B. UN CONTEXTE INTERNATIONAL EN MUTATION
1. Les négociations commerciales multilatérales à venir : une contrainte à prendre en compte
C'est en
principe à la fin 1999 que doivent s'ouvrir de nouvelles
négociations agricoles multilatérales.
Les négociations du cycle de l'Uruguay, qui ont abouti, après de
difficiles débats, à la signature des accords de Marrakech, le
15 avril 1994, instituant l'organisation mondiale du commerce (OMC),
ont déjà bouleversé le paysage agricole Européen et
les principes fondateurs de la PAC.
Aujourd'hui, comme en 1992, se pose la question de la
compatibilité
de la PAC
et de la réforme proposée avec ces
négociations et de
la tactique à adopter face à
l'offensive prévisible de certains partenaires
: faut-il
réformer la PAC avant les négociations de l'OMC pour adopter une
stratégie commune mettre l'Europe en position plus confortable ? Ou
faut-il, au contraire, garder du " grain à moudre " pour les
négociations et ne pas faire par avance les concessions auxquelles le
cycle de discussions aurait dû aboutir se condamnant par là
même à en faire de nouvelles ? En tout état de cause, les
deux sujets ne peuvent être envisagés séparément.
Le précédent de 1992 se révèle, à cet
égard, particulièrement instructif.
a) Le précédent des négociations agricoles du cycle de l'Uruguay
C'est
à Punta del Este, en Uruguay, en septembre 1986, qu'a
été prise la décision, aux lourdes conséquences, de
réintégrer l'agriculture au sein des négociations
commerciales internationales
visant à une libéralisation
accrue des marchés mondiaux.
Sept années de discussions, souvent tendues, ont été
nécessaires pour aboutir à un accord, les négociations
agricoles -les plus âpres, entre les Etats-Unis et l'Europe-
conditionnant l'issue de l'ensemble de l'accord, autour de trois thèmes
principaux :
- les politiques de soutien interne à l'agriculture ;
- les mesures d'aides à l'exportation ;
- l'accès aux marchés.
L'échec des premières tentatives d'accord
La position de départ des Etats-Unis
(qui avaient eux-mêmes
demandé le lancement d'une grande négociation agricole),
qualifiée "
d'option zéro
", visait à
éliminer toutes les mesures de politique agricole à
l'échéance 2000 : suppression en dix ans des aides
internes liées à la production ; suppression en cinq ans des
subventions à l'exportation ; suppression en dix ans de toute protection
aux frontières.
Cette position maximaliste, bien que rejetée par la Communauté
Européenne, le Japon et les pays scandinaves, reçut le soutien
très ferme des
pays dits du " Groupe de Cairns ".
Ces
Etats, qui, dans leur majorité, ne pratiquent pas de subvention à
l'exportation, représentent environ le tiers des exportations agricoles
mondiales. Ils s'estiment être des " exportateurs loyaux " et
réclament une très forte libéralisation du commerce de
produits agricoles.
LES PAYS DU GROUPE DE CAIRNS
Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chili, Colombie,
Iles
Fidji, Hongrie, Indonésie, Malaisie, Nouvelle-Zélande,
Philippines, Thaïlande et Uruguay
.
La Communauté Européenne
, quant à elle,
considérait que la réduction du soutien interne ne devait pas
excéder le niveau nécessaire au seul rétablissement de
l'équilibre des marchés. Elle proposait une discussion globale
des mesures de soutien interne, autour de l'indice synthétique de la
" mesure globale de soutien " (MGS), égale à la
différence entre le prix interne et le prix mondial, multipliée
par le volume de production, permettant de comparer les diverses formes de
politiques de soutien.
La position de la Communauté Européenne était donc la
suivante :
- prise en compte des mesures globales de soutien ;
- réduction de 30 % de la MGS, en dix ans à partir de
1986, pour les principaux produits (céréales, riz, sucre,
oléagineux et produits animaux) ;
- rééquilibrage de la protection extérieure au moyen
de la " tarification " (introduction d'un droit de douane à
l'importation des oléagineux et des produits de substitution aux
céréales, produits non protégés alors que les
secteurs à prélèvement variable
bénéficiaient d'une grande protection).
L'éloignement des positions des deux partenaires a d'abord conduit
à
l'échec de la tentative de compromis
(le
" Compromis Hellström ") à la Conférence du
Heysel, en décembre 1990.
C'est ensuite, le "
compromis Dunkel
", présenté
le 20 décembre 1991 par le Secrétaire
général du GATT, qui a tenté, sans succès,
d'aboutir à une solution. La Communauté s'y est opposée,
notamment en raison du non règlement par cette proposition du
contentieux entre l'Europe et les Etats-Unis sur le régime des
oléagineux.
La réforme de la PAC et le pré-accord de Blair House
C'est dans ce contexte de blocage des négociations internationales qu'a
été lancée la réforme Mac Shary de 1992,
précédemment décrite, qui a profondément
modifié le jeu de la négociation au GATT.
La réforme accomplie, l'Europe a cherché à obtenir au GATT
l'assurance d'une exemption de la réduction du soutien en faveur des
nouvelles aides de la PAC réformée, les Etats-Unis cherchant de
leur côté à obtenir une exemption similaire pour leur
système d'aide directe au producteur (deficiency payment).
Des discussions furent entreprises dans un cadre bilatéral
, entre
les Etats-Unis et la Communauté, afin de mettre au point les
modalités d'un accord à deux, prélude à un accord
définitif de toutes les parties contractantes. Ces discussions
aboutirent, le 20 novembre 1992 à Washington,
au
pré-accord dit de " Blair House "
(du nom du
bâtiment, proche de la Maison Blanche, où elles se
déroulèrent), qui a fait par la suite l'objet d'une vive
contestation de la part de la France.
La teneur de cet accord, comportant des engagements pour six ans à
compter de 1995, est résumé ainsi par un document de la
Commission Européenne :
LE PRÉ-ACCORD DE " BLAIR-HOUSE " : PRINCIPALES DISPOSITIONS
Soutien interne
: Il a été convenu d'exempter de
l'engagement de réduction au titre de la mesure globale de soutien les
aides directes versées par la Communauté dans le cadre de la PAC
réformée. Il était donc possible d'offrir aux exploitants
agricoles de la Communauté une compensation intégrale pour les
pertes de revenu résultant des réductions de prix ;
Exportations subventionnées
: Le chiffre de réduction du
volume des exportations subventionnées était de 21 % (contre
24 % prévus dans le " compromis Dunkel ").
Rééquilibrage dans l'accès au marché
: Les
deux parties se sont mises d'accord pour engager des consultations si les
importations de produits de substitution des céréales (PSC)
augmentaient au point de compromettre les résultats de la réforme
du marché des céréales.
Clause de paix
: Les deux parties se sont accordées sur un texte
prévoyant que les instruments appliqués dans la politique
agricole d'un pays ne seraient pas contestés au titre des
articles XVI et XXIII (protection des concessions et des avantages) du
GATT aussi longtemps que les disciplines résultant de l'Uruguay Round
dans les trois domaines de négociations seraient intégralement
respectées.
Contentieux oléagineux
: L'accord mettait fin au contentieux
-vieux de 4 ans- Européo-américain sur les
oléagineux. Il a été convenu que la Communauté
appliquerait un taux de jachère, sur la base d'une superficie de
5,128 millions d'hectares, ne pouvant être inférieur à
10 %. Selon l'accord, la Communauté offrirait une concession
tarifaire pour l'importation de 500.000 tonnes de maïs. La production
d'oléagineux à des fins non alimentaires (bioéthanol, par
exemple) sur les terres mises en jachère serait possible jusqu'à
concurrence d'un certain niveau correspondant à un plafond de
sous-produits de 1 million de tonnes de tourteaux exprimés en
équivalent tourteaux de soja.
Source : " Le GATT et l'agriculture Européenne ", Cahiers
de la PAC, Commission Européenne, direction générale de
l'agriculture.
La réaction française et l'accord de
décembre 1993
Face à cet accord bilatéral,
la France
, grâce
à la détermination du Gouvernement issu des élections de
1993,
a vivement réagi
, en mettant en cause notamment l'absence
de disposition précise en matière de rééquilibrage
dans l'accès au marché (problème des produits de
substitution des céréales) et le régime prévu pour
les oléagineux.
En outre, la compatibilité de cet arrangement avec la PAC
réformée n'était pas, à son sens, pleinement
garantie.
Un comité spécial agriculture du Conseil Européen,
réuni en mars 1993, a d'ailleurs identifié les nombreuses
conditions de cette compatibilité (accroissement de 12 millions de
tonnes de l'utilisation de céréales communautaires dans
l'alimentation animale, fixation du gel des terres à 15 % pour
l'ensemble de la période, réduction de 2 % des quotas
laitiers, possibilité d'exporter les viandes blanches sans
restitution...). Certaines estimations, plus alarmistes -ou plus
réalistes ?-, faisaient état de la nécessité d'un
doublement du taux de gel des terres en Europe pour rentrer dans le cadre du
pré-accord de Blair House
!
Le document précité de la Commission Européenne
retraçant l'histoire de cette négociation constate laconiquement
: "
Il allait donc falloir continuer à négocier fermement
avec les Etats-Unis, afin d'obtenir toutes les garanties nécessaires
pour qu'un accord final au GATT ne soit pas défavorable à
l'agriculture Européenne
".
Soulignons que la France, et singulièrement son ministre des affaires
étrangères de l'époque, a joué un rôle de
premier plan sur ce dossier difficile.
En septembre 1993, le Conseil " Jumbo " (ministres des affaires
étrangères et de l'agriculture) demandait à la Commission,
sans aller jusqu'à la réouverture du dossier conclu à
Washington, de clarifier certains points avec les Américains en vue de
conclure la négociation agricole du GATT : clause de paix, clause de
sauvegarde, produits de substitution des céréales,
appréciation des engagements en fin de période, agrégation
des produits pour les calculs de baisse des droits, écoulement des
stocks, croissance du marché mondial... En demandant cette
clarification, le
Conseil voulait sauvegarder les grands principes qui sont
à la base de la PAC : sa pérennité, la
préférence communautaire et la nécessité du
maintien de sa vocation exportatrice
.
Finalement, un accord était trouvé sur l'agriculture le
8 décembre 1993, et le cycle de l'Uruguay était conclu
le 15 décembre 1993, après 7 ans de débats
difficiles. La signature de l'Acte final eut lieu le 15 avril à
Marrakech, réunissant 117 pays.