M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 10 rectifié, présenté par M. Folliot, est ainsi libellé :
Après l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi est mis en place un conseil organisant la répartition des secrétaires de mairie par zones territoriales, avec l’appui des acteurs issus des collectivités territoriales et des représentants de secrétaires de mairie.
La parole est à M. Philippe Folliot.
M. Philippe Folliot. Cela a été dit : au regard de la classification par âge des secrétaires de mairie, nombre d’entre elles partiront à la retraite dans les années à venir. Il y a donc lieu d’anticiper la situation.
En liaison avec les représentants des collectivités, il s’agit de fixer un cadre favorisant la modification de la composition du corps des secrétaires de mairie.
Il est donc proposé de mettre en place une instance d’échanges entre les élus et les représentants de secrétaires de mairie.
Une association nationale de secrétaires de mairie est en train de se structurer. Elle est déjà implantée ou en cours d’implantation dans un certain nombre de départements. C’est un point d’autant plus important que cette association se montre particulièrement positive.
Madame la rapporteure, les CAP visent plutôt à traiter des situations individuelles. C’est en tout cas la réalité du terrain. (Mme le rapporteur acquiesce.)
Au travers de ces amendements, je propose un cadre plus collectif pour des enjeux spécifiques aux secrétaires de mairie, qui ne seront pas forcément solubles dans les autres instances.
Nous l’avons dit et répété au cours de ce débat : les secrétaires de mairie exercent une fonction particulièrement singulière, qui mérite d’être traitée comme telle.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Monsieur Folliot, je veux d’abord répondre à votre dernière interrogation. Vous avez raison : les commissions administratives paritaires traitent des cas individuels ; les comités sociaux territoriaux, des sujets collectifs. Au sein d’un CST, il peut tout à fait y avoir un groupe de travail où sera abordé le sujet spécifique des secrétaires de mairie, de leur métier et de leurs fonctions ; ce groupe pourrait formuler des propositions. On peut ainsi répondre au problème que vous soulevez. Le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale peut aussi jouer un rôle en ce sens.
Concernant votre amendement, vous avez également raison de pointer les importantes difficultés de recrutement. En la matière, les centres départementaux de gestion sont les tiers de confiance privilégiés des communes, notamment rurales, qui y trouvent un appui important. Actuellement, ces centres peuvent mettre des agents à disposition des communes pour remplacer les secrétaires de mairie quand ceux-ci vont suivre une formation, même si cela peut être développé.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Ils le font !
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Certes, mais ils n’ont pas toujours les moyens nécessaires. Je sais toutefois que certains centres de gestion sont en train de recruter des agents ou de les former aux fonctions de secrétaire de mairie spécifiquement pour répondre aux attentes des collectivités en la matière.
N’oublions pas que les petites communes sont vraiment au cœur du métier et de l’attention des centres de gestion, auxquels il faut vraiment faire confiance pour offrir des remplacements ou embaucher des secrétaires de mairie itinérants et les mettre à la disposition des communes.
Dès lors, créer un conseil ad hoc pour trouver une solution à ce problème, comme il est proposé dans cet amendement, ne me paraît pas pertinent.
Je vous demande donc de bien vouloir retirer cet amendement ; à défaut, l’avis de la commission serait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stanislas Guerini, ministre. Il est en tout point identique à celui que vient d’exprimer Mme la rapporteure, monsieur le président !
M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac, pour explication de vote.
M. Christian Bilhac. J’ai, moi aussi, suivi la formation menant au diplôme d’études supérieures d’administration municipale – il y a fort longtemps, je ne vous le cache pas ! (Sourires.) En ma qualité de président de centre de gestion, délégué départemental du CNFPT, j’ai mis en place des formations initiales de secrétaire de mairie. Dans les deux cas, même si la première formation était d’un niveau bien supérieur, il s’agissait de formations théoriques. Quand un agent ayant suivi l’une d’entre elles débarque dans une commune rurale, où il est seul – il faut garder à l’esprit cette solitude du secrétaire de mairie –, il a tant de sujets à traiter, tant de compétences à maîtriser, tant de dossiers à connaître, que le défi est presque impossible à relever, même avec une formation initiale.
Pour ma part, je n’ai pas déposé d’amendement similaire à celui de M. Folliot, parce qu’il me semble que ce problème relève plutôt du domaine réglementaire.
En 1998, alors que j’étais maire, ma secrétaire de mairie m’a informé de son souhait de partir à la retraite en 2001. Il existait alors un dispositif connu sous le nom d’« emplois-jeunes ». J’ai donc recruté une personne sous un tel contrat, largement pris en charge par l’État. Pendant trois ans, cette personne, qui était déjà titulaire d’un diplôme d’études approfondies (DEA) en administration, a pu perfectionner sa formation pratique sur la gestion d’une commune : auprès de la secrétaire de mairie qui allait partir à la retraite, elle a appris le côté pratique du métier, jusqu’à en maîtriser toutes les difficultés quotidiennes. Eh bien, je dois vous dire qu’en 2001, quand ma secrétaire de mairie, avec qui je travaillais depuis vingt ans, est partie à la retraite, j’ai certes eu un peu de peine, mais le fonctionnement de la mairie n’en a nullement été affecté, car depuis trois ans quelqu’un apprenait le métier sur le tas.
Je vous propose donc, monsieur le ministre, de réfléchir à cette piste de recrutements en contrats aidés ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Hussein Bourgi, pour explication de vote.
M. Hussein Bourgi. Je veux apporter quelques éléments de réponse à notre collègue Philippe Folliot sur l’instance de répartition qu’il propose et qui ne me convainc pas.
Vous savez qu’une question similaire se pose régulièrement au sujet de l’installation des médecins libéraux, pour lutter contre la désertification médicale. On nous oppose ici les mêmes arguments sur l’impossibilité d’une coercition. Je ne vois pas de quelle manière, avec quels outils, on pourrait répartir de manière autoritaire les secrétaires de mairie.
En revanche, je souhaite porter à votre connaissance, mes chers collègues, qu’une expérimentation a été mise en place dans la région Occitanie, avec le concours de l’Association des maires de France, pour recenser auprès de tous les maires du département les secrétaires de mairie qui vont partir à la retraite ou connaître des changements de poste à la suite d’une mutation.
Ainsi, lorsque nous mettons en place des formations initiales pour les personnes sélectionnées par Pôle emploi, à la fin de cette formation, nous pouvons remettre à chaque personne qui l’a suivie une liste de plusieurs dizaines de communes qui ont besoin, à l’instant t ou dans les semaines qui suivent, d’un secrétaire de mairie parce que le poste est vacant ou le sera très bientôt. Cela permet aux candidats de voir où postuler par bassin territorial au sein du département, ou de départements voisins. Cela nous permet aussi d’assurer une répartition territoriale qui soit la plus équitable et la plus efficiente possible. On répond ainsi au frein de la mobilité : un secrétaire de mairie qui habite dans l’Hérault, mais dans une commune proche de la frontière de l’Aude ou du Tarn, peut aussi postuler dans l’un de ces départements ; il n’y a pas de cloisonnement administratif entre nous.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 10 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Intitulé de la proposition de loi
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 2, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :
Remplacer les mots :
métier de secrétaire de mairie
par les mots :
statut de collaborateur communal ou collaboratrice communale
Cet amendement a été précédemment retiré.
L’amendement n° 5 rectifié, présenté par MM. Bourgi, Cardon, Durain et Kerrouche, Mme Harribey, MM. Sueur, Marie et Kanner, Mme de La Gontrie, M. Leconte et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après le mot :
secrétaire
insérer le mot :
général
La parole est à M. Hussein Bourgi.
M. Hussein Bourgi. Je le retire, monsieur le président !
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour explication de vote.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Je veux avant tout remercier le groupe CRCE d’avoir demandé l’inscription de ce texte à notre ordre du jour, ainsi que la commission des lois pour le travail qu’elle a accompli.
Aujourd’hui, nous avons l’occasion de rendre hommage à l’action de ces secrétaires de mairie, véritables piliers de notre action communale et petites mains de la République.
Beaucoup d’initiatives locales très intéressantes méritent d’être démultipliées, comme Mme la rapporteure l’a souligné. J’ai notamment en tête ce qui se fait, dans l’Yonne, avec l’Aseamas, l’Association des secrétaires et employés de mairie de l’arrondissement de Sens, dont les adhérents peuvent croiser leurs regards et échanger leurs expériences. Indéniablement, nous avons besoin d’une extension de tels dispositifs, dont le maillage ne couvre pas même tout le département, ce qui est loin d’être un cas unique en France.
Il est important, au travers de ce texte, de conforter les vocations et l’attractivité de ce métier. Ayons aussi à l’esprit que les secrétaires de mairie d’aujourd’hui sont souvent les élus de demain. Il se trouve que j’ai fait mes gammes de conseiller municipal à Vallery, sous l’égide de sa maire d’alors, Annie Serdin, qui avait auparavant – seize ans durant – été secrétaire de mairie de la commune. J’ai aussi en tête Isabelle Poulin, maire des Clérimois, qui avait été, pendant quarante et un ans, secrétaire de mairie à Fontaine-la-Gaillarde. Nous sommes donc là face à un vivier de femmes et d’hommes tout prêts à s’engager.
Ce texte n’est pas un point d’arrivée ; c’est un point de départ. Il comprend des dispositions pour la formation et l’avancement. Le travail va se poursuivre sur le sujet des indemnités, ou encore sur la dénomination de ce métier. Je me réjouis que nous puissions continuer sur cet élan, notamment grâce à notre mission d’information sur l’avenir de la commune et du maire en France. D’autres éléments figureront peut-être dans le prochain projet de loi de finances.
Surtout, j’ai entendu l’engagement plein et entier sur ce sujet de M. le ministre, dont je sais combien il est attaché à mener à bien ce chantier. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, pour explication de vote.
Mme Laure Darcos. Je voudrais à mon tour saluer l’initiative de Céline Brulin, ainsi que le travail de notre rapporteure. Je suis très heureuse que nous puissions adopter ce texte et, ainsi, rendre hommage à des femmes et à des hommes qui sont le ferment de nos petites communes.
Il a déjà été relevé à plusieurs reprises, monsieur le ministre, qu’au-delà de la relation très humaine très importante entre maire et secrétaire de mairie – un tandem très fort –, ce dernier doit faire face à des tâches extrêmement difficiles, notamment quand il faut remplir les dossiers très complexes de demande de subvention. À cette époque de l’année se réunissent les commissions chargées de la répartition de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) ou encore de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL). Le Gouvernement nous a beaucoup vendu le nouveau fonds vert, mais ce sont autant d’études et de manipulations très complexes. Les dossiers à constituer pour le Feader ont été évoqués ; peu nombreux sont ceux qui arrivent à le faire ! S’y ajoutent encore les contrats de territoire… En somme, on fait peser sur ces personnes une pression énorme quand elles doivent aider leur maire à remplir ce genre de dossiers.
Je sais que, quand un poste de secrétaire de mairie est vacant, une solidarité se crée. J’étais il y a quelques jours dans une mairie sans secrétaire depuis trois ou quatre mois ; les communes voisines se mobilisent pour lui prêter main-forte. Il s’agit d’un poste crucial, il faut donc tout faire pour les aider.
Je suis donc très heureuse que, aujourd’hui, nous puissions leur rendre hommage au travers de ce texte.
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour explication de vote.
M. Olivier Jacquin. Je tiens, moi aussi, à féliciter nos collègues du groupe communiste d’avoir attiré notre attention, à juste titre, sur ce métier magnifique et indispensable.
Je veux aussi porter brièvement témoignage de l’expérience menée dans ce domaine par la communauté de communes Mad et Moselle, qui regroupe une cinquantaine de petites communes. Un service mutualisé de secrétariat a été mis en place il y a dix ans, dont bénéficient aujourd’hui trente communes qui ne rencontrent plus de problèmes d’attractivité pour le métier de secrétaire de mairie, bien au contraire. C’est sur l’initiative de son directeur général des services très créatif, le Vosgien Jean-Charles de Belly, qu’a été créé ce service. Un diplôme universitaire de secrétaire de mairie a également été créé, en partenariat avec le centre de gestion départemental ; son taux d’insertion professionnelle dépasse 90 %.
Cette communauté de communes a aujourd’hui une idée assez originale, que je tiens à vous présenter : une mairie virtuelle, à l’échelle de toutes ses communes. Viendraient s’ajouter à l’accueil physique en mairie un numéro de téléphone et un site internet uniques qui permettraient de répondre aux citoyens du lundi au samedi, de huit heures du matin à huit heures du soir. C’est une initiative extrêmement intéressante, qui mériterait, monsieur le ministre, d’être encouragée.
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.
Mme Céline Brulin. Mes chers collègues, je voudrais vous remercier par avance pour le vote qui semble se dessiner au sein de notre assemblée. Je remercie en particulier Mme la rapporteure, avec qui nous avons travaillé avec confiance et loyauté.
L’adoption de cette proposition de loi devra bien être le point de départ d’un travail qui doit se poursuivre – vous le reconnaissez vous-même, monsieur le ministre – sur des champs assez vastes.
On a évoqué la formation ; je n’y reviendrai pas, sinon sur un point qui a déjà été relevé à juste titre par plusieurs orateurs : les secrétaires de mairie, aujourd’hui, effectuent cette formation sur leur temps libre, ou en fermant la porte de la mairie. C’est un sujet à part entière, qu’il faudra traiter.
Il ne faudrait pas se méprendre, monsieur le ministre : secrétaire de mairie, c’est un véritable métier, mais le statut de la fonction publique est très fécond. Ce n’est pas nous, modestes continuateurs d’Anicet Le Pors, l’un de vos illustres prédécesseurs à ce ministère, qui dirons le contraire. Françoise Gatel a déclaré qu’il fallait attirer les vocations et les fidéliser ; Véronique Del Fabro a dit : « Les élus passent, mais les secrétaires de mairie restent. »
Mme Jocelyne Guidez. Tout à fait !
Mme Céline Brulin. On voit bien que le statut de la fonction publique, dans ce qu’il a de meilleur, peut assurer cette fidélisation, tout en permettant des évolutions de carrière.
Enfin, monsieur le ministre, je voudrais prendre date avec vous. Après que nous vous avons interpellé, vous avez évoqué le prochain projet de loi de finances. Je pense que nous serons tous d’accord ici pour retenir cette échéance pour l’adoption de mesures significatives, qu’il faudra examiner avec intelligence.
Il faudra en tout cas explorer la piste de la bonification indiciaire, car les 15 points supplémentaires octroyés depuis un an, ce n’est que 70 euros mensuels, ce qui ne suffit même pas aujourd’hui pour payer un plein d’essence. Or on sait combien de kilomètres les secrétaires de mairie doivent faire chaque semaine pour se rendre d’une mairie où elles exercent à l’autre.
Voilà des pistes sur lesquelles nous continuerons de travailler ensemble. L’adoption de ce texte sera en tout un premier point d’appui. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes RDPI, UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Cédric Vial, pour explication de vote.
M. Cédric Vial. Je me félicite de l’adoption imminente de cette proposition de loi, grâce à laquelle le sujet des secrétaires de mairie a été mis sur la table.
On a vu qu’un consensus s’est déjà formé sur certains points : d’abord, pour rappeler que la fonction de secrétaire de mairie est essentielle pour nos territoires, mais aussi qu’il appartient à l’État, en lien avec les collectivités, de s’assurer de la continuité de l’administration sur l’ensemble du territoire national.
Il y a aussi consensus quant à la nécessité de prendre ce problème à bras-le-corps. Des solutions doivent être trouvées ; la plupart seront probablement d’ordre réglementaire.
Il y a enfin consensus sur le fait qu’être secrétaire de mairie, c’est un vrai métier et non une fonction comme une autre. C’est un beau métier, qui a tous les atouts pour être attractif : c’est un métier polyvalent, de contact, où l’on trouve des solutions. Ce métier n’est pas uniquement administratif : il est stratégique. Le secrétaire de mairie est la seule personne à prendre une part aussi active que le maire à la vie de la commune.
Il faut donc avancer, en travaillant à la reconnaissance de ce métier dans ses différentes formes, au statut et à la formation. Celle-ci devrait peut-être être moins académique que celle qui est proposée aujourd’hui ; elle doit être pratique, autour des gestes du quotidien, c’est ce qu’attendent les secrétaires de mairie. Il faut leur offrir un accompagnement, car c’est quand on est confronté aux problèmes qu’on a besoin de trouver une solution et non au cours d’une formation initiale académique.
Enfin, leurs conditions de travail doivent être améliorées.
Les sujets sont aujourd’hui sur la table. Il va falloir se pencher dessus avant de refermer le dossier : c’est un enjeu majeur pour la vie de nos territoires ruraux. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. En complément de ce qu’a exposé ma collègue Céline Brulin, je veux tout d’abord remercier tous les membres de notre assemblée qui ont participé à notre débat. Si celui-ci est nourri, c’est parce que nous avons toutes et tous conscience du caractère indispensable des secrétaires de mairie, dont le travail est intrinsèque à la vie communale.
Monsieur le ministre, vous avez dit tout à l’heure, avec une pointe d’ironie, que nous avons encore besoin de travailler sur ce sujet ; au-delà de l’ironie, c’est une réalité que nous reconnaissons. Non seulement il faut encore y travailler, mais il faudra aussi des financements à la hauteur. Nous ne voudrions pas ici – je pense m’exprimer au nom de notre assemblée entière en le disant – donner le sentiment qu’en améliorant le statut et les revenus des secrétaires de mairie, pour la qualité de leur travail, on affecterait gravement demain les finances communales.
Nous nous retrouverons donc sur ce sujet lors de l’examen du prochain projet de loi de finances, comme vous nous y avez invités. D’ici là, les travaux de notre délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation et, en particulier, de Cédric Vial sur ce sujet auront sans aucun doute progressé. Nous prendrons donc d’autres rendez-vous pour faire avancer cette réflexion.
Le présent texte est bien un point de départ pour atteindre l’objectif que nous avions, avec Céline Brulin, en rédigeant cette proposition de loi : non seulement reconnaître le travail de ces secrétaires de mairie, mais surtout prendre en compte ces hommes et ces femmes de l’ombre, autrement que par la remise de médailles, dans toutes nos réflexions. Cela méritait bien un temps de travail législatif. À ce propos, je veux une dernière fois remercier Mme la rapporteure d’avoir permis à ce texte d’être discuté et adopté ce matin. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, INDEP et UC.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi visant à revaloriser le métier de secrétaire de mairie.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents. (Applaudissements.)
3
Maîtrise de l’organisation algorithmique du travail
Rejet d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe communiste écologiste républicain et citoyen, de la proposition de loi relative à la maîtrise de l’organisation algorithmique du travail, présentée par M. Pascal Savoldelli, Mmes Cathy Apourceau-Poly et Laurence Cohen, et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 770 [2021-2022], résultat des travaux de la commission n° 478, rapport n° 477).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Pascal Savoldelli, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. Pascal Savoldelli, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens, en ouverture de mon propos, à saluer les mobilisations sociales qui se tiennent partout en France aujourd’hui.
Si je le fais, c’est parce que les enjeux de la réforme des retraites et ceux de l’ubérisation sont, en réalité, très liés. Je vous rappelle, mes chers collègues, que requalifier en salariés les travailleurs des plateformes permettrait de rapporter 1,45 milliard d’euros à la sécurité sociale et aux régimes de retraite, par leurs cotisations.
La proposition de loi que notre groupe communiste républicain citoyen et écologiste vous soumet aujourd’hui s’inscrit, vous le savez, dans le prolongement de plusieurs années d’engagement, aux côtés d’acteurs sociaux, syndicaux, universitaires et politiques, mobilisés aux côtés des travailleurs et travailleuses des plateformes numériques de travail.
Avec mon collègue Fabien Gay, nous avions déjà, au sein du collectif Pédale et tais-toi !, rencontré des livreurs qui nous avaient décrit la réalité et, surtout, la précarité de leur situation. Entendons-nous : nous parlons ici de travailleurs dits « indépendants », mais économiquement dépendants.
Cette précarité est le fruit d’un modèle économique, celui du capitalisme de plateformes, dont le cœur de l’action repose sur un contournement des règles, notamment du droit du travail, mais aussi de la concurrence, par le biais du management algorithmique. Ce modèle économique entraîne un retour au temps d’avant le contrat de travail, à une époque où les risques reposaient uniquement sur les travailleurs, où ceux-ci n’avaient aucun pouvoir et où les normes sociales n’existaient pas. En misant sur le concept d’« indépendant à faux statut », les plateformes numériques recréent l’organisation et la rétribution du travail à la tâche, grâce à un management algorithmique que je juge brutal et injustifiable.
Mes chers collègues, à l’heure où nous ne pensons plus le travail qu’au prisme de la valeur qu’il produit, il est temps de faire le point sur les coûts de cette production !
Ces coûts, ils s’appellent Franck Page, 18 ans, étudiant et coursier pour Uber Eats. Le soir du 17 janvier 2019, il livrait un repas à vélo lorsqu’il trouva la mort, renversé par un camion. Uber Eats estime que ce décès n’est pas de sa responsabilité : un dramatique accident de la route, mais pas un accident du travail. Pourtant, cet itinéraire lui avait été imposé par la boîte noire, l’algorithme – ce même algorithme qui le menaçait de le déconnecter s’il n’allait pas assez vite.
Il s’agit ici d’un coursier, une figure parmi les plus visibles de l’ubérisation. Pourtant, ce modèle touche à tous les pans de l’économie : le transport, les services à domicile, ou encore les microtravailleurs du clic, ces tâcherons qui se trouvent parfois à l’autre bout du monde pour réaliser des microtâches invisibles, pour entraîner la machine.
Mes chers collègues, ce management désincarné, déshumanisé doit cesser. Il s’assoit sur la loi et sur le droit des travailleurs. Le flou règne sur l’algorithme qui attribue les commandes, évalue leur réactivité, calcule le parcours et le temps de trajet à réaliser. Ce même flou forme comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête des livreurs, les poussant à aller toujours plus vite. Ce flou ne laisse d’autre choix aux livreurs que la pression de la déconnexion, brutale et injustifiable. C’est un flou rythmé par l’injustifiable, par l’immédiateté : peu importe la sécurité et le bien-être de celui que l’on note d’une ou plusieurs étoiles au gré de nos envies.
La boîte noire de l’algorithme n’est pas un simple outil, dénué d’intention politique. Elle est le fruit de décisions de ses fondateurs, qui orientent les comportements des travailleurs inscrits sur ces plateformes. Le management algorithmique constitue de fait, pour de nombreuses plateformes numériques de travail, un outil de contrôle, de direction et de sanction.
Le travail que nous avons mené, collectivement, au sein de la mission d’information sur l’ubérisation de la société va également dans ce sens. Son rapport, fruit d’un travail de plus de trois mois, sous la présidence de notre collègue Martine Berthet, qui a notamment donné lieu à l’audition de plus de soixante acteurs, a été voté à l’unanimité.
Y sont formulées plusieurs recommandations portant sur la nécessité de mieux réguler, mais aussi d’exiger davantage de transparence des algorithmes de ces plateformes numériques de travail.
Je prends pour exemple la recommandation n° 9, dont je rappelle qu’elle a été adoptée à l’unanimité : « Engager une réflexion pour adapter le droit du travail aux spécificités du management algorithmique et à ses conséquences sur les conditions de travail. »
Alors que l’algorithme est devenu le contremaître des temps modernes, il convient de rattacher la décision algorithmique à l’ordre patronal.
Contrairement au discours des plateformes, l’algorithme n’est pas un outil neutre, dépourvu de subjectivité. Une décision comprend toujours une part de subjectivité, même lorsqu’elle est automatisée.
Il subsiste donc un risque de standardisation des critères de gestion du personnel, mais également un risque de discrimination, si l’on intègre dans un algorithme le sexe, l’âge, ou encore le lieu de résidence.
Par la présente proposition de loi, nous proposons donc un nouvel angle d’attaque pour la requalification du statut des travailleurs des plateformes numériques.
En effet, il faut savoir qu’aucun texte de droit public ni de droit privé ne définit à proprement parler la notion de « salariat ». Ce statut découle directement de la relation de subordination qui en est constitutive. C’est pourquoi cette proposition de loi tend à mettre à jour la relation de subordination existante entre l’algorithme « donneur d’ordre » et le travailleur ou la travailleuse d’une plateforme numérique.
Il est extrêmement important d’œuvrer à l’ouverture de la boîte noire de l’algorithme. Son opacité est problématique, en particulier pour les travailleurs et travailleuses concernés : un rapport du Défenseur des droits et de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) du mois de mai 2020 alertait déjà sur cet angle mort du débat public.
Les exemples de dérives et de discriminations découlant des algorithmes sont nombreux, sur une grande diversité de plateformes. Ainsi, on relève des cas de déconnexions abusives, chez des plateformes comme Deliveroo, à la suite de mobilisations sociales, déconnexions pouvant s’apparenter à de la répression syndicale, comme cela avait été documenté par l’émission Cash Investigation, ou encore de discriminations à l’embauche entre femmes et hommes chez Amazon. Ce ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres.
L’un des leaders de la lutte des conducteurs de voitures de transport avec chauffeur (VTC), Brahim Ben Ali, nous disait hier que le discours d’Uber en réponse à leur demande d’une plus grande transparence algorithmique était simplement celui-ci : « On ne va pas vous donner le secret de notre algorithme, ce serait comme donner la recette de Coca-Cola ! »
Peut-être, mais le secret des affaires ne peut pas justifier que l’on contourne un nécessaire encadrement des conditions de travail et fasse naître des risques de discriminations. Nous ne parlons pas d’une boisson, ici : nous parlons des vies humaines de centaines de milliers de travailleurs et travailleuses !
Nous allons vers la fin de la hiérarchie et du salariat, tout en maintenant une subordination accrue et renouvelée dans l’esprit de la start-up : chacun devient son propre employeur, une entreprise de soi… Mais où est l’utilité sociale d’un travail ? De quoi parle-t-on quand il est question de la valeur travail et, je dirais même, de la valeur humaine ?
Alors, mes chers collègues, ne faisons pas comme pour les avions : n’attendons pas un crash pour ouvrir la boîte noire !
L’algorithme n’est ni plus ni moins qu’un contrat de travail, mais c’est un contrat dont les premiers concernés n’ont pas accès aux informations les plus fondamentales, qui concernent directement leurs conditions de travail. Les travailleuses et les travailleurs des plateformes numériques ont pourtant besoin de ce « code source », autrement dit d’être informés de l’intervention humaine qui se trouve à la source de leur subordination à cet ordre algorithmique, à cette machine qui décide à quel moment vous êtes rentable, faisant de ces travailleuses et de ces travailleurs des tâcherons corvéables à merci.
L’algorithme a aujourd’hui investi tous les pans de notre société, qu’il s’agisse de Parcoursup pour les étudiants, avec tous les problèmes de sélection qu’il a pu poser, ou de la sélection de curriculum vitae pour le recrutement par certaines entreprises, qui s’apparente parfois à de la discrimination.
Il est donc crucial de regarder de près ce qu’il s’y passe ; c’est tout le sens de cette proposition de loi.
Son article 1er définit l’algorithme, juridiquement, comme un pouvoir de direction et de contrôle, lorsqu’il joue un rôle dans la subordination à un employeur de ses employés.
L’article 2 vise à engager la responsabilité de l’employeur, en prévoyant l’obligation pour ce dernier de démontrer que l’algorithme n’est pas source de discrimination.
Enfin, l’article 3 précise la différence entre une simple plateforme de mise en relation et une plateforme jouant un rôle effectif d’employeur.
Avec cette proposition de loi, nous proposons humblement de maintenir ouvert le débat sur cette question, sans prétendre apporter une réponse à tout. Il s’agit avant tout de maintenir le débat ouvert, à l’échelon national, car nous savons que le projet de directive européenne sur cette question va dans le même sens. Cette directive constitue une belle avancée pour les droits des travailleurs des plateformes, confirmant une présomption de salariat et permettant de lutter contre le travail dissimulé. Nous la défendons.
Pour autant, la France se pose plutôt comme le défenseur des lobbies des plateformes, comme en témoigne l’affaire UberFiles. Nous devons donc maintenir la pression, car ce management algorithmique est aujourd’hui le plus grand cheval de Troie néo-libéral, qui finira par s’inviter dans toutes les formes de management au travail.
Je vous invite donc fortement, mes chers collègues, à voter cette proposition de loi.
Ainsi, la France s’honorerait en reconnaissant les droits des travailleurs de plateforme avant même la fin du processus législatif européen. Cette proposition de loi constitue un nouveau jalon, important, sur un chemin qui reste encore long, pour protéger les travailleurs et travailleuses des plateformes, mais également les entreprises et les commerces en proie à la concurrence déloyale des plateformes numériques de travail, qui ne respectent pas les règles du jeu. Osons nous donner les moyens d’accomplir cet objectif ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)