PRÉSIDENCE DE M. Alain Marc

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion du projet de loi d’urgence pour Mayotte.

Article 3
Dossier législatif : projet de loi d'urgence pour Mayotte
Article 4

Après l’article 3

M. le président. L’amendement n° 139, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Akli Mellouli.

M. Akli Mellouli. Avant même le passage du cyclone Chido, les habitants des bidonvilles de Mayotte se trouvaient déjà dans une extrême précarité ; ils ne disposaient pas d’un accès sécurisé à l’eau et à l’assainissement. La catastrophe n’a fait qu’aggraver cette situation, laissant des quartiers entiers inaccessibles et des milliers de personnes sans solution viable de relogement.

Face à cette urgence, nous ne pouvons pas nous contenter d’interdire la reconstruction illégale, sans offrir d’option crédible. Aussi, cet amendement vise à ce que l’établissement public nouvellement créé identifie rapidement des terrains sécurisés et viabilisés, afin d’y installer des logements temporaires dignes et adaptés, dans l’attente de solutions pérennes.

Il s’agit d’éviter que les rescapés ne retournent dans des zones à risque et de garantir que les infrastructures mises en place répondent aux besoins immédiats de la population et des services mobilisés pour la reconstruction.

C’est une réponse pragmatique, humaine et responsable à la crise que traverse Mayotte. Je vous invite donc, mes chers collègues, à voter cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Micheline Jacques, rapporteur. La commission va émettre un avis défavorable sur cet amendement, et cela pour trois raisons.

Tout d’abord, les critères restrictifs qu’il tend à instaurer sont en contradiction avec ceux qui figurent dans l’article 3, que nous avons adopté tout à l’heure.

Ensuite, nous avons déjà prévu dans ce même article un avis conforme du maire et l’information du préfet.

Enfin, l’objectif de l’article est que ces constructions modulaires puissent être déployées immédiatement, et non dans trois mois.

La commission émet donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre dÉtat. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 139.

(Lamendement nest pas adopté.)

Après l’article 3
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Article 4 bis

Article 4

Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre, par voie d’ordonnance, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, toute mesure relevant du domaine de la loi destinée, pendant une durée limitée ne pouvant excéder deux ans, à modifier et à adapter les règles de construction et de lutte contre les locaux ou installations constituant un habitat informel au sens de l’article 1er-1 de la loi n° 90-449 du 13 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement pour mieux tenir compte des caractéristiques et des contraintes propres au territoire de Mayotte afin de faciliter et d’accélérer les opérations de reconstruction ou de réfection des constructions, aménagements et installations dégradés ou détruits en raison des événements météorologiques survenus pendant une période de cinq mois à compter du 13 décembre 2024 ainsi que de renforcer l’évacuation et la démolition des locaux ou installations constituant un habitat informel.

Dans la mesure nécessaire à l’atteinte de ces objectifs, cette ordonnance peut, notamment, modifier les adaptations applicables à Mayotte en ce qui concerne les règles techniques auxquelles sont soumis les constructions et les travaux qui y sont assimilés ainsi que les aménagements et prévoir de nouvelles adaptations de ces règles, à l’exclusion de celles prévues aux titres III à V du livre Ier du code de la construction et de l’habitation ainsi qu’au titre VI du même livre Ier pour les établissements recevant du public et pour les installations ouvertes au public et à l’exclusion de celles relatives aux obligations de recours aux énergies renouvelables. L’ordonnance peut aussi modifier les adaptations applicables à Mayotte en matière de lutte contre l’habitat informel.

Elle peut s’appliquer aux constructions démontables et temporaires dispensées de toute formalité au titre du code de l’urbanisme mentionnées à l’article 3 de la présente loi.

Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance.

M. le président. L’amendement n° 106 rectifié, présenté par Mmes Artigalas et Le Houerou, M. Roiron, Mme Bélim, MM. Omar Oili, Kanner et Fagnen, Mme Féret, M. Jacquin, Mme Narassiguin, MM. Redon-Sarrazy, Ros, Tissot, Bouad, Cardon, Pla, Mérillou, Michau, Montaugé, Stanzione et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 1

Après la première occurrence du mot :

construction

rédiger ainsi la fin de cet alinéa :

pour mieux tenir compte des caractéristiques et des contraintes propres au territoire de Mayotte afin de faciliter et d’accélérer les opérations de reconstruction ou de réfection des constructions, aménagements et installations dégradés ou détruits en raison des événements météorologiques survenus pendant une période de cinq mois à compter du 13 décembre 2024.

La parole est à Mme Audrey Bélim.

Mme Audrey Bélim. Cet amendement vise à revenir au périmètre initial de l’habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance portant sur l’adaptation des règles de construction.

En adoptant il y a moins d’un an la loi visant à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement, nous avons déjà pris des mesures pour endiguer le développement exponentiel de l’habitat spontané et insalubre.

Aussi ne souhaitons-nous pas que l’habilitation à légiférer par ordonnance soit étendue de la sorte sans que nous disposions d’une explication sur l’orientation que prendront ces mesures.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Micheline Jacques, rapporteur. Je ne vois pas comment nous pourrions reconstruire Mayotte sans agir résolument en parallèle contre la reconstitution des bidonvilles… L’inclusion de la lutte contre l’habitat informel dans le champ de l’habilitation à légiférer par ordonnance est particulièrement pertinente.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre dÉtat. Madame la sénatrice Bélim, je partage évidemment votre objectif, mais la rédaction de votre amendement tend à supprimer du champ de l’habilitation à légiférer par ordonnance, comme vient de l’expliquer Mme la rapporteure, la lutte contre l’habitat informel, qui a été ajoutée sur l’initiative du Gouvernement lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale.

Comme j’ai pu le souligner, et bien qu’il découle de réalités que je ne saurais négliger, l’habitat informel, ou illégal, est l’un des fléaux qui défigurent Mayotte et entravent son développement. La lutte contre la reconstruction de bidonvilles est un objectif essentiel, qu’il convient d’intégrer dans les règles relatives à la construction. Nous pourrons ainsi élargir le rôle des agents susceptibles de constater l’édification illégale ou encore allonger temporairement le délai de flagrance.

Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement au profit de l’amendement n° 73 du Gouvernement, qui tend à rétablir dans son intégralité le périmètre de l’habilitation à légiférer par ordonnance, tout en conservant l’objectif de lutte contre les bidonvilles ; à défaut, mon avis serait défavorable.

M. le président. Madame Bélim, l’amendement n° 106 rectifié est-il maintenu ?

Mme Audrey Bélim. Oui, je le maintiens, monsieur le président.

M. le président. Je le mets aux voix.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 73, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 2, première phrase

Après la première occurrence des mots :

à l’exclusion de celles

Rédiger ainsi la fin de cette phrase :

relatives aux exigences de sécurité des constructions

La parole est à M. le ministre d’État.

M. Manuel Valls, ministre dÉtat. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Micheline Jacques, rapporteur. Les contraintes introduites par les députés concernant les énergies renouvelables et l’accessibilité sont excessives.

La commission estime que le Gouvernement doit pouvoir adapter les règles de construction aux caractéristiques de Mayotte pour faciliter la reconstruction, à la condition que la durée d’application des mesures qui seront prises soit limitée.

J’émets donc un avis favorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 73.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 4, modifié.

(Larticle 4 est adopté.)

Article 4
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Article 5

Article 4 bis

I. – Jusqu’au 31 décembre 2025, à Mayotte, la vente par une entreprise à un particulier de tôles pouvant servir de matériau de construction est subordonnée à la présentation d’un titre d’identité et d’une autorisation d’urbanisme ou du récépissé mentionné au I de l’article 7 ainsi qu’à la signature d’une déclaration par laquelle l’acheteur s’engage à utiliser ces matériaux pour la reconstruction ou la réfection de son logement et à s’abstenir de toute revente à un tiers.

II. – Les entreprises mentionnées au I tiennent un registre des achats comportant les informations relatives aux acheteurs. Ce registre est consultable par les forces de l’ordre.

III. – Le représentant de l’État dans le Département de Mayotte peut ordonner la fermeture, pour une durée maximale de six mois, des établissements qui ont vendu des tôles à un particulier n’ayant pas fourni les informations mentionnées au I ou qui ont manqué à leur obligation de consigner ces informations dans le registre mentionné au II.

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L’amendement n° 13 est présenté par Mme Guhl, MM. Mellouli, Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard et Jadot, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel.

L’amendement n° 53 est présenté par Mme Corbière Naminzo, M. Xowie, Mme Margaté, MM. Gay, Lahellec et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

L’amendement n° 107 rectifié est présenté par Mmes Artigalas et Le Houerou, M. Roiron, Mme Bélim, MM. Omar Oili, Kanner et Fagnen, Mme Féret, M. Jacquin, Mme Narassiguin, MM. Redon-Sarrazy, Ros, Tissot, Bouad, Cardon, Pla, Mérillou, Michau, Montaugé, Stanzione et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Antoinette Guhl, pour présenter l’amendement n° 13.

Mme Antoinette Guhl. Cet amendement a pour objet de supprimer l’article 4 bis, qui tend à s’inscrire dans la continuité de l’arrêté préfectoral en vigueur depuis le 4 janvier.

De quoi s’agit-il ? Cet article réserve la vente de tôles aux individus souhaitant reconstruire leur logement à ceux qui sont en mesure de présenter une pièce d’identité. De plus, il impose de tenir des registres de ces ventes et de les rendre accessibles aux forces de l’ordre. Enfin, il autorise la fermeture temporaire des établissements qui ne respecteraient pas ces obligations.

Un tel article est tout bonnement scandaleux ! Il vise explicitement les personnes sans papiers, se plaçant ainsi dans la droite ligne d’un débat public nauséabond, qui fait porter la responsabilité des destructions sur les migrants.

Je demande donc la suppression de cette forme de préférence nationale, mesure phare du Rassemblement national qui n’a rien à faire dans ce texte !

M. le président. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo, pour présenter l’amendement n° 53.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. Par cet amendement, notre groupe s’oppose à cet article discriminatoire, qui conditionne la vente de tôle à un particulier à la présentation d’un titre d’identité.

Pour l’heure, l’objectif affiché par l’État de garantir un logement durable à tous les habitants de Mayotte est loin d’être atteint. Ainsi, nombre de ces derniers n’ont pas d’autre choix que de construire des habitations de fortune.

Je tiens à rappeler dans cet hémicycle que, au-delà des 39 morts recensés, le cyclone a fait de nombreuses victimes sans papiers, dont la mort n’a pas été comptabilisée. Il a également détruit le logement de fortune de nombreuses personnes sans papiers. Par ailleurs, les opérations d’expulsions et de destructions de bidonvilles menées par l’ancien gouvernement ont condamné encore davantage de gens au sans-abrisme.

Qu’ils possèdent des papiers ou non, ceux qui vivent à la rue et dont la vie est menacée doivent pouvoir se reconstruire un logement. À Mayotte comme ailleurs, les personnes sans-abri sont soumises à des conditions de vie inhumaines. Il est de notre responsabilité de dénoncer cela et de le rejeter fermement !

Une question politique nous est posée ce soir par cet article : empêcher une personne de reconstruire un logement sans lui proposer une autre solution revient à menacer directement sa vie. Toute personne doit pouvoir dormir avec un toit au-dessus de sa tête, à Mayotte ou ailleurs, qu’elle ait ou non des papiers !

M. le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour présenter l’amendement n° 107 rectifié.

Mme Viviane Artigalas. Il a été très bien défendu par mes deux collègues, monsieur le président.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Micheline Jacques, rapporteur. Ces amendements de suppression ont déjà été rejetés en commission.

Mes chers collègues, vous indiquez que l’encadrement de la vente de tôle pousse à des pratiques clandestines. Il me semble que vous oubliez que la reconstitution d’une habitation informelle constitue par essence une pratique clandestine et interdite.

La commission émet donc bien sûr un avis défavorable sur ces trois amendements identiques.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre dÉtat. Je suis troublé par votre opposition à cette mesure qui me semble cohérente et de bon sens.

Mme Antoinette Guhl. Il y a de quoi y être opposé !

M. Manuel Valls, ministre dÉtat. Il s’agit seulement d’empêcher la reconstruction de bidonvilles, ce qui est très difficile.

M. Manuel Valls, ministre dÉtat. En effet, nous avons vu que ces bidonvilles se sont reconstruits très rapidement après le passage du cyclone Chido, dans des conditions pires qu’auparavant en matière d’habitat. De plus, ils l’ont été sur des terrains glissants, ce qui rend d’autant plus dangereuse la situation de leurs habitants, a fortiori au regard des pluies de ce week-end, auxquelles a fait allusion M. Omar Oili.

Les Mahorais en règle pourront continuer d’acheter de la tôle, à la condition de présenter un justificatif de domicile. Le statu quo que vous proposez me paraît dangereux et coupable ! (Protestations sur les travées des groupes GEST et CRCE-K.)

Je sais que nous sommes au Sénat, où règnent le respect et la modération, mais il serait dangereux et coupable, je le répète, de rejeter mon argument au prétexte qu’il serait inspiré par le principe de la préférence nationale.

Chacun de nous l’a dit, le cyclone Chido a mis au jour des difficultés structurelles qui lui précédaient : un tiers – si ce n’est plus – des habitations à Mayotte relevaient déjà de l’habitat informel. La totalité de cet habitat informel, fait majoritairement de tôle, a été détruite par le cyclone, ce qui non seulement a privé des personnes d’un abri, mais aussi causé de nombreuses blessures. J’ai pu le constater aussi bien à l’hôpital de Mamoudzou qu’à l’hôpital de campagne.

Si nous voulons reconstruire Mayotte et la débarrasser de ce fléau que sont les bidonvilles, il nous faut changer de paradigme et prendre des mesures fortes. Cela prendra du temps, j’en conviens, car on ne recrée pas un parcours de logement en quelques semaines.

Toutefois, laisser la tôle en vente libre, c’est la garantie du retour des bidonvilles. Et cela ferait courir un vrai risque à la population au prochain événement climatique qui frappera Mayotte. J’y suis donc évidemment défavorable.

Enfin, madame Corbière Naminzo, apportez-moi des preuves ! Vous ne pouvez pas affirmer ici, au Sénat, que des victimes n’auraient pas été révélées.

Des colonnes de gendarmes et de policiers se sont rendues sur place avec des chiens dans des conditions difficiles, y compris en matière de sécurité, pour voir s’il y avait des victimes. Je rappelle que, dans les premières heures, le chiffre de 60 000 morts a été évoqué… Lorsque j’étais en réunion avec les maires de Petite-Terre il y a un mois, l’un d’entre eux m’a dit qu’il avait peut-être découvert un charnier de 80 personnes… Ce n’était pas le cas !

Nous n’avons rien à cacher ! Madame la sénatrice, que vous remettiez en cause la parole d’un ministre est une chose, mais je n’admettrai pas que vous laissiez penser que nous serions en train de cacher des victimes ! S’il y en avait, nous les découvririons. Or vous introduisez un doute… (Mme Evelyne Corbière Naminzo proteste.)

Si ! Je vous le dis avec la plus grande franchise, vous introduisez un doute en jouant sur l’idée que nous cacherions quelque chose. Si la réalité des faits est avérée, nous la porterons à la connaissance de tous. Mais cela fait déjà un mois que j’entends de telles allégations, sans que personne m’en apporte la moindre preuve.

À ce stade, nous avons comptabilisé 40 morts. Peut-être n’avons-nous pas encore constaté certaines disparitions, mais, je le répète, attention à ne pas alimenter les rumeurs.

La commission émet donc un avis défavorable sur ces trois amendements identiques.

M. le président. La parole est à Mme Antoinette Guhl, pour explication de vote.

Mme Antoinette Guhl. Monsieur le ministre, nous sommes d’accord pour débattre sur l’éventuelle reconstruction de bidonvilles et d’habitations en tôle. Personne n’a de problème avec cela : nous aurons ce débat et nous trancherons.

Toutefois, en l’occurrence, la question est non pas de permettre ou non d’acheter de la tôle, mais de permettre à ceux qui ont des papiers d’en acheter, mais pas à ceux qui n’en ont pas ! Autrement dit, il s’agit de permettre à certains de s’assurer un toit et pas à d’autres.

Je rappelle tout de même que l’action humanitaire est normalement sans condition. Il n’existe pas de condition de papiers ou de régularité. Si nous admettons que la catastrophe nécessite une forme d’action humanitaire, nous ne pouvons pas instaurer une telle condition.

Pour ma part, je ne suis pas favorable à la tôle : je vous ai dit tout à l’heure que les Algeco devaient être construits en bois, mais vous nous avez expliqué qu’il était très bien de les construire en métal ; maintenant, vous nous dites que ce n’est pas bien de construire en tôle et qu’il vaut mieux interdire à ceux qui n’ont pas de papiers d’en acheter. Ce n’est ni logique ni cohérent. Pour reprendre vos termes, c’est même dangereux.

En ce qui concerne les victimes, le fait que des recherches n’aient pas été menées dans les tout premiers jours a alimenté les peurs. Un maire mahorais m’a dit que, durant les vingt-quatre premières heures, en l’absence de recherches, chacun était terrifié à l’idée que l’un des siens pouvait être encore en vie sans qu’on lui porte secours. Il est compréhensible que tout cela suscite de la défiance.

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. En France, il existe un droit à l’hébergement. Or la tôle, c’est le toit. Autrement dit, en achetant de la tôle, on fait en sorte d’avoir un hébergement.

Il convient de distinguer logement et hébergement ; le second est un droit.

Par ailleurs, ce sont les ONG qui vous rappellent à l’humanité ; c’est tout de même incroyable… J’ai entendu des collègues déplorer que des ONG aient fourni de l’eau à des personnes en situation irrégulière… Tout de même, comment en arrive-t-on à dire de telles choses ? La préférence nationale doit sans doute être également appliquée à l’eau, à cause de la pénurie… (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)

De fait, j’ai entendu quelqu’un dire en commission qu’il n’était pas normal que les ONG servent les personnes en situation irrégulière. Car sans les ONG, beaucoup d’entre elles n’auraient reçu ni eau ni produits de subsistance. C’est cela, l’impératif humanitaire.

Quant aux morts et aux blessés, j’attends que vous nous disiez combien de personnes en situation irrégulière sont comptabilisées dans vos statistiques, monsieur le ministre. Si la moitié de la population est en situation irrégulière, la même proportion doit se retrouver dans le nombre de blessés. Si tel n’est pas le cas, il existe un biais statistique qu’il vous faudra expliquer.

M. le président. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo, pour explication de vote.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. On parle de 39 morts ou de 40 morts, nous en sommes à ce niveau-là de détail… Il est affligeant d’avoir un tel débat ce soir.

M. Manuel Valls, ministre dÉtat. Oui !

Mme Evelyne Corbière Naminzo. Je ne suis qu’une élue, un relais ; la parole que je porte dans cet hémicycle est celle que l’on me confie.

Monsieur le ministre, pour ma part, je ne m’amuse pas à faire 10 000 kilomètres – vous connaissez la distance, puisque vous avez fait le trajet – aux frais du contribuable pour venir vous raconter des bêtises ! (Oh là là ! sur des travées du groupe Les Républicains.)

Je porte la voix des responsables associatifs et des bénévoles qui sont sur le terrain à Mayotte et qui me disent que des sépultures ne sont pas comptabilisées, mais qu’elles existent ! J’en appelle à la conscience nationale : que l’on aille voir ce qui se passe à Mayotte et qu’on cherche toutes les victimes de ce cyclone, et pas seulement celles qui ont des papiers ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Salama Ramia, pour explication de vote.

Mme Salama Ramia. Je vis à Mayotte. Si des sépultures n’avaient pas été identifiées, nous l’aurions senti. On ne peut pas dire que des gens n’ont pas été identifiés.

Par ailleurs, c’est à moi que faisait référence Mme Poncet Monge au sujet de l’aide humanitaire. Ce que j’ai dit en commission, ce n’est pas qu’il ne fallait pas donner aux gens qui n’ont pas de papiers, mais que l’on ne distribuait pas aux Français. (Mme Raymonde Poncet Monge sexclame.)

Par exemple, une ONG américaine prépare des plats chauds qu’elle distribue ensuite aux enfants qui se trouvent dans les bidonvilles. Mais les enfants mahorais aussi ont faim. Pourquoi ne distribue-t-elle pas ces repas dans les écoles ? Là, il n’y aura pas de distinction entre les enfants. L’aide doit aller vers tout le monde. Je n’ai jamais dit qu’elle devait être réservée à ceux qui ont des papiers.

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.

M. Fabien Gay. Je pense que nous touchons au cœur du débat et peut-être, il faut l’assumer, de nos désaccords. Nous entendons que le texte que nous examinons est une loi d’urgence et qu’une autre, portant sur une reconstruction plus durable, suivra.

La question qui nous est posée dans le texte d’urgence est la suivante : la priorité du Gouvernement est-elle d’apporter à chacune et chacun une aide universelle et de lutter contre la grande pauvreté ? S’agit-il d’empêcher – ou de tenter d’empêcher, puisque, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, certains ont été reconstruits très rapidement – la renaissance de bidonvilles ? Ou bien s’agit-il de lutter contre l’immigration clandestine ?

Voilà le débat ! Si, comme le proclament l’ensemble des groupes de gauches, la priorité est l’aide universelle – je ne dis pas que cette idée n’appartient qu’à la gauche –, il faut empêcher les hommes et les femmes, qu’ils aient ou non des papiers, de reconstruire des habitations en tôle ! Aussi, nous ne comprenons pas pourquoi ceux qui ont des papiers pourraient en acheter et les autres non.

Si un nouveau cyclone venait à frapper, tous ceux qui vivront dans un habitat de fortune seront touchés de la même façon, qu’ils aient ou non des papiers. Nous estimons donc que votre mesure est discriminatoire. Si l’on veut mettre fin aux constructions en tôle, il conviendra de prévoir dans le prochain texte qui sera déposé au Parlement des moyens pour construire en dur des logements durables pour toutes et tous. Voilà la question !

Pourquoi prendre une telle mesure, selon nous discriminatoire, dans un texte d’urgence ? Monsieur le ministre, vous pourrez nous répondre, mais je vous le redis : si des hommes et des femmes mahorais, des Français et des Françaises, rachètent de la tôle, et que nous sommes frappés dans quinze jours par un nouveau cyclone, ce que personne ici ne souhaite, ceux qui ont des papiers ne seront pas plus protégés que ceux qui n’en ont pas.

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.

M. Manuel Valls, ministre dÉtat. Je présenterai tout à l’heure un amendement au nom du Gouvernement tendant à rétablir la condition, pour l’achat de tôle, d’un justificatif de domicile et à supprimer celle de la présentation d’une autorisation d’urbanisme. Le but est de simplifier les choses et de ne pas risquer d’empêcher les Mahorais de bonne foi voulant réaliser de petits travaux d’acheter de la tôle s’ils en ont besoin.

Les élus mahorais ici présents en sont témoins, la question de l’utilisation de la tôle n’est pas uniquement liée à l’immigration régulière ou irrégulière. Elle participe d’une culture ; c’est une réalité.

Nous pourrons faire évoluer l’urbanisme et l’habitat sur place à l’avenir, comme je l’ai dit précédemment, mais le décret d’interdiction de vente de tôle, les mesures prises par le préfet et celles que nous intégrerons dans la loi constituent un premier pas, dans un débat beaucoup plus large.

Par ailleurs, je me suis rendu sur place, car c’est mon rôle de le faire régulièrement, avec les moyens à ma disposition. Madame la sénatrice, si vous le souhaitez, j’irai en bateau, la prochaine fois… (MM. Max Brisson et Stéphane Piednoir sourient.) J’y ai constaté, tout comme à l’Assemblée nationale – c’est moins le cas ici –, que les débats sont exacerbés sur tous les sujets que vous avez évoqués.

Des mots très durs sont prononcés. Il existe une colère vis-à-vis de l’État, mais aussi vis-à-vis de l’immigration irrégulière en provenance des Comores. Cette colère est peut-être manipulée, mais elle est une réalité.

Madame Corbière Naminzo, le même genre de débats existe à La Réunion, sur tous les bancs, vis-à-vis des Mahorais. Et si nous écoutons bien ces derniers, nous pouvons percevoir une sorte de ressentiment à l’encontre de leurs compatriotes réunionnais.

Je dis cela avec beaucoup de prudence, mais, au lendemain de mon premier déplacement à la préfecture de Saint-Denis-de-la-Réunion, le seul fait que j’organise une réunion avec l’ensemble des partenaires économiques réunionnais pour examiner comment ils pouvaient aider, soutenir nos compatriotes et investir à Mayotte a créé des débats, des crispations, des tensions. Nous marchons sur des œufs !

À Mayotte, le débat tourne en permanence autour de l’idée que l’action de l’État ou des associations favoriserait en premier lieu l’immigration illégale. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est une réalité ! (M. Fabien Gay proteste.) Vous me pardonnerez d’introduire ce sujet politique, mais regardez les résultats à l’élection présidentielle ou aux législatives à Mayotte ; ce n’est pas un hasard !