Sommaire

Présidence de M. Roger Karoutchi

Secrétaires :

Mme Esther Benbassa, M. Daniel Gremillet.

1. Procès-verbal

2. Revalorisation du statut de secrétaire de mairie. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale :

Mme Céline Brulin, auteure de la proposition de loi

Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois

M. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques

Mme Cécile Cukierman

Mme Nathalie Goulet

Mme Maryse Carrère

M. Cédric Vial

Mme Colette Mélot

M. Guy Benarroche

M. Alain Richard

M. Hussein Bourgi

M. Jean-François Longeot

Mme Béatrice Gosselin

M. Rémi Cardon

Mme Véronique Del Fabro

Clôture de la discussion générale.

Articles 1er à 3 (supprimés)

Article 4

Mme Françoise Gatel

M. Philippe Folliot

M. Jean-Baptiste Lemoyne

Amendement n° 1 de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.

Amendement n° 3 rectifié de M. Hussein Bourgi. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 5

M. Philippe Folliot

Amendement n° 4 rectifié de M. Hussein Bourgi. – Retrait.

Adoption de l’article.

Article 5 bis (nouveau) – Adoption.

Articles 6 et 7 (supprimés)

Après l’article 7

Amendement n° 8 de M. Philippe Folliot. – Rejet.

Amendement n° 10 rectifié de M. Philippe Folliot. – Rejet.

Intitulé de la proposition de loi

Amendement n° 2 de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.

Amendement n° 5 rectifié de M. Hussein Bourgi. – Retrait.

Vote sur l’ensemble

M. Jean-Baptiste Lemoyne

Mme Laure Darcos

M. Olivier Jacquin

Mme Céline Brulin

M. Cédric Vial

Mme Cécile Cukierman

Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission.

3. Maîtrise de l’organisation algorithmique du travail. – Rejet d’une proposition de loi

Discussion générale :

M. Pascal Savoldelli, auteur de la proposition de loi

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure de la commission des affaires sociales

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol

Mme Jocelyne Guidez

M. Jean-Pierre Corbisez

M. Serge Babary

Mme Colette Mélot

Mme Raymonde Poncet Monge

M. Ludovic Haye

Mme Corinne Féret

M. Fabien Gay

M. Olivier Jacquin

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

M. Pascal Savoldelli

Adoption de l’article.

Article 2

M. Pierre Ouzoulias

Adoption de l’article.

Article 3 – Adoption.

Vote sur l’ensemble

M. Pascal Savoldelli

Rejet, par scrutin public n° 260, de la proposition de loi.

M. Philippe Mouiller, vice-président de la commission des affaires sociales

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée

Suspension et reprise de la séance

4. Protéger le groupe Électricité de France d’un démembrement. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale :

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie

M. Gérard Longuet, rapporteur de la commission des finances

M. Christian Bilhac

Mme Christine Lavarde

M. Emmanuel Capus

M. Daniel Breuiller

M. Julien Bargeton

M. Victorin Lurel

M. Fabien Gay

M. Michel Canévet

Clôture de la discussion générale.

Article 1er (supprimé)

M. Franck Montaugé

M. Victorin Lurel

Amendements identiques nos 2 de M. Victorin Lurel et 8 de M. Fabien Gay. – Rejet, par scrutin public n° 261, des deux amendements.

L’article demeure supprimé.

Article 2

Amendement n° 3 de M. Victorin Lurel. – Rejet par scrutin public n° 262.

Amendement n° 9 de M. Fabien Gay. – Rejet.

Amendement n° 10 de M. Fabien Gay. – Rejet.

Amendement n° 14 de M. Fabien Gay. – Rejet.

Amendement n° 19 rectifié du Gouvernement. – Adoption par scrutin public n° 263.

Adoption, par scrutin public n° 264, de l’article modifié.

Après l’article 2

Amendement n° 18 de M. Franck Montaugé. – Rejet par scrutin public n° 265.

Article 3 (supprimé)

Amendement n° 4 de M. Victorin Lurel. – Rejet.

L’article demeure supprimé.

Article 3 bis

Amendement n° 16 de M. Fabien Gay. – Rejet.

Amendement n° 13 de M. Fabien Gay. – Rejet.

Amendement n° 12 de M. Fabien Gay. – Rejet.

Rejet de l’article.

Après l’article 3 bis

Amendement n° 15 de M. Fabien Gay. – Rejet.

Rappel au règlement

M. Patrick Kanner

Article 3 ter

Amendement n° 5 de M. Victorin Lurel. – Rejet par scrutin public n° 266.

Adoption de l’article.

Article 4 (supprimé)

Suspension et reprise de la séance

M. Claude Raynal, président de la commission des finances

Suspension et reprise de la séance

Seconde délibération

Demande de seconde délibération sur l’article 3 bis (supprimé). – M. Claude Raynal, président de la commission des finances ; M. Roland Lescure, ministre délégué ; M. Emmanuel Capus. – Adoption.

Article 3 bis (supprimé)

Amendement n° A-1 de la commission. – Adoption de l’amendement rétablissant l’article.

Vote sur l’ensemble

Adoption, par scrutin public n° 267, de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

5. Rappel au règlement

M. Roger Karoutchi

6. Loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements. – Rejet d’une proposition de loi constitutionnelle

Discussion générale :

M. Éric Kerrouche, auteur de la proposition de loi constitutionnelle

Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois

M. Charles Guené, rapporteur pour avis de la commission des finances

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Mme Guylène Pantel

M. Antoine Lefèvre

M. Emmanuel Capus

M. Guy Benarroche

M. Julien Bargeton

Mme Cécile Cukierman

Mme Françoise Gatel

M. Roger Karoutchi

Clôture de la discussion générale.

Article 1er – Adoption.

Article 2

Amendement n° 1 rectifié bis de M. Emmanuel Capus. – Rejet.

Adoption de l’article.

Vote sur l’ensemble

Rejet, par scrutin public n° 268, de la proposition de loi constitutionnelle.

7. Communication relative à une commission mixte paritaire

8. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Roger Karoutchi

vice-président

Secrétaires :

Mme Esther Benbassa,

M. Daniel Gremillet.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à revaloriser le métier de secrétaire de mairie
Discussion générale (suite)

Revalorisation du statut de secrétaire de mairie

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, de la proposition de loi visant à revaloriser le statut de secrétaire de mairie, présentée par Mmes Céline Brulin, Cécile Cukierman, Michelle Gréaume, Marie-Claude Varaillas, Éliane Assassi et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 598 [2021-2022], texte de la commission n° 467, rapport n° 466).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Céline Brulin, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et UC.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à revaloriser le métier de secrétaire de mairie
Articles 1er à 3

Mme Céline Brulin, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes jeudi, il est dix heures trente, la secrétaire de mairie de cette petite commune du pays de Caux est arrivée en mairie à huit heures trente. Elle y est en poste chaque fin de semaine. Le reste du temps, elle travaille dans une autre commune, à une trentaine de kilomètres de là : impossible en effet pour les petites communes de recruter un agent à plein temps.

Pour ses collègues, c’est parfois entre trois, voire quatre communes qu’il leur faut se partager. Ce n’est pas forcément déplaisant. Cependant, pour peu que ces communes se situent dans des communautés de communes différentes, les problématiques, les sujets à traiter, les enjeux à prendre en compte sont multipliés d’autant.

Ce matin, notre secrétaire de mairie a décidé de consacrer du temps à l’examen du Plan « 5 000 terrains de sport ». L’équipe municipale a un projet de citystade et lui a demandé de rechercher les subventions dont la commune pourrait bénéficier.

Les éléments ont été envoyés à la fin du mois de février dernier. Toutefois, entre le budget à finaliser, les réunions sur le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) à organiser, les tâches du quotidien à accomplir, elle n’a pas encore eu le temps de s’y pencher.

Le problème, c’est que les dossiers doivent être déposés avant le 31 mai prochain. C’est donc un peu court pour faire aboutir le projet et solliciter les entreprises locales pour obtenir les différents devis.

Il faudra qu’elle en parle au maire. Il est au travail et ne viendra en mairie qu’à la fin de l’après-midi. Elle restera jusqu’au début de la soirée pour pouvoir travailler avec lui.

Plusieurs habitants arrivent en mairie. Leur connexion internet ne fonctionne plus. L’un d’entre eux est en télétravail : il est un peu en colère, car il ne pourra pas assurer ses missions – déjà qu’ici, la fibre n’est pas pour tout de suite… Il a bien essayé de joindre l’opérateur, mais il est tombé sur un répondeur, comme souvent maintenant : « Tapez 1 », « Tapez 2 », « Veuillez répéter votre message, nous n’avons pas compris »… Rien n’y a fait, il n’a pu joindre aucun opérateur qui puisse l’aider.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Cela me rappelle des souvenirs ! (Sourires.)

Mme Céline Brulin. Par conséquent, vers qui s’est-il tourné ? Vers la mairie, qui est le premier, mais parfois aussi le dernier des services publics dans nos communes.

Accueillir les administrés, disposer de compétences en urbanisme, s’occuper de l’état civil, avoir une expertise budgétaire, juridique ou en matière de marchés publics, organiser les élections ou le recensement, parfois gérer les ressources humaines, préparer les conseils municipaux, rédiger les procès-verbaux et les délibérations : les secrétaires de mairie sont polyvalentes, ce sont de véritables « couteaux suisses ».

Mme Céline Brulin. Ce sont les maires qui en parlent le mieux. Ils attendent de pouvoir travailler en symbiose avec la secrétaire de mairie. Combien d’entre eux se sentent complètement démunis quand ces chevilles ouvrières communales viennent à manquer, et ce d’autant plus que la dématérialisation des procédures s’accroît, que les trésoreries se sont éloignées, distendant parfois les liens avec le percepteur, que les intercommunalités se sont agrandies, accentuant les difficultés des plus petites communes à se faire entendre, que l’État abandonne parfois ses propres missions, celles d’assurer l’égalité républicaine, l’égalité territoriale, par exemple, mais se fait plus intrusif et plus procédurier à l’égard des communes ?

J’ai été interpellée voilà un peu plus d’un an par des élus de la Seine-Maritime, parce qu’il manquait une cinquantaine de secrétaires de mairie dans mon département. Il en manque désormais une centaine, d’après l’Association départementale des maires de la Seine-Maritime, et près de 2 000 à l’échelle du pays.

De nombreuses secrétaires de mairie nous font aussi régulièrement part des obstacles qu’elles rencontrent et, surtout, de leurs nombreuses propositions pour faire reconnaître et rendre attractive leur profession.

Je sais que nous en avons tous ici pleinement conscience, comme c’est le cas des associations d’élus qui travaillent depuis plusieurs mois maintenant à des propositions permettant de revaloriser ce métier.

Quelque 30 % des secrétaires de mairie sont appelées à partir à la retraite d’ici à 2030. Il faut donc impérativement en recruter de nouvelles – ou de nouveaux –, faute de quoi le fonctionnement de nos communes, les services qu’elles rendent au quotidien, les projets, les réalisations attendues par les habitants en pâtiront.

Se pencher sur le sort des secrétaires de mairie est une question de justice à l’égard de celles – je dis volontairement celles, car ce sont à 94 % des femmes – qui exercent ce métier mal connu, mal considéré, mal rémunéré.

C’est aussi un enjeu en matière de service public de proximité, de maillage territorial, voire de cohésion nationale.

Nous constatons actuellement un nombre de démissions jamais égalé parmi les élus locaux. Je n’en tire pas de conclusions trop hâtives, mais sans doute le sentiment d’abandon que vivent les élus de nos petites communes et qu’éprouvent d’ailleurs nombre de nos concitoyens n’est-il pas étranger à ce phénomène. Ils ont besoin d’être accompagnés dans des missions qui se complexifient, besoin d’être soutenus dans un engagement qui peut parfois sembler ingrat, besoin que le temps et l’énergie qu’ils consacrent à leur mandat trouvent toute leur utilité, toute leur efficacité.

De ce point de vue, les secrétaires de mairie, leurs compétences, leur rôle aux côtés des maires, des adjoints, de l’ensemble des conseillers municipaux, sont décisifs.

C’est un peu de l’existence même de nos communes qui se joue. Nos communes, au cœur de la République, n’existeraient pas sans les élus qui les font vivre en s’appuyant sur les secrétaires de mairie. C’est vers eux que se tourne même le plus jupitérien des présidents à chaque nouvelle crise. (Sourires.)

Je remercie mes collègues du groupe communiste citoyen républicain et écologiste d’avoir pris l’initiative d’inscrire l’examen de cette proposition de loi dans l’un de nos espaces réservés.

Je remercie également la commission des lois, son président et sa rapporteure, qui se sont emparés du sujet avec bienveillance.

La commission des lois a d’abord exprimé la volonté de mettre en place une formation solide pour les secrétaires de mairie, avec l’instauration d’une formation obligatoire commune dans l’année de leur prise de poste. C’est une demande qui émane des secrétaires de mairie elles-mêmes, elles qui ont trop souvent dû se former sur le tas ou bénéficier de l’apport de leurs prédécesseurs, ce qui est toujours appréciable, mais pas forcément suffisant.

C’est aussi un souhait des élus locaux, des maires en particulier, car leur confiance dans les secrétaires de mairie repose avant tout sur les compétences de ces dernières.

Dans le domaine de la promotion interne, la commission des lois a formulé des propositions afin d’offrir aux secrétaires de mairie des perspectives de carrière, qui font cruellement défaut aujourd’hui. L’établissement des listes d’aptitude par l’autorité territoriale ou, le cas échéant, le président du centre de gestion, devra ainsi mieux tenir compte de l’exercice des fonctions de secrétaire de mairie.

Chacun sait que l’accès aux catégories supérieures de la fonction publique, par voie de concours ou de promotion interne, a un impact concret sur le niveau de rémunération.

Dans le domaine du recrutement, enfin, pour faire face aux difficultés qui se posent avec urgence, la commission des lois s’est déclarée favorable à un élargissement de la possibilité de recourir aux contractuels pour pourvoir des postes de secrétaires de mairie, dans les communes de 1 000 à 2 000 habitants, en cas d’absence de titulaire.

Reste que cette proposition de loi n’épuisera pas, à elle seule, la totalité des sujets liés au métier de secrétaire de mairie. Loin de là !

Beaucoup de mesures sont d’ordre réglementaire et relèvent de votre responsabilité, monsieur le ministre. Je souhaite donc vous interpeller très solennellement.

Nous voudrions ainsi que soit poursuivi le chantier de la formation, initiale et continue, et que des mesures soient déployées pour faire connaître, faire apprécier, rendre accessible et lisible ce beau et indispensable métier.

Le statut des secrétaires de mairie a changé. Avec l’extinction du cadre d’emploi spécifique, reconnu de catégorie A, en 2001, il n’y a plus aujourd’hui de cadre d’emploi particulier qui y soit rattaché.

Des agents titulaires de la fonction publique territoriale des différentes catégories – A, B et C – peuvent exercer ce métier.

Aujourd’hui, les secrétaires en poste appartiennent essentiellement à la catégorie C, avec des salaires nettement insuffisants au regard des responsabilités qui leur incombent, de la technicité dont elles doivent se doter, de la polyvalence des tâches qui rythment leur quotidien.

Monsieur le ministre, entendez que, malgré la bonification indiciaire augmentée de 15 points accordée aux secrétaires de mairie il y a un an – ce qui représente un gain brut de 70 euros par mois –, les secrétaires de mairie sont insuffisamment rémunérées au regard de leurs missions. On ne créera pas le « choc d’attractivité » nécessaire en les maintenant à des salaires à peine plus élevés que le Smic.

Monsieur le ministre, nous voudrions vous faire percevoir que les communes font elles aussi face à une redoutable inflation et à la crise énergétique et que leurs finances sont compliquées.

Vous l’aurez compris, c’est un appel à mieux compenser la revalorisation du point d’indice, décidée voilà quelques mois, à mieux compenser celles qui doivent voir le jour, notamment en direction des secrétaires de mairie.

L’ensemble des membres de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, dont je salue la présidente, l’ensemble de nos collègues et moi-même, nous allons continuer de travailler à cette indispensable revalorisation du métier de secrétaire de mairie. C’est nécessaire pour nos petites communes.

Nous espérons, monsieur le ministre, que vous mesurez l’urgence face à laquelle nous sommes et que vous prendrez les décisions qui s’imposent. Comptez sur nous pour ne rien lâcher sur ce sujet-là aussi. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, et RDSE.)

Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi déposée par Céline Brulin et ses collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste visant à revaloriser le statut de secrétaire de mairie. Je les remercie sincèrement de cette initiative.

Comme l’a rappelé son auteur, cette proposition de loi a pour objectif d’esquisser des réponses face au manque d’attractivité dont souffre aujourd’hui le métier de secrétaire de mairie.

Il s’agit d’une question essentielle, à la fois pour les communes de moins de 2 000 habitants, dont le bon fonctionnement dépend largement du travail considérable accompli par ces agents, et pour les secrétaires de mairie elles-mêmes – ou eux-mêmes –, qui sont aujourd’hui insuffisamment reconnues.

Faute de mesures concrètes et rapides et compte tenu de la pyramide des âges, la pénurie de secrétaires de mairie à laquelle font aujourd’hui face la quasi-totalité des maires ne peut que s’aggraver. Il est donc urgent de répondre au besoin légitime de reconnaissance de ces agents, indispensables à la bonne gestion municipale en milieu rural, et de leur garantir, entre autres, une rémunération et des conditions de travail à la hauteur de leurs responsabilités.

La commission des lois partage donc pleinement l’objectif de cette proposition de loi. Afin de garantir la nature législative de ses dispositions et les rendre pleinement opérationnelles, elle a apporté un certain nombre de modifications au texte initial.

La commission a tout d’abord considéré que la création d’un statut d’emploi de secrétaire de mairie ne serait guère opportune. En effet, un tel statut ne permettrait pas d’offrir des perspectives de carrière améliorées aux secrétaires de mairie et ne constituerait pas non plus un facteur particulier d’attractivité.

En outre, un statut d’emploi serait incompatible avec la spécificité du métier de secrétaire de mairie, lequel, comme vous le savez, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, peut être exercé par des fonctionnaires relevant de quatre cadres d’emplois différents et de trois catégories hiérarchiques distinctes.

En tout état de cause, si la création d’un statut d’emploi relève de la loi, les conditions d’accès à un tel statut relèvent quant à elles du règlement. Il en est de même de la création éventuelle d’un cadre d’emplois et de l’intitulé choisi pour celui-ci.

Pour ces raisons, la commission a supprimé l’article 1er.

La commission a ensuite souhaité conforter la formation des secrétaires de mairie, essentielle au regard de la variété des missions exercées et de la technicité des compétences requises. Elle a substitué aux dispositions initiales des articles 3 et 4 l’introduction d’une formation initiale obligatoire, propre à ces agents.

L’objectif est que chaque secrétaire de mairie dispose, dès sa prise de poste, des outils adaptés pour exercer ses missions. Nous savons en effet combien, une fois en poste, il devient difficile aux secrétaires de mairie de suivre des formations, même de quelques jours, par manque de temps, par éloignement géographique du lieu de formation et, surtout, en raison de la quasi-impossibilité de se faire remplacer.

La commission a par ailleurs estimé nécessaire de garantir des perspectives d’évolution de carrière aux secrétaires de mairie par la voie de la promotion interne, au-delà des dispositions réglementaires qui existent déjà.

Elle a donc modifié l’article 5 de la proposition de loi pour y inscrire la prise en compte obligatoire de l’exercice des fonctions de secrétaire de mairie pour l’établissement des listes d’aptitude par les présidents des centres de gestion.

La commission a enfin souhaité offrir une réponse aux difficultés de recrutement que rencontrent les communes de moins de 2 000 habitants. Elle reconnaît qu’une part de ces difficultés est de nature budgétaire. Elle a toutefois considéré que la création d’un fonds de soutien local, financé par l’État, tel que le prévoyait l’article 6 de la proposition de loi, ne serait pas adaptée. En effet, les communes ont vocation à disposer de ressources libres d’emploi, plutôt qu’à recevoir, pour des dépenses liées au recrutement d’agents, un soutien financier de l’État.

C’est l’occasion de le rappeler : l’autonomie financière dont ont besoin les communes ne saurait passer par une compensation, mais plutôt par une fiscalité adaptée ainsi que par l’indexation de la dotation globale de fonctionnement sur l’inflation.

M. André Reichardt. Tout à fait !

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. En outre, la création d’un nouveau fonds renforcerait la complexité des relations financières entre l’État et les collectivités territoriales. C’est pourquoi la commission a supprimé les articles 6 et 7.

Afin de faciliter le recrutement de secrétaires de mairie par les communes de moins de 2 000 habitants, la commission des lois a en revanche ouvert aux communes comptant entre 1 000 et 2 000 habitants la possibilité de recruter des agents contractuels pour les emplois de secrétaire de mairie à temps complet. Je précise qu’elles peuvent déjà le faire pour les emplois à temps non complet.

Mes chers collègues, la commission des lois vous propose d’adopter cette proposition de loi ainsi modifiée, qui offre des ajustements et des précisions de nature à améliorer la formation et les perspectives de carrière des secrétaires de mairie, d’une part, et à faciliter leur recrutement par les communes, d’autre part.

Tout le monde s’accordera sur le fait que ces aménagements, s’ils sont bienvenus, ne pourront régler à eux seuls la question complexe de l’attractivité du métier de secrétaire de mairie, comme Céline Brulin l’a déjà souligné.

Si le législateur me semble être allé au bout de sa compétence sur le sujet, il revient désormais au pouvoir exécutif de travailler à des évolutions concrètes. J’invite donc le Gouvernement à se saisir de cette question urgente pour revoir, entre autres, les règles relatives à la rémunération et à la carrière des secrétaires de mairie. (Mme Françoise Gatel acquiesce.)

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le savez, les instruments de revalorisation salariale qui existent aujourd’hui présentent de nettes limites, qu’il s’agisse de la mise en œuvre du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (Rifseep) ou de la valorisation de la nouvelle bonification indiciaire (NBI).

Je conviens que l’attractivité d’un métier ne se résume pas à sa fiche de paie. Pour autant, comment s’étonner du manque d’attractivité du métier de secrétaire de mairie – comme de beaucoup d’autres métiers de la fonction publique territoriale –, lorsque la rémunération horaire d’un secrétaire de mairie adjoint administratif principal de première classe comptant trente-deux ans d’ancienneté dans la fonction publique territoriale est de 13,75 euros, soit seulement 2,68 euros de plus que le Smic brut ? La question se pose, en effet !

Dans ces conditions, monsieur le ministre, il est primordial que vous accordiez une attention toute particulière à la situation des secrétaires de mairie dans le cadre des travaux portant sur l’accès, les rémunérations et les parcours professionnels dans la fonction publique que vous venez de lancer.

Enfin, les difficultés à faire connaître le métier de secrétaire de mairie et à moderniser l’image qu’il renvoie auprès des jeunes générations mettent en lumière la nécessité de mener aussi une réflexion de fond sur les moyens d’améliorer la visibilité des métiers de la fonction publique territoriale.

Il est essentiel que les employeurs publics, et notamment les employeurs territoriaux, se dotent d’une véritable politique de communication, qui donne à voir l’extrême variété des carrières à mener.

Monsieur le ministre, vous l’aurez compris, la balle est dans votre camp ! (Applaudissements.)

M. André Reichardt. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre. (M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit.)

M. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques. Madame le rapporteur, je saisis la balle au bond ! (Sourires.)

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, madame la sénatrice Céline Brulin, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez choisi d’examiner un texte qui porte sur un métier essentiel, celui des secrétaires de mairie, cœur battant des communes, en particulier des communes rurales, bras droits des maires, piliers au quotidien pour les habitants.

Ministre en charge de la fonction publique, pas une semaine ne passe sans évoquer ce beau métier, parfois avec les élus locaux, parfois avec les secrétaires de mairie elles-mêmes. Je pense, par exemple, à Sylvie Gibel, qui a lancé une association dans le Gers et un collectif sur Facebook qui rassemble plus de 2 000 secrétaires de mairie.

À chaque occasion, j’ai mesuré à quel point ils – bien plus souvent « elles » – sont un rouage essentiel entre les élus municipaux et la population : budget, état civil, urbanisme, bonne marche des services publics du quotidien – j’en passe…

Pourtant, non sans un certain paradoxe face à ces exigences, c’est l’un des métiers de la fonction publique territoriale dont le profil ou les qualifications requises sont les moins bien définis. C’est probablement aussi l’un de ceux qui sont les plus confrontés à l’enjeu d’une meilleure reconnaissance en termes de rémunération, et ce malgré l’effort accompli en 2022 pour revaloriser la NBI, puisque, trop souvent, l’absence de régime indemnitaire perdure.

En outre, dans les plus petites communes, ce sont des conditions d’emploi souvent rendues compliquées par le partage des fonctions entre plusieurs employeurs.

Autant de facteurs qui jouent négativement sur l’attractivité de ce métier, alors même que la démographie accentuera les tensions en termes de recrutement. Un constat lucide conduit à reconnaître que, d’ici à huit ans, un tiers des secrétaires de mairie seront parties à la retraite.

J’ai souvent eu l’occasion de le dire, les premières maisons France Services, ce sont les guichets des communes. (Marques dapprobation sur toutes les travées.) Alors, disons-le simplement, une secrétaire de mairie qui part à la retraite et qui n’est pas remplacée, c’est comme si l’on fermait une maison France Services.

M. Jérôme Bascher. C’est même pire !

M. Stanislas Guerini, ministre. Nous devons donc agir sans attendre pour rendre ce métier plus attractif, c’est vital pour l’avenir de nos communes et de nos services publics. Je sais que nous partageons cette préoccupation au sein du Gouvernement comme du Sénat.

Dans ces conditions, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à saluer le débat sur l’avenir du métier de secrétaire de mairie que vous nous permettez d’avoir aujourd’hui. Je relèverai deux points.

D’une part, madame la sénatrice Brulin, dans le texte initial de votre proposition de loi, vous avez considéré la fonction de secrétaire de mairie comme un métier à part entière.

M. Jérôme Bascher. C’est le cas !

M. Stanislas Guerini, ministre. Je trouve cette approche pertinente : au-delà des seules caractéristiques statutaires ou catégorielles, elle nous permet de prendre en compte la globalité des conditions d’emploi, de formation, de parcours, quelle que soit l’appartenance statutaire des agents concernés.

Je le dis sans ambiguïté : vous me trouverez toujours défenseur du statut, car je suis convaincu qu’il reste un cadre adapté face aux défis que le service public doit aujourd’hui relever. Personne ne soupçonnera le groupe communiste de vouloir y porter atteinte.

Pour autant, je remercie les auteurs de ce texte de leur pragmatisme, qui nous permet d’avoir aujourd’hui un échange très concret sur cette approche « métier ».

D’autre part, et cela fait écho aux débats que vous avez eus en commission, je confirme que l’essentiel des dispositions envisagées relèvent davantage du champ réglementaire. Cela n’invalide en rien la pertinence des questions soulevées et nous pourrons en toute hypothèse mettre au crédit de ce débat qu’il nous pousse utilement à agir.

Je poursuivrai donc résolument les travaux que nous avons engagés avec les employeurs territoriaux, l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, l’Association des maires ruraux de France ou bien encore la Fédération nationale des centres de gestion, dont je partage une large part des propositions.

À cet égard, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à partager avec vous les orientations que nous poursuivrons, ma collègue Dominique Faure, ministre déléguée en charge des collectivités territoriales et de la ruralité, et moi-même.

Comme cette proposition de loi le suggère, nous souhaitons agir sur plusieurs axes : le recrutement, les compétences, les rémunérations et les parcours.

Premièrement, vous souhaitez élargir le recrutement de contractuels pour les communes jusqu’à 2 000 habitants. J’y suis favorable : ce sera en effet un outil supplémentaire à la main des maires. Toutefois, disons-le clairement, cela ne résoudra pas tout.

C’est pourquoi, comme vous m’y avez appelé, mesdames, messieurs les sénateurs, et j’y réponds, nous nous mobiliserons pour mieux faire connaître ce métier auprès du grand public et démultiplier le vivier des candidats potentiels. Cela passe notamment par un partenariat encouragé par mon ministère entre Pôle emploi, le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et les centres de gestion, pour promouvoir les offres de recrutement et développer des formations pour les demandeurs d’emploi.

Peut-être faudra-t-il donner un autre nom à ce métier, qui traduise mieux ses missions, comme certains amendements en ont l’objet. J’y suis favorable. Je n’ai pas encore d’avis tranché sur cette nouvelle dénomination : je suggère que celle-ci soit examinée avec les secrétaires de mairie elles-mêmes et les employeurs territoriaux.

Je proposerai également que cette fonction puisse être occupée par des profils plus divers, issus de toutes les filières, au-delà même des seules filières administratives. Une réflexion doit être menée en ce sens. Ce sera l’occasion d’élargir le vivier de recrutement. À titre d’exemple, les agents des guichets des maisons France Services pourraient devenir secrétaires de mairie.

Plus largement, sans tabou, il nous faut réfléchir à l’hypothèse qui a été mise en débat, celle de la « fonctionnalisation » de l’emploi de secrétaire de mairie dans les communes de moins de 2 000 habitants. Cela nécessite un travail législatif plus approfondi, mais nous ne devons pas faire l’économie de cette réflexion.

Enfin, je veux apporter des réponses à la problématique des temps non complets et permettre aux intercommunalités et aux centres de gestion de recruter de façon mieux encadrée des agents qualifiés pour les mettre à disposition des mairies et qu’ils y exercent les fonctions de secrétaire de mairie.

Deuxièmement – il me semble que c’est une idée partagée –, il paraît essentiel de bien redéfinir le socle de compétences requis pour être secrétaire de mairie. C’est l’une des priorités auxquelles nous devons nous atteler avec les représentants des employeurs territoriaux. Sur cette base, je plaide pour la mise en place de formations adaptées.

M. Stanislas Guerini, ministre. Il faut d’abord une formation que j’appelle « de qualification » pour les agents qui candidateraient et ne disposeraient pas de ce socle de base. Je le dis clairement : le niveau des responsabilités exercées par un secrétaire de mairie me paraît relever au moins de la catégorie B. Cela ne doit pas empêcher le recrutement d’agents de catégorie C, comme c’est le cas aujourd’hui, mais il faut alors que ceux-ci acquièrent le niveau de qualification requis, grâce à cette formation.

Il convient, par ailleurs, de mettre en place une formation que j’appelle « de professionnalisation », modulée en fonction du parcours antérieur des titulaires : cela rejoint pour partie l’article 4 de cette proposition de loi.

Troisièmement, nous devons agir sur les rémunérations et les parcours.

Si nous « fonctionnalisons » l’emploi de secrétaire de mairie, il nous faudra, pour en déterminer le niveau de rémunération et sa progression, prendre en compte tant la taille des communes que la pluralité des viviers. Il y a donc lieu de définir des solutions innovantes en la matière.

Je me dois, au passage, de rappeler que, s’agissant du régime indemnitaire, les textes actuels offrent d’ores et déjà aux maires des marges importantes. C’est un levier d’attractivité immédiatement mobilisable, même si j’ai conscience que cela représente un certain coût salarial. (Mme Cathy Apourceau-Poly acquiesce.) Toutefois, la mutualisation de l’emploi de secrétaire de mairie entre plusieurs petites communes peut aider à y faire face.

Le parcours de carrière devra être encouragé à tous les niveaux, que ce soit pour valoriser la qualification acquise par un agent de catégorie C exerçant l’emploi de secrétaire de mairie ou pour favoriser, grâce à l’exercice de ce métier, l’accès à des emplois ou corps supérieurs. Je comprends que c’est dans cet esprit qu’a été rédigé l’article 5, même si je n’en partage pas tout à fait la formulation, en un moment où nous cherchons plutôt à alléger les quotas qui encadrent les promotions. Cela fait partie des objectifs que je cherche aussi à atteindre.

Telles sont les pistes de travail qui s’inscrivent en cohérence avec le chantier d’ensemble sur l’attractivité de la fonction publique dont j’ai fait ma priorité et dont j’ai partagé les orientations avec les partenaires sociaux et les représentants des employeurs territoriaux. Telles sont les propositions que j’approfondirai avec eux dès les prochaines semaines et sur la base desquelles je serai heureux de poursuivre le travail, autant que nécessaire, avec les parlementaires.

Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est donc dans cet esprit et avec cette volonté que le Gouvernement s’en remet aujourd’hui à la sagesse de la Haute Assemblée sur cette proposition de loi, qui présente de premières avancées et éclaire le chemin qu’il nous faut poursuivre. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela a été dit, le métier de secrétaire de mairie, s’il est peu connu du grand public, est apprécié de tous les élus locaux et fondamental à leurs yeux.

Si nous devions résumer le rôle des secrétaires de mairie, nous pourrions insister sur le fait qu’elles constituent la clé de voûte de l’échelon communal, ce maillon essentiel permettant d’assurer le dernier service public dans nombre de communes rurales.

Je dis « elles », car 94 % des secrétaires de mairie sont des femmes. Elles doivent disposer de savoir-faire dans les domaines financiers, rédactionnels ou techniques. En outre, elles doivent avoir des qualités humaines et relationnelles, car elles sont en contact avec les administrés, qui sont de plus en plus exigeants, dans tous les territoires.

Elles doivent faire preuve de rigueur alors que la judiciarisation se développe dans notre société et que toute erreur peut avoir des conséquences très importantes pour la commune, le maire et l’ensemble du conseil municipal.

Ce socle de base est en constante évolution. Le métier s’est profondément transformé au cours des dernières années, à l’instar de la politique communale elle-même. Ma collègue Céline Brulin a rappelé le poids des intercommunalités aujourd’hui. Certaines secrétaires de mairie – nous en connaissons tous – exercent dans plusieurs communes qui ne font pas toutes partie de la même intercommunalité. Leur métier est ainsi rendu plus complexe.

De même, la dématérialisation rend l’exercice de ce métier encore plus compliqué, alors qu’elle était destinée à simplifier les démarches.

Aujourd’hui, dans toutes les communes, les secrétaires de mairie gèrent l’urbanisme, les projets d’aménagement, s’occupent de trouver les financements nécessaires aux investissements. Ce sont elles qui reçoivent les usagers.

Disons-le, elles vont bien souvent au-delà des missions qui sont les leurs. Leur statut n’est pas à la hauteur de leur travail et ne reflète pas ce qu’elles représentent au quotidien. Leur rémunération est faible, sachant, en outre, que 62 % des secrétaires de mairie travaillent à temps non complet et que 24 % d’entre elles exercent dans trois communes pour obtenir – Mme la rapporteure l’a rappelé – un salaire « convenable » à la fin du mois. Enfin, 60 % des secrétaires de mairie sont des agents de catégorie C. Pour beaucoup, il est difficile de bien vivre de ce métier.

Aujourd’hui, plus de 1 900 postes demeurent à pourvoir. Le métier manque d’attractivité. En outre, d’ici à 2030, un tiers des secrétaires de mairie en poste aujourd’hui partiront à la retraite. Il est donc urgent de pourvoir les postes non pourvus aujourd’hui, mais aussi d’anticiper les futures vacances de postes si l’on ne veut pas accroître leur nombre total. Pour cette raison, nous avons proposé de travailler sur les enjeux de formation. Il faut par ailleurs également réfléchir à la rémunération. Si l’argent ne fait pas le bonheur, il y contribue tout de même fortement !

Si nous avons déposé cette proposition de loi au mois de mars 2022, c’est parce que nous avons été fortement sollicités les uns et les autres sur la nécessaire amélioration du statut des secrétaires de mairie. Nous sommes pleinement conscients toutefois que tout ne relève pas du domaine législatif. Une partie des solutions relèvent du domaine réglementaire. C’est pour cette raison que nous vous interpellons, monsieur le ministre. Enfin, un travail devra être fait à l’échelon local.

Il ne nous appartient pas ici de décider s’il faudra demain mutualiser l’exercice de ce métier à l’échelle intercommunale, départementale ou autre. Une véritable réflexion sur la mutualisation des compétences et des salaires doit s’engager à l’échelon local et prendre en compte les territoires, la taille des communes, les distances entre elles.

Ce n’est pas une surprise : nous voterons, en l’état, cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Mme Maryse Carrère applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Colette Mélot applaudit également.)

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie les auteurs de cette proposition de loi et le groupe qui a demandé son inscription à l’ordre du jour de nos travaux. C’est une excellente idée.

Ce texte atteste de notre proximité avec les secrétaires de mairie, que nous avons régulièrement au téléphone et qui sont d’indispensables chevilles ouvrières, de véritables couteaux suisses. Nous faisons tous le même constat que celui que vient de faire Céline Brulin à la tribune.

On sait à quel point leur présence est indispensable, notamment en cas de « tuilage » dans les municipalités. Quand un nouveau maire est élu, il se fie évidemment à la secrétaire de mairie. Elle est l’élément de permanence, c’est elle qui transmet les connaissances, qui connaît les dossiers. Les maires qui sont élus pour la première fois et qui n’ont pas participé à beaucoup de conseils municipaux sont amenés à se reposer sur leurs compétences.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si elles se voient remettre régulièrement des médailles communales, départementales et régionales, ces Légions d’honneur des élus, avec qui elles font équipe. (M. André Reichardt acquiesce.) Ces récompenses contribuent à la reconnaissance de leurs mérites, mais cela ne suffit pas.

Le constat les concernant est unanime.

Les secrétaires de mairie assistent les maires évidemment, mais également les citoyens, surtout dans les zones rurales. Elles restent bien souvent le seul « élément » d’humanité pour des populations soumises au diktat de la dématérialisation. Il est vrai, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, que les secrétaires de mairie sont les premières maisons France Services. L’interopérabilité que vous avez proposée entre les maisons France Services et les secrétaires de mairie pourrait effectivement être une solution intéressante.

Le manque d’attractivité de la fonction de secrétaire de mairie est à mettre en parallèle avec le nombre de démissions d’élus, qui n’a jamais été aussi important. Ces phénomènes convergents sont probablement liés – pardonnez-moi l’expression – aux « diarrhées » législatives et réglementaires, aux difficultés d’appréciation et d’interprétation de ces textes, ainsi qu’à cette sorte de raideur administrative dont notre pays a le secret.

Les secrétaires de mairie sont souvent isolées. Peut-être faudrait-il promouvoir le travail en réseau ?

Les centres de gestion veillent aux formations, mais le malaise demeure et le débat reste utile. (Mme Cathy Apourceau-Poly acquiesce.)

J’ai déposé un amendement d’appel visant à proposer un nouveau nom : « secrétaire de mairie » n’est peut-être pas le terme idoine, « collaborateur du maire » non plus, car il s’agit d’une autre fonction. La secrétaire de mairie est là pour la mairie et les concitoyens. Je pense qu’il faut engager une réflexion sur ce sujet. Je vous propose de la mener ensemble, sans avoir recours au cabinet McKinsey (Sourires.) et de trouver ainsi une solution.

M. André Reichardt. Cela coûterait trop cher !

Mme Nathalie Goulet. On a parlé de qualifications, d’augmentation des salaires, mais il faut faire attention, dans le mikado des grades dans la fonction publique territoriale, car il faut maintenir une différence avec les agents qui passent des concours difficiles. C’est un sujet assez compliqué à gérer et sur lequel une réflexion s’impose.

Ce texte est un signal. Il faut poursuivre notre démarche. Nous voterons évidemment avec enthousiasme les dispositions restantes après l’examen du texte par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Guy Benarroche applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC.)

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a très longtemps, l’instituteur du village faisait souvent office de secrétaire de mairie. L’intégration des communes rurales au sein de structures supracommunales et l’évolution des lois et de la réglementation ont considérablement bouleversé la nature des tâches des années 1960.

Aujourd’hui, ces agents, essentiellement des femmes,…

M. André Reichardt. Il y a des hommes aussi !

Mme Maryse Carrère. … constituent un maillon indispensable au bon fonctionnement des petites communes, principalement en milieu rural. Plus la commune est petite, plus leur rôle est décisif !

Elles mettent en œuvre les décisions du conseil municipal, gèrent les ressources humaines, participent à l’élaboration du budget, rédigent les documents administratifs et sont les interlocutrices privilégiées des usagers. Agentes dévouées sur lesquels les maires s’appuient quotidiennement, elles sont devenues de véritables couteaux suisses, comme elles aiment à se définir.

Mais ce métier est en tension : bien que les élus locaux redoublent d’efforts pour susciter des vocations, il attire de moins en moins de candidats et la pénurie va s’aggraver compte tenu des nombreux départs à la retraite qui sont prévus.

Comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, environ un tiers des secrétaires de mairie cesseront leur activité dans les huit prochaines années.

Les raisons de cette désaffection sont bien connues : rémunérations faibles, compétences variées requises, fortes responsabilités et obligation pour beaucoup de cumuler les postes dans plusieurs petites communes pour parvenir à un emploi à temps plein.

En outre, la formation est insuffisante et l’évolution professionnelle n’est pas assez accompagnée.

Le métier concentre à lui seul les difficultés de la fonction publique territoriale.

Cette vague de départs pousse les maires à recruter des profils qui n’ont pas forcément de compétences territoriales ou à procéder dans l’urgence à des mutualisations de postes de secrétaire de mairie, ce qui alourdit encore plus la charge de travail de ces agents.

Au mois de novembre 2021, Amélie de Montchalin, alors ministre de la transformation et de la fonction publiques, promettait plusieurs évolutions « dans un souci de valorisation et de reconnaissance du métier » : une nouvelle appellation de la fonction – « secrétaire général de mairie » –, une revalorisation indiciaire, un accès facilité aux contrats santé et prévoyance, ainsi que des améliorations en matière de formation.

L’idée était intéressante. Pourtant, force est de constater que l’on n’a pas beaucoup avancé sur le sujet. En effet, une seule mesure a été mise en œuvre : la NBI a été revalorisée de quinze points au 1er mars 2022 pour les secrétaires de mairie des communes de moins de 2 000 habitants. Cette mesure est toutefois limitée, comme l’a rappelé notre rapporteure, puisqu’elle ne concerne pas les agents contractuels. En outre, toutes les communes ne semblent pas avoir pris l’arrêté permettant sa mise en place.

La réponse nous semble donc bien insuffisante face au défi qu’il nous faut relever.

Le Syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales a organisé, au mois de septembre dernier, un colloque intitulé : Secrétaire de mairie : « espèce » menacée de la territoriale ou clé de voûte du bloc local au XXIe siècle ? Tout est dit !

C’est pourquoi je salue l’initiative de nos collègues du groupe CRCE, ainsi que le travail de notre rapporteure. Le texte que nous examinons ce matin vise à répondre à un impérieux besoin dans nos territoires et à relancer l’attractivité de ce métier mal connu et mal reconnu.

Je me félicite notamment de l’introduction d’une formation initiale obligatoire propre aux secrétaires de mairie. Adaptée à la spécificité de leurs missions, elle sera dispensée par le CNFPT dans l’année qui suit la prise de poste. C’est une excellente chose !

La proposition de loi, telle qu’elle résulte des travaux de notre commission, met également en place les moyens de leur garantir des perspectives d’évolution de carrière.

Enfin, notre commission a introduit une nouvelle disposition afin de permettre aux communes de 1 000 à 2 000 habitants de recruter des agents contractuels aux postes de secrétaires de mairie. Cette disposition fait débat, y compris au sein du groupe du RDSE. Pour autant, pouvons-nous priver ces communes de la possibilité de recruter un agent contractuel au poste de secrétaire de mairie à temps complet ? Je ne le pense pas. Veillons toutefois à préserver l’évolution dans la fonction publique territoriale.

Monsieur le ministre, vous avez lancé le 1er février dernier les travaux sur l’accès à la fonction publique, sur les parcours et les rémunérations des agents. J’espère que cette réforme d’ampleur sera l’occasion de relancer l’attractivité du métier de secrétaire de mairie.

Avec cette proposition de loi, que le groupe du RDSE votera à l’unanimité, nous vous ouvrons la voie. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, GEST et SER, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Cédric Vial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)

M. Cédric Vial. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a le mérite de nous permettre d’évoquer une problématique que nous connaissons tous dans nos territoires : les difficultés et la faible attractivité du métier de secrétaire de mairie. Il s’agit pourtant d’un beau métier, complet, polyvalent, au service du public. C’est un métier qui a du sens, qui permet de trouver des solutions, bref un métier utile.

Pourtant, ces agents de l’ombre, qui sont souvent la dernière porte accessible des services publics dans nos territoires ruraux, qui sont sur tous les fronts – administratif, juridique, politique, stratégique, mais aussi social –, qui doivent souvent cumuler des postes dans différentes mairies pour espérer occuper un emploi à temps complet, manquent dans nos territoires. Dans de nombreuses communes, les maires doivent cumuler à la fois la fonction de maire et le métier très technique de secrétaire de mairie.

Aujourd’hui, en mars 2023, environ 2 000 offres de postes de secrétaire de mairie sont à pourvoir sur le site emploi-territorial.fr. Il faut se rendre à l’évidence, ces postes n’attirent plus. Et ce n’est qu’un début !

Alors qu’un quart des agents en poste sont âgés de plus de 58 ans et que 60 % d’entre eux ont plus de 50 ans, nous savons d’ores et déjà qu’un tiers des secrétaires de mairie partiront à la retraite au cours des six prochaines années.

En l’espace de vingt ans, ces postes ont été fortement touchés par l’évolution de nos institutions locales, notamment, du fait du transfert des compétences de l’État aux collectivités territoriales.

Les secrétaires de mairie paient le prix fort du désengagement de l’État dans les territoires. Auparavant, lorsque ces agents avaient un doute ou une question, ils pouvaient faire appel aux services de l’État, à la direction départementale des territoires (DDT) ou encore à la trésorerie. Aujourd’hui, ils doivent se débrouiller le plus souvent seuls et le sentiment de solitude ne fait que s’accentuer de réforme en réforme.

La bureaucratie frénétique, en raison d’une législation débordante et d’une réglementation prolifique, rend la mise en œuvre de projets ou d’actions impossible lorsque l’on n’est pas expert. Les secrétaires de mairie doivent-ils être experts en tout ? Nous savons tous ici que ce n’est pas possible.

Nous aurions aussi pu penser que la création des intercommunalités et leur renforcement allaient pouvoir aider les territoires, mais il ressort des retours de terrain qu’ils se sont traduits négativement pour les secrétaires de mairie. Le partage de responsabilités entre la commune et l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) n’est pas si clair qu’on veut le croire.

L’intégration d’une commune au sein d’une intercommunalité se traduit souvent par de nouveaux process et par de nouvelles charges de travail, qui ont pour effet d’accroître le sentiment de déclassement ou de dépossession qu’éprouvent nos secrétaires de mairie.

Toutefois, l’heure est non plus aux constats, mais à l’action !

La proposition de loi soumise à notre examen aujourd’hui, sur l’initiative de nos collègues du groupe CRCE, constitue un début de réponse et nous la voterons, comme, je l’espère, une large majorité du Sénat.

Nous voyons tous dans nos territoires des secrétaires de mairie à bout, usés…

M. Cédric Vial. … et désabusés, ou encore des maires inquiets de ne pas réussir à recruter de secrétaire de mairie, sans qui ils ne peuvent exercer pleinement leurs fonctions et donc leur mandat.

Toutefois, je crains que les secrétaires de mairie ne soient déçus, car cette proposition de loi ne répond malheureusement pas à la totalité des enjeux auxquels nous faisons face. J’en profite pour saluer le travail de la commission des lois et de sa rapporteure, Catherine Di Folco, ainsi que le sens des responsabilités des auteures du texte, Céline Brulin, Cécile Cukierman et Michelle Gréaume, qui ont permis de rendre cette proposition de loi acceptable et consensuelle, grâce à un travail collaboratif et transpartisan. Cette habitude singulière constitue désormais la force du Sénat.

Le travail législatif amorcé aujourd’hui avec cette proposition de loi sera poursuivi dans le cadre d’une mission d’information sur la situation des secrétaires de mairie, dont j’aurai le plaisir d’être le rapporteur aux côtés de mes collègues Catherine Di Folco et Jérôme Durain. Cette mission est une initiative de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, présidée par Françoise Gatel, que je remercie de son soutien.

Cette mission a commencé ses travaux ce matin par l’organisation d’une première table ronde. Notre objectif est de publier un rapport au cours de l’été, dans lequel nous recommanderons les actions à mener tant sur le plan législatif que sur le plan réglementaire pour répondre au désarroi des territoires et embrasser le sujet dans toutes ses dimensions.

Nous devons apporter des solutions concrètes pour améliorer les conditions de travail des secrétaires de mairie, mais aussi rendre plus attractif ce métier, tout en garantissant de la continuité et de la visibilité pour les maires.

Nous ne pouvons pas parler du statut des secrétaires de mairie sans aborder la formation initiale et continue, sans évoquer l’accompagnement de nos secrétaires de mairie vers ces formations, qui doivent être concrètes et tournées vers la pratique du quotidien.

M. le président. Il va falloir conclure…

M. Cédric Vial. La constitution et la réussite du binôme maire-secrétaire de mairie sont le moteur de nos territoires ruraux. Il nous appartient de tout mettre en œuvre pour éviter la panne. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)

M. Philippe Folliot. Très bien !

M. le président. Ne profitez pas de ma générosité naturelle pour prendre l’habitude de gagner chaque fois trente secondes supplémentaires ! (Sourires.) Dans le cas d’espèce, M. Vial ayant adressé de nombreux compliments au cours de son intervention, je les ai retranchés de son temps de parole ! (Mêmes mouvements.)

La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « L’urgent est fait, l’impossible est en cours, pour les miracles, prévoir un délai. » Ce panneau affiché dans la mairie d’une commune rurale reflète bien le quotidien d’une secrétaire de mairie.

Les secrétaires de mairie sont les interlocutrices privilégiées de la population. Vous me permettrez l’emploi du féminin puisqu’il s’agit, pour l’immense majorité, de femmes. Ajoutons que le tandem que forment le ou la maire et sa secrétaire de mairie est un élément déterminant de la réussite du mandat municipal. Nous avons là le premier maillon de la République de proximité, qui assure le maintien du service public dans tous les territoires.

Les secrétaires de mairie organisent et assurent l’accueil des usagers du service public, aident nos administrés à réaliser les démarches administratives les plus essentielles. Elles font le lien entre les citoyens et les élus. Je salue leur engagement quotidien. Je remercie le groupe CRCE d’avoir déposé cette proposition de loi.

Disponibles et accessibles, les secrétaires de mairie participent à endiguer la fracture numérique. C’est tout particulièrement le cas en milieu rural, où elles représentent bien souvent l’unique guichet de proximité. Elles sont essentielles au bon fonctionnement des services publics locaux. Nous tous ici présents pouvons en témoigner, pour en avoir côtoyé au cours de nos mandats et de nos engagements dans nos territoires.

Leurs missions quotidiennes sont multiples, à l’image de la grande diversité de leurs profils : elles s’occupent de la comptabilité, du montage des dossiers de demandes de subventions, de la réponse aux sollicitations diverses des habitants ou encore de la gestion du personnel.

La formation dont bénéficient à ce jour les secrétaires de mairie est insuffisante sur le fond et inadaptée sur la forme. Le Sénat, chambre des territoires, s’est fait l’écho des remontées des associations d’élus locaux à cet égard.

Si je salue le dépôt de cette proposition de loi, force est de constater que le texte initial souffrait d’un certain nombre de lacunes. Les amendements de la rapporteure, dont je salue le travail, pallient les failles évoquées en commission.

Le texte que nous examinons aujourd’hui permet de véritablement améliorer l’exercice de ce métier de plus en plus complexe.

Ainsi, la création d’une formation obligatoire est une avancée concrète. Elle sera dispensée à l’ensemble des secrétaires de mairie de France par le Centre national de la fonction publique territoriale. Nous pouvons nous en féliciter.

Méconnues, parfois délaissées, les secrétaires de mairie sont le cœur battant de nos communes, notamment des plus petites d’entre elles. Il est donc essentiel d’apporter des réponses à la faible attractivité de leur métier, aux difficultés de recrutement et à la pénibilité des missions qu’elles exercent.

Accompagner les usagers face à la digitalisation des démarches administratives, actualiser les compétences, développer de nouveaux savoirs, échanger sur les bonnes pratiques : les évolutions prévues dans ce texte constituent des réponses qui permettront d’atteindre ces objectifs.

Pour ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera cette proposition de loi, telle qu’elle a été modifiée en commission. (MM. Jean-Baptiste Lemoyne et Jean-François Longeot applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’heure où le fait politique n’est plus compris, où l’élu de proximité demeure l’élu préféré des Français, l’action concrète du maire au plus proche du quotidien de nos concitoyens et à l’écoute permanente de ses administrés constitue l’un des liens les plus solides qui perdure alors que beaucoup trop de Français sont perdus et s’interrogent sur le fonctionnement et parfois sur la légitimité du millefeuille territorial. Ils se demandent comment tout cela marche !

La proposition de loi soumise à notre examen aujourd’hui porte sur l’un des rouages clés du fonctionnement de cet échelon local, essentiel pour les petites communes : le poste de secrétaire de mairie.

Véritable interface entre les élus, l’administration et les citoyens, la secrétaire de mairie, métier qu’exercent en très grande majorité des femmes, à hauteur de 94 %, ne bénéficie pas d’un cadre ou d’un statut conforme aux missions qui lui sont dévolues. Le manque de reconnaissance de ce métier pourrait accroître au cours des prochaines années les difficultés de recrutement que l’on connaît déjà, sachant que l’âge moyen de ces personnels est de 50 ans et que près de 2 000 postes sont aujourd’hui vacants.

Nos collègues du groupe CRCE ont tenté d’apporter une solution à ce problème latent en proposant un statut innovant pour ces employés essentiels au bon fonctionnement de nos territoires, particulièrement, comme le rappelait la rapporteure, au fonctionnement des communes de moins de 2 000 habitants, qui représentent plus des trois quarts des communes françaises.

La commission, lors de ses travaux, a modifié le texte, mais l’urgence d’agir en faveur de la revalorisation de ce métier demeure. À cet égard, je regrette le refus de la commission de créer un statut spécifique de secrétaire de mairie.

Mme la rapporteure, que je remercie, a indiqué lors des travaux de la commission, qui ont abouti à la suppression des trois premiers articles du texte, que « les dispositions relatives aux cadres d’emplois (intitulé, conditions d’accès, grille indiciaire) ne relèvent toutefois pas de la compétence du législateur ». La commission a donc « préféré substituer aux dispositifs proposés l’instauration d’une formation initiale commune à l’ensemble des secrétaires de mairie, quel que soit leur statut, ainsi qu’une mesure visant à favoriser la promotion interne des agents exerçant ces fonctions ».

Le choix d’étendre à l’ensemble des communes de 1 000 à 2 000 habitants la possibilité de recruter des contractuels à ce poste me semble toutefois être un aménagement insuffisant. Le temps des mesures ponctuelles doit se terminer. Nous ferons appel au Gouvernement à cet effet. Il faut prévoir une reconnaissance spécifique de ce métier.

La contractualisation à plus grande échelle nous pose problème, vous le savez, compte tenu du fait que les deux tiers de ces personnels exercent à temps partiel et que près d’un quart d’entre eux travaillent dans plusieurs communes. Nous aurions préféré une réflexion plus étendue, monsieur le ministre, sur une éventuelle mutualisation à l’échelon intercommunautaire et sur le partage du personnel entre les communes.

Comme notre commission l’a rappelé, ce métier est exercé, « outre par des agents contractuels, par des fonctionnaires territoriaux appartenant à l’un des quatre cadres d’emplois suivants : celui des secrétaires de mairie (catégorie A), mis en extinction en 2001 ; celui des attachés territoriaux (catégorie A) ; celui des rédacteurs territoriaux (catégorie B) ; et celui des adjoints administratifs (catégorie C) ». Pour autant, nous partageons tous le même constat et la volonté de sécuriser au mieux le fonctionnement des mairies grâce à la pérennisation et à la valorisation des secrétaires de mairie.

La pérennisation, la visibilité sur les perspectives de carrière et de formation des secrétaires de mairie, qui exercent un métier particulier, sont la clé de la consolidation et de la reconnaissance de leur travail.

La spécificité du rôle des secrétaires de mairie nécessite une formation, que notre commission a choisi à juste titre de généraliser, et ce quel que soit le cadre d’emploi. Cette formation sera dispensée par le Centre national de la fonction publique territoriale.

Je profite de cette discussion générale pour saluer le dévouement de ces personnels, véritables clés de voûte de l’échelon local, dont l’appui juridique, administratif et technique, particulièrement lors de la préparation des budgets, permet le bon fonctionnement de nos communes, ainsi que la mise œuvre de leurs actions et de leurs politiques locales.

Notre groupe votera donc ce texte. À son tour, il appelle le Gouvernement à se saisir enfin pleinement et rapidement de ces questions majeures pour des agents à qui nous devrions permettre plus que jamais de travailler dans des conditions dignes et convenables afin d’assurer un service public de qualité et accessible pour tous.

Tout comme la commission, nous encourageons le Gouvernement à bien prendre en compte les rémunérations et les parcours professionnels de ces personnes, dans le cadre des travaux portant sur l’accès, les rémunérations et les parcours professionnels dans la fonction publique, lancés le 1er février dernier par le ministère de la transformation et de la fonction publiques.

M. le président. La parole est à M. Alain Richard. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Alain Richard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous utilisons dans bien des circonstances le mot « indispensable », parfois de façon un peu imagée, mais il est à prendre au sens propre lorsqu’il qualifie les secrétaires de mairie. On ne peut pas se dispenser de ces agents polyvalents, qui assurent le support administratif et juridique de toutes nos collectivités.

Il est donc très heureux que la proposition de loi de nos collègues du groupe CRCE nous donne l’occasion d’avoir un débat sur ce métier. Mais il faudra mener celui-ci jusqu’à sa vraie conclusion, dont nous savons bien qu’elle impliquera le Gouvernement.

D’abord, nous devons procéder à une redéfinition de cet emploi, mieux caractériser et actualiser l’ensemble des aptitudes qu’il requiert et des fonctions qu’il recouvre. Ainsi, le profil de recrutement tiendra compte des transformations récentes que ce métier a subies.

Cela dit, l’édifice statutaire commence à montrer ses limites. Il apporte, d’abord, une garantie de droits professionnels. Il est assorti d’un schéma, conçu à la Libération et fondé sur une nomenclature de l’intégralité des emplois et des grades, assortie d’une échelle indiciaire complètement uniforme.

Cela ne date pas d’hier : au cours de ma carrière administrative, j’ai maintes fois observé que, à mesure que sont apparues des spécialités ou des spécificités professionnelles qui échappaient à cette grille initiale, la seule solution était la contractualisation.

Nous devons faire le maximum pour rétablir l’attractivité de ces fonctions et leur donner une visibilité durable. Pour commencer, nous devons nous assurer que toutes les personnes qui les exercent de manière permanente et professionnelle sortent de la catégorie C. Cela n’a plus aucun sens de les y maintenir, car le niveau de qualification requis est bien supérieur à ce que représente la catégorie C. Il faut donc définir de façon urgente un schéma de reclassement, pour l’ensemble de ces personnels, fondé sur la reconnaissance des acquis de l’expérience.

Il faut ensuite que nous fassions du « hors norme » en ce qui concerne la rémunération, car les marges du Rifseep ne sont pas suffisantes et ne permettront pas, compte tenu des différents systèmes de chaînage des indices qui l’encadrent, d’arriver à un niveau suffisant d’attractivité et de reconnaissance. Nous serons sans doute amenés – et c’est l’un des apports de cette proposition de loi – à autoriser le recrutement sur contrat, avec une marge d’appréciation sur la rémunération, l’ensemble des secrétaires de mairie dans des communes de moins de 2 000 habitants.

Il y a une composante qui est peut-être plus perceptible en périphérie des grandes villes, où la tension immobilière est importante : le droit actuel, monsieur le ministre, ne permet pas à une commune de loger sa secrétaire de mairie – je remercie d’ailleurs la rapporteure de m’avoir aidé à clarifier ce point. Une mairie qui loge sa secrétaire de mairie ou qui lui loue un logement à un loyer très inférieur au prix du marché se place dans l’illégalité. Il faut certainement donner de la liberté sur ce point, qui est un élément de l’attractivité et contribue à la possibilité réelle d’exercer cet emploi dans le cours d’une carrière.

Tout cela aura des conséquences sur les finances communales. Je crois donc, monsieur le ministre, que nous pouvons vous donner rendez-vous à la prochaine loi de finances. Le paquet de mesures destinées à rétablir l’attractivité et la visibilité de ces fonctions doit être bouclé avant l’été. Comme il aura des implications financières, que j’évalue à 2 000 ou 3 000 euros annuels pour quelque 30 000 communes, il serait légitime que celles-ci fassent l’objet d’une catégorie au sein du calcul de la DGF. Nous devons donc vous donner rendez-vous avant même la loi de finances ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Guy Benarroche applaudit également.)

M. le président. Le ministre aura pris note !

La parole est à M. Hussein Bourgi.

M. Hussein Bourgi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je salue l’initiative de notre collègue Céline Brulin et de ses camarades du groupe CRCE, qui nous permet de répondre à quelques-unes des attentes des secrétaires de mairie qui officient dans nos communes.

Je remercie également Catherine Di Folco, rapporteure de la commission des lois, pour l’exhaustivité et la richesse des auditions qu’elle a menées.

Cette proposition de loi est particulièrement bienvenue, car elle nous donne l’occasion de nous pencher sur le sort des secrétaires de mairie. Leur métier est méconnu ou peu connu du grand public, mais ô combien précieux dans les communes. Que serait une équipe municipale, en effet, sans secrétaire de mairie ? À la fois juristes, fiscalistes, trésoriers et trésorières, urbanistes, rédacteurs et rédactrices, mais aussi parfois assistantes sociales, psychologues, conseillers et conseillères d’orientation, les secrétaires de mairie sont souvent l’incarnation du service public municipal – un service public à visage humain, accessible à toutes et à tous. Dans les villages, le secrétaire de mairie est souvent appelé par son prénom. C’est dire le lien, fort, qui l’unit à la population.

Les secrétaires de mairie sont, au quotidien, les partenaires du maire et de son équipe municipale. Ils aident à la conception et à la mise en œuvre des décisions des élus. Ils contribuent à l’efficience des politiques publiques locales. Disons-le, sans flagornerie et sans ambages : sans les secrétaires de mairie, les communes, notamment en milieu rural, n’existeraient tout simplement plus.

Pourtant, malgré son intérêt et sa polyvalence, ce métier connaît une perte d’attractivité évidente, si bien que les collectivités, notamment celles de moins de 2 000 habitants, peinent à recruter – et que dire de celles de moins de 1 000 habitants ?

Les perspectives sont inquiétantes : d’ici à 2030, un tiers des secrétaires de mairie partiront à la retraite, sans qu’un renouvellement générationnel soit assuré. Si l’on ajoute leur crise de vocation à celle qu’on observe chez les élus locaux, en particulier chez les maires, nous allons droit à la catastrophe, monsieur le ministre !

Venons-en aux trois articles de cette proposition de loi qui restent en discussion.

L’article 4 prévoit une formation obligatoire dispensée par le CNFPT pour l’ensemble des secrétaires de mairie, dans un délai d’un an à compter de leur prise de poste. Puisqu’il confère un caractère indispensable à cette formation, cet article est bienvenu, au regard de la multiplicité des tâches que devront accomplir les secrétaires de mairie et de la complexification permanente de la législation et de la réglementation.

Pour autant, le dispositif adopté en commission n’évoque pas le régime d’absence qui encadrerait son application. Ce silence pourrait mettre à mal l’efficience de cette mesure.

L’article 5 vise à garantir des perspectives d’évolution de carrière pour cette profession en prévoyant une part de secrétaires de mairie dans l’établissement des listes d’aptitude. C’est un levier bienvenu à cette fin.

Nous sommes plus réservés sur la philosophie de l’article 5 bis. Si nous comprenons et connaissons les difficultés de recrutement dans les communes de moins de 2 000 habitants, nous ne sommes pas pour autant convaincus qu’il soit utile d’y permettre le recrutement de contractuels. Le relèvement du plafond de 1 000 à 2 000 habitants reviendrait en fait à répartir la pénurie et conduirait à une forme de concurrence entre les communes de 1 000 à 2 000 habitants et celles de moins de 1 000 habitants, qui disposent souvent de moins de moyens.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain reste persuadé que d’autres voies peuvent être envisagées pour redonner à la profession son attractivité.

Le premier levier est celui de la rémunération. Un effort a été fait, monsieur le ministre, avec le décret du 28 février 2022 sur la NBI pour les postes de secrétaire de mairie au sein des communes de moins de 2 000 habitants. Mais cette mesure se heurte à deux écueils : elle reste insuffisante, tout d’abord, pour atteindre un niveau de rémunération décent, au regard des responsabilités exercées ; de plus, la charge de cette revalorisation est portée par les collectivités locales, qui n’ont souvent pas les moyens de financer une telle disposition – même lorsque plusieurs communes salarient un même secrétaire de mairie, comme je le vois parfois dans l’Hérault, chacun se renvoyant alors la balle.

L’article 6 de cette proposition de loi apportait un début de réponse, par la création d’un fonds de soutien local. La forme retenue n’était sans doute pas la bonne, mais la question soulevée aurait mérité un débat en séance. Comme l’a dit Alain Richard, nous aurons l’occasion d’y revenir, monsieur le ministre ! Sur un sujet aussi sérieux, nous ne pouvons pas nous contenter d’un jeu de ping-pong permanent entre vous-même, Christophe Béchu, Gabriel Attal et Dominique Faure. Le Gouvernement doit s’accorder sur une réponse substantielle et sérieuse à apporter à ce problème, qui préoccupe fortement bien des élus municipaux.

Pour l’heure, nous voterons cette proposition de loi, en prenant date pour l’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-François Longeot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est grand temps que nous prenions en compte l’importance du rôle stratégique que jouent les secrétaires de mairie dans notre pays. Il m’est donc impossible de commencer sans saluer l’initiative de nos collègues du groupe CRCE, qui contribue à mettre sur le devant de la scène la situation de nos secrétaires de mairie.

Ces 14 000 agents publics, souvent des femmes, sont les gardiens des bases administratives de nos villages et de nos communes. Ils sont les premiers acteurs de notre société à être en contact direct avec les citoyens : ils reçoivent et traitent leurs demandes, leurs réclamations, leurs doléances.

Ces secrétaires sont les collaboratrices directes du maire et de la municipalité. Elles œuvrent au bon fonctionnement du service public local chaque jour, sans compter ni leur temps ni leurs heures, et jouent le rôle, si essentiel, de trait d’union entre les administrés, les élus et les autres administrations.

Malheureusement, ce métier n’est pas suffisamment reconnu. Les secrétaires de mairie sont souvent considérées comme des employées administratives de bas niveau – excusez-moi ce terme – alors qu’en réalité elles ont des responsabilités importantes et larges.

En effet, elles organisent les services de la commune, élaborent concrètement le budget, gèrent ses ressources humaines, l’état civil, l’urbanisme, les délibérations, les arrêtés, etc. De plus, les secrétaires municipales doivent constamment s’adapter à la complexité et aux mutations des procédures administratives.

Faute de candidatures, le recrutement de secrétaires de mairie s’avère de plus en plus difficile. Les causes sont connues : exigence technique et juridique des missions, rémunération trop faible, obligation de cumuler plusieurs postes pour parvenir à un temps plein. Cette pénurie risque de s’aggraver, car un tiers des secrétaires de mairie en poste partiront à la retraite d’ici à 2030.

Il est donc temps de prendre des mesures concrètes pour revaloriser le statut des secrétaires de mairie en France. Nous devons reconnaître leur importance et leur rôle crucial dans l’administration locale, en leur offrant une formation adéquate et en leur octroyant des primes et des augmentations de salaire à la hauteur de leurs compétences.

De plus, nous devons également revoir leur classification et les faire bénéficier d’une progression de carrière qui prenne en compte l’ancienneté et les compétences acquises.

Enfin, il est urgent de mettre en place des dispositifs de sécurité appropriés pour garantir leur sécurité au travail et leur permettre de faire face aux incivilités ou aux agressions physiques dont elles peuvent être, de plus en plus fréquemment, victimes.

Pour conclure, il nous faut rendre plus attractif ce métier très diversifié, qui demande de nombreuses qualités sur les plans professionnel et humain. Les secrétaires de mairie sont un maillon incontournable de la vie communale. Elles sont l’avenir de nos communes. Il devient plus qu’urgent de leur donner la reconnaissance qu’elles méritent.

Mme Françoise Gatel. C’est vrai !

M. Jean-François Longeot. Ce serait là un investissement essentiel pour le bon fonctionnement de nos collectivités. Notre groupe votera ce texte sans aucune hésitation. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI et CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin.

Mme Béatrice Gosselin. Monsieur le ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme cela a déjà été dit, le métier de secrétaire de mairie est celui qui est le plus en tension dans la fonction publique territoriale. Alors que cette profession est indispensable au bon fonctionnement de l’administration de nos communes rurales, le métier souffre d’un manque de reconnaissance comme d’une profonde méconnaissance de la réalité des fonctions exercées.

Le secrétaire de mairie assure des tâches essentielles en matière de budget, d’état civil, d’élections et de recensement, de gestion funéraire, ou encore d’urbanisme et de marchés publics. Et, parfois, il gère aussi les ressources humaines de la commune. Toutes ces tâches s’effectuent évidemment en même temps que l’accueil du public. Véritable couteau suisse de nos petites collectivités, le secrétaire de mairie est la première personne que l’administré rencontre lorsqu’il se heurte à une difficulté dans sa commune.

Sur les 368 communes de moins de 2 000 habitants de la Manche, 260 ont un seul agent et, pour plus des deux tiers, ce sont des adjoints administratifs de catégorie C.

De cette spécificité statutaire, sans équivalent pour d’autres métiers de la fonction publique, découle notamment l’absence de concours, propre au métier de secrétaire de mairie, et donc un certain manque de visibilité pour des candidats éventuels.

Sur le terrain, nous le constatons, les secrétaires de mairie sont en quasi-totalité des femmes, et relèvent majoritairement de la catégorie C. La plupart d’entre eux travaillent de manière isolée et sont secrétaires à temps partiel de deux ou trois mairies différentes au cours de la semaine. Dans la Manche, seuls 38 % sont des postes occupés à temps plein et, parmi les postes à temps partiel, 60 % représentent moins de dix-sept heures trente par semaine.

D’ailleurs, certains EPCI, conscients du déficit d’attractivité d’un emploi à temps partiel, favorisent des postes à temps complet en proposant une mutualisation des horaires sur plusieurs petites communes.

Enfin, l’appellation « secrétaire de mairie » apparaît aujourd’hui quelque peu désuète et ne correspond assurément plus à la nature des fonctions exercées par les agents concernés. Cependant ce titre reflète un sentiment d’accessibilité et de proximité et reste plébiscité par les habitants.

Quelles sont les pistes envisageables pour remédier à ces problématiques d’attractivité, d’autant plus sensibles dans un contexte de quasi-plein emploi comme celui de la Manche ?

Plutôt que de créer un fonds de soutien ad hoc, comme le prévoyait à l’origine la proposition de loi, la commission des lois a ouvert aux communes de moins de 2 000 habitants la possibilité de recruter des contractuels pour leurs emplois permanents de secrétaire de mairie. Cette disposition n’était possible auparavant que pour les communes de moins de 1 000 habitants.

Il est également plus pertinent de privilégier l’autonomie financière des communes, qui doit passer non pas par une compensation, mais par une fiscalité adaptée, ainsi que par l’indexation de la DGF sur l’inflation.

S’il n’existe pas de concours propre au métier de secrétaire de mairie, une formation académique spécifique, destinée aussi bien aux étudiants qu’à des actifs en reconversion professionnelle, est en cours de développement. Certaines universités organisent en effet, en partenariat avec les centres de gestion, des formations en alternance, qui conduisent à l’octroi d’un diplôme universitaire. C’est le cas de la licence professionnelle « métiers de l’administration des collectivités territoriales » du pôle universitaire d’Alençon.

Un partenariat entre Pôle emploi et le CNFPT, qui associerait également l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) et l’association Régions de France, pourrait permettre la mise en œuvre de formations au métier de secrétaire de mairie à destination des demandeurs d’emploi.

Toutes ces initiatives ou ces pistes envisageables ne sauraient nous dispenser d’une réflexion de fond sur les moyens d’améliorer l’attractivité de la fonction publique territoriale.

Les employeurs publics, notamment territoriaux, doivent avoir une véritable politique de communication, pour mettre en avant l’extrême variété des métiers proposés et des carrières à mener.

Surtout, les récentes mesures ponctuelles de revalorisation restent limitées dans les faits. Seule une véritable réforme globale des règles de rémunération pourrait rendre cette profession plus attractive.

S’agissant de la promotion interne, vous avez récemment indiqué, monsieur le ministre, que le projet de refonte des modalités d’accès, de parcours et de rémunération intégrera une réflexion sur les règles de promotion dans la fonction publique territoriale, à laquelle les employeurs territoriaux seront associés, et je m’en félicite. Ainsi, il pourrait être proposé que les centres de gestion fixent les quotas selon les besoins locaux en termes d’emplois.

Enfin, l’État pourrait envisager des modalités d’accompagnement financier des centres de gestion qui s’engagent dans des initiatives innovantes, par exemple en développant la mission de tutorat.

Je salue l’excellent travail de nos collègues du groupe CRCE et du rapporteur Catherine Di Folco, qui pose les bases de ce métier. Sa refonte permettra une revalorisation essentielle qui, je l’espère, sera à la hauteur des espérances de la profession.

Le groupe Les Républicains votera le texte modifié par le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Rémi Cardon.

M. Rémi Cardon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour commencer, je veux rendre hommage à notre collègue Céline Brulin et à ses collègues et camarades du groupe CRCE. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson. C’est un réflexe !

M. Rémi Cardon. Ils utilisent leur niche parlementaire pour mettre en lumière une profession ayant une réelle importance dans nos territoires.

La réalité du poste de secrétaire de mairie est bien plus vaste que nous ne saurions l’imaginer. Sans elles…

M. Rémi Cardon. … – la profession est à 94 % féminine –, nous n’aurions plus ce lien précieux qui unit au quotidien citoyen et République.

Hier, elles étaient les couteaux suisses de la République. Elles le sont toujours aujourd’hui, mais elles sont aussi devenues les perles rares de la République.

À la fois juristes, trésorières, urbanistes, ou encore rédactrices, mais aussi parfois assistantes sociales ou conseillères sur le numérique, là où les services publics ou France Services font défaut, les secrétaires de mairie sont à la fois le premier et le dernier visage du service public municipal, accessibles à tous nos concitoyens.

Au quotidien, elles mènent un travail dantesque et permettent à nos villes et à nos villages de vivre en tant qu’entités politiques et administratives fonctionnelles. Elles apportent un appui technique et humain précieux, qui participe à la vie de nos communes et donne pleinement du sens à la promesse républicaine.

Pourtant, ce maillon essentiel du lien entre la République et le citoyen n’est pas valorisé comme il le faudrait. Faible rémunération, statut précaire, multiplications des temps partiels et des difficultés attachées : ce métier connaît une perte d’attractivité évidente, si bien que les collectivités, notamment celles de moins de 2 000 habitants, peinent à recruter.

Il manquerait aujourd’hui près de 1 900 secrétaires de mairie sur l’ensemble de notre territoire. Et, d’ici à 2030, plus du tiers des secrétaires de mairie partiront à la retraite, sans qu’un renouvellement générationnel soit assuré au sein de la profession.

Cette proposition de loi entend poser le premier jalon d’une revalorisation du statut de secrétaire de mairie, et nous l’accueillons positivement. Si ce sujet relève quasi exclusivement du domaine réglementaire, cette proposition de loi ouvre un débat utile sur l’attractivité de ce métier décisif pour nos collectivités et essentiel pour notre République.

Nous prenons acte des amendements adoptés en commission des lois. Mme la rapporteure a cherché à rendre ce texte plus opérationnel. Mon collègue Hussein Bourgi s’est exprimé avant moi : le groupe SER estime que d’autres pistes existent pour valoriser cette profession, à commencer par la rémunération. Le décret du 28 février 2022 – pris juste avant l’élection présidentielle – est très insuffisant. L’augmentation de 70 euros brut par mois qu’il prévoit ne permet pas de porter la rémunération à la hauteur des responsabilités exercées. De plus, son coût est supporté par les collectivités territoriales. Il faudra donc en reparler lors de l’examen du projet de loi de finances, comme l’a dit Alain Richard.

À ce propos, le Gouvernement peut et doit…

M. le président. Vous êtes arrivé au terme de votre temps de parole.

La parole est à Mme Véronique Del Fabro. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson. Le meilleur pour la fin ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Véronique Del Fabro. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le constat est alarmant : d’ici à 2026, année où commencera le prochain mandat municipal, plus de 150 secrétaires de mairie en poste dans des communes de Meurthe-et-Moselle partiront à la retraite ; et 80 % des communes de ce département comptent moins de 2 000 habitants.

Ce n’est pas une exception : à l’échelon national, ce sont 42 % des secrétaires de mairie qui partiront dans les dix prochaines années.

Le métier de secrétaire de mairie, peu valorisé et complexe, souffre d’une crise d’attractivité, et les mairies font face à une pénurie sans disposer de moyens pour y remédier.

Le secrétaire – ou plutôt la secrétaire – est un collaborateur essentiel et direct du maire, et un véritable relais pour les habitants. Elles sont le savoir, et bien souvent la mémoire, des communes. Les élus passent, les secrétaires restent…

L’accroissement des compétences communales et intercommunales fait considérablement évoluer ce métier. Les tâches effectuées à ce poste sont diverses et variées : aide à l’élaboration du budget, suivi de celui-ci, gestion des ressources humaines, rédaction de courriers, état civil, listes électorales, cimetière, etc. Certaines secrétaires de mairie, même, montent les dossiers de subvention, y compris pour le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), particulièrement complexes.

Bien qu’indispensables, ces professionnelles ne sont pas suffisamment connues ni reconnues à leur juste valeur.

Les raisons de la pénurie sont nombreuses : manque d’attractivité du métier, faible rémunération, temps partiel, etc. Nombre d’entre elles travaillent pour de petites communes ou des syndicats, et doivent utiliser des outils différents, avec des préfectures, des intercommunalités, des trésoreries différentes, ce qui nécessite de leur part une grande adaptabilité.

Le mal-être est palpable. Les réseaux sociaux valent ce qu’ils valent, mais le groupe Facebook que certaines animent révèle un malaise certain.

Changer l’intitulé du poste n’est pas la solution, monsieur le ministre. Mais c’est une solution pour refléter davantage la réalité et les responsabilités de ce métier.

Un autre aspect, très important, est la formation initiale. En Meurthe-et-Moselle – comme dans la Manche –, le centre de gestion a décidé de créer en 2018, en partenariat avec l’Université de Lorraine, un diplôme universitaire « secrétaire de mairie – gestionnaire administratif ». Cette formation qualifiante et diplômante permet d’apporter les connaissances théoriques et pratiques, puisque le stage de huit mois est souvent effectué dans une commune où la secrétaire de mairie s’apprête à partir à la retraite. À l’issue de cette formation, le taux d’insertion professionnelle est de 90 %.

Il est nécessaire de généraliser ce diplôme universitaire au niveau national pour tenter de répondre à la pénurie de la profession.

Les moyens des communes rurales étant limités, certaines communes n’hésitent pas à mutualiser le recrutement afin d’offrir à ces femmes des postes à temps complet, des avantages sociaux, et même une formation. Cette formation est un enjeu pour la bonne continuité du service public, notamment dans les petites mairies.

Nous devons offrir à ces personnels des conditions de travail décentes, des rémunérations justes et des formations régulières, pour leur permettre de s’adapter aux évolutions du métier. Cela permettra de garantir un service public de qualité et d’assurer la continuité de nos communes.

C’est pourquoi le groupe Les Républicains est favorable à cette proposition de loi telle qu’elle a été adoptée par la commission, et remercie le groupe CRCE d’en avoir pris l’initiative. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Cécile Cukierman et M. Jean-Pierre Corbisez applaudissent également.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à revaloriser le métier de secrétaire de mairie

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à revaloriser le métier de secrétaire de mairie
Article 4

Articles 1er à 3

(Supprimés)

Articles 1er à 3
Dossier législatif : proposition de loi visant à revaloriser le métier de secrétaire de mairie
Article 5

Article 4

Le code général de la fonction publique est ainsi modifié :

1° La sous-section 2 de la section 3 du chapitre II du titre II du livre IV est complétée par un article L. 422-34-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 422-34-1. – Outre la formation initiale dont ils bénéficient en application des statuts particuliers dont ils relèvent, les agents qui occupent un emploi de secrétaire de mairie reçoivent, dans un délai d’un an à compter de leur prise de poste, une formation adaptée aux besoins des collectivités concernées. » ;

2° Après le troisième alinéa de l’article L. 451-6, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Il définit et assure la formation des agents publics occupant un emploi de secrétaire de mairie dans les conditions prévues à l’article L. 422-34-1. »

M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, sur l’article.

Mme Françoise Gatel. Je salue l’initiative de Céline Brulin et de ses collègues du groupe CRCE. Cette proposition de loi est bienvenue parce qu’elle place sous les projecteurs la fonction de secrétaire de mairie, qui constitue un maillon essentiel de l’action publique de proximité, et qui se trouve actuellement en difficulté, ce qui participe certainement à la fatigue des maires.

Ce texte nourrira sans aucun doute le travail sur l’attractivité de la fonction publique territoriale qui vient d’être lancé, ce matin, par la délégation aux collectivités territoriales, et qui sera conduit par Catherine Di Folco, Jérôme Durain et Cédric Vial. Attirer et fidéliser, voilà deux défis nouveaux pour nos collectivités.

Les candidats ont deux préoccupations, que Jérôme Durain a très clairement exposées : le sens du travail, mais aussi les « sous », c’est-à-dire la rémunération.

Face à ces difficultés, il convient de « chasser en meute » et d’éviter de se concurrencer entre les différentes collectivités. C’est pourquoi je salue les initiatives qui ont été prises dans certains territoires.

Monsieur le président de la commission des lois, à tout seigneur tout honneur, je citerai d’abord la marque de territoire Only Lyon.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. En bon français !

Mme Françoise Gatel. Une autre marque de territoire a été créée en Bretagne. Elle se nomme DEN.bzh – je vous en expliciterai le sens ultérieurement, même si, chacun ici, maîtrise la langue bretonne (Sourires.) – et regroupe quatre centres de gestion, 2 200 collectivités et plus de 9 000 agents.

Ces initiatives contribuent au développement de l’attractivité et d’un savoir-faire à l’échelle d’un territoire.

M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot, sur l’article.

M. Philippe Folliot. Je salue tout d’abord l’initiative de Céline Brulin. Elle est particulièrement importante en ce qu’elle correspond à des besoins éminemment exprimés par les secrétaires de mairie, d’une part, mais aussi par les maires, d’autre part.

Le bon fonctionnement des communes rurales repose en effet essentiellement sur le duo secrétaire de mairie-maire.

Je prends acte de la suppression, par la commission, des articles 1er, 2 et 3. Au travers de ces articles, l’auteure de la proposition de loi posait pourtant de véritables questions. Il nous appartiendra collectivement d’y répondre et notamment de fixer le cadre spécifique adapté aux secrétaires de mairie.

À cet égard, nous pouvons nous féliciter du travail qui sera mené, notamment au sein de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

L’article 4 pose la question absolument essentielle de la formation. J’appelle notamment votre attention sur les spécificités des communes qui ne comptent qu’un seul agent : le secrétaire de mairie.

Le droit à la formation que nous nous apprêtons à inscrire dans la loi doit en effet être effectif. Pour qu’il le soit, il faut prendre en compte le fait qu’envoyer cet agent unique en formation revient à fermer la mairie. La question se pose donc du remplacement de l’agent, secrétaire de mairie, qui ferait valoir son droit à la formation.

Sur cette question, l’amendement que j’avais déposé a été jugé irrecevable – je le regrette – au titre de l’article 40 de la Constitution. En tout état de cause, nous devrons réfléchir collectivement aux solutions à apporter pour rendre effectif le droit à la formation des secrétaires de mairie.

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, sur l’article.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. La commission a retravaillé la proposition initiale de nos collègues pour aboutir, au travers de cet article 4, à un excellent texte.

On y inscrit notamment dans le marbre de la loi la formation initiale, ce qui est indispensable, compte tenu de la multiplicité des tâches, de la polyvalence qu’elles exigent et de la complexité croissante des missions qu’accomplissent les secrétaires de mairie.

Cet article paraît encore plus important et nécessaire si l’on considère la situation actuelle en matière de formation. Je m’en entretenais récemment avec Jean-Pierre Gérardin, le président du centre de gestion de la fonction publique territoriale de l’Yonne. Il me signalait que, sur une demande de cent secrétaires de mairie, il n’avait pu, hélas ! en honorer qu’une quinzaine au regard des financements octroyés.

En Bourgogne-Franche-Comté et malgré les crédits dédiés à ces formations que la région déploie, le nombre de candidatures non satisfaites reste donc élevé. De ce point de vue, l’article 4 est bienvenu.

Ainsi, nous n’échapperons pas à un débat sur le financement, qui est aujourd’hui parfois volontaire, comme en Bourgogne-Franche-Comté, de la part des régions.

Si nous voulons que les actions de formation soient véritablement mises en œuvre, nous devons travailler aux règles et à la gouvernance régissant leur financement.

Nul doute que ce sujet sera traité – je le dis en présence de Cédric Vial – par la mission d’information. Il pourra également être discuté à l’occasion de la loi de finances.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 1, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :

Alinéas 3 et 5

Remplacer les mots :

secrétaire de mairie

par les mots :

collaborateur communal ou collaboratrice communale

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Cet amendement d’appel sur le nom des secrétaires de mairie m’a été soufflé non pas par le président du centre de gestion de l’Yonne, mais par celui de l’Orne (Sourires.), qui préfère évoquer pour sa part des « collaborateurs communaux ».

Le sujet ayant déjà été abordé dans la discussion générale, je retirerai probablement mon amendement, mais je le défends néanmoins.

M. le président. L’amendement n° 3 rectifié, présenté par MM. Bourgi, Cardon, Durain et Kerrouche, Mme Harribey, MM. Sueur, Marie et Kanner, Mme de La Gontrie, M. Leconte et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéas 3 et 5

Après le mot :

secrétaire

insérer le mot :

général

La parole est à M. Hussein Bourgi.

M. Hussein Bourgi. Pourquoi consacrer autant de temps à la question du titre et de la fonction des secrétaires de mairie ? Tout simplement parce que cela correspond à une demande des personnes concernées. (Mme Cathy Apourceau-Poly acquiesce.)

Le titre et la fonction constituent la carte d’identité professionnelle, la carte de visite de ces hommes et de ces femmes.

En tant que délégué du CNFPT pour la région Occitanie, j’ai été amené, ces trois dernières années, à accompagner environ cinq cents personnes dans le cadre de la convention et du partenariat que vous avez appelés de vos vœux, monsieur le ministre, entre le CNFPT, Pôle emploi, le centre de gestion et l’association des maires.

En fin de formation, dans le questionnaire d’évaluation et de satisfaction, nous posons la question du nom. Quand on évoque l’appellation de « collaborateur ou collaboratrice du maire », il nous est répondu qu’elle revêt une connotation et une coloration politiques.

M. Hussein Bourgi. Lorsque vous leur parlez de « secrétaire de mairie », les personnes concernées vous disent qu’elles ne sont pas le ou la « secrétaire du maire ».

Par ailleurs, les directeurs généraux des services (DGS) des grandes collectivités ne veulent pas entendre parler de « DGS » pour désigner les secrétaires de mairie – cela peut se comprendre –, tandis que les maires s’opposent, eux, à la dénomination de « responsable du personnel communal », qui recouvre leurs fonctions.

En définitive, le seul terme qui fait consensus au sein de ce panel de cinq cents personnes aspirant à exercer ces fonctions est celui de « secrétaire général de mairie ».

J’ai pu vérifier cette tendance en questionnant les secrétaires de mairie qui sont en poste et qui suivent une formation continue dans les treize départements de la région Occitanie.

Monsieur le ministre, je tiens à votre disposition les résultats de cette enquête. Ma proposition découle de ce questionnaire de satisfaction et de la préférence qu’ont ainsi exprimée les secrétaires de mairie.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. La question de l’appellation des secrétaires de mairie est un véritable sujet et je comprends tout à fait l’intention des auteurs des amendements.

Comme je l’ai entendu lors de la discussion générale, l’appellation de « secrétaire de mairie » paraît certes désuète et ne correspond plus tout à fait aux missions exercées, qui vont désormais au-delà du secrétariat.

Sans doute faut-il dès lors s’accorder sur un terme plus moderne et plus attractif, qui inciterait les jeunes à se tourner vers ce métier et sans doute devons-nous nous poser cette question.

Si plusieurs propositions ont été faites – vous l’avez dit, monsieur Bourgi –, aucune, néanmoins, ne recueille l’assentiment général.

Lorsque nous avons interrogé les secrétaires de mairie au travers de leur syndicat, celles d’entre elles qui étaient en poste depuis plus de trente ans semblaient en tout cas attachées à leur métier et ne souhaitaient pas nécessairement en changer l’appellation.

La question étant complexe, je propose que nous en restions là pour l’instant et que nous retravaillions le sujet avec les personnes intéressées.

C’est pourquoi la commission demande le retrait de ces amendements ; à défaut l’avis sera défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Je partage l’avis, qui me semble sage, de Mme la rapporteure.

Je le redis : sans minorer l’importance de la question du changement de nom et de la qualification de ce métier – la notion de carte de visite est majeure, je vous rejoins, monsieur le sénateur Bourgi, –, nous avons une question de méthode.

Nous devons en effet définir le titre de ce métier en accord avec les secrétaires de mairie elles-mêmes, les associations d’élus et les employeurs territoriaux.

Parmi les suggestions qui ont été faites, l’appellation de « collaborateur communal » me semble quelque peu générique. Par ailleurs, elle ne couvre pas nécessairement la diversité des fonctions, notamment la dimension relations publiques.

D’autres intitulés – « responsable administratif » ou « secrétaire général de mairie » –…

M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est pas mal, ça !

M. Stanislas Guerini, ministre. … pourraient également convenir à ce métier, mais la question doit être débattue avec les personnes concernées.

Pour ces raisons, le Gouvernement demande le retrait de ces amendements ; à défaut, l’avis sera défavorable.

M. le président. Madame Goulet, l’amendement n° 1 est-il maintenu ?

Mme Nathalie Goulet. Non, je le retire, monsieur le président. Je retire par la même occasion l’amendement n° 2.

M. le président. L’amendement n° 1 est retiré.

Monsieur Bourgi, l’amendement n° 3 rectifié est-il maintenu ?

M. Hussein Bourgi. Oui, monsieur le président.

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.

Mme Céline Brulin. Je remercie les collègues qui, par leurs amendements, contribuent à la réflexion sur la dénomination ou l’appellation qui doit être donnée au métier de secrétaire de mairie.

En préparant ce texte, nous nous y étions nous-mêmes essayés et, pour tout vous dire, nos propres propositions ne nous semblaient pas totalement satisfaisantes.

Monsieur le ministre, j’entends vos propos comme un engagement de votre part à ce que des concertations soient menées avec les principales intéressées (M. le ministre acquiesce.), mais aussi, évidemment, avec les élus locaux et leurs associations, pour définir un nom qui dise mieux la réalité de cette fonction, compte tenu de la polyvalence et des responsabilités que nous avons évoquées.

Néanmoins, je nous mets en garde collectivement : il ne faudrait pas que ce changement de nom – quand bien même nous trouverions le nom parfait – soit l’arbre qui cache la forêt.

Mme Céline Brulin. Les uns et les autres ont rappelé les énormes attentes qui se sont exprimées en matière de rémunération notamment. (Mmes Françoise Gatel et Nathalie Goulet le confirment.)

Changer le nom sans toucher un iota de la rémunération mettrait inévitablement les secrétaires de mairie en colère. La réflexion autour du changement de nom doit donc intégrer la réflexion sur la rémunération, qui est déterminante.

M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.

M. Alain Richard. Pour détendre l’atmosphère,…

Mme Cathy Apourceau-Poly. Elle n’est pas tendue !

M. Alain Richard. … je veux dire que le nom doit changer, c’est une évidence.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Oui !

M. Alain Richard. Je rappellerai simplement l’expérience que nous avons vécue à l’occasion du changement de nom et de titre du métier d’instituteur.

Alors que le changement de dénomination date de vingt ou vingt-cinq ans, une partie importante de la population continue à dire « instituteur ».

Une fois que nous aurons procédé au changement, ce dernier s’appliquera donc de façon assez progressive.

M. Christian Bilhac. C’est certain !

M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.

Mme Françoise Gatel. J’entends, je comprends et je partage la nécessité de changer le nom de secrétaire de mairie, une appellation qui revêt désormais une connotation éloignée de la réalité du métier.

Je rejoins néanmoins Céline Brulin. Monsieur le ministre, je me tourne vers vous avec bienveillance, mais exigence, car tout dépend de vous.

J’ai évoqué précédemment, en reprenant les propos de Jérôme Durain, la recherche de sens et la nécessité de « sous ». L’exigence de rémunération est forte, en effet, pour cette fonction pivot. Il y va de la préservation de la proximité communale.

Monsieur le ministre, j’approuve votre proposition visant à mener un travail de fond sur la question, avec une échéance sur le nom, qui doit être accepté et validé.

Cette démarche doit néanmoins intégrer un second volet, celui de la rémunération, qui est essentiel.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. J’interviens maintenant, car nous sommes au cœur du débat. Sur le sens, la rémunération, les parcours et le recrutement relatifs à ce métier, les sujets ont été bien posés.

L’engagement est pris, non pas pour l’année prochaine, mais pour les prochaines semaines : nous travaillerons avec les employeurs territoriaux pour mener à terme ce chantier.

S’il doit y avoir un rendez-vous législatif, prenons date dès maintenant et programmons-le avant l’été. Et si nous devons avoir un rendez-vous financier, ayons-le, comme cela a été proposé, au moment de la loi de finances.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. La prochaine loi de finances !

M. Stanislas Guerini, ministre. S’agissant de la rémunération, le cadre reste bien sûr à fixer. Une réflexion indiciaire doit sans doute être menée, en parallèle de la fonctionnalisation du métier de secrétaire de mairie et des outils indemnitaires.

Ne le prenez pas comme une provocation de ma part, mais il existe déjà aujourd’hui des possibilités indemnitaires.

Ainsi, quatre cadres d’emplois sont liés au métier de secrétaire de mairie. Je mentionnerai simplement le plafond du Rifseep annuel brut que les communes peuvent aujourd’hui appliquer.

Ce plafond s’élève, pour les attachés territoriaux, à 42 000 euros quand le régime indemnitaire moyen versé en 2019 était de 13 000 euros.

De même, le plafond Rifseep pour les secrétaires de mairie – en extinction, vous l’avez rappelé – est de 42 000 euros également, mais le régime indemnitaire moyen versé en 2019 n’a été que de 3 500 euros.

Pour les rédacteurs territoriaux, le plafond du Rifseep annuel brut est de 19 860 euros, pour un régime indemnitaire moyen versé en 2019 de 7 700 euros.

Enfin, pour les adjoints administratifs territoriaux, le plafond est de 12 600 euros et le régime versé en 2019 a été de 5 400 euros.

Ces chiffres placent chacun devant ses responsabilités. L’enjeu est bien sûr de fixer un cadre, et le Gouvernement – j’en ai pris l’engagement – le fixera.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Nous savons que nous pouvons vous faire confiance !

M. Stanislas Guerini, ministre. Cette responsabilité est néanmoins partagée par l’ensemble des employeurs, dont les employeurs territoriaux.

En disant cela, je ne minimise en rien, pour ces derniers, les conséquences financières, qui nous renvoient au débat budgétaire.

Je tenais à faire cette intervention synthétique pour éclairer la suite de nos débats.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour explication de vote.

Mme Marie-Claude Varaillas. Je partage totalement les motivations de mon collègue Hussein Bourgi.

J’ai fait ce métier toute ma vie. J’ai été secrétaire générale, avant de devenir DGS. Pendant quinze ans, j’ai formé des secrétaires de mairie, notamment à l’élaboration du budget et à la clôture des comptes.

En la matière, les secrétaires de mairie étaient particulièrement en difficulté : à peine recrutées, elles devaient faire le budget et, comme vous le savez, l’élaboration de but en blanc d’un budget respectant l’instruction M14 n’est pas chose aisée.

Elles me le disaient, d’ailleurs : quand elles partaient en formation, elles devaient bien souvent fermer la porte de la mairie. Nous devons en être conscients ! (Mme Cathy Apourceau-Poly acquiesce.)

Il faut donc organiser les choses de telle sorte que les secrétaires de mairie puissent bénéficier de cette formation.

Je voudrais aussi vous parler d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. (Sourires.)

M. le président. Allons bon !

Mme Marie-Claude Varaillas. Voilà quelques décennies – j’ai suivi ce parcours –, vous aviez la possibilité de préparer un diplôme particulièrement intéressant. Certes, il fallait suivre des cours du soir à la fac, ce que je fis. Ce diplôme était celui de l’École nationale d’administration municipale (Énam). (Marques dapprobation sur de nombreuses travées.)

Vous le prépariez en trois ans, avant de préparer le diplôme d’études supérieures d’administration municipale (Désam).

J’ai beaucoup regretté la disparition de ces formations, qui m’ont tant apporté. Non seulement elles m’ont appris à être opérationnelle dans mon métier, mais elles m’ont aussi permis de gravir tous les échelons.

Ainsi, j’ai commencé par le concours de commis, puis j’ai passé le concours de rédacteur, avant de devenir fonctionnaire de catégorie A+ et, enfin, DGS dans des villes importantes.

Peut-être devrions-nous réfléchir précisément à des outils s’inspirant de ce parcours de formation afin de perfectionner nos secrétaires de mairie. (Applaudissements.)

Permettez-moi, monsieur le président, de dire quelques mots supplémentaires sur le Rifseep.

M. le président. Allez-y, ma chère collègue.

Mme Marie-Claude Varaillas. Excusez-moi, mais certaines communes ont des moyens financiers quand d’autres en ont moins.

Évidemment, les communes aux moyens financiers supérieurs, parce qu’elles offrent des Rifseep intéressants, ont plus de possibilités d’attirer des cadres de bon niveau que les petites communes. (Applaudissements.)

M. Hussein Bourgi. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud, qui n’a pas connu l’Énam – il n’était pas né ! –, pour explication de vote.

Décidément, vous êtes plusieurs à profiter de ma bonté ce matin (Rires.)

M. Mathieu Darnaud. Permettez-moi de continuer à abuser de votre bonté, monsieur le président. (Sourires.)

Je réagis de manière improvisée aux propos de M. le ministre pour abonder dans le sens de Marie-Claude Varaillas et de Céline Brulin : la sémantique est certes importante, mais ce qui l’est encore plus, c’est la question de la rémunération et du salaire. (Marques dapprobation.)

M. Mathieu Darnaud. Dans mon département d’origine, on ne se pose plus les questions dans les mêmes termes, les ressources humaines ayant tout bonnement disparu !

Les communes sont très isolées et éloignées les unes des autres et se déplacer nécessite des moyens importants. On mutualise autant que faire se peut, mais cela reste très compliqué.

Le Rifseep, très bien !, mais les communes dont je parle n’ont pas les capacités d’« abonder » suffisamment. (Mmes Cathy Apourceau-Poly et Céline Brulin, ainsi que Mme le rapporteur, acquiescent.)

Soulignons également – c’est le plus important – que nous parlons ici seulement de primes.

M. Mathieu Darnaud. Or ces primes n’entrent pas dans le calcul de la retraite.

Au regard de leur expérience, et pour valoriser ces femmes et ces hommes qui sont les chevilles ouvrières et même, quasiment, l’alpha et l’oméga de la vie de nos communes, ces points sont essentiels à prendre compte.

Ce chantier est urgent, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et CRCE.)

M. le président. Monsieur le ministre, vous avez voulu lancer le débat, le retour est clair : il faut plus de moyens pour nos communes, débrouillez-vous ! (Rires. – M. Hussein Bourgi applaudit.)

Je mets aux voix l’amendement n° 3 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 4.

(Larticle 4 est adopté.)

Article 4
Dossier législatif : proposition de loi visant à revaloriser le métier de secrétaire de mairie
Article 5 bis (nouveau)

Article 5

Le troisième alinéa de l’article L. 523-5 du code général de la fonction publique est complété par une phrase ainsi rédigée : « Celui-ci veille à ce que les listes d’aptitude comprennent une part, fixée par décret, de fonctionnaires exerçant les fonctions de secrétaire de mairie. »

M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot, sur l’article.

M. Philippe Folliot. Cet article vise à asseoir la notion de promotion interne pour les secrétaires de mairie. Je ne reviendrai pas sur les propos qu’ont tenus fort justement nombre de mes collègues sur cette question essentielle.

Pour autant, l’un des deux amendements que j’avais déposés visait à mieux faire connaître la profession de secrétaire de mairie. Le stage, notamment, est une étape déterminante, qui peut permettre à des jeunes de prendre conscience de l’intérêt et du caractère tout à fait passionnant que peut avoir cette fonction, malgré les difficultés auxquelles il a été fait référence.

Une autre réalité, objet de mon deuxième amendement, me paraît essentielle à prendre en compte. Je veux parler des secrétaires de mairie qui exercent leurs fonctions dans plusieurs communes rurales, parfois éloignées les unes des autres.

Ces personnes travaillent parfois par demi-journées, le matin dans une commune, l’après-midi dans une autre. Pour certaines d’entre elles, en particulier dans les zones de montagne, la situation peut être difficile.

Il me paraît donc essentiel que le Sénat prenne en compte ces aspects dans ses travaux, afin de rendre la fonction de secrétaire de mairie plus attractive.

M. le président. L’amendement n° 4 rectifié, présenté par MM. Bourgi, Cardon, Durain et Kerrouche, Mme Harribey, MM. Sueur, Marie et Kanner, Mme de La Gontrie, M. Leconte et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après le mot :

secrétaire

insérer le mot :

général

La parole est à M. Hussein Bourgi.

M. Hussein Bourgi. Je ferai miens les sentiments de bienveillance et d’exigence de Françoise Gatel en vous disant, monsieur le ministre, que j’ai pris acte de vos réponses.

Nous aurons ici même un rendez-vous, j’en prends date. Aussi, je retire cet amendement.

M. le président. L’amendement n° 4 rectifié est retiré.

Je mets aux voix l’article 5.

(Larticle 5 est adopté.)

Article 5
Dossier législatif : proposition de loi visant à revaloriser le métier de secrétaire de mairie
Articles 6 et 7

Article 5 bis (nouveau)

L’article L. 332-8 du code général de la fonction publique est complété par un 7° ainsi rédigé :

« 7° Pour les emplois de secrétaire de mairie des communes de moins de 2 000 habitants. » – (Adopté.)

Article 5 bis (nouveau)
Dossier législatif : proposition de loi visant à revaloriser le métier de secrétaire de mairie
Après l’article 7

Articles 6 et 7

(Supprimés)

Articles 6 et 7
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Article additionnel après l'article 7 - Amendement n° 8

Après l’article 7

Après l’article 7
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Article additionnel après l'article 7 - Amendement n° 10 rectifié

M. le président. L’amendement n° 8, présenté par M. Folliot, est ainsi libellé :

Après l’article 7

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article L. 452-22 du code général de la fonction publique, il est inséré un article L. 452-22-… ainsi rédigé :

« Art. L. 452-22-…- Il est institué dans chaque centre de gestion de la fonction publique un conseil représentatif des agents administratifs exerçant les fonctions de secrétaire de mairie. Le conseil est constitué pour moitié d’élus et pour moitié de représentants des agents administratifs représentants. Il émet des avis simples sur toutes les questions d’ordre général qui concernent le cadre d’emplois. »

La parole est à M. Philippe Folliot.

M. Philippe Folliot. Cet amendement vise à instituer dans chaque centre de gestion de la fonction publique territoriale un conseil représentatif des agents administratifs exerçant les fonctions de secrétaire de mairie.

Ce conseil serait constitué pour moitié d’élus et pour moitié de représentants des agents administratifs représentants. Il émettrait des avis simples sur toutes les questions d’ordre général qui concernent ce cadre d’emplois.

Cette proposition fait suite à mes échanges avec les membres du centre de gestion de la fonction publique territoriale du Tarn, en particulier son président Sylvian Cals, ainsi qu’avec des associations de secrétaires de mairie.

S’il existe un syndicat des secrétaires généraux, ce dernier représente plutôt les grandes communes. En outre, le cadre de fonctions diffère totalement entre, d’une part, les grandes communes, qui sont structurées en services et où le secrétaire général assume une fonction d’animation des équipes, et, d’autre part, les communes rurales et plus petites, où les secrétaires de mairie exercent directement toute l’étendue de leurs fonctions.

Par cet amendement, il est proposé de mettre en avant cette spécificité et d’instituer une instance d’échange et de dialogue à l’échelle départementale.

Le couple ou le duo formé par le secrétaire de mairie et par le maire est essentiel. Un tel cadre d’échange et de dialogue serait utile.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Vous pointez là une spécificité du métier de secrétaire de mairie.

À la différence des autres métiers de la fonction publique territoriale, cette fonction ne correspond plus un à un cadre d’emplois unique.

Si je reconnais un manque de visibilité, votre amendement me semble toutefois poser plusieurs problèmes.

Tout d’abord, le centre de gestion compte déjà en son sein des représentants des agents de la fonction publique. Je veux parler des représentants du personnel, qui émettent des avis sur les situations individuelles ou collectives, et des instances que sont les commissions administratives paritaires (CAP) et les comités sociaux territoriaux (CST) par exemple.

Si une nouvelle instance paritaire était créée spécifiquement pour les secrétaires de mairie, quelle serait sa place et quel serait son rôle par rapport auxdites instances ?

Ensuite, les centres de gestion n’ont pas de compétence particulière pour gérer une instance qui émettrait des avis concernant l’ensemble d’une profession. Il me semble que d’autres institutions, par exemple le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, seraient plus à même d’abriter en leur sein une instance du type que celle que vous prévoyez.

Par ailleurs, l’amendement manque de précision et la mesure ne serait, de ce fait, pas opérationnelle. Ne sont ainsi prévus ni les modalités de désignation des membres, ni les modalités de fonctionnement de l’instance, ni le sort réservé aux avis qu’elle pourrait émettre.

Enfin, de façon plus singulière, l’instance que votre amendement vise à créer émettrait des avis pour plusieurs cadres d’emplois, mais uniquement pour des fonctions particulières. Cela poserait un problème d’égalité vis-à-vis des autres membres de ces cadres d’emplois.

Pour toutes ces raisons, la commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 8.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 7 - Amendement n° 8
Dossier législatif : proposition de loi visant à revaloriser le métier de secrétaire de mairie
Intitulé de la proposition de loi

M. le président. L’amendement n° 10 rectifié, présenté par M. Folliot, est ainsi libellé :

Après l’article 7

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi est mis en place un conseil organisant la répartition des secrétaires de mairie par zones territoriales, avec l’appui des acteurs issus des collectivités territoriales et des représentants de secrétaires de mairie.

La parole est à M. Philippe Folliot.

M. Philippe Folliot. Cela a été dit : au regard de la classification par âge des secrétaires de mairie, nombre d’entre elles partiront à la retraite dans les années à venir. Il y a donc lieu d’anticiper la situation.

En liaison avec les représentants des collectivités, il s’agit de fixer un cadre favorisant la modification de la composition du corps des secrétaires de mairie.

Il est donc proposé de mettre en place une instance d’échanges entre les élus et les représentants de secrétaires de mairie.

Une association nationale de secrétaires de mairie est en train de se structurer. Elle est déjà implantée ou en cours d’implantation dans un certain nombre de départements. C’est un point d’autant plus important que cette association se montre particulièrement positive.

Madame la rapporteure, les CAP visent plutôt à traiter des situations individuelles. C’est en tout cas la réalité du terrain. (Mme le rapporteur acquiesce.)

Au travers de ces amendements, je propose un cadre plus collectif pour des enjeux spécifiques aux secrétaires de mairie, qui ne seront pas forcément solubles dans les autres instances.

Nous l’avons dit et répété au cours de ce débat : les secrétaires de mairie exercent une fonction particulièrement singulière, qui mérite d’être traitée comme telle.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Monsieur Folliot, je veux d’abord répondre à votre dernière interrogation. Vous avez raison : les commissions administratives paritaires traitent des cas individuels ; les comités sociaux territoriaux, des sujets collectifs. Au sein d’un CST, il peut tout à fait y avoir un groupe de travail où sera abordé le sujet spécifique des secrétaires de mairie, de leur métier et de leurs fonctions ; ce groupe pourrait formuler des propositions. On peut ainsi répondre au problème que vous soulevez. Le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale peut aussi jouer un rôle en ce sens.

Concernant votre amendement, vous avez également raison de pointer les importantes difficultés de recrutement. En la matière, les centres départementaux de gestion sont les tiers de confiance privilégiés des communes, notamment rurales, qui y trouvent un appui important. Actuellement, ces centres peuvent mettre des agents à disposition des communes pour remplacer les secrétaires de mairie quand ceux-ci vont suivre une formation, même si cela peut être développé.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Certes, mais ils n’ont pas toujours les moyens nécessaires. Je sais toutefois que certains centres de gestion sont en train de recruter des agents ou de les former aux fonctions de secrétaire de mairie spécifiquement pour répondre aux attentes des collectivités en la matière.

N’oublions pas que les petites communes sont vraiment au cœur du métier et de l’attention des centres de gestion, auxquels il faut vraiment faire confiance pour offrir des remplacements ou embaucher des secrétaires de mairie itinérants et les mettre à la disposition des communes.

Dès lors, créer un conseil ad hoc pour trouver une solution à ce problème, comme il est proposé dans cet amendement, ne me paraît pas pertinent.

Je vous demande donc de bien vouloir retirer cet amendement ; à défaut, l’avis de la commission serait défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Il est en tout point identique à celui que vient d’exprimer Mme la rapporteure, monsieur le président !

M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac, pour explication de vote.

M. Christian Bilhac. J’ai, moi aussi, suivi la formation menant au diplôme d’études supérieures d’administration municipale – il y a fort longtemps, je ne vous le cache pas ! (Sourires.) En ma qualité de président de centre de gestion, délégué départemental du CNFPT, j’ai mis en place des formations initiales de secrétaire de mairie. Dans les deux cas, même si la première formation était d’un niveau bien supérieur, il s’agissait de formations théoriques. Quand un agent ayant suivi l’une d’entre elles débarque dans une commune rurale, où il est seul – il faut garder à l’esprit cette solitude du secrétaire de mairie –, il a tant de sujets à traiter, tant de compétences à maîtriser, tant de dossiers à connaître, que le défi est presque impossible à relever, même avec une formation initiale.

Pour ma part, je n’ai pas déposé d’amendement similaire à celui de M. Folliot, parce qu’il me semble que ce problème relève plutôt du domaine réglementaire.

En 1998, alors que j’étais maire, ma secrétaire de mairie m’a informé de son souhait de partir à la retraite en 2001. Il existait alors un dispositif connu sous le nom d’« emplois-jeunes ». J’ai donc recruté une personne sous un tel contrat, largement pris en charge par l’État. Pendant trois ans, cette personne, qui était déjà titulaire d’un diplôme d’études approfondies (DEA) en administration, a pu perfectionner sa formation pratique sur la gestion d’une commune : auprès de la secrétaire de mairie qui allait partir à la retraite, elle a appris le côté pratique du métier, jusqu’à en maîtriser toutes les difficultés quotidiennes. Eh bien, je dois vous dire qu’en 2001, quand ma secrétaire de mairie, avec qui je travaillais depuis vingt ans, est partie à la retraite, j’ai certes eu un peu de peine, mais le fonctionnement de la mairie n’en a nullement été affecté, car depuis trois ans quelqu’un apprenait le métier sur le tas.

Je vous propose donc, monsieur le ministre, de réfléchir à cette piste de recrutements en contrats aidés ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Hussein Bourgi, pour explication de vote.

M. Hussein Bourgi. Je veux apporter quelques éléments de réponse à notre collègue Philippe Folliot sur l’instance de répartition qu’il propose et qui ne me convainc pas.

Vous savez qu’une question similaire se pose régulièrement au sujet de l’installation des médecins libéraux, pour lutter contre la désertification médicale. On nous oppose ici les mêmes arguments sur l’impossibilité d’une coercition. Je ne vois pas de quelle manière, avec quels outils, on pourrait répartir de manière autoritaire les secrétaires de mairie.

En revanche, je souhaite porter à votre connaissance, mes chers collègues, qu’une expérimentation a été mise en place dans la région Occitanie, avec le concours de l’Association des maires de France, pour recenser auprès de tous les maires du département les secrétaires de mairie qui vont partir à la retraite ou connaître des changements de poste à la suite d’une mutation.

Ainsi, lorsque nous mettons en place des formations initiales pour les personnes sélectionnées par Pôle emploi, à la fin de cette formation, nous pouvons remettre à chaque personne qui l’a suivie une liste de plusieurs dizaines de communes qui ont besoin, à l’instant t ou dans les semaines qui suivent, d’un secrétaire de mairie parce que le poste est vacant ou le sera très bientôt. Cela permet aux candidats de voir où postuler par bassin territorial au sein du département, ou de départements voisins. Cela nous permet aussi d’assurer une répartition territoriale qui soit la plus équitable et la plus efficiente possible. On répond ainsi au frein de la mobilité : un secrétaire de mairie qui habite dans l’Hérault, mais dans une commune proche de la frontière de l’Aude ou du Tarn, peut aussi postuler dans l’un de ces départements ; il n’y a pas de cloisonnement administratif entre nous.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 10 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 7 - Amendement n° 10 rectifié
Dossier législatif : proposition de loi visant à revaloriser le métier de secrétaire de mairie
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Intitulé de la proposition de loi

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 2, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :

Remplacer les mots :

métier de secrétaire de mairie

par les mots :

statut de collaborateur communal ou collaboratrice communale

Cet amendement a été précédemment retiré.

L’amendement n° 5 rectifié, présenté par MM. Bourgi, Cardon, Durain et Kerrouche, Mme Harribey, MM. Sueur, Marie et Kanner, Mme de La Gontrie, M. Leconte et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après le mot :

secrétaire

insérer le mot :

général

La parole est à M. Hussein Bourgi.

M. Hussein Bourgi. Je le retire, monsieur le président !

M. le président. L’amendement n° 5 rectifié est retiré.

Intitulé de la proposition de loi
Dossier législatif : proposition de loi visant à revaloriser le métier de secrétaire de mairie
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour explication de vote.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Je veux avant tout remercier le groupe CRCE d’avoir demandé l’inscription de ce texte à notre ordre du jour, ainsi que la commission des lois pour le travail qu’elle a accompli.

Aujourd’hui, nous avons l’occasion de rendre hommage à l’action de ces secrétaires de mairie, véritables piliers de notre action communale et petites mains de la République.

Beaucoup d’initiatives locales très intéressantes méritent d’être démultipliées, comme Mme la rapporteure l’a souligné. J’ai notamment en tête ce qui se fait, dans l’Yonne, avec l’Aseamas, l’Association des secrétaires et employés de mairie de l’arrondissement de Sens, dont les adhérents peuvent croiser leurs regards et échanger leurs expériences. Indéniablement, nous avons besoin d’une extension de tels dispositifs, dont le maillage ne couvre pas même tout le département, ce qui est loin d’être un cas unique en France.

Il est important, au travers de ce texte, de conforter les vocations et l’attractivité de ce métier. Ayons aussi à l’esprit que les secrétaires de mairie d’aujourd’hui sont souvent les élus de demain. Il se trouve que j’ai fait mes gammes de conseiller municipal à Vallery, sous l’égide de sa maire d’alors, Annie Serdin, qui avait auparavant – seize ans durant – été secrétaire de mairie de la commune. J’ai aussi en tête Isabelle Poulin, maire des Clérimois, qui avait été, pendant quarante et un ans, secrétaire de mairie à Fontaine-la-Gaillarde. Nous sommes donc là face à un vivier de femmes et d’hommes tout prêts à s’engager.

Ce texte n’est pas un point d’arrivée ; c’est un point de départ. Il comprend des dispositions pour la formation et l’avancement. Le travail va se poursuivre sur le sujet des indemnités, ou encore sur la dénomination de ce métier. Je me réjouis que nous puissions continuer sur cet élan, notamment grâce à notre mission d’information sur l’avenir de la commune et du maire en France. D’autres éléments figureront peut-être dans le prochain projet de loi de finances.

Surtout, j’ai entendu l’engagement plein et entier sur ce sujet de M. le ministre, dont je sais combien il est attaché à mener à bien ce chantier. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, pour explication de vote.

Mme Laure Darcos. Je voudrais à mon tour saluer l’initiative de Céline Brulin, ainsi que le travail de notre rapporteure. Je suis très heureuse que nous puissions adopter ce texte et, ainsi, rendre hommage à des femmes et à des hommes qui sont le ferment de nos petites communes.

Il a déjà été relevé à plusieurs reprises, monsieur le ministre, qu’au-delà de la relation très humaine très importante entre maire et secrétaire de mairie – un tandem très fort –, ce dernier doit faire face à des tâches extrêmement difficiles, notamment quand il faut remplir les dossiers très complexes de demande de subvention. À cette époque de l’année se réunissent les commissions chargées de la répartition de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) ou encore de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL). Le Gouvernement nous a beaucoup vendu le nouveau fonds vert, mais ce sont autant d’études et de manipulations très complexes. Les dossiers à constituer pour le Feader ont été évoqués ; peu nombreux sont ceux qui arrivent à le faire ! S’y ajoutent encore les contrats de territoire… En somme, on fait peser sur ces personnes une pression énorme quand elles doivent aider leur maire à remplir ce genre de dossiers.

Je sais que, quand un poste de secrétaire de mairie est vacant, une solidarité se crée. J’étais il y a quelques jours dans une mairie sans secrétaire depuis trois ou quatre mois ; les communes voisines se mobilisent pour lui prêter main-forte. Il s’agit d’un poste crucial, il faut donc tout faire pour les aider.

Je suis donc très heureuse que, aujourd’hui, nous puissions leur rendre hommage au travers de ce texte.

M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour explication de vote.

M. Olivier Jacquin. Je tiens, moi aussi, à féliciter nos collègues du groupe communiste d’avoir attiré notre attention, à juste titre, sur ce métier magnifique et indispensable.

Je veux aussi porter brièvement témoignage de l’expérience menée dans ce domaine par la communauté de communes Mad et Moselle, qui regroupe une cinquantaine de petites communes. Un service mutualisé de secrétariat a été mis en place il y a dix ans, dont bénéficient aujourd’hui trente communes qui ne rencontrent plus de problèmes d’attractivité pour le métier de secrétaire de mairie, bien au contraire. C’est sur l’initiative de son directeur général des services très créatif, le Vosgien Jean-Charles de Belly, qu’a été créé ce service. Un diplôme universitaire de secrétaire de mairie a également été créé, en partenariat avec le centre de gestion départemental ; son taux d’insertion professionnelle dépasse 90 %.

Cette communauté de communes a aujourd’hui une idée assez originale, que je tiens à vous présenter : une mairie virtuelle, à l’échelle de toutes ses communes. Viendraient s’ajouter à l’accueil physique en mairie un numéro de téléphone et un site internet uniques qui permettraient de répondre aux citoyens du lundi au samedi, de huit heures du matin à huit heures du soir. C’est une initiative extrêmement intéressante, qui mériterait, monsieur le ministre, d’être encouragée.

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.

Mme Céline Brulin. Mes chers collègues, je voudrais vous remercier par avance pour le vote qui semble se dessiner au sein de notre assemblée. Je remercie en particulier Mme la rapporteure, avec qui nous avons travaillé avec confiance et loyauté.

L’adoption de cette proposition de loi devra bien être le point de départ d’un travail qui doit se poursuivre – vous le reconnaissez vous-même, monsieur le ministre – sur des champs assez vastes.

On a évoqué la formation ; je n’y reviendrai pas, sinon sur un point qui a déjà été relevé à juste titre par plusieurs orateurs : les secrétaires de mairie, aujourd’hui, effectuent cette formation sur leur temps libre, ou en fermant la porte de la mairie. C’est un sujet à part entière, qu’il faudra traiter.

Il ne faudrait pas se méprendre, monsieur le ministre : secrétaire de mairie, c’est un véritable métier, mais le statut de la fonction publique est très fécond. Ce n’est pas nous, modestes continuateurs d’Anicet Le Pors, l’un de vos illustres prédécesseurs à ce ministère, qui dirons le contraire. Françoise Gatel a déclaré qu’il fallait attirer les vocations et les fidéliser ; Véronique Del Fabro a dit : « Les élus passent, mais les secrétaires de mairie restent. »

Mme Jocelyne Guidez. Tout à fait !

Mme Céline Brulin. On voit bien que le statut de la fonction publique, dans ce qu’il a de meilleur, peut assurer cette fidélisation, tout en permettant des évolutions de carrière.

Enfin, monsieur le ministre, je voudrais prendre date avec vous. Après que nous vous avons interpellé, vous avez évoqué le prochain projet de loi de finances. Je pense que nous serons tous d’accord ici pour retenir cette échéance pour l’adoption de mesures significatives, qu’il faudra examiner avec intelligence.

Il faudra en tout cas explorer la piste de la bonification indiciaire, car les 15 points supplémentaires octroyés depuis un an, ce n’est que 70 euros mensuels, ce qui ne suffit même pas aujourd’hui pour payer un plein d’essence. Or on sait combien de kilomètres les secrétaires de mairie doivent faire chaque semaine pour se rendre d’une mairie où elles exercent à l’autre.

Voilà des pistes sur lesquelles nous continuerons de travailler ensemble. L’adoption de ce texte sera en tout un premier point d’appui. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes RDPI, UC et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Cédric Vial, pour explication de vote.

M. Cédric Vial. Je me félicite de l’adoption imminente de cette proposition de loi, grâce à laquelle le sujet des secrétaires de mairie a été mis sur la table.

On a vu qu’un consensus s’est déjà formé sur certains points : d’abord, pour rappeler que la fonction de secrétaire de mairie est essentielle pour nos territoires, mais aussi qu’il appartient à l’État, en lien avec les collectivités, de s’assurer de la continuité de l’administration sur l’ensemble du territoire national.

Il y a aussi consensus quant à la nécessité de prendre ce problème à bras-le-corps. Des solutions doivent être trouvées ; la plupart seront probablement d’ordre réglementaire.

Il y a enfin consensus sur le fait qu’être secrétaire de mairie, c’est un vrai métier et non une fonction comme une autre. C’est un beau métier, qui a tous les atouts pour être attractif : c’est un métier polyvalent, de contact, où l’on trouve des solutions. Ce métier n’est pas uniquement administratif : il est stratégique. Le secrétaire de mairie est la seule personne à prendre une part aussi active que le maire à la vie de la commune.

Il faut donc avancer, en travaillant à la reconnaissance de ce métier dans ses différentes formes, au statut et à la formation. Celle-ci devrait peut-être être moins académique que celle qui est proposée aujourd’hui ; elle doit être pratique, autour des gestes du quotidien, c’est ce qu’attendent les secrétaires de mairie. Il faut leur offrir un accompagnement, car c’est quand on est confronté aux problèmes qu’on a besoin de trouver une solution et non au cours d’une formation initiale académique.

Enfin, leurs conditions de travail doivent être améliorées.

Les sujets sont aujourd’hui sur la table. Il va falloir se pencher dessus avant de refermer le dossier : c’est un enjeu majeur pour la vie de nos territoires ruraux. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. En complément de ce qu’a exposé ma collègue Céline Brulin, je veux tout d’abord remercier tous les membres de notre assemblée qui ont participé à notre débat. Si celui-ci est nourri, c’est parce que nous avons toutes et tous conscience du caractère indispensable des secrétaires de mairie, dont le travail est intrinsèque à la vie communale.

Monsieur le ministre, vous avez dit tout à l’heure, avec une pointe d’ironie, que nous avons encore besoin de travailler sur ce sujet ; au-delà de l’ironie, c’est une réalité que nous reconnaissons. Non seulement il faut encore y travailler, mais il faudra aussi des financements à la hauteur. Nous ne voudrions pas ici – je pense m’exprimer au nom de notre assemblée entière en le disant – donner le sentiment qu’en améliorant le statut et les revenus des secrétaires de mairie, pour la qualité de leur travail, on affecterait gravement demain les finances communales.

Nous nous retrouverons donc sur ce sujet lors de l’examen du prochain projet de loi de finances, comme vous nous y avez invités. D’ici là, les travaux de notre délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation et, en particulier, de Cédric Vial sur ce sujet auront sans aucun doute progressé. Nous prendrons donc d’autres rendez-vous pour faire avancer cette réflexion.

Le présent texte est bien un point de départ pour atteindre l’objectif que nous avions, avec Céline Brulin, en rédigeant cette proposition de loi : non seulement reconnaître le travail de ces secrétaires de mairie, mais surtout prendre en compte ces hommes et ces femmes de l’ombre, autrement que par la remise de médailles, dans toutes nos réflexions. Cela méritait bien un temps de travail législatif. À ce propos, je veux une dernière fois remercier Mme la rapporteure d’avoir permis à ce texte d’être discuté et adopté ce matin. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, INDEP et UC.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi visant à revaloriser le métier de secrétaire de mairie.

(La proposition de loi est adoptée.)

M. le président. Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents. (Applaudissements.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à revaloriser le métier de secrétaire de mairie
 

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Dossier législatif : proposition de loi relative à la maîtrise de l'organisation algorithmique du travail
Discussion générale (suite)

Maîtrise de l’organisation algorithmique du travail

Rejet d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe communiste écologiste républicain et citoyen, de la proposition de loi relative à la maîtrise de l’organisation algorithmique du travail, présentée par M. Pascal Savoldelli, Mmes Cathy Apourceau-Poly et Laurence Cohen, et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 770 [2021-2022], résultat des travaux de la commission n° 478, rapport n° 477).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Pascal Savoldelli, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la maîtrise de l'organisation algorithmique du travail
Article 1er

M. Pascal Savoldelli, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens, en ouverture de mon propos, à saluer les mobilisations sociales qui se tiennent partout en France aujourd’hui.

Si je le fais, c’est parce que les enjeux de la réforme des retraites et ceux de l’ubérisation sont, en réalité, très liés. Je vous rappelle, mes chers collègues, que requalifier en salariés les travailleurs des plateformes permettrait de rapporter 1,45 milliard d’euros à la sécurité sociale et aux régimes de retraite, par leurs cotisations.

La proposition de loi que notre groupe communiste républicain citoyen et écologiste vous soumet aujourd’hui s’inscrit, vous le savez, dans le prolongement de plusieurs années d’engagement, aux côtés d’acteurs sociaux, syndicaux, universitaires et politiques, mobilisés aux côtés des travailleurs et travailleuses des plateformes numériques de travail.

Avec mon collègue Fabien Gay, nous avions déjà, au sein du collectif Pédale et tais-toi !, rencontré des livreurs qui nous avaient décrit la réalité et, surtout, la précarité de leur situation. Entendons-nous : nous parlons ici de travailleurs dits « indépendants », mais économiquement dépendants.

Cette précarité est le fruit d’un modèle économique, celui du capitalisme de plateformes, dont le cœur de l’action repose sur un contournement des règles, notamment du droit du travail, mais aussi de la concurrence, par le biais du management algorithmique. Ce modèle économique entraîne un retour au temps d’avant le contrat de travail, à une époque où les risques reposaient uniquement sur les travailleurs, où ceux-ci n’avaient aucun pouvoir et où les normes sociales n’existaient pas. En misant sur le concept d’« indépendant à faux statut », les plateformes numériques recréent l’organisation et la rétribution du travail à la tâche, grâce à un management algorithmique que je juge brutal et injustifiable.

Mes chers collègues, à l’heure où nous ne pensons plus le travail qu’au prisme de la valeur qu’il produit, il est temps de faire le point sur les coûts de cette production !

Ces coûts, ils s’appellent Franck Page, 18 ans, étudiant et coursier pour Uber Eats. Le soir du 17 janvier 2019, il livrait un repas à vélo lorsqu’il trouva la mort, renversé par un camion. Uber Eats estime que ce décès n’est pas de sa responsabilité : un dramatique accident de la route, mais pas un accident du travail. Pourtant, cet itinéraire lui avait été imposé par la boîte noire, l’algorithme – ce même algorithme qui le menaçait de le déconnecter s’il n’allait pas assez vite.

Il s’agit ici d’un coursier, une figure parmi les plus visibles de l’ubérisation. Pourtant, ce modèle touche à tous les pans de l’économie : le transport, les services à domicile, ou encore les microtravailleurs du clic, ces tâcherons qui se trouvent parfois à l’autre bout du monde pour réaliser des microtâches invisibles, pour entraîner la machine.

Mes chers collègues, ce management désincarné, déshumanisé doit cesser. Il s’assoit sur la loi et sur le droit des travailleurs. Le flou règne sur l’algorithme qui attribue les commandes, évalue leur réactivité, calcule le parcours et le temps de trajet à réaliser. Ce même flou forme comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête des livreurs, les poussant à aller toujours plus vite. Ce flou ne laisse d’autre choix aux livreurs que la pression de la déconnexion, brutale et injustifiable. C’est un flou rythmé par l’injustifiable, par l’immédiateté : peu importe la sécurité et le bien-être de celui que l’on note d’une ou plusieurs étoiles au gré de nos envies.

La boîte noire de l’algorithme n’est pas un simple outil, dénué d’intention politique. Elle est le fruit de décisions de ses fondateurs, qui orientent les comportements des travailleurs inscrits sur ces plateformes. Le management algorithmique constitue de fait, pour de nombreuses plateformes numériques de travail, un outil de contrôle, de direction et de sanction.

Le travail que nous avons mené, collectivement, au sein de la mission d’information sur l’ubérisation de la société va également dans ce sens. Son rapport, fruit d’un travail de plus de trois mois, sous la présidence de notre collègue Martine Berthet, qui a notamment donné lieu à l’audition de plus de soixante acteurs, a été voté à l’unanimité.

Y sont formulées plusieurs recommandations portant sur la nécessité de mieux réguler, mais aussi d’exiger davantage de transparence des algorithmes de ces plateformes numériques de travail.

Je prends pour exemple la recommandation n° 9, dont je rappelle qu’elle a été adoptée à l’unanimité : « Engager une réflexion pour adapter le droit du travail aux spécificités du management algorithmique et à ses conséquences sur les conditions de travail. »

Alors que l’algorithme est devenu le contremaître des temps modernes, il convient de rattacher la décision algorithmique à l’ordre patronal.

Contrairement au discours des plateformes, l’algorithme n’est pas un outil neutre, dépourvu de subjectivité. Une décision comprend toujours une part de subjectivité, même lorsqu’elle est automatisée.

Il subsiste donc un risque de standardisation des critères de gestion du personnel, mais également un risque de discrimination, si l’on intègre dans un algorithme le sexe, l’âge, ou encore le lieu de résidence.

Par la présente proposition de loi, nous proposons donc un nouvel angle d’attaque pour la requalification du statut des travailleurs des plateformes numériques.

En effet, il faut savoir qu’aucun texte de droit public ni de droit privé ne définit à proprement parler la notion de « salariat ». Ce statut découle directement de la relation de subordination qui en est constitutive. C’est pourquoi cette proposition de loi tend à mettre à jour la relation de subordination existante entre l’algorithme « donneur d’ordre » et le travailleur ou la travailleuse d’une plateforme numérique.

Il est extrêmement important d’œuvrer à l’ouverture de la boîte noire de l’algorithme. Son opacité est problématique, en particulier pour les travailleurs et travailleuses concernés : un rapport du Défenseur des droits et de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) du mois de mai 2020 alertait déjà sur cet angle mort du débat public.

Les exemples de dérives et de discriminations découlant des algorithmes sont nombreux, sur une grande diversité de plateformes. Ainsi, on relève des cas de déconnexions abusives, chez des plateformes comme Deliveroo, à la suite de mobilisations sociales, déconnexions pouvant s’apparenter à de la répression syndicale, comme cela avait été documenté par l’émission Cash Investigation, ou encore de discriminations à l’embauche entre femmes et hommes chez Amazon. Ce ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres.

L’un des leaders de la lutte des conducteurs de voitures de transport avec chauffeur (VTC), Brahim Ben Ali, nous disait hier que le discours d’Uber en réponse à leur demande d’une plus grande transparence algorithmique était simplement celui-ci : « On ne va pas vous donner le secret de notre algorithme, ce serait comme donner la recette de Coca-Cola ! »

Peut-être, mais le secret des affaires ne peut pas justifier que l’on contourne un nécessaire encadrement des conditions de travail et fasse naître des risques de discriminations. Nous ne parlons pas d’une boisson, ici : nous parlons des vies humaines de centaines de milliers de travailleurs et travailleuses !

Nous allons vers la fin de la hiérarchie et du salariat, tout en maintenant une subordination accrue et renouvelée dans l’esprit de la start-up : chacun devient son propre employeur, une entreprise de soi… Mais où est l’utilité sociale d’un travail ? De quoi parle-t-on quand il est question de la valeur travail et, je dirais même, de la valeur humaine ?

Alors, mes chers collègues, ne faisons pas comme pour les avions : n’attendons pas un crash pour ouvrir la boîte noire !

L’algorithme n’est ni plus ni moins qu’un contrat de travail, mais c’est un contrat dont les premiers concernés n’ont pas accès aux informations les plus fondamentales, qui concernent directement leurs conditions de travail. Les travailleuses et les travailleurs des plateformes numériques ont pourtant besoin de ce « code source », autrement dit d’être informés de l’intervention humaine qui se trouve à la source de leur subordination à cet ordre algorithmique, à cette machine qui décide à quel moment vous êtes rentable, faisant de ces travailleuses et de ces travailleurs des tâcherons corvéables à merci.

L’algorithme a aujourd’hui investi tous les pans de notre société, qu’il s’agisse de Parcoursup pour les étudiants, avec tous les problèmes de sélection qu’il a pu poser, ou de la sélection de curriculum vitae pour le recrutement par certaines entreprises, qui s’apparente parfois à de la discrimination.

Il est donc crucial de regarder de près ce qu’il s’y passe ; c’est tout le sens de cette proposition de loi.

Son article 1er définit l’algorithme, juridiquement, comme un pouvoir de direction et de contrôle, lorsqu’il joue un rôle dans la subordination à un employeur de ses employés.

L’article 2 vise à engager la responsabilité de l’employeur, en prévoyant l’obligation pour ce dernier de démontrer que l’algorithme n’est pas source de discrimination.

Enfin, l’article 3 précise la différence entre une simple plateforme de mise en relation et une plateforme jouant un rôle effectif d’employeur.

Avec cette proposition de loi, nous proposons humblement de maintenir ouvert le débat sur cette question, sans prétendre apporter une réponse à tout. Il s’agit avant tout de maintenir le débat ouvert, à l’échelon national, car nous savons que le projet de directive européenne sur cette question va dans le même sens. Cette directive constitue une belle avancée pour les droits des travailleurs des plateformes, confirmant une présomption de salariat et permettant de lutter contre le travail dissimulé. Nous la défendons.

Pour autant, la France se pose plutôt comme le défenseur des lobbies des plateformes, comme en témoigne l’affaire UberFiles. Nous devons donc maintenir la pression, car ce management algorithmique est aujourd’hui le plus grand cheval de Troie néo-libéral, qui finira par s’inviter dans toutes les formes de management au travail.

Je vous invite donc fortement, mes chers collègues, à voter cette proposition de loi.

Ainsi, la France s’honorerait en reconnaissant les droits des travailleurs de plateforme avant même la fin du processus législatif européen. Cette proposition de loi constitue un nouveau jalon, important, sur un chemin qui reste encore long, pour protéger les travailleurs et travailleuses des plateformes, mais également les entreprises et les commerces en proie à la concurrence déloyale des plateformes numériques de travail, qui ne respectent pas les règles du jeu. Osons nous donner les moyens d’accomplir cet objectif ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la surveillance constante, l’évaluation permanente des performances, l’application automatique des décisions sans intervention humaine, l’interaction des travailleurs avec un système et la faible transparence des algorithmes… Tels sont, selon le Bureau international du travail, les éléments constitutifs du management algorithmique.

La proposition de loi de notre collègue Pascal Savoldelli, qui travaille sur ce sujet avec Fabien Gay depuis plusieurs années, et des membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste porte sur une réalité : l’utilisation d’algorithmes pour l’organisation du travail et la gestion de la main-d’œuvre. Déjà bien présent dans le monde du travail, ce phénomène est pourtant ignoré de notre droit.

L’apparition des plateformes numériques a entraîné une rupture technologique, en mettant en relation une multitude d’acteurs en temps réel. De plus, le recours à des algorithmes a amorcé un bouleversement de l’organisation du travail.

Dans les secteurs des VTC et de la livraison de marchandises en véhicule à deux roues, les travailleurs, quoique formellement indépendants, sont soumis à un degré élevé de contrôle et à une nouvelle forme de dépendance. Même s’ils peuvent choisir de se connecter ou non à l’application et à quel moment ils le font, ils sont en réalité privés d’autonomie dans la réalisation de leurs prestations.

Ces travailleurs, souvent précaires et contraints de recourir à ces formes d’emploi, cumulent les fragilités : faibles revenus, protection sociale incomplète, absence de garanties en matière de temps de travail et de droit au repos, forte exposition aux risques professionnels… Isolés, ils sont de surcroît mis en compétition permanente par les algorithmes. Dès lors, ces derniers apparaissent comme des boîtes noires sur lesquelles les travailleurs n’ont aucune prise ni visibilité.

Cette plateformisation de l’économie se généralise à l’ensemble du monde du travail. Les algorithmes sont de plus en plus utilisés pour gérer les ressources humaines au sein des entreprises. En effet, ils interviennent déjà dans les processus de recrutement, dans la gestion des évolutions de carrière ou dans l’évaluation des salariés. Des logiciels peuvent ainsi analyser et comparer les comportements des candidats lors d’entretiens de recrutement.

Si elle permet des gains de productivité, cette gestion algorithmique du travail est porteuse de risques : surveillance abusive et généralisée, perte d’autonomie, discriminations accrues… Le sentiment d’aliénation qui peut alors gagner les travailleurs est vecteur de risques psychosociaux.

En outre, cette gestion algorithmique tend à déresponsabiliser les employeurs et à priver les acteurs du dialogue social de leur rôle dans la détermination des conditions de travail.

Les risques sont d’autant plus importants que le fonctionnement des algorithmes peut échapper aux employeurs eux-mêmes, qui ont souvent recours à des solutions technologiques développées en externe.

Dans son rapport d’information du 29 septembre 2021 sur l’ubérisation de la société, Pascal Savoldelli a considéré qu’un algorithme était non une simple suite d’opérations permettant de traiter des volumes importants de données, mais bien une « chaîne de responsabilité humaine ». En effet, quel que soit son degré d’automatisation, la gestion algorithmique engage la responsabilité de personnes auxquelles il devrait être possible de se référer. Notre collègue a ainsi préconisé d’adapter le droit du travail aux spécificités du management algorithmique et à ses conséquences sur les conditions de travail.

La proposition de loi que nous examinons traduit cette volonté de reprendre le contrôle de l’organisation algorithmique. Si les algorithmes constituent une aide considérable pour améliorer l’organisation des entreprises et pour exempter les travailleurs de tâches parfois répétitives et contraignantes, ils devraient, lorsqu’ils sont utilisés à des fins d’organisation du travail, être encadrés et contrôlés.

Ainsi, les travailleurs devraient être informés de l’utilisation de ces outils et avoir accès à leurs modalités de fonctionnement, dès lors qu’ils affectent leurs conditions de travail. Quant à l’employeur, il doit demeurer entièrement responsable des décisions qu’il prend dans l’entreprise. L’utilisation d’algorithmes devrait être considérée comme un simple outil d’aide à la décision.

À cet effet, l’article 1er inscrit les décisions prises par les employeurs à l’aide de moyens technologiques comme relevant de leur pouvoir de direction. Il renforce l’accessibilité du contenu des décisions et l’information du salarié sur les motivations des décisions le concernant et il permet à ce dernier de demander qu’une nouvelle décision soit prise par un être humain.

Par ailleurs, l’article 2 incite à respecter le principe de non-discrimination dans l’utilisation des algorithmes. Par les tris de données qu’ils opèrent et les recommandations qu’ils formulent en fonction d’un ensemble de critères, les algorithmes peuvent conduire à des discriminations qui sont contraires à la loi, parfois indépendamment de la volonté de l’employeur.

Une telle situation s’est déjà produite : en 2017, l’entreprise Amazon a dû renoncer à l’utilisation d’un algorithme pour le recrutement de salariés, car il induisait une discrimination à l’embauche, en privilégiant les hommes aux femmes. Le logiciel s’appuyait sur une base de données recensant les CV reçus par l’entreprise depuis dix ans, qui comprenait une grande majorité de CV d’hommes. L’algorithme en a déduit que les candidats masculins étaient préférables et s’est ainsi mis à rejeter les candidatures féminines.

Face à de tels risques, l’employeur doit être responsable des outils technologiques qu’il utilise pour le recrutement ou la gestion des salariés dans l’entreprise. La protection des travailleurs contre toutes les formes de discrimination au travail ne saurait être affaiblie par l’utilisation d’outils technologiques.

C’est pourquoi l’article 2 pose le principe selon lequel, en cas de litige, l’employeur doit apporter la preuve que les outils qu’il utilise ne sont pas source de discrimination.

Enfin, la proposition de loi met en lumière la situation des travailleurs de plateformes, qui est le résultat le plus visible de l’influence des algorithmes sur le monde du travail. La qualification juridique de ces travailleurs, dont le Sénat a déjà eu l’occasion de débattre à plusieurs reprises, est une question d’ordre public social.

L’ambiguïté de leur situation, lorsque l’algorithme de la plateforme joue un rôle essentiel dans l’organisation du travail, donne lieu à un contentieux abondant, auquel la réponse des juridictions n’est pas univoque. Si plusieurs décisions de la Cour de cassation ont penché dans le sens de la requalification en salariés de livreurs à vélo ou de chauffeurs de VTC, elles n’ont pas une portée absolue.

À défaut de leur reconnaître le statut de salarié, le législateur a progressivement octroyé, depuis 2016, des droits spécifiques aux travailleurs de plateformes en prévoyant que, lorsqu’une plateforme détermine les caractéristiques de la prestation de service et fixe son prix, elle a une « responsabilité sociale » à l’égard des travailleurs indépendants recourant à ses services.

En particulier, la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM) et les ordonnances du 21 avril 2021 et du 6 avril 2022 ont posé le cadre d’un dialogue social entre travailleurs indépendants et plateformes dans les secteurs de la mobilité. Les premières avancées obtenues dans ce cadre ne sont pas négligeables.

Toutefois, les droits spécifiques progressivement accordés à ces travailleurs ont surtout eu pour effet de les enfermer dans un statut d’indépendant amélioré et de conforter le modèle des plateformes, qui repose sur le contournement du droit du travail et le dumping social.

Ces réponses à l’ubérisation ne sont donc pas à la hauteur : le statut d’indépendant n’est pas adapté à la situation des travailleurs précaires, qu’ils soient livreurs à vélo ou chauffeurs de VTC, et ne correspond pas à la réalité des relations entre ces travailleurs et les plateformes.

Si le même débat existe dans toute l’Europe, d’autres pays y ont apporté des réponses plus audacieuses. En Espagne par exemple, la loi Riders, entrée en vigueur en août 2021, instaure une présomption de salariat pour les livreurs à deux roues et un droit d’accès des travailleurs à l’algorithme.

Afin de conforter le mouvement jurisprudentiel en faveur de la requalification de certains travailleurs de plateformes, l’article 3 de la proposition de loi introduit une distinction entre, d’une part, les véritables opérateurs de mise en relation et, d’autre part, les plateformes d’emploi qui exercent un contrôle juridique et économique sur les éléments essentiels de la relation de travail.

Par conséquent, un travailleur opérant en lien avec une telle plateforme devrait relever, sous le contrôle du juge, d’une relation de travail salarié et non du régime de la responsabilité sociale des plateformes. En facilitant, pour ceux qui le souhaitent, la reconnaissance de leur lien de subordination avec les plateformes, ce texte doit permettre à ces travailleurs de bénéficier d’une rémunération horaire minimale, d’un encadrement des ruptures de contrats, ainsi que d’une protection sociale appropriée.

Je dirai un mot du sort des travailleurs de plateformes sans-papiers, qui ont fait l’objet de déconnexions massives à la suite de la signature par les plateformes de livraison d’une charte relative à la lutte contre la fraude et la sous-traitance irrégulière. Ces travailleurs ne peuvent pas, faute de bulletins de salaire à leur nom, profiter des dispositions de la circulaire du 29 novembre 2012, dite circulaire Valls, qui permet la régularisation par le travail. Madame la ministre, allez-vous permettre à ces travailleurs de sortir de l’impasse ?

La commission des affaires sociales a rejeté cette proposition de loi. À titre personnel, je le regrette et espère que nos débats fédéreront celles et ceux qui, au sein de cette assemblée, partagent nos inquiétudes. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – Mme Colette Mélot applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de linsertion et du ministre de léducation nationale et de la jeunesse, chargée de lenseignement et de la formation professionnels. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous ouvrons l’examen de la proposition de loi relative à la maîtrise de l’organisation algorithmique du travail, déposée par M. Pascal Savoldelli, Mme Cathy Apourceau-Poly et leurs collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Je vous prie d’excuser le ministre du travail, Olivier Dussopt, de son absence.

Tout d’abord, l’impact des algorithmes sur l’organisation du travail est un enjeu important, dont le Gouvernement prend toute la mesure.

En effet, nous sommes très attentifs aux mutations sociales entraînées par la révolution numérique. Nous avons lancé en décembre dernier les Assises du travail pour engager une réflexion sur le rapport au travail et sur la qualité de vie, la santé et la démocratie au travail. Ces assises ont réuni, de manière large, les partenaires sociaux, des personnalités qualifiées et des universitaires et ont notamment porté sur les questions liées au management par les algorithmes – des propositions seront formulées dans le rapport qui sera rendu dans les prochains jours.

Par ailleurs, nous agissons pour mieux réguler les relations entre les travailleurs des plateformes et celles-ci. Ces dernières années, un cadre juridique a été élaboré pour permettre l’émergence d’un dialogue social dans le secteur des plateformes de VTC et de livraison, afin de permettre aux travailleurs de négocier un socle de droits.

À cet égard, nous saluons – et je salue, en tant qu’ancienne rapporteure du projet de loi ayant permis d’organiser le dialogue social avec les plateformes – l’accord instaurant un revenu minimal de la course dans le secteur des VTC, qui témoigne de la dynamique engagée pour l’amélioration des droits sociaux des travailleurs de ce secteur d’activité.

Bien sûr, face aux métamorphoses du travail qu’implique la révolution numérique, il nous faut accompagner les acteurs économiques et adapter notre modèle. À ce titre, cette proposition de loi pose une question primordiale : celle de notre rapport aux avancées technologiques.

Il est important de rappeler que les contenus de ces technologies n’ont pas de direction naturelle ; rien ne les destine, intrinsèquement, à contraindre le travail plutôt qu’à l’améliorer. Il nous revient de donner une intention, de choisir comment mettre à notre service ces technologies.

Disons-le clairement : notre optimisme vis-à-vis de ces technologies n’est pas contradictoire avec une vigilance sur la forme des progrès qu’elles comportent.

Aussi, contrairement à ce que certains voudraient faire croire, nous sommes attentifs à ce que l’être humain continue de réguler et d’encadrer le travail pour ne pas céder à une administration ou une gouvernance par les nombres.

La question qui doit nous animer est non pas de savoir comment combattre ou mettre en sourdine les algorithmes, mais comment nous assurer qu’ils sont à notre service pour une meilleure organisation du travail.

Or nous estimons que cette proposition de loi ne donne pas une réponse satisfaisante à cette question.

En effet, cette proposition de loi, en adaptant les règles de droit du travail pour prendre en compte la gestion algorithmique, pose en réalité plus de difficultés qu’elle n’en résout. Du reste, le Gouvernement n’est pas le seul à le penser : le texte a été rejeté mercredi dernier par la commission des affaires sociales du Sénat, qui partage notre diagnostic sur l’utilité des dispositifs proposés.

Revenons brièvement sur ces dispositifs, qui sont regroupés dans trois articles.

Tout d’abord, l’article 1er considère les décisions prises par un algorithme ayant un effet sur les salariés comme relevant de l’exercice du pouvoir de direction et de contrôle de l’employeur. L’idée est de responsabiliser davantage ce dernier face à une décision qu’il aurait déléguée à un algorithme.

Cette disposition n’ajoute rien, en réalité, à la législation en vigueur. De fait, la responsabilité de l’employeur n’est en aucun cas écartée, lorsqu’une prise de décision est automatisée ou algorithmique. Pour le dire autrement, un ordre passé par algorithme n’en est pas moins un indice de subordination à l’employeur, qui peut être pris en compte par le juge pour prononcer une éventuelle requalification de la relation de travail.

Il en va de même de l’autre mesure de cet article consistant à garantir l’accès du salarié aux motivations des décisions qui le concernent en matière disciplinaire, en vue d’instaurer une voie de recours humaine aux sanctions automatisées. Le code du travail encadre déjà les procédures disciplinaires des entreprises, et probablement mieux que ne le permettrait la rédaction de cet article.

Plus précisément, le droit du travail n’autorise pas à appliquer une sanction disciplinaire de manière automatique, par un algorithme. De plus, les voies de recours ne sont pas conditionnées aux fondements de la décision. Ainsi, si une sanction est prise sur le fondement de données récoltées par un algorithme, les voies de recours ne sont pas différentes d’une décision prise sur la base d’informations purement humaines.

Pour ne donner qu’un exemple, pour contester une sanction, le salarié peut saisir le conseil des prud’hommes, lequel peut annuler la sanction si elle n’est pas justifiée. À cet égard, cette proposition de loi risque de rendre plus confus le droit existant plutôt que de l’améliorer.

Ensuite, l’article 2 dispose que, en cas de litige relatif à une discrimination indirecte liée à l’utilisation d’outils automatisés, les modalités de preuves sont aménagées. Il reviendrait ainsi à l’employeur d’apporter la preuve de l’absence de discrimination.

Le motif est louable, étant entendu que les algorithmes, par définition aveugles à tout autre principe que l’optimisation sous contrainte, peuvent entretenir des biais discriminants.

Toutefois, là encore, je ne saurais dire à quel besoin cette disposition répond, puisque le code du travail définit formellement les motifs pour lesquels aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, et ce peu importe le fondement de la discrimination et les moyens par laquelle celle-ci se produit.

Ainsi, la charge de la preuve est déjà aménagée au profit du salarié, dès lors qu’il se dit victime d’une discrimination, y compris si celle-ci résulte de l’utilisation d’un algorithme.

Enfin, l’article 3 introduit dans la loi la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de requalification de la relation entre un travailleur et une plateforme, en écartant la qualification de « plateformes de mise en relation », dès lors que celle-ci exerce un contrôle juridique et économique sur les éléments essentiels de la relation de travail, notamment par des moyens technologiques ou des traitements automatisés.

Là encore, vous prétendez inscrire dans la loi un cadre jurisprudentiel existant de longue date sur la définition du lien de subordination. Toutefois, la Cour de cassation n’a jamais statué que l’exercice d’un contrôle juridique et économique, y compris par des moyens technologiques ou traitements automatisés, permettait de caractériser une relation de travail.

Une nouvelle fois, la solution proposée ne répond pas à l’ambition affichée, en cela qu’elle remet en cause l’équilibre jurisprudentiel sur l’appréciation des critères de subordination. En outre, elle ne tient pas compte du cadre juridique défini depuis plusieurs années pour créer une véritable responsabilité sociale des plateformes, dont les acteurs se sont déjà emparés.

En conclusion, si nous partageons l’esprit de cette proposition de loi, nous n’en reconnaissons pas l’utilité et ne pouvons la considérer comme une solution au management algorithmique. La priorité n’est pas d’encadrer précipitamment les algorithmes, au risque de le faire maladroitement, voire en contradiction avec les protections déjà offertes par le code du travail. Il s’agit plutôt de redoubler de vigilance quant à la bonne application du droit et de réfléchir plus avant à ce que l’on attend des algorithmes au travail. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures cinquante.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures vingt, est reprise à quatorze heures cinquante, sous la présidence de Mme Laurence Rossignol.)

PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Nous poursuivons l’examen de la proposition de loi relative à la maîtrise de l’organisation algorithmique du travail.

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Jocelyne Guidez.

Mme Jocelyne Guidez. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, tout d’abord, je tiens à remercier M. Pascal Savoldelli de son engagement et notre collègue rapporteure, Mme Cathy Apourceau-Poly, de la qualité de son travail.

Cette proposition de loi vise à encadrer le recours aux algorithmes et la numérisation des relations de travail. Il s’agit de renforcer la responsabilité des employeurs et la protection des salariés.

Cette initiative parlementaire s’inscrit dans le prolongement du rapport d’information de Pascal Savoldelli du 29 septembre 2021 sur l’ubérisation de la société et l’incidence des plateformes numériques sur les métiers et le marché de l’emploi.

Selon les conclusions de cette mission d’information, les plateformes tendent à remettre en cause notre modèle social et économique, en imposant aux travailleurs auxquelles elles recourent les pratiques du management algorithmique. Il serait donc nécessaire de mieux les encadrer.

Des recommandations sont ainsi formulées autour de quatre grands axes : l’amélioration des conditions de travail, le développement du dialogue social, l’encadrement du management et la transparence et la régulation des algorithmes des plateformes.

Antérieurement à la parution de ce rapport, la proposition de loi relative au statut des travailleurs des plateformes numériques a été rejetée par notre assemblée en juin 2020. Notre ancienne collègue Catherine Fournier soulignait alors que la transformation de la relation commerciale du travailleur indépendant de plateforme en un contrat relevant du droit du travail, centrée sur les plateformes de services, était trop restrictive et faisait fi de la diversité de celles-ci.

Par ailleurs, j’appelle votre attention sur la proposition de loi déposée en août 2022 par notre collègue Bruno Retailleau relative aux travailleurs en situation de dépendance économique vis-à-vis des plateformes numériques. Ce texte met l’accent sur le développement du numérique qui a donné naissance à de nouvelles formes d’organisation du travail.

L’émergence de ces dernières a permis l’accès à l’emploi de personnes qui en étaient parfois éloignées. Les profils de ces travailleurs sont variés : anciens chômeurs, étudiants, actifs souhaitant compléter les revenus d’un emploi salarié… La question de leur protection est ainsi abordée par une réflexion sous le prisme de leur statut.

Cette proposition de loi s’appuie notamment sur les conclusions d’un rapport d’information de Mme Frédérique Puissat, M. Michel Forissier et Mme Catherine Fournier au nom de la commission des affaires sociales, déposé en mai 2020 et intitulé Travailleurs de plateformes : au-delà de la question du statut, quelles protections ? Les auteurs estimaient « nécessaire de dépasser le débat sur le statut et de développer des droits et une couverture sociale indépendants de ce dernier ».

Le texte de Bruno Retailleau vise à appliquer cette recommandation. Sans toucher au régime des travailleurs indépendants, il crée un nouveau type de contrat sur mesure, qui améliorera la protection sociale des travailleurs. De plus, il comporte des mesures de prévention en matière de santé, ainsi que des garanties sur la transparence du fonctionnement des algorithmes.

Ces différents travaux menés au Sénat témoignent de l’intérêt que nous portons à ce sujet et mettent en lumière la nécessité de mieux connaître ce phénomène, qui recouvre tout un spectre d’activités et de situations sociales.

Née dans divers secteurs des mobilités, la plateformisation s’étend désormais à l’ensemble de l’économie. Elle se traduit par une explosion du nombre de travailleurs de plateforme : ils sont actuellement 28 millions au sein de l’Union européenne et seront, selon les estimations, 43 millions en 2025.

L’extension de cette nouvelle façon de travailler exige de porter un nouveau regard sur les conséquences de ce phénomène et nous impose de réorganiser le dialogue social.

Dans un contexte où les discriminations se développent, les travailleurs doivent bénéficier d’une protection adéquate. Force est de constater que ces personnes, souvent précaires, isolées et contraintes de recourir à ces formes d’emploi, cumulent les fragilités : faiblesse des rémunérations, protection sociale incomplète, exposition aux risques professionnels… Soumises à un degré élevé de contrôle, elles peuvent ressentir une forme de dépendance à l’égard des plateformes.

Nous défendons l’idée d’un travail décent dans le monde en ligne. Pour lutter contre les effets discriminatoires, il nous semble important que la chaîne de responsabilité soit considérée comme humaine, même si son fonctionnement repose sur des algorithmes.

Idéalement, les algorithmes doivent être contrôlés et encadrés, puisqu’ils sont utilisés à des fins de gestion des ressources humaines, d’organisation du travail et de recrutement.

Le groupe Union Centriste approuve la démarche parlementaire consistant à proposer des améliorations aux conditions de vie et de travail des travailleurs de plateformes et à diminuer ainsi leur exposition aux risques.

En tout état de cause, nous ne pouvons pas voter contre cette proposition de loi qui vise à améliorer la transparence de nouveaux modes d’organisation du travail, ainsi qu’à responsabiliser les employeurs.

Toutefois, mes chers collègues, nous savons qu’une proposition de directive sur la reconnaissance d’une présomption irréfragable de salariat pour certains de ces travailleurs est en cours de négociation à l’échelle de l’Union européenne. Il est nécessaire que ces travaux aboutissent.

Par conséquent, il nous semble prématuré de légiférer sur ce sujet avant que ces travaux n’aboutissent, étant donné que notre travail législatif risque d’être détricoté à l’avenir.

La prise en considération de la dimension européenne de cette question constitue une étape importante dans la recherche de solutions pour améliorer les conditions de travail. Ce combat à l’échelle européenne tracera de nouvelles perspectives pour aborder cette thématique, qui occupera certainement une place importante dans les débats sur les droits sociaux des travailleurs dans les prochaines années.

Pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste s’abstiendra.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.

M. Jean-Pierre Corbisez. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le développement technologique a longtemps été associé à la notion de progrès et force est de constater qu’il a pu être porteur d’avancées réelles dans de nombreux domaines sociaux et économiques, y compris dans le monde du travail.

Néanmoins, il emporte aussi son lot d’inquiétudes et de questionnements, dès lors qu’il percute les droits des salariés ou interfère avec les conditions de travail ou les processus de recrutement, à l’image de la récente polémique autour du groupe Amazon, dont l’algorithme d’analyse des candidatures favorisait celles des hommes – quelle ironie pour un groupe portant un tel nom ! (Sourires.)

Les débats actuels sont d’ailleurs denses sur les risques que porte intrinsèquement la progression exponentielle de l’intelligence artificielle, qu’il s’agisse de son fonctionnement désincarné ou des abus potentiels de son usage.

Évidemment, l’argument selon lequel l’outil est par nature innocent et seuls les usages peuvent être détournés est absolument irrecevable. Il est au contraire de la responsabilité des concepteurs d’en garantir toutes les sécurités d’utilisation et de celle du législateur de fixer le cadre d’exercice de cette responsabilité.

C’est précisément l’objet de cette proposition de loi déposée par nos collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

La commission n’a pas adopté le texte, au motif qu’il n’apporterait pas de garanties supérieures aux salariés et que des travaux du même ordre sont en cours à l’échelle européenne. Et alors ? Pourquoi attendre l’Europe ?

Pour ma part, j’estime que, lorsqu’il s’agit de la relation au travail, les garanties et protections des salariés méritent toujours d’être interrogées et renforcées, d’autant plus dans un contexte où les discussions européennes semblent assez mal engagées…

Gardons en mémoire que l’économie des plateformes concernera, d’ici à 2025, 43 millions de salariés !

Au-delà des plateformes, nombre d’entreprises ont aujourd’hui pris le virage du numérique avec pour objectifs affichés d’améliorer leurs processus d’organisation, de simplifier et d’améliorer leurs moyens d’action ou encore d’optimiser la gestion du travail.

L’informatique peut certes constituer une aide, mais n’oublions pas que, derrière ces logiciels et algorithmes, se trouvent des programmateurs qui paramètrent leurs outils en fonction des consignes qui leur sont données.

La décision automatisée est d’autant plus dangereuse qu’elle est, par nature, prise de façon opaque et qu’elle peut reproduire à l’envi des comportements discriminants avec le risque d’une standardisation des décisions. Cela est d’autant plus inquiétant pour les intelligences artificielles (IA) dites apprenantes, capables d’acquérir une autonomie croissante et dont le fonctionnement devient complexe à expliquer, voire difficile à maîtriser.

Aussi me semble-t-il pertinent, comme le dispose l’article 1er de la proposition de loi, de clarifier la nature juridique du recours à l’algorithme comme une expression du pouvoir de direction et de contrôle de l’employeur, traduisant ainsi l’une des conclusions de la mission d’information sénatoriale consacrée à l’ubérisation de la société.

Même si elle est automatique et invisible, une décision issue d’un traitement automatisé n’en a pas moins des conséquences pour le salarié. Celui-ci doit être en mesure, d’une part, de se défendre face à une décision qui lui est défavorable et, d’autre part, de la contester, si elle est l’expression d’une discrimination. De ce point de vue, contraindre l’employeur à apporter la preuve que son algorithme n’est pas discriminatoire va dans le bon sens.

Enfin, la proposition de loi s’attaque au sujet épineux des plateformes et du lien de subordination que celles-ci imposent à leurs collaborateurs présentés, souvent à tort, comme indépendants.

Or, le plus souvent, ils n’ont que peu ou pas la maîtrise de la gestion de leurs missions ou de la fixation de leurs tarifs, comme ils ne peuvent pas véritablement négocier leur contrat ni contester les sanctions qui leur sont appliquées.

Il s’agit ici, sans attendre l’issue des négociations européennes, mais avec la préoccupation de protéger les salariés de ces plateformes, d’intégrer dans notre droit du travail les jurisprudences Uber, Deliveroo et Elite Taxi.

Cette définition permettra d’harmoniser les responsabilités entre les employeurs lambda et les plateformes, lesquelles ont trop souvent exploité les failles du vide juridique les concernant.

Pour toutes ces raisons, le groupe du RDSE est favorable à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, CRCE et GEST. – Mme la rapporteure applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Babary. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Serge Babary. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, un certain humanisme à la française, assez largement partagé, qu’il soit d’origine religieuse ou laïque, nous a toujours fait considérer avec inquiétude et circonspection l’intrusion d’automatismes dans les relations interpersonnelles au sein du monde du travail.

Souvenons-nous de l’essai de Georges Bernanos, La France contre les robots, dans lequel l’auteur formulait, dès 1947, une violente critique de la société industrielle, estimant que le machinisme limitait la liberté des hommes et perturbait jusqu’à leur mode de pensée.

L’actualité concernant les nouvelles formes d’emploi – free-lance, microentrepreneur, salarié porté – et les modes d’engagement, en particulier sur les plateformes numériques, suscitent des interrogations.

Il s’agit d’accompagner et de sécuriser l’important mouvement de fond en faveur de ces nouvelles formes d’emploi. Il apparaît également urgent d’examiner l’ensemble des composantes du travail indépendant afin de révolutionner notre pacte social et d’adapter notre système à ces transformations.

Il convient de réinterroger aussi bien le contenu, les équilibres et les applications des dispositifs actuels de protection sociale. Il est vrai que la tentation d’une ubérisation sociale issue de l’organisation algorithmique du travail a dévoyé ces perspectives.

Cependant, actuellement, plus de 28 millions de personnes travaillent par l’intermédiaire de plateformes numériques de travail au sein de l’Union européenne ; en 2025, elles devraient être 43 millions.

Il s’agit d’un secteur particulièrement dynamique et innovant. Ainsi, entre 2016 et 2020, les revenus de l’économie des plateformes ont été multipliés par près de cinq, passant d’un montant estimé à 3 milliards d’euros à environ 14 milliards d’euros.

Partout dans le monde, les conditions d’emploi des travailleurs des plateformes suscitent de nombreuses inquiétudes liées à leur statut juridique : sont-ils des salariés ou des contractants indépendants, par conséquent responsables de leur propre assurance sociale et exerçant un contrôle sur leurs revenus ?

L’issue de cette controverse ayant trait à leur protection sociale n’est pas anodine. Le débat juridique, économique et social est donc vif. En Europe, les États ont apporté des réponses différentes, soit par la loi, soit par la jurisprudence.

Par ailleurs, le développement d’un management par les algorithmes soumet les travailleurs à une pression constante et à un contrôle intrusif.

La première objection à cette proposition de loi est son caractère prématuré, puisqu’une proposition de directive européenne est discutée depuis le 10 décembre 2021. Celle-ci vise à garantir aux personnes travaillant par l’intermédiaire de plateformes numériques de travail le statut professionnel juridique correspondant à leurs modalités réelles de travail.

Pour cela, la proposition de directive prévoit une liste de critères de contrôle afin de déterminer si la plateforme est un « employeur ». Si au moins deux de ces critères sont remplis, les personnes travaillant par l’intermédiaire de la plateforme devraient jouir des droits du travail et des droits sociaux qui découlent du statut de salarié.

Après des mois d’intenses négociations, le Parlement européen a adopté une position de négociation le 2 février, laquelle tend à supprimer les critères de présomption de salariat, ce qui risque d’entraîner une incertitude juridique, de conduire à des requalifications massives et, finalement, de causer des pertes d’emploi. Les États membres de l’Union européenne doivent avancer au même rythme sous peine, sinon, de créer des inégalités de concurrence qui affaibliront la compétitivité de nos entreprises.

La deuxième objection à cette proposition de loi est qu’elle est réductrice. Les mutations du travail ne concernent pas seulement les plateformes numériques, mais de nombreuses autres branches professionnelles, comme l’ont montré les travaux de la délégation sénatoriale aux entreprises sur l’évolution des modes de travail et les défis managériaux de juillet 2021, dont nos collègues Martine Berthet, Michel Canévet et Fabien Gay étaient les rapporteurs. Ces derniers appelaient à une réflexion globale sur la définition juridique du travail indépendant, qui ne peut être réduit à la seule dimension des plateformes de mise en relation.

Il apparaît également que le secteur public s’empare de cette possibilité, en utilisant des algorithmes pour l’orientation des jeunes – je pense notamment à la plateforme Parcoursup.

La troisième objection est que la traduction dans la proposition de loi des pistes identifiées dans le rapport d’information de nos collègues Martine Berthet et Pascal Savoldelli sur l’ubérisation de la société, ainsi que sur l’impact des plateformes numériques sur les métiers et l’emploi, datant de septembre 2021, est inadaptée.

Il faut prendre garde à ne pas repousser les microentrepreneurs vers le travail non déclaré en raison d’une réglementation que l’on souhaite toujours vertueuse, mais qui a souvent des effets contre-productifs.

Pour autant, ce taylorisme numérique est un véritable sujet, que la proposition de loi soulève avec raison. Il instaure une surveillance constante des travailleurs par une intelligence artificielle. Ce management déshumanisant crée un profond sentiment d’anxiété chez les employés, voire de perte de confiance envers l’employeur, pouvant conduire à un désengagement dans le travail. Cependant, ce réflexe législatif est-il le bon ?

Nous avons trop tendance à recourir à la norme pour accompagner l’évolution économique. Une réflexion sur ce thème est d’ailleurs actuellement conduite par nos collègues Olivier Rietmann, Jean-Pierre Moga et Gilbert-Luc Devinaz ; il faut simplifier les normes applicables aux entreprises. La solution est sans doute moins normative que managériale.

Les employés acceptent un peu mieux d’être gérés grâce à une intelligence artificielle, si l’employeur prend le temps de leur expliquer le pourquoi et le comment de cette approche managériale, ce qui contribue à réduire l’insécurité professionnelle ou encore l’asymétrie d’information et de pouvoir. L’employeur doit adapter son style de gestion afin que l’ajout d’une intelligence artificielle soit perçu non pas comme une déshumanisation des ressources humaines, mais comme un « plus » améliorant la gestion des ressources humaines au bénéfice des travailleurs eux-mêmes.

À ce véritable sujet, une réponse pertinente, adaptée et proportionnée s’impose, ce qui n’est pas le cas de la proposition de loi, laquelle, si elle a le mérite d’attirer notre attention, ne peut être adoptée.

En revanche, je nous donne rendez-vous pour la transposition de la prochaine directive européenne, en nous gardant bien de contribuer à la surtransposer !

Ainsi, vous l’aurez compris, le groupe Les Républicains ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Ludovic Haye applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis sa sortie à la fin de l’année 2022, et plus encore depuis celle de sa dernière version, ChatGPT ne cesse de faire parler de lui et nourrit autant d’inquiétudes qu’il fait d’adeptes. Parmi les craintes, on évoque les risques liés à la confidentialité des données, ceux relatifs à l’exactitude des informations transmises par le chatbot et les risques de plagiat.

Il est aussi régulièrement question des risques de suppression d’emplois que cette intelligence artificielle générative pourrait causer. À ce titre, dans un rapport publié le 26 mars dernier, des économistes ont estimé que ce type d’intelligence artificielle pourrait exposer plus de 300 millions d’emplois à l’automatisation.

Toutefois, cette inquiétude de l’articulation entre le travail et l’évolution technique et numérique est-elle une nouveauté ? Pas véritablement.

La crainte des évolutions techniques et de leurs effets sur le travail de l’être humain existe depuis longtemps et n’a pas attendu les pontes de la Silicon Valley. En 1589, la reine Élisabeth Ire d’Angleterre interdisait la machine à tricoter les bas, de crainte qu’elle ne prive ses sujets d’emplois. (Sourires.)

Plus récemment, dès l’apparition d’Uber en France en 2011, des alertes étaient lancées sur le risque d’ubérisation de la société et sur la nécessité d’adapter notre droit du travail aux évolutions numériques.

Nous devons donc en permanence nous interroger sur le rapport entre les évolutions techniques et le travail, qui est le sujet de la présente proposition de loi. Plus précisément, ses auteurs nous proposent de légiférer sur les effets des algorithmes sur la relation de travail.

Le cadre de cette proposition de loi dépasse celui des plateformes numériques. L’usage d’algorithmes dans la relation de travail est aujourd’hui présent bien plus largement, y compris dans des secteurs qui ne sont pas directement liés au numérique, par exemple en matière de processus de recrutement, de gestion des carrières ou d’évaluation des salariés. Les algorithmes interviennent de façon croissante dans la gestion des ressources humaines.

Ce texte a le mérite d’ouvrir le débat sur cette nouvelle forme de management qu’est le management algorithmique et sur les enjeux qu’il soulève. Si ce type d’inquiétude n’est pas nouveau, le nombre important et le type d’emplois qui pourraient être concernés inquiètent davantage, comme la rapidité avec laquelle ils pourraient l’être.

Il nous revient d’encadrer l’usage des algorithmes de sorte qu’il ne se fasse pas au détriment des salariés. Reconnaissons-le, pour les travailleurs comme d’ailleurs pour les employeurs, les algorithmes ont souvent quelque chose d’abstrait, voire d’opaque.

Cette proposition de loi pose des questions tout à fait légitimes sur l’articulation entre algorithme et pouvoir de l’employeur, sur les critères et les paramètres retenus par un algorithme ou encore sur le statut des travailleurs des plateformes numériques.

Toutes ces questions sont pertinentes. Cependant, nous ne pensons pas que les réponses figurent dans ce texte.

En effet, les dispositions législatives en vigueur n’excluent pas les décisions prises grâce à un algorithme du pouvoir de direction et de contrôle de l’employeur. Elles ne les excluent pas non plus du principe de non-discrimination. Est-il nécessaire de légiférer afin de préciser que tout ce qui ne serait pas exclu d’une règle y est inclus ? Nous ne le pensons pas.

À propos du statut des travailleurs de plateformes, nous estimons plus pertinent d’attendre la directive européenne, qui devrait nous parvenir prochainement.

Voilà une semaine, plus d’un millier de personnalités du monde de la tech signaient une lettre ouverte appelant à suspendre le développement de l’intelligence artificielle et s’interrogeaient : « Devrions-nous automatiser tous les emplois ? Devrions-nous développer des esprits non humains qui pourraient finalement nous dépasser en nombre et en intelligence, nous rendre obsolètes et nous remplacer ? Devrions-nous risquer de perdre le contrôle de notre civilisation ? »

Autant de questions auxquelles les six mois de suspension demandés par les signataires ne suffiront sans doute pas à trouver des réponses. Les signataires n’en apportent pas non plus, mais ils alertent au moins sur ce sujet, à l’image de cette proposition de loi. Toutefois, il est intéressant d’en débattre et je remercie les auteurs de ce texte de nous avoir permis d’y réfléchir.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera contre ce texte.

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Mark MacGann, ancien dirigeant de l’entreprise Uber devenu lanceur d’alerte, s’interrogeait le 23 mars dernier lors de son audition par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale relative aux révélations des Uber Files : « Combien de fois ai-je eu affaire à des gouvernements qui nous accusaient, à raison, d’être des hors-la-loi, mais qui, en privé, nous promettaient de trouver des solutions rapides et favorables à la croissance effrénée exigée par nos dirigeants et nos investisseurs ? […] En quoi cacher des rencontres avec des dirigeants d’entreprises sert-il la démocratie ? »

Il poursuivait : « Comment est-il possible que le fer de lance des États membres de l’Union européenne qui cherchent à vider de son sens la directive européenne sur les travailleurs des plateformes, adoptée par le Parlement européen, soit la France ? La même France qui a créé la sécurité sociale en 1945 et le salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig) en 1950, la France des congés payés, du minimum vieillesse, de la couverture médicale universelle (CMU), du revenu de solidarité active (RSA) et – c’est d’actualité – de la retraite à taux plein à 60 ans ! »

Nous saluons la proposition de loi de nos collègues du groupe CRCE qui, au-delà des plateformes numériques dites de mise en relation, adapte une partie de notre droit à l’avancée de l’organisation algorithmique du travail dans les entreprises.

Il nous apparaît en effet fondamental et urgent de définir juridiquement l’algorithme comme une intégration automatisée du pouvoir de direction, d’organisation et de contrôle de l’employeur, qui est le seul responsable in fine des critères et des finalités retenus dans le cahier des charges destiné aux informaticiens.

Le traitement automatisé qui s’ensuit ne peut masquer et invisibiliser le concepteur derrière le management algorithmique. Oui, selon une formule pertinente de l’exposé des motifs de cette proposition de loi, « l’algorithme est devenu le contremaître des temps modernes ».

C’est pourquoi l’employeur doit pouvoir répondre d’un possible biais de discrimination de l’algorithme et avoir l’obligation de s’en expliquer comme de le corriger. Dans ce cadre, le comité social et économique de l’entreprise devrait avoir connaissance des logiques de fonctionnement des algorithmes afin d’exercer pleinement ses prérogatives.

Enfin, concernant le cas spécifique des plateformes numériques, lorsqu’elles définissent et contrôlent les caractéristiques essentielles de la prestation et de la relation de travail, l’article 3 de ce texte prévoit d’intégrer dans le droit du travail la jurisprudence de la Cour de cassation, en leur contestant la qualité de simple « opérateur de mise en relation ».

Dès lors, nous appelons la France à soutenir – enfin ! – au Conseil de l’Union européenne la proposition de directive relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme, sur laquelle le Parlement européen a adopté le 2 février une position de négociation. Ce texte établit une présomption légale de salariat. D’autres pays européens ont déjà légiféré en ce sens.

En effet, le récit d’une prétendue indépendance des opérateurs de ces plateformes se révèle souvent être une fiction, déconstruite par la force de rappel d’une exploitation sans régulation.

« Faites-vous livrer là où la vie vous mène » propose Uber Eats via une campagne commerciale. Il s’agit de livraisons réalisées au détriment des conditions de travail des coursiers : contrôle en temps réel, opacité de la fixation des tarifs, dépendance à l’algorithme…

Dans les faits, le modèle économique des plateformes numériques participe massivement à la précarisation et à la paupérisation des travailleurs. Ainsi, au sein de l’Union européenne, plus de la moitié des travailleurs des plateformes gagnent moins que le salaire horaire net minimum du pays dans lequel ils travaillent.

Le journal Le Progrès, comme d’autres journaux régionaux, publiait mardi un dossier titré : « Qui sont les forçats de l’ubérisation ? »

Selon la Commission européenne, le texte qu’elle a proposé permettrait à la France, outre d’améliorer de façon substantielle les revenus des travailleurs, de percevoir entre 328 millions et 780 millions d’euros de recettes annuelles supplémentaires. Nous l’avons déjà souligné pendant l’examen du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale réformant les retraites, voilà de véritables solutions de financement de substitution renouant enfin avec le progrès social.

Aussi, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera cette proposition de loi, qui reprend plusieurs recommandations de la mission d’information sénatoriale. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER. – Mme la rapporteure et M. Jean-Pierre Corbisez applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Ludovic Haye.

M. Ludovic Haye. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons cet après-midi a pour objet d’encadrer davantage la numérisation des relations de travail, en définissant juridiquement l’algorithme, en renforçant les prérogatives d’information et de contrôle des comités sociaux et économiques et en légiférant sur le cas particulier des plateformes de mise en relation.

En 2021, nous avons mené une mission d’information, dont j’ai été vice-président – je salue d’ailleurs le travail de son rapporteur, Pascal Savoldelli –, portant sur l’ubérisation de la société et l’impact des plateformes numériques sur les métiers et l’emploi.

Nous avions formulé diverses recommandations organisées autour de quatre grands axes : l’amélioration des conditions de travail, le développement du dialogue social, l’encadrement du management algorithmique, ainsi que la transparence et la régulation des algorithmes des plateformes.

Ainsi, madame la rapporteure, si nous soutenons l’objectif de ce texte, qui est bien l’amélioration de la protection des salariés dans le cadre d’une relation algorithmique du travail, nous ne sommes pas complètement d’accord avec les moyens avancés.

Concernant l’article 1er, nous ne pensons pas que le dispositif proposé apporte des garanties supplémentaires aux travailleurs, car l’employeur est déjà responsable de ses décisions, même lorsqu’il a recours à des moyens technologiques.

Nous serions plutôt favorables à un dispositif qui améliorerait l’information des travailleurs sur ces plateformes, qui faciliterait leur accès aux données engendrées par leur activité et qui contribuerait à supprimer automatiquement, à intervalles réguliers, l’historique de leurs données.

Garantir l’intelligibilité des algorithmes aux travailleurs est la première étape indispensable pour faire du contenu de l’algorithme un véritable objet de négociation et pour intégrer ces problématiques au dialogue social.

En ce qui concerne l’article 2, si nous sommes favorables à une lutte plus accrue contre les discriminations au travail, qui peuvent être aggravées par l’utilisation des algorithmes, nous pensons toutefois que le dispositif proposé est satisfait par le droit en vigueur.

Il faut également rappeler que la procédure relative au contentieux des discriminations au travail peut d’ores et déjà s’appliquer aux recours contre les décisions des employeurs prises à l’aide d’outils technologiques, comme l’a indiqué Mme la ministre.

Au fil des auditions que nous avons menées pendant cette mission d’information, nous avons acquis la conviction qu’un algorithme était non pas seulement une suite d’opérations permettant de traiter des volumes importants de données, mais bel et bien une chaîne de responsabilité humaine, au long de laquelle il demeure possible d’intervenir à chaque moment. Cela peut être réalisé, par exemple, en rappelant la possibilité offerte aux salariés d’utiliser le statut de lanceur d’alerte.

Si l’article 3 soulève le sujet très attendu de la définition et de la qualification des travailleurs de plateformes, nous pensons cependant que nos travaux gagneraient à être orientés vers l’amélioration concrète des protections dont bénéficient ces travailleurs.

Je ne vous apprends rien ; des négociations sont en cours au sein du Conseil de l’Union européenne au sujet de la proposition de directive ayant trait à la présomption légale de salariat, présentée en décembre 2021 par la Commission européenne. Cette requalification, que nous soutenons, permettra un réel renforcement des droits des travailleurs des plateformes.

Le développement des plateformes numériques a considérablement transformé notre rapport au travail, ainsi que notre modèle social et économique.

Le travail est le secteur qui a subi l’une des évolutions les plus considérables dans notre société ces dernières années, nécessitant une adaptation très forte de la part des travailleurs. La généralisation du télétravail induite par la crise sanitaire et, plus récemment, les débats animés sur la question des retraites ont démontré toute l’importance des inquiétudes des Français à ce sujet.

Ainsi, si nous partageons certains des constats qui motivent cette proposition de loi – et je salue ici l’ensemble du travail effectué –, le groupe RDPI ne votera pas en faveur de ce texte.

Toutefois, nous sommes favorables à l’engagement d’une réflexion d’ensemble sur le sujet du travail et des valeurs qui l’accompagnent pour aboutir in fine à l’élaboration d’un texte législatif. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Pierre Louault applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Féret. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Corinne Féret. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour débattre de la proposition de loi relative à la maîtrise de l’organisation algorithmique du travail.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain accueille très positivement ce texte, tant il est en phase avec l’actualité. Chaque jour, la démonstration est faite que la plateformisation du travail, dont le cœur de la matrice se trouve dans l’opacité de la « boîte noire » qu’est l’algorithme, n’est ni plus ni moins qu’un cheval de Troie contre notre modèle social.

Nous avons toujours affirmé n’être en rien opposés au développement de l’économie numérique et aux plateformes collaboratives qui rendent de nombreux services à nos concitoyens. Mais nous souhaitons faire clairement la distinction entre ces interfaces et les plateformes numériques de travail, qui dérégulent le marché du travail et de nombreux secteurs d’activité, et formuler des propositions afin d’encadrer cette plateformisation de l’économie. Ainsi, dès 2019, notre collègue Monique Lubin présentait une proposition de loi visant à rétablir les droits sociaux des travailleurs numériques.

En France, plusieurs milliers de femmes et d’hommes ont été séduits par les promesses des plateformes, qui proposent une organisation libre du temps du travail, sans contrainte hiérarchique. En pratique, à cette illusion de liberté se substitue fréquemment une réalité bien plus brutale, les travailleurs se retrouvant très rapidement pieds et poings liés face aux exigences des plateformes.

Du jour au lendemain, certains d’entre eux voient leur compte suspendu, souvent sans aucune justification. Cela est d’autant plus dur qu’ils sont privés de nombreux droits sociaux, en raison du statut fictif de travailleur indépendant.

Nul ne peut plus nier que la dématérialisation des entreprises, à laquelle nous assistons sous l’effet de l’intelligence artificielle, et plus largement le numérique bouleversent toutes les relations de travail. De plus en plus de travailleurs seront gérés par un algorithme, qui leur attribuera des tâches, les rémunérera, organisera leur travail, les évaluera et, même, les sanctionnera.

L’enjeu est désormais de maîtriser ces algorithmes. Il est de notre responsabilité de garder la mainmise sur les innovations technologiques avant d’être dépassés par elles. Encadrer et contrôler devraient être nos maîtres mots.

Si le rôle de simple intermédiaire et de mise en relation est souvent mis en avant par les plateformes elles-mêmes pour décrire le fonctionnement des algorithmes, personne ne peut plus nier que le management algorithmique contribue, au contraire, à déterminer les conditions de travail et de rémunération des travailleurs bien au-delà d’une simple mise en relation entre l’offre et la demande.

Les algorithmes de tarification, les mécanismes d’incitation et les systèmes de notation ont des effets directs sur le comportement des travailleurs des plateformes, en modifiant leur organisation et leur temps de travail et en ne leur permettant d’avoir une visibilité ni sur leurs revenus ni sur leur projet professionnel.

Un algorithme est non pas seulement une suite d’opérations permettant de traiter des volumes importants de données, mais bien une chaîne de responsabilité humaine au long de laquelle il demeure possible d’intervenir à chaque étape de conception et d’utilisation.

Ce faisant, nous sommes évidemment favorables à la proposition de loi du groupe CRCE, qui reprend d’ailleurs plusieurs propositions du rapport de la mission d’information du Sénat sur l’ubérisation de la société que nous avions approuvées. Outre sa participation active à cette mission, notre groupe avait rédigé une contribution, notamment pour insister sur la légitime question du statut des travailleurs des plateformes.

Oui, nous devons inscrire dans la loi que les décisions des employeurs prises à l’aide de moyens technologiques sont des décisions relevant de leur pouvoir de direction.

Oui, il importe, en cas de litige portant sur une discrimination au travail, que ce soit à l’employeur d’apporter la preuve que les outils qu’il utilise ne sont pas source de discriminations. Notre collègue Olivier Jacquin avait d’ailleurs déjà émis ce souhait dans le cadre de sa proposition de loi visant notamment à contrôler la place de l’algorithme dans les relations contractuelles.

Et oui, enfin, il convient de conforter le mouvement jurisprudentiel actuel en faveur de la requalification de certains travailleurs de plateformes, en posant clairement la distinction entre, d’une part, les véritables opérateurs de mise en relation et, d’autre part, les plateformes d’emploi qui exercent un contrôle juridique et économique sur les éléments essentiels de la relation les liant aux travailleurs.

Il est grand temps d’avancer sur ces sujets.

L’intelligence artificielle est utilisée par des outils qui visent à éclairer la prise de décision ou à surveiller les employés. Cela crée une asymétrie de pouvoir et d’information. L’algorithme déformant l’ensemble des conditions de travail, nous avons le devoir aujourd’hui d’agir pour y remédier. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – Mme la rapporteure applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier mon collègue Pascal Savoldelli d’avoir présenté la proposition de loi relative à la maîtrise de l’organisation algorithmique du travail. Celle-ci s’inscrit dans la continuité de son tour de France et de son travail en faveur de la création d’un véritable statut des travailleuses et des travailleurs des plateformes numériques.

Je remercie également ma collègue Cathy Apourceau-Poly de la présentation de son rapport et des auditions qu’elle a conduites, qui ont enrichi le travail de Pascal Savoldelli.

Cette réflexion sur le travail dans notre société est essentielle. Au lieu de voter la retraite à 64 ans et, ainsi, voler les deux plus belles années de vie à la retraite des travailleurs et des travailleuses, le Gouvernement et la droite sénatoriale auraient été mieux inspirés de débattre du partage des richesses et du sens du travail.

Nous ne pouvons plus en faire l’économie. Le travail connaît des mutations sous l’effet de la généralisation de l’informatisation et de la robotisation amorcée dans les années 1980 et, à présent, de l’intelligence artificielle et des algorithmes, ce qui constitue une étape supplémentaire.

Les algorithmes dictent les contenus de nos téléphones et les articles de presse que nous lisons, influençant ainsi nos pensées et nos vies ; en nous orientant vers ce que nous aimons, ils nous privent de découvertes et donc de l’inconnu.

Ils modifient également notre rapport au travail et notre vie en société. En tant qu’êtres humains, citoyens et travailleurs, nous leur sommes subordonnés. Il est donc urgent d’encadrer l’intelligence artificielle et les algorithmes.

Même Elon Musk, pourtant fondamentalement opposé aux droits sociaux et syndicaux, a réclamé, avec une centaine d’experts mondiaux, une pause de six mois dans la recherche sur les intelligences artificielles – un comble ! –, car ces technologies posent des problèmes de protection des données, de dérégulation du marché de l’emploi et de circulation de fausses informations.

Sous couvert de neutralité et d’équité, ces algorithmes sont en réalité des aides à la décision pour l’employeur, qui demeure pourtant le seul donneur d’ordres ; or ils sont subjectifs. Ils constituent un nouvel outil de contrôle des travailleurs, de management, mais aussi de discrimination, voire de répression syndicale : ce n’est plus le patron qui vous licencie, c’est l’algorithme qui vous suspend.

Nous proposons donc de modifier le code du travail afin que les décisions prises à l’aide de moyens technologiques relèvent du pouvoir de direction de l’employeur, qui programme la machine à son avantage.

La relation de travail qui en est issue est, certes, moins directe avec l’employé, mais elle reste contractuelle et elle accroît la domination de l’employeur, en faisant peser de nouvelles contraintes sur les salariés. En étant maître de la programmation et en organisant son opacité, l’employeur reste le décideur unique : il existe donc bien un lien de subordination.

Les algorithmes incitent à davantage de rendement, en notant les travailleurs et en les poussant à augmenter leur productivité. Il est donc urgent de garantir à ces derniers un droit à la déconnexion, car le contremaître numérique, lui, ne prend jamais de pause.

Surtout, l’algorithme est froid ; avec lui, plus de débats, plus d’association du salarié aux prises de décision, plus non plus de discussions sur le sens du travail. L’intelligence artificielle et les algorithmes, c’est « travaille et tais-toi ! »

Ne pas légiférer reviendrait à refuser d’équilibrer la relation entre les employeurs et les travailleurs, à laisser ces derniers en dehors du champ du code du travail et à refuser de les protéger face à un système qui s’étendra peut-être, à l’avenir, à tous les champs du salariat. Les algorithmes impliquent souvent des salariés déguisés en autoentrepreneurs, sans droits ni salaire, mais avec une rémunération à la tâche, subissant la contrainte de devoir atteindre 60 heures par semaine pour s’en sortir.

La commission des affaires sociales du Sénat a estimé qu’il était prématuré de légiférer avant l’aboutissement de la réflexion européenne. Le Sénat français devrait pourtant œuvrer pour faire avancer la législation. Notre proposition de loi porte cette ambition : elle prend acte de la résolution adoptée par la Confédération européenne des syndicats le 6 décembre dernier, laquelle a établi la nécessité, pour les représentants des travailleurs, de bénéficier d’une expertise externe afin d’évaluer l’impact des algorithmes sur les conditions de travail.

Il est essentiel de faire valoir transparence et expertise pour rééquilibrer la relation au travail des plateformes numériques ; nous proposons donc de lever la zone d’ombre qui dissimule le véritable statut de ces travailleurs.

Dès lors que les plateformes encadrent juridiquement et économiquement l’activité des travailleurs, ceux-ci ne peuvent être considérés comme des indépendants, mais doivent être reconnus pour ce qu’ils sont : des salariés dans un rapport de subordination aux plateformes.

Aux entreprises qui ne respectent pas leurs obligations fiscales et administratives, la loi doit imposer le respect de leurs obligations sociales. C’est pourquoi nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, GEST et SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Jacquin.

M. Olivier Jacquin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier notre collègue Pascal Savoldelli et le groupe communiste républicain citoyen et écologiste de nous permettre de débattre de nouveau de l’impact du numérique et des nouvelles formes de travail issues de la plateformisation et de ce que l’on appelle communément l’ubérisation.

Ce texte est le quatrième sur le sujet que nous étudions en quatre ans, après deux missions d’information et de nombreuses autres propositions, déposées pour alimenter nos réflexions. Il faut croire que l’on parle davantage du travail grâce aux initiatives parlementaires que dans les textes du Gouvernement !

La question centrale est simple : comment s’assurer que le progrès technologique permette l’émancipation des travailleurs, et non leur assujettissement via un contremaître 2.0 ?

Corinne Féret a cité ma proposition de loi visant à lutter contre l’indépendance fictive, en permettant des requalifications en salarié par action de groupe et en contrôlant la place de l’algorithme dans les relations contractuelles, qui a été rejetée ici en 2021. Nous y défendions déjà la nécessité de contrôle et de transparence des algorithmes.

Le texte présenté aujourd’hui avance encore dans cette direction, et je m’étonne que la majorité sénatoriale continue, quant à elle, à se cacher sur ce sujet majeur, après le revirement opéré l’année dernière, lors des débats sur la ratification de l’ordonnance du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation, dite ordonnance Mettling.

En 2019, la commission des affaires sociales s’est opposée au tiers statut, mais, en 2021, elle a donné un blanc-seing au Gouvernement, dont l’intention était claire, comme l’était celle de la rapporteure de l’Assemblée nationale à l’époque : « réduire le faisceau d’indices susceptibles de révéler l’existence d’un lien de subordination » de telle sorte que « le risque d’une requalification […] soit aussi réduit que possible ».

Je ne fais que vous citer, madame la ministre : vous étiez en effet cette rapporteure, et vous oubliiez alors que nombre de ces travailleurs étaient des « indépendants fictifs », comme les a qualifiés la Cour de cassation.

L’excellent rapport de Cathy Apourceau-Poly nous apprend que notre collègue Frédérique Puissat a évoqué en commission une position plus nuancée de la majorité sénatoriale, sans pour autant nous en dire davantage ni déposer d’amendements sur ce texte. J’ai du mal à comprendre cette position.

Je rejoins notre collègue Pascale Gruny sur la nécessité de s’assurer que les textes que nous votons soient conformes à la proposition de directive de Nicolas Schmit relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme, en cours de discussion au niveau européen et que vous n’avez même pas citée, madame la ministre.

Je vous suggère donc, mes chers collègues, de voter la proposition de résolution européenne que j’ai déposée hier, avec Monique Lubin et Laurence Harribey, par laquelle nous appelons le Gouvernement à soutenir cette proposition de directive qui garantit de véritables droits aux travailleurs des plateformes.

Elle reprend d’ailleurs beaucoup des propositions défendues depuis des années par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, notamment dans ma proposition de loi de 2021 : présomption de salariat, inversion de la charge de la preuve en matière de requalification et transparence des algorithmes.

De même, une idée que je défends depuis plusieurs années y trouve sa place : l’adaptation du devoir de vigilance des multinationales à l’ubérisation, pour garantir un ultime filet de sécurité aux travailleurs. L’article 8 de la proposition de directive prévoit ainsi que ces derniers pourront exiger des explications sur les décisions algorithmiques les concernant, avec obligation pour la plateforme de répondre par écrit sous une semaine. Cette disposition est donc en parfaite concordance avec la proposition de loi en débat.

Mes chers collègues, en votant ce texte, nous signifierons surtout au Gouvernement qu’il fait fausse route : il doit cesser de bloquer l’adoption d’un texte proposant un cadre de régulation des algorithmes pour la protection des travailleurs des plateformes et, au contraire, souhaiter son adoption sous la présidence espagnole de l’Union européenne.

Dès lors, avec mon groupe, nous vous appelons, malgré les réserves qui ont été avancées par certains, à voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.

proposition de loi relative à la maîtrise de l’organisation algorithmique du travail

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la maîtrise de l'organisation algorithmique du travail
Article 2

Article 1er

Après l’article L. 1222-3 du code du travail, sont insérés deux articles L. 1222-3-1 et L. 1222-3-2 ainsi rédigés :

« Art. L. 1222-3-1. – Toute décision, ensemble de décisions ou système d’aide à la décision exprimé partiellement ou entièrement par des moyens technologiques ou traitements automatisés dans le cadre d’un service organisé et produisant des impacts sur les comportements, les choix ou les situations juridiques des travailleurs relève du pouvoir de direction et du pouvoir de contrôle de l’employeur.

« Sont considérés comme des décisions les processus ayant pour objet de choisir entre plusieurs actions ou abstentions à l’égard d’une ou plusieurs personnes concernées.

« Aucune sanction disciplinaire ne saurait être prononcée par l’employeur par application automatique d’un résultat obtenu par algorithme.

« Art. L. 1222-3-2. – Le contenu d’une décision entendue au sens de l’article L. 1222-3-1 faisant grief est accessible pour les personnes concernées et accompagnée au besoin d’une explication rédigée dans un langage simple et clair. Les décisions individuelles en constituent la simple exécution.

« Il est communiqué au travailleur concerné, à sa demande, l’état des critères employés pour produire la décision individuelle qui lui est opposée, de manière qu’il puisse vérifier que la décision-cadre entendue au sens du même article L. 1222-3-1 lui a été appliquée sans erreur.

« La décision entendue au sens dudit article L. 1222-3-1 est accompagnée d’une motivation individuelle pouvant être elle-même produite par des moyens technologiques ou traitements automatisés.

« Après avoir pris connaissance de la décision et de la motivation qui l’accompagne, la personne concernée a le droit de former un recours. Elle est alors invitée par l’employeur à présenter des observations écrites en soutien de sa cause. Une nouvelle décision motivée est prise par un être humain, qui remplace entièrement la première. Les motivations de la décision humaine ne peuvent s’appuyer sur les résultats du traitement automatisé opaque.

« Une décision au sens du même article L. 1222-3-1 est considérée comme opaque lorsque le travailleur est privé d’une description exhaustive des règles qui lui sont appliquées, que ce soit par choix ou en conséquence des techniques employées, de la technologie ou du traitement automatisé. »

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, sur l’article.

M. Pascal Savoldelli. Je vais tenter de vous convaincre de voter l’article 1er, mes chers collègues.

Je vous ai écoutée avec attention, madame la ministre : vous avez affirmé que les dispositifs existants en matière de dialogue social et de lutte contre le salariat déguisé étaient bons. Or cet article définit l’algorithme au plan juridique comme un pouvoir de direction et de contrôle.

Madame la ministre, allez donc voir les livreurs, les femmes qui font le ménage, tous ces travailleurs dont le métier est détourné par les plateformes numériques de travail ! Ils disent tous : « mon patron, c’est un algorithme ! »

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteur. C’est vrai !

M. Pascal Savoldelli. Ce n’est pas la notion de patron qui est ici déjugée, mais bien la manière dont cette fonction est désincarnée et déshumanisée.

Vous affirmez que le dialogue social existe, mais je vous invite à aller interroger les juges des prud’hommes sur les difficultés qu’ils rencontrent face à l’augmentation des contentieux.

Madame la ministre, mettez-vous à la place de ces hommes et de ces femmes : comment défendriez-vous vos intérêts particuliers et la négociation collective face à un outil totalement dématérialisé et déshumanisé ?

Si nous voulons offrir à ces travailleurs un levier et une béquille, il serait bon de voter au moins l’article 1er. Je remercie donc mes collègues du groupe Les Républicains de bien vouloir faire ce petit geste ! (Sourires.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er est adopté.) – (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Article 1er
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Article 3

Article 2

Après l’article L. 1134-1 du code du travail, il est inséré un article L. 1134-1-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1134-1-1. – Lorsque survient un litige faisant suite à une décision au sens de l’article L. 1222-3-1, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

« Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. »

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.

M. Pierre Ouzoulias. La parabole historique de la relation entre la technologie et le travail me semble tout à fait intéressante.

Ma chère collègue, vous auriez d’ailleurs pu remonter bien plus loin : Pline l’Ancien rapporte que l’empereur Tibère avait mis à mort un ouvrier verrier qui lui avait proposé le verre incassable, parce que cela mettait en danger toute la profession des verriers.

On pourrait également rappeler la révolte des canuts contre les machines à tondre les draps, en 1819.

Pour autant, il ne s’agit pas du tout de cela ici. Jusqu’à présent, il existait une relation sociale du travail entre employeurs et salariés ; désormais, un nouvel élément émerge : la plateforme, considérée comme un monstre noir, neutre et complètement technique, qui fonctionne avec des algorithmes et donne l’illusion que son travail ne consiste qu’à mettre en relation des clients et des autoentrepreneurs.

Il faut bien comprendre que cette technique algorithmique emporte la négation de la relation sociale du travail et in fine la négation de ce qu’est l’entreprise. Avec les plateformes, plus d’entreprise et plus non plus d’entrepreneurs ! Ce qui est en jeu est, à mon sens, fondamental, car cela touche à de nombreux aspects de notre société.

J’ai aussi à l’esprit la difficulté que nous rencontrons pour légiférer contre les Gafam – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft – et leur incapacité à réguler les propos haineux en ligne. Il s’agit du même problème : on nous laisse à croire que les plateformes seraient des outils techniques complètement neutres.

Pour notre part, nous entendons réintroduire du social dans ce système, car nous sommes opposés à cette irresponsabilité sociale organisée par les algorithmes.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2.

(Larticle 2 est adopté.) – (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi relative à la maîtrise de l'organisation algorithmique du travail
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 3

I. – Le I de l’article L. 111-7 du code de la consommation est ainsi modifié :

1° Au 1°, après le mot : « référencement, », sont insérés les mots : « par des moyens technologiques ou traitements automatisés, » ;

2° Le 2° est ainsi rédigé :

« 2° La mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service ; »

3° Il est ajouté un 3° ainsi rédigé :

« 3° Un emploi, lorsque le service repose sur une ou des prestations effectuées par des travailleurs et dont les éléments essentiels sont économiquement et juridiquement encadrés et contrôlés de manière unilatérale, notamment par des moyens technologiques ou traitements automatisés. »

II. – L’article L. 7342-1 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Une plateforme n’est plus considérée comme opérateur de mise en relation dès lors qu’elle exerce un contrôle juridique et économique sur les éléments essentiels de la relation de travail qui la lie avec le travailleur effectuant cette prestation, notamment par des moyens technologiques ou traitements automatisés. » – (Adopté.)

Vote sur l’ensemble

Article 3
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Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi – je vous informe, mes chers collègues, que j’ai été saisie d’une demande de scrutin public par le groupe Les Républicains (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.) –, je donne la parole à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. Je me propose d’essayer d’interpréter cette demande de scrutin public : à travers le sujet de l’algorithme, différents problèmes ont été évoqués par plusieurs de nos collègues sur toutes les travées, ils concernaient notamment les questions du temps de travail, de la définition du salaire ou de la valeur ajoutée.

Or ces questions ne sont pas propres à la gauche. Beaucoup de gens se mobilisent actuellement au sein du mouvement contre la réforme des retraites, parce que ce sujet les préoccupe, mais aussi parce qu’ils sont inquiets du niveau de leur pension ou de leur salaire, de leurs conditions de travail, du sens de celui-ci, etc.

Le Gouvernement fait parfois valoir une confusion qui obscurcirait le clivage entre la gauche et la droite. Or, sur cette question, ce clivage existe réellement. Pour autant, la droite n’est pas monolithique ; il en existe plusieurs courants en France, tout comme il y a différentes gauches. Cependant, les gauches sont actuellement rassemblées et unies,…

M. Gérard Longuet. Comme en Ariège !

M. Pascal Savoldelli. … tandis que les droites ne partagent pas tout à fait la même approche du sujet.

Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 260 :

Nombre de votants 319
Nombre de suffrages exprimés 262
Pour l’adoption 104
Contre 158

Le Sénat n’a pas adopté.

La parole est à M. le vice-président de la commission.

M. Philippe Mouiller, vice-président de la commission des affaires sociales. Le résultat de ce scrutin reflète la position de la commission, mais je tiens à remercier notre collègue Pascal Savoldelli d’avoir porté ce sujet, qui a donné lieu à un débat de qualité dans l’hémicycle.

Dans chaque groupe politique, on a ainsi pu se poser certaines questions, que vous avez très bien évoquées dans votre dernière intervention, mon cher collègue, s’agissant des conditions et du temps de travail, ainsi que de la responsabilité des employeurs.

Ce sujet ne concerne d’ailleurs pas seulement les parlementaires, mais aussi les élus locaux, qui vivent au quotidien les effets des évolutions que nous avons évoquées.

Je vous remercie également d’avoir porté le débat à la commission des affaires sociales. Cet après-midi a davantage donné lieu à une litanie d’interventions, mais, en commission, nous avons eu une véritable discussion.

Je tiens d’ailleurs à remercier la rapporteure qui, au-delà de la reprise de certains arguments, a su élever le débat en commission afin de faire réagir ceux qui se penchent sur la question des conditions de travail des salariés.

Ce sujet ne perdra pas son actualité dans cet hémicycle, car il suscite encore beaucoup d’interrogations. Nous attendons ainsi beaucoup de la proposition de directive européenne, mais celle-ci ne résoudra pas tout. Je vous donne donc rendez-vous : nous aurons l’occasion d’y revenir, avec le Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée. Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous exprimer à mon tour ma gratitude pour la qualité des débats.

Je suis consciente que nombre d’entre vous sont pleinement impliqués sur ce sujet depuis plusieurs années, avec la volonté de réfléchir aux conditions de travail pour l’ensemble des travailleurs en France, comme aux adaptations nécessaires aux nouvelles formes d’activité et à leurs modalités de pilotage.

Il est indéniable que cette question a toute sa place dans le débat public ; elle a d’ailleurs été abordée lors des Assises du travail. Je vous propose que nous travaillions ensemble sur les conclusions à donner à ces rencontres.

Il nous faut avancer, en tenant compte des évolutions du droit européen comme des concertations nationales menées sur ces enjeux. Ainsi, nous pourrons veiller à ce que notre droit et notre dialogue paritaire accompagnent les évolutions sociétales.

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à seize heures.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la maîtrise de l'organisation algorithmique du travail
 

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Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement
Discussion générale (suite)

Protéger le groupe Électricité de France d’un démembrement

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à protéger le groupe Électricité de France d’un démembrement (proposition n° 341, texte de la commission n° 465, rapport n° 464).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement
Article 1er (supprimé)

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, notre vision pour EDF est claire : l’énergéticien national est au cœur de la transition énergétique du pays.

C’est aussi la vision qui régnait il y a près de soixante-dix-sept ans, quand Marcel Paul, un ministre communiste, présidait à la création d’EDF, avec comme objectif l’instauration d’un monopole de l’énergéticien. En soixante-dix-sept ans, ce monopole a permis l’électrification du pays et la construction du deuxième parc nucléaire au monde.

Nous bénéficions des fruits d’une telle décision encore aujourd’hui, puisque notre pays dispose d’un mix électrique parmi les moins émetteurs de gaz à effet de serre et les plus compétitifs au monde.

Depuis vingt ans, notre énergéticien national est affecté, en bien et en moins bien, par l’ouverture sur l’Union européenne – je pense notamment à la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité et aux conséquences du sommet de Barcelone des 15 et 16 mars 2002 qui a conduit à la libéralisation du marché de l’électricité et du gaz.

Ce marché intégré a certes des défauts, et nous travaillons à y remédier, mais reconnaissons tout de même, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il constitue aujourd’hui le plus gros système intégré d’électricité du monde, ce qui permet à notre pays d’importer et d’exporter de l’électricité quotidiennement en fonction de ses besoins.

Ayant vécu une dizaine d’années au Québec, où depuis deux jours, 1 million de foyers sont privés d’électricité, je mesure les avantages d’un marché intégré de l’électricité.

Notre vision pour EDF est claire : le groupe Électricité de France est et restera un instrument essentiel pour mettre en œuvre la politique énergétique de l’État français et, au-delà, un champion à l’exportation.

Les objectifs prioritaires d’EDF – cela est clairement indiqué dans la lettre de mission de son nouveau PDG Luc Rémont, dont vous avez validé la nomination – s’articulent aujourd’hui autour de la production électrique et de la conduite des grands projets industriels.

EDF a besoin d’investir des dizaines de milliards d’euros tous les ans, ce qui suppose de disposer de moyens suffisants et d’une véritable crédibilité financière.

EDF a besoin de retrouver sa maîtrise industrielle dans le nucléaire.

Enfin, EDF a besoin de développer les énergies renouvelables, en se fixant des objectifs ambitieux pour les trente prochaines années.

Le Gouvernement a pris ses responsabilités pour aider le groupe à relever ces défis. D’abord, l’État a toujours accompagné EDF dans ses opérations de recapitalisation, que ce soit en 2017 ou en 2022. Ensuite, et bien que nous nous apprêtions à accélérer encore, le fait est que nous n’avons jamais autant investi dans le nucléaire que depuis 2017.

Nous avons aussi sécurisé le calendrier de l’EPR2 (Evolutionary Power Reactor) grâce au projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, que vous avez voté en première lecture.

EDF est toutefois une société endettée, qui a de gros besoins d’investissement. C’est pourquoi, conformément aux engagements pris par le Président de la République durant sa campagne, le Gouvernement a lancé dès l’été dernier une offre publique d’achat (OPA) visant à prendre le contrôle de 100 % du capital d’EDF. Le Parlement a libéré 9,7 milliards d’euros de crédits budgétaires à cette fin.

Par cette nationalisation, nous renforçons à la fois les moyens dont EDF dispose pour investir dans les prochaines années et la crédibilité financière du groupe. Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, l’offre publique d’achat est en cours de finalisation, elle devrait être prête d’ici au début de mois de juin, après épuisement des derniers recours.

Ce gouvernement répond donc aux véritables problématiques du groupe EDF, si bien que nous avons été quelque peu surpris par l’inscription de cette proposition de loi visant à la nationalisation d’EDF au calendrier parlementaire, et plus encore par la manière dont s’est déroulé son examen à l’Assemblée nationale, où les débats ont parfois flirté avec les théories du complot. (MM. Fabien Gay et Victorin Lurel protestent.)

Cette proposition de loi vise à répondre à des angoisses qui n’ont aucun lieu d’être. Comme Bruno Le Maire a eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises et comme je l’ai rappelé à la tribune de l’Assemblée nationale, le projet Hercule – je le répète – est mort et enterré.

M. Fabien Gay. On verra !

M. Roland Lescure, ministre délégué. Il n’y a aucun projet, ni visible ni caché, de démantèlement de notre opérateur national.

Je salue le travail du Sénat qui, durant l’examen de ce texte en commission, a eu la sagesse d’en réécrire une bonne part. Je salue particulièrement le travail et l’esprit de responsabilité du rapporteur pour cette remise à plat.

M. Gérard Longuet, rapporteur de la commission des finances. Timeo Danaos et dona ferentes.

M. Roland Lescure, ministre délégué. La commission a en effet supprimé les articles 1er et 3 qui prévoyaient la nationalisation du groupe EDF. Non seulement de telles dispositions arrivent à contretemps, mais elles seraient en fait susceptibles de fragiliser l’OPA en cours de finalisation.

La commission a également supprimé, au sein de l’article 2, les références aux activités d’un groupe « unifié » dont le capital aurait été totalement « incessible ». Une telle rédaction rendait absolument impossibles les opérations courantes de gestion d’actifs par EDF, y compris les cessions d’actifs d’un montant de 3 milliards d’euros dans lesquelles l’électricien national est d’ores et déjà engagé.

La commission a également modifié l’article 3 bis, en restreignant le périmètre d’extension des tarifs réglementés de vente au champ des très petites entreprises (TPE) qui ne sont pas encore éligibles.

Sur cette base, nous avons matière à mener une discussion apaisée et constructive. Restent malgré tout deux points de désaccord sur lesquels je souhaite attirer votre attention, mesdames, messieurs les sénateurs, même si nous y reviendrons dans le cadre de la discussion des amendements.

Le premier point porte sur l’article 2, qui inscrit dans la loi que l’État détient 100 % du capital d’EDF. Je n’ai pas de difficulté avec cette disposition, qui redonne une place importante au Parlement, puisque celui-ci devra ainsi se prononcer sur n’importe quelle réouverture du capital. Il n’y a aucune ambiguïté sur nos intentions – je répète que le projet Hercule a été abandonné –, mais cela va peut-être mieux en l’écrivant.

En revanche, dans sa rédaction actuelle, cet article prescrit l’ouverture d’au moins 1,5 % du capital d’EDF aux salariés et anciens salariés du groupe, et ce dès le 1er janvier 2024. Comme je l’ai indiqué, l’OPA n’est pas encore terminée. À la suite des recours qui ont été déposés, il nous reste notamment à convaincre à peu près 5 % des actionnaires, dont un certain nombre d’actionnaires salariés, d’apporter leurs titres.

Il semble donc pour le moins prématuré d’envisager d’instaurer des dispositifs d’intéressement et de participation via de l’actionnariat salarié. Ces dispositifs ne s’appliqueraient en effet que durant quelques mois, puisque nous nous efforçons d’acheter des actions à ces mêmes salariés.

De plus, la situation financière d’EDF – il faut être clair – ne le permet pas aujourd’hui.

Je proposerai un amendement de compromis visant à laisser ouverte la possibilité d’un actionnariat salarié pour l’avenir sans pour autant rendre celui-ci automatique dès le 1er janvier prochain.

Le second point de désaccord porte sur l’extension du tarif réglementé de vente d’électricité (TRVE) à toutes les TPE, alors que celui-ci est actuellement réservé aux TPE petites consommatrices.

M. Fabien Gay. C’est bien !

M. Roland Lescure, ministre délégué. Oui, monsieur Gay, mais cela coûte cher ! (M. Fabien Gay proteste.)

En outre, une telle disposition entre en contradiction avec la logique même du TRVE qui a été conçu, lors des discussions avec la Commission européenne qui ont présidé à son instauration, comme un outil visant avant tout à protéger les consommateurs et les petites entreprises dont la consommation est similaire à celle d’un ménage, les entreprises dont la consommation s’apparente à une consommation industrielle devant acheter l’électricité au tarif du marché.

Certes, la rédaction proposée par le Sénat est plus claire et elle restreint le champ de la disposition aux TPE, mais son application supposerait l’ouverture d’une négociation complexe et bien trop longue avec la Commission de régulation de l’énergie (CRE) et la Commission européenne, quand notre objectif premier est de protéger les TPE, les PME, les ETI et les grandes entreprises des effets de la crise énergétique.

Je ne serai pas plus long, car nous aurons l’occasion de revenir sur ces différents points dans le cadre des débats sur les articles et les amendements.

En conclusion, je souhaite rappeler que le Gouvernement souscrit pleinement aux objectifs réaffirmés par cette proposition de loi réécrite par les soins de la commission : disposer d’un opérateur national de qualité, inscrit dans la durée, qui pourra investir autant qu’il le faudra pour que les soixante-dix-sept ans à venir soient aussi remplis de succès que les soixante-dix-sept ans qui viennent de s’écouler. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI. – MM. Emmanuel Capus et Pierre Louault applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Gérard Longuet, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons – dans l’enthousiasme général (Sourires.) – une proposition de loi présentée par le député Philippe Brun, élu de l’ancienne circonscription de Pierre Mendès France, dans l’Eure. Ce texte a été voté à l’unanimité, ou presque, par l’Assemblée nationale, ce qui cache un profond malentendu quant aux intentions des députés qui se sont exprimés.

J’évoquerai trois points. Sur deux d’entre eux, la commission des finances, au nom de laquelle je rapporte ce texte, a tenu à apporter des modifications substantielles.

Le premier concerne Mayotte, qui apparaissait mystérieusement dans une demande de rapport sur l’opportunité de nationaliser la société Électricité de Mayotte, qui appartient pour partie au département et pour partie à EDF. S’il n’est pas l’habitude de notre assemblée d’accepter des demandes de rapport, il était impossible de trancher sur le fond dans les délais d’étude accordés à la commission des finances.

Le deuxième point tient au soutien apporté aux entreprises, et il explique en grande partie le vote qui sera celui du groupe Les Républicains du Sénat – ce sera, du reste, le même que celui du groupe Les Républicains de l’Assemblée nationale.

La commission des finances a estimé que nous pouvions faire sauter le verrou que constitue le seuil de 36 kilovoltampères. Celui-ci distingue en effet inutilement les artisans selon que la puissance du transformateur dont leur entreprise est équipée est en dessous de ce seuil – ils bénéficient alors du bouclier tarifaire – ou au-dessus – dans ce cas, ils ne bénéficient pas du bouclier tarifaire, alors qu’ils exercent peu ou prou le même métier que les premiers et que leur entreprise satisfait aux normes fixées par l’Union européenne quant à la définition d’une TPE.

La suppression de ce verrou permettra à tout artisan employant moins de dix salariés et réalisant moins de 2 millions d’euros de chiffre d’affaires de bénéficier du TRVE, quelle que soit la capacité de son transformateur.

Aller plus loin – nous y reviendrons dans le cadre du débat d’amendements – serait impossible et dangereux juridiquement, tant vis-à-vis des sociétés qui délivrent de l’électricité que vis-à-vis de l’Union européenne.

Le troisième point, passionnant au demeurant, a trait à la crainte, exprimée avec force par l’auteur de la proposition de loi, d’un démembrement d’EDF. En cela, M. Brun nous oblige à réfléchir, monsieur le ministre, mes chers collègues, à une évolution du marché de l’électricité européen qui, depuis plus d’un an, connaît d’importantes secousses.

De ce marché de l’électricité européen dépendent en effet les libertés dont les dirigeants d’EDF disposent pour diriger leur entreprise.

J’ai le plus grand respect, y compris pour des raisons personnelles, pour Marcel Paul, mais nous ne sommes plus en 1946. Le marché de l’énergie électrique est libre, non seulement en ce qui concerne la production, ce qui n’était pas le cas jusqu’en 2002, mais aussi en matière de vente aux consommateurs, qu’ils soient petits ou grands, que les pays soient producteurs d’électricité ou non. Personne en Europe ne songe à remettre en cause cette liberté.

Cette liberté et ce marché ont-ils été catastrophiques ? La réponse est non. En réalité, entre 2015 et 2020, le prix spot moyen s’est situé entre 35 et 40 euros le mégawattheure, si bien que l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), mécanisme par lequel EDF revendait alors de l’électricité à 43 euros le mégawattheure, n’a été que peu sollicité, voire pas du tout, pendant cette période.

Pour autant, certaines questions qui relèvent des négociations intergouvernementales et du Parlement européen ne sont pas tranchées.

Il convient tout d’abord de réaffirmer la liberté à laquelle est attachée l’immense majorité des Européens en matière de production et de vente d’électricité.

Il convient ensuite de fixer le cap de ce marché électrique. Faut-il décarboner la société ou faut-il la verdir ? Ce n’est pas tout à fait la même chose : si l’on décarbone, on s’appuie sur le nucléaire, alors que s’il s’agit simplement de verdir, le malheureux nucléaire se trouvera confronté aux mêmes difficultés de financement qui le handicapent aujourd’hui.

Par ailleurs, à l’aune de l’expérience tragique que constitue l’invasion de l’Ukraine par la Russie, acceptons-nous de placer l’indépendance énergétique au rang qui doit être le sien, c’est-à-dire celui de principale préoccupation ? Une telle préoccupation présidait au programme nucléaire français, dans le sillage duquel nous nous inscrivons toujours, que Georges Pompidou et Pierre Messmer ont présenté en mars 1974, un mois avant la disparition du président Pompidou.

Faut-il verdir ou décarboner ? Faut-il bâtir notre indépendance ou bénéficier du prix le plus bas, ce qui nous a longtemps conduits à acheter du gaz russe, l’accès à cet approvisionnement étant aujourd’hui frappé d’incertitude ?

Peut-on imaginer une organisation de marché qui dépende moins du prix spot, c’est-à-dire du coût marginal de la dernière entreprise de production électrique thermique – en général allemande et fonctionnant au lignite ? Ne peut-on bâtir un système différent ?

Le marché de l’électricité – nos amis électriciens le savent bien – achoppe sur la difficulté que constitue l’impossibilité de stocker l’électricité, ce qui rend la régulation à peu près impossible : cela aboutit, dès lors que les prix dépendent essentiellement du coût marginal de production, à des écarts de prix spectaculaires et insupportables pour le consommateur.

J’ajoute que nous, Français, sommes fiers de notre parc nucléaire et que nous souhaiterions profiter de l’avantage qu’il constitue plutôt que de subir des hausses dues à un calcul fondé sur le coût marginal.

Ces interrogations relatives au marché de l’électricité doivent être tranchées, car de fait, elles pèsent déjà sur le statut d’EDF. À ce titre, je souhaite indiquer à l’auteur de la présente proposition de loi que le démembrement d’EDF est déjà en partie effectif s’agissant du transport et de la distribution de l’électricité.

M. Fabien Gay. C’est vrai !

M. Gérard Longuet, rapporteur. En vertu de la liberté du marché, nous avons en effet l’obligation d’accepter que des tiers accèdent au réseau électrique. Or, en raison de l’évident monopole technique en la matière – je dis bien technique et pas économique –, il est impensable de multiplier les réseaux tant de transport que de distribution.

Il faut donc bien accepter que Réseau de transport d’électricité (RTE) et Enedis soient indépendants d’EDF, même si elle en est actionnaire, parce qu’elle n’est aujourd’hui que l’un des utilisateurs des réseaux.

J’en viens à l’Arenh.

M. Gérard Longuet, rapporteur. Ce mécanisme touche à sa fin, puisque son application n’est prévue que jusqu’en 2025. Faut-il le maintenir ? Faut-il se contenter d’augmenter le prix ? Ne peut-on imaginer, sur le modèle des assurances, un système plus intelligent, fondé sur le principe take or pay, « prenez ou payez » ?

L’assurance paraît chère tant qu’on n’a pas d’accident, mais on est bien content d’être assuré le jour où on en a un… L’Arenh a joué ce rôle d’assurance, mais le mécanisme est conçu de telle sorte qu’il revient à payer l’assurance après l’accident, ce qui est un peu la même chose que de gagner aux courses de chevaux en pariant après l’arrivée : c’est beaucoup plus facile !

De même, certains fournisseurs d’électricité très sérieux, y compris français, accepteraient volontiers de participer au financement du nucléaire français, non pas pour l’exploiter – l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) les en garde… –, mais pour disposer de droits de tirage leur garantissant une certaine stabilité.

Nous, législateurs, pourrions même imaginer – c’est notre rôle – de contraindre les entreprises qui revendiquent de fournir de l’électricité à garantir 70 % de l’approvisionnement par des contrats à long terme, ce que la Commission européenne a jusqu’à présent toujours refusé.

Vous avez donc un formidable combat à mener, monsieur le ministre, et ce n’est qu’à l’issue de celui-ci que nous pourrons indiquer aux dirigeants d’EDF les opportunités dont il leur faudra se saisir et les risques qu’ils devront assumer.

En somme, la proposition de loi de Philippe Brun sera parfaite dès lors que les règles du jeu seront définitivement connues, mais pour l’heure, elle est prématurée. C’est pourquoi je propose, à titre conservatoire, de confier 100 % du capital à l’État. Laissons l’État et le Parlement faire leur travail en toute responsabilité,…

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur.

M. Gérard Longuet, rapporteur. … ayons confiance en nos électriciens et faisons d’EDF une fierté nationale ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI et INDEP.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, je demande à chacun des orateurs de bien vouloir respecter leur temps de parole de façon que nous puissions terminer l’examen des propositions de loi inscrites à notre ordre du jour dans le temps contraint dont nous disposons.

La parole est à M. Christian Bilhac.

M. Christian Bilhac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que le doute plane sur l’avenir du groupe EDF et malgré l’abandon du projet Hercule, les députés ont voté la présente proposition de loi visant à la nationalisation du groupe EDF, qui a été rebaptisé par le Sénat proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France d’un démembrement.

Le spectre d’Hercule ne s’est pas totalement dissipé et il continue de nourrir des inquiétudes. Il visait à réorganiser EDF afin de subvenir aux investissements nécessaires pour, d’une part, prolonger la durée de vie du parc nucléaire, d’autre part, développer les énergies renouvelables, sans oublier l’EPR.

Ce projet prévoyait la création de trois entités : la première regroupant les activités nucléaires et de réseaux de transport, la deuxième associant le volet commercial et celui des énergies renouvelables, la troisième incluant les barrages hydroélectriques, au risque de vendre « par appartements » les branches les plus rentables du premier opérateur européen d’électricité.

Selon la formule consacrée, il s’agissait de « socialiser les pertes et de privatiser les profits » ! On comprend mieux les craintes des auteurs du texte.

Nul doute que nous allons connaître, quoi qu’on en dise, une croissance exponentielle du prix et de la consommation d’électricité compte tenu du rythme du développement d’activités très énergivores, telles que le numérique et sa cohorte de serveurs informatiques, et du choix du business model du « tout électrique » pour les véhicules automobiles.

Dans ce contexte aggravé par le contexte européen et international de crise géopolitique, nous devons déterminer nos orientations avec la plus grande prudence. L’État doit garder la maîtrise des équipements stratégiques que sont les infrastructures de production et de distribution d’électricité : elles garantissent l’indépendance énergétique du pays, son dynamisme économique et l’approvisionnement des foyers français.

D’autres facteurs doivent être pris en compte, tels que l’interaction entre les métiers de la filière – elle doit aussi être garantie par la puissance publique. La coordination entre la gestion des barrages hydroélectriques et le refroidissement des centrales nucléaires doit notamment être assurée ; il y va de notre sécurité nationale. Comment faire en cas de privatisation par branche ?

Avant de conclure, j’évoquerai le texte transmis au Sénat. Alors que celui-ci comportait six articles, il n’en compte plus que trois. La majorité sénatoriale l’a vidé de sa substance, au motif qu’il aurait télescopé le rachat par l’État des parts des actionnaires minoritaires, toujours en cours.

Si, comme l’ensemble de mes collègues du groupe du RDSE, je suis favorable à l’amendement tendant à élargir, à l’article 3 bis, le bénéfice des tarifs réglementés à toutes les TPE et commerces de proximité, j’estime que rien ne justifie la suppression de l’article 1er qui prévoyait la renationalisation d’EDF afin de garantir la propriété publique et l’unité du service public de l’énergie.

L’article 2 modifiant le code de l’énergie a lui aussi été vidé de sa substance. Il obligeait à passer par la loi en cas de tentative de privatisation des activités d’EDF, qu’il s’agisse de la production, du transport ou de l’exportation d’électricité ou encore de la prestation de services énergétiques.

À titre personnel, sans rétablissement de l’article 1er à l’issue de nos débats, je ne voterai pas ce texte, car je n’oublie pas l’inquiétude des Français et du Gouvernement face au spectre des coupures d’électricité durant l’hiver qui vient de s’achever.

Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Christine Lavarde. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous discutons cet après-midi porte sur trois sujets, le dernier étant sans lien direct avec les deux premiers : la nationalisation d’EDF, son possible démembrement et l’extension des tarifs réglementés de vente de l’électricité.

En ce qui concerne le premier point, sans grande surprise, le groupe Les Républicains soutient la position du rapporteur, dont je salue le travail de qualité, qui a proposé la suppression de l’article 1er prévoyant la nationalisation.

Cela ne signifie pas que la question de la garantie de la non-privatisation d’une activité hautement stratégique ne mérite pas d’être considérée. Je vous renvoie, mes chers collègues, aux débats que nous avons eus sur Aéroports de Paris (ADP) à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, dit Pacte.

La souveraineté énergétique de la France repose sur EDF, dont l’État possédait 84 % du capital jusqu’en 2022. Une montée au capital pour passer à 100 % est en cours – le déblocage de 9,7 milliards d’euros de crédits a d’ailleurs été voté dans le cadre du projet de loi de finances rectificative du mois de juillet dernier – sous la forme d’une offre publique d’achat (OPA) simplifiée à un prix de 12 euros par action qui a été validé par le conseil d’administration d’EDF.

L’inconvénient de cette OPA est que la procédure échappe presque totalement au contrôle du Parlement. Les députés du groupe Les Républicains l’ont d’ailleurs souligné, tout en reconnaissant que la nationalisation n’était certainement pas la meilleure réponse à apporter. Nous partageons cette position : l’OPA étant en cours, la nationalisation ne se justifie pas.

Par cette OPA, l’État cherche à se donner les moyens de mettre en œuvre une politique de relance du nucléaire. Nous avons envie de vous croire, monsieur le ministre, même si c’est votre majorité – il faut quand même le rappeler – qui a mis fin au programme Astrid en 2019.

En juillet 2021, notre collègue Stéphane Piednoir, dans un rapport fait au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) – je m’exprime sous le contrôle de son premier vice-président Gérard Longuet – et intitulé Lénergie nucléaire du futur et les conséquences de labandon du projet de réacteur nucléaire de 4e génération « Astrid », a mis en évidence les conséquences néfastes de cet abandon pour la stratégie énergétique française.

Si la relance du nucléaire est un défi technique – quel type de réacteurs devons-nous construire ? –, elle constitue surtout un défi financier.

Le groupe EDF est très endetté – sa dette s’élevait à 64,5 milliards d’euros à la fin de l’année 2022 – et les investissements nécessaires au développement du nouveau nucléaire sont considérables, alors qu’il faut en même temps financer le programme de grand carénage, dont le montant s’élève à près de 60 milliards d’euros, tout en tenant compte des impératifs d’adaptation au changement climatique – la commission des finances a travaillé récemment sur ce dernier sujet.

En mars 2021, Bercy estimait que le programme de six EPR2 pourrait coûter, hors frais financiers, entre 52 milliards et 57 milliards d’euros « dans un scénario de bonne maîtrise industrielle », ce montant pouvant atteindre 64 milliards d’euros dans un scénario plus dégradé…

Pouvez-vous nous en dire plus sur la stratégie de financement du Gouvernement, monsieur le ministre ?

J’ai cru lire ou comprendre qu’un appel aux investisseurs étrangers pourrait être envisagé – cela ressort d’une visioconférence à laquelle participait l’ancien patron d’EDF, Jean-Bernard Lévy, en janvier 2021 – ou qu’il pourrait être fait appel aux fonds du Livret A qui sont pour l’heure consacrés au financement du logement social.

Comme vous l’aurez compris, monsieur le ministre, si nous n’avons pas d’opposition à cette offre publique d’achat, nous avons de véritables interrogations sur les modalités de financement de la stratégie qui est menée.

À court terme, la seule question que pose cette OPA est celle du devenir des actionnaires salariés.

Depuis le 8 février 2023, date de clôture provisoire de l’offre, l’État détient près de 95 % du capital d’EDF, alors que 1,17 % du capital social reste détenu par les salariés. Rien n’empêche donc l’État de se retirer de la cote.

La clôture définitive de l’opération a été retardée par un procès des petits actionnaires d’EDF à l’État français, portant notamment sur le prix de rachat des actions, jugé trop faible.

Dans les faits, le prix de rachat, fixé à 12 euros, constitue une prime par rapport à la valorisation du marché à court terme de l’entreprise ; je rappelle qu’au mois de juillet dernier, l’action est descendue à près de 7 euros. Mais les petits actionnaires qui ont acheté l’action à 32 euros pour les non-salariés et à 25,6 euros, en 2005, pour les salariés, subissent une perte nette en capital. En effet, le cours de l’action a été divisé de plus de sa moitié, et l’inflation rend la perte d’autant plus importante.

Ces petits actionnaires, au nombre de 82 000, salariés ou anciens salariés, souhaitent être maintenus au capital ; la justice rendra sa décision dans le procès en cours le 2 mai prochain.

Pour cranter dans la loi le passage d’EDF à 100 % dans le giron de l’État, la commission des finances, sur l’initiative de son rapporteur Gérard Longuet, a inscrit dans la proposition de loi l’objectif d’une détention par l’État de 100 % du capital d’EDF au plus tard au 1er janvier 2024. Le texte issu des travaux de la commission, celui que nous examinons, prévoit que 2 % de ce capital pourrait toutefois être accordé aux salariés ou anciens salariés d’EDF.

Je m’interroge sur la mise en œuvre concrète de cette disposition. En effet, dans la mesure où l’offre publique d’achat prévoit une montée à 100 % du capital par l’État, comment serait-il possible d’en rétrocéder ensuite 2 % aux salariés ?

Je m’interroge aussi sur l’intérêt pour les petits actionnaires de détenir une action non liquide, puisque EDF ne sera plus cotée. Par ailleurs, l’entreprise n’est actuellement pas profitable. En 2022, elle a enregistré une perte de près de 18 milliards d’euros, notamment du fait du mécanisme de l’Arenh, qui doit s’éteindre en 2025. Si l’on ne connaît rien des suites qui seront données, il est certain que celle-ci aura des conséquences très fortes sur la rentabilité du groupe.

Tous ces sujets méritent que l’on en débatte.

En outre, le versement de dividendes sera-t-il possible alors que les besoins d’investissement seront très importants ? Je rappelle qu’EDF emprunte déjà entre 1,5 milliard d’euros et 3 milliards d’euros par an pour verser des dividendes à ses actionnaires. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, depuis 2016, l’État accepte de toucher ses dividendes non plus en cash, mais en actions pour soulager la trésorerie de l’entreprise.

Certes, le Gouvernement a déposé un amendement au texte de la commission. Mais je ne comprends pas bien en quoi un tel dispositif permet de mieux répondre à ces interrogations. Nous aurons l’occasion d’en débattre tout à l’heure.

La question du démembrement d’EDF se pose depuis que le Gouvernement l’avait envisagée en 2019 en lançant le projet Hercule, qui a été abandonné depuis.

Les élus du groupe LR du Sénat n’ont pas d’opposition de principe à ce qui est écrit dans la note d’information à l’Autorité des marchés financiers, à savoir qu’il faut « poursuivre le plan de cessions d’actifs à hauteur d’environ 3 milliards d’euros entre 2022 et 2024 », dès lors que les décisions qui seront prises participeront d’une stratégie d’indépendance énergétique et de décarbonation.

C’est la raison pour laquelle nous soutiendrons la réécriture de l’article 2 : l’État possédera désormais une entreprise qui agit dans le cadre fixé par le code de l’énergie. Cette nouvelle rédaction lève un certain nombre de risques pesant sur les filiales du groupe, notamment RTE.

Enfin, sur l’extension des tarifs réglementés de vente de l’électricité, les députés socialistes avaient prévu une mesure dont le coût est beaucoup trop important, le Gouvernement le chiffrant à 18 milliards d’euros par an. Il est vrai qu’en matière de chiffrage sur le coût des dispositions dans le domaine de l’énergie, nous ne pouvons que nous montrer circonspects depuis l’examen du projet de loi de finances pour 2023, en décembre dernier, et le fameux sous-amendement à 6 milliards d’euros ; nous attendons d’ailleurs toujours les chiffres à l’appui des assertions du Gouvernement, monsieur le ministre. Nous ne vous accordons donc qu’un crédit limité sur le coût de la mesure.

Toutefois, cette mesure reste très onéreuse, puisque s’applique l’article 13 du règlement européen du 6 octobre 2022, en vertu duquel l’État doit indemniser les fournisseurs dès lors qu’ils vendent à perte.

Enfin, l’extension aux ETI est contraire au droit européen, les aides d’État temporaires n’étant possibles que pour les TPE-PME.

En revanche, nous souscrivons à l’objet de cette mesure, qui était, dans l’esprit de ses auteurs, d’apporter une réponse aux petites entreprises, en particulier aux boulangers, mais aussi aux collectivités, dont certaines se trouvent exclues des tarifs réglementés, alors même qu’elles remplissent les critères de chiffre d’affaires, de budget ou de nombre de salariés pour y prétendre. Dans les deux cas, il s’agit de pouvoir disposer d’une puissance installée forte, qu’il s’agisse de faire fonctionner une pompe à chaleur pour les collectivités ou bien un four pour les boulangers.

La solution qui consiste à supprimer la mention de 36 kilovoltampères (kVA) est très pertinente. Elle aurait d’ailleurs pu être mise en œuvre bien plus tôt, car elle relève du niveau réglementaire. Il aurait été bien plus facile de faire évoluer une mesure réglementaire que de corriger la loi.

À l’instar de ce que mon collègue Daniel Gremillet avait pu dire en ouverture de l’examen du projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, je ne peux que déplorer le manque de vision d’ensemble sur l’avenir de notre politique énergétique. Depuis quelques mois, nous empilons des briques, sur le nucléaire, sur les énergies renouvelables, aujourd’hui sur EDF, sans disposer d’aucun plan pour le mur que nous cherchons à construire.

Mme la présidente. Il faut conclure, madame Lavarde.

Mme Christine Lavarde. C’est faire les choses à l’envers. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus.

M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la particularité d’une entreprise nationale est que sa stratégie dépend du calendrier électoral. Il me semble utile de rappeler cette évidence en préambule, alors que des éloges de l’État actionnaire vont fuser à gauche comme à droite de l’hémicycle.

Or les cycles d’investissement industriel s’inscrivent dans le temps long. Ils s’accordent mal avec le calendrier électoral.

Aujourd’hui, un consensus politique s’est pourtant formé autour de la nationalisation d’EDF. Ce point d’accord est un fait rare, car en matière de politique énergétique, l’accord est l’exception, et le désaccord la règle.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, il n’y a eu que deux grands accords historiques. Le premier est le Conseil national de la Résistance. Les auteurs de la proposition de loi s’y réfèrent abondamment, et nos collègues socialistes saluent l’œuvre du général de Gaulle avec une ferveur qui, je l’avoue, ne laisse pas insensible.

Le second accord historique est le virage du tout nucléaire dans le cadre du plan Messmer de 1974 : une grande année ! (Sourires.)

M. Jean-François Husson. L’élection de Valéry Giscard d’Estaing !

M. Emmanuel Capus. Je ne pensais pas à cela.

La France s’est alors engagée dans la construction du plus grand parc nucléaire au monde. Ce développement industriel n’a pas été remis en cause par les gouvernements suivants. Cette remarquable constance a permis à EDF de bâtir un actif stratégique hors du commun, qui a très largement contribué à la prospérité de la France, grâce à une électricité abondante et peu chère.

Pour justifier la nationalisation d’EDF, les auteurs du texte dressent le parallèle entre la France de 2023 et celle de 1946. Mais, à vrai dire, mes chers collègues, la situation actuelle ressemble bien plus au premier choc pétrolier qu’à la Seconde Guerre mondiale : la crise énergétique découle d’une guerre qui ne se produit pas sur notre sol, mais dont nous subissons indirectement les conséquences et qui nous oblige à agir.

D’ailleurs, comme il y a cinquante ans, la Nation se rassemble aujourd’hui autour d’un objectif : garantir la souveraineté énergétique en construisant de nouveaux réacteurs. C’est tout le projet du Gouvernement, qui a annoncé reprendre la possession d’EDF, afin de garder la maîtrise du parc nucléaire.

Nos collègues socialistes reprochent encore au Gouvernement de nationaliser EDF pour mieux la saucissonner. C’est fort de café, alors que c’est la gauche qui a orchestré la mise à mal de la filière nucléaire française sous François Hollande ! (Protestations sur les travées du groupe SER.)

Dans la mesure où l’on sait depuis 2015 qu’il suffit d’une loi pour fragiliser l’avenir de notre industrie nucléaire, je ne suis pas certain qu’une proposition de loi pourra garantir quoi que ce soit.

Pour moi, les choses sont claires : le Gouvernement veut nationaliser EDF, et le Parlement soutient cette initiative. Le reste n’est que spéculation sur l’avenir.

Sur l’initiative de notre rapporteur Gérard Longuet, la commission des finances a largement réécrit le texte, et je salue ses travaux. Notre groupe préfère nettement cette nouvelle mouture, qui a le mérite de limiter la portée législative du texte.

Cette version a également le mérite de mettre en conformité la proposition de loi avec le droit européen. Alors que l’Europe a plus que jamais besoin d’union face à la Russie, face à la Chine et même parfois face à nos alliés américains, il ne s’agit pas là d’un simple détail.

Pour toutes ces raisons, les élus du groupe Les Indépendants – République et Territoires partageront leurs voix entre un vote favorable et l’abstention.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Breuiller.

M. Daniel Breuiller. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je salue la proposition de loi présentée et défendue par Philippe Brun à l’Assemblée nationale. Elle s’inscrit pleinement dans la dynamique du projet que les écologistes avaient porté sous le slogan « Pour une République écologique » dans le cadre de l’élection présidentielle de 2022. Il s’agissait de « renationaliser » EDF et d’en faire « un outil stratégique puissant, cohérent, au service de la transition énergétique ».

Certes, la commission des finances a supprimé le premier article de cette proposition de loi, qui formalisait l’acte de nationalisation, préférant l’étatisation ; elle a supprimé l’énumération des filiales constitutives du groupe public unifié, visant à s’opposer au démantèlement du groupe. Bref, la commission des finances a décousu cette proposition de loi, et ce même si rien n’empêche que, derrière l’abandon du projet Hercule – je vous entends, monsieur le ministre –, il puisse y avoir un Hercule bis.

Les choix énergétiques pour notre pays peuvent diverger. Les nôtres sont largement minoritaires dans cet hémicycle, et vous les connaissez. Mais lorsque l’on défend le choix du nucléaire, on doit défendre un outil public à 100 %.

Chaque décision de l’État, qu’il s’agisse du bouclier tarifaire, du relèvement des volumes de l’Arenh, du grand carénage ou de la construction de six réacteurs EPR, pèse sur les comptes d’EDF, dont la situation est particulièrement dégradée.

À cela s’ajoute l’incompréhension totale des Françaises et des Français sur le coût de l’énergie.

L’énergie, ou plus précisément l’accès à l’énergie, joue un rôle social et sociétal : c’est un bien de première nécessité qui, tout comme l’eau, doit être traité comme un bien commun essentiel.

Les 15 % de reste à charge du bouclier tarifaire n’ont pas le même impact selon que l’on habite une passoire thermique ou que l’on est en situation de précarité. Ceux qui touchent des revenus modestes sont malheureusement toujours les premières victimes de cette hausse du coût de la vie.

Les bailleurs sociaux craignent une hausse des impayés. Les syndicats de copropriétaires font face également à des difficultés nouvelles. C’est aussi le cas des artisans, des commerçants et de l’ensemble des TPE-PME. Sur ce point, nous sommes favorables à l’amendement du rapporteur qui vise à supprimer le plafond des 36 kilovoltampères.

Seul un tiers des entreprises concernées par le bouclier tarifaire ont concrétisé une demande d’aide. Les collectivités, quant à elles, ne savent toujours pas dans quelle mesure elles bénéficieront ou pas des aides de l’État. La proposition de loi prévoit un accès pour toutes au tarif réglementé. On pourrait attendre de la chambre des territoires un plein soutien à cette revendication de bon sens de nos collègues maires.

La situation est grave. Les écologistes alertent depuis de nombreuses années sur l’urgence qu’il y a à s’engager fortement dans les énergies décarbonées, sur la fin de l’abondance et sur la mise hors marché et hors surconsommation de l’énergie.

Si l’État ne peut pas tout prévoir, il a une obligation de préparer l’avenir. La concurrence ouverte, la politique du prix bas, les stratégies du tout nucléaire que l’on développe encore aujourd’hui ne favorisent pas la réorientation des politiques énergétiques dans le sens des recommandations du rapport du GIEC pour lutter contre les dérèglements climatiques ; elles contribuent encore moins à garantir la maîtrise des coûts, dont la nécessité est pourtant souvent rappelée sur ces travées.

EDF pourrait redevenir le bras armé de notre pays pour une nouvelle politique énergétique. La proposition de loi de Philippe Brun répond à cet axe majeur et stratégique du retour de l’entreprise sous le contrôle de l’État. Il serait inadmissible de voir les aspects rentables du groupe comme le développement des énergies renouvelables être privatisés selon la bonne vieille méthode libérale : privatiser les bénéfices et nationaliser les pertes et les déficits.

J’évoquerai pour finir la place des citoyens comme des salariés dans ce débat. À quel moment les Françaises et les Français ont-ils été associés à ces décisions ou aux orientations prises par le Gouvernement ? Seraient-ils d’accord pour financer des réacteurs dont le modèle, celui de Flamanville – il faut le rappeler, car on l’oublie souvent –, a coûté 19,1 milliards d’euros d’après la Cour des comptes quand il ne devait coûter que 3,3 milliards d’euros ?

Un débat national sur les choix énergétiques de la France est indispensable. Il est même essentiel. Ces choix ne peuvent pas se faire sans une Nation éclairée quant aux enjeux climatiques et à leurs conséquences pour l’avenir.

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Bargeton.

M. Julien Bargeton. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je le dis d’emblée, le groupe RDPI votera contre ce texte.

Certes, le travail du rapporteur est impressionnant – je le remercie –, et sa démonstration était brillante. Toutefois, pourquoi voter ce texte, qui ne propose plus grand-chose ?

Premièrement, cette proposition de loi avait pour objet de nationaliser. EDF. Le Gouvernement a répondu – mes collègues l’ont rappelé – qu’une offre publique d’achat simplifiée (OPAS) était en cours, de sorte que cela ne se justifiait plus. À l’Assemblée nationale, la commission avait d’ailleurs changé l’intitulé du texte et le rapporteur avait proposé un prix de rachat de l’action à 14 euros, plus cher donc que celui désormais fixé, ce qui aurait coûté 1,5 milliard d’euros de plus aux finances publiques. Dans sa sagesse, le Sénat a donc supprimé l’article 1er.

Deuxièmement, sur le caractère unifié du groupe, on fait un procès d’intention au Gouvernement. Bien que le projet Hercule soit abandonné, on ne cesse de répéter qu’il faut se protéger. L’article 2 n’est pas entièrement supprimé, mais il est largement amodié, et son contenu est réduit à sa plus simple expression de sorte qu’il n’apporte rien de nouveau.

Troisièmement – cela a été souligné par tous les orateurs, et nous avons entendu les explications du rapporteur –, sur le tarif réglementé de vente, la rédaction initiale était contraire au droit européen. La commission propose finalement un dispositif réduit et restreint qui évite les difficultés auxquelles on se heurtait.

Toutefois, ce qui reste du texte est squelettique, et même plus encore, puisque l’on serait dans le cas où les archéologues auraient trouvé un squelette incomplet ! Il n’y a plus de nationalisation, plus de statut spécifique et plus aucune mesure correspondant à l’objet et à l’intitulé de la proposition de loi initiale. (MM. Fabien Gay et Victorin Lurel le confirment.)

Par conséquent, puisque le texte est privé de sa substance, vous comprendrez que le groupe RDPI s’y oppose.

Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Victorin Lurel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à deux jours près, nous aurions pu fêter l’anniversaire de la loi du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz. Je ne vois pas là une simple coïncidence, mais j’ai pensé, et même rêvé que par une sorte de connivence de pensée et d’action, ce qui s’est produit sur les travées de la gauche et de la droite à l’Assemblée nationale, sous l’impulsion de Philippe Brun, pouvait se répéter ici. J’ai sincèrement pensé que ceux qui siègent sur les travées de droite de l’hémicycle pourraient se réclamer de ces aïeux et se considérer comme les héritiers du Conseil national de la Résistance, dont l’esprit s’est prolongé dans toutes les générations politiques depuis 1946.

Ainsi, en 1974, dans le cadre du plan Messmer, 56 réacteurs ont été mis en place, ce qui a permis d’engager des baisses de prix pendant une vingtaine d’années, le prix moyen de l’électricité étant inférieur de 28 % à la moyenne européenne, à 17 centimes du kilowattheure (kWh) contre 28 centimes en Allemagne, ce qui donnait un avantage compétitif considérable à la France. Or ce n’est plus tout à fait le cas.

Hélas ! Mon rêve est en train de sombrer dans les marécages de l’idéologie, ce rêve d’un consensus transpartisan que nous souhaiterions et que nous appellerions de nos vœux, de sorte que nous répéterions ici ce qui s’est fait là-bas, en préservant l’essentiel. Mais à la faveur de ce texte, on voit s’affronter deux visions diamétralement opposées, orthogonales, en quelque sorte : l’étatisation n’est pas une nationalisation.

Le texte proposé par Philippe Brun, par le groupe socialiste et, de manière plus générale, par l’ensemble de la gauche a du souffle et, si j’ose dire, une âme. Nationaliser, c’est rendre à la Nation, et cela implique non seulement le transfert des moyens de production, mais aussi leur utilisation en faveur des usagers, des citoyens et de la Nation.

Or, avec toutes les directives qui ont été prises depuis 1996, que ce soit en 2003, en 2009, en 2010 ou en 2019, on n’a cessé d’ouvrir des fenêtres. On a commencé par le faire pour les salariés depuis 1973, puis pour des filialisations, pour des hybridations et pour des croisements de capital, ce qui correspondait parfois à une privatisation rampante.

Notre collègue député du groupe socialiste entendait insuffler une âme nouvelle au groupe EDF, moteur de la souveraineté énergétique du pays, en proposant de ne pas le confier à une élite, quels que soient sa qualité et les grands commis de l’État qui ont pu œuvrer. Ne confions pas la souveraineté énergétique du pays à une technostructure qui n’a rien fait d’autre que se soumettre ; le terme est fort, nul besoin de citer la littérature sur ce sujet.

À Gérard Longuet, notre excellent collègue, je veux dire que je suis malheureux de constater que nous n’avons pas su trouver ce consensus, alors que nous aurions pu le faire : c’est une occasion manquée. La nationalisation n’est pas l’affaire de l’Europe, qui reste dans une sorte de neutralité technologique et juridique à cet égard, que le monopole soit public ou privé, car cela ne la concerne pas. Elle ne s’intéresse qu’à l’ouverture du marché et considère que s’il y a un monopole, qu’il soit de fait ou juridique, il faut que le marché soit ouvert et donc contestable. La « contestabilité du marché » : la sémantique est belle pour désigner une affreuse réalité.

Le problème est donc national, et Philippe Brun a proposé de nous doter d’une arme nationale. Nationaliser EDF, c’est réarmer la France. Une entreprise verticalement intégrée, d’intérêt général et d’intérêt national, cela équivaut à un nouveau ministère de la défense. Mais nous passons à côté pour des raisons idéologiques : il faut faire la tarification au coût marginal ou bien encore il faut corréler le prix de l’électricité à la dernière unité mise en œuvre, à savoir du lignite ou peut-être du charbon allemand.

Et quand, voulant faire le bien des Français, certains proposent un TRVE qui vaudrait pour tous, on préfère changer le mode de calcul et se référer au coût d’approvisionnement du fournisseur alternatif, qui n’a de fournisseur que le nom. Tel est le modèle qui nous est soumis et auquel nous nous soumettons tous ; je le regrette vraiment.

Il nous faut un champion national. Il faut donc nationaliser EDF et défendre les intérêts de la France. Il faut délimiter le périmètre pour éviter les cessions. Il faut un TRVE revu et corrigé. Telles sont les mesures que nous vous proposons par nos amendements de réintroduire dans le texte qui vous est soumis.

Nous réservons notre vote en espérant, avec optimisme, que vous ferez en sorte qu’il soit favorable. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise énergétique n’est pas seulement le résultat de la guerre en Ukraine, comme vous essayez de le faire croire. Il ne suffira pas pour la résoudre de délier les prix du gaz et de l’électricité ou d’ajuster le marché européen comme vous venez d’ailleurs de le faire au profit de la compétitivité allemande.

En effet, elle est d’abord le résultat des principes de l’Europe libérale, de la fracturation de notre entreprise intégrée historique EDF en plusieurs entités et de traders qui spéculent et touchent des dividendes record.

Que dire encore de l’Arenh, ce racket organisé sur le dos d’EDF et des usagers, qui affaiblit sa capacité d’investissement, qui enrichit les acteurs alternatifs et qui casse progressivement les tarifs réglementés de vente de l’électricité ?

Ce bilan, c’est le vôtre, monsieur le ministre, et celui de l’alliance de tous les libéraux pour faire de l’énergie une marchandise comme une autre, alors que c’est un monopole de fait et qu’elle doit donc être sortie du marché et considérée comme un bien commun.

La droite sénatoriale est à l’offensive, au moins dans les mots : « indépendance énergétique », « souveraineté », « réforme du marché européen », ou encore « protection de nos collectivités ». Mais quand il faut passer aux actes, il n’y a plus personne.

Nous vous avons proposé au mois de décembre dernier le retour aux tarifs réglementés pour toutes les collectivités : vous l’avez refusé. Sortir du marché européen et faire valoir notre exception d’une production nucléaire à bas coût ? Vous l’avez refusé. Et aujourd’hui, vous refusez une loi sur la renationalisation d’EDF, ou du moins vous ne l’envisagez que bien amputée de l’ambition initiale de nos collègues socialistes.

Je veux d’ailleurs saluer leur texte, qui prévoyait un groupe unifié, avec des actions non cessibles pour éviter la vente d’actifs comme Dalkia ou Enedis, et qui visait à vous empêcherait de réactiver votre projet Hercule, que la majorité des salariés des industries électriques et gazières (IEG) ont rejeté.

Aujourd’hui, tout le monde l’aura compris, la solution ne viendra pas de vous ni de vos mesurettes pour corriger un système voué à s’effondrer.

Soixante-dix-sept ans après l’œuvre du père d’EDF et GDF, Marcel Paul, résistant, déporté et ministre communiste, il nous faut une nouvelle loi de nationalisation de tout le secteur énergétique.

Aujourd’hui, nous avons un double défi : décarboner notre économie et sortir 15 millions de personnes de la précarité énergétique.

Il faut d’ores et déjà préparer l’avenir sans vous, car vos échecs et vos renoncements nous conduisent dans le mur. Plus de 50 milliards d’euros de bouclier tarifaire, d’Arenh supplémentaire et de filet de sécurité n’auront rien réglé ni stabilisé, mis à part les profits d’acteurs alternatifs rapaces.

Je propose donc que nous travaillions dès maintenant à un grand projet, à la hauteur de celui de Marcel Paul et de ses camarades : un groupe public, sous la forme d’un établissement public industriel et commercial (Épic). Il regrouperait en son sein EDF, mais aussi Engie et TotalEnergies, nationalisés à 100 %, et il porterait le nom de GEDF, Groupe Énergie de France.

Vous me demanderez sans doute combien cela coûtera. L’affaire coûtera probablement une centaine de milliards d’euros, mais après tout, ce n’est que le double de ce que vous avez gaspillé l’an dernier !

Ce groupe détiendrait un monopole public ; il serait un groupe intégré qui assurerait la production, le transport et la distribution, et qui mettrait fin à l’Arenh. Ce serait un groupe qui rétablirait l’ensemble des tarifs réglementés.

Ces tarifs sont la condition pour protéger les usagers, les TPE-PME, les collectivités, et les grandes entreprises, qui ont besoin d’une vision à long terme. Ils sont la condition pour garantir la stabilité, pour réindustrialiser le pays et pour lui redonner la compétitivité dont il a besoin face à l’Asie et aux États-Unis.

Il faudra pour cela renforcer le statut des IEG, protéger tous les travailleurs et travailleuses de la filière, les salariés et celles et ceux qui sont aujourd’hui des sous-traitants. Ce statut est la condition pour maintenir les talents dont nous avons besoin pour la filière, pour le pays et pour notre sécurité.

Marcel Paul avait demandé à ses enfants de veiller à vos attaques et de protéger cette entreprise, qu’il qualifiait très justement d’« instrument fondamental de la vie du pays ».

Vous qui avez tout détruit et qui voulez continuer, vous nous trouverez sur votre route, avec ses petits-enfants et arrière-petits-enfants, prêts à tout reconstruire ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canévet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Michel Canévet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Union Centriste voudrait tout d’abord remercier sincèrement le rapporteur du texte, Gérard Longuet, de la pertinence de ses analyses et de la manière dont il a exposé la situation.

En effet, ce texte, par notre fait, aborde tout simplement la politique énergétique de notre pays. D’autres textes l’ont également évoquée, comme celui sur l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires ou celui sur l’accélération de la production d’énergies renouvelables. Cependant, il me semble que le débat n’a pas été clos et mérite d’être largement poursuivi. L’examen de ce texte nous en donne l’occasion, monsieur le ministre.

Disons-le clairement, le groupe Union Centriste est attaché au mix énergétique, car cela permet véritablement de garantir la souveraineté de notre pays.

D’ailleurs, ce mix ne devrait pas se limiter à l’électricité : il pourrait s’étendre au gaz, renouvelable bien sûr, ainsi qu’à d’autres formes de production. Celles-ci sont importantes si l’on veut que, demain, notre pays soit souverain et autonome dans le domaine énergétique.

J’ajoute que chacun sait, particulièrement le ministre de l’industrie que vous êtes, combien l’énergie est un élément indispensable pour la compétitivité de nos entreprises.

Je ne partage pas du tout les propos que vient de tenir notre collègue Fabien Gay au sujet de la nécessité de nationaliser EDF. Un système monolithique ne permettrait pas à notre pays de répondre aux défis auxquels il est confronté en matière d’énergie. Il nous faut trouver au contraire une multitude de solutions, qui seront l’apanage d’un grand nombre d’opérateurs, qui, s’ils peuvent s’exprimer dans le cadre légal que nous instituons, sauront apporter des réponses aux besoins de nos concitoyens.

Disons-le aussi, nous devons nous interroger sur la perspective de nationalisation d’EDF, ne serait-ce que parce que cela coûte beaucoup d’argent : plus de 8 milliards d’euros. Était-il nécessaire d’entamer cette nationalisation ? Ne valait-il pas mieux consacrer cet argent à moderniser notre parc de production d’électricité ? Il convient de se poser la question.

Cela étant, la décision a été prise, ce dont nous, membres du groupe Union Centriste, prenons acte.

Le texte que nous examinons cet après-midi comporte plusieurs mesures importantes.

J’en viens à l’article 2 et à la possibilité pour les salariés d’EDF d’acquérir des parts du capital. Nous pensons, dans le même esprit que celui de la loi Pacte, votée voilà maintenant cinq ans, qu’il faut favoriser l’actionnariat populaire, salarié en particulier. La question du partage de la valeur est, pour nous, extrêmement importante.

À cet égard, nous nous interrogeons sur l’amendement n° 19 rectifié du Gouvernement, qui tend à limiter cet actionnariat salarié. Nous préférerions en rester à la rédaction de l’article 2 telle qu’elle résulte des travaux de la commission. Il nous semble que le rapporteur a su trouver un juste compromis en la matière. Selon nous, il faut en effet tenir compte de la motivation de l’ensemble des salariés d’EDF.

Par ailleurs, le rapporteur l’a mentionné, l’une des principales dispositions du texte concerne les tarifs réglementés de vente d’électricité.

Le groupe Union Centriste considère qu’il faut s’en tenir aux règles européennes que nous avons édictées, d’autant plus que le marché européen de l’électricité est ouvert.

La proposition du rapporteur d’étendre le bénéfice des TRVE aux TPE, en faisant sauter le verrou des 36 kilovoltampères, nous semble tout à fait pertinente, car elle apporte une réponse à bon nombre de situations que chacun d’entre nous, après avoir tenu compte de la réalité observée sur le terrain, a déjà relayées auprès du Gouvernement. Je pense à ces boulangers qui disposent de compteurs électriques d’une puissance supérieure à 36 kilovoltampères : pour que leur activité ne soit pas mise en péril, ils doivent pouvoir bénéficier de ces tarifs réglementés.

Monsieur le ministre, il nous semble opportun d’avancer sur cette question. C’est pourquoi la proposition du rapporteur nous paraît particulièrement judicieuse.

Tels sont les éléments que nous souhaitions évoquer aujourd’hui, en attendant le débat qui ne manquera pas de s’ouvrir dans quelques instants. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à protéger le groupe électricité de france d’un démembrement

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement
Article 2

Article 1er

(Supprimé)

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, sur l’article.

M. Franck Montaugé. Comme les différentes interventions en discussion générale l’ont montré, deux approches très différentes s’affrontent dans cet hémicycle : celle, très libérale, de la commission des finances et de son rapporteur, Gérard Longuet, qui laisse ouvertes toutes les options de cession ultérieure de filiales, et la nôtre, qui vise à conforter notre souveraineté industrielle en matière d’énergies décarbonées.

Nous voulons garder EDF et l’ensemble de ses filiales « cœur de métier » dans le giron national. J’entends par là la production d’énergie sous toutes ses formes – énergies renouvelables, hydraulique, nucléaire, thermique –, le transport et la distribution – RTE et Enedis –, sans rien toucher aux prérogatives et aux statuts particuliers de ces opérateurs, eu égard au droit européen dont ils dépendent, ainsi que les services énergétiques que le groupe rend aujourd’hui.

Parmi ces services, monsieur le ministre, vous avez laissé entendre que l’importation et l’exportation d’électricité avaient été rendues possibles par le marché européen. Or je tiens à rappeler ici que ces activités d’EDF existaient bien avant.

M. Fabien Gay. Bien sûr !

M. Franck Montaugé. Je tiens également à signaler que l’acquisition par l’État de 100 % du capital d’EDF SA n’empêchera pas les cessions ultérieures de capital ou de filiales.

Je regrette que la porte reste ouverte à des projets de restructuration, tel le projet Hercule. Ce texte avait pour objet d’apporter des garanties sur ce point : cela ne sera pas le cas.

Ce que nous voulons, je le répète, c’est une société EDF nationalisée dans le cadre d’un groupement public unifié. C’est le sens des amendements que nous défendrons.

Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, sur l’article.

M. Victorin Lurel. Le groupe politique auquel j’appartiens tient à une loi de nationalisation d’EDF.

Électricité de France n’est pas une simple entreprise : c’est une arme, un bouclier.

Penser un seul instant qu’une offre publique d’achat simplifiée, autrement dit une étatisation, une montée en capital suffirait à garantir l’unité, la cohérence, l’intégration de cette entreprise, et à empêcher les dérives dans la gestion et le management que l’on a pu constater durant une vingtaine d’années est illusoire.

C’est la raison pour laquelle nous tenons au principe de nationalisation, reconnu dans le préambule de la Constitution de 1946 et garanti par le bloc de constitutionnalité. EDF doit devenir un bien commun, un bien de la Nation. Ses moyens de production doivent être transférés, mais surtout utilisés au bénéfice des citoyens. Voilà ce que l’on demande !

Pour autant, nous ne plaidons pas en faveur de l’enfermement national. Nous ne cherchons pas non plus à empêcher toute rotation d’actifs. Nous tenons à préserver le cœur de métier d’EDF. Tel est l’objet de notre amendement à l’article 1er : proposer que l’entreprise soit nationalisée.

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L’amendement n° 2 est présenté par MM. Lurel, Montaugé, Kanner, Féraud et Raynal, Mme Briquet, MM. Cozic et Éblé, Mme Espagnac, MM. Jeansannetas, P. Joly et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 8 est présenté par M. Gay, Mme Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

La société Électricité de France est nationalisée.

La parole est à M. Victorin Lurel, pour présenter l’amendement n° 2.

M. Victorin Lurel. Encore une fois, nous souhaitons la consolidation d’EDF. Nous tenons à ce que Philippe Brun a appelé un « groupe public unifié ».

On l’a fait pour la SNCF. Or j’ai entendu des arguments assez spécieux, consistant à dire qu’il s’agissait d’une simple occurrence et que nous ne pourrions pas la répéter. Au contraire, il faut recommencer !

Notre collègue Fabien Gay a déposé, au nom du groupe communiste, un amendement tendant à préciser qu’EDF est bien une société anonyme et un groupe public verticalement intégré.

Mon groupe l’avait lui-même proposé en commission, mais l’amendement a malheureusement été rejeté. En définitive a été retenue l’expression de société anonyme « d’intérêt national ».

Quoi qu’il en soit, nous tenons à cette entité et à sa nationalisation.

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour présenter l’amendement n° 8.

M. Fabien Gay. Nous tenons, comme nos collègues du groupe socialiste, au rétablissement de l’article 1er tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale, ainsi qu’à l’expression de société « nationalisée ».

Cette nationalisation ne correspond pas tout à fait à ce que vous êtes en train de faire avec EDF, monsieur le ministre.

En rachetant leurs parts aux actionnaires minoritaires, institutionnels ou salariés, vous opérez en réalité une réétatisation du groupe et sortez EDF de toute cotation ; autrement dit, la société ne sera plus cotée en Bourse.

Le capital de l’entreprise sera, certes, public à 100 %,…

M. Gérard Longuet, rapporteur. C’est donc une entreprise nationalisée !

M. Fabien Gay. … mais, dans la mesure où celle-ci est structurée en SA, vous la transformerez en holding, comme vous l’avez fait pour la SNCF et un certain nombre d’autres entreprises publiques.

Vous le savez très bien, cela ne s’oppose pas à la filialisation du groupe et à la cession de ses actifs, notamment Dalkia et Enedis. Il faut vraiment que vous me répondiez à ce sujet, monsieur le ministre : votre gouvernement veut-il, oui ou non, céder ces deux filiales d’EDF ?

Dernière remarque, le fait de créer une holding détenue à 100 % par l’État ne vous empêchera pas non plus d’ouvrir les filiales du groupe aux capitaux privés.

Le projet que nous appelons de nos vœux, celui de la nationalisation d’EDF, n’est donc pas exactement celui que vous avez engagé.

Quitte à lancer le débat avec mes collègues des autres groupes de gauche, j’ajoute que nous devrions, en plus de la nationalisation d’EDF, demander la transformation de la société anonyme en Épic, forme d’établissement que nous connaissons extrêmement bien, et dont les employés ne relèvent pas de la fonction publique, mais y sont assimilés, comme pour le statut des industries électriques et gazières.

Nous sommes favorables à la transformation d’EDF en Épic, car elle apporte de nombreuses garanties.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Gérard Longuet, rapporteur. Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roland Lescure, ministre délégué. Avis défavorable, pour les raisons que j’ai évoquées lors de mon intervention liminaire.

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.

M. Franck Montaugé. Il est nécessaire – je le redis ici – de nationaliser le groupe EDF pour éviter tout démantèlement ou démembrement ultérieur.

À ce stade du débat, je souhaite d’ores et déjà attirer votre attention, mes chers collègues – ce qui poussera peut-être le ministre à nous répondre dans quelques instants –, sur la problématique, parce que c’en est une, de la limitation à 2 % du capital détenu par les salariés de l’entreprise.

Cette disposition risque de fragiliser notre production hydraulique et de rouvrir le débat relatif à la mise en concurrence des concessions hydrauliques. Elle correspondrait à une première étape vers le démantèlement obligatoire de l’entreprise, que nous souhaitons évidemment éviter. Pour ce faire, il nous faut rétablir l’article 1er dans sa rédaction initiale, et en revenir au principe de nationalisation du groupe EDF.

Ce n’est pas une mince affaire, et les risques juridiques sont avérés.

Je souhaiterais que le Gouvernement et, peut-être, le rapporteur nous éclairent sur ce point, parce que les conséquences de la suppression de l’article 1er pourraient être considérables.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour explication de vote.

M. Daniel Breuiller. Je comprends bien sûr que le Gouvernement, soutenu par le rapporteur, ait fait le choix de l’étatisation, compte tenu de la situation actuelle d’EDF.

Le coût du grand carénage ou celui des six premiers EPR, qui, selon une estimation très optimiste, est trois fois moins élevé que celui de Flamanville, supposent effectivement qu’un acteur public, c’est-à-dire nous-mêmes, les contribuables, participe au financement de ces dépenses considérables.

Toutefois, cela n’a rien à voir avec la proposition initiale de nationalisation d’EDF des auteurs de ce texte : c’est un autre projet qui a été présenté par nos collègues députés et qui est défendu sur les travées de la gauche sénatoriale : celui de disposer d’un levier dans le domaine des politiques énergétiques.

Au nom de mon groupe, je voterai évidemment les deux amendements identiques.

Pour finir, je le redis, il est temps d’engager un véritable débat sur la politique énergétique de notre pays plutôt que d’opérer par petites touches, d’abord sur les EPR, puis sur l’accélération de la construction de nouvelles installations nucléaires, et enfin sur ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.

M. Fabien Gay. Il est tout de même dommage que M. le ministre ne prenne même pas une minute pour nous répondre.

Nous avons soulevé un certain nombre de problèmes, notamment celui de la différence entre réétatisation et nationalisation.

Permettez-moi de vous poser une question simple, monsieur le ministre. Vous engagez-vous devant le Parlement à ce que l’État ne cède aucun actif d’EDF, en particulier Enedis et Dalkia ?

Vous avez affirmé avec à-propos que le projet Hercule était abandonné. Très bien – même si on en doute un peu –, mais y aura-t-il, oui ou non, des cessions d’actifs ?

Puisque vous nous assurez qu’il n’y a aucun projet caché, dites-le donc devant le Parlement et engagez-vous au moins sur ce point !

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2 et 8.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 261 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 338
Pour l’adoption 99
Contre 239

Le Sénat n’a pas adopté.

En conséquence, l’article 1er demeure supprimé.

Article 1er (supprimé)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement
Après l’article 2

Article 2

I. – L’article L. 111-67 du code de l’énergie est ainsi modifié :

1° Après le mot : « anonyme » sont insérés les mots : « d’intérêt national » et les mots : « plus de 70 % » sont remplacés par le taux : « 100 % » ;

2° Sont ajoutés quatre alinéas ainsi rédigés :

« La part de la détention par l’État est minorée, dans la limite de 2 %, par le capital détenu par les salariés.

« L’entreprise « Électricité de France » propose une opération permettant à ses salariés et aux anciens salariés qui détenaient des actions de l’entreprise le 22 novembre 2022 d’accéder à son capital. Cette opération porte au minimum sur 1,50 % du capital de l’entreprise, pour un prix initial de souscription qui ne pourra être supérieur à 12 euros.

« Un arrêté du ministre chargé de l’économie détermine les modalités de cette opération.

« L’entreprise « Électricité de France » exerce ses activités conformément au présent code. »

II (nouveau). – Le 1° et les deuxième à avant-dernier alinéas du 2° du I entrent en vigueur le 1er janvier 2024.

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 3, présenté par MM. Lurel, Montaugé, Kanner, Féraud et Raynal, Mme Briquet, MM. Cozic et Éblé, Mme Espagnac, MM. Jeansannetas, P. Joly et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

L’article L. 111-67 du code de l’énergie est ainsi rédigé :

« Art. L. 111-67. – L’entreprise dénommée « Électricité de France » est un groupe public unifié composé de la société « Électricité de France SA » et de l’ensemble de ses filiales directes et indirectes. Ses activités sont les suivantes :

« 1° La production, le transport dans les zones non interconnectées et en Corse, la distribution, la commercialisation, l’importation et l’exportation d’électricité ;

« 2° Le développement, la construction, l’exploitation et la maintenance des sources d’énergie hydraulique, nucléaire, renouvelable et thermique ;

« 3° La prestation de services énergétiques ;

« 4° Le transport, hormis dans les zones non interconnectées et en Corse, assuré en toute indépendance opérationnelle et stratégique vis-à-vis de la société Électricité de France SA, notamment par la société Réseau de Transport d’Électricité.

« Son capital est détenu intégralement par l’État. Il est incessible. »

La parole est à M. Victorin Lurel.

M. Victorin Lurel. Nous proposons le rétablissement de la version originelle de l’article 2 et une délimitation claire du périmètre des activités de l’entreprise EDF SA, comme la production, le transport dans les zones non interconnectées, la distribution, la commercialisation, l’importation et l’exportation d’électricité ou la prestation de services énergétiques.

Nous avons néanmoins introduit une nuance par rapport à la rédaction initiale de cet article. En effet, en matière de transport, autant nous souhaitons qu’EDF maintienne une présence capitalistique – si j’ose dire – au sein de RTE et d’Enedis, autant nous respectons leur indépendance opérationnelle et stratégique.

Notre dispositif est bien entendu conforme au droit européen et au code de l’énergie.

Mme la présidente. L’amendement n° 9, présenté par M. Gay, Mme Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

L’article L. 111-67 du code de l’énergie est ainsi rédigé :

« Art. L. 111-67. – L’entreprise dénommée « Électricité de France » est un groupe public unifié, verticalement intégré, composé de la société « Électricité de France SA » et de l’ensemble de ses filiales directes et indirectes.

« Ses activités sont les suivantes :

« 1° La production, le transport, la distribution, la commercialisation, l’importation et l’exportation d’électricité ;

« 2° Le développement, la construction, l’exploitation et la maintenance des sources d’énergie hydraulique, nucléaire, renouvelable et thermique ;

« 3° La prestation de services énergétiques.

« Son capital est détenu intégralement par l’État ou, dans la limite de 2 % du capital, par des personnes salariées de l’entreprise. Il est incessible. »

La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Madame la présidente, si vous le permettez, je présenterai en même temps les amendements nos 9 et 10.

Mme la présidente. J’appelle également en discussion l’amendement n° 10, présenté par M. Gay, Mme Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, et ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

L’article L. 111-67 du code de l’énergie est ainsi rédigé :

« Art. L. 111-67. – L’entreprise dénommée « Électricité de France » est un groupe public unifié, verticalement intégré, composé de la société « Électricité de France SA » et de l’ensemble de ses filiales directes et indirectes.

« Toutes orientations stratégiques tendant à modifier la structure du capital, le caractère unifié du groupe ou l’organisation interne d’Électricité de France exige l’approbation du Parlement. »

Veuillez poursuivre, monsieur Gay.

M. Fabien Gay. Auparavant, EDF produisait, transportait et distribuait de l’électricité. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas pour des raisons de concurrence.

Permettez-moi de dresser un rapide bilan de la libéralisation.

Actuellement, Enedis s’occupe du transport de l’électricité. Or la nature même de cette activité suppose une déperdition énergétique, si bien qu’Enedis est contraint de racheter de l’électricité, non pas auprès d’EDF, entreprise qui détient pourtant cette filiale à près de 100 %, car elle n’en a pas le droit, mais sur le marché, notamment dans le cadre de l’Arenh.

Autrement dit, elle s’approvisionne auprès des concurrents directs d’EDF pour réinjecter de l’électricité dans le réseau… C’est extrêmement compliqué, mais bravo ! Vous avez réalisé un chef-d’œuvre, une usine à gaz qui aboutit à des aberrations totales !

On voit bien ce que vingt ans de libéralisation du secteur de l’énergie, qui constitue un monopole de fait et qui doit donc être sorti du marché, auront coûté à notre pays, à EDF, tout cela sur le dos des usagers.

Je vous repose la question, monsieur au ministre : maintiendrez-vous un groupe public intégré ? Y aura-t-il, oui ou non, des cessions d’actifs dans le cadre de la réétatisation que vous souhaitez, notamment celles d’Enedis et de Dalkia ?

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Gérard Longuet, rapporteur. La commission est défavorable à ces trois amendements.

Je reconnais les efforts de Victorin Lurel et de son groupe pour obtenir un vote de ce texte conforme à celui de l’Assemblée nationale, ainsi que leur geste d’ouverture s’agissant des réalités d’un marché qui est désormais, cher Fabien Gay, parfaitement concurrentiel.

M. Fabien Gay. Ah bon ?

M. Gérard Longuet, rapporteur. Et personne ne songe aujourd’hui à remettre cet état de fait en cause.

M. Fabien Gay. Si, nous !

M. Gérard Longuet, rapporteur. Naturellement, mais vous êtes assez largement minoritaires en France et en Europe, ce qui nuit à l’autorité et aux chances d’aboutir de vos projets.

Il se trouve que l’électricité est désormais produite de manière très diversifiée : il existe une électricité d’origine nucléaire, le système nucléaire étant un système unitaire en France, une électricité thermique qui est gérée, elle, de manière morcelée – je pense aux turbines à gaz, mais aussi au charbon, puisque, si la centrale à charbon de Cordemais est exploitée par EDF, celles de Saint-Avold et de Gardanne le sont par GazelEnergie –, ainsi qu’une électricité tirée des énergies renouvelables, issue de milliers de producteurs, certains de taille importante, comme les éoliennes d’Engie ou de TotalEnergies, d’autres de très petite taille.

Je citerai l’exemple de ces particuliers qui possèdent des panneaux photovoltaïques. Vous ne les priverez plus de la liberté de produire de l’électricité, qui s’accompagne naturellement d’une décision d’investir.

Je me tourne vers notre excellent collègue Daniel Breuiller, qui a des convictions écologistes, que je respecte, mais que je ne partage pas. Mon cher collègue, vous avez une passion pour les économies locale et circulaire ; celles-ci impliquent des réseaux autonomes, ce qui, entre nous, est assez dangereux, car ils ne sont pas interconnectés. Vous défendez les producteurs indépendants. Or ces derniers n’entendent plus perdre leur indépendance.

Nous sommes obligés de tenir compte d’un système dans lequel la production électrique est, certes, dominée par EDF – ce dont je me réjouis, parce qu’il s’agit d’une production de qualité –, mais n’est plus pour autant monopolisée par l’entreprise.

Enedis comme RTE doivent être indépendants pour offrir des services garantissant une forme de loyauté et une équité de traitement entre des producteurs indépendants qui auront, demain comme aujourd’hui, le droit de produire de l’électricité.

Je précise pour finir que la situation actuelle résulte d’une initiative européenne, celle du Conseil européen qui, réuni à Barcelone en 2002, a décidé l’ouverture du marché de l’électricité. À ce Conseil, qui rassemblait l’ensemble des gouvernements de l’Union européenne, la France était représentée par Lionel Jospin, qui n’est pas un dangereux libéral…

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roland Lescure, ministre délégué. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces trois amendements.

J’en profite pour rappeler, puisque je l’ai déjà mentionné lors de la discussion générale, que si le Gouvernement dépense 10 milliards d’euros – l’argent du contribuable – pour racheter les parts du capital d’EDF qui manquent pour en faire une société détenue à 100 % par l’État, ce n’est évidemment pas pour envisager, dans la foulée, des cessions d’actifs, quelles qu’elles soient.

Cela étant, la priorité numéro un d’EDF aujourd’hui est de restaurer sa crédibilité financière, ce qui passe par des cessions d’actifs marginaux, déjà engagées à hauteur de 3 millions d’euros.

Si votre amendement était adopté, cela fragiliserait la consolidation d’EDF.

Par ailleurs, et vous aurez évidemment toute liberté pour l’auditionner à ce sujet, le nouveau PDG d’EDF doit remettre au Gouvernement une nouvelle feuille de route, qui cherche essentiellement à atteindre trois objectifs : tout d’abord, la restauration des capacités opérationnelles d’EDF, dont il faut reconnaître qu’elles ont récemment un peu failli ; ensuite, la consolidation financière de l’entreprise ; enfin, la meilleure stratégie possible en termes d’investissement, avec notamment la priorisation des investissements proposés à l’actionnaire, c’est-à-dire nous tous, par la direction.

Aujourd’hui, s’engager de manière très ferme à geler cette entreprise, à geler également RTE et Enedis, puisque certains des amendements que vous avez déposés visent l’ensemble du groupe, serait en totale non-conformité avec le droit européen. De plus, une telle décision mettrait en danger l’indépendance de RTE, qui est essentielle dans le schéma actuel.

J’en profite aussi pour rappeler au sénateur Gay, qui – je n’en doute pas – est au courant, que les pertes d’Enedis sont rachetées à EDF au tarif de l’Arenh, et en aucun cas sur le marché à des prix exorbitants.

M. Fabien Gay. Mais si !

M. Roland Lescure, ministre délégué. Non, monsieur le sénateur, je vous enverrai les textes !

M. Fabien Gay. Enedis est confronté à l’interdiction de racheter de l’électricité à EDF !

M. Roland Lescure, ministre délégué. Les pertes d’Enedis sont rachetées au prix de l’Arenh,…

M. Fabien Gay. Oui, mais pas à EDF !

M. Roland Lescure, ministre délégué. … que vous critiquez jour et nuit. (M. Fabien Gay proteste.)

L’Arenh permet aujourd’hui aux industriels français d’être compétitifs grâce à une énergie payée grosso modo au prix coûtant, pour des investissements qui ont été payés par l’État français et par la Nation depuis soixante-dix ans. Il nous faudra remplacer ce dispositif, et j’espère que celui qui lui succédera permettra encore de réindustrialiser la France plutôt que de la désindustrialiser ! (M. Fabien Gay sesclaffe.)

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.

M. Franck Montaugé. Je vous ai écouté attentivement, monsieur le ministre.

Peut-être êtes-vous en mesure de me dire si ce qui a été demandé au nouveau PDG d’EDF correspond à ce que nous proposons au travers de cet amendement en matière de production, de développement, d’exploitation et de maintenance, de transport d’électricité, de prestation de services énergétiques, et ce, contrairement à ce que vous venez d’affirmer, dans le strict respect du droit européen, notamment pour ce qui concerne RTE et Enedis.

Notre amendement mériterait d’obtenir un vote favorable, car nous voulons un groupe public unifié, dont le capital serait préservé.

Je le redis ici, la limitation à 2 % de la détention du capital d’EDF par ses salariés est un problème majeur.

Votre réponse sur ces sujets nous serait très utile.

M. Roland Lescure, ministre délégué. J’y répondrai tout à l’heure.

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.

M. Fabien Gay. Tout d’abord, monsieur le ministre, je ne répondrai pas à vos propos sur l’Arenh, car nous examinerons tout à l’heure un amendement sur le sujet.

Ensuite, je voudrais rappeler que tout le monde s’assoit aujourd’hui sur le droit européen, sauf la France ; nous avons ce débat depuis déjà deux ans.

Les Portugais et les Espagnols nous ont montré la voie en obtenant une dérogation. Les Allemands, eux, n’en ont pas eu besoin : ils nous ont encore tordu le bras voilà quinze jours en nous convainquant de signer une « réformette » du marché européen de l’énergie qui maintient l’avantage de l’industrie allemande au détriment de la nôtre…

Nos voisins s’assoient sur le droit européen chaque fois qu’ils doivent protéger leur industrie, ce qui ne semble déranger personne. En revanche, quand il s’agit de la France, il faut absolument rester dans les clous du droit européen ! Nous sommes pourtant le dernier pays à le respecter.

M. Roland Lescure, ministre délégué. Ce n’est pas vrai !

M. Fabien Gay. Mais si, c’est la réalité !

Personne n’osera me dire ici les yeux dans les yeux que la réforme du marché de l’énergie européen sera favorable à l’industrie française.

Pour terminer, monsieur le ministre, je rappelle que Mme Lavarde vous a posé une question extrêmement intéressante (Mme Christine Lavarde sen amuse.) au sujet de la dette d’EDF, qui s’élève à plus de 60 milliards d’euros.

M. Roland Lescure, ministre délégué. Rassurez-vous, j’y répondrai !

M. Fabien Gay. Vous avez évoqué la feuille de route que le nouveau PDG de la société, Luc Rémont, devra vous remettre ; celle-ci comprendra un certain nombre de pistes de désendettement et d’investissements futurs.

Vous êtes en partie responsable de la situation, puisque l’Arenh a coûté près de 8,4 milliards d’euros l’an dernier. Vous pourrez ainsi continuer à biberonner les fournisseurs alternatifs, à dépecer EDF et – j’y reviendrai – à racketter les usagers.

Comment EDF parviendra-t-elle à se désendetter ? L’une des solutions consistera-t-elle à accélérer la cession de ses actifs, à commencer par ceux qui rapporteront le plus, Dalkia et Enedis ?

Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.

M. Victorin Lurel. Monsieur le ministre, pourriez-vous répondre à la question de mon collègue Montaugé sur la participation au capital et l’actionnariat des salariés d’EDF ?

Vous avez invoqué les avantages de l’Arenh. Bien sûr qu’il y en a ! Mais je fais une autre lecture de ce qu’EDF doit absorber et payer.

Par exemple, EDF accepte aujourd’hui d’acheter des énergies renouvelables, qui sont très largement subventionnées et intermittentes – mais, bien entendu, il faut le faire –, puis de les revendre au prix du marché. Elle accepte également de vendre à ses concurrents 25 % de l’énergie nucléaire historique à un tarif de 42 euros.

Or je ne suis pas sûr que cet écart de compétitivité profite aujourd’hui à l’industrie française et à la Nation.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 3.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 262 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 339
Pour l’adoption 100
Contre 239

Le Sénat n’a pas adopté.

Je mets aux voix l’amendement n° 9.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 10.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 14, présenté par M. Gay, Mme Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 2

Remplacer le mot :

national

par les mots :

général, verticalement intégrée,

II. – Après l’alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Toutes orientations stratégiques tendant à modifier la structure du capital, le caractère unifié du groupe ou de l’organisation interne d’Électricité de France exige l’approbation du Parlement. »

La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Il s’agit d’un amendement de repli, puisque nous avons perdu le débat sur la renationalisation. Puisque EDF ne sera pas un Épic, nous souhaitons au moins que ce soit, comme c’est le cas de la Compagnie nationale du Rhône, une société anonyme d’intérêt général.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Gérard Longuet, rapporteur. Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roland Lescure, ministre délégué. Même avis.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 14.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 19 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 2

Compléter cet alinéa par les mots :

et sont ajoutés les mots : « ou dans la limite de 2 % du capital, par des personnes salariées et des anciens salariés de l’entreprise »

II. – Alinéas 4 à 6

Supprimer ces alinéas.

III. – Alinéa 8

Remplacer les mots :

et les deuxième à avant-dernier alinéas du 2° du I entrent

par les mots :

du I entre

La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué. Cet amendement me permet de revenir sur la question de l’actionnariat salarié, sujet évoqué par un certain nombre d’entre vous, dans la discussion générale comme dans la discussion des articles.

Il s’agit de rendre possible de l’actionnariat salarié au sein de l’entreprise EDF, même si, pour le dire sans ambages, nous ne le jugeons ni souhaitable ni même envisageable à très court terme, justement parce que l’État est en train de racheter 100 % du capital pour restaurer la capacité financière, la capacité opérationnelle et la capacité à investir de l’entreprise.

Par conséquent, faire ce genre d’opération aujourd’hui ne serait sans doute pas faire un cadeau aux salariés, alors que la rédaction actuelle nous y forcerait dès le 1er janvier 2024, les forçant sans doute à faire une très mauvaise opération financière. Bien plus, ce serait évidemment totalement anachronique, alors que nous sommes exactement en train de faire le contraire, à savoir racheter les pourcentages des actionnaires minoritaires, ceux qui sont détenus dans le cadre de l’actionnariat salarié. Aujourd’hui, vous le savez, l’État détient déjà 90 % du capital et pourrait légalement racheter les 10 % restants.

Du fait d’un certain nombre de recours qui ont été déposés, le Gouvernement s’est engagé à en attendre l’issue – vous l’avez dit, madame la sénatrice –, au début du mois de mai prochain. Si ces recours sont rejetés, il procédera à l’acquisition de la totalité du capital.

Vous avez voté à l’article 1er la disposition selon laquelle l’État doit détenir 100 % du capital. Pourquoi cet amendement est-il alors indispensable ? Si jamais, en 2024, 2025 ou 2026, l’entreprise souhaitait procéder à la mise en place d’un dispositif d’actionnariat salarié et que l’actionnaire l’acceptait, ce serait tout simplement impossible en raison de l’adoption de l’article 1er.

Cet amendement a donc pour objet d’ouvrir la possibilité, sans qu’un passage devant le Parlement soit nécessaire, à la direction de proposer un programme d’actionnariat salarié, sans obligation de temps ni de durée, pour laisser à l’entreprise le temps de se remettre en forme avant d’y procéder.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Gérard Longuet, rapporteur. Sur cet amendement, la commission s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.

Il s’agit en effet d’une affaire très difficile et très sensible. Nous avons un immense respect pour l’entreprise EDF, ce qui a conduit la commission à soutenir un amendement de Victorin Lurel faisant d’EDF une entreprise d’intérêt national, ainsi que cela figure désormais dans le texte de la commission. Cela n’a pas de signification juridique autre que de reconnaître que, dans l’histoire d’EDF, la communauté des salariés a bien fait son travail.

Quelque 82 000 salariés ou anciens salariés ont été actionnaires ou sont actionnaires d’EDF aujourd’hui : c’est l’expression d’un engagement dans l’entreprise qui conforte cette image de communauté. C’est la raison pour laquelle la commission a proposé un texte qui accordait cette possibilité en l’encadrant dans une période courte. Or c’est le problème de la période courte qui apparaît avec force. Mme Lavarde l’a fait valoir dans le débat en commission. Nous avons trop d’inconnues, notamment celles que j’ai évoquées à la tribune sur l’avenir de l’organisation du marché de l’énergie électrique.

Sur l’avenir de ce marché, je suis très optimiste : il sera nécessairement en croissance, dans la mesure où la décarbonation de notre société passe par l’électricité. Je n’ai donc aucun doute sur le fait qu’il nous faudra produire de plus en plus d’électricité et que l’entreprise qui bénéficie d’une expérience de plus de cinquante ans et de cinquante-huit réacteurs nucléaires est tout de même la mieux placée pour conquérir des positions nouvelles fortes.

Pour autant, le cadre n’est pas encore clair. Nous avons donc besoin de savoir si seront autorisés des contrats d’achat de long terme, des contrats par différence, s’il sera possible d’acheter des parts de centrales nucléaires pour avoir des droits de tirage, comme Exeltium en profite. Je sais de quoi je parle : je l’ai mis en place comme ministre de l’industrie au siècle précédent. (Sourires.)

Se posent donc toute une série de questions qui méritent d’obtenir réponse avant que d’engager l’économie des salariés dans ce qui reste toujours une aventure. Vous savez très bien que, lorsque l’on fait de la publicité pour une ouverture de capital au public, on précise que les performances passées n’engagent pas l’avenir.

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur.

M. Gérard Longuet, rapporteur. Il s’agit donc d’un avis de sagesse positive à l’égard de l’amendement du Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.

M. Franck Montaugé. Nous n’avons pas eu d’explications claires du ministre sur les conséquences juridiques de cet amendement relatif aux concessions hydrauliques dans le cadre européen.

Notre analyse, c’est qu’avec cette mesure vous lancez une torpille contre le groupe EDF. Je pèse mes mots. Vous allez devoir – c’est peut-être votre intention première – détacher l’hydraulique du groupe EDF, c’est-à-dire démanteler. Ce sera alors le début de la fin, à l’instar de ce qui s’est passé pour l’entreprise nationale qu’était Gaz de France à une époque. Cela ne manque pas de nous inquiéter.

Ce débat est crucial. S’il reste une part de capital autre que d’État au sein du groupe EDF, vous serez confronté à cette question-là et les territoires apprécieront peu de voir les concessions hydrauliques présentes sur le territoire national mises en concurrence, peut-être par obligation.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser votre analyse sur ce point extrêmement important ?

Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour explication de vote.

Mme Christine Lavarde. Moi aussi, monsieur le ministre, j’ai des questions à vous poser, car j’avoue que votre explication ne m’a pas vraiment convaincue ou rassurée. Je reste toujours très sceptique à la lecture de l’exposé des motifs de cet amendement : « … les anciens salariés d’EDF pourront également être actionnaires d’EDF, de sorte que les salariés du groupe ne soient pas forcés de vendre leurs titres lors de leur départ de l’entreprise ». Pourtant, vous venez de nous réexpliquer que l’État monterait à 100 % du capital : les salariés, anciens ou actuels, ont donc déjà vendu leurs titres. L’exposé des motifs semble dire qu’ils ont encore ces titres et qu’ils ne seraient pas forcés de les vendre au moment où ils quittent l’entreprise.

Je m’interroge sur la procédure de mise en œuvre : soit l’État détient 100 % du capital, ce qui peut avoir sa pertinence pour les raisons que j’ai déjà exposées, notamment pour permettre le financement des investissements considérables qui ne permettront pas le financement de dividendes, soit on veut apporter quelque chose aux salariés qui ont fait l’histoire du groupe et de notre politique énergétique, notamment nucléaire, auquel cas il faut que ce soit clair pour eux. Or, là, cela ne l’est pas.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué. Rendre l’actionnariat salarié optionnel ou obligatoire, tel qu’il est aujourd’hui prévu dans la rédaction issue des travaux de la commission, ne change en rien les débats que l’on a par ailleurs sur les concessions hydrauliques, sur lesquelles il nous faut évidemment être extrêmement fermes. Si vous m’y autorisez, monsieur le sénateur, une fois que nous serons assurés d’avoir bien compris les termes de votre question, nous y répondrons par écrit.

L’État achète 100 % du capital. Si le jugement du tribunal est conforme à ce à quoi on s’attend, on aura dans la foulée la capacité d’acheter les 5 % du capital restants et l’État détiendra alors 100 % du capital.

Si, dans deux, trois, quatre ou cinq ans, l’entreprise est dans une meilleure situation, on l’autorise éventuellement par cet amendement à envisager et à mettre en œuvre un accord d’actionnariat salarié sans avoir à repasser par le Parlement. Comme dans l’accord précédent, ce nouvel accord permet aux salariés non seulement d’acheter des actions du groupe et de les détenir, mais aussi de les conserver ultérieurement au cas où ils quitteraient le groupe, par exemple au moment où ils partiraient à la retraite.

Il s’agit donc de reproduire par avance des dispositions qui existaient d’ores et déjà dans l’accord d’actionnariat salarié. Il ne s’agit en aucun cas de prolonger les actions détenues aujourd’hui par des salariés, puisque l’État détiendra bien 100 % du capital jusqu’à ce qu’il en soit décidé autrement dans le cadre de la gestion d’entreprise et dans le cadre d’un accord d’actionnariat salarié.

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.

M. Fabien Gay. Comme quoi, l’actionnariat salarié, c’est un peu plus compliqué que ce que l’on nous vend à longueur de temps !

A priori, pour vous, cela devrait même remplacer le salaire. Intéressement, participation, actionnariat salarié, c’est bon pour vous, alors que les salaires, pas du tout.

M. Roland Lescure, ministre délégué. Non !

M. Fabien Gay. Nous défendons l’actionnariat salarié à EDF. Il faut se rappeler l’histoire du groupe. L’actionnariat salarié à EDF a commencé en 2005, lorsque vous avez décidé d’ouvrir le capital : il s’agissait en réalité d’une compensation pour les salariés. À l’époque, 130 000 sont devenus actionnaires salariés et, au bout du compte, ils auront perdu de l’argent : ils auront racheté le titre 30 euros et seront obligés de le revendre 11 euros ou 12 euros. C’est pour cela qu’ils ont attaqué l’État à la suite des dernières décisions que vous avez prises, notamment les 20 térawattheures qui ont fait perdre 8,4 milliards d’euros et ont fait baisser le prix des actions au moment de leur entrée en bourse, ce qui vous permet de les racheter à un prix moindre.

Finalement, monsieur le ministre vous êtes en train de nous expliquer que vous êtes en quelque sorte en capacité de spolier les actionnaires salariés aujourd’hui.

M. Roland Lescure, ministre délégué. Oh…

M. Fabien Gay. Vous allez reprendre 100 % du capital et peut-être que, demain, vous leur proposerez de nouveau de redevenir actionnaires salariés.

Monsieur le ministre, personne ne comprend rien à ce que vous êtes en train de faire.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canévet, pour explication de vote.

M. Michel Canévet. Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, le groupe Union Centriste est particulièrement attaché au développement de l’actionnariat salarié comme au partage de la valeur. À ce titre, les propositions du rapporteur nous semblaient empreintes de bon sens.

Compte tenu du débat qui vient d’avoir lieu sur cet amendement, le groupe UC s’abstiendra.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 19 rectifié.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 263 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 209
Pour l’adoption 183
Contre 26

Le Sénat a adopté.

Je mets aux voix l’article 2, modifié.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 264 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 315
Pour l’adoption 216
Contre 99

Le Sénat a adopté.

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement
Article additionnel après l'article 2 -  Amendement n° 18

Après l’article 2

Après l’article 2
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement
Article 3

Mme la présidente. L’amendement n° 18, présenté par MM. Montaugé, Lurel, Kanner, Féraud et Raynal, Mme Briquet, MM. Cozic et Éblé, Mme Espagnac, MM. Jeansannetas, P. Joly et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article L. 111-67 du code de l’énergie, il est inséré un article L. 111-67-… ainsi rédigé :

« Art. L. 111-67-…. – I. – Une autorisation législative est nécessaire pour toute opération de réorganisation du groupe “Électricité de France”, dont la société “Électricité de France” est l’entité de tête, visant ses activités dites cœur de métier d’électricien national, qui sont au cœur des enjeux de souveraineté électrique du pays, soit :

« 1° Les activités de production d’électricité sur le territoire national ;

« 2° Les activités de commercialisation d’électricité sur le territoire national ;

« 3° Les activités de sa filiale gestionnaire des réseaux publics de distribution issue de la séparation entre les activités de gestion de réseau public de distribution et les activités de production ou de fourniture exercées par “Électricité de France” en application de l’article L. 111-57 ;

« 4° Sa participation dans le gestionnaire du réseau public de transport d’électricité mentionné à l’article L. 111-40.

« II. – La notion d’opération de réorganisation mentionnée au I du présent article recoupe exclusivement les opérations suivantes :

« 1° Filialisation de l’activité de production d’électricité sur le territoire national aujourd’hui directement exercée par la société “Électricité de France” dans le cadre de filiales indirectes ou de filiales non contrôlées ;

« 2° Filialisation de l’activité de commercialisation d’électricité sur le territoire national aujourd’hui directement exercée par la société “Électricité de France” dans le cadre de filiales indirectes ou de filiales non contrôlées ;

« 3° Cession conduisant la société “Électricité de France” à détenir directement moins de 80 % du capital du gestionnaire des réseaux publics de distribution d’électricité ;

« 4° Opération visant à faire perdre au gestionnaire des réseaux publics de distribution d’électricité le statut de filiale directement contrôlée par la société “Électricité de France” ;

« 5° Cession conduisant la société “Électricité de France” à détenir moins de 50 % du capital du gestionnaire du réseau public de transport d’électricité ;

« 6° Modification substantielle de l’objet social ;

« 7° Dissolution de la société “Électricité de France” et des sociétés mentionnées aux 3° et 4° du I du présent article visant à l’étendre à de nouvelles activités ;

« 8° Fusion-absorption de la société “Électricité de France” et des sociétés mentionnées aux 3° et 4° du I du présent article visant à l’étendre à de nouvelles activités. »

La parole est à M. Franck Montaugé.

M. Franck Montaugé. Quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, nous en appelons au renforcement de notre souveraineté nationale, au sens premier du terme. Il s’agit de doter le souverain, donc notre peuple, de la possibilité, par le vote de ses représentants, de décider des questions et sujets qui engagent la vie de la Nation.

Depuis près de quatre-vingts ans, EDF a été au cœur de la performance économique de la France. Nous devons à cette entreprise et aux générations de salariés qui se sont succédé une part importante de la compétitivité de notre industrie et, plus largement, de notre économie. C’est encore vrai aujourd’hui, malgré les difficultés provoquées – cela a été évoqué – par la mise en place du marché européen, dont beaucoup de consommateurs, quelle que soit leur taille, peinent à voir les effets positifs induits.

EDF, pour les activités de cœur de métier décrites dans cet amendement, doit être un levier fort d’amélioration de la compétitivité nationale, dans le contexte de transition énergétique et climatique que nous devons collectivement réussir. C’est pour cela que le Parlement doit être saisi de tout sujet de réorganisation concernant EDF.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Gérard Longuet, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Il n’appartient pas au législateur de diriger au quotidien une société nationale, une société nationalisée, un Épic… Chacun fait son métier : le Parlement contrôle l’action du Gouvernement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roland Lescure, ministre délégué. Même avis, pour les mêmes raisons.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 18.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 265 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 339
Pour l’adoption 100
Contre 239

Le Sénat n’a pas adopté.

Article additionnel après l'article 2 -  Amendement n° 18
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement
Article 3 bis

Article 3

(Supprimé)

Mme la présidente. L’amendement n° 4, présenté par MM. Lurel, Montaugé, Kanner, Féraud et Raynal, Mme Briquet, MM. Cozic et Éblé, Mme Espagnac, MM. Jeansannetas, P. Joly et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Au 1er juillet 2023, si l’offre publique d’achat simplifiée de la société dénommée « Électricité de France » initiée par l’État français portant le visa n° 22-464 n’a pas été menée à son terme, une commission administrative nationale d’évaluation présidée par le premier président de la Cour des comptes et composée du Gouverneur de la Banque de France, du président de la section des finances du Conseil d’État, du président de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation et d’un membre du Conseil économique, social et environnemental désigné par le président de cette assemblée est chargée de fixer la valeur d’échange à cette date des actions de la société dénommée « Électricité de France ».

La parole est à M. Victorin Lurel.

M. Victorin Lurel. Il s’agit de rétablir le texte dans sa version originelle, à savoir l’évaluation, donc le rachat de l’entreprise EDF, à l’instar de ce qui a été fait en 1946 par une commission administrative nationale d’évaluation présidée par des fonctionnaires indépendants.

Pour notre part, nous pensons que l’offre publique d’achat simplifiée n’aboutira pas, contrairement à ce que j’ai pu entendre ici asséner avec certitude. Comme si nous maîtrisions les délais judiciaires de la cour d’appel de Paris et du Conseil d’État ! Moi, je n’en suis pas sûr, d’autant qu’il y a des possibilités de recours ultime en cassation. Ce n’est donc pas évident.

Nous avons là une proposition de loi de nationalisation qui peut être une aubaine pour le Gouvernement pour parer au plus mauvais ou au plus pressé.

Mes chers collègues, nous vous demandons par conséquent de voter cet amendement tendant à rétablir le principe d’une nationalisation d’EDF.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Gérard Longuet, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur cet amendement, puisque l’article 1er a été supprimé.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roland Lescure, ministre délégué. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour explication de vote.

M. Emmanuel Capus. Je l’ai souligné lors de la discussion générale, mais je le rappelle : si EDF est dans une telle situation, ce n’est pas parce que ce n’était pas une entreprise nationale !

On ne peut pas reprocher à l’entreprise privée EDF la situation dans laquelle elle est. Aujourd’hui, EDF est dans cette situation uniquement parce que la filière nucléaire a été malmenée par des gouvernements socialistes, sous l’influence de groupes écologistes. (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE.)

M. Gérard Longuet, rapporteur. Oui !

M. Emmanuel Capus. C’est la raison pour laquelle le nucléaire est dans la situation actuelle.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Provocateur !

M. Emmanuel Capus. Il faut tout de même le rappeler. Il y a une prise de conscience d’une très grande majorité des Français et même des groupes politiques qui forment la gauche aujourd’hui et qui prennent conscience que, si l’on veut vraiment lutter contre le réchauffement climatique, il faut une énergie décarbonée, donc il faut relancer le nucléaire. C’est tout à fait salvateur.

Ce n’est pas parce qu’EDF n’était pas une entreprise nationale qu’elle se trouve dans cette situation aujourd’hui.

M. Fabien Gay. Nous sommes des extrémistes de gauche ! (Sourires sur les travées des groupes CRCE et SER.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 4.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l’article 3 demeure supprimé.

Article 3
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement
Article additionnel après l'article 3 bis - Amendement n° 15

Article 3 bis

I. – À la fin du premier alinéa du I de l’article L. 337-7 du code de l’énergie, les mots : « , pour leurs sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères » sont supprimés.

II. – (Supprimé)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 16, présenté par M. Gay, Mme Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

I. – Le premier alinéa de l’article L. 337-6 du code de l’énergie est ainsi rédigé :

« Les tarifs réglementés de vente d’électricité sont définis en fonction des caractéristiques intrinsèques du mix de production français et des coûts liés à ces productions, des importations et exportations, des coûts d’acheminement de l’électricité, des coûts de commercialisation ainsi que d’une rémunération normale de l’activité de fourniture. »

II. – L’ensemble des consommateurs finals domestiques et non domestiques peuvent souscrire une offre aux tarifs réglementés définis à l’article L. 337-6 du code de l’énergie.

La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Madame la présidente, avec votre autorisation, je défendrai dans le même temps cet amendement, ainsi que les amendements nos 13 et 12.

Mme la présidente. J’appelle donc en discussion l’amendement n° 13, présenté par M. Gay, Mme Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, et ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

L’article L. 337-8 du code de l’énergie est ainsi rédigé :

« Art. L. 337-8. Les tarifs réglementés de vente de l’électricité mentionnés à l’article L. 337-1 bénéficient, à leur demande :

« 1° Aux consommateurs finals domestiques et non domestiques pour leurs sites situés dans les zones non interconnectées au réseau métropolitain continental ;

« 2° Aux consommateurs finals non domestiques qui emploient moins de dix personnes et dont le chiffre d’affaires, les recettes ou le total de bilan annuels n’excèdent pas 2 millions d’euros ;

« 3° Aux collectivités territoriales, à leurs groupements et à leurs établissements publics ;

« 4° Aux consommateurs finals non domestiques qui emploient moins de 250 personnes, qui ont un chiffre d’affaires annuel n’excédant pas 50 millions d’euros ou un total de bilan n’excédant pas 43 millions d’euros. »

J’appelle également en discussion l’amendement n° 12, présenté par M. Gay, Mme Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, et ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

…. – Le même article L. 337-7 est complété par un paragraphe ainsi rédigé :

« …. – Par dérogation au présent article, les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics bénéficient à leur demande des tarifs réglementés de vente d’électricité mentionnés à l’article L. 337-1. »

Veuillez poursuivre, mon cher collègue.

M. Fabien Gay. Ces amendements ont tous trois pour objet le retour aux tarifs réglementés.

L’amendement n° 16 tend à revenir sur le mode de calcul du TRVE.

L’amendement n° 13 vise à élargir le bénéfice du TRVE à toutes les collectivités et TPE-PME.

L’amendement n° 12 est un amendement de repli concernant les collectivités.

Il y a évidemment un lien de cause à effet entre le TRVE et l’Arenh. Sur les 60 milliards d’euros d’endettement d’EDF, il faudra d’ailleurs définir la part réelle de l’Arenh, qui a été votée en 2010 dans le cadre de la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite loi Nome. Je ne crois d’ailleurs pas qu’à l’époque le gouvernement était socialiste !

L’Arenh pose question. Et pour répondre à l’interpellation de M. le rapporteur, il est vrai qu’il y a des acteurs alternatifs qui produisent. Pour autant, sur les quatre-vingt-dix qui existent aujourd’hui, il n’y en a véritablement que deux : Engie et TotalEnergies ; tous les autres sont des facturateurs et sont en réalité des suceurs de sang d’EDF.

M. Gérard Longuet, rapporteur. Oui !

M. Fabien Gay. Si l’on suspendait l’Arenh, ces quatre-vingt-huit acteurs alternatifs tomberaient. D’ailleurs, il n’y a pas que le groupe communiste ou Fabien Gay qui le demande : M. Antoine Armand, député du groupe Renaissance et rapporteur de la commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France, demande lui aussi la suspension très rapide de l’Arenh.

Ceux qui se penchent sur la question se rendent compte de l’ineptie de ce système et demandent non pas sa rénovation, mais sa suspension.

J’en viens au retour au tarif réglementé. Les gens doivent savoir que, plus il y a d’Arenh, moins il y a d’écrêtement. C’est pourquoi les acteurs alternatifs doivent aujourd’hui se fournir à hauteur de 70 % auprès de l’Arenh à 40 euros le mégawattheure et, pour le reste, sur le marché. Comme les prix ont dévissé, le mégawattheure a parfois atteint cette année 200, 300, 400, 500 euros, avec un pic à 1 200 euros au mois d’août dernier.

Depuis cinq ans, le problème, ce n’est pas l’empilement des coûts et le coût réel, c’est que l’on prend en compte pour l’augmentation du tarif réglementé la partie du taux d’écrêtement pour les acteurs alternatifs qui doivent se fournir sur le marché. Par conséquent, le tarif réglementé ne reflète pas le coût réel de l’énergie, mais sert à payer les dividendes des actionnaires des acteurs alternatifs. En d’autres termes, le tarif réglementé augmente non pas en fonction des cours réels, mais sur cette part d’écrêtement, donc sur le trading du marché. Voilà la réalité !

C’est pour cela que le prix dévisse depuis cinq ans et que le tarif réglementé, même s’il a particulièrement augmenté ces deux dernières années, ne cesse d’augmenter – tous les six mois ! – depuis 2017.

Il faut en revenir à un tarif réglementé qui s’applique sur les coûts et il faut en finir avec l’Arenh qui rackette, d’un côté, EDF et, de l’autre, les usagers !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Gérard Longuet, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur ces trois amendements, dont les objets sont en contradiction avec les règles européennes, c’est-à-dire avec les accords gouvernementaux transposés en droit français, en particulier dans le code de l’énergie, sur la capacité d’ouvrir les TRVE à l’ensemble des consommateurs.

Sont éligibles au TRVE les résidentiels, c’est-à-dire les particuliers, et les entreprises dès lors qu’elles ont moins de dix salariés et dégagent moins de 2 millions de chiffre d’affaires. Évidemment, on a envie d’aider tout le monde, sauf que c’est assez coûteux. (M. le ministre délégué acquiesce.)

Par ailleurs, l’adoption de ces amendements supposerait de casser des contrats qui sont actuellement établis entre des entreprises et des fournisseurs alternatifs privés.

Si la loi obligeait ces fournisseurs à prendre en charge des TRVE et si les contrats grâce auxquels ils gagnent leur vie étaient cassés afin de les obliger à vendre leur électricité moins chère – nous verrons ce que signifie : « moins cher » –, ils seraient alors fondés à demander au Gouvernement de les rembourser. Cela coûterait bonbon !

Enfin, le TRVE est calculé par la CRE par un empilement et par un jeu assez complexe, en effet, de lissage dans le temps. Nous ne pourrions avoir ces prix que dans une perspective assez longue ; Mme Lavarde, qui connaît le sujet mieux que moi, pourrait l’expliquer. Il faut un recul d’environ douze mois pour pouvoir établir des TRVE nouveaux.

Le système est donc non praticable. C’est la raison pour laquelle je propose de supprimer les 36 kVA dans le cadre de l’Europe.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roland Lescure, ministre délégué. Même avis.

J’ajoute que cet article, qui étendait le TRVE à tous les consommateurs, a été adopté en commission à l’Assemblée nationale. Vous n’y êtes pour rien, il vous a été soumis, mais il reste pour nous un cavalier, car il est sans rapport avec le schmilblick, si je puis m’exprimer ainsi. Cela étant, il est là ; il nous faut donc en discuter.

C’est vrai que vous avez limité le coût de cet article en réservant ses effets aux TPE, qu’elles soient consommatrices individuelles, comme vous et moi, ou consommatrices intensives, comme certains boulangers, dont on a beaucoup parlé.

Je comprends la logique de cet article. Il est moins coûteux, évidemment, que la version votée par l’Assemblée nationale. Et c’est vrai qu’il existe une incertitude sur son coût, tout simplement parce que ce type de dispositif est exposé au marché. Son coût varie donc toutes les semaines en fonction du prix de marché. C’est d’ailleurs le danger : vous exposez soit les finances d’EDF, si c’est elle qui paie, soit celles de l’État, au coût de marché, qui, on l’a vu depuis un an et demi, est extrêmement volatil.

La suppression du plafond du TRVE pour toutes les entreprises représenterait un coût de l’ordre de 20 milliards d’euros. Je l’avais estimé à 18 milliards d’euros à l’Assemblée nationale, parce que l’écart entre le prix de marché et le TRVE était alors de l’ordre de 200 euros le mégawattheure, pour une consommation de l’ensemble des entreprises concernées par l’amendement de Philippe Brun de l’ordre de 100 térawattheures.

Aujourd’hui, votre amendement coûte moins cher, pour deux raisons : d’abord, vous limitez ses effets, avec une consommation de l’ordre de 20 térawattheures ; ensuite, l’écart a lui aussi diminué, parce que le prix de marché a baissé. J’évalue son coût aujourd’hui à environ un milliard d’euros – il y a 50 euros d’écart entre le TRVE et le prix du marché – pour environ 20 térawattheures.

Si demain ou après-demain, le prix de marché explosait, il coûterait deux, trois, quatre, cinq, six ou sept milliards d’euros et il faudrait alors que l’on en assume les conséquences, soit directement sur les comptes d’EDF, dont on souhaite aujourd’hui tous qu’elle soit préservée, soit sur les comptes de l’État, dont on reconnaîtra tous, je pense, qu’ils ne sont pas dans un état fantastique.

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement était défavorable à la généralisation du TRVE et a préféré mettre en place des aides énergétiques, qui ont, certes, été critiquées, mais dont il faut reconnaître aujourd’hui qu’elles fonctionnent. On a dépensé environ 250 millions d’euros au titre du guichet ouvert depuis le mois de janvier et entre 50 milliards d’euros et 80 milliards d’euros pour le bouclier tarifaire. Nous avons beaucoup aidé les ménages, les entreprises, y compris les énergo-intensives. Nous allons continuer de le faire. Je préfère qu’on le fasse dans le cadre actuel plutôt que dans celui de cet article.

Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.

M. Victorin Lurel. Je tiens à répondre sur un point à notre excellent collègue Capus.

En 1996, la déréglementation n’a pas été décidée par les socialistes ; elle a été prévue dans une directive européenne. Idem en 2003 et en 2009. En 2010, la loi Nome a mis en place trois dispositifs, dont l’Arenh, le mécanisme de capacité et les TRV. Ce n’était pas nous ! Il me semble que le Gouvernement était alors de votre couleur politique. Les responsabilités sont partagées ; on le sait bien.

Alors qu’EDF a aujourd’hui, et depuis toujours, des problèmes, il faut revoir le système lui-même, en particulier les marchés électriques en Europe.

M. Roland Lescure, ministre délégué. C’est vrai !

M. Victorin Lurel. Il faut avoir le courage de dire ici et ailleurs que, contrairement à ce qui a été fait depuis 1946 et en 1974 par Pierre Messmer, la stratégie qui a été adoptée nous rend tributaires de l’Allemagne et d’autres concurrents. Il faut le dire !

L’avantage que nous avions dans le nucléaire profite à d’autres, et on n’ose pas le dire. On vient de perdre le combat de la taxonomie, les réacteurs classiques n’y seront pas intégrés, ce qui ne permettra pas l’accès de la filière à des subventions publiques. Nous avions pourtant mené un combat homérique en ce sens. Aujourd’hui, nous menons un combat d’arrière-garde.

C’est la raison pour laquelle faire d’EDF une entreprise nationale, intégrée, verticale, publique et unifiée est une urgence mobilisatrice pour les Français que nous sommes.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson, pour explication de vote.

M. Jean-François Husson. Monsieur le ministre, je souhaite me faire confirmer ce que vous avez dit sur le TRV, le tarif de marché et la grande fluctuation des prix. Vous avez évoqué les boulangers, mais ils ne sont malheureusement pas les seuls concernés.

Je pense qu’il est important d’envoyer un message aux publics concernés. Un certain nombre de fournisseurs ont écrit à l’automne dernier à leurs abonnés pour leur dire qu’ils ne pouvaient plus pratiquer les tarifs qui les liaient de manière contractuelle. Les prix se sont envolés et ont été multipliés parfois par cinq, six, sept ou huit, ils leur ont proposé de signer de nouveaux contrats, parfois des contrats triennaux, qu’ils disent aujourd’hui ne plus pouvoir modifier. Je le dis, car il va falloir clarifier la situation auprès de ce fournisseur, dont le nom est composé de trois lettres et dont on parle beaucoup aujourd’hui.

Vous l’avez dit, soit le fournisseur reverra ses conditions – on nous dit que cela n’est pas possible ; je l’entends –, soit l’État compensera, mais il faut le dire aujourd’hui, parce que des entreprises sont concernées. L’État doit envoyer un message pour garantir un traitement équitable de toutes les situations, dont les entreprises ne sont pas responsables.

J’attire votre attention sur ce sujet majeur, monsieur le ministre.

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.

M. Franck Montaugé. Deux amendements portant sur l’Arenh ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 45 de la Constitution.

Nous pensons qu’il est souhaitable, d’une part, de limiter le volume de l’Arenh à 100 térawattheures et, d’autre part, de permettre le passage de 42 euros à 49,5 euros. EDF a besoin de ressources financières, en particulier pour financer ses investissements. Depuis la loi d’août 2022 et l’avis du Conseil d’État sur la nécessité, ou non, de notifier l’évolution des prix à l’Union européenne, il est possible de procéder à cette révision absolument nécessaire.

Quand le Gouvernement va-t-il procéder à cette révision, qui est en théorie possible depuis le 1er janvier 2023 ?

Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour explication de vote.

M. Emmanuel Capus. Je n’ai pas le temps de répondre à mon collègue Lurel, mais comme lui, je pense que nous avons besoin d’une filière nucléaire brillante qui permette de céder de l’électricité à nos voisins.

Je reviens à présent sur les trois amendements de M. Gay et, plus globalement, sur l’article 3 bis.

Évidemment, on ne peut qu’être favorable, sur le principe, à l’extension du tarif réglementé. C’est difficile d’être contre. Cependant, il nous faut aussi être responsables, en particulier quand on est membre de la commission des finances.

M. Emmanuel Capus. On parle tout de même d’argent public ! On peut évidemment étendre à tout le monde le tarif réglementé, nous y sommes tous favorables, mais cela aurait un impact sur les finances publiques.

À ce stade, je formulerai trois remarques.

Premièrement, comme l’a rappelé le ministre, l’article 3 bis ne figurait pas dans le texte initial. Les auteurs font ce qu’ils veulent, mais il n’en reste pas moins qu’il ressemble fortement à un cavalier législatif, cet article n’ayant rien à voir avec le texte initial relatif à la nationalisation d’EDF.

Deuxièmement, il est incontestable, comme j’ai eu l’occasion d’en discuter avec le président de la commission des finances et comme vient de le dire le ministre, que c’est le contribuable qui paiera à la fin.

Même si, pour des raisons de procédure, on peut plaider le contraire, cet article aurait dû être déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution, puisqu’il grève nécessairement les finances publiques.

Troisièmement, et cette remarque découle des deux premières, cet article 3 bis n’a rien à faire dans ce texte. Il aurait davantage sa place dans un projet de loi de finances, ce qui nous permettrait de disposer d’une étude d’impact sérieuse sur son coût.

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.

M. Fabien Gay. Nous en sommes d’accord, les tarifs réglementés ont existé pendant cinquante ans pour tout le monde, pour les clients résidentiels, les entreprises et les collectivités. Tout le monde y avait accès, et cela fonctionnait plutôt bien. Je n’ai jamais entendu personne s’en plaindre à l’époque.

M. le rapporteur nous oppose les règles européennes. Mais tout le monde demande des dérogations ! Pourquoi ne le faisons-nous pas nous aussi pour protéger nos collectivités et nos petites entreprises et leur donner accès au tarif réglementé ? Il ne s’agit pas de le leur imposer. Si certaines souhaitent conserver des contrats à marché libre, tant mieux pour elles, mais pourquoi ne pas permettre à celles qui voient le montant de leurs factures exploser – les commerçants, en particulier les boulangers, les collectivités – d’accéder à ce tarif ?

J’ajoute que nous n’en sommes encore qu’au début de la crise, qui va encore durer deux ans et demi. Les factures vont continuer de pleuvoir !

Par ailleurs, monsieur le ministre, il va falloir que quelqu’un parle à un moment donné. Au 30 juin, 5 millions de particuliers n’auront plus accès au tarif réglementé du gaz, en pleine crise du gaz. Allons-nous laisser faire cela ou pas ? Allons-nous prendre une initiative, nous en tant que parlementaires, vous en tant que membre du Gouvernement, pour prolonger ces tarifs en pleine crise ? Ou va-t-on laisser les gens plonger avec les prix du marché ? Il faudra répondre à ces questions.

Enfin, monsieur le ministre, vous dites que l’extension du tarif réglementé coûterait cher. Certes, mais lorsque nous avons proposé le retour au tarif réglementé pour toutes les collectivités, on a commencé par nous dire que cela coûterait 60 milliards d’euros. Or une étude a conclu que le coût d’une telle extension s’élèverait à 3,5 milliards d’euros.

En outre, comme vous l’avez dit, le bouclier tarifaire, le filet de sécurité et l’attribution de volumes d’Arenh supplémentaires ont coûté, pour la seule année dernière, avec des trous dans la raquette, entre 50 et 80 milliards d’euros.

Le retour au tarif réglementé coûterait 3,5 milliards d’euros, contre les 50 milliards d’euros ou 80 milliards d’euros que vous avez jetés à la poubelle et donnés aux acteurs alternatifs. Voilà la réalité !

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour explication de vote.

M. Daniel Breuiller. Notre groupe votera ces amendements, qui, je l’admets très volontiers, auraient leur place dans un PLF.

J’en profite pour dire à notre collègue Capus qu’il nous prête beaucoup de pouvoir. Je l’en remercie !

Alors qu’on dépense 50 milliards d’euros pour le grand carénage, 56 milliards d’euros pour six EPR, selon l’estimation gouvernementale – alors que l’EPR 1 coûte 19 milliards d’euros, on va en faire six pour 56 milliards ! – et que la dette d’EDF atteint 64 milliards d’euros – c’est un tout petit peu d’argent ! –, il me paraît tout à fait acceptable de dépenser 3 milliards d’euros pour l’extension des tarifs réglementés !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué. Le Gouvernement pense – il l’a dit à l’Assemblée nationale – que cet article est un cavalier et qu’il aurait pu ou dû être déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution. Mais nous ne nous immisçons pas dans les discussions de la commission des finances de l’Assemblée nationale ni dans celles, évidemment, de la commission des finances du Sénat. Nous nous réservons toutefois le droit de porter éventuellement cette controverse devant le Conseil constitutionnel. Nous verrons !

Monsieur Gay, vous voudrez bien m’excuser de ne pas vous répondre sur le gaz. Nous consacrons déjà beaucoup de temps à l’électricité aujourd’hui. Vous aurez l’occasion en temps voulu de discuter dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie de tous ces sujets importants, de la manière dont on doit envisager la fourniture d’électricité, de gaz et, plus généralement, d’énergie en France pour les années qui viennent.

Permettez-moi à présent de vous donner quelques chiffres sur le coût des différents dispositifs.

Le bouclier tarifaire pour les particuliers, les TPE et les petites collectivités qui disposent d’un compteur électrique d’une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères, bouclier que vous proposez d’étendre aujourd’hui à toutes les TPE, a permis de limiter à 15 % la hausse des prix, au lieu de 120 %, sur deux ans. Le coût pour les finances publiques s’est élevé à 30 milliards d’euros en 2022 et à 45 milliards d’euros en 2023.

Pour répondre à votre question, monsieur Husson, on a adopté, sur la suggestion d’un certain nombre d’entre vous, un prix de l’électricité ne pouvant pas dépasser 280 euros le mégawattheure pour toutes les TPE ayant eu la malchance de devoir renouveler leur contrat à l’automne dernier et qui se sont retrouvées à négocier, le couteau sous la gorge, des contrats prévoyant des tarifs supérieurs à ceux qui étaient les leurs auparavant.

Ces 280 euros le mégawattheure sont intégrés en moyenne dans les factures qui sont actuellement envoyées par les fournisseurs d’énergie, y compris aux boulangers ou à d’autres TPE concernées.

Nous avons aussi adopté un amortisseur électricité pour les PME et pour les collectivités territoriales. Il est un peu compliqué, mais compatible avec la réglementation européenne. Nous prenons en charge 50 % du surcoût au-delà de 180 euros le mégawattheure, pour un coût de 2 à 3 milliards d’euros pour la collectivité nationale.

Enfin, pour ce qu’on appelle les énergo-intensifs, soit les plus grandes entreprises consommant beaucoup d’énergie, un guichet a été mis en place. Il permet aujourd’hui à un certain nombre d’entreprises de faire valoir la hausse de leur facture d’électricité ou de gaz et de demander des aides. À ce stade, 250 millions d’euros ont été attribués en quelques semaines. Une accélération assez forte a été constatée depuis dix jours, alors qu’arrivent les factures de 2023.

Sur votre suggestion, nous avons adopté à l’été 2022 un filet de sécurité de 430 millions d’euros pour les collectivités dans le cadre de la loi de finances rectificative.

Bref, tout cela nous coûte beaucoup d’argent. On peut en être fiers, parce que le taux de l’inflation en France est inférieur à celui des autres pays européens et que les entreprises ont plutôt bien passé la crise, contrairement à nos craintes. Soyons tout de même conscients que tout cela, je le répète, nous coûte beaucoup d’argent.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 16.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 13.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 12.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 3 bis.

(Larticle 3 bis nest pas adopté.) – (Marques détonnement sur les travées du groupe Les Républicains.)

Article 3 bis
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Article 3 ter

Après l’article 3 bis

Mme la présidente. L’amendement n° 15, présenté par M. Gay et Mme Lienemann, est ainsi libellé :

Après l’article 3 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Avant le 31 août 2023, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant avec précision le coût du bouclier tarifaire.

La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Cet amendement vise à demander la remise d’un rapport, même si je sais que le Sénat n’en est pas friand, sur le coût du bouclier tarifaire. Vous venez de nous indiquer de premiers chiffres, monsieur le ministre, mais nous avons du mal à avoir les montants exacts. Pouvez-vous nous confirmer qu’il a coûté 20 milliards d’euros en 2022 et qu’il coûtera 37 milliards d’euros en 2023 ?

Pour que tout le monde comprenne, j’indique que l’État indemnise les acteurs alternatifs en leur donnant de l’argent public pour qu’ils appliquent le bouclier tarifaire.

Ainsi, les boulangers avaient un contrat au tarif de 40 euros, 50 euros ou 60 euros le mégawattheure. Lorsque leur facture a explosé, le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a réuni les énergéticiens et leur a dit que leurs contrats ne devaient pas prévoir un tarif supérieur à 280 euros le mégawattheure.

Or les énergéticiens achètent 70 % de l’énergie qu’ils revendent au prix de 42 euros. Même s’ils achetaient les 30 % restants au prix de 900 euros le mégawattheure, ils feraient tout de même des bénéfices !

Comme cela ne suffit pas, que fait le Gouvernement ? Il indemnise les acteurs alternatifs et leur donne de l’argent public pour qu’ils appliquent le bouclier tarifaire !

Le boulanger, comme n’importe quel commerçant, comme n’importe quel chef d’entreprise, comme n’importe quel usager, est racketté deux fois, du fait de l’augmentation de sa facture électrique et, en tant que contribuable, parce qu’il donne de l’argent aux énergéticiens.

Cette affaire a coûté près de 50 milliards d’euros en deux ans. C’est un pur scandale, qu’il faut dénoncer !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Gérard Longuet, rapporteur. Nous ne sommes pas favorables à cet amendement, pour une raison très simple : nous souhaitons faire nous-mêmes le rapport que cet amendement tend à demander au Gouvernement.

L’indépendance du Sénat s’exprime à travers le travail de ses rapporteurs. Il se trouve que la commission des finances, dont je salue le président, a demandé au rapporteur spécial Christine Lavarde d’effectuer un contrôle budgétaire sur cette affaire.

Il y a des perdants et des gagnants. On aimerait savoir comment et dans quelles proportions les gagnants apportent leur contribution à l’État. Vous aviez évoqué cette question lors des débats budgétaires. Si le prix augmente, certaines entreprises gagnent plus que d’habitude, sans nécessairement – vous avez raison, monsieur Gay – avoir dépensé en proportion.

M. Gérard Longuet, rapporteur. Les producteurs d’énergie renouvelable, tant mieux pour eux, ne sont absolument pas tributaires du prix de l’énergie fossile. En outre, vous le savez – je ne reviens pas sur les démembrements –, le recours aux énergies renouvelables est prioritaire. Ces producteurs vendent leur mégawattheure à un prix délirant et empochent tranquillement les bénéfices. Je pense qu’ils doivent en restituer une partie.

C’est la raison pour laquelle la commission des finances a confié à Mme Lavarde la mission d’approfondir ce sujet.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roland Lescure, ministre délégué. J’émets le même avis que M. le rapporteur.

Je rappelle que, dans le cadre de l’exécution de la loi de finances, vous aurez toute liberté d’examiner ces sujets et de poser toutes les questions que vous souhaitez au Gouvernement.

Je rappelle également au sénateur Gay que c’est le consommateur ultime qui bénéficie de l’Arenh, et non le distributeur, qui vend l’électricité au rabais, au coût de production d’EDF, et dont la marge est très encadrée. Il s’agit de permettre à l’ensemble des consommateurs, y compris aux industriels – j’y tiens – de bénéficier des investissements effectués par la Nation depuis soixante-dix-sept ans et d’une électricité décarbonée, en volume et pas chère.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 15.

(Lamendement nest pas adopté.)

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, pour un rappel au règlement.

M. Patrick Kanner. Mon appel au règlement se fonde sur l’article 44 bis du règlement du Sénat et sur l’exigence de sincérité des débats. Cela rappellera des souvenirs à certains !

À la suite d’une incompréhension, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a voté contre l’article 3 bis, alors qu’il souhaitait voter pour. Est-il possible de procéder à une seconde délibération ?

Mme la présidente. Acte est donné de votre rappel au règlement. Nous verrons les suites qu’il convient de lui donner à l’issue de la discussion des articles.

Article additionnel après l'article 3 bis - Amendement n° 15
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Article 4 (supprimé)

Article 3 ter

Avant le 31 août 2023, le Gouvernement remet au Parlement un rapport qui présente de manière détaillée l’intérêt de nationaliser la société « Électricité de Mayotte », dont « Électricité de France » est actionnaire minoritaire.

Mme la présidente. L’amendement n° 5, présenté par MM. Lurel, Montaugé, Kanner, Féraud et Raynal, Mme Briquet, MM. Cozic et Éblé, Mme Espagnac, MM. Jeansannetas, P. Joly et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Dans les six mois qui suivent la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur le calendrier et les étapes de mise en œuvre d’une nationalisation de la société Électricité de Mayotte, dont Électricité de France est actionnaire minoritaire.

La parole est à M. Victorin Lurel.

M. Victorin Lurel. Cet amendement, sur lequel la commission s’en était remise à la sagesse du Sénat, vise à demander la remise d’un rapport par le Gouvernement au Parlement. Nous vous soumettons aujourd’hui une version mieux rédigée que la version initiale déposée en commission.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Gérard Longuet, rapporteur. La commission s’en était en effet remise à la sagesse du Sénat sur cet amendement.

La rédaction nouvelle qui nous est aujourd’hui soumise est un peu particulière. L’amendement tend à prévoir que le rapport porte sur l’intérêt de nationaliser la société Électricité de Mayotte et, simultanément, qu’il fixe un calendrier et les étapes de mise en œuvre de cette nationalisation. Le jugement est porté avant même que l’étude soit engagée, ce qui est un peu contradictoire.

Je suis gêné par la référence au calendrier et aux étapes, qui supposent le problème résolu. Je ne suis donc pas favorable à cette rédaction.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roland Lescure, ministre délégué. Nous sommes défavorables à cet amendement, non pas parce que nous sommes contre les rapports – nous adorons les produire, comme vous le savez ! –, mais, d’une part, parce que cette disposition est sans lien avec la nationalisation d’EDF et, d’autre part, parce qu’Électricité de Mayotte, vous le savez, est un opérateur distinct, dans lequel EDF ne détient qu’une participation minoritaire, inférieure à 25 %, l’actionnaire majoritaire étant le département de Mayotte.

Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour explication de vote.

Mme Christine Lavarde. Le rapporteur a tout à fait raison : cette nouvelle rédaction est un peu problématique.

Pour ma part, j’aimerais savoir pourquoi les auteurs de l’amendement s’intéressent à Électricité de Mayotte ? Comme vient de le rappeler justement le ministre, son actionnariat est déjà largement public, cette société étant détenue à 50 % par le département de Mayotte.

Pourquoi ne pas vous être intéressés aux entreprises locales de distribution ? Ces entreprises font sur une partie du territoire national ce que fait aussi EDF.

Pour information, Électricité de Strasbourg est détenue à 88,64 % par EDF développement et environnement et à 11,36 % par d’autres actionnaires.

Qu’allez-vous faire de UEM, à Metz, détenue à 85 % par la ville de Metz et à 15 % par la Caisse des dépôts et consignations ?

Je vous épargne la liste de toutes les entreprises locales de distribution, mais j’avoue que je ne comprends pas pourquoi vous vous intéressez à Électricité de Mayotte. En outre, la rédaction de votre amendement est un peu absconse.

Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.

M. Victorin Lurel. Nous nous sommes intéressés à Électricité de Mayotte, d’abord parce que le territoire de Mayotte est situé dans une zone non interconnectée (ZNI), ensuite, pour des raisons de continuité historique.

En 1975, le président Valéry Giscard d’Estaing a nationalisé les sociétés locales de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane et de La Réunion, qui avaient la même structure de capital que celle de Mayotte. Aujourd’hui, EDF a le monopole du transport dans les ZNI.

Enfin, il y avait une ambiguïté sur l’application des TRVE dans les outre-mer. La question est réglée, le code de l’énergie est clair.

Je veux bien admettre que tel qu’il est rédigé, l’amendement ne vise pas à discuter du principe de la nationalisation. On admet qu’il faut nationaliser et on demande un calendrier.

Je le répète, cet amendement a reçu un avis de sagesse en commission.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 5.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 266 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 336
Pour l’adoption 100
Contre 236

Le Sénat n’a pas adopté.

Je mets aux voix l’article 3 ter.

(Larticle 3 ter est adopté.)

Article 3 ter
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Autre (dans une discussion de texte de loi)

Article 4

(Supprimé)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants, afin d’examiner les suites à donner au rappel au règlement de M. Patrick Kanner.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à dix-huit heures trente-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

La parole est à M. le président de la commission.

Article 4 (supprimé)
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Article 3 bis (supprimé)

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Madame la présidente, je sollicite une brève suspension de séance, afin que la commission se réunisse pour étudier un amendement de rétablissement de l’article 3 bis.

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons donc interrompre nos travaux.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures trente-cinq, est reprise à dix-huit heures quarante.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Seconde délibération

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Madame la présidente, mes chers collègues, en application de l’article 43, alinéa 4, du règlement, la commission demande qu’il soit procédé à une seconde délibération sur l’article 3 bis, qui a été supprimé.

Mme la présidente. La commission demande qu’il soit procédé à une seconde délibération de l’article 3 bis, qui a été supprimé.

Je rappelle que, en application de l’article 43, alinéa 4, du règlement du Sénat, avant le vote sur l’ensemble d’un texte, tout ou partie de celui-ci peut être renvoyé, sur décision du Sénat, à la commission, pour une seconde délibération à condition que la demande de renvoi ait été formulée ou acceptée soit par le Gouvernement, soit par la commission.

Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de seconde délibération ?

M. Roland Lescure, ministre délégué. Il est défavorable, madame la présidente, car le Gouvernement était plutôt satisfait du résultat de la première délibération ! (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus, contre la demande de seconde délibération.

M. Emmanuel Capus. Il me semblait que les auteurs de la proposition de loi s’étaient rendu compte que l’article 3 bis était un cavalier et qu’il était irrecevable. C’était d’ailleurs la raison pour laquelle le président de la commission des finances ne l’avait pas voté. Cette seconde délibération me paraît donc totalement inopportune.

Il s’agit même quasiment d’un passage en force, madame la présidente, pour reprendre un argument que nous avons entendu récemment. (Sourires.)

Cette seconde délibération s’impose d’autant moins, d’ailleurs, que la réécriture de l’article 3 bis par le rapporteur Gérard Longuet améliorait ce texte, ce qui a peut-être induit en erreur nos collègues à gauche. En fait, nous ne supprimons pas l’effet de seuil à 36 kVA : nous ne faisons que le décaler des TPE aux PME.

Il me semble donc que cette seconde délibération n’est pas opportune.

Mme la présidente. Je consulte le Sénat sur la demande de seconde délibération présentée par la commission. Je rappelle qu’aucune explication de vote n’est admise.

Il n’y a pas d’opposition ?…

La seconde délibération est ordonnée.

Conformément à l’article 43, alinéa 5, du règlement, lorsqu’il y a lieu à seconde délibération, les textes adoptés lors de la première délibération sont renvoyés à la commission, qui présente un nouveau rapport.

La commission est-elle prête à présenter son rapport ?

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Oui, madame la présidente.

Mme la présidente. Nous allons donc procéder à la seconde délibération de l’article 3 bis.

Je rappelle au Sénat les termes de l’article 43, alinéa 6, du règlement : « Dans sa seconde délibération, le Sénat statue seulement sur les nouvelles propositions du Gouvernement ou de la commission, présentées sous forme d’amendements, et sur les sous-amendements s’appliquant à ces amendements. »

Autre (dans une discussion de texte de loi)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 3 bis

(Supprimé)

Mme la présidente. L’amendement n° A-1, présenté par M. Longuet, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Au I de l’article L. 337-7 du code de l’énergie, après les mots : « à leur demande », les mots : « , pour leurs sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères » sont supprimés.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Gérard Longuet, rapporteur. Cet amendement a pour objet de revenir au texte de la commission.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roland Lescure, ministre délégué. Pour les raisons que j’ai longuement exprimées tout à l’heure, l’avis du Gouvernement est défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° A-1.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l’article 3 bis est rétabli dans cette rédaction.

Vote sur l’ensemble

Article 3 bis (supprimé)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France d’un démembrement.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 267 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 329
Pour l’adoption 206
Contre 123

Le Sénat a adopté.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement
 

5

Rappel au règelement

Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour un rappel au règlement.

M. Roger Karoutchi. Madame la présidente, mon rappel au règlement a pour objet l’organisation de nos travaux.

D’après mes calculs, il ne reste plus qu’une heure et dix minutes avant la fin de la niche réservée au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Aussi, aurons-nous le temps d’examiner le prochain texte ?

Mme la présidente. La séance ayant été suspendue pendant dix minutes, il reste une heure et vingt minutes. Nous allons faire de notre mieux !

Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.

6

 
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à créer une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements et à garantir la compensation financière des transferts de compétences
Discussion générale (suite)

Loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements

Rejet d’une proposition de loi constitutionnelle

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à créer une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements et à garantir la compensation financière des transferts de compétences
Article 1er

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi constitutionnelle visant à créer une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements et à garantir la compensation financière des transferts de compétences, présentée par M. Éric Kerrouche et plusieurs de ses collègues (proposition n° 869 rectifié [2021-2022], résultat des travaux de la commission n° 472, rapport n° 471, avis n° 468).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Éric Kerrouche, auteur de la proposition de loi constitutionnelle.

M. Éric Kerrouche, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « que les objectifs fixés au sein d’une loi d’orientation pluriannuelle soient déclinés au sein d’une loi de financement ou de finances, ils permettraient en tout état de cause d’inscrire les débats sur la fiscalité locale dans une nécessaire pluriannualité ». Si notre proposition de loi constitutionnelle opte pour une loi de financement des collectivités territoriales, nous souscrivons entièrement à ces propos du rapporteur spécial de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », ou RCT, du projet de loi de finances pour 2020, M. Loïc Hervé.

Notre proposition est partagée par des acteurs aux horizons divers.

L’Association des maires de France (AMF), tout d’abord, l’a fait savoir par la voix de son précédent président François Baroin lors des débats sur la révision constitutionnelle de 2018. Elle l’a réaffirmé à l’occasion de l’élection présidentielle de 2022 et, plus récemment, dans son communiqué de presse du 14 mars 2023. Quelque 80 % des maires interrogés en 2019 sont favorables à ce projet.

La Cour des comptes, ensuite, l’a signifié dans ses rapports de 2013, 2016 et 2018. Les rapporteurs de la mission flash « Autonomie financière des collectivités locales », Charles de Courson et Christophe Jerretie, aboutissaient aux mêmes conclusions en mai 2018. Notre collègue Roger Karoutchi, enfin, a déposé une proposition de loi constitutionnelle comparable à la nôtre.

Le constat est donc partagé. La révision constitutionnelle de 2003 n’a pas garanti l’autonomie fiscale des collectivités locales, se limitant à l’autonomie financière. Encore cette dernière était-elle interprétée de manière stricte par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, notamment lors de la suppression de la taxe d’habitation. Cette consécration de l’autonomie financière n’a donc été, pour citer le professeur Michel Bouvier, « qu’un rendez-vous manqué, une illusion. »

Il en va de même de la jurisprudence concernant l’appréciation des mécanismes de compensation financière des transferts de compétences. C’est particulièrement édifiant en ce qui concerne les dépenses sociales de nos départements. Quoique les collectivités territoriales aient soulevé de nombreuses questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), aucune d’entre elles n’a prospéré face à l’interprétation stricte retenue par le Conseil constitutionnel.

L’autonomie financière des collectivités locales a donc été vidée de son sens, alors qu’elle doit tout de même garantir la libre administration de ces dernières, donc le respect d’une véritable organisation décentralisée de la République.

La part de la fiscalité locale s’est progressivement réduite, au profit de dotations de compensation de l’État. Les dernières dispositions budgétaires issues de la loi de finances pour 2023 ont encore illustré cette évolution, avec la diminution de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).

Le système est de plus en plus opaque et illisible. En octobre 2022, la Cour des comptes soulignait « la sédimentation historique des recettes » et dressait le constat d’un « système complexe et à bout de souffle ». Ce système opaque et illisible entrave l’action des collectivités locales, qui n’ont pas de visibilité sur les réformes fiscales, les décisions d’attributions des dotations d’investissement ou l’imposition de normes de toute nature.

L’éparpillement des mesures budgétaires et fiscales concernant les collectivités locales dans la loi de finances ne fait qu’ajouter à la confusion qui s’est installée dans les relations financières entre l’État et nos collectivités locales. L’État cherche souvent à faire payer aux collectivités ce qu’il ne souhaite plus assumer.

Notre proposition est, d’une part, de créer une loi de financement des collectivités locales et, d’autre part, de prévoir une compensation dynamique dans le temps des transferts de compétences.

Cette idée remonte au rapport réalisé par Olivier Guichard en 1976. Elle a été reprise régulièrement, notamment dans le rapport Lambert-Malvy.

Les objectifs d’une telle loi de financement seraient simples : fixer un cadre de référence unique pour le Parlement et constituer un outil de transparence pour une meilleure information des élus locaux. Elle améliorerait la lisibilité et la visibilité pour les collectivités territoriales, qui ont besoin de prévisibilité. Elle nous donnerait une meilleure lisibilité des engagements financiers de l’État et clarifierait les responsabilités de chacun.

Articulée, comme le projet de loi de financement de la sécurité sociale, à la loi de finances, qui fixe les grands équilibres financiers de l’État, elle constituerait avec ces textes une sorte de trépied des lois budgétaires.

Toutefois, notre proposition de loi a d’autres ambitions encore : accroître la clarté et la sincérité du débat parlementaire sur les collectivités territoriales et reconnaître les collectivités locales au sein de notre édifice constitutionnel, car celles-ci représentent 20 % du budget de la Nation et 57 % de l’investissement local.

Une telle évolution mettrait fin à l’infantilisation des collectivités locales par l’État et instaurerait un véritable espace de dialogue entre celles-ci et l’État.

Plusieurs arguments nous sont opposés par Mme le rapporteur, qui a évoqué des écueils pratiques, au regard du calendrier parlementaire. En vérité, il y aurait déjà matière à discuter du calendrier d’examen de la loi de finances, qui mériterait d’être revu.

On invoque également un problème d’articulation avec la loi de finances initiale. Or cette dernière retrace les versements de l’État à la sécurité sociale, ce qui n’empêche pas le Parlement de voter une LFSS.

On craint que ce texte ne confère un pouvoir de contrainte supplémentaire au Gouvernement. Mais les atteintes à la libre administration sont déjà légion : gel ou diminution des dotations, contrats de Cahors… Nous pensons que c’est plutôt le manque de transparence qui menace l’autonomie des collectivités territoriales.

Mes chers collègues, ne nous laissons pas égarer par le parallèle avec la LFSS : la loi de financement des collectivités territoriales n’aurait pas pour objet d’instituer un plafond de dépenses, la libre administration des collectivités territoriales interdisant de donner à ce texte un caractère prescriptif.

On nous objecte aussi l’utilisation du 49.3. Mais quelle est la différence avec la situation actuelle, cet article pouvant être utilisé, et il l’a été largement, sur les lois de finances ?

L’absence de loi organique, enfin, empêcherait de se prononcer. Nous sommes prêts à y travailler avec vous, madame le rapporteur, notamment en faisant référence à la proposition de loi constitutionnelle de notre collègue Karoutchi, que vous avez cosignée.

L’article 2 de notre texte prévoit une garantie dynamique dans le temps des transferts de compétence. Cela répond à une demande récurrente des collectivités territoriales. Une telle disposition a été adoptée, sur notre initiative, lors de l’examen de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, mais elle a malheureusement été retirée en commission mixte paritaire.

Ce dispositif avait également été intégré par Philippe Bas dans sa proposition de loi constitutionnelle pour le plein exercice des libertés locales. Cela n’enlève rien à l’intérêt de ce que nous proposons.

Notre texte vise à réaffirmer le rôle que jouent les collectivités locales dans l’organisation décentralisée de la République. Cette reconnaissance est, pour nous, impérative. Elle ne peut être sacrifiée sur l’autel de la politique partisane. Nous vous proposons donc de travailler ensemble, comme nous l’avons fait pour le « zéro artificialisation nette » (ZAN).

Pour conclure, il est temps de sortir de la verticalité du pouvoir, qui place l’État et les collectivités locales dans un rapport de défiance permanent. Cette loi permettrait une nouvelle avancée des libertés et de la démocratie locale. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, voilà quarante ans, les lois Defferre instauraient la décentralisation. Vingt ans plus tard, ce nouveau principe d’organisation de la République était gravé dans le marbre de la Constitution.

Les fondements constitutionnels de la décentralisation sont nombreux et consacrent notamment deux principes, d’une part, la libre administration des collectivités territoriales, de l’autre, leur autonomie financière. Les deux sont liées, car sans autonomie financière, il n’y a pas de réelles marges de manœuvre.

Aujourd’hui, nous partageons un constat avec les auteurs de la proposition de loi constitutionnelle dont nous débattons : l’autonomie fiscale et financière des collectivités territoriales est insuffisante.

Alors que nous traversons une crise inflationniste et énergétique, s’interroger sur le niveau et la prévisibilité des ressources des collectivités territoriales n’est ni un gadget ni une lubie de parlementaires.

Nous ne pouvons faire l’économie de ces sujets, ne serait-ce que pour éviter que l’investissement local ne fléchisse, alors qu’il représente une part déterminante de l’investissement public.

Aussi, les auditions menées dans le cadre de l’examen de cette proposition de loi constitutionnelle ont souligné, tout d’abord, l’amoindrissement des marges de manœuvre fiscales et financières des collectivités territoriales, du côté des recettes, du fait de la suppression de la taxe d’habitation et de la CVAE, et du côté des dépenses, avec l’introduction des contrats de Cahors.

Les auditions ont également mis en exergue, pour les élus locaux, le défaut de prévisibilité sur leurs ressources, en raison d’une absence de programmation budgétaire pluriannuelle, mais encore l’insuffisante lisibilité sur les décisions financières et l’attribution des dotations. Ainsi, l’enchevêtrement des réformes successives a opacifié les modalités d’attribution des dotations pour les collectivités territoriales.

Le défaut d’information des collectivités territoriales en amont des projets de loi de finances et lors des décisions d’attribution des dotations a été en outre largement souligné.

Enfin, on peut déplorer l’émiettement, dans le projet de loi de finances, des mesures budgétaires et fiscales ayant un impact sur les ressources comme sur les dépenses des collectivités territoriales. Cela nuit à une appréhension globale des relations financières entre l’État et les collectivités.

C’est pourquoi, mes chers collègues, nous nous accordons tous, me semble-t-il, sur la nécessité de remédier à la situation actuelle des collectivités territoriales, qui ont vu leurs marges de manœuvre se réduire, comme sur l’urgence de corriger les nombreux défauts du cadre législatif et constitutionnel actuel des finances locales pour les collectivités territoriales.

Face à l’absence de garantie réelle de l’autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales, la proposition de loi constitutionnelle déposée par notre collègue Éric Kerrouche comporte deux mesures d’inégale portée : d’une part, la création d’une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements, de l’autre, la rénovation des modalités de compensation financière des transferts de compétences, pour mieux appliquer le principe « qui décide paie ».

Je ne puis que partager pleinement l’objectif de cette proposition de loi, qui s’attache à répondre aux attentes légitimes des élus locaux.

Toutefois, il semble que les mesures proposées présentent un certain nombre de difficultés opérationnelles et juridiques, n’apportant qu’une réponse imparfaite aux souhaits de lisibilité et de prévisibilité des élus locaux quant à leurs ressources financières.

En premier lieu, plusieurs personnes auditionnées, en particulier l’ensemble des représentants des associations d’élus locaux, se sont interrogées sur l’utilité de la création d’une loi de financement spécifique aux collectivités territoriales et à leurs groupements.

Ainsi, les associations d’élus locaux ont rappelé que l’institution d’une telle loi ne figurait pas parmi leurs demandes et que d’autres mesures leur semblaient davantage répondre à leurs attentes.

En deuxième lieu, une telle loi de financement n’empêcherait pas une révision annuelle du montant des concours financiers de l’État aux collectivités, conformément au principe d’annualité budgétaire.

Dès lors, il n’est pas certain que l’inscription dans la Constitution d’un véhicule financier spécifique aux collectivités territoriales et à leurs groupements aurait une incidence majeure sur leur autonomie financière ou sur la prévisibilité de leurs ressources.

En troisième lieu et de l’avis quasi unanime des personnes entendues, élus locaux comme professeurs de droit ou de finances locales, un tel véhicule recèle le risque de confier au Gouvernement un nouvel outil procédural lui permettant d’imposer unilatéralement aux collectivités territoriales et à leurs groupements de nouvelles réductions de leurs marges de manœuvre financières.

Comme pour tout véhicule financier, le Gouvernement serait libre de faire usage des facultés prévues à l’alinéa 3 de l’article 49 de la Constitution ou d’adopter par voie d’ordonnances les mesures proposées si le Parlement ne respectait pas les délais d’examen impartis.

En quatrième lieu, ces dispositions se heurtent à de nombreux écueils juridiques et pratiques, en particulier à la difficulté d’isoler, dans les finances publiques, les ressources des collectivités territoriales de celles de l’État.

De la même manière, il serait nécessaire de tirer les conséquences de toute loi de financement sur les recettes et les charges de l’État dans la loi de finances, ce qui semble, de facto, en relativiser l’intérêt.

Enfin, l’insertion d’un nouveau texte financier dans le calendrier parlementaire, déjà très chargé, est un point de vigilance qui peut sembler anecdotique, mais qui doit être soulevé.

En cinquième lieu, et ce sujet me semble être le plus irritant entre nous, la proposition de loi constitutionnelle vise « les collectivités territoriales et leurs groupements ». Or, aujourd’hui, les groupements, émanations des communes, ne bénéficient pas, en matière financière, des mêmes garanties que les collectivités territoriales, car ils n’en sont tout simplement pas.

Dès lors, ces dispositions modifieraient les équilibres constitutionnels et institutionnels existants au sein du bloc local et reviendraient à accorder aux groupements des garanties actuellement applicables aux seules collectivités, ce qui ne me paraît pas souhaitable.

Enfin, s’agissant des dispositions relatives au réexamen régulier des compensations financières des transferts de compétences et à une amélioration des modalités de ces compensations à l’article 2, je ne puis qu’y être favorable sur le principe.

Elles sont la traduction constitutionnelle d’un principe cher à la présidente de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation : « Qui décide paie ».

Néanmoins, je tiens à rappeler que les principales dispositions de cet article ont déjà été adoptées par le Sénat et transmises à l’Assemblée nationale, qui est libre de les inscrire à son ordre du jour.

En outre, la proposition de loi tendant à étendre ces garanties financières aux groupements, je ne pourrai qu’y être défavorable, par cohérence avec la position constante de la commission sur ce point.

Ainsi, mes chers collègues, si cette proposition de loi pose un débat essentiel, celui de l’équilibre à trouver en matière d’autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales au sein d’un État unitaire et décentralisé, les solutions qu’elle y apporte m’apparaissent imparfaites et insuffisantes pour répondre à l’enjeu soulevé. Le sujet a déjà été, de surcroît, largement exploré par la proposition de loi de notre collègue Philippe Bas.

Pour terminer, j’ajouterai qu’il m’apparaît préférable de traiter ces sujets dans le cadre d’une réflexion plus large sur la place des collectivités territoriales dans l’architecture institutionnelle actuelle.

Cette réflexion est pour l’heure menée par le groupe de travail transpartisan sur la décentralisation, lancé par le président du Sénat et dont le président de notre commission, François-Noël Buffet, est le rapporteur général.

Dans ce cadre, nous avons discuté la semaine dernière, sur l’initiative du rapporteur général de la commission des finances, Jean-François Husson, de propositions couvrant l’ensemble du champ des finances locales.

Dans ces conditions, je forme le vœu que nous continuions à cheminer, ensemble, pour redéfinir les relations financières entre l’État et les collectivités territoriales. Je suis convaincue que l’autonomie financière des collectivités territoriales est une condition indispensable à l’effectivité de la décentralisation.

En l’espèce, mes chers collègues, je vous invite donc à ne pas adopter cette proposition de loi constitutionnelle.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Charles Guené, rapporteur pour avis de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, bien qu’une majorité de ses membres se soit prononcée contre l’adoption de la proposition de loi constitutionnelle déposée par Éric Kerrouche et plusieurs de nos collègues, la commission des finances partage le diagnostic qui a conduit à son dépôt.

Le manque de prévisibilité budgétaire qui frappe les collectivités territoriales, d’une part, et la sous-évaluation de plus en plus manifeste des compensations des compétences transférées, d’autre part, constituent, malheureusement, deux réalités.

À première vue l’instauration d’un éventuel projet de loi de financement des collectivités territoriales paraît séduisante. Cependant, le sujet n’est pas aussi simple, et l’institution d’une loi de financement des collectivités territoriales aurait tout d’une fausse bonne idée.

Non seulement elle risquerait de se retourner contre les collectivités territoriales, en conférant au Gouvernement un nouvel outil de contrainte financière, mais elle poserait également des difficultés d’articulation majeures avec la loi de finances.

Indépendamment du calendrier, un tel dispositif impliquerait de sortir du projet de loi de finances les transferts financiers de l’État aux collectivités territoriales, soit, excusez du peu, un peu plus de 107 milliards d’euros ! La commission des finances pourrait difficilement admettre une telle atteinte au domaine des lois de finances.

À l’inverse, si l’on adoptait une solution intermédiaire et si les transferts financiers de l’État, c’est-à-dire un peu moins de la moitié des ressources des collectivités territoriales, continuaient à relever des lois de finances, l’intérêt supposé des lois de financement des collectivités territoriales, à la portée essentiellement programmatique, se révélerait très limité.

Plutôt qu’à une révision constitutionnelle aux conséquences et à la mise en œuvre incertaines, c’est à l’édification d’une nouvelle gouvernance des finances locales que nous devrions nous attacher.

Une telle évolution est indispensable pour que les collectivités puissent réellement être associées à la préparation des textes financiers qui les concernent, à plus forte raison dans le contexte d’un recours croissant à la fiscalité partagée.

Nous avons besoin de repenser les espaces de discussion entre le Gouvernement, les assemblées parlementaires et les associations d’élus.

Comme l’a rappelé la Cour des comptes, cette nouvelle gouvernance pourrait passer, entre autres, par une réflexion sur la composition et le champ de compétences du Comité des finances locales. Je souhaiterais d’ailleurs connaître, peut-être à une autre occasion – notre temps est contraint –, l’avis du Gouvernement sur ce point particulier.

S’agissant du second objectif de la proposition de loi constitutionnelle, à savoir le renforcement des exigences de compensation financière des transferts de compétences, je partage le constat dressé et la proposition formulée.

La commission des finances avait déjà donné un avis favorable sur le dispositif proposé, en le qualifiant de « réexamen régulier » des compensations, lors de l’examen, en 2020, de la proposition de loi constitutionnelle pour le plein exercice des libertés locales, que le Sénat avait adoptée. Une nouvelle adoption de ce dispositif serait donc superfétatoire.

De nouveau, je souhaite néanmoins souligner qu’un renforcement de la gouvernance des finances locales constituerait un prérequis indispensable à sa mise en œuvre.

Un travail d’objectivation des charges supportées par les collectivités territoriales au titre des différentes compétences, qui ne peut être mené que dans le cadre d’une concertation approfondie, est au préalable nécessaire.

Pour toutes ces raisons, la commission des finances émet un avis défavorable sur l’adoption de cette proposition de loi constitutionnelle.

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le président de la commission des finances, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur pour avis, monsieur le sénateur Kerrouche, mesdames, messieurs les sénateurs, je m’efforcerai d’être bref, afin que tous les orateurs inscrits aient le temps de s’exprimer.

Voilà maintenant quarante ans, avec la promulgation de la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, que le mouvement décentralisateur a été engagé dans notre pays, dont on sait combien l’histoire politique est ancrée dans une tradition jacobine.

Mardi dernier, la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République soufflait ses vingt bougies. Voilà donc vingt ans que notre Constitution proclame que l’organisation de la République est décentralisée.

Je sais ce que cette proclamation signifie pour votre assemblée, dont nul n’ignore combien elle est attachée à la démocratie locale et à la représentation des territoires.

Ainsi, sur l’initiative du président Larcher, le Sénat a formé un nouveau groupe de travail sur la décentralisation, représentatif de tous les groupes politiques de cet hémicycle. Je veux rendre hommage à cette initiative.

Déjà, les sujets de préoccupation apparaissent. Le président Larcher les a d’ailleurs évoqués publiquement : il s’agit, en particulier, des relations financières entre l’État et les collectivités territoriales et de l’approfondissement de la différenciation territoriale. Le Gouvernement est particulièrement à l’écoute des réflexions sur ces sujets.

Sur l’initiative du Président de la République, plusieurs réunions de travail ont été organisées avec les associations d’élus locaux, afin d’échanger sur les enjeux d’une réforme institutionnelle, notamment en vue d’un renforcement de la décentralisation et de l’autonomie financière des collectivités.

Ces questions sont délicates et sensibles, mais les attentes sont claires : plus de clarté dans les compétences exercées, plus de proximité dans l’élaboration des solutions et plus de responsabilités aux collectivités, à la condition, bien sûr, que celles-ci disposent des moyens juridiques et financiers associés aux compétences transférées.

Les auteurs de cette proposition de loi constitutionnelle, tout comme Mme Agnès Canayer dans son rapport, exposent parfaitement les enjeux auxquels les collectivités sont actuellement confrontées, me semble-t-il.

Si le ratio d’autonomie financière des collectivités territoriales est aujourd’hui historiquement élevé – aux alentours de 70 % pour les communes, départements et régions –, certaines voix d’élus locaux s’élèvent pour demander davantage de visibilité sur leurs ressources financières. D’autres vont plus loin et appellent à une réforme des relations financières entre l’État et les collectivités territoriales.

Par ailleurs, alors que l’article 72-2 de la Constitution prévoit que « tout transfert de compétences entre l’État et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice », certaines collectivités peuvent être confrontées à une forte augmentation de la charge que représente un transfert de compétences.

En réponse à ce problème, la proposition de loi constitutionnelle de M. le sénateur Éric Kerrouche a pour objet de créer une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements, ainsi que de garantir la compensation financière des transferts de compétences, en instaurant un réexamen régulier des ressources transférées.

La création d’une loi de financement des collectivités territoriales a été proposée dans le rapport de MM. Lambert et Malvy d’avril 2014, ainsi que dans trois rapports de la Cour des comptes.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Pour cette institution, « une loi de financement des collectivités territoriales constituerait un instrument efficace au service de la gouvernance des finances locales ».

Cette loi de financement des collectivités territoriales aurait pour objectif de déterminer les ressources des collectivités territoriales et de retracer l’ensemble des relations financières des collectivités territoriales avec l’État.

Il est vrai qu’un tel instrument législatif offrirait l’avantage de garantir un espace de discussion parlementaire consacré aux finances locales.

Toutefois, il faut relever qu’il existe déjà la possibilité de faire suivre d’un débat au Parlement la remise du rapport prévu à l’article 7 de la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, modifiant l’article 52 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf).

Ce rapport porte sur la situation des finances publiques locales, sur l’évolution de leurs charges et de leurs dépenses ou encore sur les conséquences du projet de loi de finances sur les finances publiques locales. Un débat de ce type a eu lieu pour la première fois lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023.

En outre, il faut bien prendre garde aux conséquences concrètes d’une telle réforme pour le débat parlementaire. En effet, le champ matériel de ces lois de financement des collectivités territoriales serait exclusif de celui des lois de finances. Or de nombreux sujets ont une implication budgétaire au niveau national et au niveau local.

Je citerai par exemple la hausse de la dotation globale de fonctionnement ou la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises opérées en 2023. L’une et l’autre ont des conséquences financières pour l’État comme pour les collectivités et nécessiteraient d’être abordées lors de l’examen de la loi de finances comme lors de l’examen d’une loi de financement des collectivités.

Serait-il judicieux, dans ces circonstances, de scinder dans deux véhicules distincts les aspects nationaux et les aspects locaux ? Serait-ce même possible ? Une telle dissociation nuirait à mon sens davantage à l’information du Parlement, dans un calendrier budgétaire encore plus restreint par l’examen de trois textes financiers.

Enfin, il n’est tout simplement pas certain, comme l’ont très justement souligné les travaux de la commission, que ce nouvel instrument soit adapté à l’objectif que nous partageons tous, à savoir donner aux collectivités une visibilité et une protection financière suffisantes pour la réalisation de leurs actions.

La seconde mesure de cette proposition de loi consiste à réviser les règles de compensation financière des transferts de compétences, afin d’y introduire un mécanisme de réexamen périodique.

Tout d’abord, j’observe que le principe de libre administration des collectivités territoriales prémunit déjà les collectivités contre une dégradation excessive de leur situation financière du fait de l’évolution de leurs charges.

Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de l’affirmer dans deux décisions du 30 juin 2011 : les mécanismes de compensation doivent être suffisants pour que ne soit pas entravée la libre administration des collectivités concernées.

Par ailleurs, dans un objectif de bonne gestion des finances publiques, la capacité des collectivités locales à financer les compétences transférées doit pouvoir s’apprécier au regard de l’ensemble de leurs ressources et de leur dynamisme, et pas uniquement à l’aune des recettes directement affectées lors du transfert historique de compétences.

Enfin, la comparaison entre le niveau de ressources et de dépenses transférées poserait de grandes difficultés méthodologiques.

L’évolution ultérieure du niveau de dépenses des collectivités dépend de circonstances nationales, mais également des choix de gestion de la collectivité locale.

Une telle mécanique induirait, entre l’État et les collectivités, un examen de l’exercice de chaque compétence au niveau global, mais ensuite, inévitablement aussi, au niveau individuel. Or les choix d’une collectivité de porter l’effort sur telle compétence ou sur telle autre sont consubstantiels à la libre administration.

Vous l’avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement n’est pas favorable, en l’état, à cette proposition de loi constitutionnelle.

Je veux être très clair : les pistes qui y sont avancées ne sont pas à balayer d’un revers de main, loin de là. Elles semblent néanmoins, pour l’heure, soulever plus d’interrogations que de solutions.

Surtout, cette proposition de loi intervient dans un contexte où un bilan plus large pourrait être dressé en matière de décentralisation. Les enjeux que cette proposition de loi aborde sont réels, mais ils ne sont pas les seuls à considérer.

Le président Larcher évoquait la différenciation des collectivités territoriales. Le Gouvernement avait souhaité se saisir en 2018 de ce sujet au travers du projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique.

La réflexion doit encore se poursuivre. En témoignent d’ailleurs les travaux menés au sein du Sénat par le groupe de travail transpartisan évoqué au début de mon intervention, ainsi que ceux qu’a lancés le Président de la République avec les associations d’élus locaux.

Sur ce sujet comme sur les autres, le Gouvernement sera particulièrement attentif à la restitution des conclusions de ces groupes de travail.

Vingt ans après que la décentralisation a fait son apparition dans notre Constitution, poursuivons notre réflexion commune, pour que nos collectivités territoriales puissent exercer pleinement leurs missions au service de nos compatriotes.

Mme la présidente. La parole est à Mme Guylène Pantel. (M. Julien Bargeton applaudit.)

Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi constitutionnelle de nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain n’est pas la première du genre. On peut citer, en particulier, la proposition de loi constitutionnelle adoptée par le Sénat en 2020.

Nous saluons toutefois cette nouvelle initiative, qui est aussi l’occasion de débattre des finances locales et des options qui permettraient d’améliorer leur cadre légal.

Elle vient notamment en complément des travaux de la mission d’information sur le thème « L’impact des décisions réglementaires et budgétaires de l’État sur l’équilibre financier des collectivités locales », dont j’ai l’honneur d’être la rapporteure depuis le 1er mars dernier.

En effet, contrairement aux administrations de l’État et de la sécurité sociale, les administrations publiques locales ne font pas l’objet d’une loi de financement dédiée, qui serait examinée chaque année au Parlement.

Les mesures de financement des collectivités sont actuellement disséminées dans le projet de loi de finances, en première partie, au travers de la fixation du montant des dotations et des impositions transférées, et, en seconde partie, au travers des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » et de la répartition de ces dotations.

Il est vrai que le principal obstacle à une telle loi de financement tient peut-être à la Constitution elle-même, qui consacre en son article 72 la libre administration des collectivités territoriales.

C’est pourquoi le volet dépenses de la loi de financement ne pourrait avoir qu’un caractère indicatif. Toutefois, elle aurait le mérite de mieux distinguer ce qui relève des finances de l’État et des finances locales.

Nous saluons aussi le deuxième axe de la proposition de loi, qui vise à renforcer le principe, déjà présent dans la Constitution, de compensation financière des transferts de compétences dans le temps.

Le projet de loi de financement des collectivités territoriales (PLFCT) permettrait sans doute un meilleur suivi et un meilleur contrôle de ces compensations.

De surcroît, je m’aperçois qu’il s’agit d’une véritable revendication de la part des associations d’élus, que nous auditionnons dans le cadre de la mission d’information.

Enfin, le transfert de dispositions du projet de loi de finances (PLF) vers le PLFCT ne devrait-il pas s’accompagner d’une réduction équivalente des délais d’examen du PLF, afin de conserver un ordre du jour réaliste à l’automne ?

Il faudrait d’ores et déjà anticiper les dispositions que pourrait contenir cette future loi organique et, en particulier, veiller à ce que les lois de financement des collectivités améliorent la prévisibilité de leurs recettes, sans pour autant devenir une forme de tutelle gouvernementale.

Ces observations faites, les membres du groupe RDSE voteront en faveur de cette proposition de loi constitutionnelle, dont le rejet la semaine dernière en commission et probablement aujourd’hui en séance nous apparaît lié à des considérations davantage politiques que techniques. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme Agnès Canayer, rapporteur. Pas du tout !

Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Lefèvre.

M. Antoine Lefèvre. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’idée d’une loi annuelle de prévision des dépenses des collectivités territoriales ne date pas d’hier.

Les premières propositions remontent au mois d’avril 2014, lorsque Martin Malvy et Alain Lambert avaient formulé les leurs dans un rapport intitulé Pour un redressement des finances publiques fondé sur la confiance et lengagement de chacun.

Force est de constater que, quasiment dix années plus tard, ce constat de défiance entre l’État et les territoires est resté le même.

Il est à rappeler pourtant que le Conseil constitutionnel s’efforce de consacrer, à jurisprudence constante, l’exigence de protection de l’autonomie financière et fiscale des collectivités.

Dans une décision du 24 juillet 1991, les sages rappelaient déjà à titre d’exemple que les ressources des collectivités ne doivent pas être restreintes « au point d’entraver leur libre administration ».

Pourtant, plus de trente années plus tard, la voilure de ces ressources n’a cessé de se recroqueviller sur elle-même.

Les collectivités décentralisées n’ont pu qu’observer avec impuissance leurs ressources fiscales et budgétaires fondre comme neige au soleil, sans que les compensations apportées viennent véritablement corriger les pertes subies.

Après la baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF), la suppression de la taxe d’habitation (TH) et de la CVAE ou la révision prochaine des valeurs locatives cadastrales, les communes n’ont souvent d’autre choix que de répercuter la compensation manquante sur la fiscalité des particuliers, ou bien d’accélérer les coupes budgétaires.

Grande est ainsi la tentation, pour le législateur, de canaliser les velléités de recentralisation de l’État.

C’est le cadre juridique nouveau que propose notre collègue Éric Kerrouche, par la création d’une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements.

Certes, donner une assise constitutionnelle à une nouvelle loi de finances spéciale serait l’occasion de mettre fin à l’émiettement des versements de l’État aux collectivités, ainsi qu’à la faible lisibilité qui en résulte.

Cet émiettement entre budget général, prélèvements sur recettes et comptes spéciaux conduit à des débats parlementaires distincts, donc à des votes séparés, ce qui nuit in fine à l’exigence de clarté et de sincérité du débat parlementaire.

Une loi de financement des collectivités consacrerait aussi la place des administrations publiques locales dans le triptyque institutionnel et financier de notre pays, aux côtés de l’État et du système de santé.

Il apparaît toutefois que l’intention originelle de notre collègue, si louable qu’elle fût pour nos territoires, vient se heurter au cadre constitutionnel existant. Celui-ci compromet l’objet même de la présente proposition de loi constitutionnelle.

En effet, c’est bien parce que le fonctionnement même de notre service public et de nos institutions est conditionné à l’adoption des lois de finances que le Gouvernement se voit offrir un puissant arsenal, en complément de celui dont il dispose pour les lois ordinaires.

Dès lors, enchâsser le financement des collectivités dans le cadre de la Lolf, c’est offrir au Gouvernement une nouvelle occasion de faire usage du 49.3, autant de fois qu’il le jugera nécessaire.

C’est aussi lui accorder le droit d’atrophier la durée des débats, suivant les dispositions de l’article 47 de la Constitution.

C’est également laisser au Gouvernement, dans le cas où la procédure parlementaire excéderait les délais prévus par la Constitution, la possibilité de légiférer par ordonnance et ainsi de conserver une mainmise absolue sur les versements aux territoires, leur montant et leur ventilation.

C’est enfin ouvrir la perspective de lois de financement rectificatives et de lois de règlement des collectivités, et démultiplier ainsi les véhicules législatifs pour lesquels ces outils constitutionnels pourraient être activés.

Bien davantage qu’un nouveau souffle apporté au principe d’autonomie des collectivités, c’est donc plutôt un nouveau carcan qui pourrait leur être imposé !

Si l’objet de la démarche de nos collègues est de garantir que le Parlement puisse tenir un débat annuel sur les dépenses des collectivités, qu’à cela ne tienne : nous pourrions avoir ce débat dans le cadre de l’examen d’une loi d’orientation et de programmation !

Cette option aurait l’avantage d’être plus vertueuse et moins contraignante. En outre, elle s’articulerait sagement avec le traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de 2012.

Par ailleurs, fédérer dans une mission budgétaire unique, au sein de la loi de finances, toutes les contributions de l’État aux collectivités serait d’une immense valeur ajoutée pour la lisibilité de nos comptes et le suivi des transferts de compétences.

Comme nombre de nos collègues l’ont exprimé à cette tribune à de multiples reprises, nous avons besoin d’un séisme institutionnel pour nos territoires.

À cet égard, je ferai miens les mots du président du Sénat, Gérard Larcher, qui a défendu pour les finances locales l’objectif de ressources stables et planifiées, d’une évaluation régulière des compensations et d’une contractualisation bâtie sur le consensus.

Un État trop jacobin aura raison de la démocratie locale, sauf à ce que le Parlement lui donne les conditions de s’épanouir. Mes chers collègues, continuons de donner à cette démocratie locale les moyens de son épanouissement !

Notre groupe se référera à l’avis de la commission et ne votera pas cette proposition de loi constitutionnelle, même s’il salue vivement l’intention de ses auteurs. (Applaudissements au banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus.

M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, dans un contexte incertain, les élus locaux sont inquiets : ils craignent de ne plus pouvoir agir sur le terrain.

Or c’est bien pour cela que les élus locaux s’engagent : pour agir sur le terrain ! Avec l’inflation qui renchérit le coût des projets, les récentes évolutions de la fiscalité locale et la crise démocratique qui dévalorise leur statut, les élus locaux se sentent empêchés d’agir.

Ils ont donc besoin de sécurité. C’est le rôle du Sénat de leur apporter les éléments qui peuvent la leur offrir. Sans aucun doute, cela passe en partie par les finances locales.

Dans cet esprit, cette proposition de loi constitutionnelle a le mérite de poser dans le débat un sujet essentiel : l’autonomie financière des collectivités locales.

À cette question, nos collègues socialistes apportent la réponse suivante : créer une nouvelle catégorie de lois de financement. Leur objectif, intéressant, est de formaliser, de façon lisible et transparente, les relations financières entre l’État et les collectivités.

L’idée n’est pas nouvelle. Elle a souvent été évoquée dans cet hémicycle, à droite comme à gauche. La Cour des comptes aussi l’a défendue dans plusieurs de ses rapports. Nul doute que ce serpent de mer continuera de faire parler de lui, tant que nous n’aurons pas purgé le débat… C’est pourquoi une clarification est nécessaire et bienvenue.

Notre groupe considère toutefois qu’il s’agit d’une fausse bonne idée. La loi de financement ici proposée aurait pour effet de renforcer la dépendance des collectivités vis-à-vis de l’État. Nous pensons donc qu’elle pourrait être contre-productive.

On a déjà rappelé les récentes évolutions de la fiscalité locale, notamment la suppression de la taxe d’habitation et de la CVAE. Les collectivités continuent de s’interroger sur ces réformes.

Je ne vais pas refaire les débats que nous avons déjà eus lors de l’examen des lois de finances, mais je veux tout de même rappeler l’objet de ces réformes : supprimer des impôts injustes. On a ainsi mis fin à la taxe d’habitation, parce que son montant ne dépendait pas des revenus, et à la CVAE, parce qu’elle pénalisait les entreprises industrielles, donc le tissu économique des territoires.

La compensation de ces impôts, par l’affectation aux collectivités d’une fraction de la TVA, doit permettre aux collectivités de bénéficier de ressources pérennes et dynamiques. Ces réformes doivent précisément sécuriser les ressources des collectivités.

Certes, avec une loi de financement spécifique, les compensations apparaîtraient peut-être de façon plus lisible, mais deux problèmes majeurs se poseraient encore, mes chers collègues.

D’une part, examiner les flux financiers entre l’État et les collectivités sans discuter, en même temps, des impôts qui affectent l’économie, ce serait analyser la dépense sans la recette, donc réduire les collectivités à des postes de coût.

D’autre part, raisonner en grands agrégats ne donnerait aucune garantie sur des cas particuliers et ne saurait rassurer les élus.

Aussi, une telle loi de financement, examinée à la hussarde entre le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de finances, risquerait d’appauvrir le débat sur les finances des collectivités. Elle renforcerait la gestion nationale et centralisée des problématiques locales.

Telle n’est pas la vision que nous nous faisons d’une République décentralisée, qui fait confiance à ses élus locaux pour changer les choses sur le terrain.

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la présente proposition de loi constitutionnelle a pour objet de sécuriser les relations financières entre l’État et les collectivités et de rendre plus lisibles, dans le temps, les flux de compensation des transferts de compétence.

Les auteurs de ce texte ont souhaité répondre aux demandes des élus locaux et traduire les réflexions poussées de la Cour des comptes.

À l’heure de l’urgence climatique, les collectivités manquent de lisibilité, de visibilité et de transparence sur leurs ressources, en particulier sur celles qui leur viennent de l’État. Cela freine les actions pourtant essentielles qu’elles mènent pour le quotidien de leurs administrés comme pour l’avenir de notre pays dans sa globalité. Y remédier est également essentiel pour permettre une articulation locale des stratégies nationales.

La création d’une loi de financement des collectivités territoriales était l’une des mesures portées par le candidat Yannick Jadot lors de la dernière élection présidentielle, afin d’approfondir la décentralisation dans une triple direction : plus de démocratie, plus de justice territoriale et plus d’écologie.

Ainsi, cette loi de financement constituerait un outil de meilleure information des citoyens et des élus et, en définitive, un outil de responsabilisation de l’ensemble des acteurs de l’équilibre des finances publiques locales. Il s’agit là d’un enjeu important, au moment où les collectivités territoriales doivent réaliser des investissements massifs dans la transition écologique.

Nous apporterons donc notre soutien à cette proposition de loi constitutionnelle, tout en restant vigilants sur les modalités de mise en œuvre d’une avancée nécessaire, qui pourra être complétée par les travaux des groupes de travail présidés par M. Larcher. (Mme Catherine Di Folco applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Bargeton.

M. Julien Bargeton. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la création d’une loi de financement des collectivités territoriales était déjà l’objet d’un amendement que notre collègue Kerrouche avait déposé sur la proposition de loi constitutionnelle pour le plein exercice des libertés locales de notre collègue Philippe Bas.

Lors de son examen, le rapporteur Mathieu Darnaud s’y était opposé. De même, le groupe de travail mis en place par Gérard Larcher n’a pas repris cette proposition.

D’ailleurs, certaines des propositions alors examinées consistaient plutôt à mettre en place une sorte de débat d’orientation des finances locales. Cette idée – un débat, mais pas plus ! – a d’ailleurs été reprise dans la réforme de la Lolf accomplie au cours du précédent quinquennat, sous l’égide d’Éric Woerth et de Laurent Saint-Martin.

Beaucoup d’arguments ont déjà été avancés contre la création d’une telle loi de financement. J’en reprendrai quelques-uns.

Tout d’abord, je trouve étrange et paradoxal, de la part de parlementaires qui, souvent, s’opposent à l’idée de contractualisation, d’aller plus loin encore avec une loi de financement.

M. Éric Kerrouche. Cela n’a rien à voir !

M. Julien Bargeton. Si l’on refuse la première étape, pourquoi vouloir aller plus loin ? À la rigueur, on pourrait dire : qui peut le plus peut le moins. Mais vous vous êtes souvent opposés à la contractualisation, mes chers collègues.

Ensuite, une telle loi donnerait le dernier mot à l’Assemblée nationale. Or je ne suis pas sûr que le Sénat souhaite qu’il y ait en la matière, comme pour les textes budgétaires, une prépondérance de l’Assemblée.

Par ailleurs, la comparaison avec les lois de financement de la sécurité sociale me semble dangereuse ; en tout cas, elle mérite d’être interrogée. Ces lois ont été créées, en 1996, pour rétablir l’équilibre financier de la sécurité sociale. Notre collègue Antoine Lefèvre a d’ailleurs évoqué, à juste titre, un risque de carcan. Je ne suis pas sûr que ce soit l’esprit du texte qui nous est soumis.

Une fois cet outil créé, le législateur l’aurait à sa disposition et pourrait en faire ce qu’il veut.

M. Didier Marie. C’est la même chose avec la loi de finances !

M. Julien Bargeton. Il faut donc être extrêmement prudent en la matière, me semble-t-il.

D’autres éléments encore justifient notre opposition à cette proposition de loi constitutionnelle, même si certaines des idées exposées sont intéressantes.

L’article 2 du texte a pour objet de garantir, financièrement, les transferts de compétences aux collectivités locales. Vous comprendrez, mes chers collègues, que je ne puis partager un certain nombre des arguments qui ont été exposés pour le justifier.

La Cour des comptes a rappelé, en 2021, que les recettes locales sont beaucoup plus dynamiques que les dépenses ; c’est ce qui explique d’ailleurs l’excédent de 4,7 milliards d’euros que nous avons observé. La Cour précise d’ailleurs dans ce rapport que seuls l’État et la sécurité sociale ont contribué significativement à l’aggravation du déficit public. La contribution des collectivités locales ne dépasse pas 0,15 point : ce n’est rien du tout par rapport au déficit public général des années 2020 et 2021, qui était notamment lié au covid-19.

Comment l’expliquer ? Désormais – ce point n’a pas encore été rappelé –, les transferts de l’État aux collectivités locales sont adossés à la TVA, taxe qui a déjà montré son dynamisme et qui, dans un contexte de croissance maintenue, le montre encore. Bien sûr, son produit peut varier, mais, pour l’instant, le choix de l’adossement à la TVA se montre positif pour les recettes des collectivités locales.

Je ne veux pas être taquin, mais je rappellerai que, sous un précédent quinquennat – celui de François Hollande –, les dotations aux collectivités locales ont fortement baissé : de 1,5 milliard d’euros en 2014 et de 11 milliards d’euros au total entre 2013 et 2017 !

L’enveloppe normée de la DGF avait été créée en 1996. Pour notre part, nous avons sanctuarisé cette dotation et nous lui avons même ajouté 320 millions d’euros dans la dernière loi de finances. Il faut tout de même rappeler ce cadre budgétaire d’ensemble !

Je ne reviendrai pas, faute de temps, sur le filet de sécurité, le bouclier tarifaire, la charte pour les fournisseurs et tous les dispositifs qui ont été mis en place pour aider les collectivités locales à faire face à l’inflation qu’elles subissent, elles aussi.

Enfin, les remarques et les réserves exprimées par M. le rapporteur pour avis me semblent de bon sens : le principe de libre administration des collectivités locales s’oppose tout de même à ce que l’on examine comment l’argent est dépensé !

Mme la présidente. Votre temps de parole est écoulé, mon cher collègue !

M. Julien Bargeton. Pour toutes ces raisons, mon groupe s’opposera à ce texte. (M. Emmanuel Capus applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je veux tout d’abord exprimer ma frustration qu’un débat aussi important soit tronqué. Certes, c’est la règle des niches parlementaires, mais il aurait certainement fallu plus de temps pour de réels échanges, des explications et des réponses.

Je remercie nos collègues du groupe socialiste d’avoir déposé ce texte, qui répond à une exigence de l’ensemble des élus locaux en matière de financement des collectivités territoriales.

Ce financement souffre cruellement, depuis un certain temps, d’un manque de moyens auquel s’ajoutent, comme cela a été rappelé, les multiples crises que nous traversons depuis maintenant quelques années.

Si la création d’une loi de financement des collectivités territoriales peut paraître séduisante, il nous semble que ce qu’attendent avant tout les élus locaux, c’est plus de visibilité et de prévisibilité, afin de pouvoir mieux anticiper, bâtir leur budget et répondre aux besoins des populations par leurs différentes dépenses d’investissement et de fonctionnement.

Nous craignons toutefois que l’article 1er, tel qu’il a été rédigé, ne renforce finalement le caractère autoritaire du contrôle par l’État de la gestion des collectivités territoriales. Celles-ci ont actuellement besoin de 100 milliards d’euros pour assurer pleinement leurs missions de service public. C’est à ce défi-là qu’il nous faut répondre. Or encadrer les dépenses ne permettra pas de compenser des décennies de désengagement de l’État.

La libre administration des communes risque d’être remise en cause : comme elles ne disposent plus de ressources propres, elles dépendront davantage du bon vouloir de l’État.

Je n’énumérerai pas les différentes taxes et impôts qui ont été supprimés ces dernières années,…

M. Julien Bargeton. Tant mieux !

Mme Cécile Cukierman. … mais, aujourd’hui, pour l’échelon communal, la taxe foncière demeure l’unique recette.

Pourtant, les taxes dans notre pays sont multiples. À ce propos, je veux redire que le problème de la France est très certainement que nous payons trop de taxes, mais pas assez d’impôts.

Une loi de programmation pour les collectivités territoriales nous semble constituer un véhicule beaucoup plus approprié et pertinent pour répondre aux enjeux de financement, mais aussi aux souhaits de visibilité et de transparence exprimés par les élus locaux.

Pour que le débat budgétaire soit plus efficace, il serait judicieux de prévoir un temps de débat sur les finances locales au sein de l’examen du projet de loi de finances.

Cela permettrait une forme de recollement des différentes recettes et dépenses affectées aux collectivités territoriales. Nous pourrions également proposer la création d’un jaune budgétaire, qui regrouperait toutes les données relatives aux dépenses de l’État pour les collectivités et permettrait d’instaurer plus de transparence.

Le deuxième objet de cette proposition de loi constitutionnelle est la compensation des nombreux transferts des compétences. Ceux-ci se sont en effet parfois opérés sans compensation à l’euro près, voire contre la volonté des élus.

Nous aurions voulu qu’un débat se tienne sur chacun des articles de ce texte. Toutefois, pour permettre d’aller jusqu’au vote, nous ne nous exprimerons pas lors de leur examen.

Mes chers collègues, je viens de vous exposer pourquoi notre groupe votera contre l’article 1er. En revanche, notre vote sur l’article 2 sera favorable.

Finalement, en l’état de la rédaction du texte, notamment parce que nous pensons que la création d’une loi de financement des collectivités territoriales permettrait au Gouvernement de recourir au 49.3 sur les finances de celles-ci, nous nous abstiendrons sur cette proposition de loi constitutionnelle.

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel.

Mme Françoise Gatel. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je veux saluer le travail des rapporteurs, mais aussi l’initiative de M. Kerrouche, qui braque le projecteur sur un sujet essentiel et parfois existentiel, à savoir le financement des collectivités locales et de leurs groupements.

Mon cher collègue, votre constat est pertinent et largement partagé.

Alors que la conduite de l’action publique nécessite lisibilité, sécurité et visibilité, elle est soumise à des convulsions budgétaires, à l’émiettement des financements et à un dérapage du coût des compétences transférées, du fait du fréquent rajout de normes, à l’insu des collectivités. Tout cela aboutit à une lisibilité très floue. Or, selon l’expression consacrée, quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup.

Toutefois, mon cher collègue, je pense que votre proposition de loi elle-même contient un loup ! Si l’autonomie financière des collectivités locales, que vous souhaitez conforter, est une composante du principe constitutionnel existant de libre administration des collectivités, force est de constater – vous le faites à raison – les limites de l’application de ce principe.

Votre diagnostic est bon, mais le remède que vous prescrivez ne l’est pas, me semble-t-il.

Cette bonne intention risque, comme souvent, de paver l’enfer des collectivités. En effet, la loi de financement des collectivités que vous proposez de créer, à l’article 1er, ressemble fort aux lois de financement de la sécurité sociale. Doit-on rappeler ici l’objet et l’effet de ces lois, qui est de plafonner des dépenses par le biais d’un indice ? Je ne doute pas, mon cher collègue, du succès de votre proposition de loi constitutionnelle auprès de Bercy et de la Cour des comptes !

Pardonnez-moi, mais vous réinventez les contrats de Cahors, en plus léonins. Vous créez ainsi un piège qui se refermera sur les collectivités. Ce n’était pas votre intention, mais c’est l’effet de votre proposition.

L’article 2 de ce texte vise pour sa part à rénover les modalités de compensation financière des transferts de compétences. Selon le principe, cher au Sénat, « qui décide paie », nous ne pouvons qu’adhérer à la révision du coût de ces transferts, toujours victimes de nouvelles obligations qui s’agrègent au fil du temps.

Cette disposition est si pertinente que le Sénat, vous le savez bien, l’a déjà adoptée en septembre 2020.

M. Didier Marie. Trois ans déjà !

Mme Françoise Gatel. Elle attend depuis lors patiemment dans l’antichambre de l’Assemblée nationale.

Par ailleurs, des travaux en cours dans notre assemblée – la mission d’information sur l’impact des décisions réglementaires et budgétaires de l’État sur l’équilibre financier des collectivités locales, dont je salue la rapporteure Guylène Pantel, ainsi que le groupe de travail transpartisan conduit par le président Larcher, dont le président de la commission des lois est le rapporteur – contribueront sans aucun doute à approfondir et structurer la réflexion du Sénat autour des exigences de sécurité et de visibilité que vous évoquez.

Mon cher collègue Éric Kerrouche, vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste aime beaucoup votre diagnostic, mais pas du tout votre prescription. C’est pourquoi il votera contre ce texte. (M. Emmanuel Capus applaudit.)

M. Julien Bargeton. La conclusion est très bonne !

Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi. (M. Antoine Lefèvre applaudit.)

M. Roger Karoutchi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j’ai déposé sur ce sujet une proposition de loi constitutionnelle qui n’est pas identique – c’est le moins que l’on puisse dire ! – à celle de notre collègue Éric Kerrouche.

Pour ma part, contrairement à Cécile Cukierman, je voterai volontiers pour l’article 1er du présent texte, mais contre son article 2. Ce n’est pas que je ne souhaite pas la compensation des transferts de compétences, mais, pour le dire franchement, un point me gêne un peu.

Nous souhaitons tous encourager l’autonomie fiscale et financière des collectivités, mais je m’inquiète toujours de ce que pourraient faire des gouvernements impécunieux, qu’ils soient de gauche ou de droite : si l’on insiste un peu trop sur la nécessité de compenser à l’euro près ces transferts, de tels gouvernements s’empresseront de dire : « Pas de problème, on va transférer, mais on va compenser ! », alors que tel n’est jamais le cas par la suite.

Je préfère évidemment que l’on se fonde davantage sur l’autonomie fiscale et financière des collectivités, en faisant en sorte qu’elles continuent de disposer d’impôts locaux, produisant de véritables rentrées financières, et qu’elles ne soient pas réduites à dépendre toujours plus des dotations de l’État. En effet, quelle que soit la couleur politique du gouvernement en place, on voit bien que, quand le budget va, les dotations ne souffrent pas trop, mais que, quand il n’est plus en grande forme, les collectivités locales deviennent vite la variable d’ajustement, car c’est la solution de facilité.

J’entends bien tous les arguments qui justifieraient de ne pas inscrire une telle loi de financement dans la Constitution. Mais la vérité est que beaucoup d’associations d’élus – celle des maires d’Île-de-France, notamment, mais elle n’est pas la seule – sont favorables à cette idée, sinon à tel ou tel texte qui l’exprime.

À en croire nos opposants, nous ne nous rendrions pas compte de la contrainte que la présence de ces dispositions dans la Constitution permettrait au Gouvernement d’exercer…

Pour ma part, je constate que les gouvernements qui ont supprimé la taxe professionnelle,…

M. Julien Bargeton. C’était vous !

M. Roger Karoutchi. … la taxe d’habitation et la CVAE…

M. Julien Bargeton. Ça, c’était nous !

M. Roger Karoutchi. … l’ont fait sans le moindre état d’âme vis-à-vis des collectivités locales, sans débat, sans rien du tout. Ce fut : bonjour et au revoir ! Pour la dernière en date comme pour d’autres, il s’agit souvent d’engagements politiques pris dans des campagnes électorales, mais qui ne font pas l’objet d’un réel débat, sur le fond, au Parlement.

Monsieur le garde des sceaux, vous n’êtes pas ministre du budget – vous ne pouvez pas occuper tous les postes ! –, mais cette question doit faire l’objet d’un travail collectif.

Je ne voterai pas la proposition de loi de notre collègue Éric Kerrouche, car je suis quelque peu gêné par ce que sous-entend l’article 2 par rapport à l’État, mais j’appelle le Sénat à formuler une proposition commune. Que ce soit par le biais des présidents de groupe ou par le groupe de travail que préside Gérard Larcher, nous devons nous y atteler.

Faut-il faire figurer cette proposition dans la Constitution ? À mon avis oui, puisque cela établirait un budget clair pour les collectivités. Mais si nous ne passons pas par la Constitution, nous devons en tout cas trouver une solution pour que les collectivités locales ne se retrouvent pas systématiquement seules face au pouvoir exécutif.

M. Didier Marie. Très bien !

M. Roger Karoutchi. Nous devons créer une structure ou élaborer un texte, de manière à renforcer les collectivités, sans que quiconque se sente dépossédé de ses prérogatives.

En tout état de cause, je me battrai pour l’autonomie fiscale, c’est-à-dire pour que l’on restitue aux collectivités locales des ressources fiscales propres, et non des compensations, car nous savons trop bien ce que deviennent les compensations. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. Antoine Lefèvre. Très bien !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi constitutionnelle initiale.

proposition de loi constitutionnelle visant à créer une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements et à garantir la compensation financière des transferts de compétences

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à créer une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements et à garantir la compensation financière des transferts de compétences
Article 2

Article 1er

Le titre V de la Constitution est ainsi modifié :

1° L’article 34 est ainsi modifié :

a) À la fin du treizième alinéa, les mots : « , de leurs compétences et de leurs ressources » sont remplacés par les mots : « et de leurs compétences » ;

b) Après le dix-neuvième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les lois de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements déterminent leurs ressources et les conditions générales d’équilibre de leurs comptes, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. Cette loi de financement vise à garantir l’autonomie financière des collectivités territoriales et de leurs groupements. » ;

2° À la troisième phrase du deuxième alinéa de l’article 39, après le mot : « territoriales », sont insérés les mots : « , notamment les lois de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements, » ;

3° À la seconde phrase du dernier alinéa de l’article 42, après le mot : « sociale », sont insérés les mots : « , aux projets de loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements » ;

4° Après l’article 47-1, il est inséré un article 47-1-1 ainsi rédigé :

« Art. 47-1-1. – Le Parlement vote les projets de loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements dans les conditions prévues par une loi organique.

« Si le Sénat ne s’est pas prononcé dans un délai de vingt jours après le dépôt d’un projet, le Gouvernement saisit l’Assemblée nationale qui doit statuer dans un délai de quinze jours. Il est ensuite procédé dans les conditions prévues à l’article 45.

« Si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de cinquante jours, les dispositions du projet peuvent être mises en œuvre par ordonnance.

« Les délais prévus au présent article sont suspendus lorsque le Parlement n’est pas en session et, pour chaque assemblée, au cours des semaines où elle a décidé de ne pas tenir séance, conformément au deuxième alinéa de l’article 28. » ;

5° À la deuxième phrase du premier alinéa de l’article 47-2, après le mot : « sociale », sont insérés les mots : « et des lois de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements » ;

6° Au troisième alinéa de l’article 48, après le mot : « sociale », sont insérés les mots : « , des projets de loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements » ;

7° À la fin de la première phrase du troisième alinéa de l’article 49, les mots : « ou de financement de la sécurité sociale » sont remplacés par les mots : « , de financement de la sécurité sociale ou de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements ». – (Adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à créer une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements et à garantir la compensation financière des transferts de compétences
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 2

L’article 72-2 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est complété par les mots : « de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements » ;

2° À la seconde phrase du deuxième alinéa, après le mot : « loi », sont insérés les mots : « de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements » ;

3° L’avant-dernier alinéa est ainsi modifié :

a) À la première phrase, après le mot : « territoriales », sont insérés les mots : « ou entre collectivités territoriales » ;

b) La seconde phrase est ainsi rédigée : « Toute création ou extension de compétences ou toute modification des conditions d’exercice des compétences des collectivités territoriales résultant d’une décision de l’État et ayant pour effet d’augmenter les dépenses de celles-ci est accompagnée de ressources équivalentes au montant estimé de cette augmentation. » ;

c) Sont ajoutées deux phrases ainsi rédigées : « Les ressources ainsi attribuées pour la compensation des transferts, créations, extensions ou modifications de compétences font l’objet d’un réexamen régulier. Une loi organique fixe les conditions dans lesquelles les dispositions du présent alinéa sont mises en œuvre. » ;

5° Au dernier alinéa, après le mot : « loi », sont insérés les mots : « de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements ».

Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié bis, présenté par M. Capus, Mme Paoli-Gagin, MM. Chasseing, Decool, Guerriau, Lagourgue et A. Marc, Mme Mélot et MM. Menonville, Wattebled et Verzelen, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Après la première phrase de l’avant-dernier alinéa de l’article 72-2 de la Constitution, il est inséré une phrase ainsi rédigée : « Toutes les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement portant sur un transfert de compétences entre collectivités territoriales sont recevables au titre de l’article 40. »

La parole est à M. Emmanuel Capus.

M. Emmanuel Capus. Actuellement, l’interprétation qui est faite de l’article 40 de la Constitution empêche le Parlement de formuler des propositions et de déposer des amendements visant à opérer des transferts de compétences entre collectivités territoriales, de sorte que la répartition des compétences entre les collectivités est l’apanage du Gouvernement.

Le Parlement – singulièrement le Sénat, qui représente les collectivités – est ainsi totalement empêché et ne peut être force de proposition en matière de compétences.

En effet, comme le précise le rapport d’information réalisé par Philippe Marini en 2014, qui fait encore référence en matière d’application de l’article 40, « les transferts de charges doivent être analysés comme la création d’une charge pour une personne publique, compensée par la diminution d’une charge pour une autre personne publique ». Cela concerne aussi le transfert de compétences entre collectivités, ce qui a pour conséquence que les amendements et propositions en ce sens sont aujourd’hui considérés comme irrecevables.

De plus, il est précisé dans ce rapport que cette interprétation correspond à « une jurisprudence constante à l’Assemblée nationale comme au Sénat », depuis une décision prise par le Conseil constitutionnel en 1976.

Toutefois, cette jurisprudence méconnaît gravement le fait que tout transfert de compétences entre les collectivités s’effectue, eu égard à l’article 72-2 de la Constitution, dans le respect du principe de neutralité budgétaire. Lorsque l’on transfère des compétences et des charges d’une collectivité vers une autre, cela ne crée aucune charge nouvelle.

Cet amendement vise donc à préciser que l’article 40 de la Constitution ne s’applique pas aux propositions et aux amendements parlementaires ayant pour objet des transferts de compétences, donc de charges, entre collectivités, afin de renforcer la place de l’initiative parlementaire, singulièrement sénatoriale, dans l’organisation décentralisée des compétences locales.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Charles Guené, rapporteur pour avis. Monsieur Capus, vous souhaitez prévoir un cas de dérogation à l’article 40 de la Constitution.

Plus précisément, vous suggérez que les propositions de loi ou les amendements tendant à prévoir des transferts de compétences entre collectivités territoriales ne puissent être déclarés irrecevables.

En l’état du droit, l’article 40 de la Constitution s’oppose sans ambiguïté à un transfert de compétences entre personnes publiques, dans la mesure où il se traduirait forcément par une création de charges pour la personne destinataire.

Pour autant, les présidents successifs de la commission des finances du Sénat ont adopté à cet égard une jurisprudence particulièrement favorable à l’initiative parlementaire. Sont ainsi considérés comme recevables les amendements se bornant à redistribuer le poids d’une même charge au sein d’une même catégorie de collectivités, notamment entre les communes et les EPCI, les établissements publics de coopération intercommunale.

Il en va de même pour les délégations de compétences, y compris entre collectivités relevant de strates différentes, dans la mesure où la compétence demeure, juridiquement, à la collectivité délégante.

Aussi, il nous semble fort peu opportun d’introduire dans un texte constitutionnel, au détour de cette proposition de loi, un cas de dérogation unique à l’article 40 de la Constitution pour les seuls transferts de compétences entre collectivités territoriales : cela ouvrirait la porte à un débat sans fin sur la mise en place d’exceptions sectorielles à la règle commune.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Même avis, madame la présidente.

Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour explication de vote.

M. Emmanuel Capus. Si j’ai formulé cette proposition, c’est parce que des amendements que j’avais déposés à l’occasion de l’examen de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS, ont été jugés irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution, au motif qu’ils visaient prétendument à créer une charge. Or tel n’était absolument pas le cas !

Si vous transférez, par exemple, la compétence des écoles de la commune au département, ou la compétence des collèges du département à la région, vous ne créez aucune charge pour l’État : la compétence est simplement transférée d’une collectivité à une autre. Il me semble que cela ne crée aucun risque financier pour l’État ; c’est totalement neutre et donc constitutionnel.

Nous nous tirons une balle dans le pied, en tant que sénateurs, en nous privant de la possibilité de transférer une compétence d’une collectivité à une autre. C’est tout de même notre rôle : nous sommes les représentants des collectivités territoriales !

Il me semble donc logique, compte tenu de l’absence de risque financier, d’écrire dans la Constitution que le Parlement peut parfaitement transférer une compétence, du moment que c’est neutre financièrement. Il s’agit simplement de revenir sur une interprétation à mon sens beaucoup trop rigoriste de l’article 40 de la Constitution.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié bis.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2.

(Larticle 2 est adopté.)

Vote sur l’ensemble

Article 2
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Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle visant à créer une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements et à garantir la compensation financière des transferts de compétences.

En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 268 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 324
Pour l’adoption 86
Contre 238

Le Sénat n’a pas adopté.

Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je vous remercie de votre bienveillance, qui nous a permis de tenir les délais impartis.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
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7

Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

8

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 11 avril 2023 :

À quatorze heures trente et le soir :

Débat sur le thème « L’avenir de la ressource en eau : comment en améliorer la gestion ? » ;

Débat sur le thème « Harcèlement scolaire : quel plan d’action pour des résultats concrets ? » ;

Proposition de loi pour une école de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité, présentée par M. Brisson et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 501, 2022-2023).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinq.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER