Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Jacquin.
M. Olivier Jacquin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier notre collègue Pascal Savoldelli et le groupe communiste républicain citoyen et écologiste de nous permettre de débattre de nouveau de l’impact du numérique et des nouvelles formes de travail issues de la plateformisation et de ce que l’on appelle communément l’ubérisation.
Ce texte est le quatrième sur le sujet que nous étudions en quatre ans, après deux missions d’information et de nombreuses autres propositions, déposées pour alimenter nos réflexions. Il faut croire que l’on parle davantage du travail grâce aux initiatives parlementaires que dans les textes du Gouvernement !
La question centrale est simple : comment s’assurer que le progrès technologique permette l’émancipation des travailleurs, et non leur assujettissement via un contremaître 2.0 ?
Corinne Féret a cité ma proposition de loi visant à lutter contre l’indépendance fictive, en permettant des requalifications en salarié par action de groupe et en contrôlant la place de l’algorithme dans les relations contractuelles, qui a été rejetée ici en 2021. Nous y défendions déjà la nécessité de contrôle et de transparence des algorithmes.
Le texte présenté aujourd’hui avance encore dans cette direction, et je m’étonne que la majorité sénatoriale continue, quant à elle, à se cacher sur ce sujet majeur, après le revirement opéré l’année dernière, lors des débats sur la ratification de l’ordonnance du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation, dite ordonnance Mettling.
En 2019, la commission des affaires sociales s’est opposée au tiers statut, mais, en 2021, elle a donné un blanc-seing au Gouvernement, dont l’intention était claire, comme l’était celle de la rapporteure de l’Assemblée nationale à l’époque : « réduire le faisceau d’indices susceptibles de révéler l’existence d’un lien de subordination » de telle sorte que « le risque d’une requalification […] soit aussi réduit que possible ».
Je ne fais que vous citer, madame la ministre : vous étiez en effet cette rapporteure, et vous oubliiez alors que nombre de ces travailleurs étaient des « indépendants fictifs », comme les a qualifiés la Cour de cassation.
L’excellent rapport de Cathy Apourceau-Poly nous apprend que notre collègue Frédérique Puissat a évoqué en commission une position plus nuancée de la majorité sénatoriale, sans pour autant nous en dire davantage ni déposer d’amendements sur ce texte. J’ai du mal à comprendre cette position.
Je rejoins notre collègue Pascale Gruny sur la nécessité de s’assurer que les textes que nous votons soient conformes à la proposition de directive de Nicolas Schmit relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme, en cours de discussion au niveau européen et que vous n’avez même pas citée, madame la ministre.
Je vous suggère donc, mes chers collègues, de voter la proposition de résolution européenne que j’ai déposée hier, avec Monique Lubin et Laurence Harribey, par laquelle nous appelons le Gouvernement à soutenir cette proposition de directive qui garantit de véritables droits aux travailleurs des plateformes.
Elle reprend d’ailleurs beaucoup des propositions défendues depuis des années par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, notamment dans ma proposition de loi de 2021 : présomption de salariat, inversion de la charge de la preuve en matière de requalification et transparence des algorithmes.
De même, une idée que je défends depuis plusieurs années y trouve sa place : l’adaptation du devoir de vigilance des multinationales à l’ubérisation, pour garantir un ultime filet de sécurité aux travailleurs. L’article 8 de la proposition de directive prévoit ainsi que ces derniers pourront exiger des explications sur les décisions algorithmiques les concernant, avec obligation pour la plateforme de répondre par écrit sous une semaine. Cette disposition est donc en parfaite concordance avec la proposition de loi en débat.
Mes chers collègues, en votant ce texte, nous signifierons surtout au Gouvernement qu’il fait fausse route : il doit cesser de bloquer l’adoption d’un texte proposant un cadre de régulation des algorithmes pour la protection des travailleurs des plateformes et, au contraire, souhaiter son adoption sous la présidence espagnole de l’Union européenne.
Dès lors, avec mon groupe, nous vous appelons, malgré les réserves qui ont été avancées par certains, à voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi relative à la maîtrise de l’organisation algorithmique du travail
Article 1er
Après l’article L. 1222-3 du code du travail, sont insérés deux articles L. 1222-3-1 et L. 1222-3-2 ainsi rédigés :
« Art. L. 1222-3-1. – Toute décision, ensemble de décisions ou système d’aide à la décision exprimé partiellement ou entièrement par des moyens technologiques ou traitements automatisés dans le cadre d’un service organisé et produisant des impacts sur les comportements, les choix ou les situations juridiques des travailleurs relève du pouvoir de direction et du pouvoir de contrôle de l’employeur.
« Sont considérés comme des décisions les processus ayant pour objet de choisir entre plusieurs actions ou abstentions à l’égard d’une ou plusieurs personnes concernées.
« Aucune sanction disciplinaire ne saurait être prononcée par l’employeur par application automatique d’un résultat obtenu par algorithme.
« Art. L. 1222-3-2. – Le contenu d’une décision entendue au sens de l’article L. 1222-3-1 faisant grief est accessible pour les personnes concernées et accompagnée au besoin d’une explication rédigée dans un langage simple et clair. Les décisions individuelles en constituent la simple exécution.
« Il est communiqué au travailleur concerné, à sa demande, l’état des critères employés pour produire la décision individuelle qui lui est opposée, de manière qu’il puisse vérifier que la décision-cadre entendue au sens du même article L. 1222-3-1 lui a été appliquée sans erreur.
« La décision entendue au sens dudit article L. 1222-3-1 est accompagnée d’une motivation individuelle pouvant être elle-même produite par des moyens technologiques ou traitements automatisés.
« Après avoir pris connaissance de la décision et de la motivation qui l’accompagne, la personne concernée a le droit de former un recours. Elle est alors invitée par l’employeur à présenter des observations écrites en soutien de sa cause. Une nouvelle décision motivée est prise par un être humain, qui remplace entièrement la première. Les motivations de la décision humaine ne peuvent s’appuyer sur les résultats du traitement automatisé opaque.
« Une décision au sens du même article L. 1222-3-1 est considérée comme opaque lorsque le travailleur est privé d’une description exhaustive des règles qui lui sont appliquées, que ce soit par choix ou en conséquence des techniques employées, de la technologie ou du traitement automatisé. »
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, sur l’article.
M. Pascal Savoldelli. Je vais tenter de vous convaincre de voter l’article 1er, mes chers collègues.
Je vous ai écoutée avec attention, madame la ministre : vous avez affirmé que les dispositifs existants en matière de dialogue social et de lutte contre le salariat déguisé étaient bons. Or cet article définit l’algorithme au plan juridique comme un pouvoir de direction et de contrôle.
Madame la ministre, allez donc voir les livreurs, les femmes qui font le ménage, tous ces travailleurs dont le métier est détourné par les plateformes numériques de travail ! Ils disent tous : « mon patron, c’est un algorithme ! »
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteur. C’est vrai !
M. Pascal Savoldelli. Ce n’est pas la notion de patron qui est ici déjugée, mais bien la manière dont cette fonction est désincarnée et déshumanisée.
Vous affirmez que le dialogue social existe, mais je vous invite à aller interroger les juges des prud’hommes sur les difficultés qu’ils rencontrent face à l’augmentation des contentieux.
Madame la ministre, mettez-vous à la place de ces hommes et de ces femmes : comment défendriez-vous vos intérêts particuliers et la négociation collective face à un outil totalement dématérialisé et déshumanisé ?
Si nous voulons offrir à ces travailleurs un levier et une béquille, il serait bon de voter au moins l’article 1er. Je remercie donc mes collègues du groupe Les Républicains de bien vouloir faire ce petit geste ! (Sourires.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.) – (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Article 2
Après l’article L. 1134-1 du code du travail, il est inséré un article L. 1134-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1134-1-1. – Lorsque survient un litige faisant suite à une décision au sens de l’article L. 1222-3-1, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.
« Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. »
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.
M. Pierre Ouzoulias. La parabole historique de la relation entre la technologie et le travail me semble tout à fait intéressante.
Ma chère collègue, vous auriez d’ailleurs pu remonter bien plus loin : Pline l’Ancien rapporte que l’empereur Tibère avait mis à mort un ouvrier verrier qui lui avait proposé le verre incassable, parce que cela mettait en danger toute la profession des verriers.
On pourrait également rappeler la révolte des canuts contre les machines à tondre les draps, en 1819.
Pour autant, il ne s’agit pas du tout de cela ici. Jusqu’à présent, il existait une relation sociale du travail entre employeurs et salariés ; désormais, un nouvel élément émerge : la plateforme, considérée comme un monstre noir, neutre et complètement technique, qui fonctionne avec des algorithmes et donne l’illusion que son travail ne consiste qu’à mettre en relation des clients et des autoentrepreneurs.
Il faut bien comprendre que cette technique algorithmique emporte la négation de la relation sociale du travail et in fine la négation de ce qu’est l’entreprise. Avec les plateformes, plus d’entreprise et plus non plus d’entrepreneurs ! Ce qui est en jeu est, à mon sens, fondamental, car cela touche à de nombreux aspects de notre société.
J’ai aussi à l’esprit la difficulté que nous rencontrons pour légiférer contre les Gafam – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft – et leur incapacité à réguler les propos haineux en ligne. Il s’agit du même problème : on nous laisse à croire que les plateformes seraient des outils techniques complètement neutres.
Pour notre part, nous entendons réintroduire du social dans ce système, car nous sommes opposés à cette irresponsabilité sociale organisée par les algorithmes.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.) – (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
Article 3
I. – Le I de l’article L. 111-7 du code de la consommation est ainsi modifié :
1° Au 1°, après le mot : « référencement, », sont insérés les mots : « par des moyens technologiques ou traitements automatisés, » ;
2° Le 2° est ainsi rédigé :
« 2° La mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service ; »
3° Il est ajouté un 3° ainsi rédigé :
« 3° Un emploi, lorsque le service repose sur une ou des prestations effectuées par des travailleurs et dont les éléments essentiels sont économiquement et juridiquement encadrés et contrôlés de manière unilatérale, notamment par des moyens technologiques ou traitements automatisés. »
II. – L’article L. 7342-1 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Une plateforme n’est plus considérée comme opérateur de mise en relation dès lors qu’elle exerce un contrôle juridique et économique sur les éléments essentiels de la relation de travail qui la lie avec le travailleur effectuant cette prestation, notamment par des moyens technologiques ou traitements automatisés. » – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi – je vous informe, mes chers collègues, que j’ai été saisie d’une demande de scrutin public par le groupe Les Républicains (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.) –, je donne la parole à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Je me propose d’essayer d’interpréter cette demande de scrutin public : à travers le sujet de l’algorithme, différents problèmes ont été évoqués par plusieurs de nos collègues sur toutes les travées, ils concernaient notamment les questions du temps de travail, de la définition du salaire ou de la valeur ajoutée.
Or ces questions ne sont pas propres à la gauche. Beaucoup de gens se mobilisent actuellement au sein du mouvement contre la réforme des retraites, parce que ce sujet les préoccupe, mais aussi parce qu’ils sont inquiets du niveau de leur pension ou de leur salaire, de leurs conditions de travail, du sens de celui-ci, etc.
Le Gouvernement fait parfois valoir une confusion qui obscurcirait le clivage entre la gauche et la droite. Or, sur cette question, ce clivage existe réellement. Pour autant, la droite n’est pas monolithique ; il en existe plusieurs courants en France, tout comme il y a différentes gauches. Cependant, les gauches sont actuellement rassemblées et unies,…
M. Gérard Longuet. Comme en Ariège !
M. Pascal Savoldelli. … tandis que les droites ne partagent pas tout à fait la même approche du sujet.
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 260 :
Nombre de votants | 319 |
Nombre de suffrages exprimés | 262 |
Pour l’adoption | 104 |
Contre | 158 |
Le Sénat n’a pas adopté.
La parole est à M. le vice-président de la commission.
M. Philippe Mouiller, vice-président de la commission des affaires sociales. Le résultat de ce scrutin reflète la position de la commission, mais je tiens à remercier notre collègue Pascal Savoldelli d’avoir porté ce sujet, qui a donné lieu à un débat de qualité dans l’hémicycle.
Dans chaque groupe politique, on a ainsi pu se poser certaines questions, que vous avez très bien évoquées dans votre dernière intervention, mon cher collègue, s’agissant des conditions et du temps de travail, ainsi que de la responsabilité des employeurs.
Ce sujet ne concerne d’ailleurs pas seulement les parlementaires, mais aussi les élus locaux, qui vivent au quotidien les effets des évolutions que nous avons évoquées.
Je vous remercie également d’avoir porté le débat à la commission des affaires sociales. Cet après-midi a davantage donné lieu à une litanie d’interventions, mais, en commission, nous avons eu une véritable discussion.
Je tiens d’ailleurs à remercier la rapporteure qui, au-delà de la reprise de certains arguments, a su élever le débat en commission afin de faire réagir ceux qui se penchent sur la question des conditions de travail des salariés.
Ce sujet ne perdra pas son actualité dans cet hémicycle, car il suscite encore beaucoup d’interrogations. Nous attendons ainsi beaucoup de la proposition de directive européenne, mais celle-ci ne résoudra pas tout. Je vous donne donc rendez-vous : nous aurons l’occasion d’y revenir, avec le Gouvernement.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée. Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous exprimer à mon tour ma gratitude pour la qualité des débats.
Je suis consciente que nombre d’entre vous sont pleinement impliqués sur ce sujet depuis plusieurs années, avec la volonté de réfléchir aux conditions de travail pour l’ensemble des travailleurs en France, comme aux adaptations nécessaires aux nouvelles formes d’activité et à leurs modalités de pilotage.
Il est indéniable que cette question a toute sa place dans le débat public ; elle a d’ailleurs été abordée lors des Assises du travail. Je vous propose que nous travaillions ensemble sur les conclusions à donner à ces rencontres.
Il nous faut avancer, en tenant compte des évolutions du droit européen comme des concertations nationales menées sur ces enjeux. Ainsi, nous pourrons veiller à ce que notre droit et notre dialogue paritaire accompagnent les évolutions sociétales.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à seize heures.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Protéger le groupe Électricité de France d’un démembrement
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à protéger le groupe Électricité de France d’un démembrement (proposition n° 341, texte de la commission n° 465, rapport n° 464).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, notre vision pour EDF est claire : l’énergéticien national est au cœur de la transition énergétique du pays.
C’est aussi la vision qui régnait il y a près de soixante-dix-sept ans, quand Marcel Paul, un ministre communiste, présidait à la création d’EDF, avec comme objectif l’instauration d’un monopole de l’énergéticien. En soixante-dix-sept ans, ce monopole a permis l’électrification du pays et la construction du deuxième parc nucléaire au monde.
Nous bénéficions des fruits d’une telle décision encore aujourd’hui, puisque notre pays dispose d’un mix électrique parmi les moins émetteurs de gaz à effet de serre et les plus compétitifs au monde.
Depuis vingt ans, notre énergéticien national est affecté, en bien et en moins bien, par l’ouverture sur l’Union européenne – je pense notamment à la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité et aux conséquences du sommet de Barcelone des 15 et 16 mars 2002 qui a conduit à la libéralisation du marché de l’électricité et du gaz.
Ce marché intégré a certes des défauts, et nous travaillons à y remédier, mais reconnaissons tout de même, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il constitue aujourd’hui le plus gros système intégré d’électricité du monde, ce qui permet à notre pays d’importer et d’exporter de l’électricité quotidiennement en fonction de ses besoins.
Ayant vécu une dizaine d’années au Québec, où depuis deux jours, 1 million de foyers sont privés d’électricité, je mesure les avantages d’un marché intégré de l’électricité.
Notre vision pour EDF est claire : le groupe Électricité de France est et restera un instrument essentiel pour mettre en œuvre la politique énergétique de l’État français et, au-delà, un champion à l’exportation.
Les objectifs prioritaires d’EDF – cela est clairement indiqué dans la lettre de mission de son nouveau PDG Luc Rémont, dont vous avez validé la nomination – s’articulent aujourd’hui autour de la production électrique et de la conduite des grands projets industriels.
EDF a besoin d’investir des dizaines de milliards d’euros tous les ans, ce qui suppose de disposer de moyens suffisants et d’une véritable crédibilité financière.
EDF a besoin de retrouver sa maîtrise industrielle dans le nucléaire.
Enfin, EDF a besoin de développer les énergies renouvelables, en se fixant des objectifs ambitieux pour les trente prochaines années.
Le Gouvernement a pris ses responsabilités pour aider le groupe à relever ces défis. D’abord, l’État a toujours accompagné EDF dans ses opérations de recapitalisation, que ce soit en 2017 ou en 2022. Ensuite, et bien que nous nous apprêtions à accélérer encore, le fait est que nous n’avons jamais autant investi dans le nucléaire que depuis 2017.
Nous avons aussi sécurisé le calendrier de l’EPR2 (Evolutionary Power Reactor) grâce au projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, que vous avez voté en première lecture.
EDF est toutefois une société endettée, qui a de gros besoins d’investissement. C’est pourquoi, conformément aux engagements pris par le Président de la République durant sa campagne, le Gouvernement a lancé dès l’été dernier une offre publique d’achat (OPA) visant à prendre le contrôle de 100 % du capital d’EDF. Le Parlement a libéré 9,7 milliards d’euros de crédits budgétaires à cette fin.
Par cette nationalisation, nous renforçons à la fois les moyens dont EDF dispose pour investir dans les prochaines années et la crédibilité financière du groupe. Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, l’offre publique d’achat est en cours de finalisation, elle devrait être prête d’ici au début de mois de juin, après épuisement des derniers recours.
Ce gouvernement répond donc aux véritables problématiques du groupe EDF, si bien que nous avons été quelque peu surpris par l’inscription de cette proposition de loi visant à la nationalisation d’EDF au calendrier parlementaire, et plus encore par la manière dont s’est déroulé son examen à l’Assemblée nationale, où les débats ont parfois flirté avec les théories du complot. (MM. Fabien Gay et Victorin Lurel protestent.)
Cette proposition de loi vise à répondre à des angoisses qui n’ont aucun lieu d’être. Comme Bruno Le Maire a eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises et comme je l’ai rappelé à la tribune de l’Assemblée nationale, le projet Hercule – je le répète – est mort et enterré.
M. Fabien Gay. On verra !
M. Roland Lescure, ministre délégué. Il n’y a aucun projet, ni visible ni caché, de démantèlement de notre opérateur national.
Je salue le travail du Sénat qui, durant l’examen de ce texte en commission, a eu la sagesse d’en réécrire une bonne part. Je salue particulièrement le travail et l’esprit de responsabilité du rapporteur pour cette remise à plat.
M. Gérard Longuet, rapporteur de la commission des finances. Timeo Danaos et dona ferentes.
M. Roland Lescure, ministre délégué. La commission a en effet supprimé les articles 1er et 3 qui prévoyaient la nationalisation du groupe EDF. Non seulement de telles dispositions arrivent à contretemps, mais elles seraient en fait susceptibles de fragiliser l’OPA en cours de finalisation.
La commission a également supprimé, au sein de l’article 2, les références aux activités d’un groupe « unifié » dont le capital aurait été totalement « incessible ». Une telle rédaction rendait absolument impossibles les opérations courantes de gestion d’actifs par EDF, y compris les cessions d’actifs d’un montant de 3 milliards d’euros dans lesquelles l’électricien national est d’ores et déjà engagé.
La commission a également modifié l’article 3 bis, en restreignant le périmètre d’extension des tarifs réglementés de vente au champ des très petites entreprises (TPE) qui ne sont pas encore éligibles.
Sur cette base, nous avons matière à mener une discussion apaisée et constructive. Restent malgré tout deux points de désaccord sur lesquels je souhaite attirer votre attention, mesdames, messieurs les sénateurs, même si nous y reviendrons dans le cadre de la discussion des amendements.
Le premier point porte sur l’article 2, qui inscrit dans la loi que l’État détient 100 % du capital d’EDF. Je n’ai pas de difficulté avec cette disposition, qui redonne une place importante au Parlement, puisque celui-ci devra ainsi se prononcer sur n’importe quelle réouverture du capital. Il n’y a aucune ambiguïté sur nos intentions – je répète que le projet Hercule a été abandonné –, mais cela va peut-être mieux en l’écrivant.
En revanche, dans sa rédaction actuelle, cet article prescrit l’ouverture d’au moins 1,5 % du capital d’EDF aux salariés et anciens salariés du groupe, et ce dès le 1er janvier 2024. Comme je l’ai indiqué, l’OPA n’est pas encore terminée. À la suite des recours qui ont été déposés, il nous reste notamment à convaincre à peu près 5 % des actionnaires, dont un certain nombre d’actionnaires salariés, d’apporter leurs titres.
Il semble donc pour le moins prématuré d’envisager d’instaurer des dispositifs d’intéressement et de participation via de l’actionnariat salarié. Ces dispositifs ne s’appliqueraient en effet que durant quelques mois, puisque nous nous efforçons d’acheter des actions à ces mêmes salariés.
De plus, la situation financière d’EDF – il faut être clair – ne le permet pas aujourd’hui.
Je proposerai un amendement de compromis visant à laisser ouverte la possibilité d’un actionnariat salarié pour l’avenir sans pour autant rendre celui-ci automatique dès le 1er janvier prochain.
Le second point de désaccord porte sur l’extension du tarif réglementé de vente d’électricité (TRVE) à toutes les TPE, alors que celui-ci est actuellement réservé aux TPE petites consommatrices.
M. Fabien Gay. C’est bien !
M. Roland Lescure, ministre délégué. Oui, monsieur Gay, mais cela coûte cher ! (M. Fabien Gay proteste.)
En outre, une telle disposition entre en contradiction avec la logique même du TRVE qui a été conçu, lors des discussions avec la Commission européenne qui ont présidé à son instauration, comme un outil visant avant tout à protéger les consommateurs et les petites entreprises dont la consommation est similaire à celle d’un ménage, les entreprises dont la consommation s’apparente à une consommation industrielle devant acheter l’électricité au tarif du marché.
Certes, la rédaction proposée par le Sénat est plus claire et elle restreint le champ de la disposition aux TPE, mais son application supposerait l’ouverture d’une négociation complexe et bien trop longue avec la Commission de régulation de l’énergie (CRE) et la Commission européenne, quand notre objectif premier est de protéger les TPE, les PME, les ETI et les grandes entreprises des effets de la crise énergétique.
Je ne serai pas plus long, car nous aurons l’occasion de revenir sur ces différents points dans le cadre des débats sur les articles et les amendements.
En conclusion, je souhaite rappeler que le Gouvernement souscrit pleinement aux objectifs réaffirmés par cette proposition de loi réécrite par les soins de la commission : disposer d’un opérateur national de qualité, inscrit dans la durée, qui pourra investir autant qu’il le faudra pour que les soixante-dix-sept ans à venir soient aussi remplis de succès que les soixante-dix-sept ans qui viennent de s’écouler. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI. – MM. Emmanuel Capus et Pierre Louault applaudissent également.)