III. QUELLE STRATÉGIE POUR QUELLES RÉFORMES ?
Votre
rapporteur s'attachera à répondre à deux questions :
- quelles modifications apporter au fonctionnement de l'Union avant
l'élargissement?
- quelle méthode mettre en oeuvre pour réussir là
où la Conférence intergouvernementale a échoué ?
1.
L'indispensable équilibre entre efficacité et
légitimité
Les propositions avancées ici par votre rapporteur ont avant tout une
portée pratique : elles visent à permettre à l'Union
élargie à 20 voire à 25 membres de continuer non seulement
à fonctionner mais aussi d'avancer dans le processus de construction
européenne. A titre d'exemple, dans le scénario d'un
élargissement maximal, la présentation par chaque Etat de sa
position, qui est de règle au Conseil, réclamera à elle
seule, quatre heures !
Il ne s'agit donc pas ici d'étendre les compétences de l'Union
européenne. Les traités fixent déjà un large champ
de possibilités aux Etats membres qu'il convient d'utiliser pleinement.
Il importe donc de recentrer le débat sur la recherche d'une plus grande
efficacité des mécanismes institutionnels, il faut aussi combler
le fossé qui s'est creusé entre l'Union et les citoyens.
L'efficacité et la légitimité constituent ainsi les
deux maître-mots appelés à guider une réforme de
l'Union.
• L'efficacité
L'objectif d'efficacité se décline autour de deux thèmes :
la procédure de décision au sein du Conseil, la composition de la
Commission.
*
La révision des procédure de décision
pourrait
reposer sur
trois
types de mesures
:
1° L'extension du champ d'application de la majorité
qualifiée
Elle constitue une condition indispensable pour continuer de prendre des
décisions dans une Europe élargie.
Elle devrait porter sur
deux domaines :
- le pilier communautaire où le vote à la majorité
qualifiée doit devenir la règle et l'unanimité,
l'exception (la règle de la majorité devrait notamment
prévaloir dans le domaine de l'
harmonisation fiscale
, seul moyen
d'éviter la pratique du "dumping fiscal").
- la nomination du
président de la Commission
afin de faire
prévaloir les qualités de la personne plutôt que sa
capacité à s'effacer.
2° L'extension de la majorité qualifiée suppose une
révision des conditions de vote :
- soit par une
repondération des voix
en faveur des grands Etats
afin de retrouver l'équilibre originel de l'Europe des douze -comme le
préconise M. Pierre Fauchon ;
- soit par un système de
double majorité
représentant la majorité des Etats et la majorité de
la population ; il combine en effet un
principe d'égalité
propre à satisfaire les petits pays et un
principe de
représentativité démocratique
des décisions
-assurées ainsi de refléter la majorité de la population
de l'Union. Cette formule paraît la mieux à même de conjurer
le risque que se forme une minorité de blocage.
3°
Le mécanisme des coopérations renforcées
mis en place par le traité d'Amsterdam devrait être amendé
de sorte que les quatre dispositions qui en limitent l'efficacité soient
supprimées
:
- d'abord, le droit de veto (sous la forme d'une "raison de politique nationale
importante") que tout Etat membre peut opposer à la mise en place d'une
coopération renforcée ;
- en second lieu, l'exclusivité dont dispose la Commission pour proposer
au Conseil des coopérations renforcées dans le cadre du pilier
communautaire afin d'ouvrir également cette faculté aux Etats
membres ;
- la nécessité, ensuite, de réunir une majorité
d'Etats pour mettre en oeuvre une coopération renforcée afin de
laisser la
possibilité à six Etats au moins de poursuivre une
coopération renforcée
;
- enfin l'exclusion de la politique étrangère et de
sécurité commune du champ d'application des coopérations
renforcées.
*
La composition de la Commission
La proposition avancée par la France, au moment de la Conférence
intergouvernementale, de réduire les effectifs de la Commission à
une dizaine de membres apparaissait, à coup sûr, audacieuse mais
peu réaliste. Aucun Etat ne peut réellement accepter de
n'être pas représenté au sein d'une institution qui joue un
rôle aussi crucial dans la procédure de décision
communautaire. Ainsi pour votre rapporteur, le débat sur la Commission
doit cesser de se cristalliser sur le nombre des commisaires pour se recentrer
sur une réorganisation des structures.
Il convient de privilégier ainsi la mise en place autour du
président de la Commission de
vice-présidents
chargés chacun d'un grand secteur de compétences (relations
extérieures, économie, etc.) et assistés, le cas
échéant, de commissaires délégués -une
rotation pouvant être organisée au niveau des
vice-présidents entre les différents Etats dans un souci
d'équilibre ;
•
Le souci de légitimité démocratique
Le souci de légitimité démocratique constitue le pendant
obligé d'institutions plus efficaces. En effet, il ne servirait à
rien de renforcer le système de décision communautaire si ces
décisions continuent de se heurter à l'incompréhension
voire à l'hostilité de l'opinion publique. Dans cette
perspective, la
subsidiarité
comme le
rôle du Parlement
européen
apparaissent deux thèmes essentiels.
1° La subsidiarité
Le courant eurosceptique se nourrit pour une large part d'un sentiment de
dépossession dû, en particulier, à l'imprécision des
limites assignées aux compétences de l'Union. Au-delà de
ces préoccupations -qui ne manquent d'ailleurs pas de
légitimité- l'indétermination des compétences de
l'Union représente également un facteur d'incertitude juridique.
Ainsi, à titre d'exemple, dans le cas de l'Allemagne, la concurrence des
normes européennes avec les compétences des länder suscite
de nombreuses interrogations.
Le rapport Westendorp avait renoncé à dresser une liste des
compétences de l'Union. La subsidiarité n'a finalement
trouvé d'autre écho dans le traité d'Amsterdam que de
simples déclarations d'intention. Aussi convient-il de reprendre la
tâche en s'inspirant par exemple du projet Spinelli relatif au
traité sur l'Union européenne en 1984, et
distinguer entre les
compétences exclusives et les compétences partagées avec
les Etats-membres.
Cette délimitation des compétences permettrait ainsi de recentrer
l'Union sur les domaines qu'elle peut réellement assumer.
2° Revoir la position de la France vis-à-vis du Parlement
européen
La France a rarement considéré le Parlement européen avec
bienveillance. Ce désintérêt s'est traduit par une
fragmentation de la représentation française au sein de
l'institution de Strasbourg où notre influence se trouve dès lors
assez réduite. Une telle situation risque de se révéler
extrêmement négative au moment où le traité
d'Amsterdam a précisément accru les pouvoirs du Parlement
européen. C'est pourquoi il importe de conduire au plus tôt une
réflexion, qu'il appartient aux partis politiques d'ouvrir, sur la
représentation de la France au sein du Parlement européen afin
d'éviter la dispersion actuelle.
2.
Retrouver les voies d'une ambition pour l'Europe
Ces orientations prises, comment les mener à bien ? A l'exception des
aménagements souhaitables de la position française
vis-à-vis du Parlement européen qui ne relève que de
l'initiative nationale, elles requièrent toutes un consensus des Quinze.
Deux questions, dès lors, se posent :
- quel cadre mettre en place pour obtenir un accord sur la réforme
institutionnelle ?
- quelle stratégie la France doit-elle adopter dans cette perspective ?
•
La procédure souhaitable
Il faut, en amont de la révision des traités, éviter la
lourdeur d'une procédure intergouvernementale.
Le Marché commun, l'Acte unique et l'Union économique et
monétaire sont issus respectivement, il faut le rappeler, des
comités Spaak, Dooge et Delors. Un tel mandat pourrait de nouveau
être confié par les Quinze à un groupe de
personnalités européennes incontestables. Le Conseil
européen de Cardiff du mois de juin a prévu une réunion
informelle des chefs d'Etat ou de gouvernement et du président de la
Commission, les 16 et 17 octobre 1998, à Vienne, pour approfondir leurs
discussions sur la réforme institutionnelle et "pour
réfléchir aux moyens de préparer au mieux les travaux sur
ces questions en vue de leur examen lors du Conseil européen de Vienne"
en décembre prochain.
•
La
stratégie française : cohérence et
ouverture
La stratégie française doit s'appliquer :
- d'une part, à restaurer la cohérence qui a fait défaut
à nos positions défendues lors de la Conférence
intergouvernementale ;
- d'autre part, à élargir le cercle de nos soutiens et surmonter
en particulier le clivage entre "grands" et "petits" Etats.
La concordance des vues de la Belgique et de la France sur la
nécessité de la réforme institutionnelle montre qu'il n'y
a rien là d'impossible. Aussi conviendra-t-il d'abord, sans doute, de
consolider le groupe franco-italo-belge et d'établir dans ce cadre des
positions communes. Ensuite, il importe de rallier au projet d'une
réforme institutionnelle le Luxembourg et les Pays-Bas. La prudence
observée par ces deux pays à Amsterdam ne s'inscrit aucunement
dans leur tradition diplomatique, ouverte sur la construction
européenne, mais s'explique notamment par les inquiétudes
liées au débat sur la nouvelle pondération des voix. A cet
égard, le principe d'une double majorité constitue une formule de
compromis susceptible de rallier les autorités de La Haye.
Enfin, rien ne pourra se faire sans l'aval de
l'Allemagne
. Les
élections allemandes d'octobre prochain représentent une
échéance majeure non seulement pour l'Allemagne mais aussi pour
la construction européenne. Au lendemain de ce scrutin, Français
et Allemands devront s'attacher à élaborer une démarche
commune. Sans doute faudra-t-il, au préalable, dissiper les malentendus
accumulés au cours des derniers mois. L'équilibre entre la
réforme institutionnelle -souhaitée par les Français- et
la subsidiarité -thème cher aux Allemands- constitue certainement
une bonne base de départ pour aller de l'avant. La lettre
franco-allemande discutée lors du Conseil européen de Cardiff le
15 juin dernier, reprend d'ailleurs une telle démarche et
représente, à coup sûr, un signal encourageant.
*
* *
Alors
même que tous nos partenaires ont déjà engagé la
procédure de ratification du traité d'Amsterdam -et même,
pour certains d'entre eux, achevé cette procédure, la France
temporise.
Or, il apparaît indispensable d'éviter toute interférence
entre le débat sur la ratification et les élections
européennes de l'année prochaine, qui contribuerait à
brouiller les perspectives par des considérations de politique
intérieure.
Aussi, votre rapporteur conclura-t-il ces observations par le souhait que le
gouvernement dépose
le plus rapidement possible
, une fois le
préalable constitutionnel levé, le projet de loi autorisant la
ratification du traité accompagné de l'article additionnel
nécessaire.