II. DE FORTES DISPARITÉS TERRITORIALES DANS L'ACCÈS À L'IVG
A. UNE OFFRE D'IVG INÉGALE SELON LES TERRITOIRES
1. Les disparités observées dans l'offre disponible en ville
Si la part de la ville dans l'offre d'IVG a significativement progressé ces dernières années, elle demeure toutefois très inégale d'un territoire à l'autre et ne repose que sur une faible minorité de professionnels de santé impliqués.
De fortes disparités territoriales dans le développement de l'offre en ambulatoire sont, d'abord, relevées. Ainsi, en 2021, la part prise par l'activité de ville dans l'offre totale d'IVG s'établissait à 10 % dans les Pays de la Loire, quand elle s'élevait à 43,5 % en Provence-Alpes-Côte d'Azur. Ces inégalités sont encore plus marquées au niveau départemental : en 2023, moins de 10 % des IVG ont été réalisées hors d'un établissement de santé dans l'Orne, la Creuse, la Sarthe ou la Haute-Vienne, alors que plus de 60 % d'entre elles étaient réalisées en ambulatoire dans les Hautes-Alpes et dans les Alpes-Maritimes, en Guadeloupe et en Guyane.
Part d'IVG réalisées hors établissement de santé en 2023 (en %)
Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après des données Drees (2024)
Ces disparités ne recoupent qu'imparfaitement l'inégale répartition des professionnels de santé libéraux sur le territoire national. Interrogé par les rapporteurs, le ministère de la santé relève ainsi que, parmi les cinq régions présentant le plus fort taux de contribution de la ville à l'activité totale d'IVG, une seule présente une densité de professionnels libéraux pour 100 000 habitants supérieure à la moyenne nationale31(*). De la même manière, parmi les cinq régions présentant le plus faible taux de contribution de la ville, deux seulement sont marquées par une densité inférieure à la même moyenne32(*).
Les disparités observées semblent davantage tenir à l'inégal engagement des professionnels de ville dans l'offre d'IVG et à l'inégale propension des femmes à y recourir.
S'agissant des patientes, d'une part, le ministère souligne notamment la « faible visibilité assurée jusqu'à aujourd'hui à l'offre d'IVG de ville de certaines régions », que la mise en place de répertoires officiels devrait permettre d'améliorer33(*). Certaines femmes peuvent également, dans les zones rurales, préférer recourir à des établissements de santé paraissant offrir une meilleure protection de leur anonymat34(*).
L'implication des professionnels de santé dans la réalisation d'IVG en ville demeure, d'autre part, fortement minoritaire. En 2023, 3 170 professionnels exerçant en cabinet de ville ont pratiqué au moins une IVG dans l'année : 1 208 sages-femmes, 902 gynécologues médicaux ou gynécologues-obstétriciens et 1 007 médecins généralistes, soit respectivement 14 %, 19 % et 1,5 % de l'effectif de ces professionnels. Ce nombre a augmenté de 814 entre 2020 et 2023, principalement du fait de l'engagement de 693 sages-femmes supplémentaires dans cette activité.
Part des professionnels exerçant en cabinet
de ville
ayant réalisé au moins une IVG en 2023
Source : Drees (2024)
Plusieurs facteurs expliquant cette implication mesurée et inégale des professionnels sont avancés par le ministère :
- le niveau de tarification des IVG médicamenteuses réalisées en ville, jugé insuffisant par certains professionnels de santé ;
- l'activité d'IVG requiert, en ville, un conventionnement avec un établissement de santé pouvant décourager les professionnels ; certaines ARS et certains dispositifs spécifiques régionaux en périnatalité (DSRP) fournissent des conventions-type et facilitent la prise de contact entre professionnels ;
- certaines régions ont engagé depuis plusieurs années des politiques volontaristes de sensibilisation, d'accompagnement et de formation des professionnels à l'IVG médicamenteuse.
Le Gouvernement a procédé, le 1er mars 2024, à une revalorisation du tarif associé aux IVG médicamenteuses. Il a également fait figurer parmi les missions des DSRP celle de soutenir la montée en compétence des professionnels exerçant en cabinet libéral35(*).
Les rapporteurs jugent que de tels efforts doivent être poursuivis et priorisés dans les régions comprenant des territoires dans lesquels l'accès à une IVG médicamenteuse apparaît difficile. Des objectifs chiffrés pourraient, à cet égard, être fixés aux ARS concernées.
Proposition n° 1 : Fixer aux ARS des objectifs de croissance du nombre de professionnels de ville contribuant à l'offre d'IVG médicamenteuse, favoriser l'accès des professionnels à une formation de qualité et simplifier les procédures de conventionnement.
2. La concentration de l'offre hospitalière
Parallèlement à la diminution de la part de l'hôpital dans l'activité d'IVG, le nombre d'établissements y contribuant n'a cessé de décroître ces dernières années.
Selon un rapport remis par le Gouvernement au Parlement en septembre 202336(*), le nombre d'établissements de santé ayant réalisé plus d'une IVG dans l'année s'établit à 526 en 2021, en diminution de 23,7 % depuis 2005, alors que le nombre d'IVG réalisées en France augmentait de plus de 8 % sur la même période. Parmi ces 526 établissements, 459 seulement ont réalisé au moins 10 IVG au cours de l'année 2021 et peuvent être, en conséquence, considérés comme contribuant régulièrement à l'offre d'IVG hospitalière sur le territoire.
La concentration de l'offre hospitalière d'IVG entre 2005 et 2021
La diminution observée de la contribution du secteur privé est particulièrement spectaculaire. En 2023, parmi les IVG réalisées dans un établissement de santé, 92 % l'ont été dans le secteur public, 3,5 % dans le secteur privé non lucratif et 4,5 % dans le secteur privé lucratif. Ce dernier représentait encore 39 % des IVG hospitalières en 2001 et 19 % en 201037(*). La faiblesse des tarifs associés à l'activité d'IVG figure parmi les principaux facteurs explicatifs mis en avant.
Répartition des IVG en établissement entre secteurs hospitaliers en 2023
Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après des données Drees (2024)
Si cette concentration de l'offre hospitalière d'IVG peut sembler adaptée à l'évolution des pratiques, notamment au développement des IVG médicamenteuses réalisées en ville, elle n'en a pas moins pour effet d'éloigner certaines patientes des établissements de santé susceptibles de répondre à leurs besoins. Elle résulte, parfois, de la fermeture de services de gynécologie-obstétrique ne donnant pas lieu à la mise en place, en relai, de centres périnataux de proximité (CPP), au sein desquels peut être assurée une activité d'IVG. Dans le rapport au Parlement précité, le Gouvernement indique travailler à « systématiser la mise en place de CPP suite à la fermeture ponctuelle ou définitive d'une maternité »38(*).
Proposition n° 2 : Rendre systématique l'ouverture de centres périnataux de proximité susceptibles de maintenir localement une offre hospitalière d'IVG en cas de fermeture de services de gynécologie-obstétrique.
L'effet de la concentration de l'offre hospitalière sur l'accès à l'IVG est d'autant plus important que l'ensemble des établissements impliqués ne proposent pas une offre complète.
Ainsi, un quart environ des établissements réalisant des IVG ne proposent un accès qu'à l'une des deux techniques et, le plus souvent, qu'à la technique médicamenteuse. Interrogé, le ministère met en avant les tensions démographiques touchant les anesthésistes-réanimateurs et les gynécologues-obstétriciens, les difficultés capacitaires en bloc opératoire et les besoins de formation des professionnels à la réalisation des IVG instrumentales. Ces facteurs conduisent parfois les établissements à prioriser le secteur des naissances, soumis à une obligation de continuité.
De la même manière, parmi les établissements contributifs, une minorité semble en mesure de prendre en charge des IVG tardives, réalisées au-delà de 12 SG. D'après le ministère, une enquête réalisée auprès des ARS en mai 2023 n'a pu identifier que 232 établissements contribuant à la réalisation des IVG à ce terme, soit environ 44 % des structures contributives. Le ministère souligne, là encore, l'importance de la formation pour la diffusion de cette pratique39(*).
Part, en 2023, des établissements contributifs proposant...
Interrogé par les rapporteurs, le ministère reconnaît que « cette concentration de l'offre hospitalière d'IVG instrumentale a un impact sur les délais d'accès à l'IVG... »40(*). D'après le « baromètre IVG » récemment publié par le planning familial, 54% des femmes qui ont avorté dans un établissement de santé ont dû attendre plus de 7 jours pour avoir ce rendez-vous41(*).
Proposition n° 3 : Soutenir au niveau régional la formation des sages-femmes et, plus largement, des équipes hospitalières à la technique instrumentale.
* 31 Parmi les régions PACA, Île-de-France, Guyane, Mayotte et La Réunion, seule PACA présente une telle situation favorable.
* 32 Parmi les régions Pays de la Loire, Centre-Val-de-Loire, Grand-Est, Bretagne et Corse, seules les deux premières présentent une telle situation défavorable.
* 33 Voir infra.
* 34 Réponses écrites de la DGOS et de la DGS au questionnaire transmis par les rapporteurs.
* 35 Instruction n° DGOS/R3/DGS/SP1/2023/122 du 3 août 2023 relative à l'actualisation des missions des dispositifs spécifiques régionaux en périnatalité.
* 36 Rapport sur l'accès à l'offre d'interruption volontaire de grossesse (IVG), remis par courrier de la Première ministre le 11 septembre 2023.
* 37 Drees, « La hausse des IVG réalisées hors établissement de santé se poursuit en 2023 », septembre 2024, n° 1311.
* 38 Rapport sur l'accès à l'offre d'interruption volontaire de grossesse (IVG), op. cit.
* 39 Réponses écrites de la DGOS et de la DGS au questionnaire transmis par les rapporteurs.
* 40 Ibid.
* 41 Étude Ifop pour le planning familial « L'accès des Françaises à l'avortement. Enquête auprès du grand public et des femmes ayant eu recours à une IVG », juillet 2024.