ordre public » ;

- d'autre part, l'article L. 231-5 du même code a prévu que, « eu égard à l'objet de certaines décisions ou pour des motifs de bonne administration », l'application du principe selon lequel « silence vaut acceptation » peut être écartée par décret en Conseil d'État et en conseil des ministres.

Au surplus, l'article L. 231-6 du même code prévoit que, « lorsque l'urgence ou la complexité de la procédure le justifie », il peut être dérogé au délai de deux mois applicable tant pour les décisions implicites de rejet que d'acceptation, par décret en Conseil d'État.

En d'autres termes, le législateur a ménagé plusieurs « soupapes » à l'administration, y compris pour tenir compte de difficultés juridiques réelles posées par le principe « silence vaut acceptation »38(*) :

- ce principe ne saurait s'appliquer à toutes les demandes, mais uniquement à celles pour lesquelles l'administration peut répondre par l'affirmative ou la négative. Le silence gardé par l'administration ne peut ainsi qu'être sans effet pour des demandes portant sur des obligations de faire ;

- l'application du principe peut poser une difficulté au regard de la préservation des droits des tiers. Comme le rappelle Brigitte Lherbier dans son rapport sur la proposition de loi visant à mettre l'administration au service des usagers, « le SVA peut conduire à des atteintes au principe d'égalité dans tous les cas où une absence de réponse involontaire de l'administration (perte d'une demande ou erreur de traitement) crée des droits subjectifs indus en faveur du pétitionnaire ». Au surplus, dans le cas où l'administration fait droit à une demande sans commettre d'erreur mais sans formuler une décision expresse, l'application du principe « silence vaut acceptation » emporte une perte de chance pour les tiers, qui ne peuvent par construction prendre connaissance d'une décision implicite, ce qui peut nuire à leur droit au recours.

Il en résulte que, si des dérogations au principe « silence vaut acceptation » peuvent être légitimes, le champ actuel d'application de celui-ci présente deux difficultés :

- d'une part, il paraît trop restreint et n'a pas emporté le « choc de simplification » attendu des relations entre le public - à commencer par les entreprises - et l'administration ;

- d'autre part, le régime juridique des décisions implicites de l'administration est devenu particulièrement illisible, les dérogations multiples rendant difficile pour les administrés de savoir le sens à donner au silence gardé par l'administration39(*).

Schéma récapitulatif du sens du silence de l'administration depuis
la réforme du 12 novembre 2013

Source : Annexe 1 de la thèse de doctorat
«
La décision implicite d'acceptation en droit français » d'Armand Desprairies40(*)

2. La position de la commission : clarifier et renforcer l'application du principe « silence vaut acceptation »

Au regard des difficultés qu'il pose, le principe « silence vaut acceptation » a donc été clarifié dans son champ et renforcé dans ses effets par la commission. Elle a ainsi adopté l'amendement COM-243 de Dany Wattebled tendant à reprendre le dispositif de la proposition de loi visant à mettre l'administration au service des usagers, telle qu'adoptée par le Sénat le 4 novembre 2021. Ce dispositif a plusieurs objets.

Premièrement, il tend à encadrer plus étroitement les conditions dans lesquelles le pouvoir réglementaire peut exclure l'application du principe « silence vaut acceptation ». À cette fin, il substitue à la faculté de dérogation prévue à l'article L. 231-5 du code des relations entre le public et l'administration - rédigée en des termes particulièrement larges puisque l'objet de certaines décisions ou des motifs de bonne administration suffisent à justifier une dérogation au principe - un pouvoir de dérogation aux contours mieux définis. Le pouvoir réglementaire pourrait ainsi déroger, selon les

mêmes modalités - par décret en Conseil d'État et conseil des ministres -, au principe « silence vaut acceptation » dans cinq cas :

- lorsque la nature d'une demande ne permet pas à l'administration d'y faire droit par sa seule approbation ;

- lorsqu'une décision implicite d'acceptation de l'administration est susceptible de porter manifestement atteinte à l'intérêt public ;

- lorsqu'une demande porte sur l'accès ou l'exercice d'une profession réglementée ;

- lorsque l'application du principe « silence vaut acceptation » augmente significativement le coût de traitement des demandes par l'administration ou porte spécialement atteinte aux droits des tiers ;

- lorsqu'une demande n'est pas détachable d'une demande principale pour laquelle l'application principe est exclue.

Deuxièmement, le dispositif tend à prévoir que, dans le cadre d'une procédure à laquelle est applicable le principe « silence vaut acceptation », une demande de pièces de la part de l'administration n'aurait plus pour conséquence de remettre « le compteur à zéro » mais suspendrait simplement le délai qui a déjà commencé à courir à la réception de la demande par l'administration compétente. Ce faisant, le dispositif tend à répondre aux difficultés posées par certaines administrations qui usent de la demande de pièces complémentaires pour faire concrètement échec à l'application du principe « silence vaut acceptation ».

Troisièmement, le dispositif prévoit la fixation, à l'article L. 231-6 du code des relations entre le public et l'administration, d'un plafond maximal de six mois à la possibilité de dérogation aux délais maximaux de deux mois enserrant les décisions implicites de rejet ou d'acceptation. 

Enfin, dans l'objectif d'une meilleure protection des droits des tiers, il vise à préciser que l'administration dispose d'un délai de quinze jours pour publier les demandes « dans le cas où la décision demandée peut être acquise implicitement et doit faire l'objet d'une mesure de publicité à l'égard des tiers lorsqu'elle est expresse ». Il tend également à soumettre au même délai de quinze jours la délivrance, par l'administration, de l'attestation dont fait l'objet une décision implicite d'acceptation

Au regard de la nécessité de donner un nouveau souffle au principe « silence vaut acceptation », du caractère proportionné du dispositif et en cohérence avec la position du Sénat, la commission a adopté ces dispositions et ajouté l'article 3 bis ainsi rédigé.

La commission a ajouté l'article 3 bis ainsi rédigé.


* 23 La sobriété normative pour renforcer la compétitivité des entreprises, rapport d'information fait par Gilbert-Luc Devinaz, Jean-Pierre Moga et Olivier Rietmann au nom de la délégation aux entreprises du Sénat, 15 juin 2023.

* 24 Voir compte-rendu de l'audition par la commission spéciale de Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et d'Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation, le 14 mai 2024.

* 25 Conseil d'État, « Le rescrit : sécuriser les initiatives et les projets », étude, 26 mars 2014

* 26 Voir par exemple les articles L. 64 B et L. 80 B du livre des procédures fiscales.

* 27 Article L. 112-5 du code de la consommation.

* 28 Articles L. 725-24 du code rural et de la pêche maritime.

* 29 Article L. 2242-9 du code du travail.

* 30 Article L. 5212-5-1 du code du travail.

* 31 Article L. 2122-7 du code général de la propriété des personnes publiques.

* 32 Article L. 410-1 du code de l'urbanisme.

* 33 Article L. 441-15 du code de commerce.

* 34 Article L. 217-24 du code de commerce.

* 35 Voir commentaire de l'article 2 du présent rapport.

* 36 Voir compte-rendu de l'audition par la commission spéciale de Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et d'Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation, le 14 mai 2024.

* 37 Voir l'article 1er de la loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens a modifié l'article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, aujourd'hui codifié à l'article L 231-1 du code des relations entre le public et l'administration.

* 38 Pour un exposé plus détaillé des difficultés posées par l'application de ce principe, cf. le rapport n° 105 (2021-2022) de Brigitte Lherbier sur la proposition de loi visant à mettre l'administration au service des usagers, fait au nom de la commission des lois, déposé le 27 octobre 2021.

* 39 Les dispositions du CRPA étant au surplus supplétives des dispositions spéciales régissant des procédures dans d'autres codes, comme le montre le schéma ci-dessous.

* 40 Graphique issu du rapport n° 105 (2021-2022) précité.

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