Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Michel Masset. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi s’appuie sur un constat encourageant : la citoyenneté et l’esprit républicain progressent au sein de nos prisons. L’exercice de leur droit de vote par les personnes détenues contribue à leur conserver une place dans la société et constitue un réel vecteur d’insertion.

En 2019, le législateur a souhaité expérimenter à l’occasion des élections européennes une nouvelle modalité de vote pour les personnes détenues et instauré le vote par correspondance, projet ambitieux tant pour les détenus que pour les personnels de l’administration pénitentiaire. Ce fut une réussite, comme l’ont montré les taux de participation.

La hausse de la participation est largement attribuable au vote par correspondance, modalité de vote choisie par 90 % des détenus. Il est donc impératif de maintenir ce vote, quitte à en repenser les modalités pour les adapter davantage aux réalités du terrain.

Cela étant, nous entendons les critiques qui sont formulées. Les difficultés que pose le vote par correspondance avaient d’ailleurs été identifiées dès l’origine. Ce qui pose problème, c’est non pas le vote par correspondance en lui-même, mais les modalités concrètes de sa mise en œuvre, plus précisément l’inscription sur les listes électorales.

Le choix a été fait d’inscrire les électeurs sur les listes électorales de la commune chef-lieu du département, ce qui a pour effet de rompre tout lien personnel entre l’électeur et la commune d’inscription. Par ailleurs, le nombre théorique d’inscrits est susceptible d’avoir un effet quantitatif significatif sur le corps électoral des communes concernées, en particulier lors des scrutins municipaux. On ne peut que s’étonner que de tels problèmes n’aient pas été pris en compte alors qu’ils ont été identifiés très tôt.

Aussi, je salue l’initiative de notre collègue Laure Darcos qui, après quelques années de mise en œuvre du dispositif, nous invite à le réajuster.

Il a initialement été proposé d’inscrire les détenus non plus sur les listes électorales de la commune chef-lieu de département ou de la commune d’implantation de l’établissement pénitentiaire, mais sur celles de la commune où ils avaient élu domicile avant leur incarcération ou sur les listes de la commune de résidence d’un ascendant ou d’un descendant.

Un tel dispositif pose d’évidentes difficultés logistiques pour l’administration pénitentiaire, lesquelles ont d’ailleurs conduit le législateur de 2019 à ne pas retenir une telle solution.

Aussi, notre rapporteur a proposé que le vote par correspondance des détenus ne soit finalement maintenu dans ses modalités actuelles que pour les élections à circonscription nationale unique et les référendums.

Nous comprenons très bien ce choix et notre groupe votera ce texte. Nous craignons toutefois que ce renoncement ne soit regrettable. Aussi serons-nous attentifs aux échanges qui vont suivre.

Les élections municipales auront bientôt lieu. Si ce texte entre en vigueur, les détenus devront voter par procuration. Il nous faudra alors nous assurer que ces nouvelles modalités de vote n’entraînent pas une diminution de leur taux de participation ²aux élections locales.

Pour conclure, comme je l’ai dit en introduction, l’exercice du droit de vote par les personnes détenues contribue à préserver leur lien avec la société, ce qui est essentiel pour leur réinsertion. Nous devons donc tout faire pour le préserver. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Bitz. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et INDEP.)

M. Olivier Bitz. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le temps de détention constitue d’abord une sanction pour la personne condamnée. Il permet également à la société d’être protégée contre les agissements de cette dernière durant une période limitée. Cette période est destinée à permettre au détenu de s’amender afin d’éviter la récidive. Durant ce temps, tout doit être mis en œuvre pour lui permettre de préparer sa réinsertion et de prendre conscience de ses droits et devoirs au sein de la société.

Dans cette perspective, l’exercice effectif de sa citoyenneté par une personne détenue, dès lors qu’elle n’a pas été déchue de ses droits civiques, est fondamental. La participation électorale des 57 000 détenus pouvant exercer leur droit de vote, sur un total de près de 80 000 détenus, doit par conséquent être encouragée.

Lors du discours qu’il a prononcé le 6 mars 2018 devant l’École nationale d’administration pénitentiaire, le Président de la République s’est engagé à accroître la participation des personnes détenues aux élections. Si nous sommes unanimement d’accord sur le principe, il nous faut à présent traiter les modalités de cette participation.

Des évolutions notables ont été introduites après de riches débats parlementaires lors de l’examen de la loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, promulguée le 27 décembre 2019. Ainsi la loi a-t-elle prévu le vote par correspondance pour les personnes détenues, après inscription sur la liste électorale de la commune chef-lieu de département ou de la commune d’implantation de l’établissement pénitentiaire.

Cette nouvelle possibilité d’expression s’est ajoutée aux traditionnelles permissions de sortir et au vote par procuration, qui existaient déjà.

L’inscription des personnes détenues sur les listes électorales du chef-lieu du département prévu par la loi de 2019 ne pose évidemment aucune difficulté lors des élections nationales. Elle n’a en revanche aucun sens pour les élections locales, comme l’avait d’ailleurs souligné le Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi de 2019.

Ainsi, dans l’Orne, département comprenant deux établissements pénitentiaires, l’un à Argentan, l’autre à Condé-sur-Sarthe, ce sont près de 130 bulletins de vote de détenus qui sont comptabilisés à Alençon. Ce nombre pourrait atteindre 300 si tous les détenus s’inscrivaient sur les listes électorales. Il est évident que ces voix peuvent faire basculer l’élection municipale, surtout dans un contexte de faible participation.

Si cela devait se produire, comment les habitants d’Alençon pourraient-ils comprendre que les décisions ayant un impact sur leur vie quotidienne puissent être prises par un conseil municipal issu d’élections auxquelles ont participé des personnes n’ayant jamais mis les pieds dans leur ville ?

Pour l’anecdote, Alençon est en outre actuellement dirigé par un ancien directeur de prison. Vous voyez le tableau… Moi-même, en tant qu’ancien directeur des services pénitentiaires, je n’aurais pas été assuré de faire un tabac auprès des détenus dont j’avais la responsabilité.

Le cas ornais n’est ni isolé ni le plus important. L’impact sur le scrutin local est encore plus fort à Bar-le-Duc, à Arras, à Melun, à Évry-Courcouronnes ou à Basse-Terre : ce problème est national, les détenus pouvant parfois représenter jusqu’à 11 % du corps électoral d’une commune.

Le dispositif actuel a permis d’accroître la participation des personnes détenues aux élections et l’administration pénitentiaire, dont je salue le professionnalisme, a su relever le défi technique qu’il posait. Néanmoins, force est de constater que les modalités de vote qui sont actuellement prévues dans la loi sont totalement inadaptées pour les élections se déroulant dans le cadre d’une circonscription.

Dans la perspective des élections municipales de 2026, nous devons tirer les conclusions du bilan d’étape qui peut aujourd’hui être réalisé.

Pour les scrutins se déroulant dans une circonscription nationale unique, je le répète, les dispositions actuelles ne posent pas de difficulté, le dispositif fonctionne. Nous devons le pérenniser et encourager davantage encore la participation des personnes détenues à ces scrutins.

Pour les scrutins locaux, nous ne souhaitons évidemment pas supprimer la possibilité pour les personnes détenues de s’exprimer dans les urnes. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui prévoit bien que les votes par procuration ou grâce à une permission de sortir demeurent possibles. Toutefois, nous estimons que des correctifs doivent être introduits et nous soutenons les dispositions du texte relatives au vote par correspondance lors des élections se déroulant dans le cadre d’une circonscription territoriale.

La proposition de loi, telle qu’elle a été amendée par le rapporteur de la commission des lois, dont je tiens à saluer le travail et l’engagement, forge de nouveaux équilibres. Les sénateurs du groupe Union Centriste les soutiendront sans réserve.

Pour conclure, je tiens à souligner que le civisme des détenus ne soit pas se limiter à l’exercice du droit de vote. Il est au moins aussi important que les détenus s’impliquent dans l’exécution de leur peine, qu’ils s’engagent afin de rendre leur détention plus active et qu’ils soient sensibilisés à la place que chaque individu doit occuper dans la société. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP. – M. Antoine Lefèvre applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Ian Brossat.

M. Ian Brossat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui appelés à nous prononcer sur une proposition de loi qui porte sur une question essentielle : le droit de vote des personnes détenues. En démocratie, il s’agit non pas d’un privilège, mais d’un droit fondamental.

Or les personnes détenues ont de fait longtemps été privées de la possibilité d’exercer pleinement ce droit. Avant 2019, elles ne pouvaient voter que par procuration ou en obtenant une permission de sortir, ce qui, dans les faits, les excluait largement du processus électoral.

La loi de 2019 a marqué un progrès en permettant aux personnes détenues de voter par correspondance, tout en simplifiant leur inscription sur les listes électorales. Les résultats ont d’ailleurs été immédiats, puisque la participation électorale en prison a connu une augmentation significative : de 2 % lors de l’élection présidentielle de 2017, elle est passée à 22 % en 2022.

Cette évolution est encourageante. Pourtant, des obstacles demeurent et des incohérences subsistent. Aujourd’hui, les détenus sont automatiquement rattachés au chef-lieu du département où est située leur prison. Or ce critère purement administratif ne tient aucun compte ni de leur parcours de vie, ni de leur ancrage territorial, ni de leur lien avec leur commune d’origine.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui prévoit selon nous des ajustements bienvenus. Elle supprime la faculté d’inscription sur les listes électorales de la commune d’implantation de l’établissement pénitentiaire et privilégie l’inscription dans la commune où le détenu était domicilié avant son incarcération, ou, à défaut, dans celle où réside un ascendant ou un descendant.

Ce choix nous paraît cohérent. Il permet de réancrer l’exercice du droit de vote dans la vie réelle des détenus, en lien avec leur histoire et leur environnement social.

Parce que la privation de liberté ne doit pas être une privation de citoyenneté, le droit de vote ne peut être suspendu par commodité administrative. Ni l’État ni l’administration pénitentiaire n’ont à limiter ce droit sous prétexte de complexité logistique.

La participation des détenus à la vie démocratique doit être perçue non pas comme une faveur, mais bien comme un droit.

Nous le savons, maintenir le lien avec la société est un élément clé de la réinsertion. Permettre aux détenus de voter, c’est les reconnaître comme des citoyens à part entière ; c’est leur donner une voix, les responsabiliser, les faire participer aux choix qui engagent l’avenir du pays.

Nous devons en finir avec l’idée selon laquelle l’incarcération suspend l’exercice de la citoyenneté, sauf dans des cas particuliers. En France, la peine privative de liberté ne doit pas être une peine privative de droits. C’est une question de justice, de dignité et d’efficacité.

Nous considérons donc que ce texte va dans la bonne direction. Il constitue une avancée attendue et nécessaire, même si nous aurions pu aller encore plus loin.

D’autres pays européens, comme le Danemark ou la Pologne, ont fait le choix d’installer des bureaux de vote dans les établissements pénitentiaires. Cette solution garantit un accès facilité et sécurisé au scrutin, tout en renforçant l’exercice effectif du droit de vote. Une réflexion sur ce sujet mériterait d’être menée en France.

Pour autant, en l’état, cette proposition de loi constitue un progrès. Elle permet de rendre notre démocratie plus juste et plus cohérente. C’est pourquoi nous la voterons. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. « Le droit de vote doit pouvoir être exercé plus simplement. Je vous le dis très sincèrement, on a essayé de m’expliquer pourquoi des détenus ne pouvaient pas voter, je n’ai pas compris. Il semblerait que ce soit le seul endroit de la République où l’on ne sache pas organiser ni le vote par correspondance ni l’organisation d’un bureau. » Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ainsi s’exprimait le Président de la République, Emmanuel Macron, le 6 mars 2018, devant l’École nationale d’administration pénitentiaire.

Bien que l’expérimentation du vote par correspondance des détenus lors des élections européennes de 2019 ait été un succès, elle n’aura pas suffi à créer un élan suffisant pour permettre aux détenus d’exercer pleinement leurs droits civiques.

Lors des élections municipales de 2020, perturbées par d’autres événements, les détenus ont pu voter selon deux modalités : soit par procuration, soit en se rendant dans un bureau de vote après avoir bénéficié d’une autorisation de sortir. Or ces modalités de vote, qui existent depuis 1994, sont très difficiles à mettre en œuvre et n’ont jamais permis une forte participation aux élections.

Dès 2021, j’avais déposé des amendements visant à mieux informer les détenus sur leurs droits et à préciser les modalités d’exercice du droit de vote par correspondance, comme le prévoyait initialement votre texte, madame Darcos.

La prison, je le répète souvent ici, est aussi un lieu de réinsertion. Or priver matériellement les détenus de pouvoir exercer leurs droits civiques lorsqu’ils n’en ont pas été privés est un non-sens. Comment réintégrer une société qui ne permet pas votre participation pleine et entière à la démocratie ?

J’avais présenté notre position au cours des travaux de la mission d’information relative au vote électronique et lors de l’examen des textes modifiant le vote par procuration : selon nous, le vote par correspondance est le seul à pouvoir garantir la sincérité du vote.

Je suis toujours étonné qu’on accepte de reculer sur l’exercice des droits et des libertés dans notre pays en avançant des raisons logistiques ou en prétextant une organisation complexe.

Les problèmes logistiques avancés par l’administration et le manque de volonté d’y remédier, ou plutôt de moyens suffisants, ne peuvent servir de justification, que ce soit pour empêcher le recours au vote par correspondance ou pour permettre à un juge d’auditionner les détenus en visioconférence afin d’éviter les transfèrements qualifiés parfois d’inutiles.

La commission a choisi cette explication et je le regrette.

Les rapporteurs ont pourtant montré dans leur rapport que la plus forte participation des personnes détenues aux dernières élections européennes et législatives est attribuable au vote par correspondance, dans un contexte ou le taux de participation aux élections est par ailleurs en baisse.

L’Observatoire international des prisons (OIP) rappelle qu’en 2017, un peu plus de 300 permissions de sortir avaient été accordées à des détenus pour voter lors de l’élection présidentielle. Aussi, nous vous inviterons à réfléchir à la possibilité de délivrer davantage d’autorisations de sortir afin de permettre aux détenus d’exercer ce moment de citoyenneté.

Toutefois, les personnes placées en détention préventive, qui représentent 30 % des détenus, ne pourraient pas bénéficier de cette possibilité. Le recours démesuré à cette mesure d’exception sert là aussi à pallier les manques de moyens de la justice…

Nous en sommes bien conscients, le problème du vote en prison, c’est la prison ! La surpopulation carcérale atteint des niveaux sans précédent dans notre pays, où le taux d’occupation s’établit à 157 %. À Marseille, ce taux dans les quartiers pour hommes de la prison des Baumettes est supérieur à 200 %.

Nous regrettons la tournure qu’a prise le texte après les modifications qui lui ont été apportées en commission. Nous ne pourrons pas voter un texte sur le vote par correspondance qui ne permet pas… le vote par correspondance !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque l’on intervient en sixième position dans la discussion générale sur un texte comprenant peu d’articles, l’essentiel a déjà été dit à plusieurs reprises. En l’occurrence, ce n’est pas ici inutile, les dispositions du texte qui nous est soumis étant assez complexes et ayant connu certaines évolutions. Pour ma part, je ne reviendrai donc pas sur les modalités de vote des détenus à travers les âges…

Je vous parlerai davantage, comme Guy Benarroche l’a fait à l’instant et à raison, des droits que doivent avoir les détenus, si l’on considère qu’ils sont des citoyens à part entière. Ils n’ont pas toujours été considérés comme tels : il fut un temps où les personnes condamnées étaient privées du droit de vote. Aujourd’hui, on peut juste être privé du droit d’être élu. Si nous considérons qu’un prisonnier doit pouvoir exercer ses droits, la question du droit de vote en prison se pose. À cet égard, j’ai entendu des choses pas toujours exactes.

Il est légitime que le détenu soit inscrit dans un bureau de vote de la commune de son établissement pénitentiaire, tout simplement parce que ce dernier est son domicile. Il n’y a pas là de distorsion du droit.

En revanche, il est vrai que nous faisons face à un problème insoluble, sur lequel le rapporteur s’est penché et auquel il a tenté d’apporter une réponse. Malgré ses efforts, elle n’est toutefois pas satisfaisante.

En résumé, comment permettre à un détenu d’être pleinement citoyen, et donc de voter – dans une période où on ne peut pas dire que ce soit l’urgence première de tout citoyen français –, sans que son vote influe sur le résultat du scrutin dans une commune où il n’a pas d’attaches et avec laquelle il souhaite peut-être même ne pas en avoir, même si elle est juridiquement considérée comme le lieu de son domicile ? Ces contraintes semblent inconciliables.

En 2019, le législateur pensait avoir trouvé une solution, mais celle-ci s’est révélée peu satisfaisante, sachant que les difficultés matérielles et logistiques de l’administration pénitentiaire sont bien établies. Elles ont d’ailleurs été rappelées voilà quelques années dans un excellent rapport de Mathieu Darnaud au nom de la commission des lois.

Nous avons aujourd’hui un triple système : procuration, permission de sortir, vote par correspondance. Il est exact que le fait d’inscrire systématiquement le détenu dans la commune siège de l’établissement pénitentiaire n’est pas satisfaisant. Je ne suis pas sûre que l’exemple de Lille soit celui qu’il fallait prendre, mais je reconnais là l’esprit taquin de M. le ministre, que nous connaissons bien. (M. le ministre sourit.)

J’ai compris qu’un certain nombre de nos collègues étaient préoccupés par le fait que de nombreux détenus pouvaient voter dans une commune avec laquelle ils n’avaient aucun lien. Sur le papier, ils ont raison ; dans les faits, je n’en suis pas totalement sûre, mais je n’ouvrirai pas ce débat.

Monsieur le rapporteur, vous avez proposé une solution que je qualifierai d’hybride. Vous placez d’un côté les élections à circonscription unique, lors desquelles le vote dans la commune siège ne pose pas de difficulté. Il s’agit de l’élection présidentielle, qui intéresse le plus les Français, donc les détenus, et des élections européennes, sur lesquelles je ne connais pas les taux de participation des détenus. Vous placez de l’autre les élections locales. Ce système hybride, proche de ce que proposait l’auteure du texte, n’est pas totalement satisfaisant.

Pour notre part, nous inspirant de l’exemple norvégien, nous avons déposé un amendement visant à prévoir l’installation d’urnes dans les établissements pénitentiaires afin que les détenus puissent réellement voter. Il ne s’agirait pas d’urnes virtuelles, nous en avons discuté en commission. Peut-être en arriverons-nous un jour au vote électronique, ce qui permettra des progrès à cet égard.

Vous l’avez compris, cette proposition de loi ne suscite pas d’enthousiasme de notre part. Nous déciderons de notre votre en fonction du sort qui sera réservé à l’amendement que nous avons déposé. S’il n’était pas adopté, nous nous abstiendrions sur ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Alain Marc. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat est très attentif au fonctionnement de notre démocratie, singulièrement lorsqu’il est question de démocratie locale. Le texte porté par notre collègue Laure Darcos, dont le rapporteur n’est autre que notre collègue Louis Vogel, vise à trouver un point d’équilibre entre, d’une part, l’accroissement de la participation des détenus aux élections, et, d’autre part, la juste représentation de nos territoires.

La participation aux élections est un enjeu central. C’est l’un des principaux indicateurs de la vitalité de notre démocratie.

La loi Engagement et proximité, adoptée en 2019, comportait plusieurs dispositions destinées à accroître la participation de la population carcérale aux élections. Dès lors que les détenus ne sont pas privés de leurs droits civiques, ils doivent pouvoir voter.

Avant cela, ils étaient trop peu nombreux à le faire : le taux de participation des détenus aux élections était de l’ordre de 2 %. La loi Engagement et proximité a permis de changer cet état de fait par différentes mesures. La participation s’est alors améliorée, grâce notamment à l’élargissement du vote par procuration, mais aussi à la possibilité pour les détenus de voter par correspondance au sein de leur établissement.

Cette dernière solution, certes commode, entraîne cependant la centralisation des voix des détenus au sein de la commune chef-lieu du département. Pour beaucoup de scrutins, cela n’est pas réellement problématique. Dès lors que la circonscription est nationale, le nombre de voix ne change rien. C’est le cas des élections européennes, de l’élection présidentielle ou encore des référendums.

En revanche, la situation est tout autre lorsque la circonscription du vote est locale. La participation n’est pas moins importante, mais il est essentiel que les voix des électeurs d’une circonscription ne soient pas artificiellement diluées.

C’est pourtant le cas actuellement, en raison du mode de décompte des suffrages des détenus. Agréger ces voix au niveau du chef-lieu peut avoir un impact sur le résultat du vote dans la circonscription concernée, alors que, le plus souvent, l’établissement carcéral n’est même pas situé sur le territoire de ce chef-lieu.

Les habitants doivent alors composer avec des électeurs qui ne fréquentent ni leur commune ni leur territoire. Cela peut paraître anecdotique, mais les détenus représentent souvent plus de 2 % des inscrits, parfois plus de 5 %, plus rarement 11 % d’entre eux.

Le texte que nous examinons propose de rééquilibrer la situation en faveur de la représentation de nos territoires, conformément à la vocation du Sénat.

En commission, le rapporteur Louis Vogel a effectué une distinction essentielle entre les scrutins, selon que leur circonscription est, ou non, nationale.

La proposition de loi de Laure Darcos prévoyait initialement un rattachement local du vote par correspondance, mais les contraintes logistiques ont conduit à écarter cette solution. Les contingences matérielles ne permettraient pas de respecter les délais si l’ensemble des bulletins des détenus de l’établissement n’étaient pas regroupés au sein d’un seul bureau de vote. Cette modalité de vote reste néanmoins ouverte pour les élections dont la circonscription est nationale.

En revanche, lorsque la circonscription est locale, seuls doivent être possibles les votes par procuration ou dans un bureau de vote après la délivrance d’une autorisation de sortir. C’est en effet le seul moyen d’éviter que le résultat des scrutins ne soit déséquilibré par l’agrégation artificielle des suffrages des détenus.

Le vote par procuration constitue une option solide. Élargi par la loi Engagement et proximité, son périmètre est encore accru par la présente proposition de loi. Il est désormais très facile pour les détenus de trouver un mandataire.

Ce texte est nécessaire pour garantir la représentativité des scrutins, tout en encourageant la participation des personnes incarcérées. Notre groupe votera cette proposition de loi à l’unanimité. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Lefèvre.

M. Antoine Lefèvre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « la continuité sociale entre l’intérieur et l’extérieur de la prison » est impérative si l’on veut minimiser les risques de fracture à la sortie, est-il indiqué dans un rapport de 2010 relatif au droit d’expression des détenus. Cette observation rappelle l’importance pour les personnes placées sous écrou de rester en contact avec le monde extérieur.

Loin d’être un individu mis au ban de la société, les prisonniers sont aujourd’hui en mesure de se tenir informés de la vie publique. Le « détenu citoyen », selon une expression de Jean Favard, magistrat à la Cour de cassation, est capable de participer activement à la vie de la Nation.

Ainsi, la citoyenneté ne s’arrête pas aux portes de la prison. Bien au contraire, la peine carcérale est un moyen de réapprendre les exigences de la vie civique, les droits et devoirs qui découlent de la vie en collectivité.

Au 1er décembre 2024, sur 81 000 détenus, 57 000 demeuraient en capacité de voter.

Depuis l’entrée en vigueur du nouveau code pénal en 1994, les détenus ne sont plus automatiquement déchus de leurs droits civiques. Gravement privative de liberté, la déchéance des droits n’est utilisée qu’à titre résiduel par le juge. Elle représentait en 2019 seulement 0,7 % des peines en cours d’exécution.

Par ailleurs, le droit de vote des détenus est protégé de façon croissante par le droit international. Dans son arrêt Hirst contre Royaume-Uni du 6 octobre 2005, la Cour européenne des droits de l’homme a rappelé que l’interdiction générale et automatique du droit de vote constitue une atteinte grave aux droits politiques, incompatible avec les principes fondamentaux de la démocratie.

Pour autant, si ce droit fait l’objet de solides garanties, il a longtemps été peu utilisé.

Jusqu’à récemment, la proportion des détenus se rendant aux urnes était faible. Ils n’étaient que 2 % à avoir voté à l’élection présidentielle de 2017, et moins de 1 % aux législatives de la même année.

Les détenus électeurs disposaient alors de deux moyens pour exprimer leur vote : soit par procuration, soit en obtenant une permission de sortir accordée par le juge de l’application des peines. Toutes deux admettaient des limites.

D’une part, la procuration ne garantit pas toujours la confidentialité ni le respect par le mandataire de l’intention de vote du détenu. D’autre part, la permission de sortir est rarement accordée par le juge, qui doit prendre sa décision en se fondant sur le risque de non-réintégration du détenu une fois la permission expirée.

Par ailleurs, les détenus placés en détention provisoire ou en période de sûreté, ainsi que ceux qui purgent une longue peine, ne peuvent se voir accorder de permission.

Au cours d’une visite à l’École nationale d’administration pénitentiaire d’Agen, le 6 mars 2018, le Président de la République avait promis de simplifier l’exercice du droit de vote en détention.

C’est ainsi que la loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice a introduit dans notre droit le vote des détenus par correspondance sous pli fermé.

Expérimenté à l’occasion des élections européennes de mai 2019, le vote par correspondance s’est traduit par une hausse de la participation des détenus, menant à la pérennisation du dispositif dans la loi Engagement et proximité. Depuis l’entrée en vigueur de celle-ci, les détenus sont donc libres de voter par correspondance.

Ils doivent pour cela être inscrits comme électeur dans la commune chef-lieu du département ou dans la commune d’implantation de l’établissement pénitentiaire ; on choisit entre elles celle qui comporte le plus d’électeurs inscrits.

Le succès de ce dispositif ne s’est pas démenti. Alors que la participation moyenne des détenus était auparavant d’environ 2 %, ce taux a bondi jusqu’à 20 % lors de l’élection présidentielle de 2022 et 19 % lors des élections législatives de 2024.

Force est donc d’admettre que les détenus sont de plus en plus nombreux à manifester leur intérêt pour les élections. Loin d’abandonner leur statut civique, ils sont un nombre croissant à vouloir faire pleinement usage de leur pouvoir démocratique.

Notre mission de législateur est d’accompagner cette évolution. Tel est l’objet de la proposition de loi de notre collègue Laure Darcos que nous examinons aujourd’hui.

Ce texte remédie à certaines carences de la loi Engagement et proximité concernant le vote par correspondance des détenus. Dans son avis sur ce texte, le Conseil d’État avait relevé en 2019 deux principaux écueils.

En premier lieu, le vote dans le chef-lieu de département ou dans la commune d’implantation du lieu de détention supprime le lien censé lier l’électeur à sa commune de rattachement. Ce lien est non seulement l’expression de l’appartenance territoriale de l’électeur, mais aussi le fondement de la légitimité de l’élu, dépositaire du mandat qui lui a été confié.

Proposer de rétablir le vote des détenus dans leur dernière commune de résidence avant leur incarcération procède d’une intention louable. Cela revient à leur donner voix au chapitre dans la gouvernance de leur commune. C’est aussi une façon de les responsabiliser et de leur permettre de s’engager sur la voie de la réhabilitation. C’est tout le sens de la peine carcérale.

Toutefois, le Conseil d’État avait aussi identifié un risque de déséquilibre du corps électoral, susceptible de biaiser le résultat du scrutin.

Dans les chefs-lieux de département ou les communes d’implantation de lieux de détention, une forte participation des détenus pourrait mener à un résultat électoral différent, voire éloigné de la tendance politique majoritaire localement.

Ainsi, dans le cas d’une forte participation des détenus, un candidat ne devançant que de peu le candidat arrivé en deuxième position pourrait se voir reprocher son score parmi les détenus, ce qui favoriserait la contestation de la sincérité du scrutin.

Le rapporteur de cette proposition de loi, Louis Vogel, s’est montré attentif à ce risque. Comme il l’a relevé, la concentration des détenus peut faire qu’ils représentent jusqu’à 11 % du corps électoral de la commune concernée.

Afin d’éviter une trop forte distorsion des résultats, la loi Engagement et proximité avait créé l’obligation, pour les chefs-lieux concernés, de créer un bureau de vote supplémentaire spécialement affecté à la centralisation des votes des détenus du département.

J’ai moi-même assuré, lors des dernières élections européennes et législatives, la présidence du bureau n° 20 de la ville de Laon, préfecture de l’Aisne, qui centralisait les votes des 187 détenus des établissements pénitentiaires de Laon et de Château-Thierry.

Toutefois, ces bureaux ont fait l’objet de critiques récurrentes sur leur manque d’ancrage local et sur certaines lourdeurs dans leur organisation. Ainsi, ils mobilisent du personnel pendant toute la journée du scrutin, alors que leur activité est concentrée sur le seul temps du dépôt des bulletins par les directeurs des centres pénitentiaires.

La proposition de loi de notre collègue Laure Darcos fait ainsi disparaître le risque d’une indexation de l’électorat des détenus selon un unique critère démographique, évolutif par nature, dont la pertinence est discutable.

La version initiale de la proposition de loi comportait certains écueils, auxquels la commission a remédié lors de son examen du texte.

Premièrement, comme l’acheminement des bulletins de vote vers la commune de résidence antérieure du détenu ne peut s’effectuer par voie postale, il risque de connaître plusieurs difficultés logistiques. Pour peu que les détenus électeurs soient tous issus de communes différentes, il pourrait y avoir besoin d’acheminer autant de bulletins de vote dans autant de communes qu’il y aura de détenus votants, ce qui constitue une situation intenable d’un point de vue logistique et fait encourir une charge financière exorbitante au ministère de la justice, déjà soumis à de fortes contraintes.

En tant que rapporteur spécial des crédits de la mission « Justice », je sais combien l’autorité judiciaire a aujourd’hui besoin de concentrer ses investissements sur des missions autrement plus pressantes.

Il convient par ailleurs de s’interroger sur la question des désencombrements.

Régulièrement ordonnés par l’administration pénitentiaire, ceux-ci permettent de désengorger rapidement une maison d’arrêt ayant atteint un taux excessif de surpopulation, tout en en remplissant une autre. L’objectif est de retrouver un niveau acceptable de population carcérale, le temps que des places se libèrent en nombre suffisant dans des centres de détention ou des maisons centrales.

L’existence de ce dispositif exigerait que la direction de l’administration pénitentiaire procède elle-même à la réinscription systématique du détenu à chaque fois qu’il est transféré d’un établissement à un autre, un ajout procédurier pour des services déjà surmenés.

En définitive, la version retenue par le rapporteur nous semble être un choix de sagesse.

En réservant la possibilité pour les détenus de voter par correspondance aux élections à circonscription unique et aux référendums nationaux, elle offre un compromis entre le maintien du lien territorial des électeurs détenus et la garantie du vote par correspondance, moyen de l’expression démocratique en détention.

À cet égard, elle s’inscrit dans la juste lignée de l’intention initiale du texte de Laure Darcos, dont je salue l’ambition humaniste.

Pour toutes ces raisons, les membres du groupe Les Républicains voteront ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et UC.)