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Dossier législatif : proposition de loi relative au droit de vote par correspondance des personnes détenues
Article unique

Droit de vote par correspondance des personnes détenues

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires, de la proposition de loi relative au droit de vote par correspondance des personnes détenues, présentée par Mme Laure Darcos et plusieurs de ses collègues (proposition n° 192, texte de la commission n° 434, rapport n° 433)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Laure Darcos, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains. – M. Michel Masset applaudit également.)

Mme Laure Darcos, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi relative au droit de vote par correspondance des personnes détenues.

Je remercie chaleureusement de son soutien le président Claude Malhuret, qui a accepté d’inscrire ce texte à l’ordre du jour de l’espace réservé au groupe Les Indépendants – République et Territoires (INDEP), ainsi que les collègues de mon groupe qui se sont associés à ma démarche, tout particulièrement Louis Vogel, qui m’a accompagnée depuis que j’ai déposé cette proposition de loi. Je suis ravie qu’il en soit le rapporteur.

Les détenus, comme l’ensemble de nos concitoyens, ont la possibilité de participer à la vie démocratique de notre pays, sous réserve qu’ils n’aient pas été privés de leurs droits civiques.

Jusqu’à l’entrée en vigueur du nouveau code pénal, le 1er mars 1994, certains condamnés étaient, de plein droit et sans limitation de durée, déchus de leurs droits civiques.

La privation du droit de vote, qui est désormais prononcée à titre de peine complémentaire, est limitée dans le temps.

La participation des personnes détenues aux élections, bien qu’elle soit possible, s’est toutefois révélée difficile à mettre en œuvre, notamment en raison de difficultés d’inscription sur les listes électorales ou d’établissement des procurations.

Il va de soi que la formule de la permission de sortie est assez théorique, compte tenu des risques intrinsèques qu’elle présente.

De fait, les taux de participation aux différentes élections étaient très faibles jusqu’à une période récente. Ainsi, à l’occasion du premier tour de l’élection présidentielle de 2017, ce taux s’est établi à 2 %.

La loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice a introduit, à titre expérimental, une nouvelle modalité de vote pour l’élection des représentants au Parlement européen du mois de mai 2019 : le vote par correspondance.

Les personnes placées en détention provisoire et les détenus purgeant une peine n’entraînant pas une incapacité électorale ont pu, à leur demande et s’ils étaient inscrits sur une liste électorale, voter par correspondance sous pli fermé, dans des conditions permettant de respecter le caractère secret et personnel du vote, ainsi que la sincérité du scrutin.

La loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique a généralisé cette modalité de vote.

Afin de permettre aux personnes détenues de voter spécifiquement à l’occasion de l’élection présidentielle de 2022, la loi organique du 29 mars 2021 portant diverses mesures relatives à l’élection du Président de la République a modifié la loi du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel.

Malgré le volontarisme politique et les moyens engagés, le taux de participation des détenus – un peu supérieur à 20 % – est resté bien en deçà des attentes du législateur formulées en 2019.

Très concrètement, pour voter par correspondance, les détenus doivent demander à être inscrits sur la liste électorale de la commune chef-lieu du département ou de la collectivité d’implantation de l’établissement pénitentiaire. Ils sont alors affectés à un bureau de vote de la circonscription ou du secteur qui comporte le plus d’électeurs inscrits sur les listes électorales.

Le chef de l’établissement pénitentiaire transmet au maire de la commune concernée la demande d’inscription sur la liste électorale.

La commission de propagande livre les documents de propagande électorale. Le préfet est, quant à lui, chargé de l’acheminement, d’une part, des enveloppes électorales destinées à contenir les bulletins de vote et, d’autre part, des enveloppes d’identification, dans lesquelles les enveloppes électorales sont transmises aux bureaux de vote. L’enveloppe d’identification permet, je le rappelle, d’identifier l’électeur, son lieu de détention et son numéro d’écrou.

Les plis de vote par correspondance sont ensuite remis au président du bureau de vote le jour du scrutin, jusqu’à la fermeture du bureau de vote. Celui-ci, ou tout membre du bureau qu’il désigne, ouvre chaque pli et, après avoir émargé en lieu et place de l’électeur, met aussitôt dans l’urne l’enveloppe contenant le bulletin.

L’organisation des opérations de vote et la procédure suivie sont donc parfaitement réglées et ne souffrent aucune contestation.

Dès lors, me direz-vous, pourquoi légiférer si le vote par correspondance fait l’objet d’un relatif consensus et permet aux personnes condamnées à une peine d’emprisonnement de participer à la vie civique en vue de leur réinsertion ?

C’est justement parce que ces modalités de vote sont très imparfaites que j’ai souhaité faire évoluer le droit positif.

Nous avons auditionné de nombreux élus, notamment Stéphane Beaudet, maire d’Évry-Courcouronnes, président de l’Association des maires de l’Île-de-France (Amif), Kadir Mebarek, maire de Melun, Joaquim Pueyo, maire d’Alençon, et d’autres qui nous ont livré des témoignages très probants.

Ils ont unanimement exprimé le souhait d’une évolution législative, considérant qu’il est difficilement acceptable de faire voter les personnes détenues dans une commune à laquelle elles sont totalement étrangères et dont elles ignorent tout des équipes municipales en place et de leurs projets.

Peut-on réellement envisager qu’un détenu puisse s’intéresser à la rénovation d’une cantine scolaire ou à des travaux dans une maison de retraite de la commune où il est, bien malgré lui, appelé à voter ?

Cette réflexion vaut aussi pour les différentes élections organisées localement, notamment les élections départementales et régionales.

Par ailleurs, le Conseil d’État a reconnu que le choix effectué par le législateur dans le passé a pour conséquence directe de peser sensiblement sur le résultat des élections locales dans les communes où le nombre d’électeurs votant par correspondance représente plus de 5 % des électeurs inscrits.

Si le vote par correspondance est utile pour permettre aux personnes détenues d’exercer leur droit de vote, lequel est absolument légitime, nous ne pouvons pas accepter qu’il soit potentiellement de nature à déterminer le résultat des élections.

Une autre raison, et ce n’est pas la moindre, doit nous inciter à agir : le système actuel porte en effet une atteinte sérieuse à l’égalité des candidats.

Comment justifier qu’un parlementaire – député, sénateur ou membre du Parlement européen –, qui est autorisé par le code de procédure pénale à visiter à tout moment les établissements pénitentiaires, puisse faire campagne dans l’enceinte d’une maison d’arrêt, alors qu’un candidat concurrent qui ne possède pas cette qualité, a fortiori s’il s’agit du maire de la commune chef-lieu du département, voit les portes rester invariablement closes ?

La possibilité d’organiser des réunions à visée électorale reste l’apanage d’un seul, ce qui porte indiscutablement atteinte au principe d’égalité des candidats.

Parce que le rattachement des détenus au chef-lieu du département est purement artificiel et qu’il résulte de simples considérations logistiques, nous devons faire évoluer les modalités du vote par correspondance.

Notre proposition de loi supprime la faculté pour la personne détenue de s’inscrire sur la liste électorale de la commune chef-lieu de département ou de la commune d’implantation de l’établissement pénitentiaire.

Nous proposons, en contrepartie, que le détenu ait la possibilité de s’inscrire sur la liste électorale de la commune où il résidait avant son incarcération, ou sur la liste électorale de la commune de résidence d’un ascendant ou d’un descendant. Il sera par conséquent affecté au bureau de vote correspondant à l’adresse de son domicile personnel ou du domicile d’un des membres de sa famille. Voter dans la commune d’un proche parent semble somme toute assez logique.

La proposition de loi met en œuvre un dispositif lisible et cohérent, qui répond aux préoccupations des élus locaux concernés et préserve les droits des détenus.

Pour autant, la commission des lois a relevé une difficulté logistique importante, dont j’avais conscience dès l’origine, à savoir celle que pose l’acheminement des enveloppes vers les bureaux de vote dans les temps impartis par le processus électoral.

Sans remettre en question le principe du vote par correspondance, elle a décidé de le réserver aux élections à circonscription nationale : les élections au Parlement européen, l’élection présidentielle, ainsi que les référendums.

En ce qui concerne les élections locales et les élections législatives, le choix proposé aux personnes détenues se limiterait au vote par procuration ou au vote dans le bureau dans la commune où ils sont inscrits, sous réserve de l’obtention d’une permission de sortie.

L’équilibre auquel nous sommes parvenus me paraît satisfaisant. J’y souscris pleinement et j’approuve la modification adoptée par la commission des lois.

Notre texte conforte le droit de vote des détenus, dans la mesure où ceux-ci disposeront, en plus des facultés d’inscription offertes par le code électoral, de la possibilité supplémentaire de s’inscrire sur les listes de la commune de résidence de leurs descendants et d’y voter par procuration.

Il réserve le vote par correspondance aux élections présidentielles, à l’occasion desquelles la mobilisation des électeurs est la plus forte, ou aux élections européennes, pour lesquelles les enjeux internationaux sont les plus marqués.

Enfin, il permet de rétablir une réelle égalité entre les candidats aux élections locales. Seuls les électeurs inscrits sur les listes électorales de manière pérenne auront la possibilité de participer à la définition des projets locaux.

Je vous invite, mes chers collègues, à voter ce texte pragmatique et, surtout, de bon sens.

Je ne voudrais pas conclure mon propos sans remercier les élus locaux qui se sont longuement rendus disponibles pour nos auditions. Leurs remarques nous ont été précieuses.

Permettez-moi également de vous remercier, monsieur le ministre, ainsi que tous les représentants du ministère de l’intérieur, de la Chancellerie et de l’administration pénitentiaire, d’avoir bien voulu contribuer à faire évoluer ce texte. Les témoignages et les conseils que nous avons recueillis ont été fort utiles.

Enfin, je salue le travail remarquable réalisé par mon ami Louis Vogel, en sa qualité de rapporteur de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Louis Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Louis Vogel, rapporteur de la commission des lois. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de Laure Darcos a été adoptée, avec quelques modifications, par la commission des lois.

Permettez-moi, tout d’abord, de revenir brièvement sur l’état du droit.

Les personnes détenues qui remplissent les conditions prévues pour l’ensemble des citoyens disposent du droit de vote, sauf s’ils elles ont été déchues de leurs droits civiques par décision de justice. Environ 57 000 détenus ont ainsi le droit de participer aux élections. Jusqu’en 2019, ils pouvaient exercer ce droit de deux manières : en obtenant une autorisation de sortie ou en votant par procuration.

Je vous rappelle que les conditions du vote par correspondance étaient, avant l’épidémie de covid, particulièrement restrictives et, à vrai dire, peu adaptées à la situation des détenus, qui se trouvent souvent isolés sur le plan social. Quant aux autorisations de sortie, elles étaient, et sont toujours, accordées de façon prudente, afin d’éviter les évasions : moins de cent autorisations ont été accordées lors des dernières élections.

Ces facteurs conduisaient, avant 2019, à un faible taux de participation des détenus, de l’ordre de 2 %.

La loi du 27 décembre 2019, relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, visait à faciliter l’exercice par les détenus de leur droit de vote. Si ces derniers peuvent s’inscrire dans leur commune de rattachement initiale, dans les conditions du droit commun, cette loi leur a donné la faculté de s’inscrire, s’ils le souhaitent, dans une commune où ils ont résidé ou dans celle où habitent des membres de leur famille.

A été ajoutée à cette liste la commune d’inscription du conjoint de la personne détenue, de son partenaire de pacte civil de solidarité (Pacs) ou de son concubin.

Surtout, à la suite d’une promesse faite par le Président de la République en 2018, la loi du 27 décembre 2019 a créé un droit de vote par correspondance des personnes détenues.

En vérité, il ne s’agit pas d’un véritable vote par correspondance, contrairement à ce que l’on a dit.

En effet, la contrainte de faire parvenir aux détenus le matériel électoral de leur commune de rattachement, puis de renvoyer leur bulletin de vote sous double enveloppe dans les temps requis, a paru trop difficile à surmonter.

Le choix a donc été fait de créer un bureau de vote « virtuel » au sein des établissements pénitentiaires et de prévoir que les détenus qui votent par correspondance soient inscrits sur les listes électorales de la ville chef-lieu du département.

Le bureau de vote est dit « virtuel », car il ne s’agit pas d’un bureau de vote officiel. Il est toutefois bien réel. Concrètement, une urne est placée au sein de chaque établissement, accompagnée d’un isoloir et de listes d’émargement, sans toutefois que ce bureau de vote ait une existence légale propre.

À la fin des opérations de vote, l’urne est transportée au chef-lieu, dans un bureau de vote où sont regroupées les urnes de tous les établissements pénitentiaires du département.

Cette procédure, qui se traduit pour les détenus par la possibilité de voter sur place, a abouti à une hausse sensible de leur participation : en 2024, les taux de participation aux élections européennes et aux élections législatives étaient respectivement de 22 % et de 19 %.

Toutefois, même s’il faut saluer ces progrès en termes de participation, ce dispositif, dit de « vote par correspondance » des détenus, suscite d’importantes difficultés de fond.

Le Conseil d’État estimait ainsi, dans son avis sur le projet de loi de 2019, que le prétendu vote par correspondance conduisait « à rompre tout lien personnel entre l’électeur et la commune d’inscription, ce qui méconnaît la tradition de notre droit électoral ».

Pour être légitime, il faut que l’objectif de favoriser le droit de vote des détenus n’ait pas d’effet disproportionné du point de vue démocratique, du fait de la suppression de tout lien entre l’électeur et la commune où son vote est décompté.

Or tel n’est pas le cas actuellement.

Dans plusieurs chefs-lieux, le taux de détenus susceptibles d’être inscrits sur les listes électorales est supérieur à 2 % ; il peut même atteindre 11 %.

Ces votes, chacun le comprend, sont de nature à faire basculer le résultat des élections. Une telle situation serait inadmissible lors des prochaines municipales, mais aussi de toutes les élections locales, les taux de participation à ces élections étant parfois très faibles et les résultats très serrés.

J’insiste sur un point : en la matière, ce n’est pas le contenu du vote des détenus qui est déterminant. Ce qui est contraire au principe démocratique, c’est le fait que ce vote puisse déterminer l’issue de certaines élections locales, alors même qu’il ne n’a pas de sens d’un point de vue démocratique : il est, dans la grande majorité des cas, un vote hors sol, au sens propre, car il est dénué de tout lien avec la commune concernée.

M. Alain Marc. Très bien !

M. Louis Vogel, rapporteur. À l’inverse, lorsque le vote des détenus s’exerce lors d’un scrutin pour lequel il existe une circonscription unique à l’échelon national, le vote par correspondance, quand bien même il est décompté dans la ville chef-lieu du département, n’a aucune incidence. C’est le cas des élections européennes, des élections présidentielles et lors des référendums.

Dès à présent, il est donc impératif, face au risque de contestation des résultats de certaines élections municipales que les maires que nous avons auditionnés ont évoqué, de faire évoluer le système du vote par correspondance des détenus.

La proposition de loi prévoyait initialement d’instaurer un véritable vote par correspondance permettant aux détenus de voter dans une commune avec laquelle ils ont un lien. Il s’agissait là d’une solution de bon sens.

Mes auditions ont cependant montré que les difficultés logistiques, liées à l’envoi de la propagande électorale dans les maisons d’arrêt et des bulletins de vote dans les mairies, dont l’existence avait conduit au choix de centraliser les votes par correspondance au chef-lieu, perduraient. Cette difficulté est consubstantielle au vote par correspondance, ce qui explique qu’il ait été abandonné en 1975.

On ne peut que regretter que des contraintes logistiques empêchent de concilier le vote par correspondance et le rattachement territorial des électeurs détenus. La commission des lois a cependant admis la réalité de ces difficultés : en effet, contrairement à ce que disait le général de Gaulle, l’intendance ne suit pas toujours.

Faute de pouvoir trouver une manière de concilier ces deux objectifs, je vous propose donc, en accord avec l’auteure de la proposition de loi, de faire une distinction entre, d’une part, les élections qui se déroulent dans le cadre d’une circonscription locale – les élections locales et les élections législatives, le député étant élu, je le rappelle, dans une circonscription – et, d’autre part, celles qui ont lieu dans le cadre d’une circonscription nationale, telles que les élections au Parlement européen, les élections présidentielles, qui relèvent d’ailleurs d’une loi organique et non pas du code électoral, mais aussi les référendums.

Le vote par correspondance des détenus serait ainsi maintenu dans ses modalités fixées par l’article L. 12-1 du code électoral pour les élections à circonscription nationale unique et les référendums. Pour les élections locales et législatives, les détenus pourraient voter par procuration ou en bénéficiant d’une autorisation de sortie.

En retenant cette solution, il me semble que nous respectons l’objectif de favoriser l’exercice du droit de vote par les détenus. Cela est d’autant plus vrai que les modalités du vote par procuration ont été sensiblement élargies en 2019, puisque la liste des communes dans desquelles il est possible pour les détenus de s’inscrire a été allongée. En outre, la proposition de loi ajoute à cette liste la commune des descendants.

De plus, il est désormais possible pour les détenus, comme pour tout citoyen, d’accorder une procuration à une personne résidant hors de la commune où ils sont inscrits.

Il m’a enfin été indiqué, lors des auditions, que l’administration pénitentiaire était capable de se mobiliser pour inciter les détenus à voter par procuration et ainsi faciliter ce vote.

À la suite d’échanges avec le Gouvernement, je vous soumettrai un amendement technique sur l’article unique. Sous réserve de son adoption, la commission des lois vous propose de voter la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de lintérieur. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, dans un an, tous nos compatriotes seront appelés aux urnes pour renouveler leurs exécutifs locaux.

Les élections municipales constituent toujours un moment fort de notre vie démocratique, un moment où l’on peut mesurer l’attachement qu’éprouvent les Français pour leurs maires et leurs élus locaux.

Je rappelle ainsi que la participation aux élections municipales est généralement assez importante : c’était le cas en 2014, puisque le taux de participation s’élevait à 64 %. Je ne parlerai pas des élections de 2020, chacun sait bien que leur organisation a été perturbée par la crise du covid. Il n’en demeure pas moins que nos compatriotes sont attachés à ces élections et qu’ils se mobilisent pour aller voter à cette occasion.

La proposition de loi de Laure Darcos relative au droit de vote par correspondance des personnes détenues vise justement à corriger un biais structurel auquel seront exposés de nombreux candidats aux prochaines élections municipales.

Comme le rapporteur l’a rappelé, 57 000 détenus disposent actuellement de leurs droits civiques. Ils pourront d’ailleurs les faire valoir dans un an. Si la participation à une élection constitue pour eux un temps fort dans leur processus de réinsertion, il ne faut pas pour autant que cela déstabilise l’expression démocratique. Or, dans un grand nombre de communes, ce risque existe désormais.

Pour faciliter la participation des détenus aux scrutins électoraux, la loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique avait instauré une nouvelle modalité de vote : elle a permis aux détenus de s’inscrire sur les listes électorales du chef-lieu du département d’implantation de l’établissement pénitentiaire et de voter par correspondance au sein d’un bureau de vote, dit dérogatoire, rattaché à cette collectivité, et ce sans avoir à démontrer un quelconque lien avec ce territoire.

Cette dérogation au principe de droit commun menace dorénavant « d’avoir un impact quantitatif significatif sur le corps électoral des communes concernées ». Ces mots sont non pas de moi, mais du Conseil d’État. Dans un avis consultatif, il avait alerté sur les risques de déstabilisation du corps électoral que pouvait comporter l’ajout d’un nombre non négligeable de nouveaux électeurs.

Le Conseil d’État n’avait alors pas été écouté et ce risque n’avait pas été pris en considération. Je le regrette, car, à un an des prochaines échéances électorales, celui-ci est dorénavant avéré.

Selon la taille des établissements pénitentiaires, et en fonction de la situation politique locale, la mise en œuvre de la modalité de vote ouverte par la loi de 2019 pourra avoir des conséquences concrètes qu’aucun démocrate ne peut accepter.

Je ne prendrai qu’un seul exemple, parmi d’autres : à Lille, l’élection municipale de 2020 s’est ainsi jouée à 227 voix près. Six ans plus tard, 400 détenus pourraient potentiellement participer à l’élection. Qui peut accepter que l’avenir politique de la capitale des Flandres, de la dixième plus grande ville française, puisse être influencé par des électeurs qui n’ont, pour l’immense majorité d’entre eux, aucune attache avec elle ? La situation est la même dans d’autres communes.

À l’heure où nous devons réparer le lien de confiance entre les Français et leurs élus, en revendiquant l’enracinement et la proximité, il est nécessaire de revenir sur cette anomalie démocratique.

C’est justement l’objet de la proposition de loi présentée par Laure Darcos, qui vise à supprimer la possibilité, pour les personnes détenues, de s’inscrire sur les listes électorales du chef-lieu du département ou de la commune d’implantation de l’établissement pénitentiaire.

Pour concilier l’objectif d’expression des droits civiques des détenus avec l’exigence d’équité démocratique, la proposition de loi tend à limiter la possibilité d’inscription sur les listes électorales des détenus à leur commune de domiciliation avant leur incarcération ou à la commune de résidence d’un de leurs ascendants, comme cela est possible en vertu des dispositions de la loi de 2019. Elle leur permet également de s’inscrire sur les listes de la commune de résidence d’un descendant.

Le Gouvernement soutient cette proposition de loi. Il accueille également favorablement, pour ne pas dire très favorablement, les travaux de la commission des lois du Sénat et de son rapporteur, qui, eu égard aux défis logistiques et opérationnels qu’une telle solution comporterait, ont choisi de réserver la possibilité de vote par correspondance au sein d’un bureau de vote dérogatoire rattaché à la commune chef-lieu aux seuls scrutins se déroulant dans le cadre d’une circonscription nationale ou aux référendums, pour lesquels les risques de déstabilisation du corps électoral sont nuls.

Pour les autres scrutins demeurerait la possibilité de voter dans le cadre d’une permission de sortie ou par procuration. L’exercice de cette dernière modalité a été, je le rappelle, facilité depuis 2019, puisqu’il est désormais possible de donner procuration à une personne ne résidant pas dans la commune dans laquelle on est inscrit.

Parce que ce système permet de concilier la préservation de la sincérité du scrutin, laquelle est fondamentale, et l’exercice par les détenus de leur droit de vote, le Gouvernement est favorable à l’adoption de la proposition de loi, telle qu’elle résulte des travaux de la commission des lois de votre assemblée. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. – M. Olivier Bitz applaudit également.)

Mme Nadège Havet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons ce matin, qui a été déposé par notre collègue de l’Essonne Laure Darcos et plusieurs membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires, vise à modifier les modalités de vote par correspondance des personnes détenues.

Rappelons tout d’abord que ce droit de vote, spécifique, a été reconnu il y a cinquante ans, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. À cette époque, le Président de la République déclarait que la prison, c’est bien entendu « la privation de la liberté d’aller et venir », mais « rien d’autre ». En serrant la main d’un détenu, en 1974, lors de la visite d’un établissement, il a suscité une polémique. Il s’agissait pourtant avant tout d’un geste humain, préfigurant cette reconnaissance civique.

De la même manière, les personnes incarcérées ont par la suite obtenu des garanties – elles étaient nécessaires – en ce qui concerne le droit à mener une vie familiale, le droit à la santé ou encore la liberté de culte.

En conséquence, tous les détenus n’ayant pas été condamnés définitivement à la perte de leurs droits civiques doivent pouvoir aujourd’hui exercer leur droit de vote, soit par correspondance, soit par procuration, voire, dans certains cas, en se rendant dans un bureau de vote.

Pour qu’un tel déplacement, évidemment très encadré, soit possible, le détenu doit demander au juge de l’application des peines une permission de sortir d’une journée. En cas de refus, il doit, pour voter par procuration, demander au greffe de la prison la délivrance d’un extrait du registre d’écrou pour justifier son impossibilité de se rendre dans un bureau de vote, cette démarche devant être certifiée par un officier de police. Il lui faut ensuite trouver un mandataire de confiance.

Dans les faits, compte tenu de ces nombreux obstacles, l’engagement électoral des détenus est longtemps resté très faible.

Par conséquent, la question du vote par correspondance s’est posée, cette modalité de vote ayant été introduite dans la loi en 2019, par voie d’amendement, ici même, au Sénat. Lors des élections européennes de 2019, le taux de participation des détenus a connu une hausse sensible, près de 4 500 d’entre eux ayant pu voter pour la première fois.

L’article unique du texte qui nous est soumis ce matin vise cependant à modifier ce dispositif.

Aujourd’hui, aux termes de l’article L. 12-1 du code électoral, la faculté même de voter est subordonnée à l’inscription préalable sur une liste électorale. Le III prévoit ainsi que « dans l’hypothèse où [ les détenus ] souhaitent voter par correspondance selon les dispositions de l’article L. 79 », ils sont inscrits « dans la commune chef-lieu du département ou de la collectivité d’implantation de l’établissement pénitentiaire, dans un bureau de vote correspondant à la circonscription ou au secteur qui comporte le plus d’électeurs inscrits sur les listes électorales ».

Alors que la proposition de loi initiale visait à supprimer cette faculté, le texte tel qu’il a été modifié par la commission des lois prévoit désormais de réserver cette modalité de vote aux scrutins pour lesquels il existe une circonscription unique à l’échelon national, soit l’élection présidentielle, les élections européennes et les référendums.

La commission a initialement justifié cette évolution par la nécessité d’établir un lien de proximité effectif avec la commune de rattachement du détenu ou de sa famille, lien auquel nous sommes aussi attachés. La modification apportée permet également de répondre à un problème logistique évident, qu’avait rappelé le Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, dite loi Engagement et proximité.

La simplification qui nous est ici proposée est la bienvenue. Le groupe RDPI votera donc cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)