B. DES DIFFICULTÉS D'ACCÈS IDENTIFIÉES LOCALEMENT
1. Un accès très fragile dans certains territoires
Certains territoires apparaissent marqués par des difficultés durables d'accès à l'IVG, quelle que soit la méthode visée. Interrogées par le Gouvernement en 2023, les ARS font ainsi état :
- pour trois d'entre elles42(*), de difficultés ponctuelles, par exemple en période estivale, pour l'accès à certaines techniques ou aux IVG instrumentales ;
- pour sept d'entre elles43(*), de difficultés durables dans certains territoires spécifiques ;
- pour six d'entre elles44(*), de difficultés durables touchant un ou plusieurs départements.
Six ARS estiment, par ailleurs, que des zones de leur territoire régional sont éloignées de plus d'une heure d'une offre d'IVG45(*). Les difficultés de transport associées s'avèrent particulièrement fortes pour les mineurs ou les populations précaires, en particulier en zone rurale, ainsi que dans certains territoires d'outre-mer.
Les difficultés rencontrées dans certains territoires d'outre-mer
Les territoires ultramarins, marqués par des taux de recours à l'IVG élevés, rencontrent des problèmes d'accès spécifiques tenant à la fois à leurs particularités géographiques, au maillage insuffisant de l'offre hospitalière et libérale, ainsi qu'aux difficultés de transport rencontrées.
Ces difficultés sont particulièrement marquées en Guyane, pour les communes isolées de l'intérieur ou certaines communes du littoral (Iracoubo, Mana, Sinnamary ou Régina).
Elles sont également relevées en Guadeloupe, du fait de l'éloignement de l'offre des îles du Sud (Marie-Galante, la Désirade, les Saintes). Depuis Marie-Galante, l'accès au plateau technique du CHU de la Guadeloupe ne peut se faire que par voie maritime ou aérienne. Actuellement, l'équipe du CPP ne réalise que des IVG jusqu'à 7 SA.
Si La Réunion ne connaît pas de zones significativement éloignées de l'offre, l'accès à l'IVG instrumentale demeure complexe dans le sud de l'île. Le site sud du CHU, seul établissement de santé à réaliser les IVG dans cette partie du territoire, assure uniquement les IVG médicamenteuses, en raison de problèmes d'accès au bloc opératoire, d'absence de matériel disponible ou de formation insuffisante des équipes à la méthode instrumentale.
Source : Réponses écrites de la DGOS et de la DGS au questionnaire transmis par les rapporteurs
Les données manquent pour objectiver ces difficultés. Si la Drees mesure chaque année la part des femmes réalisant une IVG dans leur département de résidence sur l'ensemble des patientes, un recours à l'offre d'autres départements peut toutefois révéler un choix délibéré des femmes, recherchant davantage de confidentialité ou une meilleure facilité d'accès dans le département voisin.
Néanmoins, cet indicateur et surtout les variations observées entre les territoires peuvent rendre partiellement compte des difficultés d'accès rencontrées. Ainsi, la part des femmes ayant recours à l'IVG dans leur département de résidence est supérieure à 80 % au niveau national, mais ne dépasse pas 60 % en Seine-Saint-Denis ou en Ardèche.
Part des IVG réalisées dans le département de résidence en 2023
(en %)
Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après des données Drees (2024)
Le recueil des événements indésirables graves (EIG) par les ARS permet également de mesurer certaines difficultés d'accès. Le rapport au Parlement de 2023 en recense 41 pour l'année 2022, répartis dans 7 régions, révélant notamment des défauts d'organisation de l'offre hospitalière (délais excessifs, orientation défaillante pour une IVG tardive, etc.) ou un manque de lisibilité de l'offre en ville. Le rapport relève toutefois un probable « défaut d'exhaustivité de recensement [des EIG] de la part de certaines régions. »46(*)
Proposition n° 4 : Renforcer le suivi de l'accès à l'IVG, par la mise en place d'indicateurs (distance entre le lieu de réalisation et le domicile de la patiente, délai de réalisation, libre choix de la méthode retenue) supervisés par les ARS.
Proposition n° 5 : Améliorer le recensement des événements indésirables graves et analyser les difficultés d'accès qu'ils révèlent.
2. La question du choix de la méthode et de l'accès aux IVG tardives
L'accès à l'IVG ne comprend pas seulement la faculté d'interrompre, dans des délais raisonnables, sa grossesse mais également celle de choisir la méthode d'interruption. La loi dispose, à cet égard, que « toute personne doit être informée sur les méthodes abortives et a le droit d'en choisir librement »47(*). Or l'exercice de ce droit apparaît, en pratique, limité dans certains territoires.
Le ministère relève ainsi, après sondage des ARS, que dix d'entre elles font état de zones infrarégionales dans lesquelles une seule méthode d'IVG est proposée48(*). De la même manière, d'après le « Baromètre IVG » publié par le planning familial, 31 % des femmes ayant avorté avant le début de leur huitième SG affirment ne pas avoir eu le choix de la méthode49(*).
Nombre d'ARS identifiant des zones |
Part des femmes ayant avorté estimant ne pas avoir
eu le choix |
Plusieurs limites à la faculté de la patiente de choisir les modalités d'interruption de sa grossesse peuvent, en effet, être recensées :
- du fait de la concentration de l'offre hospitalière et des difficultés de certains établissements à assurer cette offre, l'accès à la méthode instrumentale est parfois difficile ;
- la possibilité de réaliser des IVG instrumentales en centre de santé peut empêcher les femmes de bénéficier d'une anesthésie générale, lorsque le centre n'est pas en mesure de les réorienter vers une structure référente le proposant ; à cet égard, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) souligne qu'un choix par défaut de l'anesthésie locale peut être « très mal vécu »50(*) ;
- des difficultés à répondre aux demandes d'IVG tardives, au-delà de la douzième SG, ont été identifiées et persistent en partie, du fait d'un manque de formation des équipes hospitalières ou de l'absence de matériel nécessaire à la mise en oeuvre de la technique de dilatation-évacuation requise à ce terme ;
- des disparités territoriales existent dans la méthode employée pour la réalisation d'IVG tardives, du fait de l'absence de mise à jour des recommandations de bonnes pratiques de la HAS depuis la dernière extension du délai légal d'IVG ;
- l'accès à l'IVG médicamenteuse à domicile apparaît inégal selon les territoires et dépend, notamment, de l'investissement des professionnels de ville ;
- des obstacles techniques demeurent à la réalisation d'IVG médicamenteuses à domicile par téléconsultation en établissement de santé, que le CNGOF appelle à lever51(*).
Sur ce dernier point, les rapporteurs relèvent que la stratégie nationale de santé sexuelle 2021-2024 prévoyait, à l'horizon 2022, de « lever les obstacles, notamment législatifs et de facturation, ne permettant pas aujourd'hui de proposer la télémédecine pour la réalisation du parcours IVG médicamenteuse à l'hôpital. »52(*) Ils regrettent que cet objectif n'ait pas été tenu et appellent le Gouvernement à veiller à assurer à chaque patiente le choix de la méthode d'interruption de sa grossesse, du lieu de réalisation de l'IVG et, le cas échéant, de l'anesthésie associée.
Proposition n° 6 : Exiger des ARS l'identification des structures permettant, dans leur ressort territorial, la réalisation d'IVG tardives et un appui renforcé à la formation des professionnels et à l'équipement des établissements dans les territoires en étant dépourvus.
Proposition n° 7 : Demander à la HAS de mettre à jour ses recommandations de bonnes pratiques relatives à l'IVG pour tenir compte de la dernière extension du délai légal.
Proposition n° 8 : Faciliter la réalisation d'IVG médicamenteuses en téléconsultation dans le cadre d'une prise en charge hospitalière.
* 42 Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Île-de-France.
* 43 Auvergne-Rhône-Alpes, Bretagne, Pays-de-la-Loire, Provence-Alpes-Côte d'Azur, La Réunion, Guadeloupe, Hauts-de-France.
* 44 Bourgogne-France-Comté, Corse, Grand Est, Guyane, Normandie, Centre-Val de Loire.
* 45 Réponses écrites de la DGOS et de la DGS au questionnaire transmis par les rapporteurs. Les ARS concernées sont les suivantes : Auvergne-Rhône-Alpes, Corse, Centre-Val de Loire, Grand Est, Guadeloupe, Guyane.
* 46 Rapport sur l'accès à l'offre d'interruption volontaire de grossesse (IVG), op. cit.
* 47 Article L. 2212-1 du code de la santé publique.
* 48 Auvergne-Rhône-Alpes, Bretagne, Centre-Val de Loire, Grand Est, Hauts-de-France, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Guadeloupe, Guyane, La Réunion.
* 49 Étude Ifop pour le planning familial, op. cit.
* 50 Réponses écrites du CNGOF au questionnaire transmis par les rapporteurs.
* 51 Ibid.
* 52 Feuille de route stratégie nationale de santé sexuelle 2021-2024, action n° 17.