III. LES ACCOMPAGNER DANS L'ACCÈS À LEURS DROITS ET FACILITER LEUR QUOTIDIEN
A. GARANTIR L'ACCÈS AUX DROITS HUMAINS
1. Leur permettre d'accéder aux soins et à une réelle prise en charge des violences sexistes et sexuelles (VSS)
a) Améliorer l'accès aux soins médicaux des femmes sans domicile
Les femmes sans domicile sont plus exposées aux inégalités dans l'accès aux soins alors même que leur état de santé global, aussi bien physique que psychologique, est particulièrement dégradé comme évoqué précédemment.
En effet, si les difficultés d'accès aux soins médicaux sont communes à toutes les personnes en situation de précarité et à la rue, les enjeux liés à la santé touchent plus spécifiquement les femmes lorsqu'il s'agit de santé sexuelle et reproductive en raison de leur exposition accrue aux violences sexuelles et aux risques de grossesse, mais aussi de santé mentale.
(1) Garantir l'accès à l'information et aux professionnels de santé
S'agissant des femmes sans domicile, la difficulté principale réside dans la possibilité pour elles d'accéder non seulement aux dispositifs de soins, mais aussi à l'information en santé qui permettrait de les protéger.
Beaucoup d'entre elles n'ont en effet pas accès à une information même basique sur leurs besoins en santé et sur le suivi médical minimum nécessaire pour une femme.
Ainsi, Marion Mottier, référente santé de Médecins du Monde, a indiqué à la délégation104(*) que les femmes sans abri ont « moins accès à de l'information en santé sur comment se protéger, à une information assez générale, aux dispositifs de protection, de prévention et de présentation en santé sexuelle et reproductive. »
En outre, même lorsque les personnes parviennent à accéder aux soins, les obstacles restent nombreux : les horaires, les permanences de services publics de moins en moins accessibles, la nécessité grandissante de prendre rendez-vous via des applications numériques, la barrière de la langue bien souvent, morcèlent ces parcours de soins. Les retards de recours aux soins ou les renoncements aux soins sont très importants pour ces femmes.
Garantir l'accès de ces femmes à des professionnels de santé pour leur suivi en santé global mais aussi en santé gynécologique, notamment leur suivi de grossesse et toute la santé périnatale, ou encore la santé mentale, suppose le déploiement de dispositifs ad hoc, adaptés à ces profils précaires.
Il peut s'agir de dispositifs de santé publique, de dispositifs relevant de la sphère associative ou encore de dispositifs dédiés au public spécifique des demandeurs d'asile, gérés par l'Ofii.
(a) Des dispositifs de santé publique peu spécifiquement dédiés aux femmes
Si certains dispositifs de santé publique existants sont dédiés à la prise en charge des publics en situation de grande précarité, y compris les populations sans domicile, « très peu d'éléments de ce dispositif sanitaire et médico-social sont spécifiquement destinés aux femmes » comme le précisait devant la délégation Luc Ginot, directeur de la santé publique de l'ARS d'Île-de-France. Il a cependant ajouté que « de nombreux dispositifs accueillent toutes les personnes en situation de grande précarité, y compris les femmes, qu'elles soient sans abri, hébergées, ou dans d'autres situations précaires », précisant que « ce dispositif en Île-de-France est assez dense ».
Dispositifs de l'ARS
d'Île-de-France
dédiés à la prise en charge des
publics précaires
- 68 permanences d'accès aux soins de santé (Pass) hospitalières dont l'utilisation par les femmes varie selon les territoires. Si elle s'établit à 40 % en moyenne, elle atteint 53 % en Seine-Saint-Denis, à Paris et dans le Val-d'Oise ;
- des Pass ambulatoires spécifiques à l'Île-de-France, confiées à des opérateurs municipaux ou associatifs, en dehors du milieu hospitalier, dont l'utilisation par les femmes est plus importante que celle des hommes ;
- les lits halte soins santé (LHSS), orientés vers la santé des personnes en grande précarité, qui les accueillent de manière inconditionnelle, indépendamment de l'ouverture des droits sociaux. Ils hébergent des hommes et des femmes nécessitant des soins intensifs. L'utilisation des LHSS par les femmes s'établit à 25 %. Ces LHSS sont des dispositifs de soins résidentiels. Les personnes y entrent sur prescription médicale et y restent généralement quelques semaines ou quelques mois. En réalité, les séjours sont souvent prolongés, faute de solutions d'aval ;
- les lits d'accueil médicalisé (LAM), qui offrent des soins plus intensifs, souvent pour des personnes en fin de vie ou en état de santé très dégradé ;
- les appartements de coordination thérapeutique (ACT) qui ont été conçus pour les personnes atteintes du VIH et largement étendus à d'autres pathologies ;
- en matière de santé mentale, certaines mesures structurelles sont spécifiques à la grande précarité, tel le dispositif des psychologues en accueil hébergement insertion (AHI). En Île-de-France, soixante-dix postes de psychologues ont été pourvus dans les centres d'hébergement pour déployer des prises en charge prioritairement dans les CHU et ensuite dans les CHRS. Dans certains territoires, ces psychologues commencent à s'organiser pour prendre en charge les personnes hébergées en hôtel ;
- pour ce qui concerne le traitement des addictions, l'attention de la délégation a été attirée par le directeur de la santé publique de l'ARS d'Île-de-France sur un sujet qui devient particulièrement préoccupant en région parisienne, celui de la consommation de crack, car « actuellement, environ 30 % des consommateurs de crack à la rue sont des femmes, qui se trouvent souvent dans des situations de risque extrême, notamment en raison de leur dépendance à des réseaux dont il est très difficile de les sortir ». Des places d'hébergement sont réservées aux consommatrices de crack dans deux équipements parisiens. Cependant, cette dizaine de places est généralement sous-utilisée, car les femmes hésitent à échapper à l'emprise des réseaux, particulièrement forte la nuit.
Enfin, s'agissant de la santé sexuelle et reproductive :
- l'ARS soutient des associations sur des projets polyvalents, en portant une attention particulière aux femmes à la rue ou aux partenariats plus spécifiques avec le Samusocial, l'hôpital Bichat et Le Kiosque, travaillant sur les questions de santé sexuelle pour les femmes hébergées à l'hôtel ;
- en matière de santé périnatale : l'ARS s'inquiète de l'impact de la grande précarité et du sans-abrisme chez les femmes sur la hausse de la mortalité infantile en Île-de-France, où les données sont alarmantes.
Des unités d'accompagnement personnalisé existent dans certaines maternités, celles qui sont les plus exposées à la précarité sociale. Ces unités travaillent spécifiquement avec des femmes cumulant des vulnérabilités, y compris les femmes sans abri. Les résultats récents montrent que ces unités réduisent les taux de prématurité et de césarienne, améliorant ainsi la qualité et les résultats sanitaires de la prise en charge.
Le deuxième dispositif correspond à l'Hébergement en soins résidentiels (HSR). Ce dispositif, implanté à Athis-Mons, accueille des femmes sans droits, sans abri et sans hébergement, qui sont enceintes ou qui viennent d'accoucher et qui présentent des pathologies lourdes, souvent liées à des violences sévères, des infections VIH, et d'autres conditions médicales complexes. La prise en charge n'est pas conditionnée par les droits sociaux, ce qui permet d'atteindre les publics les plus en difficulté. Elle permet de tenir compte de l'absence de logement et d'éviter la séparation des fratries grâce à un dispositif couplé avec celui du préfet, situé dans le même centre d'hébergement d'urgence (CHU), dans un contexte de transparence totale vis-à-vis de l'usager.
Source : ARS d'Île-de-France
Le délégué interministériel à l'accès à l'hébergement et au logement, Jérôme d'Harcourt, a, quant à lui, précisé à la délégation que des mesures destinées à faciliter la prise en compte des besoins de santé des femmes en errance seraient mises en oeuvre dans le cadre du deuxième plan Logement d'abord, notamment le déploiement d'un réseau de coordinateurs en santé des femmes sur dix territoires qui porteront des actions de santé globales auprès des femmes et des actions de formation des professionnels dans les structures.
(b) Des dispositifs relevant du réseau associatif
Lorsque les dispositifs de santé publique ne sont pas accessibles ou pas connus des femmes sans domicile, ces dernières se tournent souvent vers le réseau associatif pour recourir aux soins de santé primaire.
Médecins du Monde, notamment, compte une cinquantaine de programmes en France métropolitaine et en outre-mer, notamment des programmes fixes de type centre d'accueil, de soins et d'orientation (CASO), tel que celui de Saint-Denis visité par les rapporteures le 6 mai 2024.
Visite du centre d'accueil, soins et orientation
(CASO) de Médecins du Monde
à Saint-Denis le 6
mai 2024
Le centre d'accueil, soins et orientation (CASO) géré par Médecins du Monde à Saint-Denis accueille 4 000 patients par an. Cette activité d'accueil est principalement gérée par des bénévoles (médecins, psychologues, juristes, interprètes, etc.) avec l'appui d'une équipe salariée.
Le budget annuel du CASO est de 1 million d'euros, financé à 30 % par l'Agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France.
Le CASO accueille 60 % d'hommes et 40 % de femmes. Il s'agit principalement d'un accueil social qui permet de réorienter les personnes en fonction de leurs besoins et de leur parcours de vie. Le CASO est un lieu d'accueil conditionnel.
Les femmes accueillies par le CASO, victimes de mal-logement, ont souvent été victimes de violences. Médecins du Monde a signalé un manque sur le département de la Seine-Saint-Denis de places de mise à l'abri pour les femmes victimes de violences intrafamiliales. En outre, la structure se trouve démunie, en matière d'outils, pour traiter les cas de victimes de violences conjugales.
Globalement, 93 % des personnes reçues au sein du CASO n'ont pas de logement personnel et stable ; seule une très faible part du public accueilli est hébergée dans un hébergement stable. En outre, 7 personnes sur 10 reçues au CASO se déclarent « hébergées par un tiers ». Cet hébergement par un tiers signifie souvent un hébergement « contre services », surtout pour les femmes.
Enfin, le CASO a également développé un programme de médiation en santé, avec 700 consultations médicales par an, à destination de la population rom vivant en bidonville.
Pour accueillir les femmes en situation de rue, l'ONG a mis en place des modalités d'intervention spécifiques, avec des permanences dédiées, des horaires décalés, des systèmes de garderie d'enfants, les femmes accompagnées d'enfants étant parfois refusées en consultation classique.
Pour l'accès à la santé, Médecins du Monde insiste notamment sur la tenue de permanences physiques, sans rendez-vous, dans la mesure où le « tout numérique » constitue une barrière extrêmement importante. Un accès à l'interprétariat professionnel en santé est également essentiel en médecine de ville et, plus largement, pour l'ensemble des acteurs médico-sociaux de ville. Il est en effet difficile de prendre des rendez-vous sur des applications numériques telles que Doctolib avec des téléphones prépayés.
Également entendu par la délégation, le réseau de santé périnatale Solidarité Paris Maman (Solipam) prend en charge les femmes enceintes en situation de rue ou d'errance résidentielle. Leur hyper mobilité a souvent pour conséquence un suivi de grossesse tardif et tronqué, qui participe à une errance dans le soin voire une rupture dans le parcours de soins. L'errance force les femmes, en cas de nécessité de soins, à un recours aux urgences, point d'entrée en maternité, sans « parcours coordonné » de soins possible.
Les femmes prises en charge par le réseau de périnatalité Solipam
En 2023, 549 femmes ont été accompagnées par le réseau Solipam pendant en moyenne 175 jours. La file active du réseau comptait 727 femmes, en augmentation de près de 10 % par rapport à 2022. Ces femmes sont en moyenne âgées de 29 ans. Elles sont primipares dans 37 % des cas et majoritairement seules ou en couple sans enfant. En outre, le nombre de femmes en situation de rue suivies par le réseau est passé de 38 % en 2022 à 53 % en 2023.
Les demandes proviennent, pour moitié de femmes qui les joignent par le biais d'un numéro vert, et pour l'autre de professionnels, en majorité des départements de Paris, de la Seine-Saint-Denis et du Val-d'Oise. À eux seuls, ces trois départements représentent 76 % des demandes. Les principaux professionnels qui sollicitent le réseau Solipam sont les associations, les PMI, les maternités et les services sociaux de secteurs.
Plus de 50 % des femmes présentent des suivis de grossesse sous-optimaux qui s'expliquent par un recours tardif aux soins, voire un non-recours aux soins en amont de leur prise en charge par Solipam. Elles prennent contact avec le réseau aux alentours de vingt-deux semaines d'aménorrhée, soit à mi-parcours de leur grossesse. Ce recours tardif se couple aux difficultés d'accès aux droits, alors qu'elles pourraient bien souvent en bénéficier. 52 % des femmes suivies ne bénéficient d'aucune couverture maladie ; 29 % d'entre elles n'ont pas de domiciliation administrative, alors que celle-ci constitue la première étape essentielle pour accéder aux droits.
(c) Des dispositifs destinés au public des demandeurs d'asile
Certains dispositifs d'accès aux soins spécifiques existent pour le public des demandeurs d'asile à leur arrivée sur le territoire français.
Ainsi que l'a rappelé devant la délégation, Didier Leschi, directeur général de l'Ofii, pour les publics suivis par l'Office un rendez-vous santé existe depuis le 1er juin 2021, mais n'est, pour l'heure, proposé que dans neuf régions et dix-sept directions territoriales de l'Ofii.
Ce rendez-vous permet d'effectuer un bilan de santé en vue d'orienter les personnes concernées vers des rattrapages vaccinaux et les dispositifs de droit commun. Les femmes représentent 40 % du public de ces rendez-vous santé.
Didier Leschi a également précisé à la délégation que, depuis la crise du covid, l'Ofii mène des discussions avec la Direction générale de la santé (DGS) pour être agréé en tant que centre de vaccination généraliste, dans le but notamment de développer la prévention, le dépistage et l'examen médical des primo-arrivantes afin d'éviter une aggravation de certaines pathologies et une recrudescence de certaines épidémies.
Ces examens médicaux pourraient par ailleurs cibler plus spécifiquement les femmes qui ont subi de nombreuses violences lors de leur parcours migratoire.
(2) Développer les dispositifs d'« aller vers » et les équipes mobiles
Outre les dispositifs fixes d'accueil des publics précaires, il est indispensable de proposer des solutions mobiles qui permettent de se rendre au plus près des femmes sans domicile et ainsi d'aller vers ce public particulièrement fragile qui se caractérise par un fort taux de non-recours ou de renoncement aux soins.
Plusieurs dispositifs existent déjà, en Île-de-France notamment, et méritent d'être développés.
L'Agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France a ainsi développé plusieurs dispositifs mobiles à destination des personnes sans abri ou hébergées, dont certains plus spécifiquement dédiés aux femmes :
- 23 équipes mobiles psychiatrie précarité (EMPP), basées dans les secteurs publics de psychiatrie, qui ont pour mission de sortir de l'hôpital pour aller vers les personnes sans abri ou hébergées. Elles couvrent l'ensemble du territoire de la région et affichent une file active de 32 % de femmes ;
- 54 équipes mobiles médico-sociales, créées dans le cadre du Ségur de la santé, qui comprennent des travailleurs sociaux et des soignants présentant des spécialisations variées, en particulier la périnatalité ;
- 7 Pass mobiles, équipes plus médicalisées, également créées dans le cadre du Ségur de la santé, en cours de renforcement.
S'agissant plus spécifiquement de la santé périnatale et du suivi de grossesse, la ville de Paris a mis en place une PMI hors les murs qui accueille environ 450 personnes par an : ce dispositif ne compte actuellement qu'une sage-femme itinérante, Véronique Boulinguez, entendue par la délégation le 16 mai 2024. Elle mène des actions de protection maternelle et infantile en dehors des structures traditionnelles, auprès des femmes enceintes vivant dans des campements ou à la rue, ainsi qu'auprès des nourrissons.
Isabelle Susset, sous-directrice Santé des enfants, parentalité, santé sexuelle, de la Direction de la santé publique de la ville de Paris, a indiqué à la délégation que ce dispositif devrait être rapidement renforcé et rappelé qu'à Paris, la PMI compte environ 500 agents, répartis dans cinquante-neuf centres municipaux et associatifs. Elle a également précisé que les équipes « signalent de plus en plus une forte précarité et des situations complexes, qui rendent le suivi classique de la PMI de plus en plus difficile ».
Aujourd'hui, entre 20 et 30 % des femmes suivies par les sages-femmes de PMI à Paris sont sans domicile, dans les deux tiers de données effectivement renseignées par les services.
La situation parisienne n'est toutefois pas représentative du reste du territoire comme l'a d'ailleurs souligné Véronique Boulinguez : « à Paris, nous avons la chance de disposer de centres médico-sociaux et de Pass (Permanence d'accès aux soins de santé) pour orienter les femmes vers les PMI. L'ouverture du CPM Cité (Centre de protection maternelle) en 2019 a énormément facilité mon travail ».
Tous les interlocuteurs spécialistes des questions de santé ont insisté sur le fait que, pour les femmes sans domicile, l'instabilité de l'hébergement complique leur suivi médical, entraînant des ruptures de soins et retardant parfois des interventions chirurgicales, en gynécologie notamment.
À cet égard, il apparaît essentiel d'assurer un parcours de soins dès la sortie de maternité avec des rendez-vous déjà fixés en PMI, avec un pédiatre pour les premières consultations, et la mise en place d'un suivi gynécologique des femmes post-accouchement, souvent négligé, notamment la rééducation périnéale.
Enfin, le réseau associatif intervient également à travers des dispositifs mobiles d'aller vers.
C'est le cas de Médecins du Monde qui intervient auprès des personnes vivant dans des habitats précaires, pour répondre à leurs problématiques de santé, au travers du programme 4i qui porte sur l'impact sur la santé des lieux de vie informels, instables, insalubres et indignes.
S'agissant de la lutte contre la précarité menstruelle qui touche de plein fouet les femmes sans domicile, la ville de Paris collabore avec l'association Règles Élémentaires, qui compte plus de cinquante-cinq associations partenaires et a accompagné près de 30 000 femmes en 2023. Elle distribue des protections hygiéniques adaptées à la vie dans la rue.
Recommandation n° 9 : Améliorer l'accès des femmes à la rue à l'information et aux professionnels de santé en : - déployant des dispositifs ad hoc adaptés, en particulier de la médiation en santé, des permanences d'accès aux soins et des équipes d'intervention mobile et d'« aller vers » ; - en permettant à l'Ofii, déjà chargé de l'examen médical des primo arrivantes, d'exercer également en tant que centre de vaccination généraliste agréé. |
En outre, alors que le Premier ministre, Michel Barnier, a annoncé le 1er octobre 2024 devant l'Assemblée nationale que la santé mentale serait la « grande cause » nationale de l'année 2025, la délégation estime indispensable de développer une politique publique tenant compte des spécificités de cette problématique chez les femmes et d'y intégrer un volet relatif à la santé mentale des femmes à la rue et plus globalement de toutes les personnes sans domicile.
Recommandation n° 10 : Inclure et visibiliser dans la « grande cause santé mentale » une politique publique spécifique en faveur des femmes et notamment des femmes sans domicile. |
b) Permettre une réelle prise en charge des violences sexistes et sexuelles
Les besoins spécifiques des femmes sans domicile, s'agissant de la prise en charge des violences sexuelles et sexistes, doivent également être pris en compte.
Ainsi que le soulignait Pauline Portefaix de la Fondation Abbé Pierre, « d'après la FNSF105(*), 80 % des femmes victimes de violences sont hébergées dans des dispositifs qui ne sont pas adaptés à leur situation. Les violences de genre constituent un facteur aigu du mal-logement. Cet élément demeure un impensé dans les stratégies de lutte contre le sans-abrisme ».
Comme évoqué précédemment, la très grande majorité des femmes qui vivent à la rue ou dans des hébergements d'urgence ont subi des violences sexuelles. Pourtant, rares sont celles qui ont bénéficié d'un examen gynécologique ou d'un dépistage. Encore plus rares sont celles qui déposent plainte.
Pauline Portefaix, de la Fondation Abbé Pierre, a rappelé que « la première difficulté relève du dépôt de plainte, au-delà de la volonté même. De plus en plus de policiers sont formés sur ces questions, mais nous observons de nombreux refus. Les femmes à la rue font l'objet d'une forte discrimination. Ensuite, lorsqu'elles portent effectivement plainte, le taux de classement sans suite est équivalent à celui de la population générale. Nous nous battons sur le terrain pour que la plainte ne constitue pas un critère limitant alors que dans de nombreux dispositifs spécialisés dans les questions de violences sexistes et sexuelles, on demande la plainte pour offrir une prise en charge ».
Un travail de sensibilisation doit également être mené auprès des professionnels du secteur de l'accueil des personnes à la rue afin de mieux détecter les violences sexistes et sexuelles subies par les femmes sans domicile et d'améliorer leur prise en charge.
Ainsi, la Dihal a lancé un programme de prévention et de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans l'hébergement généraliste mixte dont un des axes est la sensibilisation de l'ensemble des professionnels du secteur à travers notamment un module de e-learning qui, depuis 2023, a été vu par 1 250 professionnels de centres d'hébergement et qui doit continuer à se déployer.
Recommandation n° 11 : Améliorer la détection et la prise en charge des violences sexistes et sexuelles dont sont victimes les femmes à la rue en sensibilisant les professionnels du secteur de l'accueil et de l'accompagnement, ainsi que les forces de l'ordre qui recueillent les plaintes. |
En outre, de façon très concrète, les rapporteures estiment nécessaire de donner aux femmes sans abri menacées les moyens de se défendre lorsqu'elles passent la nuit dans la rue. Si le port et le transport de produits type aérosols sont interdits sans motif légitime, les forces de l'ordre, ou le juge en cas de litige, tiennent compte du lieu, des circonstances et du contexte pour examiner au cas par cas la situation. Les rapporteures estiment que le fait pour une femme de dormir dans un lieu non sécurisé, en étant exposée aux agressions physiques et sexuelles, constitue un motif légitime.
Les associations, qui connaissent les femmes sans abri et les accompagnent dans la durée, apparaissent comme les interlocutrices appropriées pour fournir, avec discernement, en fonction de la situation de chaque femme, des moyens (produits ou techniques) d'auto-défense aux femmes qu'elles prennent en charge.
Recommandation n° 12 : Permettre aux associations de fournir aux femmes sans abri des moyens d'auto-défense. |
2. Accompagner leurs enfants, en premier lieu dans leur droit à l'éducation
L'ensemble des interlocuteurs de la délégation a pointé la précarité inhérente à l'absence de logement qui touche les enfants sans domicile, qu'ils vivent dans la rue, dans un centre d'hébergement, à l'hôtel ou dans des habitats insalubres de type squat, bidonville ou campement de fortune.
Ainsi que le soulignait Julie Lignon, porte-parole de l'Unicef, à tout âge, le logement est central : « il ne s'agit pas seulement d'un abri, mais d'un lieu qui remplit des fonctions sociales et individuelles structurantes dans la vie de ses habitants. Ne pas en disposer prive les enfants d'un environnement protecteur, stable et prévisible, ainsi que d'un point d'ancrage, d'un lieu où se construisent les relations familiales, d'un lieu d'intimité et de repos physique et psychique ».
En effet, le fait d'être sans abri, de vivre dans une chambre d'hôtel exiguë, un bidonville ou un squat, expose les enfants à des conditions de vie dégradées qui engendreront d'importantes répercussions sur leur développement, leur santé physique et mentale.
L'absence de logement stable et durable a également des conséquences néfastes sur la scolarité des enfants, que ce soit en raison du refus de certaines municipalités d'inscrire ces enfants à l'école, alors même que cette inscription est obligatoire, ou en raison des conditions de précarité dans lesquelles cette scolarité se déroule.
a) Renforcer l'accompagnement social global des enfants à la rue
L'attention de la délégation a été attirée sur la nécessité de renforcer l'accompagnement social global des enfants et des familles en inscrivant les enfants comme bénéficiaires directs de cet accompagnement, au même titre que leurs parents.
De ce point de vue, plusieurs mesures en faveur du suivi des enfants sont prévues dans le Pacte des solidarités (2023-2027) qui prévoit notamment, au sein de son axe premier, un volet relatif à la prévention des inégalités dès l'enfance et à la lutte contre la pauvreté infantile.
Pour garantir cet accompagnement, l'Unicef a appelé, lors de son audition par la délégation, à la mobilisation de l'ensemble des ministères concernés et à l'inclusion des enfants sans domicile dans l'ensemble des politiques publiques de l'enfance, à savoir notamment la politique des 1000 premiers jours, les politiques de santé, d'éducation et de protection de l'enfance.
En outre, les associations reçues par la délégation - notamment le collectif Jamais sans toit106(*) qui, en occupant les établissements scolaires la nuit, a pour but de lutter contre le sans-abrisme des enfants scolarisés - ont insisté sur la nécessité d'associer à cet accompagnement social global des enfants sans domicile les collectifs locaux « qui disposent d'une expertise de terrain précieuse ».
L'Unicef a également souligné l'importance du rôle des communes et intercommunalités dans cet accompagnement des enfants sans domicile en précisant que « 300 villes amies des enfants se sont engagées à tenir des objectifs en matière de défense des droits et de protection des enfants. (...) Elles ne doivent pas remplacer l'État, mais chacun doit assumer ses responsabilités. (...) Elles disposent de compétences en matière d'accueil de la petite enfance (...) Elles ont aussi des responsabilités en matière d'éducation, de tarification scolaire, d'accès aux soins et de mobilité. Ces compétences (...) peuvent améliorer la vie quotidienne des familles et enfants sans domicile ».
Le Pacte des solidarités précité prévoit également la création d'un observatoire de la non-scolarisation ainsi que le renforcement de la médiation scolaire qui sont deux autres axes complémentaires de l'accompagnement social des enfants sans domicile.
Recommandation n° 13 : Reconnaître les enfants sans domicile comme bénéficiaires directs de l'accompagnement psychosocial global prévu pour leurs parents. |
b) Faire respecter l'obligation d'inscription scolaire
Lors d'une table ronde107(*) organisée par la délégation sur la situation des enfants dans la rue, la question de la scolarisation des enfants sans domicile a été soulevée par plusieurs représentants d'associations, notamment le collectif #ÉcolePourTous qui se mobilise pour les enfants vivant en bidonvilles, squats, hôtels sociaux ou aires d'accueil et qui lutte notamment contre les refus illégaux d'inscription scolaire des enfants vivant dans ces lieux.
L'avocate et marraine du collectif, Anina Ciuciu a ainsi témoigné : « j'ai subi le refus discriminatoire d'inscription scolaire opposé par le maire faute de justificatif de domicile. En vivant dans un bidonville, un squat ou un hôtel social, nous ne disposions en effet ni de bail, ni de quittance de loyer, ni de facture d'électricité ».
Or, depuis la loi du 26 juillet 2019108(*) pour une école de la confiance, une inscription scolaire ne requiert plus l'obligation de présenter un justificatif de domicile. De même, le décret du 29 juin 2020109(*), précisant les pièces pouvant être demandées à l'appui d'une demande d'inscription sur la liste prévue à l'article L. 131-6 du code de l'éducation, a précisément pour but de mettre fin aux pratiques impliquant une demande abusive de justificatifs de domicile.
Toutefois, ainsi que l'a rapporté devant la délégation Anina Ciuciu, « certains maires continuent de refuser l'inscription aux enfants sans domicile fixe en se basant à tort sur l'absence de justificatifs de domicile alors que désormais la loi est claire, une simple attestation sur l'honneur du responsable légal de l'enfant est suffisante pour justifier du domicile ».
De même, Ana Maria Stuparu, porte-parole du collectif #ÉcolePourTous, a précisé que « malgré la clarté de la loi, (...) il existe des disparités dans son application à travers le pays, notamment s'agissant des exigences documentaires pour l'inscription scolaire. Bien que la loi soit claire, toutes les municipalités n'affichent pas la volonté d'inscrire tous les enfants à l'école ».
Pour sa part, la délégation estime bien sûr que l'ensemble des municipalités doit aujourd'hui respecter les termes de la loi et permettre l'inscription scolaire de tous les enfants sans discrimination, et sans exiger de documents justifiant d'un domicile fixe pour l'inscription scolaire.
c) Développer la médiation scolaire
La médiation scolaire à l'échelle nationale, dont le renforcement est prévu par le Pacte des solidarités, est indispensable lorsque survient l'expulsion habitative d'enfants vivant dans des conditions d'extrême précarité.
Lors de son audition par la délégation, Ana Maria Stuparu, porte-parole du collectif #ÉcolePourTous, a ainsi expliqué qu'à la suite de l'expulsion d'un lieu de vie informel, de type bidonville ou campements, il faut compter en moyenne six mois de déscolarisation des enfants expulsés.
De son côté Anina Ciuciu, marraine et avocate du collectif, a témoigné devant la délégation de l'expulsion qu'elle a elle-même vécue enfant : « nous habitions dans un foyer social, un hébergement d'urgence à Mâcon, en Saône-et-Loire. Lorsque nous avons enfin pu nous inscrire à l'école, nous avons commencé à rêver à un avenir en France, à croire en la possibilité d'avoir un futur. C'est à cet instant que notre hébergement a pris fin par une décision d'expulsion sans relogement et que nous avons dû quitter l'école dès le lendemain. (...) Nous avons uniquement pu emporter nos cartables. Nous avons vécu des mois dans un camion aménagé par mon père. Nous n'avons pu retrouver l'école que neuf mois plus tard ».
Les conséquences de ces expulsions habitatives sur la scolarité des enfants à la rue ont été documentées par l'association marseillaise, L'École au présent, spécialisée dans la médiation scolaire : une déscolarisation massive, occasionnant le décrochage voire l'abandon définitif de l'école. En outre, selon l'association, dans 86 % des expulsions, les fournitures scolaires sont détruites, souvent avec les vêtements, les médicaments, et les documents d'identité.
Pour toutes ces raisons, le collectif #ÉcolePourTous propose « la trêve scolaire républicaine, suspendant les expulsions habitatives durant l'année scolaire pour les enfants et leurs familles vivant en situation de grande précarité en bidonvilles, squats, hôtels sociaux, aires d'accueil des Gens du Voyage, en caz à Mayotte ou en Guyane. Cette mesure réduirait le nombre d'enfants à la rue et garantirait la continuité scolaire ».
Dans ces situations, le dispositif de médiation scolaire permet, d'une part, de garantir la continuité scolaire des enfants sans domicile en faisant le lien entre ces enfants et les équipes des établissements scolaires, d'autre part, de faciliter, le cas échéant, la transition vers de nouveaux établissements. En effet, lorsqu'un enfant en extrême précarité doit changer d'école, son parcours éducatif est souvent perdu, sans aucune continuité ni aucun suivi de son niveau scolaire. La présence d'un médiateur scolaire est alors essentielle dans ces situations.
La médiation scolaire a également pour mission de faciliter l'inscription scolaire des enfants et, dans l'attente de l'inscription, de préparer les enfants à devenir élèves et les parents à leur rôle de parents d'élèves. Ce travail inclut la préparation aux évaluations de la langue française des enfants allophones et leur permet d'acquérir les fondamentaux en attendant l'accès à l'école publique.
Depuis la rentrée 2020, la Dihal, en lien avec les autorités académiques et la Délégation interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes (DIPLPEJ), pilote le programme Toutes et tous à l'école destiné à faciliter l'insertion scolaire des 7 000 enfants résidant en squats et bidonvilles.
Il existe aujourd'hui une quarantaine de postes de médiation scolaire permettant à environ 4 000 enfants par an de bénéficier d'un accompagnement pour assurer leur continuité scolaire, le dispositif étant réservé aux enfants intraeuropéens. Un triplement des postes avait été annoncé par le gouvernement, avant la dissolution de l'Assemblée nationale, pour la rentrée 2024-2025.
Recommandation n° 14 : Renforcer les moyens dédiés aux dispositifs de médiation scolaire pour tous les enfants sans domicile, notamment pour garantir leur inscription scolaire sans exigence d'un justificatif de domicile. |
3. Les aider dans l'accès aux droits et aux services du quotidien
a) Accélérer le traitement des dossiers de droit au séjour des femmes sans domicile
Comme précédemment évoqué, la question du traitement de la situation administrative des femmes hébergées en situation irrégulière, pour lesquelles aucune solution de logement n'est aujourd'hui possible faute de droits ouverts, doit être posée.
En effet, libérer des places dans les dispositifs d'hébergement, pour accueillir d'autres personnes en situation d'urgence, supposera soit de procéder à des régularisations, au cas par cas, sur décision du préfet, notamment pour des femmes qui sont hébergées depuis des années, travaillent et pourraient accéder à un logement, soit de procéder à des reconduites à la frontière ou à des aides au retour pour les personnes déboutées de leur demande d'asile ou de titre de séjour s'il est considéré que celles-ci n'ont pas vocation à rester en France et qu'aucune perspective ne leur est ouverte.
Une fois ce constat dressé, se pose la question d'une approche administrative « réaliste » de la prise en charge au titre du droit au séjour de cette population étrangère à part entière : celle de migrantes, femmes seules et parfois mères, issues d'un parcours migratoire émaillé de violences, confrontées une fois en France à d'autres types de violences, souvent celle de réseaux de traite des êtres humains et celle multidimensionnelle de la « rue ».
(1) Des procédures parfois longues, complexes et dégradées
La question de la complexité et de la longueur des procédures administratives d'accès à un titre de séjour pour les personnes exilées a été soulevée à de nombreuses reprises par les interlocuteurs de la délégation, que ce soit s'agissant d'une première demande ou d'un renouvellement de titre de séjour.
Cette complexité et cette longueur peuvent s'avérer délétères pour les femmes, notamment les primo-arrivantes, souvent victimes de réseaux de traite des êtres humains et de prostitution dès leur arrivée sur le territoire.
Lors de son audition, la Fondation Abbé Pierre a alerté la délégation sur la dégradation des conditions d'accueil et de traitement des personnes étrangères dans les préfectures : « les retards dans la délivrance des titres de séjour entraînent des ruptures de parcours pour des femmes étrangères parfois présentes en France depuis très longtemps. Elles peuvent perdre leur logement du fait de la perte de leur droit au séjour à cause du retard pris par la préfecture dans le renouvellement de leur titre de séjour. Cette problématique s'accentue depuis une dizaine d'années ».
La Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) a précisé aux rapporteures que la simple étude de la demande d'accès à un premier titre de séjour peut prendre jusqu'à dix-huit mois et que les renouvellements de titres de séjour sont également embolisés.
De même, Vanessa Benoit, directrice générale du Samusocial de Paris, a souligné la complexité administrative qui pèse sur les femmes migrantes : « les titres de séjour sont de plus en plus précaires et empêchent ainsi une vraie insertion. S'y ajoute le risque de perte du titre de séjour, parce que vous ne parvenez pas à le renouveler, parce que la préfecture ne vous donne pas de rendez-vous. Ces réalités plongent les personnes concernées dans la difficulté. Les risques d'exploitation de ces femmes sont réels, et le sont d'autant plus qu'aucune prise en charge ne leur est adressée ».
Cette fragilité au regard de la régularité du séjour pour les femmes migrantes et leur maintien dans une situation irrégulière sur le territoire peuvent constituer un facteur d'aggravation du sans-domicilisme, alors même que, très souvent, ces femmes travaillent.
À cet égard, la chercheure Marie Loison-Leruste a insisté sur le fait qu'« une grande partie des personnes accueillies dans les centres d'hébergement travaillent au noir. Les femmes font très souvent des ménages, ou sont employées dans le secteur des soins, parce qu'elles ont envie et besoin de travailler, d'avoir une reconnaissance, d'envoyer de l'argent dans leur pays, à leurs enfants. Certaines d'entre elles attendent leur régularisation. Elles ont émis des demandes pour obtenir le statut de réfugié, en évoquant leur parcours migratoire, parfois très douloureux ».110(*)
En outre, les démarches d'accès au logement peuvent être rendues encore plus longues et complexes pour les familles dont le droit au séjour n'est pas complet : si une partie de la famille est régularisée, mais que certains membres ne le sont pas, son ensemble ne peut avoir accès au parc social.
Emmanuelle Cosse a, par exemple, indiqué à la délégation que « de nombreux ménages dont les adultes ne bénéficient pas de droits régularisés se trouvent bloqués lors des commissions d'attribution, même après avoir présenté des dossiers jusqu'au stade préliminaire. Cette situation constitue une difficulté majeure, notamment pour les ménages appelés à s'installer durablement sur le territoire ».
Pour l'ensemble de ces raisons, les rapporteures estiment qu'il est primordial, dans un premier temps, de reconnaître l'existence de ces difficultés et leur impact sur la fluidité de la chaîne hébergement-logement. Si elles ne s'accordent pas toutes sur les solutions à y apporter, elles considèrent qu'affronter courageusement et de façon réaliste cette question est nécessaire.
(2) Un nécessaire examen, au cas par cas et accéléré, des demandes de régularisation de femmes sans domicile avec enfants
Les rapporteures de la délégation n'ont pas toutes la même approche des enjeux de régularité du droit au séjour des femmes migrantes sans domicile.
Au cours des travaux de la délégation, la rapporteure Laurence Rossignol a ainsi estimé que l`exigence d'un titre de séjour régulier pour accéder à un logement social est l'un des principaux facteurs d'embolisation des structures d'accueil et d'urgence et contribue à l'augmentation du nombre de personnes sans abri. Elle s'est dite favorable à une régularisation des femmes qui vivent en hébergement.
La rapporteure Olivia Richard a, quant à elle, jugé que les femmes sans abri originaires de pays où elles ont subi des violences ou des menaces, ont vocation à rester en France, a fortiori lorsque leurs enfants y sont nés et scolarisés, conformément au droit en vigueur. Elle a jugé impératif pour ces femmes de pouvoir bénéficier d'une mise à l'abri pérenne, surtout lorsqu'elles ont des enfants à la rue, et estimé nécessaire une réflexion sur la mise en place de titres pluriannuels.
Pour la rapporteure Agnès Evren, la question de la régularisation des femmes étrangères sans papiers et sans domicile ne doit pouvoir s'envisager qu'au cas par cas et dans le respect des textes règlementaires et législatifs en vigueur. Elle estime toutefois que ces femmes, en raison de leur vulnérabilité aux réseaux de traite et de prostitution, doivent pouvoir bénéficier d'un traitement accéléré et spécifique de leur demande, via un guichet dédié en préfecture par exemple.
La rapporteure Marie-Laure Phinera-Horth considère, pour sa part, qu'un principe de réalité doit s'appliquer sans pour autant procéder à une régularisation massive des personnes en situation irrégulière. Elle a également déploré qu'en Guyane certaines femmes sans abri se voient délivrer des titres de séjour sans autorisation de travailler, ce qui constitue pour elle un non-sens.
Malgré des approches divergentes, les rapporteures ont décidé de se retrouver sur un socle minimal commun et estiment qu'au cas par cas, et dans le cadre des textes règlementaires111(*) et législatifs existants, les préfets doivent pouvoir accorder aux femmes migrantes sans domicile, au premier rang desquelles les mères isolées, un titre de séjour, d'autant que de nombreuses femmes appartiennent à la catégorie des « ni-ni » : ni expulsables ni régularisables, ce qui rend leur situation sur le territoire français inextricable.
Cette approche « réaliste » est celle qui a été exposée à la délégation par le directeur général de l'Ofii, Didier Leschi, lors de son audition le 13 juin 2024 : après avoir rappelé qu'en 2023, 30 000 personnes avaient été régularisées sur l'ensemble du territoire national, il a souligné que « l'hébergement d'urgence est victime de son mode de fonctionnement. Il devrait permettre un meilleur accompagnement vers la régularisation, dans le cadre d'un dialogue impliquant le ministère de l'intérieur et les préfectures. La crédibilité du dispositif serait plus forte si le dialogue avec le ministère de l'intérieur et les gestionnaires des lieux d'hébergement était plus franc concernant les derniers arrivants qui n'ont pas vocation à rester sur le territoire et pourraient bénéficier des dispositifs de l'Ofii en matière d'aide au retour volontaire ».
Il a par ailleurs estimé que « le refus de différencier les publics bloque l'ensemble du système, l'idée contestable que toute personne en situation irrégulière devrait être régularisée aussi. En effet, il conviendrait en particulier de faire la part entre les personnes qui viennent de pays d'origine sûrs et les autres ».
Il a enfin ajouté qu'« une politique de maîtrise des flux migratoires suppose d'accepter de contraindre un certain nombre de personnes à retourner dans leur pays d'origine dès lors qu'elles ne relèvent d'aucun titre de séjour, surtout si elles sont présentes en France depuis peu de temps. Cela permettrait de régulariser, au cas par cas, celles qui, au contraire, résident sur le territoire depuis plusieurs années. Je pense que nous pourrions au moins discuter de la régularisation des parents d'enfants nés et scolarisés en France, car nous savons qu'il sera très difficile qu'ils retournent dans leur pays d'origine ».
Les principales dispositions de la circulaire
Valls
du 28 novembre 2012
Un travailleur étranger, non européen, en situation irrégulière en France peut obtenir, par l'admission exceptionnelle au séjour, une carte de séjour salarié ou travailleur temporaire. Il s'agit d'une régularisation au cas par cas. L'étranger doit remplir des conditions d'ancienneté de séjour et de travail en France. Il doit déposer sa demande en préfecture. La procédure diffère selon que l'emploi figure ou non sur la liste des métiers en tension (métiers pour lesquels il existe des difficultés de recrutement).
La circulaire Valls du 28 novembre 2012 concerne la régularisation des étrangers sans papiers par le travail ou à un autre titre. Elle donne des indications aux préfets s'agissant du traitement des demandes déposées par les étrangers se trouvant sur le territoire français sans papiers et prévoit un certain nombre de situations :
- les demandes de régularisation par le travail ;
- les étrangers parents d'enfants scolarisés ;
- les conjoints d'étrangers en situation régulière ;
- les étrangers entrés en France mineurs et devenus majeurs ;
- les étrangers justifiant d'une résidence d'au moins 10 ans en France ;
- tout étranger en situation irrégulière n'entrant pas dans les catégories indiquées ci-dessus.
La demande de régularisation doit être déposée auprès de la préfecture ou de la sous-préfecture du lieu de résidence de l'étranger.
Partant, la délégation estime nécessaire de rappeler aux préfets leur faculté de procéder, au cas par cas, à la régularisation des femmes étrangères sans domicile, notamment les mères isolées ayant des enfants nés ou scolarisés en France.
Par ailleurs, la délégation note avec intérêt une jurisprudence récente de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), qui ouvre la voie à une reconnaissance facilitée du statut de réfugiée pour les femmes qui viennent de pays dans lesquels leurs droits sont bafoués. En effet, dans une décision du mois de janvier 2024, la CJUE a considéré que « les femmes, dans leur ensemble, peuvent être regardées comme appartenant à un groupe social » et prétendre au statut de réfugié si « dans leur pays d'origine elles sont exposées, en raison de leur sexe, à des violences physiques ou mentales ».
Plus récemment encore, le 11 juillet 2024, la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) a reconnu « l'appartenance de l'ensemble des femmes afghanes à un groupe social susceptible d'être protégé comme réfugié [car] les femmes et jeunes filles afghanes sont, dans leur ensemble, perçues d'une manière différente par la société afghane ». Cette décision de la CNDA laisse à penser que les demandes d'asile des femmes afghanes France ont aujourd'hui de fortes chances d'être acceptées.
Cette demande d'asile, procédure de demande de protection internationale qui permet d'obtenir le statut de réfugié ou la protection subsidiaire, n'est cependant pas exclusive d'une demande parallèle de délivrance d'un titre de séjour, déposée en préfecture sur un fondement autre que celui de l'asile.
Recommandation n° 15 : Impulser un effort particulier en faveur des femmes sans domicile dans le cadre de la circulaire Valls, qui permet aux préfets de procéder à des régularisations au cas par cas. |
L'accès au titre de séjour pour les personnes en parcours de sortie de prostitution (PSP) doit également être mentionné ici.
Ainsi que le soulignait Florence Gérard, présidente des OEuvres de la Mie de pain, lors d'un déplacement des rapporteures au sein du Foyer-Notre-Dame à Paris dans le 15e arrondissement, « beaucoup de femmes viennent en France avec la perspective de trouver un emploi et un logement, mais elles se retrouvent à Paris, exploitées, à la rue, sans ressources. Elles sont victimes d'exploitation sexuelle et se retrouvent prisonnières de réseaux de prostitution et de traite des êtres humains. Il est alors extrêmement difficile pour ces femmes de régulariser leur situation administrative. »
Les parcours de sortie de la prostitution sont précisément pertinents pour ces femmes migrantes issues des réseaux de traite des êtres humains. En effet, un PSP ouvre droit à l'obtention d'un titre de séjour d'au moins six mois pour les personnes étrangères, renouvelable au maximum trois fois.
En Île-de-France, depuis 2017, près de 500 PSP ont été réalisés. À Paris, 310 personnes en ont bénéficié, dont 55 % de femmes nigérianes.
Lors de leur visite des locaux de l'accueil de jour de l'Amicale du Nid à Saint-Denis le 6 mai 2024, il a été indiqué aux rapporteures que le fait d'être à la rue constitue toujours une difficulté pour les personnes candidates aux parcours de sortie de prostitution. En effet, une femme qui n'est pas hébergée va se retrouver à nouveau en proie aux réseaux de prostitution et ne pourra donc pas réussir son parcours de sortie de prostitution.
En outre, comme indiqué précédemment, les PSP ouvrent droit à une autorisation provisoire de séjour et de travail de six mois seulement. Toutefois, l'absence de renouvellement immédiat du titre de séjour, en raison de délais de procédure administrative, peut occasionner la perte du travail. C'est pourquoi il a été suggéré aux rapporteures de porter la durée de l'autorisation provisoire de séjour, dans le cadre d'un PSP, à un an plutôt que six mois.
Il semblerait, par ailleurs, que l'accès au titre de séjour dans ce cadre soit parfois encore difficile dans certaines zones du territoire. Par exemple, la déléguée régionale aux droits des femmes et à l'égalité de Martinique, Murièle Cidalise-Montaise, a indiqué à la délégation, lors de son audition le 29 mai 2024, qu'en Martinique, depuis 2019, sur 300 personnes potentiellement concernées par cette procédure, seules trente-trois avaient obtenu un titre de séjour. Elle a précisé que, l'intégration des personnes en PSP, essentiellement issues du Venezuela, d'Haïti ou de la République dominicaine, était globalement très réussie, mais que l'accès au titre de séjour restait difficile.
En outre, comme le rappelait Lucie Vacher, vice-présidente déléguée à l'enfance, à la famille et à la jeunesse de la métropole de Lyon, lors de l'audition de Bruno Bernard, président de la métropole, le 18 septembre 2024, il peut sembler paradoxal que, pour ces femmes issues de filières clandestines de l'immigration, le seul moyen d'accéder à la régularisation soit d'avoir vécu un parcours de traite des êtres humains et de prostitution une fois arrivées sur le territoire français. La métropole de Lyon a, par ailleurs, souligné que ces PSP étaient globalement réussis et que les dossiers présentés en commission départementale étaient très largement acceptés.
C'est pourquoi les rapporteures estiment que les parcours de sortie de prostitution, notamment ceux destinés aux prostituées étrangères en situation irrégulière et victimes de réseaux de traite, doivent être développés.
Recommandation n° 16 : Mobiliser les préfets pour développer les parcours de sortie de prostitution pour les femmes étrangères en situation irrégulière, victimes de réseaux de traite des êtres humains et de prostitution, et porter la durée de l'autorisation provisoire de séjour, accordée en cas de PSP, de six mois à un an. |
S'agissant des demandes de titre de séjour, les rapporteures estiment qu'une accélération et une simplification du traitement administratif des dossiers des femmes étrangères sans domicile sont souhaitables.
C'est pourquoi les rapporteures sont favorables, a minima, à l'instauration, dans les préfectures, d'un guichet unique dédié au traitement des demandes de délivrance ou de renouvellement de titres de séjour déposées par des femmes étrangères sans domicile, hébergées ou à la rue.
Ce guichet spécifiquement destiné aux migrantes, femmes seules ou mères isolées, aurait pour but, d'une part, d'accélérer les délais de traitement de leurs dossiers de demande de régularisation ou de renouvellement de titres de séjour, d'autre part, de simplifier les démarches de ces femmes.
Recommandation n° 17 : Créer, au sein des préfectures, un guichet unique dédié au traitement des demandes de délivrance ou de renouvellement de titres de séjour déposées par des femmes étrangères isolées et sans domicile. |
b) Accompagner les jeunes pris en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE) jusqu'à leur autonomie
La loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants112(*) garantit aux jeunes majeurs en difficulté, issus de l'aide sociale à l'enfance (ASE), un accompagnement, notamment par les départements, évitant ainsi les « sorties sèches » des bénéficiaires de l'ASE dès leur accès à la majorité, lorsqu'ils ne disposent ni de ressources suffisantes ni d'un soutien familial substantiel permettant de subvenir à leurs besoins.
Cette loi permet ainsi aux jeunes de bénéficier, avec le soutien financier des départements, d'un « contrat jeune majeur », entre leurs 18 et leurs 21 ans, qui consiste en une allocation financière, la possibilité d'être hébergé en famille d'accueil ou en établissement social ou médico-social, ou encore un simple suivi éducatif. Elle a pour objet de favoriser l'autonomie des jeunes majeurs issus de l'ASE en rendant donc obligatoire leur accompagnement jusqu'à leurs 21 ans, étant entendu qu'ils peuvent aussi user d'un droit au retour à l'ASE.
Néanmoins, les rapporteures ont été, à plusieurs reprises, alertées par leurs interlocuteurs sur le fait que de nombreux jeunes issus de l'ASE ne bénéficiaient pas de l'aide prévue par la loi pour les accompagner jusqu'à leur autonomie.
La dernière enquête Sans domicile de l'Insee de 2012 révélait d'ailleurs qu'un quart des personnes sans domicile nées en France avait été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance.
Lors de son audition113(*), la sociologue Marie Loison-Leruste relevait également le fait que, dans les structures d'accueil des personnes sans domicile, « on retrouve des femmes plus ou moins jeunes qui ont connu des parcours chaotiques en termes résidentiels. Quand elles sont d'origine française, elles sont très souvent passées par l'ASE ».
Le 3 avril 2024, Sarah El Haïry, alors ministre déléguée, chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles, avait, pour sa part, déclaré à l'Assemblée nationale que « 40 % des personnes sans domicile fixe de moins de 25 ans sont d'anciens enfants placés ».
Partant de ce constat, Anina Ciuciu, porte-parole du collectif #EcolePourTous, plaidait devant la délégation pour « la systématisation du contrat jeune majeur jusqu'à l'âge de 25 ans, pour éviter que des jeunes sortant de l'Aide sociale à l'enfance se retrouvent à la rue et perdent leur accès à l'éducation » 114(*).
La délégation a également été sensibilisée au risque de prostitution des jeunes femmes issues de l'ASE qui se retrouvent en proie aux réseaux proxénètes et ne bénéficient plus de la protection de l'enfance.
Ainsi que le soulignait Nathalie Latour115(*) de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), « la question du sans-abrisme questionne également notre politique de protection de l'enfance, de prévention, de capacité à permettre des parcours différents. Nous avons des indications alarmantes sur la situation de prostitution de jeunes femmes issues de l'Aide sociale à l'enfance ».
Pour l'ensemble de ces raisons, les rapporteures estiment indispensable, pour les départements, d'assurer la prise en charge des jeunes issus de l'ASE, a fortiori des jeunes femmes particulièrement exposées au risque de prostitution et de traite des êtres humains :
- d'une part, en appliquant pleinement la loi précitée du 7 février 2022 relative à la protection des enfants qui prévoit des dispositions spécifiques aux jeunes majeurs issus de l'ASE, âgés de 18 à 21 ans ;
- d'autre part, en engageant la responsabilité des départements qui ne la mettraient pas en oeuvre.
Recommandation n° 18 : Poursuivre la prise en charge des jeunes de l'aide sociale à l'enfance (ASE) jusqu'à leur autonomie, en appliquant pleinement la loi sur les contrats jeunes majeurs et en engageant la responsabilité des départements ne les mettant pas en oeuvre. |
c) Rationaliser les démarches administratives et lutter contre le non-recours aux dispositifs d'accompagnement
Effectuer des démarches administratives ou accéder à des services du quotidien élémentaires peut s'avérer très difficile pour les femmes à la rue en raison de nombreux obstacles, parmi lesquels on peut citer :
- une segmentation des lieux de l'assistance aux personnes sans domicile ;
- la mixité de certains lieux d'accueil, tels que les accueils de jours, souvent rédhibitoire pour les femmes qui renoncent donc à les fréquenter ;
- les difficultés d'accès aux transports et de déplacement entre les multiples lieux où elles doivent se rendre pour effectuer leurs démarches, surtout lorsqu'elles sont enceintes ou accompagnées de nourrissons et d'enfants en bas âge.
(1) Des phénomènes observés de non-recours aux services élémentaires du quotidien par les femmes
S'agissant de l'accès aux lieux de l'assistance et du recours aux services et dispositifs d'accompagnement, plusieurs mesures pourraient être envisagées pour lutter contre les phénomènes de renoncement et de non-recours que l'on observe parfois chez les femmes sans domicile.
Lors de son audition par la délégation, le délégué interministériel à l'accès à l'hébergement et au logement (Dihal) a insisté sur ces phénomènes en précisant que, de ce point de vue, les données des Nuits de la Solidarité sont assez frappantes :
- 51 % des hommes contre 31 % des femmes fréquentent un point de distribution alimentaire dans les quatorze villes où ont été récoltées ces données ;
- 77 % des femmes n'ont pas fréquenté d'accueil de jour au cours des sept derniers jours, contre 63 % des hommes ;
- le même écart est constaté dans le recours aux services du quotidien, comme le fait de prendre une douche, un repas ou aller aux toilettes.
Ainsi, à la question : « Quand vous en avez besoin, avez-vous accès aux équipements ou services vous permettant de prendre une douche, de laver vos vêtements, de stocker vos affaires, de trouver de l'aide pour vos démarches, etc. ? », elles font part d'une moindre accessibilité de manière générale à ces services, qui peut s'expliquer par la mixité des services proposés ou un maillage moins dense des services s'adressant plus spécifiquement aux femmes.
A contrario, les données récoltées au cours des Nuits de la solidarité mettent en évidence un meilleur accompagnement et un meilleur recours à certains dispositifs pour les femmes que les hommes, bien que les niveaux soient globalement extrêmement faibles :
- 54 % des femmes rencontrées indiquent ainsi avoir une domiciliation administrative, contre 47 % des hommes ;
- les femmes rencontrées sont plus souvent accompagnées par un travailleur social que les hommes : 42 % contre 34 %.
(2) Développer la non-mixité des structures d'accueil de jour et éviter la dispersion des lieux de l'assistance
Le faible nombre de structures non mixtes explique sans doute pourquoi les femmes fréquentent peu les accueils de jour et renoncent ainsi à un lieu de répit qui pourrait leur permettre de sortir temporairement de l'itinérance et de sa violence.
Ainsi que le rappelait Vanessa Benoit, directrice générale du Samusocial de Paris, « le besoin de structures non mixtes est encore plus fort lorsque l'on est proche de l'urgence, en accueil de jour ou en premier hébergement »116(*).
Les rapporteures estiment nécessaire, d'une part, de renforcer la présence de lieux d'accueil de jour réservés aux femmes, d'autre part, de développer des espaces permettant aux femmes sans domicile de disposer d'un accès simultané à plusieurs services du quotidien tels que lieu de repos, douches, machines à laver, bagagerie, etc.
Une rationalisation de la distribution géographique de ces lieux de l'assistance est donc souhaitable afin de lutter contre leur segmentation sur le territoire.
Comme le soulignait Muriel Froment-Meurice, géographe, lors de son intervention devant la délégation117(*), « les lieux d'accueil de jour, les bagageries, les bains-douches, les laveries, les lieux d'hébergement sont dispersés. Les femmes se voient bien souvent contraintes de circuler entre ces différents lieux. Une des violences qu'elles subissent au quotidien résulte donc de leur obligation de déplacement dans les espaces urbains dans des conditions particulièrement compliquées. Nous savons pourtant que les déplacements de toutes les femmes dans les espaces urbains sont aujourd'hui compris comme plus compliqués que ceux des hommes ».
Les rapporteures se félicitent ainsi que, dans le cadre du Pacte des solidarités, la création d'un accueil de jour spécialisé pour les femmes soit prévue dans vingt territoires.
(3) Faciliter les démarches d'accès aux droits des femmes à la rue
Pour les personnes sans domicile, et plus encore pour les femmes, la question de l'accès aux droits est fondamentale. Cet accès peut en effet être limité par la complexité des démarches administratives à effectuer par ces personnes pour exercer leurs droits, qu'il s'agisse, comme déjà évoqué, des démarches liées au droit au séjour auprès des préfectures, au recours à la Caisse d'allocations familiales, au bénéfice de l'aide médicale d'État (AME), au dépôt de plainte pour violences, etc.
S'agissant des démarches effectuées plus spécifiquement par les femmes seules ou les mères isolées en situation d'errance, des accès ou horaires spécifiques pourraient être organisés.
Comme évoqué précédemment s'agissant de l'accès aux soins médicaux, des dispositifs d'« aller vers » pourraient être renforcés à destination de ce public car, comme le rappelait le Secours catholique lors de son audition le 14 décembre 2023, « les femmes à la rue essaient au maximum de se cacher pour se protéger des violences que la rue engendre. C'est ce qui fait qu'il est compliqué de les trouver. Il est alors primordial de développer ces dispositifs pour nous rendre directement là où elles se trouvent. Elles ne viennent pas spontanément à nous ».
La barrière numérique peut aussi constituer une complexité rédhibitoire pour ce public précaire : l'illectronisme ou l'absence d'accès aux outils numériques peuvent compliquer les démarches à effectuer auprès des administrations. Ainsi, il leur faut passer par un standard téléphonique, ce qui peut occasionner des délais d'attente beaucoup plus longs.
En outre, pour certaines démarches spécifiques, les pratiques administratives peuvent être variables d'un territoire à l'autre. C'est le cas notamment de l'accès à l'AME comme le soulignait Médecins du Monde lors de l'audition du 16 mai 2024, en évoquant « des pratiques très variables d'un territoire à l'autre et d'une caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) à l'autre, (...) des pièces complémentaires demandées par certaines administrations qui ne sont pas listées dans les documents initiaux. Ces demandes fréquentes sont souvent rapportées par nos programmes. Elles concernent notamment des papiers d'identité. Les pratiques varient considérablement d'une CPAM à l'autre, entraînant de nombreux retards dans l'accès à l'AME. (...) Une fois que les personnes obtiennent cette aide, le panier de soins est limité, certains soins sont soumis à un délai de carence de neuf mois. L'AME doit être renouvelée annuellement. »
Enfin, la question du « nomadisme administratif » et, encore une fois, de l'éclatement des lieux de l'assistance pour les femmes sans domicile plaide pour l'instauration d'un soutien financier aux transports urbains plus particulièrement pour les mères isolées d'enfants en bas âge.
Dans un contexte d'hyper mobilité forcée de ces femmes, une facilitation de l'accès aux transports en commun et une aide à l'achat de titres de transport pourraient être envisagées comme le suggérait Isabelle Susset, sous-directrice à la Direction de la santé publique de la ville de Paris, évoquant la mise en place d'un « Pass Navigo des 1 000 premiers jours », car « les déplacements multiples entre les hébergements, les soins médicaux, les PMI, et les restaurants solidaires deviennent impossibles sans un soutien financier aux transports ».
Recommandation n° 19 : Faciliter l'accès aux services du quotidien et aux démarches administratives : - en développant les accueils de jour réservés aux femmes, centralisant services et accompagnements, pour une prise en charge stable et continue, dans un même lieu ; - et en finançant les titres de transport des mères avec des enfants de moins de 3 ans. |
* 104 Audition du 16 mai 2024.
* 105 Fédération nationale solidarité femmes qui gère le numéro d'urgence 3919 pour les femmes victimes de violences.
* 106 Collectif constitué à l'automne 2014 dans l'agglomération lyonnaise pour lutter contre le sans-abrisme des enfants dans les écoles par le biais de l'occupation « illicite », mais « tolérée » par les municipalités d'écoles la nuit afin d'assurer un hébergement aux enfants sans-domicile.
* 107 Audition du 23 mai 2024.
* 108 Loi n° 2019-791 pour une école de la confiance.
* 109 Décret n° 2020-811 précisant les pièces pouvant être demandées à l'appui d'une demande d'inscription sur la liste prévue à l'article L. 131-6 du code de l'éducation.
* 110 Audition du 4 avril 2024.
* 111 Notamment la circulaire dite « Valls » du 28 novembre 2012 relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Cette circulaire a pour objet de rappeler et de préciser les critères permettant d'apprécier une demande d'admission au séjour des ressortissants étrangers en situation irrégulière en vue de leur délivrer un titre de séjour portant soit la mention « vie privée et familiale », « salarié » ou « travailleur temporaire ».
* 112 Articles L. 221-2-3, L222-5, L222-5-1, L222-5-2-1 du code de l'action sociale et des familles.
* 113 Audition du 4 avril 2024.
* 114 Audition du 23 mai 2024.
* 115 Audition du 14 mars 2024.
* 116 Audition du 14 mars 2024.
* 117 Audition du 4 avril 2024.