c) Le coût d'un élargissement sans réforme de la PAC : un argument de la Commission pour justifier la réforme proposée
La
Commission a présenté, dès 1995, à la demande du
Conseil Européen d'Essen de décembre 1994, un "
document
de stratégie agricole
" sur le volet agricole de
l'élargissement
27(
*
)
, qui
en a apprécié les conséquences probables.
Dans ce document, la Commission a fait une évaluation du coût
théorique que représenterait l'extension de la PAC actuelle aux
10 pays d'Europe centrale et orientale candidats à l'entrée dans
l'Union Européenne. Précisons d'emblée " qu'Agenda
2000 " a par la suite affiné et nuancé certaines projections
initiales.
Le coût théorique pour le FEOGA-Garantie
Tout en soulignant le caractère hasardeux de ce type de projections, la
Commission a pris pour hypothèse une adhésion en 2000 des 10 PECO
candidats, et a évalué le coût de l'extension de la PAC
actuelle à ces pays, en envisageant un alignement progressif de leurs
prix (souvent inférieurs) sur les prix communautaires.
Dans ces conditions, le surcoût est estimé à environ
12 milliards d'écus par an
après une période de
transition et d'ajustement, à comparer aux 42 milliards d'Ecus
projetés pour l'Europe des 15.
Cette somme comprendrait les soutiens de marché ainsi que les aides
directes aux cultures arables, les primes animales et les mesures
d'accompagnement (programme agri-environnemental, afforestation et
préretraites).
Le surcoût se décomposerait, sur la période 2000-2010, de
la façon suivante :
SURCOÛT THÉORIQUE POUR LE FEOGA-GARANTIE D'UNE
EXTENSION EN 2000 DE LA PAC ACTUELLE AUX 10 PECO
(en millions d'écus)
Source : Commission Européenne, 1995
Soulignons qu'il s'agit bien d'une simulation, qui a toutes les chances de ne
pas se réaliser en l'état.
Ce chiffrage est, de
surcroît, présenté par la Commission peu avant ses
propositions, dans " Agenda 2000 ", de baisse des prix d'intervention
de la PAC, justifiée opportunément par l'argument de
l'élargissement :
en effet, l'introduction brutale des prix
communautaires actuels dans les agricultures des 10 PECO provoquerait,
d'après la Commission, une hausse qui stimulerait la production, tout en
freinant la demande intérieure, dans des pays où une part encore
conséquente du budget des ménages est consacrée à
l'alimentation. La constitution d'excédents serait alors
inévitable. En outre, l'industrie de transformation alimentaire de ces
pays, déjà confrontée à la concurrence des produits
communautaires, subirait de la sorte un renchérissement du coût de
ses intrants.
Cette étude a toutefois le mérite d'entamer une nécessaire
réflexion et de mettre l'accent sur le défi important que
représente l'élargissement en matière de coût de la
PAC, à l'heure où cette dernière absorbe
déjà la moitié du budget communautaire.
L'impact sur les prix et les productions
La commission a réactualisé
28(
*
)
, à l'occasion de la
présentation " d'Agenda 2000 " en juillet dernier, ses
estimations des conséquences de l'entrée dans l'Union
Européenne des PECO candidats
sur les marchés agricoles
communautaires d'ici à 2005.
En prenant l'hypothèse d'une intégration des 10 PECO en 2002, -et
non plus en 2000- et d'une application de la PAC actuelle à ces nouveaux
Etats membres, avec une hausse progressive des prix jusqu'à rejoindre
les prix communautaires, une instauration de quotas pour le lait et le sucre et
l'imposition d'un gel des terres, l'impact sur les différents
marchés serait le suivant :
L'IMPACT SUR LES PRODUCTIONS ET LES PRIX
Céréales :
Si le retrait des terres est appliqué,
les 10 PECO deviendraient importateurs nets de céréales (pour
1 million de tonnes en 2005), les quinze devant être à cette
date excédentaires (pour 40 millions de tonnes). Sans gel des
terres, l'excédent des PECO serait de quelques millions de tonnes.
Oléagineux :
La capacité exportatrice des PECO
après 2000 serait de 900 000 tonnes, alors que les besoins
d'importation des quinze s'élèvent à 16 millions de
tonnes.
Sucre :
En ce qui concerne les pays partie à l'accord de
libre-échange centre-Européen
29(
*
)
, la production resterait
excédentaire en 2005 malgré l'instauration de quotas.
Lait :
La production des PECO serait stabilisée par
l'application du régime des quotas laitiers, mais le rattrapage à
la hausse des prix pour s'aligner sur les prix communautaires freinerait,
d'après la Commission, la consommation intérieure,
entraînant ainsi l'apparition d'un excédent laitier de
2 millions de tonnes en 2005, contre 9,4 millions d'excédent
pour les 15.
Viande bovine :
De même, l'alignement sur les prix communautaires
stimulerait la production dans les PECO et aurait un effet négatif sur
la consommation intérieure. Un excédent de 435 000 tonnes
pourrait apparaître dans les 10 PECO (contre 500 000 tonnes pour les
15) d'ici à 2005.
Viande porcine :
Le même phénomène d'accroissement
de la production de diminution de la consommation intérieure, lié
à l'effet de rattrapage des prix, conduirait à un excédent
de 252 000 tonnes pour les 10 PECO (contre 700 000 pour les 15)
Volaille :
L'excédent des 10 PECO atteindrait de 170 000
à 194 000 tonnes après 2000, contre 400 000 tonnes pour
les 15.
Vin de table et fruits et légumes :
La Commission estime que des
"
déséquilibres
" pourraient
"
également
" affecter ces marchés.
Source : " Agenda 2000 ", Commission, juillet 1997
Sur cette argumentation communautaire, votre mission d'information souhaite
formuler deux remarques :
- L'élargissement ne fera réellement sentir ses
conséquences pour la PAC qu'à un horizon d'au moins 5 ans
(voire plus). Il n'est donc
pas le facteur le plus immédiat
pour
la réforme de la PAC ;
- En revanche, il constitue, sur le moyen terme, un défi immense
pour la Politique agricole commune. Mais il semble à votre mission
d'information que son impact se fera encore davantage sentir sur
la
politique des fonds structurels Européens
.
L'élargissement et les fonds structurels
Une forte demande d'actions de cohésion
Les pays candidats présentent -on l'a vu- en moyenne un PIB par habitant
égal à seulement
un tiers de la moyenne communautaire
actuelle
. Au sein de ces pays, l'écart est important : il va de 1
à 3,2 entre les deux candidats " extrêmes ", la Lettonie
et la Slovénie, disparité plus forte que les écarts
actuels de développement qui existent entre le plus riche et le moins
riche des quinze (rapport de 1 à 2,6 entre la Grèce et
Luxembourg). Dans " Agenda 2000 ", la Commission souligne que
la
baisse du PIB par habitant moyen de l'Europe du fait du passage des 15 Etats
aux 26 Etats sera supérieure à l'ensemble des baisses intervenues
lors des précédents élargissements
.
Or
le principe de cohésion
, qui est l'un des piliers de l'Union
Européenne, impose de réduire les disparités entre les
Etats membres. Dans " Agenda 2000 ", la Commission souligne que
" ni dans le cadre de la planification centralisée, ni au
début de la transition économique, les pays candidats n'ont pu
mobiliser des moyens administratifs et budgétaires importants pour
atténuer ces disparités. Face à la montée du
chômage et à la prise de conscience du coût social et
régional des transformations économiques, ils se sont
récemment dotés de quelques instruments (...) [qui] restent
encore insuffisants ".
Faibles contributeurs au budget communautaire, les PECO, une fois
intégrés dans l'Union, seront en revanche fortement consommateurs
de crédits des politiques structurelles.
Bien plus, l'action structurelle conditionne en quelque sorte le succès
de l'intégration de ces pays.
Une extension des instruments actuels difficilement envisageable
Afin de montrer l'ampleur du défi auquel doit faire face, du fait de
l'élargissement, la politique structurelle Européenne, la
commission a calculé l'augmentation qu'entraînerait, à
réglementation inchangée, en terme de population éligible
aux différents objectifs, l'entrée des 10 PECO (et de Chypre)
dans l'Union, par rapport à la situation de 1989 à celle de 1995 :
AUGMENTATION DE LA POPULATION ÉLIGIBLE AUX FONDS
STRUCTURELS ACTUELS
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Source : Commission Européenne
Sur les critères actuels,
tous les PECO seraient éligibles
à l'objectif 1
des fonds structurels (régions en retard
de développement pour l'ensemble de leur territoire). Si rien n'est
changé, le nombre d'habitants pouvant bénéficier de cette
aide passerait alors de 94 à 200 millions, soit près des 2/3
de l'Union (60,4 %) !
Ces chiffres montrent le caractère difficilement soutenable de la
politique structurelle actuelle. Ils posent ainsi le problème du
transfert de la solidarité intra-communautaire, d'un mouvement Nord/Sud
(et vers l'Irlande) à un mouvement Ouest/Est, sur le modèle de
l'Allemagne unifiée.
Ils hypothèquent à terme la capacité de l'Union
Européenne à venir en aide aux zones rurales des pays
" riches " de la Communauté.
En plus des chocs internes, à l'ampleur sans précédent, la
PAC est également confrontée à de rapides mutations
internationales.