TRAVAUX DE LA COMMISSION
I. AUDITIONS RELATIVES AUX DISPOSITIONS DU TRAITÉ D'AMSTERDAM
1. M. Laurent Cohen-Tanugi, avocat international : les dispositions du traité relatives aux questions institutionnelles
Le
présent exposé porte sur les dispositions du traité
d'Amsterdam relatives aux questions institutionnelles et aux
"coopérations renforcées".
Ce sujet ne peut être appréhendé pertinemment sans un bref
retour en arrière. La Conférence intergouvernementale (CIG) de
1996, qui a produit le traité d'Amsterdam, avait été
initialement programmée par le traité de Maastricht en vue
d'approfondir certains sujets laissés en suspens par ce traité,
notamment en matière institutionnelle. Par la suite, les carences du
traité de Maastricht dans les domaines de la politique
étrangère et de sécurité commune (PESC) et de la
coopération judiciaire et policière ("troisième pilier"),
la montée de l'euroscepticisme dans l'opinion, l'incapacité des
Douze à réformer les institutions avant l'entrée de
l'Autriche, de la Suède et de la Finlande, et enfin la perspective du
grand élargissement vers l'Est, ont conduit à investir la CIG
d'une triple mission, de nature largement institutionnelle :
- améliorer l'efficacité des politiques européennes,
notamment dans les deuxième et troisième piliers ;
- combler le "déficit démocratique" ;
- enfin et surtout, reformer le système institutionnel de l'Union dans
la perspective d'un élargissement à vingt-cinq, voire trente
Etats membres.
Ce dernier objectif était largement considéré comme le
plus important, notamment en France, où la réforme des
institutions a toujours été un préalable indispensable
à l'élargissement.
A mesure que s'amenuisaient les chances de parvenir à une réforme
institutionnelle d'ensemble fut mis en avant, notamment par la France et
l'Allemagne, le thème des "coopérations renforcées",
destinées à permettre aux Etats souhaitant aller plus loin sur la
voie de l'approfondissement de le faire sans se heurter à l'opposition
des autres Etats membres. A défaut de réforme globale, les
coopérations renforcées apparaissaient ainsi comme l'instrument
susceptible de donner naissance à un "noyau dur" ou à une
"avant-garde" de l'Union ayant vocation à entraîner l'ensemble, ou
encore à une "Europe à géométrie variable".
A la lumière de ces objectifs, force est de constater que le
traité d'Amsterdam a totalement failli à sa mission de
réforme institutionnelle et grandement réduit la portée
des coopérations renforcées. De surcroît, les Quinze ont
arrêté dans un protocole annexé au traité un
calendrier de réforme institutionnelle contradictoire avec l'objectif
d'un renforcement des institutions préalable à
l'élargissement vers l'Est.
I
.
L'apport du traité d'Amsterdam en matière
institutionnelle et en matière de coopération renforcées
A. Dispositions institutionnelles
Comme on l'a exposé plus haut, la réforme des institutions de
l'Union -nécessaire tant dans un souci d'approfondissement et
d'efficacité plus grande des politiques existantes qu'en vue de
compenser les effets dilutifs de l'élargissement-, a été
totalement ignorée par le traité en raison de l'incapacité
des Quinze à s'entendre sur des sujets hautement conflictuels.
Parmi les questions les plus importantes dans ce domaine figuraient sur
l'agenda de la CIG :
- l'extension du vote à la majorité qualifiée au Conseil
et de la procédure de codécision entre Conseil et Parlement
européen ;
- la modification de la pondération des voix des Etats membres au
Conseil, en vue de corriger le déséquilibre actuel en
défaveur des grands Etats ;
- la réduction du nombre des commissaires ;
- la réforme de la présidence de l'Union ;
- l'assouplissement de la règle de l'unanimité aux fins de
révision du traité ;
- l'association des Parlements nationaux au processus normatif ;
- la réforme des institutions juridictionnelles.
La plupart de ces sujets ont été ignorés ou traités
a minima.
• Le Parlement européen est le principal
bénéficiaire de la négociation, grâce à
l'extension très significative du champ d'application de la
procédure de codécision, qui se voit par ailleurs
simplifiée (suppression de la troisième lecture). Le Parlement se
voit par ailleurs reconnaître officiellement un droit d'investiture du
Président de la Commission.
• La réforme de cette dernière se limite au droit
accordé à son Président de désigner les
commissaires en accord avec les Etats membres.
• La réforme de la présidence de l'Union -destinée
à donner à celle-ci un "visage" dans la sphère
internationale -s'est réduite à l'institution d'un "M. PESC"
qui, contrairement au souhait français, sera un haut fonctionnaire en la
personne du Secrétaire général du Conseil.
• Enfin, le rôle des Parlements nationaux n'est traité que
dans un protocole annexe n'ajoutant pas grand chose à la situation
existante.
Les questions fondamentales -généralisation de la majorité
qualifiée, modification de la pondération des voix,
réduction du nombre des commissaires- ont été une nouvelle
fois différées aux termes d'un autre protocole sur lequel nous
reviendrons dans la seconde partie de cet exposé.
B. Les coopérations renforcées
Comme on l'a indiqué, le thème des coopérations
renforcées a progressivement été mis en avant comme une
panacée, probablement en raison de son ambiguïté, qui le
rendait compatible avec les conceptions fédéralistes du document
Lamers/Schaüble de septembre 1994 (noyau dur), comme avec la
problématique de la "flexibilité", voire de "l'Europe à la
carte", chère aux conservateurs britanniques.
En raison de cette ambiguïté, les coopérations
renforcées étaient loin de faire l'unanimité au sein des
partisans de l'approfondissement de l'Union, en raison des risques qu'elles
comportaient pour l'unité du système institutionnel et de
l'alternative illusoire qu'elles procuraient à une réforme
globale des institutions.
Les restrictions imposées par le traité d'Amsterdam à
l'utilisation de ce nouvel instrument sont plus susceptibles d'apaiser ces
inquiétudes que de satisfaire les espoirs de ceux qui y voyaient une
solution miracle.
En effet, aux termes du traité, une "coopération
renforcée" :
- doit concerner la majorité des Etats membres ;
- doit être décidée à la majorité
qualifiée du Conseil, sur proposition exclusive de la Commission ;
- ne peut concerner la PESC -pourtant généralement
considérée comme un domaine de prédilection pour ce type
de coopération- pour laquelle a été institué le
mécanisme de l'"abstention constructive" ;
- doit respecter la cohésion du Marché unique et des autres
politiques de l'Union ;
- peut faire l'objet d'un veto de tout Etat membre arguant d'un
"intérêt national important", avec pour effet l'évocation
de la décision au niveau du Conseil européen statuant à
l'unanimité.
On notera que cette dernière restriction contredit l'objectif originel
des coopérations renforcées, à savoir la liberté
d'aller plus loin à quelques-uns sans entrave des autres. Ce veto
interdit également de considérer les coopérations
renforcées comme l'instrument privilégié de
l'approfondissement de l'union économique et monétaire.
Pour conclure sur ce terrain, un constat s'impose : les coopérations
renforcées instituées à Amsterdam ne pallieront pas
l'absence d'une réforme institutionnelle d'ensemble.
II. L'articulation entre réforme institutionnelle et
élargissement
Après l'élargissement de 1995, réalisé à
institutions constantes, avec des effets notables sur l'efficacité du
fonctionnement du système, les Quinze s'étaient engagés
à ne pas renouveler cette fuite en avant. Les négociations
d'adhésion des six Etats sélectionnés par la Commission
furent ainsi programmées dans un délai de six mois après
la clôture de la CIG.
Force et de constater aujourd'hui que, non seulement ces négociations
d'adhésion sont ouvertes en dépit de l'échec
institutionnel de la CIG, mais surtout que les Quinze se sont entendus sur un
calendrier qui repoussera
de facto
la réforme institutionnelle
au-delà du processus d'élargissement, avec pour
conséquence le risque très réel de rendre toute
réforme impossible.
Aux termes de l'article premier du protocole sur les institutions dans la
perspective de l'élargissement de l'Union européenne"
annexé au traité d'Amsterdam; il est en effet prévu
qu'à la date d'entrée en vigueur du prochain élargissement
de l'Union, le nombre de commissaires sera réduit à un par Etat
membre "à condition qu'à cette date la pondération des
voix au sein du Conseil ait été modifiée (...)". Une telle
réforme de la Commission est en elle-même problématique, en
ce qu'elle n'en réduit que marginalement l'effectif tout en consacrant
une certaine "nationalisation" d'une institution incarnant par excellence
l'intérêt commun. Il est clair de surcroît qu'elle ne verra
le jour que sous réserve d'un accord (à quinze ?) sur la
pondération des voix au Conseil.
L'article second de ce protocole est encore plus problématique, qui
reporte à "un an au moins avant que l'Union européenne ne compte
plus de vingt Etats membres" la convocation de la prochaine conférence
intergouvernementale destinée à procéder à une
réforme d'ensemble des institutions.
Ceci signifie qu'en ratifiant ce protocole dans le cadre du traité
d'Amsterdam, la France acceptera que l'Union accueille jusqu'à cinq
nouveaux membres d'Europe centrale et orientale avant même qu'une
conférence intergouvernementale n'ait été convoquée
pour commencer à négocier -à vingt- une réforme des
institutions et des processus de décision. Certains commentateurs
relativisent la portée de cette disposition en misant sur
l'adhésion simultanée des six Etats retenus pour le prochain
élargissement -Hongrie, Pologne, République tchèque,
Slovénie, Estonie, Chypre-, et sur la longueur prévisible des
négociations d'adhésion. Mais cette simultanéité
n'est en rien garantie et, sans elle, c'est la paralysie institutionnelle et
décisionnelle de l'Union qui se trouve juridiquement programmée.
*
* *
Idéalement, si l'on exclut un rejet "européen" du
traité d'Amsterdam, la voie à suivre pour les Etats
"réformateurs" appellerait une double démarche :
écarter d'abord, selon une modalité juridique ou une autre, le
protocole institutionnel du champ de la ratification, pour ne pas être
lié par son calendrier ; initier ensuite, dès la tenue des
élections allemandes, un processus non intergouvernemental de
réflexion et de proposition sur l'avenir du projet politique
européen et les conséquences qui en découlent, dans la
perspective d'une union économique et monétaire relativement
vaste et de l'élargissement vers l'Est.
La première étape prolongerait la Déclaration en ce sens
annexée au traité par la France, l'Italie et la Belgique,
dépourvue toutefois d'effet juridique. Par contraste avec le "non"
danois à Maastricht, une réserve française sur la nouvelle
fuite en avant institutionnelle arrêtée à Amsterdam aurait
le triple avantage de porter sur un élément circonscrit et
entièrement détachable du traité, d'être
foncièrement "européenne", et d'adresser ainsi, sans crise
majeure, un message clair aux diplomaties nationales quant au nécessaire
rééquilibrage des progrès respectifs de
l'élargissement et de l'approfondissement. La note ci-jointe
démontre malheureusement qu'une telle voie est juridiquement
étroite, et par voie de conséquence, politiquement difficile.
Cette situation rend d'autant plus nécessaire un travail
préparatoire et indépendant sur l'avenir politico-institutionnel
de l'Union, dans la lignée de ceux réalisés par les
comités Spaak, Dooge et Delors, d'où sont issus, respectivement,
le Marché commun, l'Acte unique et l'Union économique et
monétaire. Une telle méthode, qui aurait dû être mise
en oeuvre préalablement à la Conférence
intergouvernementale de 1996, s'impose d'autant plus aujourd'hui que la
négociation conclue à Amsterdam a révélé les
points de rupture sur certains sujets sensibles, et que les Quinze sont peu
susceptibles de les dépasser avant d'avoir tranché les conflits
d'intérêts financiers et budgétaires liés à
l'élargissement.
Ce travail urgent de restauration du sens de l'entreprise européenne
aurait un triple objet :
- clarifier tout d'abord les options fondamentales qui s'offrent aux
Européens quant à la nature et la finalité politiques de
l'Union : construction d'une nouvelle entité politique
démocratique à vocation de puissance mondiale, comme
prétend le vouloir la France, instrument de pacification, d'organisation
et de modernisation du continent européen conforme à la vision de
l'Europe du Nord et depuis peu, semble-t-il, de l'Allemagne ; ou, entre les
deux, l'hypothèse hybride, mais réaliste, d'un acteur
économique et monétaire régional sans vocation politique ;
- expliciter les implications de ces choix en termes de répartition des
compétences entre l'Union et ses Etats membres, de détermination
des frontières géographiques de l'Union, d'articulation entre les
différents sous-ensembles du système européen (Union
élargie, UEM, "noyau dur" politique...) et de recomposition
éventuelle de ces sous-ensembles ;
- recentrer le débat institutionnel sur ses enjeux essentiels, à
savoir la survie du système communautaire dans une Union de plus de
vingt Etats, laquelle passe notamment par l'institution d'un véritable
exécutif européen, la généralisation de la
majorité qualifiée au Conseil ainsi que par la révision
des traités, et l'adaptation de la fonction juridictionnelle
européenne. Le renforcement de l'efficacité des institutions
communautaires dans une Union élargie s'impose au demeurant quelle que
soit l'option retenue au plan de la nature et des finalités politiques
de l'entreprise européenne : quand bien même la construction
européenne verrait ses ambitions durablement réduites à la
sphère économique et monétaire, la nécessité
d'une refonte des institutions et des procédures de décision
à la mesure des élargissements passés et à venir
serait en effet tout aussi impérieuse.
*
* *
Je
conclurai cet exposé en trois points :
- le traité d'Amsterdam est largement inadapté aux besoins de
l'Union, tant du point de vue de l'approfondissement que de celui de
l'élargissement ;
- il me paraît néanmoins devoir être ratifié à
ce stade, en raison de ses apports dans certains domaines et afin
d'éviter une crise européenne inutile, sous réserve
toutefois du protocole institutionnel, contraire au calendrier souhaité
par la France et à l'intérêt de l'Union sur une question
fondamentale ;
- la réforme des institutions de l'Union doit être mise en
chantier dès à présent à Quinze en vue d'une
conclusion préalable au prochain élargissement, par l'institution
d'un comité de réflexion et de proposition à
caractère non-gouvernemental, méthode qui a fait ses preuves dans
le passé.
*
* *
A la
suite de son exposé, M. Laurent Cohen-Tanugi a répondu aux
questions des commissaires
M. Jacques Genton a souligné la qualité de l'exposé qui
venait d'être fait et a rappelé que, de retour d'une
réunion à Londres de la Conférence des organes
spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC), il avait pu
mesurer l'insuffisance des dispositions adoptées à Amsterdam.
M. Christian de La Malène s'est inquiété du
problème de la démocratisation des institutions
européennes. Une réforme institutionnelle n'avait de sens,
à ses yeux, que si elle permettait un progrès
démocratique. Or, a-t-il déploré, l'Europe trouvait
surtout des solutions technocratiques, et rien par exemple n'était fait
pour renforcer les parlements nationaux. Poursuivre sur cette voie ne
permettrait, selon lui, aucun progrès dans la construction
européenne.
Pour M. Laurent Cohen-Tanugi, la notion de déficit démocratique
comportait une réelle ambiguïté. Le problème ne
concernait pas tant les pouvoirs du Parlement européen que, au sein de
chaque Etat, les relations entre l'exécutif et le parlement national.
Sur ce point, le traité d'Amsterdam n'apportait pas
d'élément nouveau substantiel. Il importait que
l'interpénétration croissante des politiques européennes
dans la vie nationale nourrisse davantage les relations entre l'exécutif
et le Parlement au sein de chaque Etat. De même, convenait-il de mieux
expliciter la répartition des compétences entre l'Union
européenne et les Etats membres qui apparaît à ce jour,
selon M. Laurent Cohen-Tanugi, encore trop floue.
M. Claude Estier a déclaré partager l'analyse et les constats
formulés par l'orateur. Bien que largement inadapté, le
traité d'Amsterdam devait être ratifié, sauf à
créer une grave crise européenne. Il a estimé difficile
d'imaginer les modalités d'une ratification du traité sous
condition. De même, si une réforme institutionnelle était
engagée à quinze, quelles garanties aurions-nous que les
partenaires de la France soient plus décidés qu'auparavant
à aboutir ?
M. Laurent Cohen-Tanugi a confirmé que la pente naturelle allait
plutôt dans le sens d'un élargissement sans réforme
institutionnelle. Il a plaidé pour que le Parlement français
formule une déclaration solennelle concernant le calendrier de la
réforme institutionnelle par rapport à l'élargissement. Au
demeurant, M. Laurent Cohen-Tanugi a estimé que la non-ratification du
traité d'Amsterdam ne serait pas une catastrophe sur le fond, même
si elle serait susceptible de générer une crise
européenne. M. Claude Estier ayant fait valoir que la réforme
constitutionnelle serait, en tout état de cause, l'occasion d'un
débat, M. Laurent Cohen-Tanugi a fait observer que ce débat
constitutionnel porterait davantage sur les transferts de souveraineté,
au demeurant modestes, entraînés par le traité d'Amsterdam
plutôt que sur la vraie question posée par le traité :
est-il à la hauteur des enjeux ?
En réponse à M. Xavier de Villepin, président, M. Laurent
Cohen-Tanugi a précisé qu'une réserve de la France, lors
de la ratification du traité d'Amsterdam, pourrait stipuler qu'une
réforme institutionnelle d'envergure soit réalisée
à quinze, avant l'entrée en vigueur de tout prochain
élargissement.
M. Pierre Biarnès a déclaré que, selon lui, il convenait
de faire moins de juridisme et plus de politique. L'échec d'Amsterdam
était, à ses yeux, la conséquence d'une incapacité
politique à s'entendre avec l'Allemagne. L'approfondissement
européen nécessitait, selon lui, un sursaut politique.
M. Xavier de Villepin, président, s'est également
interrogé sur l'implication de l'Allemagne dans la construction
européenne, alors que ce pays se prépare à d'importantes
échéances électorales.
M. Laurent Cohen-Tanugi a reconnu que, sur ce point, l'Allemagne constituait
une inconnue pour l'avenir. Ce pays avait privilégié
l'élargissement sur l'approfondissement institutionnel. L'attitude
future de l'Allemagne dépendrait, en partie, des positions
françaises. Il a relevé, à cet égard, le silence de
la France après la publication du document "Lamers-Schaüble" qui
exprimait des conceptions fédéralistes pour l'avenir de l'Europe.
Enfin, M. Laurent Cohen-Tanugi a souligné l'importance du droit et
des textes en matière européenne.
En réponse à M. Jacques Habert, M. Laurent Cohen-Tanugi a
rappelé qu'il avait souvent, dans le passé, exprimé des
doutes sur l'opportunité du processus d'élargissement en tant que
réponse adaptée aux demandes des pays d'Europe centrale et
orientale, rappelant notamment l'échec, selon lui regrettable, de
l'idée de "Confédération européenne". Le risque
d'une non-ratification du traité d'Amsterdam serait qu'elle soit
interprétée comme un geste antieuropéen, alors qu'elle
pourrait traduire simplement la non-conformité du traité aux
enjeux fondamentaux de la construction européenne. Pour M. Laurent
Cohen-Tanugi, la pire hypothèse serait que cette ratification
intervienne sans un débat et une mise en garde sur la question
institutionnelle.
Enfin, répondant à une observation de M. Xavier de Villepin,
président, M. Laurent Cohen-Tanugi s'est dit sceptique quant
à la pertinence des gains institutionnels obtenus par le Parlement
européen. Il a cependant constaté que cette réforme
pourrait permettre à ce Parlement de constituer un levier politique face
à la Banque centrale européenne et donner matière à
une meilleure politisation du débat européen.
Annexe
22(
*
)
:
note sur le statut juridique et les conditions de ratification des protocoles
annexes aux traités communautaires
Le
"protocole sur les institutions dans la perspective de l'élargissement
de l'Union européenne" (ci-après le "protocole institutionnel")
fait partie des protocoles annexés au traité sur l'Union
européenne et aux traités instituant la CE, le CECA et l'Euratom.
L'article 14 du traité d'Amsterdam relatif à sa ratification et
à son entrée en vigueur ne contient aucune disposition
particulière concernant la ratification des protocoles. Il n'est pas non
plus fait mention de cette question dans les dispositions équivalentes
du traité de Rome (art. 247), de l'Acte unique européen (art. 33)
ou du traité sur l'Union européenne (art. R). De façon
plus générale, aucune disposition du traité d'Amsterdam ne
précise le lien entre le traité lui-même et les protocoles
qui figurent en annexe.
Toutefois, l'art. 239 du traité CE dispose que "les protocoles qui, du
commun accord des Etats membres, seront annexés au présent
traité en font partie intégrante."
Cette disposition est d'un usage fréquent dans les traités qui
renvoient à diverses annexes ou protocoles des dispositions plus
techniques pour alléger le texte principal sans pour autant vouloir leur
donner une moindre portée juridique. Elle ne fait que reprendre un
principe général du droit international illustré notamment
par l'article 2 (1) de la convention de Vienne sur le droit des traités
du 23 mai 1969 qui prévoit qu'un traité peut être
"consigné dans un instrument unique ou dans deux ou plusieurs
instruments connexes". Par l'insertion de l'article 239, les auteurs du
traité CE ont voulu s'assurer que ses dispositions seraient
interprétées et appliquées en relation avec les
dispositions afférentes des protocoles annexés.
23(
*
)
Les protocoles annexés au traité CE se distinguent ainsi des
"déclarations" qui ne font pas partie intégrante du
traité, ce qui est normal car elles n'expriment que des
déclarations d'intention et n'ont pas, en tant que telles, de valeur
juridique contraignante.
L'article 239 CE ne renvoie pas à une liste
prédéterminée et limitative de protocoles, mais s'applique
à tous les protocoles annexés ultérieurement, notamment
à l'occasion d'une révision du traité, sans que soit
nécessaire une modification des termes de l'article 239 CE.
L'article 239 CE indique qu'il s'applique aux protocoles annexés au
traité CE par un
commun accord
des Etats membres. On peut
s'interroger sur la signification de cette précision. On pourrait
soutenir que le commun accord renvoie à la ratification, ce qui
signifierait que seuls les protocoles ratifiés par tous les Etats
membres seraient annexés aux traité CE et en feraient partie
intégrante. Les termes de l'article 239 CE nous semblent s'opposer
à une telle interprétation. En effet, il ressort clairement des
termes de l'article 239 CE -"les protocoles qui, du commun accord des Etats
membres, seront annexés"- que le commun accord porte sur le fait
d'annexer le protocole au traité. Dès le moment où un
protocole est annexé au traité CE du commun accord des Etats
membres, il en fait partie intégrante, sous réserve de sa
ratification. Il doit donc recevoir le même traitement, notamment aux
fins de ratification, que les dispositions révisant le traité CE
ou le traité sur l'Union européenne.
Or, le protocole institutionnel, dans son introduction, stipule
expressément que "les Hautes Parties contractantes ont adopté les
dispositions ci-après, qui sont annexées au traité sur
l'Union européenne et aux traités instituant les
communautés européennes." Le protocole a donc bien
été, d'un commun accord des 15 Etats membres, annexé au
traité sur l'Union européenne et aux traités CE, CECA et
Euratom. Si la France était en désaccord avec ce protocole, elle
aurait pu faire état de sa réserve au moment de la signature du
traité d'Amsterdam et obtenir l'accord des autres Etats membres pour
pouvoir appliquer le traité sans être liée par le
protocole
24(
*
)
. A défaut
d'une telle réserve, le protocole a, pour la France comme pour les
autres Etats membres, vocation à faire partie intégrante des
traités CE et UE au même titre que les dispositions modificatives
du traité d'Amsterdam.
Il doit donc normalement être traité aux fins de ratification de
la même façon que les articles insérés dans le corps
du traité d'Amsterdam.
Il en résulte qu'en ratifiant le traité d'Amsterdam, les Etats
membres devraient aussi ratifier le protocole. Ainsi, une fois ratifié,
le protocole possédera la même valeur juridique que le
traité
stricto sensu
et sera justiciable du contrôle de la
Cour de justice au même titre que les dispositions inscrites dans le
traité.
Il nous semble donc découler de l'article 239 CE que le projet de loi
autorisant la ratification du traité d'Amsterdam devrait
nécessairement inclure le protocole au même titre que les autres
dispositions du traité d'Amsterdam
stricto sensu.
L'autorisation
de ratifier le protocole ne paraît pas pouvoir faire l'objet d'un vote
séparé. Si néanmoins le Gouvernement décidait de ne
pas soumettre le protocole à l'autorisation de ratification, ou si le
protocole, étant soumis à un vote séparé, faisait
l'objet d'un vote négatif, et si finalement le protocole n'était
donc pas ratifié par la France, tandis que le traité d'Amsterdam
stricto sensu
et les autres protocoles le seraient, deux solutions sont
envisageables.
Premièrement, on pourrait imaginer que la France soit
présumée avoir ratifié le protocole puisqu'il fait partie
du traité CE sur l'Union européenne au même titre que les
dispositions du traité d'Amsterdam revitalisant lesdits traités
qui, elles, auront été ratifiées. Toutefois, la
ratification étant par nature un acte discrétionnaire, elle ne
saurait être présumée. Cette première
possibilité semble donc pouvoir être écartée.
Deuxièmement, étant donné que le protocole institutionnel
a vocation à faire partie des traités CE et UE comme les autres
dispositions du traité d'Amsterdam, on pourrait considérer que si
la France refusait de le ratifier, la ratification du traité d'Amsterdam
en serait elle-même affectée. Dans ce cas la France devrait
obtenir l'accord des autres Etats membres pour une dérogation
spécifique lui permettant de ratifier le traité d'Amsterdam sans
être liée par le protocole, dérogation semblable à
celle obtenue par le Danemark en 1992 pour l'application des dispositions
relatives à l'Union économique et monétaire à la
suite de l'échec du premier référendum de ratification.
Une telle dérogation serait toutefois sans effet sur la validité
juridique du protocole et manquerait donc son objet.
La seule solution satisfaisante consisterait en définitive à
considérer le protocole institutionnel comme suffisamment autonome et
détachable par rapport au traité pour pouvoir être exclu du
champ de la ratification, sans affecter la ratification du traité
lui-même. Nous n'avons pas trouvé
de précédent direct à l'appui de cette position, qui offre
donc à tout le moins matière à débat.
2. M. Jean-Louis Quermonne, directeur du pôle européen de l'Institut d'études politiques de Paris : les dispositions du traité relatives aux affaires intérieures et à la justice.
M.
Jean-Louis Quermonne a tout d'abord rappelé le contexte dans lequel sont
intervenues la réforme du troisième pilier et les dispositions
tendant à la création d'un espace de liberté, de
sécurité et de justice, qui constituent, selon lui, un
progrès par rapport au troisième pilier tel qu'il existait dans
le traité de Maastricht, en dépit de l'excessive
complexité du dispositif élaboré dans le cadre de la
Conférence intergouvernementale. Cet espace de liberté, de
sécurité et de justice créé par le traité
d'Amsterdam, a poursuivi M. Jean-Louis Quermonne, constitue le
prolongement des principes et des valeurs qui fondent l'Union européenne
et qui, pour la première fois, font l'objet d'une
référence aussi explicite dans un traité européen.
M. Jean-Louis Quermonne a, à cet égard, cité les
dispositions du futur article 8 du traité "consolidé", qui
rappellent les principes de liberté, de démocratie, de respect
des droits de l'Homme et de l'Etat de droit, communs aux Etats membres de
l'Union européenne. Le fait que le respect de ces valeurs conditionne
l'adhésion de tout nouvel Etat à l'Union européenne, et
les sanctions prévues à l'encontre des Etats qui ne
respecteraient pas ces principes illustraient, selon M. Jean-Louis Quermonne,
l'importance des valeurs communes définies par le traité
d'Amsterdam. Celui-ci permettait donc, a souligné M. Jean-Louis
Quermonne, de compenser, dans une certaine mesure, le déficit
démocratique constaté après l'adoption du traité de
Maastricht.
Abordant ensuite les dispositions du traité d'Amsterdam relatives
à la création d'un espace de liberté, de
sécurité et de justice, M. Jean-Louis Quermonne a relevé
que cette réforme visait à répondre à une carence
relative à la liberté de circulation des personnes, non encore
pleinement effective dans l'espace européen, et aux craintes
suscitées par le déficit sécuritaire observé en
Europe en matière de grande criminalité, de trafic de drogues et
de maltraitance des enfants notamment. Cette crainte a conduit, a
observé M. Jean-Louis Quermonne, à souhaiter l'adoption de
mesures européennes destinées à renforcer la
sécurité intérieure des Etats.
M. Jean-Louis Quermonne a ensuite commenté les trois séries de
dispositions du traité d'Amsterdam destinées à
résoudre ces difficultés. La communautarisation partielle et
progressive des mesures qui relevaient du troisième pilier s'appuyait
sur l'incorporation au traité d'Amsterdam des mesures relatives aux
politiques d'asile, au franchissement des frontières, à
l'harmonisation des politiques d'immigration et à la coopération
judiciaire en matière civile.
M. Jean-Louis Quermonne a distingué les dispositions pour lesquelles la
communautarisation devait être immédiate -dès
l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam- de celles qui seraient
incorporées à l'ordre juridique communautaire à
l'échéance de cinq ans après la mise en vigueur du
traité. Il a souligné que les compétences de la Cour de
justice des Communautés européennes ne s'étendraient pas
aux mesures prises par les Etats pour assurer le maintien de l'ordre public et
la sauvegarde de la sécurité intérieure. Puis il a
commenté les exemptions consenties à l'Irlande, au Royaume-Uni et
au Danemark dans ce domaine.
Le deuxième aspect de la création d'un espace de liberté,
de sécurité et de justice, a poursuivi M. Jean-Louis Quermonne,
s'appuyait sur la rénovation du processus de décision
intergouvernemental dans le cadre du troisième pilier qui, était
désormais limité à la coopération policière
et judiciaire en matière pénale, domaine dans lequel le Conseil
continuerait à statuer à l'unanimité. M. Jean-Louis
Quermonne a relevé l'innovation juridique que constituerait la
possibilité de recourir à des "décisions-cadre",
dénuées cependant d'effet direct dans l'ordre juridique des Etats.
Puis M. Jean-Louis Quermonne a abordé le "rapatriement" des accords de
Schengen dans le traité d'Amsterdam, sous la forme d'une
coopération renforcée, qui constitue le troisième aspect
de la réforme tendant à la création d'un espace de
liberté, de sécurité et de justice. Il a souligné
la très grande complexité du dispositif ainsi mis en place, du
fait de l'absence de concordance entre les quinze Etats membres de l'Union
européenne et les quinze Etats Parties aux accords de Schengen
(l'Islande et la Norvège étant associées à l'espace
Schengen sans être membres de l'Union européenne).
Evaluant enfin la portée de la réforme du troisième
pilier, M. Jean-Louis Quermonne a relevé l'"effroyable
complexité" des dispositions adoptées dans le cadre du
traité d'Amsterdam, rappelant la coexistence de sept protocoles
additionnels, de dix-sept déclarations de la Conférence
annexées à l'Acte final, et de quatre déclarations des
Etats dont la Conférence a pris acte. La réforme constitue
néanmoins, selon M. Jean-Louis Quermonne, un indiscutable
progrès, dans lequel le couple franco-allemand a joué un
rôle décisif. M. Jean-Louis Quermonne a également
mentionné l'avancée que représente, selon lui, le
renforcement d'Europol, appelé à devenir un organisme de
coopération policière entre les Etats de l'Union
européenne, sans constituer pour autant le "FBI européen" que le
chancelier Kohl avait appelé de ses voeux. M. Jean-Louis Quermonne a
ensuite estimé qu'un contrôle parlementaire et judiciaire sur
Europol permettrait d'encadrer démocratiquement la coopération
entre les polices européennes pour rendre plus efficaces les mesures de
prévention et de répression qui seront prises dans ce cadre.
M. Jean-Louis Quermonne a alors conclu en soulignant l'importance, non
seulement de la volonté politique des Etats, mais aussi de l'existence
d'"institutions cohérentes et efficaces" pour favoriser la
création d'un espace de liberté, de sécurité et de
justice.
A l'issue de cet exposé, M. Jean-Louis Quermonne est revenu, à la
demande de M. Xavier de Villepin, président, sur les risques liés
aux exemptions définies à l'égard du Royaume-Uni, du
Danemark et de l'Irlande. Il a fait observer que les exemptions
accordées à ces trois pays étaient d'intensité
variable, le Danemark étant lié par les accords de Schengen
-à la différence de l'Irlande et de la Grande-Bretagne-, et
étant habilité à appliquer au coup par coup les
décisions prises dans le cadre de la réforme du troisième
pilier. La complexité du système était donc poussée
très loin, a relevé M. Jean-Louis Quermonne, indiquant que
l'Irlande et la Grande-Bretagne pourraient de surcroît connaître
des situations différentes au regard de l'espace de liberté, de
sécurité et de justice européen.
M. Xavier de Villepin, président, s'étant interrogé sur
les perspectives ouvertes aux coopérations renforcées et sur la
portée des rapprochements éventuels des législations
pénales, M. Jean-Louis Quermonne a cité, non seulement
l'intégration de l'UEO dans l'Union européenne, mais aussi les
coopérations renforcées prévues par le premier pilier en
vue du prolongement de l'Union économique et monétaire
(coordination des politiques fiscales, sociales, macroéconomiques ...),
et surtout les coopérations renforcées prévues dans le
cadre du troisième pilier (accords de Schengen, harmonisation des
politiques pénales ...). A cet égard, M. Jean-Louis Quermonne a
rappelé la demande exprimée par les magistrats signataires de
"l'appel de Genève" en vue de la création d'un espace judiciaire
européen.
M. Jacques Genton a alors rappelé que, dans le cadre de la
18ème session de la COSAC à Londres, la création d'un
espace judiciaire européen et d'un ministère public
européen avait été mise à l'étude, le
Parlement européen ayant d'ailleurs exprimé certaines
réticences sur ce point. M. Jean-Louis Quermonne a alors fait observer
que le protocole sur les parlements nationaux intégré au
traité d'Amsterdam conférait à la COSAC un rôle
consultatif privilégié en matière de
sécurité intérieure.
A la demande de M. Xavier de Villepin, président, M. Jean-Louis
Quermonne a enfin évalué la portée du traité
d'Amsterdam. Il a déploré l'incapacité des Chefs d'Etat et
de Gouvernement à définir les contours de la réforme
institutionnelle, cruciale dans la perspective de l'élargissement. Il a
néanmoins estimé que la création d'un espace de
liberté, de sécurité et de justice constituait une
avancée certaine, que la réforme du troisième pilier
revêtait une importance non négligeable, en raison de
l'introduction éventuelle de la majorité qualifiée dans le
cadre de la communautarisation, que la réforme du deuxième pilier
constitue néanmoins un progrès, et que la COSAC pourrait devenir
un organe de coopération interparlementaire efficace.
3. M. Philippe Moreau Defarges, conseiller des affaires étrangères, chargé de mission à l'Institut français des relations internationales (IFRI) : les dispositions du traité relatives à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC)
M.
Philippe Moreau Defarges a d'abord relevé que la politique
étrangère et de sécurité commune (PESC) trouvait
son origine dans le traité de Maastricht ; ce texte toutefois
présentait une double ambiguïté liée, d'une part,
à la volonté de fonder une politique commune sur la seule
concertation et, d'autre part, à la formulation retenue dans le domaine
de la défense par l'article J4 qui appelait à "la
définition à terme d'une politique de défense commune, qui
pourrait conduire, le moment venu, à une défense commune". Dans
ce contexte, il a estimé que le traité d'Amsterdam ne pouvait
apporter que des aménagements limités.
M. Philippe Moreau Defarges a toutefois relevé trois apports principaux :
- la mise en place d'un nouvel instrument avec les "stratégies communes"
;
- la création d'une fonction de "haut représentant" pour la PESC
confiée en fait à un haut fonctionnaire, le secrétaire
général du Conseil ;
- l'assouplissement des conditions de vote au sein du Conseil sous la forme de
"l'abstention constructive", bien qu'un Etat puisse toujours se
prévaloir d'un intérêt national majeur pour renvoyer une
décision au Conseil européen, appelé dès lors
à se prononcer à l'unanimité.
M. Philippe Moreau Defarges a considéré que la politique
étrangère de l'Union européenne devait être
appréciée dans le cadre d'une définition large de cette
notion, entendue comme "l'ensemble des actions d'une entité lui
permettant d'exister vis-à-vis de l'extérieur". Dans le domaine
de la diplomatie au sens strict, qui ne constitue que l'un des volets de la
politique étrangère, l'Union européenne, a estimé
M. Philippe Moreau Defarges, se trouvait confrontée à trois
difficultés principales : en premier lieu, la plupart des Etats
européens aspiraient à un lien fort avec les Etats-Unis, pour
garantir leur sécurité contre le risque de résurgence de
menaces sur le vieux continent ; en second lieu, l'Europe connaissait encore
des clivages, notamment entre les pays -comme la France et le Royaume-Uni-
soucieux de conduire encore une politique de puissance mais incapables de
s'entendre entre eux, et les Etats désireux de mettre l'accent sur la
prospérité économique ; enfin, l'Europe apparaissait comme
un acteur décisif de l'organisation des échanges -volet de la
politique étrangère désormais essentiel-, comme l'a
démontré la part prise par la Communauté dans les
négociations relatives au GATT. En revanche, comme l'a souligné
M. Philippe Moreau Defarges, l'Europe ne parvenait pas à exister par
elle-même dans le domaine de la prévention et de la gestion des
crises ; en effet, si certains Etats souhaitaient doter l'Europe d'une
véritable force, d'autres estimaient préférable de
demeurer dans le cadre exclusif de l'Alliance atlantique, afin de consacrer
l'essentiel de leurs efforts à la compétition économique.
Enfin, d'après M. Philippe Moreau Defarges, l'action de l'Union
européenne se jugera fondamentalement sur sa capacité à
organiser sa périphérie (Europe centrale et
Méditerranée) en zone de prospérité et de paix.
M. Philippe Moreau Defarges a ensuite répondu aux questions des
commissaires.
Il a précisé à l'intention de M. Xavier de Villepin,
président, qui s'interrogeait sur l'absence de l'Europe sur la
scène du Proche-Orient, que les Etats-Unis constituaient un
médiateur privilégié dans cette région, compte tenu
de la nature de leurs relations avec Israël et des points d'appui dont
disposait Washington dans le monde arabe. Il a souligné par ailleurs
que, même si l'Union européenne accordait une aide
conséquente aux Palestiniens, les Quinze demeuraient divisés sur
la meilleure façon dont l'Europe pourrait intervenir sur cette question.
Par ailleurs, à propos de Chypre et du Kosovo, où l'absence de
l'Europe pouvait être encore une fois déplorée, il a
souligné que la protection américaine sur le vieux continent
répondait au souhait d'un certain nombre de nos partenaires, et en
particulier de plusieurs pays d'Europe centrale et orientale appelés
bientôt à rejoindre l'Union ; en conséquence, la remise en
cause du rôle majeur de médiation joué par les
Américains apparaissait difficile.
M. Philippe Moreau Defarges a également indiqué à M.
Xavier de Villepin, président, qu'il doutait que le
haut-représentant pour la PESC puisse évoluer en prenant une
dimension plus politique ; dans ce domaine, la représentation de l'Union
incombait principalement à la présidence du Conseil, qui
n'était qu'"assistée" par le secrétaire
général du Conseil. D'après M. Philippe Moreau Defarges,
l'Union européenne constituait aujourd'hui une fédération
qui ne disait pas son nom en raison de l'importance des compétences qui
lui étaient attribuées, de la prise en compte d'une
citoyenneté européenne, et enfin de la place dévolue
désormais à la procédure de codécision associant le
Parlement européen, le Conseil et la Commission.
M. Michel Caldaguès a alors souligné que la politique
étrangère constituait l'attribut majeur de la souveraineté
et que, dans ce domaine où le bilan des Quinze apparaissait modeste,
l'Union européenne pouvait difficilement revendiquer le statut d'une
fédération. M. Philippe Moreau Defarges a indiqué
que, si l'Europe n'existait pas vraiment dans le domaine de la gestion des
crises, elle jouait un rôle considérable sur la scène
extérieure, à travers sa politique commerciale mais aussi la
négociation des futures adhésions dans la perspective de
l'élargissement de l'Union.
Il a également observé, à l'intention de M. Xavier de
Villepin, président, que le rapprochement de l'Union de l'Europe
occidentale et de l'Union européenne ne pourrait intervenir qu'au cas
par cas, compte tenu de l'hostilité du Royaume-Uni et des
réticences des Etats neutres membres de l'Union européenne ; dans
ces conditions, l'Union européenne représentait une
communauté de sécurité dans le sens, seulement, où
elle favorisait la pacification des relations entre les Etats membres -une
clause de sécurité collective propre à l'Union
européenne étant aujourd'hui exclue.
M. Jean Arthuis a souligné que l'Union européenne avait beaucoup
progressé lorsqu'elle s'était sentie menacée et que cette
situation s'était principalement produite dans le domaine
économique. Il s'est interrogé sur la représentation de
l'Union européenne au sein des institutions internationales telles que
le groupe des sept pays les plus industrialisés (G7). M. Philippe
Moreau Defarges est convenu, avec M. Jean Arthuis que les Etats
représentés au sein des instances internationales, telles que le
fonds monétaire international, hésitaient à faire toute sa
place à la Commission européenne. Il a rappelé alors la
volonté de chaque Etat européen de conserver son siège au
sein des différentes institutions internationales et en particulier au
sein du Conseil de sécurité des Nations unies.
4. M. Jean-Marie Guéhenno, Conseiller-maître à la Cour des comptes, président du Conseil d'administration de l'IHEDN (Institut des Hautes Etudes de la Défense nationale) : les dispositions du traité relatives à la défense européenne
M.
Jean-Marie Guéhenno a tout d'abord constaté que le traité
d'Amsterdam avait maintenu la distinction, opérée par le
traité de Maastricht, entre sécurité et défense,
tout en traçant quelques perspectives non négligeables. Si la
distinction entre sécurité et défense avait un sens
à l'époque de la guerre froide, a rappelé M. Jean-Marie
Guéhenno, quand on pouvait séparer la menace sur un territoire
des autres types de menaces, ce clivage paraît moins pertinent
aujourd'hui, l'usage de la force armée pouvant désormais
être motivé par des préoccupations de
sécurité sans nécessairement affecter la défense du
territoire.
Commentant la prise en compte, dans le traité d'Amsterdam, des missions
dites de Petersberg, M. Jean-Marie Guéhenno a jugé positive cette
tentative de créer un espace d'action pour l'UEO, tout en faisant
observer qu'une telle évolution intervenait à un moment où
l'OTAN avait conforté sa position en matière de
sécurité. Il a également mentionné les dispositions
du traité d'Amsterdam tendant à amorcer l'idée de
défense des frontières extérieures de l'Union
européenne et il a relevé que le traité d'Amsterdam
s'abstenait d'évoquer la notion d'assistance entre Etats, dans le souci,
a-t-il estimé, de ménager les relations avec les Etats-Unis. En
définitive, M. Jean-Marie Guéhenno a observé que le
traité d'Amsterdam maintient, en matière de
sécurité et de défense, une relative ambition sans
parvenir à apporter, néanmoins, une solution aux questions
posées par la défense européenne.
M. Jean-Marie Guéhenno a alors abordé les dispositions du
traité d'Amsterdam relatives à l'Union de l'Europe occidentale
(UEO). Il a noté que le traité prenait acte de
l'élargissement de l'UEO, qui comptait désormais 28 Etats,
et de l'existence de statuts très diversifiés -membres de plein
droit, Etats associés, associés partenaires. M. Jean-Marie
Guéhenno a souligné les inconvénients résultant,
sur un plan opérationnel, de cette situation, le Conseil de l'UEO
s'apparentant plus, selon lui, à la logique d'une assemblée
multilatérale -type Organisation pour la sécurité et
la coopération en Europe (OSCE)- qu'à celle du conseil
d'administration d'un organisme opérationnel. Il a estimé que les
réunions conjointes prévues entre l'UEO et l'Organisation du
traité de l'Atlantique-Nord (OTAN), ainsi qu'entre l'UEO et l'Union
européenne, tout en constituant un progrès, relevaient
d'exercices plus formels qu'opérationnels.
S'efforçant ensuite de préciser les modestes perspectives
d'évolution ouvertes par le traité d'Amsterdam et susceptibles de
bénéficier à la défense européenne, M.
Jean-Marie Guéhenno a commenté :
- l'intérêt "pédagogique" qui pourrait résulter,
selon lui, pour les pays neutres appartenant à l'UEO, des missions dites
de Petersberg ;
- le progrès -certes limité- que permettrait la
possibilité, pour le Conseil, de statuer à la majorité
qualifiée en matière de "stratégies communes" ;
- M. Jean-Marie Guéhenno a estimé que la composition du
comité politique ayant pour mission de conduire la politique
extérieure et de sécurité commune -et réunissant
jusqu'ici les directeurs politiques- n'étant plus précisée
par le traité d'Amsterdam, il existe une possibilité
d'évolution vers un comité composé de représentants
permanents. Selon lui, une telle transformation améliorerait le dialogue
entre les Etats et les instances de Bruxelles, et elle serait un
élément positif dans la perspective de la création d'une
véritable politique extérieure et de sécurité
commune.
En dehors de ces quelques perspectives, M. Jean-Marie Guéhenno a
relevé que les questions fondamentales qui se posaient dans le domaine
de la défense restaient sans solution, qu'il s'agisse des questions
relatives aux industries d'armement, des difficultés liées aux
relations avec l'OTAN, ou des interrogations suscitées par les
évolutions institutionnelles européennes. Sur le premier point,
M. Jean-Marie Guéhenno a constaté les intérêts
très divergents des treize Etats membres du GAEO (groupe armement de
l'Europe occidentale), en fonction de l'importance variable des industries
nationales d'armement. Il a relevé l'absence de consensus
européen sur le chapitre des relations avec l'OTAN, notant la
réticence des Etats, en période de restrictions
budgétaires, à multiplier les contributions à des
organismes qui pourraient paraître, à certains égards,
redondants. Sur le plan institutionnel, enfin, M. Jean-Marie
Guéhenno a jugé souhaitable de privilégier, dans le
domaine des industries d'armement, le cadre de l'OCCAR (organe conjoint de
coopération en matière d'armement) de préférence
à celui du GAEO, et de rendre plus souples les structures de l'OTAN en
exploitant pleinement les possibilités offertes par les GFIM
(groupements de forces interarmées multinationales).
M. Jean-Marie Guéhenno a conclu en estimant que les Européens ne
parviendront à se rapprocher en matière de défense que par
des actions concrètes. Rappelant les expériences que
constituaient le Corps européen, Eurofor et Euromarfor, il a
estimé que les questions de fond posées par la défense
européenne ne connaîtraient une issue favorable que si des
missions accomplies en commun par les Européens permettaient de faire
évoluer les mentalités. Dans cet esprit, il a estimé que
les missions de Petersberg pourraient contribuer à donner un contour
concret à la défense européenne.
A l'issue de cet exposé, M. André Dulait, soulignant la
consistance modeste des dispositions du traité d'Amsterdam, s'est
interrogé sur les chances et les moyens de parvenir à une
politique européenne d'armement forte et cohérente, compte tenu
des divergences qui opposent, sur ce point, les Etats membres de l'Union
européenne.
M. Christian de La Malène a relevé le paradoxe qui, selon lui,
caractérisait l'Europe de la défense, condition de l'existence de
l'Europe, alors même que l'Europe de la défense était
subordonnée au progrès de la construction européenne. M.
Christian de La Malène a également souhaité
connaître les perspectives ouvertes par la création d'un "haut
représentant" pour la PESC (Politique étrangère et de
sécurité commune).
M. Pierre Biarnès, soulignant l'intérêt que
présenterait l'émergence d'une véritable
coopération européenne en matière d'armement, en raison
notamment d'avantages substantiels à attendre en termes de coût
des matériels produits en coopération, a jugé
indispensable de dépasser les querelles d'ordre institutionnel pour
aborder des volets plus concrets de la construction européenne. Il a en
particulier souhaité connaître les solutions envisagées,
à ce stade, à l'égard du remplacement des matériels
d'armement d'origine soviétique des nouveaux membres de l'OTAN et des
candidats à l'Union européenne.
M. Maurice Lombard a alors relevé l'inconsistance des projets actuels de
défense européenne, faute d'adversaire désigné
comme au temps de la guerre froide. Il a estimé que le souci de recourir
à la protection américaine constituait un obstacle aux
progrès de la défense européenne, dont les objectifs
économiques paraissent aujourd'hui jouer un rôle plus important
que les objectifs strictement militaires.
M. Jacques Habert a souhaité savoir comment l'OCCAR, organisme
actuellement essentiellement technique, pourrait devenir le noyau dur de la
future politique européenne en matière d'armement.
M. Xavier de Villepin, président, s'est enfin interrogé sur
l'incidence, selon lui décisive, des récents essais
nucléaires pakistanais et indiens sur l'ensemble des questions de
défense actuellement en suspens dans le monde.
M. Jean-Marie Guéhenno a ensuite répondu aux questions des
commissaires.
Il a tout d'abord estimé que les essais nucléaires indiens et
pakistanais attestaient la permanence de menaces dans le monde de
l'après-guerre froide, et qu'ils montraient la pertinence du maintien
d'un effort de défense important, même si la défense
n'apparaît plus aujourd'hui comme un "projet mobilisateur". Constituant
une manifestation des conséquences de la montée en puissance de
la Chine, les essais nucléaires indiens et pakistanais portent atteinte
aux progrès accomplis dans le domaine de la lutte contre la
prolifération, tout en faisant de celle-ci un aspect essentiel de la
sécurité internationale à venir.
En ce qui concerne le développement, selon lui souhaitable, du
rôle de l'OCCAR, M. Jean-Marie Guéhenno a estimé que cette
organisation demeurerait un "arrangement technique", dénuée de
véritable portée tant qu'elle ne manifesterait pas son
autorité sur quelques projets essentiels pour l'édification d'une
Europe des industries de défense.
Il a également relevé que le traité d'Amsterdam
s'était abstenu de trancher sur le profil du Haut représentant
pour la PESC, notant que le rayonnement de l'institution dépendrait du
poids politique de cette personnalité. M. Jean-Marie Guéhenno a
enfin souhaité que soient affectés à l'unité de
planification, chargée de la mise en oeuvre de la politique
étrangère et de sécurité commune, des personnels
d'horizons suffisamment variés pour que cette instance contribue
effectivement à l'émergence d'une culture européenne qui
intègre la défense comme un élément positif de la
politique européenne.
5. M. Ronny Abraham, membre du Conseil d'Etat : les dispositions du traité relatives aux libertés publiques et aux droits fondamentaux.
M. Ronny
Abraham a d'abord rappelé que la prise en compte, par le droit
communautaire, des questions relatives aux libertés publiques et aux
droits fondamentaux relevait de quatre catégories de normes juridiques
qui avaient entre elles diverses interactions : le droit communautaire
écrit (les traités originels) ; le droit communautaire non
écrit constitué des principes généraux du droit
communautaire contenus dans la jurisprudence de la Cour de justice des
Communautés européennes(CJCE) ; les principes constitutionnels de
chaque Etat membre ; enfin la convention européenne des droits de
l'homme à laquelle sont parties les 15 Etats de l'Union et d'autres
Etats non membres.
M. Ronny Abraham a présenté comme une lacune l'absence, dans les
traités fondateurs, de "préambule" relatif à la protection
des droits fondamentaux et des libertés publiques. Les institutions
communautaires ne sont, de ce fait, pas astreintes, juridiquement, au respect
de ces droits alors même que leurs capacités normatives se sont
notablement étendues. C'est en réaction à cette lacune
juridique que la CJCE a progressivement élaboré, à travers
sa jurisprudence, les principes généraux du droit communautaire
dont la valeur juridique est équivalente à celle des
traités. Ainsi retrouve-t-on, depuis le début des années
1970, dans les principes généraux du droit communautaire de la
CJCE, les grands principes protecteurs contenus dans les constitutions
nationales. Ils reposent sur les traditions constitutionnelles communes et sur
les instruments internationaux pertinents, à commencer par la convention
européenne des droits de l'homme. Ces normes jurisprudentielles, qui
s'imposent aux institutions communautaires comme aux Etats membres, ont
d'ailleurs été consacrées par les traités
européens à l'occasion de leurs aménagements successifs,
notamment dans le cadre de l'Acte unique européen et du traité de
Maastricht.
Au début des années 1980, a précisé M. Ronny
Abraham, l'idée est née d'une adhésion de l'Union
européenne, en tant que telle, à la convention européenne
des droits de l'homme, afin de clarifier l'applicabilité des normes
qu'elle édicte au droit communautaire dérivé. Cette
adhésion se heurte à certaines difficultés d'ordre
technique -l'adhésion d'une organisation internationale non
étatique n'est pas prévue par la convention elle-même- et
d'ordre juridique. Ainsi la CJCE a-t-elle estimé, dans un avis du 28
mars 1996, qu'une telle adhésion nécessiterait une
révision préalable des traités européens et
remettrait en cause les équilibres fondamentaux du système
juridique européen. Surtout, la CJCE, a estimé M. Ronny
Abraham, n'entendait pas se soumettre ainsi à une tutelle juridique de
la Cour européenne des droits de l'homme.
Sur ce point, a indiqué M. Ronny Abraham, le traité d'Amsterdam,
qui aurait pu être l'occasion de préparer cette adhésion de
l'Union européenne à la convention européenne des droits
de l'homme, n'a pas apporté d'élément nouveau. Il traduit
ainsi le refus implicite des Etats membres de toute adhésion de l'Union
européenne à la convention européenne des droits de
l'homme.
Cette non-adhésion présente -a estimé M. Ronny Abraham-
plusieurs inconvénients : en premier lieu, elle ouvre la voie à
d'éventuelles divergences de jurisprudence entre la CJCE d'une part et
la Cour européenne des droits de l'homme d'autre part ; en
deuxième lieu, ces divergences mêmes peuvent placer les Etats
membres dans des situations juridiquement insolubles : quelle attitude adopter
à l'égard d'une directive, considérée par la CJCE
comme conforme aux principes généraux du droit communautaire mais
dont l'application par un Etat serait condamnée par la Cour
européenne des droits de l'homme saisie par un ressortissant de cet Etat
?
Cela étant, a reconnu M. Ronny Abraham, le fait de reconnaître
à la Cour européenne des droits de l'homme le "dernier mot" en
matière de respect des libertés publiques et des droits
fondamentaux risquerait d'affecter la sécurité juridique, compte
tenu des délais induits par les recours successifs aux
différentes instances judiciaires compétentes.
Le traité d'Amsterdam, a précisé M. Ronny Abraham, apporte
toutefois en matière de droits fondamentaux et de libertés
publiques un aspect positif avec la reconnaissance de deux droits nouveaux des
citoyens opposables aux institutions communautaires : l'accès aux
documents administratifs émanant de la Commission, du Conseil et du
Parlement européen (modification de l'article 255 du traité de
Rome) ; et la protection des citoyens contre le traitement automatisé
d'informations individuelles (modification de l'article 298 du traité de
Rome).
Par ailleurs, a relevé M. Ronny Abraham, le nouvel article 7,
ajouté par le traité d'Amsterdam au traité sur l'Union
européenne, permet au Conseil de sanctionner une violation grave et
persistante d'un droit fondamental ou d'une liberté publique par un Etat
membre. La procédure prévue se déroule en deux temps : le
Conseil peut tout d'abord constater à l'unanimité (moins la voix
de l'Etat concerné) la violation grave et persistante d'un droit
fondamental ; il peut ensuite, à la majorité qualifiée,
sanctionner l'Etat fautif, par exemple en décidant de suspendre
l'exercice par cet Etat de son droit de vote.
M. Ronny Abraham a ensuite répondu aux questions posées par les
membres de la commission.
A l'attention de M. Jacques Genton, M. Ronny Abraham a relevé le
caractère partiel du transfert opéré dans le traité
d'Amsterdam du troisième pilier -affaires intérieures et
justice-, relevant de la coopération intergouvernementale, vers le
premier pilier, relevant des compétences communautaires. Le premier
pilier avait en effet été élargi aux questions de visas,
d'asile et d'immigration, laissant de côté la coopération
policière et judiciaire en matière pénale. M. Ronny
Abraham a d'ailleurs fait observer que ce transfert conduirait la CJCE à
examiner davantage d'affaires concernant la protection des droits fondamentaux
et des libertés publiques et la compatibilité, en la
matière, du droit communautaire dérivé avec les principes
généraux du droit communautaire. Dans ce contexte, a
estimé M. Ronny Abraham, la constitution d'un espace judiciaire
européen demeurait une perspective dont on se rapprochait sans pouvoir
jamais l'atteindre.
Répondant à M. Xavier de Villepin, président, M. Ronny
Abraham a fait observer que les pouvoirs de la CJCE étaient
déjà très importants et que le traité de Maastricht
les avait renforcés en contraignant les Etats à exécuter
ses jugements.
S'agissant enfin des questions préjudicielles relatives à
l'interprétation des textes communautaires entre les juridictions
suprêmes de chaque Etat d'une part, et la CJCE d'autre part, M. Ronny
Abraham a précisé à M. Xavier de Villepin,
président, qu'après une phase initiale de réticence de la
Cour de cassation et surtout du Conseil d'Etat, ces deux juridictions faisaient
désormais une correcte application des dispositions de l'article 177 du
traité de Rome, permettant ainsi une coopération satisfaisante
entre le juge national et le juge communautaire.
6. M. Dominique Moïsi, directeur adjoint de l'IFRI (Institut français des relations internationales), rédacteur en chef de la revue "Politique étrangère" : les perspectives de l'Union européenne
M.
Dominique Moïsi a souhaité évoquer, au-delà des
termes du traité d'Amsterdam, les trois défis majeurs
-souveraineté, identité et espace géographique- que devait
désormais relever l'Union européenne dans un contexte
international où la logique de la mondialisation a succédé
à la confrontation liée à la période de la guerre
froide.
Abordant en premier lieu le défi de la souveraineté, M. Dominique
Moïsi a estimé que les Etats acceptent plus facilement des
transferts de souveraineté dans des domaines comme la monnaie, où
leur marge de manoeuvre est déjà réduite, qu'en
matière de sécurité où ils cherchent en revanche
à sauvegarder leurs prérogatives. Ainsi, d'après le
directeur adjoint de l'IFRI, l'Europe apparaît comme une construction
hybride dotée d'une triple dimension : fédérale pour la
monnaie, intergouvernementale pour la politique étrangère et la
sécurité, régionale enfin, au regard des importantes
responsabilités dévolues à l'échelon infranational.
M. Dominique Moïsi a ensuite observé que l'identité pouvait
désormais revêtir différentes formes et que cette
évolution pouvait, à bien des égards, heurter un pays
comme la France, dont l'histoire politique était marquée par le
jacobinisme.
Le directeur adjoint de l'IFRI a enfin évoqué la notion d'espace
géographique pour relever que l'Europe n'est pas encore assurée
de ses limites et que des incertitudes pesaient en particulier sur les
relations entre l'Union européenne, d'une part, la Russie et la Turquie,
d'autre part.
Selon M. Dominique Moïsi, le triple défi que doit relever l'Union
européenne apparaît d'autant plus complexe que le processus de
construction européenne, au-delà de la mise en oeuvre de
relations pacifiques entre les Etats européens, ne s'est pas
réellement vu assigner de nouveaux objectifs communs. Le couple
franco-allemand lui-même, même s'il constitue encore un moteur
indispensable pour la construction européenne, montre cependant ses
limites compte tenu notamment des réactions divergentes des deux pays
vis-à-vis de la mondialisation, plus considérée comme un
risque par la France que par l'Allemagne.
Le directeur adjoint de l'IFRI a observé en conclusion que la
construction européenne bénéficiait encore de l'appui de
la majorité de l'opinion -même si ce soutien apparaissait
tiède et incertain- mais qu'elle suscitait en revanche les critiques
d'une minorité de plus en plus résolue et inquiète des
menaces qui affectaient l'identité nationale.
Un débat s'est ensuite instauré avec les commissaires.
M. Jacques Genton, après avoir exprimé les réticences que
lui inspirait une vision trop dogmatique de la souveraineté, s'est
réjoui de la dynamique, sur le processus de construction
européenne, provoquée par la mise en place de l'euro. M.
Dominique Moïsi a souscrit à ces propos, tout en soulignant la
dimension nostalgique qui s'attachait encore à la défense de la
souveraineté.
M. Xavier de Villepin, président, a alors interrogé le directeur
adjoint de l'IFRI sur les conséquences prévisibles des prochaines
élections allemandes pour la construction européenne. M.
Dominique Moïsi a estimé qu'une Allemagne profondément
différente émergerait sans doute des prochaines
échéances électorales outre-Rhin ; tandis que les
responsables allemands actuels avaient connu la deuxième guerre mondiale
et avaient tiré de cette expérience la volonté politique
de faire l'Europe, les nouvelles générations, appelées
bientôt à occuper les responsabilités politiques, se
sentiraient moins obligées par les liens du passé. Toutefois,
d'après M. Dominique Moïsi, le retour à une Allemagne
bismarckienne n'est plus envisageable, compte tenu de la force du
fédéralisme dans ce pays ; en définitive, dans
l'hypothèse d'une alternance, le nouveau Chancelier pourrait se montrer
tout à la fois, à l'instar de l'actuel Premier ministre
britannique, soucieux de l'intérêt national et plus pragmatique.
M. Dominique Moïsi a enfin précisé à l'attention de
M. Xavier de Villepin, président, qu'une réforme institutionnelle
apparaissait indispensable compte tenu du risque de paralysie qui
résultait du mode de fonctionnement actuel de l'Union ; à cet
égard, M. Dominique Moïsi a estimé que les prochains
élargissements, quand ils se concrétiseront, pourraient
provoquer, à la suite des blocages qui ne manqueront pas de se produire,
la réforme indispensable.