B. SOUTENIR ET VALORISER LES TRAVAILLEURS SOCIAUX QUI LES PRENNENT EN CHARGE

Au cours de leurs travaux sur les femmes à la rue, les rapporteures ont été frappées par le délitement de l'environnement social de l'accompagnement du sans-abrisme et par les conditions très difficiles dans lesquelles s'exerce aujourd'hui le travail social.

Pour reprendre les mots de la chercheure Marie Loison-Leruste, les travailleurs sociaux « ne sont plus au bord du gouffre, ils sont dans le gouffre. Nombreux sont celles et ceux, chefs de service ou salariés de première ligne, qui sont en burn-out parce qu'ils ne trouvent plus de sens à leur travail. Malgré leur engagement, ils sont dans une très grande souffrance au travail, malmenés par leurs propres institutions du fait de leurs conditions de travail, de leur rémunération et de leur absence de reconnaissance professionnelle »118(*).

Au cours de leurs multiples déplacements durant leur mission (foyers de La Mie de pain à Paris, visites à Marseille, en Seine-Saint-Denis et dans un centre d'appels du 115 de Paris), les rapporteures ont souvent pu constater la détresse des travailleurs sociaux, parfois impuissants dans la recherche de solutions pour les femmes sans domicile qu'ils accueillent et accompagnent. Si la précarité de ces femmes est extrême, celle des travailleurs sociaux, censés les aider, l'est également.

C'est pourquoi les rapporteures estiment indispensable, d'une part, de reconnaître la difficulté et la valeur du travail social accompli auprès de ce public extrêmement fragile, d'autre part, de continuer à former et soutenir les travailleurs sociaux.

1. Renforcer l'attractivité et la formation des travailleurs sociaux
a) Une profession précaire et sous-valorisée : un risque réel de découragement

Bien qu'indispensables pour écouter, accompagner, accueillir et orienter les personnes à la rue, les travailleurs sociaux - et plus exactement les « travailleuses sociales » puisque la profession est majoritairement féminine - se trouvent souvent eux-mêmes dans une situation de grande précarité et d'instabilité en raison de faibles rémunérations, d'un manque de reconnaissance sociale et d'une perte de sens professionnel de leur activité faute de solutions durables à proposer au public pris en charge.

Principaux chiffres et éléments d'analyse sur les travailleurs sociaux

Au sein de l'ensemble des établissements et services en faveur des adultes et familles en difficulté sociale sont recensés par la Drees, en 2016 (derniers chiffres publiés), 30 190 travailleurs pour 21 800 équivalents temps plein (ETP) dans ces structures.

Ces personnes sont à 49,2 % des personnels éducatifs, pédagogiques et sociaux (éducateurs spécialisés, moniteur-éducateur, hôtes de pensions de famille, assistant de service social, conseiller en économie sociale et familiale) auxquels il faut ajouter 8,9 % de surveillants de nuit, 3,5 % de psychologues et personnels paramédicaux, enfin 8 % de personnels d'encadrement sanitaire et social.

En 2016, 81 % du personnel dépendaient d'une convention collective donc du secteur privé et 10 % étaient agents de la fonction publique (un quart des établissements d'accueil mère enfant sont publics).

64,5 % sont des femmes.

Elles et ils ont en moyenne 43,3 ans. Ils et elles ont, en moyenne, 7,5 ans d'ancienneté dans leur entreprise ce qui est relativement stable, mais on constate un rajeunissement des personnes dans les structures liées à l'asile par rapport à la précédente étude de 2012.

Enfin, 68% des personnels éducatif, pédagogique et social sont à temps complet.

Concernant la formation des futurs travailleurs sociaux, les établissements peinent à remplir leurs promotions : en dix ans, le nombre d'étudiants inscrits au sein d'écoles formant aux métiers sociaux a chuté de 6 %, et près de 10 % des étudiants s'arrêtent dès la première année. En 2022, 4 200 étudiants ont interrompu définitivement leur formation en travail social, soit un taux d'interruption de 7,2 %, selon les données de la Drees.

Le manque de personnel dans les structures conduit à un manque d'encadrement. Nombreux sont ceux qui se retrouvent parachutés dans des fonctions de professionnels alors qu'ils ne sont encore qu'apprenants.

Les structures recrutent, mais peinent à fidéliser leurs salariés, en raison de conditions de travail pénibles et d'un salaire peu élevé. En début de carrière le salaire net oscille entre 1 600 et 1 700 euros net. D'après les données de la CFDT, le salaire moyen brut dans les conventions collectives du secteur social se situe à 2 300 euros brut, contre 3 500 euros en moyenne nationale.

Cette faiblesse des salaires au regard des salaires moyens dans d'autres secteurs d'activité a une incidence sur l'attractivité du secteur, sur les capacités de remplacement des professionnels qui se font par le recours accru aux CDD de courte durée ou à l'intérim. Selon la CFDT, on comptabilise dans la branche plus de 100 000 départs en 2021, dont 52 % de salariés démissionnaires, 11 % de ruptures conventionnelles et 7 % de licenciements pour inaptitude. Le taux de turnover se situe autour de 12 % dans la branche.

Les salariés qui s'en vont sont massivement remplacés par des intérimaires embauchés pour quelques journées. Ce fonctionnement peut aussi être perturbant pour les publics vulnérables dont s'occupent les travailleurs sociaux.

Selon les données fournies par la CFDT, ce sont plus de 50 000 postes qui sont non pourvus faute de candidats dans la branche et plus de 200 000 projets de recrutements. Environ 20 % des postes seront à remplacer dans les dix années à venir du fait des départs en retraite.

En outre, les données fournies par la CFDT signalent un niveau de sinistralité important, supérieur à la sinistralité de la branche du bâtiment. Dans la branche, ce sont 25,4 millions de jours d'absence dont 3,34 millions d'accidents du travail/maladie professionnelle (AT/MP).

Sources : enquête de la Drees (2016), CFDT Santé sociaux, enquête du journal Le Monde
sur les jeunes travailleurs sociaux publiée le 26 septembre 2024

Cette précarité et l'absence de reconnaissance professionnelle constituent des facteurs importants de découragement voire de colère au sein d'un corps de métier marqué par un important turnover et une usure professionnelle souvent précoce qui sont à l'origine d'un manque d'effectifs au sein des équipes d'accompagnants au regard du nombre grandissant de personnes à accompagner.

Ainsi, Nathalie Latour, directrice générale de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), indiquait à la délégation, lors de son audition119(*), que « le turnover des équipes constitue une inquiétude majeure. Nous observons deux types de réactions dans des moments très difficiles : soit le découragement, soit une très grande colère, qui pose problème pour la qualité du travail, qui peut aussi se retourner contre la gouvernance, la direction, puisque ce sont leurs interlocuteurs, ceux qui transmettent le cadre dans lequel ils travaillent. Ce sujet demande beaucoup de travail de concertation, avec des enjeux éthiques et déontologiques ».

De même, Bénédicte Souben de la Croix-Rouge française alertait la délégation sur le fait que « les professionnels en structure d'hébergement, les écoutants du 115 et les maraudeurs font part de la difficulté de leur travail face à l'absence de solutions à proposer. Nous constatons une certaine usure, ainsi que du turnover, à propos duquel je ne dispose pas de données objectives à vous fournir. Nous avons également connaissance d'une proportion importante d'arrêts maladie. Cette profession abîme. S'y ajoutent des difficultés de recrutement pour pallier les départs ».

Le découragement, la lassitude et l'épuisement de ces professionnels (écoutants, maraudeurs, accompagnants, etc.) au quotidien ont été soulignés à plusieurs reprises devant la délégation.

Ainsi que le pointait aussi la représentante de la Croix-Rouge française, « certains professionnels, notamment des maraudeurs, sont tellement las de revoir les personnes parfois quotidiennement et de ne rien pouvoir leur proposer comme solution d'hébergement qu'ils demandent un appui de leur hiérarchie, soulignant qu'il est nécessaire de trouver une solution, n'importe laquelle. Certains managers nous indiquent que s'ils n'ont rien à proposer à leurs maraudeurs, ils les perdront. Dans ces conditions, on en arriverait presque à accepter de prendre en charge les personnes dans des conditions totalement insatisfaisantes, ce que l'on ne souhaite pas, parce que les professionnels en contact avec celles-ci ont besoin d'un peu d'espoir ».

À cet égard, Sophie Rigard du Secours catholique a révélé à la délégation que le niveau de saturation des services d'hébergement d'urgence était tel que le 115 en venait parfois à orienter certaines personnes à la rue « vers les réseaux citoyens d'hébergement, qui sont pour partie des squats. En effet, les adresses des squats circulent pour orienter les personnes au mieux, ce qui place les travailleurs sociaux dans des situations complexes et inconfortables. Ils ne connaissent pas le niveau de sécurisation des lieux évoqués. On est tellement dans la débrouille pour trouver des solutions à ces femmes, ces hommes et ces enfants, que nous en arrivons à ces situations ».

Pour sa part, Vanessa Benoit, directrice générale du Samusocial de Paris, indiquait à la délégation que « l'ancienneté moyenne des écoutants du 115 à Paris s'établit à sept mois. Elle est très faible. Nous passons notre temps à recruter et à remplacer. Nos équipes de travail social, sur de l'accompagnement, ont affiché jusque 30 à 40 % de postes vacants. Aujourd'hui, nous parvenons à recruter, mais pas des travailleurs sociaux professionnels diplômés. Nous embauchons des personnes qui n'ont pas de diplôme, mais ont une expérience, ou disposent d'une autre forme de diplôme. Nous demandons aux diplômés qui restent d'aider à les former, et nous les accompagnons dans une valorisation des acquis de l'expérience (VAE) ».

L'attractivité de ces métiers est un réel sujet de même que la capacité des écoles et des employeurs à maintenir ces professionnels en poste. Plus globalement, la question de la considération qu'ils ressentent est primordiale.

b) Valoriser le statut de travailleur social grâce à une meilleure formation

Si le découragement et l'usure sont aujourd'hui devenus des marqueurs du travail social, les rapporteures tiennent à souligner que toutes les femmes en difficulté qu'elles ont rencontrées au cours de cette mission ont fait valoir le rôle central, voire vital, qu'ont pu jouer les travailleurs sociaux, à une étape ou une autre de leur parcours, pour les aider à sortir de la rue.

En effet, la capacité des travailleurs sociaux à établir des relations de confiance avec les personnes, et notamment les femmes, qu'ils accompagnent, est cruciale pour le bon déroulement de l'accompagnement.

Les rapporteures gardent ainsi en mémoire l'hommage émouvant rendu à Nathanaël, travailleur social salarié au sein de l'association des OEuvres de la Mie de pain, par l'ensemble des femmes rencontrées à l'occasion de leur déplacement du mois de janvier 2024 au Foyer-Notre-Dame dans le 15e arrondissement de Paris et à la halte de nuit située au sein de la mairie du 5e arrondissement. Interrogé sur sa formation, Nathanaël avait fait part d'une formation initiale d'éducateur spécialisé tout en admettant avoir beaucoup appris sur le terrain en matière d'addictologie, d'accès aux soins, au logement, aux différents dispositifs d'insertion, ou encore de procédures administratives et juridiques.

Cette relation de confiance permet non seulement de mieux comprendre les besoins et les attentes des personnes accompagnées, mais de leur permettre d'aller de l'avant.

La revalorisation du statut de travailleur social devra se traduire par une revalorisation de la grille salariale associée à ces métiers ainsi que par une augmentation des effectifs, avec un renforcement des capacités des services sociaux de droit commun qui demeurent relativement bien identifiés. Plus encore, la question de la formation des travailleurs et travailleuses sociaux a été, à plusieurs reprises au cours de nos travaux, pointée comme incontournable.

Ainsi, le Secours catholique a rappelé que « la question de la formation des professionnels des structures, de la veille sociale et de l'hébergement à la prévention, au repérage, à la prise en compte et à l'accompagnement des victimes de violences faites aux femmes et aux enfants est primordiale ».

De ce point de vue, le Samusocial de Paris a également concédé que l'accompagnement social des femmes à la rue n'est pas toujours suffisamment adapté, car « nos professionnels ne sont pas formés à la prise en charge de personnes ayant vécu des traumatismes. Les femmes dont nous parlons ont besoin de se réapproprier leur corps, leur pouvoir d'agir, leur estime de soi. Il est important de prendre ces éléments en compte. Nos professionnels peuvent être gênés d'aborder des questions intimes sur l'accès aux soins, sur la santé reproductive et sexuelle, sur les violences sexistes et sexuelles subies. Puisqu'elles sont intrusives, il faut être formé à poser ces questions, à détecter ces difficultés à partir d'indices ».

Ces professionnels ont bien souvent besoin d'être accompagnés dans la prise en compte du polytraumatisme, fréquent chez les femmes qui vivent dans la rue.

Dans une contribution adressée aux rapporteures, la CGT a également souligné l'importance de s'assurer que les professionnels du secteur de l'accueil et de la prise en charge des personnes sans domicile reçoivent des formations de base solides ainsi que des formations complémentaires sur plusieurs thématiques : la prise en charge des addictions, des troubles psychiatriques ou des violences sexistes et sexuelles.

De même, Philippe Avez, directeur général du SIAO 93 situé à Montreuil, a insisté, lors de la visite des rapporteures le 6 mai 2024, pour que la formation des écoutants du 115 au repérage des violences subies par les femmes sans domicile soit plus poussée avec, par exemple, un questionnement systématique sur ce sujet par les écoutants lors de la prise d'appels.

Il a également pointé l'insuffisante formation technique des intervenants sociaux sur le fonctionnement et les procédures des SIAO.

Recommandation n° 20 : Revaloriser la profession et le statut de travailleur social et développer la formation continue dans le domaine de l'accompagnement social.

2. Des actions à mieux coordonner

De nombreux interlocuteurs de la délégation, notamment ceux rencontrés sur le terrain, ont déploré un manque de coordination entre les différents acteurs intervenant dans le champ de l'accueil et de l'accompagnement des personnes à la rue.

Ce défaut de coordination concerne à la fois les acteurs institutionnels entre eux (État, collectivités territoriales, associations délégataires de service public), mais aussi les différents acteurs associatifs qui interviennent dans des champs de prise en charge différents (par exemple l'addictologie, la santé mentale, l'assistance sociale, l'aide à la recherche d'un logement, les démarches administratives auprès des caisses d'allocations familiales ou de l'administration fiscale par exemple) sans pour autant coordonner leurs actions dans le temps.

a) Une segmentation des actions

Beaucoup d'intervenants du secteur de l'accompagnement social des personnes sans domicile ont déploré le travail « en silo » dans ce domaine à la fois du point de vue de l'organisation territoriale de la prise en charge, mais aussi de celui des associations entre elles.

Ainsi, Nathalie Latour, directrice générale de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), a indiqué à la délégation identifier plusieurs sujets en ce qui concerne la coordination des acteurs dans l'accompagnement des personnes à la rue, le premier étant celui de la difficile prise en charge de l'ensemble des situations, y compris celles qui ne sont pas visibles : « nous avons par exemple souvent constaté lors des plans grand froid ou des périodes d'urgence que, même si des personnes appelaient le 115, il fallait que ce soit les dispositifs de maraude et de veille sociale qui les amènent vers les dispositifs d'hébergement. Cet ajout de strates d'accès aux droits et à l'hébergement est extrêmement dommageable (...) Ainsi, elles ont pu appeler le 115, mais si elles n'étaient pas visibles dans la rue, elles n'ont pas eu accès aux dispositifs d'hébergement. Cette réalité est extrêmement problématique en termes de coordination. Nous devons effectuer deux fois le même travail et, en outre, une suspicion est portée sur la véracité des appels au 115 et sur la capacité d'évaluation des personnes par les équipes du 115 ».

En outre, l'accompagnement des personnes à la rue doit souvent s'inscrire dans un temps long, voire très long : le suivi peut se poursuivre sur plusieurs années et, dans ce cas, différents travailleurs sociaux interviennent au fil du temps pour accompagner la même personne. Ce suivi devrait pouvoir faire l'objet d'une coordination entre ces différents intervenants sociaux, d'un passage de relais.

PAROLES DE FEMMES

Témoignage recueilli par les rapporteures

« L'accompagnement dure longtemps, il faudrait un passage de relais entre travailleurs sociaux. On ne voit pas toujours les mêmes professionnels, à chaque fois il faut recommencer à zéro ! » Sophie Papieau, membre du collectif Les morts de la rue, sans-domicile entre 1994 et 2020.

Cette absence de coordination et ce manque de pilotage ont également été pointés, au niveau local, lors du déplacement des rapporteures à Marseille les 28 et 29 mars 2024.

Ainsi, Aurélie Tinland, médecin-psychiatre de l'AP-HM et responsable de l'équipe mobile psychiatrie précarité Marss (Mouvement et action pour le rétablissement sanitaire et social) à Marseille, a reconnu la pertinence de l'échelon local s'agissant de la prise en charge des personnes à la rue tout en déplorant des compétences éclatées au niveau de l'organisation territoriale de la prise en charge et donc un manque de coordination entre les acteurs.

Elle a notamment précisé que lorsque l'État était prêt localement à endosser son rôle de pilote, incarné en l'espèce par le préfet de région qui, à Marseille, a pris l'initiative de lancer l'opération Zéro sans abri, des actions concrètes pouvaient être déployées à destination du public à la rue. Elle a toutefois, là encore, déploré le travail en silo entre les différentes associations compétentes et la complexité de la gouvernance des dispositifs d'hébergement. Elle a également pointé le caractère peu opérationnel du Samusocial de Marseille en raison notamment du manque d'effectifs tout en précisant qu'une dynamique de mise en réseau se mettait progressivement en place.

En outre, les rapporteures ont pu constater l'existence de disparités de prise en charge des femmes à la rue sur l'ensemble du territoire en fonction notamment des initiatives mises en oeuvre localement par les pouvoirs publics et les associations, certaines pouvant parfois servir de modèles dans les autres territoires.

Ainsi, le développement de dispositifs spécifiquement destinés aux femmes sans domicile dans certains départements peut servir d'inspiration aux autres territoires.

C'est le cas, par exemple, du poste de sage-femme itinérante dans le cadre de la PMI hors les murs mise en place par la ville de Paris ou encore de la mise en oeuvre à Châlons, dans la Marne, d'un projet social de centre d'accueil destiné aux femmes décidé suite au diagnostic réalisé en 2023 par le SIAO de la Marne sur les femmes seules à la rue.

Le projet social de centre d'accueil destiné aux femmes à Châlons, dans la Marne :
une démarche pluridisciplinaire et partenariale

Ce centre d'hébergement doit être dédié à la prise en charge des femmes accompagnées ou non d'enfants, victimes de violences ou ayant un parcours d'errance plus ou moins long. Ce dispositif innovant sur le territoire répond ainsi aux besoins d'ouverture de places dédiées à l'accueil de femmes seules à la rue dont le diagnostic réalisé en 2023 par le SIAO a pointé la faiblesse sur l'ensemble du département de la Marne. Il comprendra un total de quinze places dont six en hébergement d'urgence pour des femmes seules à la rue, quatre places en hébergement d'urgence pour des femmes victimes de violences conjugales et cinq places en allocation logement temporaire (ALT) pour femmes victimes de violences conjugales.

Ce lieu d'accueil temporaire doit permettre à ces femmes de bénéficier d'un accompagnement individualisé et adapté ; il s'appuie sur des partenaires locaux (associations et conseil départemental notamment) compétents pour la prise en charge des femmes ainsi que de leurs enfants. Ces partenaires dédiés interviendront au sein même de la structure à travers l'instauration de temps de permanence.

En outre, le site recouvrera plusieurs typologies de places d'hébergement afin d'adapter chaque prise en charge tant dans sa durée que dans son intensité en fonction des besoins repérés pour chacune des femmes accueillies.

Les objectifs de ce dispositif ad hoc, co-financé par l'État, sont les suivants :

- la mise à l'abri des femmes sans abri et en situation de grande exclusion ;

- l'accueil des femmes victimes de violences conjugales et de leurs enfants qui sollicitent le 115 pour un hébergement d'urgence ;

- dans un premier temps : donner une réponse immédiate à des besoins de première nécessité (un toit, se nourrir, l'hygiène), mais également apporter un soutien matériel et psychologique ;

- dans un second temps : accompagner dans la durée et de façon individualisée afin d'aider ces femmes à sortir de la précarité et des violences subies. Un projet d'insertion globale tenant compte des besoins spécifiques de chaque personne sera travaillé ;

Grâce à une équipe pluridisciplinaire, chaque femme ou famille sera accompagnée par la structure et les partenaires dédiés à l'accompagnement interviendront sous forme de permanences.

Le but est de favoriser la socialisation, de lutter contre le sentiment d'isolement et de favoriser l'autonomie pour l'insertion durable par l'emploi et le logement. Cette structure pourra s'appuyer sur la plateforme emploi/logement du SIAO à travers des modules de formation.

En outre, un accompagnement spécifique sera apporté aux enfants avec un espace collectif modulable en fonction de l'âge des enfants. Pour les investissements nécessaires à la création de cet espace, un financement de la CAF est sollicité.

Source : SIAO de la Marne

Les rapporteures saluent cette démarche pluridisciplinaire et estiment qu'elle doit être encouragée le plus largement possible afin d'apporter aux femmes à la rue, seules ou avec des enfants, un accompagnement spécifique, individualisé et dans la durée, faisant intervenir dans un même lieu de multiples partenaires dédiés à cette prise en charge.

b) Encourager les partenariats pour un accompagnement global

Lutter contre le travail en silo dans le domaine de l'accompagnement social des femmes sans domicile suppose également d'encourager les partenariats transversaux, d'une part, entre État, collectivités territoriales et associations, d'autre part au sein du réseau associatif lui-même.

(1) Conforter le rôle de pilote local des SIAO

Le renforcement de la coordination entre acteurs territoriaux engagés dans la lutte contre le sans-abrisme doit notamment passer par le service intégré d'accueil et d'orientation (SIAO) considéré comme la clé de voûte du service public de la rue au logement au niveau local.

Instauré par la circulaire du 8 avril 2010, confirmé par la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, du 24 mars 2014 et la circulaire du 17 décembre 2015, le SIAO unique de chaque département est un outil essentiel pour porter la dynamique et coordonner la mise en oeuvre du Logement d'abord.

L'instruction du gouvernement du 31 mars 2022, relative aux missions des services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO) pour la mise en oeuvre du Service public de la rue au logement120(*), a pour but de :

doter le SIAO d'un pilotage qui traduit l'articulation des politiques publiques entre elles et la responsabilité partagée des parties prenantes, en y incluant notamment l'État, les collectivités territoriales volontaires au regard de leurs compétences en matière d'action sociale et de gestion de la demande de logement social, des représentants des associations du secteur AHI (Accueil - Hébergement - Insertion) et des bailleurs sociaux, des représentants des personnes accompagnées ;

- accorder une attention particulière au statut des SIAO ;

- rechercher en priorité la coordination des actions des SIAO avec l'ARS et l'implication des acteurs de la santé, notamment de la santé mentale et de l'addictologie ;

- renforcer le rôle de l'État dans le pilotage des SIAO et la prise de décisions.

Afin d'assurer la cohérence territoriale de la réponse aux besoins, le principe de SIAO unique par département est réaffirmé. Des modalités de territorialisation du SIAO à l'échelle infradépartementale peuvent être mises en oeuvre si elles s'inscrivent dans un pilotage départemental clair et en lien avec les priorités, objectifs territorialisés et instances locales (le cas échéant) du Plan départemental d'action pour le logement et l'hébergement des personnes défavorisées.

Enfin, le SI-SIAO est identifié comme un chantier prioritaire au niveau national afin qu'il devienne l'outil sur lequel les instances de pilotage du SIAO pourront s'appuyer pour piloter la politique publique, quantifier les besoins et mesurer la performance de l'offre et du SIAO.

Ainsi que le soulignait David Travers, adjoint à la solidarité de la Ville de Rennes et membres de l'association France Urbaine, « la réforme SIAO, malgré ses défauts, a pour avantage de créer une instance de partage des ressources existantes, permettant ainsi de réfléchir aux parcours de l'hébergement d'urgence vers le logement. (...) Nous avons besoin d'une pluralité de dispositifs, interconnectés, pour offrir des parcours adaptés à chacun ».

Dans une contribution adressée aux rapporteurs, les Départements de France préconisent une meilleure articulation des services de l'État et des collectivités territoriales, notamment en prévoyant systématiquement « la participation des départements aux commissions SIAO pour le fléchage des familles vers les logements ».

(2) Développer les partenariats locaux entre acteurs de la prise en charge des publics vulnérables

Les rapporteures encouragent le développement de partenariats entre les acteurs locaux, facilité par des financements croisés entre État, collectivités et réseau associatif.

Par exemple, la Ville de Rennes a contractualisé, avec l'aide de l'ARS, un accueil psychiatrique dans le restaurant social de la ville, qui sert quotidiennement plus de 250 repas aux personnes à la rue. Ainsi que le précisait David Travers à la délégation lors de son audition, « bien que l'accueil des femmes n'y soit pas spécifiquement sanctuarisé dans un circuit distinct, toutes les mesures sont prises pour leur assurer un accueil positif et tenir compte des risques spécifiques auxquels elles peuvent être confrontées ».

Comme l'a également précisé la Croix-Rouge française à la délégation, « le multiple financement avec plusieurs collectivités existe déjà par endroits. Par exemple, des conseils départementaux transfèrent en partie à certains accueils de jour la compétence d'accompagnement des bénéficiaires du RSA. Je pense à l'accueil de jour d'Annecy qui bénéficie d'un triple financement de l'État, de la ville et du conseil départemental. Ce fonctionnement reste effectivement très rare ».

Encourager le travail coordonné entre les associations et la mise en place de partenariats est également essentiel.

Ainsi, en tant que collectivité, la Ville de Rennes facilite la collaboration entre les associations comme l'a rappelé David Travers à la délégation : « par exemple, les Restos du Coeur ont lancé l'initiative du Restobus, qui installe un restaurant avec service à table sur la place publique une fois par semaine, offrant ainsi un cadre de dignité et un soutien actif. Le Caarud (Centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues), également présent ici et ailleurs, joue un rôle crucial dans les maraudes menées par la Croix-Rouge ».

Recommandation n° 21 : Favoriser les démarches pluridisciplinaires de prise en charge des femmes à la rue en développant les financements croisés et les partenariats entre acteurs locaux. En particulier, généraliser les lignes « partenaires » pour les associations auprès du 115 et des préfectures.

Alors que l'État délègue aux associations et groupements d'intérêt public une large partie de la prise en charge et de l'accompagnement des femmes sans domicile, la délégation estime indispensable de les doter des moyens d'assurer cet accompagnement, d'autant qu'elles font face à un effet ciseaux : d'une part elles subissent l'inflation sur les fluides et l'alimentation, d'autre part elles doivent accueillir davantage de personnes en situation de détresse financière et sociale.

Comme sur de nombreux sujets, la délégation plaide pour une diminution des logiques d'appels à projets, qui sont très consommateurs de temps pour les responsables des structures et ne leur donnent pas la visibilité nécessaire au développement de projets de long terme ni au recrutement de davantage de personnels permanents.

Ainsi, Vanessa Benoit, directrice générale du Samusocial de Paris, relevait devant la délégation : « Nous sommes beaucoup trop dépendants d'appels à projets à durée courte. Nous sommes financés par des dotations renouvelées et renégociées annuellement. Nos coûts sont surtout composés de fluides, de salaires et de loyers. Je ne sais pas comment l'État peut penser qu'ils vont baisser. Nous avons besoin d'une vraie approche pluriannuelle. »121(*)

Nathalie Latour, directrice générale de la FAS, ajoutait lors de cette même audition : « Nous passons parfois plus de temps à répondre à des appels à projets qu'à accompagner les personnes. L'enjeu de reporting est tel et s'étend sur des durées si courtes que vous mettez parfois en place des dispositifs de réponse pour qu'on vous indique trois ans plus tard que puisqu'ils ne sont plus innovants, vous devez vous débrouiller pour obtenir des financements. Comment faire ? Nous devons toujours innover. Lorsque nous prouvons l'efficacité de notre dispositif, on nous répond qu'il n'est plus innovant. Le droit commun ne peut pas prendre la suite. C'est assez caricatural, mais c'est notre réalité. »

Bénédicte Souben, de la Croix-Rouge française déplorait également les conséquences des dynamiques d'appels à projet : « Dans le cadre de la Stratégie pauvreté, des tiers lieux pour l'alimentation des personnes hébergées à l'hôtel ont été financés. Ils ont finalement été prorogés, mais sans entrer dans le droit commun. Ainsi, nous avons eu l'opportunité de montrer qu'un dispositif fonctionnait, mais il n'est pour autant pas pérennisé. »

Ainsi, si des financements ponctuels sont nécessaires pour soutenir des dispositifs innovants, les financements pluriannuels des associations et programmes qui ont fait leur preuve doivent être renforcés. Il s'agit d'augmenter la proportion des financements apportés sous forme de dotations globales de fonctionnement et de subventions pluriannuelle, dont bénéficient d'ores et déjà certaines associations.

Recommandation n° 22 : Renforcer les soutiens financiers pluriannuels aux associations qui accompagnent les femmes sans domicile.


* 118 Audition du 4 avril 2024.

* 119 Audition du 14 mars 2024.

* 120  https://www.legifrance.gouv.fr/circulaire/id/45305

* 121 Audition du 14 mars 2024.

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