Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Longuet, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons – dans l’enthousiasme général (Sourires.) – une proposition de loi présentée par le député Philippe Brun, élu de l’ancienne circonscription de Pierre Mendès France, dans l’Eure. Ce texte a été voté à l’unanimité, ou presque, par l’Assemblée nationale, ce qui cache un profond malentendu quant aux intentions des députés qui se sont exprimés.
J’évoquerai trois points. Sur deux d’entre eux, la commission des finances, au nom de laquelle je rapporte ce texte, a tenu à apporter des modifications substantielles.
Le premier concerne Mayotte, qui apparaissait mystérieusement dans une demande de rapport sur l’opportunité de nationaliser la société Électricité de Mayotte, qui appartient pour partie au département et pour partie à EDF. S’il n’est pas l’habitude de notre assemblée d’accepter des demandes de rapport, il était impossible de trancher sur le fond dans les délais d’étude accordés à la commission des finances.
Le deuxième point tient au soutien apporté aux entreprises, et il explique en grande partie le vote qui sera celui du groupe Les Républicains du Sénat – ce sera, du reste, le même que celui du groupe Les Républicains de l’Assemblée nationale.
La commission des finances a estimé que nous pouvions faire sauter le verrou que constitue le seuil de 36 kilovoltampères. Celui-ci distingue en effet inutilement les artisans selon que la puissance du transformateur dont leur entreprise est équipée est en dessous de ce seuil – ils bénéficient alors du bouclier tarifaire – ou au-dessus – dans ce cas, ils ne bénéficient pas du bouclier tarifaire, alors qu’ils exercent peu ou prou le même métier que les premiers et que leur entreprise satisfait aux normes fixées par l’Union européenne quant à la définition d’une TPE.
La suppression de ce verrou permettra à tout artisan employant moins de dix salariés et réalisant moins de 2 millions d’euros de chiffre d’affaires de bénéficier du TRVE, quelle que soit la capacité de son transformateur.
Aller plus loin – nous y reviendrons dans le cadre du débat d’amendements – serait impossible et dangereux juridiquement, tant vis-à-vis des sociétés qui délivrent de l’électricité que vis-à-vis de l’Union européenne.
Le troisième point, passionnant au demeurant, a trait à la crainte, exprimée avec force par l’auteur de la proposition de loi, d’un démembrement d’EDF. En cela, M. Brun nous oblige à réfléchir, monsieur le ministre, mes chers collègues, à une évolution du marché de l’électricité européen qui, depuis plus d’un an, connaît d’importantes secousses.
De ce marché de l’électricité européen dépendent en effet les libertés dont les dirigeants d’EDF disposent pour diriger leur entreprise.
J’ai le plus grand respect, y compris pour des raisons personnelles, pour Marcel Paul, mais nous ne sommes plus en 1946. Le marché de l’énergie électrique est libre, non seulement en ce qui concerne la production, ce qui n’était pas le cas jusqu’en 2002, mais aussi en matière de vente aux consommateurs, qu’ils soient petits ou grands, que les pays soient producteurs d’électricité ou non. Personne en Europe ne songe à remettre en cause cette liberté.
Cette liberté et ce marché ont-ils été catastrophiques ? La réponse est non. En réalité, entre 2015 et 2020, le prix spot moyen s’est situé entre 35 et 40 euros le mégawattheure, si bien que l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), mécanisme par lequel EDF revendait alors de l’électricité à 43 euros le mégawattheure, n’a été que peu sollicité, voire pas du tout, pendant cette période.
Pour autant, certaines questions qui relèvent des négociations intergouvernementales et du Parlement européen ne sont pas tranchées.
Il convient tout d’abord de réaffirmer la liberté à laquelle est attachée l’immense majorité des Européens en matière de production et de vente d’électricité.
Il convient ensuite de fixer le cap de ce marché électrique. Faut-il décarboner la société ou faut-il la verdir ? Ce n’est pas tout à fait la même chose : si l’on décarbone, on s’appuie sur le nucléaire, alors que s’il s’agit simplement de verdir, le malheureux nucléaire se trouvera confronté aux mêmes difficultés de financement qui le handicapent aujourd’hui.
Par ailleurs, à l’aune de l’expérience tragique que constitue l’invasion de l’Ukraine par la Russie, acceptons-nous de placer l’indépendance énergétique au rang qui doit être le sien, c’est-à-dire celui de principale préoccupation ? Une telle préoccupation présidait au programme nucléaire français, dans le sillage duquel nous nous inscrivons toujours, que Georges Pompidou et Pierre Messmer ont présenté en mars 1974, un mois avant la disparition du président Pompidou.
Faut-il verdir ou décarboner ? Faut-il bâtir notre indépendance ou bénéficier du prix le plus bas, ce qui nous a longtemps conduits à acheter du gaz russe, l’accès à cet approvisionnement étant aujourd’hui frappé d’incertitude ?
Peut-on imaginer une organisation de marché qui dépende moins du prix spot, c’est-à-dire du coût marginal de la dernière entreprise de production électrique thermique – en général allemande et fonctionnant au lignite ? Ne peut-on bâtir un système différent ?
Le marché de l’électricité – nos amis électriciens le savent bien – achoppe sur la difficulté que constitue l’impossibilité de stocker l’électricité, ce qui rend la régulation à peu près impossible : cela aboutit, dès lors que les prix dépendent essentiellement du coût marginal de production, à des écarts de prix spectaculaires et insupportables pour le consommateur.
J’ajoute que nous, Français, sommes fiers de notre parc nucléaire et que nous souhaiterions profiter de l’avantage qu’il constitue plutôt que de subir des hausses dues à un calcul fondé sur le coût marginal.
Ces interrogations relatives au marché de l’électricité doivent être tranchées, car de fait, elles pèsent déjà sur le statut d’EDF. À ce titre, je souhaite indiquer à l’auteur de la présente proposition de loi que le démembrement d’EDF est déjà en partie effectif s’agissant du transport et de la distribution de l’électricité.
M. Fabien Gay. C’est vrai !
M. Gérard Longuet, rapporteur. En vertu de la liberté du marché, nous avons en effet l’obligation d’accepter que des tiers accèdent au réseau électrique. Or, en raison de l’évident monopole technique en la matière – je dis bien technique et pas économique –, il est impensable de multiplier les réseaux tant de transport que de distribution.
Il faut donc bien accepter que Réseau de transport d’électricité (RTE) et Enedis soient indépendants d’EDF, même si elle en est actionnaire, parce qu’elle n’est aujourd’hui que l’un des utilisateurs des réseaux.
J’en viens à l’Arenh.
M. Fabien Gay. Ah !
M. Gérard Longuet, rapporteur. Ce mécanisme touche à sa fin, puisque son application n’est prévue que jusqu’en 2025. Faut-il le maintenir ? Faut-il se contenter d’augmenter le prix ? Ne peut-on imaginer, sur le modèle des assurances, un système plus intelligent, fondé sur le principe take or pay, « prenez ou payez » ?
L’assurance paraît chère tant qu’on n’a pas d’accident, mais on est bien content d’être assuré le jour où on en a un… L’Arenh a joué ce rôle d’assurance, mais le mécanisme est conçu de telle sorte qu’il revient à payer l’assurance après l’accident, ce qui est un peu la même chose que de gagner aux courses de chevaux en pariant après l’arrivée : c’est beaucoup plus facile !
De même, certains fournisseurs d’électricité très sérieux, y compris français, accepteraient volontiers de participer au financement du nucléaire français, non pas pour l’exploiter – l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) les en garde… –, mais pour disposer de droits de tirage leur garantissant une certaine stabilité.
Nous, législateurs, pourrions même imaginer – c’est notre rôle – de contraindre les entreprises qui revendiquent de fournir de l’électricité à garantir 70 % de l’approvisionnement par des contrats à long terme, ce que la Commission européenne a jusqu’à présent toujours refusé.
Vous avez donc un formidable combat à mener, monsieur le ministre, et ce n’est qu’à l’issue de celui-ci que nous pourrons indiquer aux dirigeants d’EDF les opportunités dont il leur faudra se saisir et les risques qu’ils devront assumer.
En somme, la proposition de loi de Philippe Brun sera parfaite dès lors que les règles du jeu seront définitivement connues, mais pour l’heure, elle est prématurée. C’est pourquoi je propose, à titre conservatoire, de confier 100 % du capital à l’État. Laissons l’État et le Parlement faire leur travail en toute responsabilité,…
Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur.
M. Gérard Longuet, rapporteur. … ayons confiance en nos électriciens et faisons d’EDF une fierté nationale ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI et INDEP.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, je demande à chacun des orateurs de bien vouloir respecter leur temps de parole de façon que nous puissions terminer l’examen des propositions de loi inscrites à notre ordre du jour dans le temps contraint dont nous disposons.
La parole est à M. Christian Bilhac.
M. Christian Bilhac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que le doute plane sur l’avenir du groupe EDF et malgré l’abandon du projet Hercule, les députés ont voté la présente proposition de loi visant à la nationalisation du groupe EDF, qui a été rebaptisé par le Sénat proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France d’un démembrement.
Le spectre d’Hercule ne s’est pas totalement dissipé et il continue de nourrir des inquiétudes. Il visait à réorganiser EDF afin de subvenir aux investissements nécessaires pour, d’une part, prolonger la durée de vie du parc nucléaire, d’autre part, développer les énergies renouvelables, sans oublier l’EPR.
Ce projet prévoyait la création de trois entités : la première regroupant les activités nucléaires et de réseaux de transport, la deuxième associant le volet commercial et celui des énergies renouvelables, la troisième incluant les barrages hydroélectriques, au risque de vendre « par appartements » les branches les plus rentables du premier opérateur européen d’électricité.
Selon la formule consacrée, il s’agissait de « socialiser les pertes et de privatiser les profits » ! On comprend mieux les craintes des auteurs du texte.
Nul doute que nous allons connaître, quoi qu’on en dise, une croissance exponentielle du prix et de la consommation d’électricité compte tenu du rythme du développement d’activités très énergivores, telles que le numérique et sa cohorte de serveurs informatiques, et du choix du business model du « tout électrique » pour les véhicules automobiles.
Dans ce contexte aggravé par le contexte européen et international de crise géopolitique, nous devons déterminer nos orientations avec la plus grande prudence. L’État doit garder la maîtrise des équipements stratégiques que sont les infrastructures de production et de distribution d’électricité : elles garantissent l’indépendance énergétique du pays, son dynamisme économique et l’approvisionnement des foyers français.
D’autres facteurs doivent être pris en compte, tels que l’interaction entre les métiers de la filière – elle doit aussi être garantie par la puissance publique. La coordination entre la gestion des barrages hydroélectriques et le refroidissement des centrales nucléaires doit notamment être assurée ; il y va de notre sécurité nationale. Comment faire en cas de privatisation par branche ?
Avant de conclure, j’évoquerai le texte transmis au Sénat. Alors que celui-ci comportait six articles, il n’en compte plus que trois. La majorité sénatoriale l’a vidé de sa substance, au motif qu’il aurait télescopé le rachat par l’État des parts des actionnaires minoritaires, toujours en cours.
Si, comme l’ensemble de mes collègues du groupe du RDSE, je suis favorable à l’amendement tendant à élargir, à l’article 3 bis, le bénéfice des tarifs réglementés à toutes les TPE et commerces de proximité, j’estime que rien ne justifie la suppression de l’article 1er qui prévoyait la renationalisation d’EDF afin de garantir la propriété publique et l’unité du service public de l’énergie.
L’article 2 modifiant le code de l’énergie a lui aussi été vidé de sa substance. Il obligeait à passer par la loi en cas de tentative de privatisation des activités d’EDF, qu’il s’agisse de la production, du transport ou de l’exportation d’électricité ou encore de la prestation de services énergétiques.
À titre personnel, sans rétablissement de l’article 1er à l’issue de nos débats, je ne voterai pas ce texte, car je n’oublie pas l’inquiétude des Français et du Gouvernement face au spectre des coupures d’électricité durant l’hiver qui vient de s’achever.
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous discutons cet après-midi porte sur trois sujets, le dernier étant sans lien direct avec les deux premiers : la nationalisation d’EDF, son possible démembrement et l’extension des tarifs réglementés de vente de l’électricité.
En ce qui concerne le premier point, sans grande surprise, le groupe Les Républicains soutient la position du rapporteur, dont je salue le travail de qualité, qui a proposé la suppression de l’article 1er prévoyant la nationalisation.
Cela ne signifie pas que la question de la garantie de la non-privatisation d’une activité hautement stratégique ne mérite pas d’être considérée. Je vous renvoie, mes chers collègues, aux débats que nous avons eus sur Aéroports de Paris (ADP) à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, dit Pacte.
La souveraineté énergétique de la France repose sur EDF, dont l’État possédait 84 % du capital jusqu’en 2022. Une montée au capital pour passer à 100 % est en cours – le déblocage de 9,7 milliards d’euros de crédits a d’ailleurs été voté dans le cadre du projet de loi de finances rectificative du mois de juillet dernier – sous la forme d’une offre publique d’achat (OPA) simplifiée à un prix de 12 euros par action qui a été validé par le conseil d’administration d’EDF.
L’inconvénient de cette OPA est que la procédure échappe presque totalement au contrôle du Parlement. Les députés du groupe Les Républicains l’ont d’ailleurs souligné, tout en reconnaissant que la nationalisation n’était certainement pas la meilleure réponse à apporter. Nous partageons cette position : l’OPA étant en cours, la nationalisation ne se justifie pas.
Par cette OPA, l’État cherche à se donner les moyens de mettre en œuvre une politique de relance du nucléaire. Nous avons envie de vous croire, monsieur le ministre, même si c’est votre majorité – il faut quand même le rappeler – qui a mis fin au programme Astrid en 2019.
En juillet 2021, notre collègue Stéphane Piednoir, dans un rapport fait au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) – je m’exprime sous le contrôle de son premier vice-président Gérard Longuet – et intitulé L’énergie nucléaire du futur et les conséquences de l’abandon du projet de réacteur nucléaire de 4e génération « Astrid », a mis en évidence les conséquences néfastes de cet abandon pour la stratégie énergétique française.
Si la relance du nucléaire est un défi technique – quel type de réacteurs devons-nous construire ? –, elle constitue surtout un défi financier.
Le groupe EDF est très endetté – sa dette s’élevait à 64,5 milliards d’euros à la fin de l’année 2022 – et les investissements nécessaires au développement du nouveau nucléaire sont considérables, alors qu’il faut en même temps financer le programme de grand carénage, dont le montant s’élève à près de 60 milliards d’euros, tout en tenant compte des impératifs d’adaptation au changement climatique – la commission des finances a travaillé récemment sur ce dernier sujet.
En mars 2021, Bercy estimait que le programme de six EPR2 pourrait coûter, hors frais financiers, entre 52 milliards et 57 milliards d’euros « dans un scénario de bonne maîtrise industrielle », ce montant pouvant atteindre 64 milliards d’euros dans un scénario plus dégradé…
Pouvez-vous nous en dire plus sur la stratégie de financement du Gouvernement, monsieur le ministre ?
J’ai cru lire ou comprendre qu’un appel aux investisseurs étrangers pourrait être envisagé – cela ressort d’une visioconférence à laquelle participait l’ancien patron d’EDF, Jean-Bernard Lévy, en janvier 2021 – ou qu’il pourrait être fait appel aux fonds du Livret A qui sont pour l’heure consacrés au financement du logement social.
Comme vous l’aurez compris, monsieur le ministre, si nous n’avons pas d’opposition à cette offre publique d’achat, nous avons de véritables interrogations sur les modalités de financement de la stratégie qui est menée.
À court terme, la seule question que pose cette OPA est celle du devenir des actionnaires salariés.
Depuis le 8 février 2023, date de clôture provisoire de l’offre, l’État détient près de 95 % du capital d’EDF, alors que 1,17 % du capital social reste détenu par les salariés. Rien n’empêche donc l’État de se retirer de la cote.
La clôture définitive de l’opération a été retardée par un procès des petits actionnaires d’EDF à l’État français, portant notamment sur le prix de rachat des actions, jugé trop faible.
Dans les faits, le prix de rachat, fixé à 12 euros, constitue une prime par rapport à la valorisation du marché à court terme de l’entreprise ; je rappelle qu’au mois de juillet dernier, l’action est descendue à près de 7 euros. Mais les petits actionnaires qui ont acheté l’action à 32 euros pour les non-salariés et à 25,6 euros, en 2005, pour les salariés, subissent une perte nette en capital. En effet, le cours de l’action a été divisé de plus de sa moitié, et l’inflation rend la perte d’autant plus importante.
Ces petits actionnaires, au nombre de 82 000, salariés ou anciens salariés, souhaitent être maintenus au capital ; la justice rendra sa décision dans le procès en cours le 2 mai prochain.
Pour cranter dans la loi le passage d’EDF à 100 % dans le giron de l’État, la commission des finances, sur l’initiative de son rapporteur Gérard Longuet, a inscrit dans la proposition de loi l’objectif d’une détention par l’État de 100 % du capital d’EDF au plus tard au 1er janvier 2024. Le texte issu des travaux de la commission, celui que nous examinons, prévoit que 2 % de ce capital pourrait toutefois être accordé aux salariés ou anciens salariés d’EDF.
Je m’interroge sur la mise en œuvre concrète de cette disposition. En effet, dans la mesure où l’offre publique d’achat prévoit une montée à 100 % du capital par l’État, comment serait-il possible d’en rétrocéder ensuite 2 % aux salariés ?
Je m’interroge aussi sur l’intérêt pour les petits actionnaires de détenir une action non liquide, puisque EDF ne sera plus cotée. Par ailleurs, l’entreprise n’est actuellement pas profitable. En 2022, elle a enregistré une perte de près de 18 milliards d’euros, notamment du fait du mécanisme de l’Arenh, qui doit s’éteindre en 2025. Si l’on ne connaît rien des suites qui seront données, il est certain que celle-ci aura des conséquences très fortes sur la rentabilité du groupe.
Tous ces sujets méritent que l’on en débatte.
En outre, le versement de dividendes sera-t-il possible alors que les besoins d’investissement seront très importants ? Je rappelle qu’EDF emprunte déjà entre 1,5 milliard d’euros et 3 milliards d’euros par an pour verser des dividendes à ses actionnaires. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, depuis 2016, l’État accepte de toucher ses dividendes non plus en cash, mais en actions pour soulager la trésorerie de l’entreprise.
Certes, le Gouvernement a déposé un amendement au texte de la commission. Mais je ne comprends pas bien en quoi un tel dispositif permet de mieux répondre à ces interrogations. Nous aurons l’occasion d’en débattre tout à l’heure.
La question du démembrement d’EDF se pose depuis que le Gouvernement l’avait envisagée en 2019 en lançant le projet Hercule, qui a été abandonné depuis.
Les élus du groupe LR du Sénat n’ont pas d’opposition de principe à ce qui est écrit dans la note d’information à l’Autorité des marchés financiers, à savoir qu’il faut « poursuivre le plan de cessions d’actifs à hauteur d’environ 3 milliards d’euros entre 2022 et 2024 », dès lors que les décisions qui seront prises participeront d’une stratégie d’indépendance énergétique et de décarbonation.
C’est la raison pour laquelle nous soutiendrons la réécriture de l’article 2 : l’État possédera désormais une entreprise qui agit dans le cadre fixé par le code de l’énergie. Cette nouvelle rédaction lève un certain nombre de risques pesant sur les filiales du groupe, notamment RTE.
Enfin, sur l’extension des tarifs réglementés de vente de l’électricité, les députés socialistes avaient prévu une mesure dont le coût est beaucoup trop important, le Gouvernement le chiffrant à 18 milliards d’euros par an. Il est vrai qu’en matière de chiffrage sur le coût des dispositions dans le domaine de l’énergie, nous ne pouvons que nous montrer circonspects depuis l’examen du projet de loi de finances pour 2023, en décembre dernier, et le fameux sous-amendement à 6 milliards d’euros ; nous attendons d’ailleurs toujours les chiffres à l’appui des assertions du Gouvernement, monsieur le ministre. Nous ne vous accordons donc qu’un crédit limité sur le coût de la mesure.
Toutefois, cette mesure reste très onéreuse, puisque s’applique l’article 13 du règlement européen du 6 octobre 2022, en vertu duquel l’État doit indemniser les fournisseurs dès lors qu’ils vendent à perte.
Enfin, l’extension aux ETI est contraire au droit européen, les aides d’État temporaires n’étant possibles que pour les TPE-PME.
En revanche, nous souscrivons à l’objet de cette mesure, qui était, dans l’esprit de ses auteurs, d’apporter une réponse aux petites entreprises, en particulier aux boulangers, mais aussi aux collectivités, dont certaines se trouvent exclues des tarifs réglementés, alors même qu’elles remplissent les critères de chiffre d’affaires, de budget ou de nombre de salariés pour y prétendre. Dans les deux cas, il s’agit de pouvoir disposer d’une puissance installée forte, qu’il s’agisse de faire fonctionner une pompe à chaleur pour les collectivités ou bien un four pour les boulangers.
La solution qui consiste à supprimer la mention de 36 kilovoltampères (kVA) est très pertinente. Elle aurait d’ailleurs pu être mise en œuvre bien plus tôt, car elle relève du niveau réglementaire. Il aurait été bien plus facile de faire évoluer une mesure réglementaire que de corriger la loi.
À l’instar de ce que mon collègue Daniel Gremillet avait pu dire en ouverture de l’examen du projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, je ne peux que déplorer le manque de vision d’ensemble sur l’avenir de notre politique énergétique. Depuis quelques mois, nous empilons des briques, sur le nucléaire, sur les énergies renouvelables, aujourd’hui sur EDF, sans disposer d’aucun plan pour le mur que nous cherchons à construire.
Mme la présidente. Il faut conclure, madame Lavarde.
Mme Christine Lavarde. C’est faire les choses à l’envers. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus.
M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la particularité d’une entreprise nationale est que sa stratégie dépend du calendrier électoral. Il me semble utile de rappeler cette évidence en préambule, alors que des éloges de l’État actionnaire vont fuser à gauche comme à droite de l’hémicycle.
Or les cycles d’investissement industriel s’inscrivent dans le temps long. Ils s’accordent mal avec le calendrier électoral.
Aujourd’hui, un consensus politique s’est pourtant formé autour de la nationalisation d’EDF. Ce point d’accord est un fait rare, car en matière de politique énergétique, l’accord est l’exception, et le désaccord la règle.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, il n’y a eu que deux grands accords historiques. Le premier est le Conseil national de la Résistance. Les auteurs de la proposition de loi s’y réfèrent abondamment, et nos collègues socialistes saluent l’œuvre du général de Gaulle avec une ferveur qui, je l’avoue, ne laisse pas insensible.
Le second accord historique est le virage du tout nucléaire dans le cadre du plan Messmer de 1974 : une grande année ! (Sourires.)
M. Jean-François Husson. L’élection de Valéry Giscard d’Estaing !
M. Emmanuel Capus. Je ne pensais pas à cela.
La France s’est alors engagée dans la construction du plus grand parc nucléaire au monde. Ce développement industriel n’a pas été remis en cause par les gouvernements suivants. Cette remarquable constance a permis à EDF de bâtir un actif stratégique hors du commun, qui a très largement contribué à la prospérité de la France, grâce à une électricité abondante et peu chère.
Pour justifier la nationalisation d’EDF, les auteurs du texte dressent le parallèle entre la France de 2023 et celle de 1946. Mais, à vrai dire, mes chers collègues, la situation actuelle ressemble bien plus au premier choc pétrolier qu’à la Seconde Guerre mondiale : la crise énergétique découle d’une guerre qui ne se produit pas sur notre sol, mais dont nous subissons indirectement les conséquences et qui nous oblige à agir.
D’ailleurs, comme il y a cinquante ans, la Nation se rassemble aujourd’hui autour d’un objectif : garantir la souveraineté énergétique en construisant de nouveaux réacteurs. C’est tout le projet du Gouvernement, qui a annoncé reprendre la possession d’EDF, afin de garder la maîtrise du parc nucléaire.
Nos collègues socialistes reprochent encore au Gouvernement de nationaliser EDF pour mieux la saucissonner. C’est fort de café, alors que c’est la gauche qui a orchestré la mise à mal de la filière nucléaire française sous François Hollande ! (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Dans la mesure où l’on sait depuis 2015 qu’il suffit d’une loi pour fragiliser l’avenir de notre industrie nucléaire, je ne suis pas certain qu’une proposition de loi pourra garantir quoi que ce soit.
Pour moi, les choses sont claires : le Gouvernement veut nationaliser EDF, et le Parlement soutient cette initiative. Le reste n’est que spéculation sur l’avenir.
Sur l’initiative de notre rapporteur Gérard Longuet, la commission des finances a largement réécrit le texte, et je salue ses travaux. Notre groupe préfère nettement cette nouvelle mouture, qui a le mérite de limiter la portée législative du texte.
Cette version a également le mérite de mettre en conformité la proposition de loi avec le droit européen. Alors que l’Europe a plus que jamais besoin d’union face à la Russie, face à la Chine et même parfois face à nos alliés américains, il ne s’agit pas là d’un simple détail.
Pour toutes ces raisons, les élus du groupe Les Indépendants – République et Territoires partageront leurs voix entre un vote favorable et l’abstention.