TITRE III : FACILITER L'ACCÈS DE TOUTES
LES ENTREPRISES À LA COMMANDE PUBLIQUE

Article 4
Harmonisation du profil d'acheteur
pour la passation de contrats publics

L'article 4 vise à rendre obligatoire le recours au profil d'acheteur unique dématérialisé mis à disposition par l'État pour les personnes morales de droit public ainsi que les organismes de sécurité sociale dans le cadre de leurs procédures de passation de marché public et les contrats de concession. Les collectivités territoriales, leurs établissements publics et leurs groupements ne sont pas concernés par cette obligation.

La commission spéciale a adopté cet article, considérant que le dispositif proposé permet un suivi facilité des procédures de passation en cours et un allègement des contraintes administratives pour les petites entreprises, aujourd'hui contraintes de s'adapter et de soumissionner via chaque plateforme choisie par les acheteurs.

La commission a adopté un amendement visant à rendre systématique l'autorisation, aux acheteurs non soumis à l'obligation mais qui en feraient la demande, de recourir gratuitement à la plateforme dématérialisée de l'État.

1. Les acheteurs publics doivent recourir à un profil d'acheteur dématérialisé pour les procédures de passation des contrats de la commande publique

1.1. Les contrats de la commande publique sont soumis à des obligations de publicité et de dématérialisation

La généralisation de la dématérialisation des procédures de passation des contrats de la commande publique a été instaurée au 1er octobre 2018, en conformité avec le droit de l'Union européenne qui prévoit la mise à disposition des documents de marchés par voie électronique par les pouvoirs adjudicateurs41(*), les entités adjudicatrices42(*) et les autorités concédantes43(*).

Depuis cette date, aux termes de l'article L. 2132-2 du code de la commande publique, les communications et échanges d'informations effectuées dans le cadre de la procédure de passation d'un marché sont réalisés par voie électronique.

L'article R. 2132-2 du même code prévoit que cette mise à disposition s'effectue sur un profil d'acheteur, à compter de la publication de l'avis d'appel à la concurrence. Le profil d'acheteur, plateforme de dématérialisation des procédures, permet aux acheteurs d'offrir « un accès gratuit, libre, direct et complet »44(*) aux documents de la consultation à disposition des opérateurs économiques par voie électronique et de réceptionner les documents transmis par les candidats et les soumissionnaires.

Le recours à un profil d'acheteur est obligatoire pour communiquer les documents de la consultation des marchés publics dont la valeur du besoin estimé est égale ou supérieure à 40 000 euros hors taxe45(*), à l'exception des marchés de défense ou sécurité, pour lesquels la dématérialisation demeure facultative.

Si les communications et les échanges d'informations effectués pour la procédure de passation d'un contrat de concession ne sont pas soumis à l'obligation d'être réalisés par voie électronique, l'autorité concédante est néanmoins également tenue d'assurer un accès gratuit, libre, direct et complet aux documents de la consultation.

1.2. Divers profils d'acheteurs sont à la disposition des personnes publiques

Chaque acheteur est en droit de définir le profil d'acheteur de son choix. Ainsi, certains acheteurs s'appuient sur leur propre site internet pour l'hébergement de leur profil d'acheteur, quand d'autres préfèrent avoir recours à des plateformes privées gérées par des opérateurs.

Les administrations centrales et déconcentrées ont en revanche l'obligation d'utiliser la plateforme d'achats de l'État, PLACE.

Créée par un arrêté du 11 octobre 2012, la plateforme est plus largement mise à la disposition à titre gratuit des services de l'État, des établissements publics de l'État, des autorités publiques indépendantes, des autorités administratives indépendantes, des groupements d'intérêt public, des groupements d'intérêt économique investis d'une mission de service public d'intérêt national, des organismes de sécurité sociale, de l'Union des caisses nationales de sécurité sociale (UCANSS), de la Caisse des dépôts et consignations et de certains opérateurs économiques46(*).

Aussi, en 2024, 2400 services d'acheteurs publics utilisent PLACE dont 650 services d'établissements publics de l'État, 415 services d'établissements publics de santé, 130 services d'organismes de sécurité sociale et 240 services acheteurs des organismes consulaires, de groupements d'intérêt public (GIP), d'autorités constitutionnelles, d'autorités administratives indépendantes (AAI) et d'autorités publiques indépendantes (API), ainsi que d'associations déclarées soumises à la commande publique. Cela représente 39 400 consultations par an concernant des marchés de plus de 40 000 euros hors taxes.

Hormis la simplification engendrée par ce processus de centralisation via la plateforme PLACE, l'accès aux procédures de passation des contrats de la commande publique peut être difficile pour les entreprises. En effet, la liberté de la plupart des acheteurs de définir le profil d'acheteur de leur choix entraîne un éclatement des procédures de passation. L'étude d'impact du projet de loi mentionne à ce titre le recensement de plus de 700 profils d'acheteurs hors sites internet institutionnels.

Pour chaque nouveau profil d'acheteur, l'entreprise souhaitant soumissionner doit créer et administrer un nouveau compte. Ainsi, plus les profils d'acheteurs sont éclatés sur de multiples plateformes, plus les entreprises supportent une charge administrative de veille et de gestion représentant des coûts en ressources humaines et informatiques.

2. L'article 4 entend rassembler l'ensemble des profils d'acheteurs, à l'exception de ceux des collectivités territoriales, sur la plateforme d'achats de l'État

2.1. L'article 4 vise à rendre obligatoire le recours à la plateforme PLACE pour la passation des marchés publics et des contrats de concessions

L'article 4 vise à compléter les articles L. 2132-2 et L. 3122-4 du code de la commande publique - créant respectivement l'obligation de dématérialisation des communications et des échanges d'informations dans le cadre de la procédure de passation d'un marché et la possibilité de dématérialisation pour les contrats de concession - en y inscrivant l'obligation, pour les personnes morales de droit public autres que les collectivités territoriales, ainsi que pour les organismes de sécurité sociale, d'utiliser la plateforme de dématérialisation mise à leur disposition par l'État.

Un acheteur qui dérogerait à l'obligation de recours à PLACE pourrait ainsi se voir reprocher devant le juge, par un candidat évincé, de n'avoir pas respecté ses obligations en termes de publicité et de mise en concurrence et d'avoir méconnu les principes de transparence des procédures, de liberté d'accès à la commande publique et d'égalité de traitement entre les candidats.

L'article prévoit également que l'État peut autoriser tout autre acheteur ou autorité concédante qui en fait la demande à utiliser gratuitement sa plateforme de dématérialisation.

Ainsi, le présent article étend l'obligation préexistante pour les administrations centrales et déconcentrées de l'État afin de poursuivre l'effort d'harmonisation et de simplification d'accès aux procédures de passation des contrats de la commande publique pour les entreprises.

La mesure envisagée permettra ainsi aux opérateurs économiques d'avoir une visibilité sur les procédures de marchés publics de près de 4 300 services acheteurs, soit environ 100 000 consultations par an.

2.2. Cette mesure rendra nécessaire une notification à la Commission européenne

Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d'État a rappelé que le présent article nécessitera d'être notifié à la Commission européenne, en tant qu'il constitue, au sens de la directive (UE) 2015/1535 du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des règlementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information, une « règle technique » interdisant aux prestataires privés d'offrir des solutions de dématérialisation aux pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices soumis à l'article.

2.3. La plateforme PLACE devra évoluer afin d'être en mesure d'accueillir un volume conséquent d'acheteurs publics

Un décret définira l'entrée en vigueur de l'article 4 en fonction de la catégorie d'acheteurs et d'autorités concédantes, au plus tard le 31 décembre 2028. Néanmoins, les acheteurs et autorités concédantes qui en feraient la demande pourraient recourir gratuitement à PLACE avant l'échéance fixée. Les acheteurs ayant conclu un contrat avec une plateforme de dématérialisation privé pourront ainsi poursuivre son exécution jusqu'à la date limite fixée par décret.

Ce délai maximum de cinq ans pour la centralisation des procédures de passation des personnes morales de droit public47(*) et des organismes de sécurité sociale se justifie par la nécessité de préparation et d'évolution de la plateforme PLACE à l'accueil d'un volume conséquent de nouveaux profils d'acheteurs.

Selon la direction des achats de l'État, cette période devra permettre :

- « la cartographie des profils d'acheteurs autres que PLACE actuellement utilisés par les services acheteurs visés et les échéances des engagements contractuels en cours ;

- l'identification des besoins de raccordements techniques entre la plateforme PLACE et les systèmes d'informations amont et aval à la consultation dématérialisée de marchés utilisés par ces services ;

- l'identification des services additionnels à la consultation dématérialisée de marchés proposés par les profils acheteurs autres que PLACE, et le cas échéant la reprise de certains, selon l'impact technique et les coûts associés ;

- la mise en oeuvre d'un basculement vers la plateforme PLACE par vagues de services acheteurs, une fois traités les besoins de raccordements techniques et de reprises de services qui auront pu être identifiés »48(*).

Cette évolution de la plateforme viendra ainsi s'inscrire dans le cadre du plan de transformation numérique de la commande publique (PTNCP) initié en 2016. Le PTNCP porte plusieurs chantiers informatiques visant à constituer un « socle d'interopérabilité » et ainsi permettre une interconnexion des profils d'acheteurs tout au long de la procédure de passation d'un marché public. Parmi ces chantiers, l'outil de sourcing (Approch) et l'outil de vérification de signature électronique ont d'ores et déjà abouti. Le service permettant la publication d'une consultation (consultable via un autre profil) est en cours de raccordement avec PLACE et sera à terme connecté à d'autres profils d'acheteurs.

2.4. Le recours à PLACE est seulement facultatif pour les collectivités territoriales

L'article 4 exclut les collectivités territoriales, leurs établissements publics et leurs groupements de l'obligation de recourir à la plateforme PLACE.

Aussi, ces dernières demeurent libres de choisir leur profil d'acheteur, notamment la plateforme dématérialisée de l'État si elles le souhaitent. Les collectivités peuvent également choisir d'intégrer directement leur profil d'acheteur sur leur site institutionnel ou de s'appuyer sur des solutions mises à disposition par des opérateurs privés, qui proposent parfois une distribution par un partenaire éditeur de presse quotidienne régionale.

Une trentaine de plateformes mutualisées ont également été constituées ces dernières années afin de regrouper la plupart des collectivités d'un même territoire, notamment MEGALIS (regroupant plus 1 130 collectivités territoriales de la région Bretagne), ARNIA (1 500 collectivités territoriales de la région Bourgogne Franche-Comté) ou encore MAXIMILIEN (pour plus de 300 collectivités de la région francilienne).

Le ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique a indiqué au rapporteur que l'extension de l'obligation prévue par l'article 4 aux collectivités territoriales n'apparaît pas opportune.

En effet, cette mesure induirait une telle hausse du volume d'activité pour la plateforme PLACE (environ 360 000 consultations de marchés pour 50 acheteurs publics) qu'elle rendrait nécessaire sa refonte complète, impliquant délais et coûts importants. L'intégration des marchés des collectivités sur PLACE signifierait que la plateforme regroupe 85 % du volume des consultations de marchés publics publiées annuellement, contre 7,5 % actuellement et 17 % après l'entrée en vigueur de l'article 4. Une telle évolution engendrerait une perte financière importante pour les éditeurs de logiciels et les services privés de profil d'acheteur les utilisant, notamment la presse quotidienne régionale, que l'objectif de simplification poursuivi par ce texte ne semble pas justifier.

3. La commission spéciale a adopté l'article sans modification

La commission spéciale a adopté l'article 4, devant le constat qu'il permet d'une part, de simplifier le quotidien des petites entreprises par la constitution d'un point d'accès unique à de nombreuses procédures de passation des contrats de la commande publique et d'autre part, qu'en excluant les collectivités territoriales de l'obligation il entend préserver les secteurs économiques fortement mobilisés dans l'accompagnement de ces acteurs.

La commission a adopté l'amendement COM-377 visant à rendre systématique l'autorisation, aux acheteurs non soumis à l'obligation mais qui en feraient la demande, de recourir gratuitement à la plateforme dématérialisée de l'État.

Si l'entrée en vigueur de la mesure peut paraître lointaine, les sénateurs ont estimé que la modernisation de la plateforme pour garantir qu'elle soit en mesure d'accueillir l'ensemble des nouveaux acheteurs justifie une entrée en vigueur progressive.

La commission a adopté l'article 4 ainsi modifié.

Article 5
Unification du contentieux de la commande publique

L'article 5 prévoit l'unification du contentieux de la commande publique, en qualifiant de contrat administratif l'ensemble des contrats de la commande publique, notamment les contrats de droit privé. En qualifiant de contrat administratif les contrats conclus par des personnes de droit privé soumises au code de la commande publique, le présent article rendrait compétent le juge administratif pour connaître des litiges relatifs à la passation et à l'exécution de ces contrats, qui relevaient jusqu'alors du juge judiciaire.

La commission a adopté 9 amendements identiques supprimant l'article 5, en raison de l'insécurité juridique et de l'alourdissement des charges administratives qu'engendrerait l'adoption d'une telle mesure pour les entreprises co-contractantes et pour les acheteurs de droit privé.

1. Le code de la commande publique distingue les contrats administratifs des contrats conclus par des personnes de droit privé

1.1. Le législateur a élargi le bloc de compétence du juge administratif en qualifiant de contrats administratifs de nouveaux contrats

Les contrats administratifs, non soumis au code civil, disposent d'un régime propre octroyant à la personne publique contractante des prérogatives exorbitantes du droit commun :

- le pouvoir de modification unilatérale ;

- le pouvoir de résiliation pour motif d'intérêt général ;

- le pouvoir de direction et de contrôle ;

- le pouvoir de sanction.

Ces prérogatives exorbitantes sont conférées à la personne publique dans la mesure où elles permettent de protéger l'action de la puissance publique et de garantir l'exécution d'un service public. En conséquence, le juge administratif est compétent pour connaître du contentieux relatif aux contrats administratifs.

Historiquement, deux critères jurisprudentiels cumulatifs permettaient de distinguer les contrats administratifs des contrats de droit privé de l'administration :

- le critère organique, selon lequel un contrat est administratif si au moins une personne publique, ou mandataire d'une personne publique, est partie au contrat ;

- le critère matériel, qui implique la présence dans le contrat de clauses exorbitantes du droit commun (contenu du contrat), ou la mention au sein du contrat de la participation au service public (objet du contrat).

Toutefois, ces dernières décennies, le législateur a entrepris l'élaboration d'un bloc de compétence du juge administratif, en qualifiant d'administratifs certains contrats initialement de droit privé.

La loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier, (dite « loi MURCEF ») a ainsi qualifié de contrats administratifs tous les marchés passés en application du code des marchés publics.

En outre, depuis les ordonnances du 23 juillet 2015 sur les marchés publics49(*) et du 29 janvier 201650(*) relatives aux contrats de concession, un contrat est automatiquement administratif dès lors qu'il est conclu par une personne publique, sans prise en compte de l'existence des critères jurisprudentiels précités, sous réserve qu'il ne relève pas du livre V de la deuxième partie51(*) et du livre II de la troisième partie52(*) du code de la commande publique, soumis à un régime spécifique.

Hormis ces contrats qualifiés d'administratifs par le législateur, les marchés conclus par des personnes privées sont de droit privé et relèvent du juge judiciaire, bien qu'ils puissent, du fait de la personnalité juridique des parties, être soumis aux exigences de publicité et de mise en concurrence du code de la commande publique.

1.2. Dès lors, les contrats de la commande publique peuvent être de droit privé ou de droit public

Les acheteurs et les autorités concédantes soumis aux obligations de publicité et de mise en concurrence du code de la commande publique sont les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices qui peuvent relever du droit public ou du droit privé.

Au sens de l'article L. 1211-1 du livre II de la première partie législative du code de la commande publique, sont des pouvoirs adjudicateurs :

- les personnes morales de droit public ;

- les personnes morales de droit privé qui ont été créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel et commercial et dont :

a. Soit l'activité est financée majoritairement par un pouvoir adjudicateur ;

b. Soit la gestion est soumise à un contrôle par un pouvoir adjudicateur ;

c. Soit l'organe d'administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié est désignée par un pouvoir adjudicateur »

- les organismes de droit privé dotés de la personnalité juridique constitués par des pouvoirs adjudicateurs en vue de réaliser certaines activités en commun.

Les entités adjudicatrices sont, en vertu de l'article L. 1212-1 du même code, les pouvoirs adjudicateurs ou les entreprises publiques qui exercent une des activités d'opérateur de réseaux, les organismes de droit privé qui bénéficient de droits spéciaux ou exclusifs ayant pour effet de leur réserver l'exercice d'une des activités d'opérateur de réseaux.

Le code de la commande publique soumet ces contrats à des exigences particulières de publicité et de mise en concurrence afin de se conformer aux exigences du droit de l'Union européenne. Outre des exigences spécifiques et communes, en vertu de l'article L. 6. du code de la commande publique, les contrats conclus par des personnes morales de droit public sont des contrats administratifs, et relèvent donc de l'office du juge administratif.

Les contrats conclus par des personnes morales de droit privé, en revanche, relèvent de la compétence du juge judiciaire et du régime contentieux défini par le chapitre 2 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009. 11 tribunaux judiciaires de première instance ont été spécialement désignés afin de traiter les litiges relatifs à la passation et l'exécution de ces contrats.

2. Le dispositif proposé vise à qualifier d'administratif tous les contrats relevant du code de la commande publique, élargissant en conséquence l'office du juge administratif

La quatorzième proposition du rapport de la majorité remis au ministre de l'économie, le 15 février 2024, intitulé Rendre des heures aux Français : quatorze mesures pour simplifier la vie des entreprises recommandait de « faciliter drastiquement l'accès à la commande publique pour les TPE et les PME ». À cet égard, les parlementaires soulignaient que « la création d'un bloc de compétence unique en faveur du juge administratif pour l'ensemble des contrats de la commande publique éviterait les risques de doubles interprétations, sécurisant ainsi les entreprises ».

L'article 5 reprend cette préconisation en qualifiant d'administratif l'ensemble des contrats relevant du code de la commande publique.

Cette qualification nouvelle concerne ainsi les contrats conclus par des personnes de droit privé, telles que les entreprises publiques, les sociétés locales à statut spécifique, les organismes privés d'habitation à loyer modéré (HLM) et les associations dont les ressources sont principalement procurées par des personnes publiques.

Cette réforme a pour conséquence première de conférer aux personnes privées soumises au code les prérogatives de puissance publique attachées au régime des contrats administratifs mentionné supra. Elle confie, en cohérence, le contentieux des contrats nouvellement qualifiés d'administratifs, au juge administratif.

2.1. Pour le Gouvernement, l'unification du contentieux va réduire les difficultés rencontrées par les entreprises

Selon l'étude d'impact du projet de loi, la réforme contentieuse des contrats de la commande publique proposée par le présent article serait nécessaire afin de résoudre les difficultés auxquelles font face les entreprises quant au juge à saisir.

Cet argument se veut corroboré par le nombre de saisines du tribunal des conflits, dont 17 % des affaires, pour l'année 2022, avait trait à la matière contractuelle. En réalité, il convient de nuancer la gravité de ces difficultés puisque ce taux de pourcentage représente 10 cas au plus parmi les 58 affaires enregistrées et décisions rendues par le tribunal53(*). Cela représente d'ailleurs un volume des cas moins important que ceux relatifs au domaine social et des conflits en matière de responsabilité.

La proximité de la jurisprudence administrative et judiciaire pour le contentieux de la passation des contrats de la commande publique est également présentée comme une des avancées positives permises par la réforme proposée.

Pourtant, en dépit de la simplification apparente que suppose l'unification du contentieux, les opérateurs économiques de droit privé pourraient sortir lésés du basculement du contentieux vers le juge administratif au regard de la jurisprudence. En effet, comme l'a indiqué l'un des spécialistes consultés par le rapporteur « les pouvoirs du juge administratif, son efficacité, ne font pas du juge administratif, contrairement au juge judiciaire, un juge de la bonne exécution du contrat. Autant le juge judiciaire s'accorde des pouvoirs d'intervention importants en matière d'exécution du contrat, autant le juge administratif conçoit avant tout son rôle comme un régulateur de la responsabilité contractuelle. Pour le dire autrement, la sanction du juge [administratif] en cas d'inexécution du contrat administratif est très faible et se résume le plus souvent à l'octroi de dommages et intérêts, tandis que le juge judiciaire, lui, dispose d'un panel de pouvoirs lui permettant d'agir et de prévenir le dommage (pouvoirs d'injonction, de résolution...) »54(*).

La réduction des délais de jugement est également avancée par le Gouvernement comme une des plus-values de la réforme, au même titre que l'ouverture d'un nouveau recours contentieux, le recours de pleine juridiction dit « Tarn et Garonne », permettant à tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation et ses clauses de contester la validité du contrat, et dont l'équivalent n'existe pas devant le juge judiciaire.

Ces deux arguments interpellent le rapporteur, puisque l'ouverture d'une nouvelle voie de recours à tout tiers susceptible d'être lésé par la passation ou les clauses des contrats nouvellement administratifs est a priori susceptible d'augmenter le nombre de contentieux dont le juge administratif aura à connaître.

3. La commission spéciale a supprimé l'article 5, en l'absence d'élément attestant qu'il entraînera une simplification du quotidien des entreprises

La commission spéciale, sur proposition du rapporteur, a adopté 9 amendements identiques de suppression de l'article 5.

En effet, malgré les arguments avancés par le Gouvernement en faveur de l'article 5, la commission spéciale est dubitative quant aux conséquences en matière de simplification qu'engendrerait l'unification du contentieux. La requalification de contrats conclus par des personnes privées, dont l'activité représente plusieurs milliards d'euros au sein de secteurs économiques variés, dans un délai de deux mois à compter de la publication de la présente loi leur est ainsi apparue comme précipitée et non nécessaire.

La commission a notamment déploré l'absence de consultation par le Gouvernement des acteurs concernés par une réforme d'une telle ampleur. En amont de l'examen du projet de loi par la commission, et malgré les délais d'examen particulièrement resserrés auxquels ils ont été soumis, le rapporteur et ses collègues ont entendu les acheteurs et les co-contractants des contrats de la commande publique de droit privé, qui ont exprimé leurs profondes inquiétudes quant aux répercussions très concrètes qu'entraînerait l'adoption d'une telle réforme.

Loin de l'objectif de simplification annoncé, la requalification de l'ensemble des contrats de la commande publique serait pour eux source de davantage de lourdeur administrative et d'allongement des délais de conclusion des contrats et de règlement des contentieux.

Premièrement, l'application des cahiers de clauses administratives générales (CCAG) aux contrats nouvellement administratifs constitue une perte de souplesse dans la négociation contractuelle. Il en résulterait une restriction à la libre capacité des collectivités à recourir à des structures au régime juridique plus agile pour l'exécution de certaines missions - restriction d'ailleurs reconnue par le Gouvernement qui mentionne dans son étude d'impact une « limitation de la marge de manoeuvre des personnes publiques dans le choix du mode d'organisation de leurs activités et des outils contractuels à leur disposition »55(*).

L'octroi de prérogatives exorbitantes du droit commun à des personnes morales de droit privé qui n'en avaient jusqu'alors pas l'usage n'aurait en outre pas de justification avérée, et pourrait représenter une source d'insécurité juridique pour les co-contractants, désormais potentiellement soumis à des prérogatives de modification ou de résiliation unilatérales du contrat des acheteurs.

L'élaboration précipitée du dispositif proposé n'a en outre pas permis de lever les doutes quant à la compatibilité de l'application des CCAG avec certains types de contrats tels que le bail réel solidaire (BRS) « opérateurs » conclus par les sociétés d'économie mixte HLM. Ces derniers craignent dès lors de subir une entrave réelle à la passation de plusieurs de leurs contrats.

L'inadéquation des CCAG avec la réalité des activités contractuelles des personnes de droit privé engendre également de légitimes questionnements dans le domaine de l'énergie ou de l'agriculture, et rendrait nécessaire - pour la plupart des secteurs concernés - la rédaction d'exceptions ou de dérogations dont l'élaboration pourrait prendre plusieurs mois et qui nécessiterait des ajustements pour chaque nouveau registre de contrats. Ainsi, une réforme qui entend simplifier le quotidien des entreprises pourrait, si l'article était adopté, engendrer des mois, voire des années, d'adaptation juridique pour des secteurs dont la croissance est pourtant cruciale.

Deuxièmement, le basculement du contentieux judiciaire vers le contentieux administratif fait naître de profondes incertitudes juridiques pour les acteurs concernés.

Comme le rappelle le Conseil d'État dans son avis, il reviendra à la jurisprudence de définir, pour les contrats nouvellement qualifiés d'administratifs, « les modalités de mise en oeuvre des règles générales de la commande publique qui sont énoncées à l'article L. 6 du code de la commande publique »56(*). Ce délai d'élaboration de la jurisprudence pourrait représenter plusieurs années d'insécurité juridique pour les acheteurs et les co-contractants, s'agissant en particulier des modalités de recours aux pouvoirs de modification et de résiliation unilatérales, ou de la théorie de l'imprévision.

Par ailleurs, les personnes de droit privé devront composer avec la coexistence de ce nouveau régime juridique avec le reste de leurs contrats qui demeureront de droit privé. Selon les acteurs concernés, cette réforme pourrait demander plus de dix ans avant d'être pleinement opérationnelle - soit un horizon bien lointain, voire illusoire, pour la simplification annoncée.

Enfin, les sénateurs ont rappelé les doutes quant à l'argument avancé par le Gouvernement s'agissant de la réduction des délais du jugement, puisque l'ouverture du recours de plein contentieux, dit Tarn et Garonne, à tout tiers susceptible d'être lésé dans ses intérêts par la passation et les clauses d'un contrat administratif, serait inévitablement la source d'une multiplication des contentieux devant le juge administratif, dans des proportions certainement plus importantes que celles que le Gouvernement entend limiter s'agissant du Tribunal des conflits.

Les sénateurs ont ainsi rappelé que la réforme proposée fait peser de trop nombreuses incertitudes sur les contrats de secteurs économiques, qu'il conviendrait plutôt de mieux accompagner, et qu'une mesure d'une telle ampleur ne peut se faire en l'absence de réels travaux de concertation et d'évaluation permettant d'attester de ses effets en matière de simplification.

La commission a supprimé l'article 5.


* 41 Article 53 de la directive 2014/24/UE.

* 42 Article 73 de la directive 2014/25/UE.

* 43 Article 34 de la directive 2014/23/UE.

* 44 Article L. 3122-4 du code de la commande publique.

* 45 Seuil relevé de 25 000 euros à 40 000 euros hors taxe au 1er janvier 2020.

* 46 Article 2 de l'arrêté du 20 mai 2020 portant création d'un traitement dénommé « Plateforme des achats de l'État » (PLACE).

* 47 Autres que les collectivités territoriales, leurs établissements publics et leurs groupements.

* 48 Contribution écrite de la direction des achats de l'État.

* 49 Ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics.

* 50 Ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relatives aux contrats de concession.

* 51 « Autres marchés publics ».

* 52 « Autres contrats de concession ».

* 53 Rapport annuel d'activité du Tribunal des conflits pour l'année 2022.

* 54 Contribution écrite de Me Nil Symchowicz.

* 55 Étude d'impact du projet de loi portant simplification de la vie économique, p. 91.

* 56 Avis n° 408246 sur le projet de loi de simplification du Conseil d'État, p. 5.

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