N° 15

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 octobre 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances
entre les hommes et les femmes (1) sur les
femmes sans abri,

Par Mmes Agnès EVREN, Marie-Laure PHINERA-HORTH, Olivia RICHARD
et Laurence ROSSIGNOL,

Sénatrices

Tome I - Rapport

(1) Cette délégation est composée de : Mme Dominique Vérien, présidente ; Mmes Annick Billon,
Evelyne Corbière Naminzo, Laure Darcos, Béatrice Gosselin, M. Marc Laménie, Mmes Marie Mercier, Marie-Pierre Monier, Guylène Pantel, Marie-Laure Phinera-Horth, Laurence Rossignol, Elsa Schalck, Anne Souyris, vice-présidents ; Mmes Marie-Do Aeschlimann, Agnès Evren, Annie Le Houerou, secrétaires ; Mme Jocelyne Antoine, MM. Jean-Michel Arnaud, Hussein Bourgi, Mmes Colombe Brossel, Samantha Cazebonne, M. Gilbert Favreau, Mme Véronique Guillotin, M. Loïc Hervé, Mmes Micheline Jacques, Lauriane Josende, Else Joseph, Marie-Claude Lermytte, Brigitte Micouleau, Raymonde Poncet Monge, Olivia Richard, Marie-Pierre Richer, M. Laurent Somon, Mmes Sylvie Valente Le Hir, Marie-Claude Varaillas, M. Adel Ziane.

L'ESSENTIEL

Les femmes sans domicile, et a fortiori celles sans abri qui passent la nuit dans la rue faute de place en hébergement d'urgence, sont régulièrement décrites comme invisibles, soit qu'elles passent inaperçues, qu'elles se cachent ou qu'elles soient victimes d'une invisibilisation. La délégation aux droits des femmes a choisi de mettre en lumière l'ampleur de cette problématique, les difficultés, les violences et les traumatismes auxquels ces femmes sont confrontées.

À l'issue de dix mois de travaux, les rapporteures formulent 22 recommandations visant à mieux connaître et repérer ces femmes, assurer une offre d'hébergement à la hauteur de leurs besoins, faciliter leur accès au logement, mieux les accompagner dans l'accès à leurs droits et leur quotidien, et soutenir et valoriser les travailleurs sociaux qui assurent cet accompagnement.

I. SORTIR LES FEMMES DE L'OMBRE DE LA RUE

A. UNE AUGMENTATION, SOUS LES RADARS, DU NOMBRE DE FEMMES À LA RUE

Le nombre de personnes sans domicile a doublé en dix ans, pour atteindre 330 000 en 2024, dont environ 120 000 femmes. Si la majorité est hébergée dans des lieux financés par l'État, certains hébergements d'urgence ne sont octroyés que pour quelques nuits et chaque semaine il faut quitter le lieu, repasser par la rue, parfois pendant plusieurs jours, avant de retrouver un nouvel abri. Chaque soir, environ 3 000 femmes et près de 3 000 enfants sans abri passent la nuit dans la rue.

Cependant, il ne s'agit que de données incomplètes : la dernière enquête nationale Sans Domicile de l'Insee date de 2012 et les résultats des enquêtes de veille sociale ne sont pas systématiquement ventilés par sexe. Les opérations de décompte des femmes sans abri sont également rendues complexes par les stratégies d'invisibilisation que celles-ci adoptent afin ne pas s'exposer aux violences de la rue (mobilité extrême, dissimulation dans des espaces clos, apparence soignée ou au contraire repoussante...).

B. LA RUE ABÎME, BLESSE ET TUE

 

L'absence de domicile et les conditions de vie précaires qui y sont associées exposent les femmes à de multiples facteurs de risque : vieillissement accéléré, troubles liés à une mauvaise alimentation et aux difficultés d'accès à l'hygiène, complications en cas de pathologies, risques d'infection au VIH et aux hépatites, épuisement psychique, troubles dépressifs, grossesses et naissances à risques, retards de prise en charge, renoncements aux soins...

En outre, la quasi-totalité de ces femmes ont subi des violences physiques et sexuelles dans la rue, qui s'ajoutent à celles qu'elles ont souvent vécu dans leur enfance, dans leur foyer ou au cours de leur parcours migratoire. Elles sont particulièrement exposées aux risques d'exploitation par le travail et d'exploitation sexuelle (hébergements contre « services » et prostitution).

 

« Au bout d'un an passé à la rue, 100 % des femmes ont subi un viol, quel que soit leur âge, quelle que soit leur apparence. Pour elles, c'est un trauma parmi d'autres. » Aurélie Tinland, médecin-psychiatre à l'AP-HM

Recommandations :

- Systématiser des analyses genrées et un questionnement des violences subies, en particulier dans le cadre de la prochaine enquête Sans Domicile de l'Insee prévue en 2025 et de la modernisation du SI-SIAO, qui devra permettre de disposer de données en temps réel.

- Améliorer l'accès aux professionnels de santé, en particulier en santé gynécologique et en santé mentale, en déployant la médiation en santé, des permanences d'accès aux soins, des équipes d'intervention mobile, la vaccination des primo-arrivantes par l'Ofii.

- Améliorer la détection et la prise en charge des violences sexistes et sexuelles en sensibilisant les travailleurs sociaux et les forces de l'ordre qui recueillent les plaintes.

- Permettre aux associations de fournir aux femmes sans abri des moyens d'auto-défense.

II. LEUR TROUVER UN TOIT

A. ASSURER UNE OFFRE D'HÉBERGEMENT ADAPTÉE À LEURS BESOINS

L'offre d'hébergement a été multipliée par deux en dix ans, atteignant :

 

places dans le parc généraliste (centres d'hébergement et de réinsertion sociale dits CHRS, centres d'hébergement d'urgence et autres centres)

et dans des hôtels sociaux

 

places dans le cadre du dispositif national d'accueil (DNA) des demandeurs d'asile

En dépit de cette augmentation, le parc d'hébergement est aujourd'hui saturé, faute de solutions de sortie vers le logement, et ne remplit donc plus sa vocation de solution temporaire.

 

Demandes d'hébergement non pourvues (DNP) par département dans la nuit du 19 août 2024

Carte réalisée par la délégation à partir de données transmises par la Dihal

 

Pour gérer la pénurie de places, certaines préfectures ont défini des critères de vulnérabilité de plus en plus restrictifs. Ce qui ne devait être qu'une priorité dans la prise en charge et une aide à la décision est devenu une condition d'accès à part entière, en dépit du principe d'inconditionnalité de l'hébergement. De facto, les personnes qui ne relèvent pas du niveau 1 de vulnérabilité (en Île-de-France : les femmes victimes de violences, les femmes enceintes de plus de 6 mois et les enfants de moins de 3 mois) n'ont souvent aucune solution d'hébergement proposée lorsqu'elles appellent le 115 et même les personnes vulnérables n'obtiennent pas systématiquement une mise à l'abri faute de places d'hébergement disponibles ou compatibles avec leur composition familiale.

Recommandations :

- Afin d'assurer une mise à l'abri immédiate et une prise en charge minimale d'un mois pour les femmes et les familles, créer 10 000 places d'hébergement supplémentaires, en mobilisant notamment l'habitat intercalaire.

Améliorer la qualité du parc d'hébergement en transformant les nuitées hôtelières en places pérennes et en assurant davantage de places non mixtes pour les femmes isolées, des places adaptées à toutes les configurations familiales et des lieux permettant de cuisiner, disposer d'une intimité et accueillir des enfants.

B. FACILITER L'ACCÈS AU LOGEMENT

Les problématiques de l'hébergement et du logement sont intrinsèquement liées : l'embolie de l'hébergement s'explique par la crise du logement en aval, notamment la baisse de la production de logements sociaux depuis 2018, rendant quasiment impossible l'accès au logement pour les plus précaires, bloqués dans l'hébergement parfois pendant des années. La proportion, au sein des dispositifs d'hébergement de personnes de nationalité étrangère, parmi lesquelles beaucoup de femmes, ne répondant pas aux critères de régularité du séjour, constitue également un facteur de congestion du système. Or, l'accès direct au logement doit constituer le premier outil de protection des personnes à la rue, en particulier des femmes, plus exposées aux violences.

Recommandations :

- Accroître la construction de logements sociaux et simplifier les procédures de construction de logements à bas loyers dans le secteur privé.

- Établir un critère de priorité pour les femmes seules et les mères isolées sans domicile pour l'attribution d'un logement social.

- Renforcer les moyens des programmes spécialisés d'accès direct au logement pour les personnes les plus vulnérables, sur le modèle du dispositif Un chez-soi d'abord.

III. LES ACCOMPAGNER DANS L'ACCÈS À LEURS DROITS ET FACILITER LEUR QUOTIDIEN

A. FACILITER L'ACCÈS AUX DROITS ET AUX SERVICES DU QUOTIDIEN DES FEMMES SANS ABRI ET DE LEURS ENFANTS

Apporter une solution durable à la problématique du sans-domicilisme et à l'embolie du parc d'hébergement supposera de traiter la situation administrative des personnes en situation irrégulière qui y sont hébergées pendant des années. Certaines femmes hébergées travaillent ou ont des enfants nés ou scolarisés en France : elles ne sont pas expulsables mais ne peuvent accéder à un logement faute de droits. Nombre d'entre elles sont également particulièrement exposées aux réseaux de traite et de prostitution.

En outre, certaines femmes, pourtant en situation régulière, se retrouvent sans logement faute de renouvellement de leur titre de séjour, procédure longue et complexe.

Recommandations :

- Impulser un effort particulier en faveur des femmes sans domicile dans le cadre de la circulaire Valls, qui permet aux préfets de procéder à des régularisations au cas par cas.

- Créer, au sein des préfectures, un guichet dédié aux demandes de délivrance ou de renouvellement de titres de séjour, déposées par des femmes étrangères isolées et sans domicile.

Alors qu'un quart des personnes sans domicile est passé par l'aide sociale à l'enfance (ASE) et que les jeunes femmes qui en sont issues sont particulièrement exposées au risque de prostitution, il apparaît indispensable de poursuivre la prise en charge de ces jeunes jusqu'à leur autonomie.

Recommandation : Appliquer pleinement la loi sur les contrats jeunes majeurs (ASE) en engageant la responsabilité des départements ne les mettant pas en oeuvre.

 

Effectuer des démarches administratives ou accéder à des services du quotidien élémentaires peut s'avérer très difficile pour les femmes à la rue face à une segmentation des lieux de l'assistance (place d'hébergement, accueil de jour, distribution alimentaire, bains douches, bagagerie...), la mixité de certains lieux et des difficultés d'accès aux transports, entraînant des phénomènes de non-recours.

Recommandation : Faciliter l'accès aux services du quotidien et aux démarches administratives, en développant les accueils de jour réservés aux femmes, centralisant services du quotidien et accompagnements, pour une prise en charge stable et continue, dans un même lieu, et en finançant les titres de transport des mères avec des enfants de moins de 3 ans (« passe Navigo 1000 premiers jours »).

Enfin, accompagner les femmes sans domicile suppose également de prendre en charge leurs enfants, qui sont exposés à des conditions de vie précaires avec d'importantes répercussions sur leur santé physique et mentale, leur développement, leur scolarité.

 

Recommandations :

- Reconnaître les enfants sans domicile comme bénéficiaires directs de l'accompagnement psychosocial global prévu pour leurs parents.

- Renforcer les moyens dédiés aux dispositifs de médiation scolaire, notamment pour garantir l'inscription scolaire sans exigence d'un justificatif de domicile.

B. SOUTENIR LES TRAVAILLEURS SOCIAUX QUI LES ACCOMPAGNENT

Les travailleurs sociaux - à 65 % des femmes - se trouvent souvent eux-mêmes dans une situation difficile, en raison de faibles rémunérations, d'un manque de reconnaissance sociale et d'une perte de sens professionnel faute de solutions durables à proposer au public pris en charge.

Recommandations :

Revaloriser la profession et le statut de travailleur social et développer la formation continue dans le domaine de l'accompagnement social.

- Favoriser les démarches pluridisciplinaires en développant financements croisés et partenariats entre acteurs locaux. En particulier, généraliser les lignes « partenaires » pour les associations auprès du 115 et des préfectures.

- Renforcer les soutiens financiers pluriannuels aux associations.

 

LISTE DES RECOMMANDATIONS

SORTIR LES FEMMES DE L'OMBRE DE LA RUE

Recommandation n° 1 : Systématiser des analyses genrées et un questionnement des violences subies, en particulier dans le cadre de :

- la prochaine enquête de l'Insee sur le sans-domicilisme ;

- la modernisation du SI-SIAO, qui devra permettre à l'État de disposer en temps réel des données d'activité du 115.

ASSURER UNE OFFRE D'HÉBERGEMENT
À LA HAUTEUR DES BESOINS DES FEMMES ET DES FAMILLES

Recommandation n° 2 : Attribuer à l'État la responsabilité de l'hébergement des femmes enceintes et des mères isolées avec un enfant de moins de trois ans.

Recommandation n° 3 : Dans l'attente d'une offre de logements abordables suffisante et afin d'assurer une mise à l'abri immédiate et une prise en charge minimale d'un mois pour les femmes et les familles, créer 10 000 places d'hébergement supplémentaires, en mobilisant notamment l'habitat intercalaire.

Recommandation n° 4 : Améliorer la qualité de l'offre d'hébergement, en transformant des nuitées hôtelières en places pérennes et en développant les places adaptées aux femmes et aux familles, avec en particulier :

- davantage de places non mixtes pour les femmes isolées ;

- des places adaptées à toutes les configurations familiales, préservant l'unité familiale ;

- des lieux permettant de cuisiner, de disposer d'une intimité et d'accueillir des enfants.

FACILITER L'ACCÈS AU LOGEMENT

Recommandation n° 5 : Accroître la construction de logements sociaux et simplifier et accélérer les procédures de construction de logements à bas loyers dans le secteur privé.

Recommandation n° 6 : Pour l'attribution d'un logement social, établir un critère prioritaire pour les femmes seules et les mères isolées sans domicile, et alléger les exigences liées au calcul des revenus.

Recommandation n° 7 : Donner aux bailleurs sociaux les moyens d'identifier, le plus en amont possible, les locataires les plus fragilisés afin de prévenir les expulsions locatives.

Recommandation n° 8 : Renforcer les moyens des programmes spécialisés d'accès direct au logement pour les publics les plus vulnérables, sur le modèle du dispositif Un chez-soi d'abord.

ACCOMPAGNER LES FEMMES DANS L'ACCÈS À LEURS DROITS
ET FACILITER LEUR QUOTIDIEN

Recommandation n° 9 : Améliorer l'accès des femmes à la rue à l'information et aux professionnels de santé en :

- déployant des dispositifs ad hoc adaptés, en particulier de la médiation en santé, des permanences d'accès aux soins et des équipes d'intervention mobile et d'« aller vers » ;

- en permettant à l'Ofii, déjà chargé de l'examen médical des primo-arrivantes, d'exercer également en tant que centre de vaccination généraliste agréé.

Recommandation n° 10 : Inclure et visibiliser dans la « grande cause santé mentale » une politique publique spécifique en faveur des femmes et notamment des femmes sans domicile.

Recommandation n° 11 : Améliorer la détection et la prise en charge des violences sexistes et sexuelles dont sont victimes les femmes à la rue en sensibilisant les professionnels du secteur de l'accueil et de l'accompagnement, ainsi que les forces de l'ordre qui recueillent les plaintes.

Recommandation n° 12 : Permettre aux associations de fournir aux femmes sans abri des moyens d'auto-défense.

Recommandation n° 13 : Reconnaître les enfants sans domicile comme bénéficiaires directs de l'accompagnement psychosocial global prévu pour leurs parents.

Recommandation n° 14 : Renforcer les moyens dédiés aux dispositifs de médiation scolaire pour tous les enfants sans domicile, notamment pour garantir leur inscription scolaire sans exigence d'un justificatif de domicile.

Recommandation n° 15 : Impulser un effort particulier en faveur des femmes sans domicile dans le cadre de la circulaire Valls, qui permet aux préfets de procéder à des régularisations au cas par cas.

Recommandation n° 16 : Mobiliser les préfets pour développer les parcours de sortie de prostitution pour les femmes étrangères en situation irrégulière, victimes de réseaux de traite des êtres humains et de prostitution, et porter la durée de l'autorisation provisoire de séjour, accordée en cas de PSP, de six mois à un an.

Recommandation n° 17 : Créer, au sein des préfectures, un guichet unique dédié au traitement des demandes de délivrance ou de renouvellement de titres de séjour déposées par des femmes étrangères isolées et sans domicile.

Recommandation n° 18 : Poursuivre la prise en charge des jeunes de l'aide sociale à l'enfance (ASE) jusqu'à leur autonomie, en appliquant pleinement la loi sur les contrats jeunes majeurs et en engageant la responsabilité des départements ne les mettant pas en oeuvre.

Recommandation n° 19 : Faciliter l'accès aux services du quotidien et aux démarches administratives :

- en développant les accueils de jour réservés aux femmes, centralisant services et accompagnements, pour une prise en charge stable et continue, dans un même lieu ;

- et en finançant les titres de transport des mères avec des enfants de moins de 3 ans (Passe Navigo des 1 000 premiers jours).

Recommandation n° 20 : Revaloriser la profession et le statut de travailleur social et développer la formation continue dans le domaine de l'accompagnement social.

Recommandation n° 21 : Favoriser les démarches pluridisciplinaires de prise en charge des femmes à la rue en développant les financements croisés et les partenariats entre acteurs locaux. En particulier, généraliser les lignes « partenaires » pour les associations auprès du 115 et des préfectures.

Recommandation n° 22 : Renforcer les soutiens financiers pluriannuels aux associations qui accompagnent les femmes sans domicile.

AVANT-PROPOS

330 000 personnes, dont 40 % de femmes, sont sans domicile en France aujourd'hui. Parmi elles, environ 30 000 personnes sont sans abri. Chaque soir, ce sont environ 3 000 femmes et près de 3 000 enfants qui passent la nuit dans la rue.

Certes, les termes de « sans domicile » et de « sans abri » renvoient à des situations très différentes et diverses. Le terme « sans domicile », plus large, correspond à toute personne sans logement personnel, qu'elle soit hébergée - majoritairement en centre d'hébergement et de réinsertion sociale ou en hôtel social - ou « sans abri », ce dernier terme désignant toutes les personnes qui passent la nuit dans la rue, des tentes, des habitats de fortune, des parkings ou d'autres lieux non prévus pour l'habitation.

Cependant, les expériences vécues par les femmes appartenant à ces différentes catégories tendent à se rapprocher, faute de suffisamment de places d'hébergement disponibles. La rue est devenue une sorte de passage obligé dans le parcours des femmes sans domicile : celles qui arrivent en France après un parcours migratoire comme celles qui perdent leur logement, en raison d'accidents de vie, doivent souvent passer plusieurs nuits, parfois des mois, dans la rue avant de se voir proposer un hébergement. En outre, certains hébergements d'urgence ne sont octroyés que pour quelques nuits et chaque mois, chaque semaine, chaque matin parfois il faut quitter un hébergement, repasser par la rue, parfois pendant plusieurs jours, avant de retrouver un nouvel abri.

Pendant dix mois, entre décembre 2023 et septembre 2024, la délégation aux droits des femmes s'est penchée sur la situation de ces femmes.

Elle a entendu plus d'une cinquantaine de personnes au cours d'auditions au Sénat : représentants de l'État, acteurs associatifs, collectivités territoriales, sociologues, travailleurs sociaux ou encore professionnels de santé.

Au cours de visites de terrain à Paris, en Seine-Saint-Denis et à Marseille, les rapporteures ont également rencontré près d'une centaine de personnes - professionnels, bénévoles et personnes accueillies - dans des centres d'hébergement, des haltes de nuit, des hôpitaux, des locaux associatifs ou encore dans la rue. Elles se sont également rendues au centre d'appel du 115 de Paris afin de procéder à de doubles écoutes des appels de personnes sans abri et de prendre connaissance des réponses apportées par les écoutants sociaux.

À ce titre, elles tiennent à saluer la bienveillance et l'engagement professionnel des travailleurs sociaux, en large majorité des travailleuses, de la fonction publique comme du milieu associatif, qui interviennent auprès des femmes sans domicile. Leur rôle dans la prise en charge de ces femmes est essentiel, incontournable et pourtant trop peu valorisé.

Le premier objectif du présent rapport est d'alerter l'opinion publique sur la situation des milliers de femmes et d'enfants qui connaissent la rue, ainsi que sur les difficultés que rencontrent les travailleurs sociaux qui les accueillent et les accompagnent, faute de solutions satisfaisantes à leur proposer, dans un contexte de crise du logement.

Derrière les chiffres et études qui permettent de documenter ce phénomène, il y a des réalités de vie dramatiques. C'est pourquoi, au-delà d'un état des lieux global, la délégation a souhaité retranscrire, au sein de ce rapport, le verbatim de certains témoignages de femmes recueillis au cours d'auditions et de déplacements sur le terrain. Ces témoignages sont essentiels pour prendre conscience de la réalité du vécu de ces femmes qui, toutes, ont subi des violences au cours de leur vie, que ce soit dans la rue ou antérieurement, pendant leur enfance ou lors d'un parcours migratoire souvent traumatique.

Le second objectif des rapporteures est de formuler des préconisations afin d'améliorer la prise en charge des femmes sans domicile.

Elles formulent ainsi 22 recommandations de nature à :

mieux repérer et connaître les trajectoires de vie de ces femmes ;

- assurer une offre d'hébergement à la hauteur des besoins, tant sur le plan quantitatif que qualitatif ;

- faciliter l'accès des femmes au logement ;

- mieux les accompagner dans l'accès à leurs droits ;

- soutenir et valoriser les travailleurs sociaux.

Apporter des solutions durables à la problématique du sans-domicilisme impliquera nécessairement de s'attaquer à deux sujets de fond, qui dépassent le cadre du présent rapport.

Le premier est celui de la construction de logements abordables et en particulier de logements sociaux, alors que la France traverse depuis plusieurs années une crise du logement.

Le second est celui du traitement de la situation administrative du public hébergé en situation irrégulière, pour lequel aucune solution de logement n'est aujourd'hui possible faute de droits : libérer des places dans les dispositifs d'hébergement, pour accueillir d'autres personnes en situation d'urgence, supposera soit de procéder à des régularisations, au cas par cas, sur décision du préfet, notamment pour des femmes qui sont hébergées depuis des années, travaillent et pourraient accéder à un logement, soit de procéder à des reconduites à la frontière ou à des aides au retour pour les personnes déboutées de leur demande d'asile ou de titre de séjour, s'il est considéré que celles-ci n'ont pas vocation à rester en France et qu'aucune perspective ne leur est ouverte.

I. SORTIR LES FEMMES DE L'OMBRE DE LA RUE

Au cours des auditions de la délégation, les femmes sans domicile et a fortiori les femmes sans abri ont systématiquement été décrites comme « invisibles », soit qu'elles « passent inaperçues », qu'elles « se cachent » ou qu'elles soient « victimes d'une invisibilisation ».

Or, tout comme le nombre global de personnes sans domicile, le nombre de femmes sans domicile a considérablement augmenté depuis dix ans, atteignant environ 120 000 personnes si l'on estime que 40 % des quelque 300 000 adultes sans domicile sont des femmes. Parmi elles, le nombre de femmes sans abri ou accueillies dans des places d'hébergement d'urgence sur des durées très courtes est difficile à estimer, mais plusieurs milliers de femmes sont concernées.

La délégation aux droits des femmes se livre, dans le présent rapport, à un exercice inédit de compilation des différentes études, enquêtes et remontées de terrain existantes, rarement exhaustives et rarement entièrement genrées, afin de dénombrer les femmes de la rue, de les décrire, en relevant des points communs dans la diversité de leurs expériences de vie, et d'exposer les conséquences qu'entraîne leur parcours de rue sur leur corps, leur santé mentale et leur vécu en tant que personne. Afin de sortir les femmes de l'ombre de la rue, elle entend mettre en lumière l'ampleur de cette problématique ainsi que les difficultés, les violences et les traumatismes que subissent ces femmes.

A. UNE FÉMINISATION DU SANS-ABRISME PASSÉE SOUS LES RADARS 

1. Une augmentation notable du nombre de femmes et de familles sans domicile et sans abri depuis une dizaine d'années
a) Une augmentation constatée par tous les acteurs

Toutes les études et remontées de terrain signalent à la fois une augmentation générale du nombre de personnes, y compris de femmes, sans domicile, en lien avec la crise du logement, et une augmentation du nombre de femmes sans abri, depuis une quinzaine d'années et plus encore depuis 2018. Cette augmentation concerne aussi bien les familles (couples avec enfants ou mères seules avec enfants) que les femmes isolées.

Si un décompte précis est complexe, plusieurs sources peuvent être mobilisées afin de documenter ce phénomène : enquête Sans Domicile de l'Insee, données portant sur les personnes sans domicile hébergées par l'État, données des demandes de mise à l'abri formulées auprès du 115, ou encore études et décomptes des acteurs associatifs et des Nuits de la solidarité.

En 2012, date de sa dernière édition, l'enquête Sans domicile de l'Insee comptabilisait 143 000 personnes sans domicile fréquentant des services d'hébergement ou de distribution de repas en France métropolitaine, dont plus de 30 000 enfants. Si l'Insee relevait que 38 % des sans-domicile adultes étaient des femmes, contre 32 % lors de la précédente enquête Sans Domicile de 2001, il ne comptabilisait en revanche que 2 % de femmes parmi les quelque 14 000 personnes sans abri. À l'époque, cette étude relevait que « les sans-domicile accompagnés d'enfants, qu'ils soient en couple ou non, de même que les femmes seules, sont rarement sans abri ou dans des centres d'hébergement collectif qu'il faut quitter le matin »1(*).

Le dernier rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre sur le mal-logement, publié début 2024, évalue à 4,2 millions le nombre de personnes mal logées, dont 330 000 personnes sans domicile, soit un doublement en une dizaine d'années, mais également 643 000 personnes en hébergement « contraint » chez des tiers.

En considérant, comme le font les acteurs institutionnels comme associatifs, que la proportion de femmes parmi les personnes sans domicile est restée relativement stable, autour de 40 %, le nombre de femmes sans domicile, en valeur absolue, a donc lui aussi doublé en dix ans.

En outre, parmi ces personnes sans domicile, le nombre de femmes sans abri a nettement augmenté. Pauline Portefaix, chargée d'études à la Fondation Abbé Pierre, déclarait ainsi devant la délégation : « le statut de mère isolée qui protégeait auparavant ne protège plus ».

Estimations du nombre de personnes sans domicile

 

En 2012

En 2024

Personnes sans domicile

 
 

dont femmes sans domicile

 
 

dont femmes sans abri

 
 

Ces estimations se fondent notamment sur les enquêtes des services ou des opérateurs de l'État portant sur les personnes hébergées ou formulant des demandes d'hébergement, qui montrent une nette augmentation du nombre de personnes sans domicile ayant besoin d'un hébergement, en particulier des femmes.

L'enquête quadriennale de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques) auprès des établissements et services en faveur des adultes et familles en difficulté sociale, dite enquête ES-DS, recense les personnes hébergées dans des établissements d'insertion, de stabilisation ou d'urgence. Les derniers chiffres2(*), au 31 décembre 2020, indiquent que 46 % des 100 100 personnes hébergées dans l'hébergement généraliste (Centre d'hébergement et de réinsertion sociale, dit CHRS, ou autre centre d'accueil) et 38 % des 91 600 personnes hébergées dans le dispositif national d'accueil (DNA, principalement en Centre d'accueil pour demandeurs d'asile dit Cada) sont de sexe féminin (adultes et enfants confondus). Parmi elles, la proportion de femmes seules et de mères isolées a fortement augmenté.

Évolution de la proportion de femmes seules et de mères isolées

parmi les publics hébergés

en CHRS

en Cada

Source : Enquêtes ES-DS, 2008 et 2020-21

En juin 2024, selon des données communiquées par Didier Leschi, directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii)3(*), 41 000 femmes, dont 20 % de femmes isolées, sont hébergées au sein du dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile, sur un total de 110 000 places.

S'agissant des personnes hébergées à l'hôtel, les données des Plateformes d'accompagnement social à l'hôtel (PASH) qui accompagnent environ la moitié des personnes hébergées par l'État à l'hôtel en Île-de-France, indiquent que 50 % des 13 000 personnes majeures hébergées et accompagnées par les PASH sont des femmes, dont 7 % sont enceintes4(*).

Enfin, des enquêtes de veille sociale sont régulièrement réalisées sur les demandes exprimées au 115, grâce aux données regroupées dans le SI-SIAO, le système d'information commun à l'ensemble des services intégrés d'accueil et d'orientation des personnes sans domicile (SIAO) et aux travailleurs sociaux qui interviennent dans la prise en charge des personnes sans abri et hébergées.

Ces enquêtes font état d'une augmentation de 70 % du nombre quotidien de demandeurs entre 2021 et 2023 selon la Délégation interministérielle pour l'hébergement et l'accès au logement des personnes sans abri ou mal logées (Dihal)5(*). Sur la période de l'hiver novembre 2023 à mars 2024, en moyenne, chaque jour, 8 524 personnes ont fait une demande d'hébergement d'urgence, dont 30 % de femmes majeures et 28 % de mineurs (accompagnés d'un ou deux parents).

En parallèle, le nombre de femmes en demande non pourvue (DNP), c'est-à-dire sans abri en dépit d'un appel au 115 a fortement augmenté, faute de places disponibles ou compatibles avec la composition du ménage. Selon la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS)6(*), entre avril 2021 et mars 2024, le nombre de mères isolées en DNP a été multiplié par 3, passant de 291 à 891, et le nombre de femmes seules a été multiplié par 2,5, passant de 181 à 491. Aujourd'hui, parmi les personnes en famille en DNP, un tiers correspond à des mères isolées avec leurs enfants et parmi les personnes seules, une personne sur quatre est une femme.

Évolution du nombre de personnes sans solution d'hébergement (DNP)

en dépit d'un appel au 115

Source : baromètre FAS-Unicef, 2024

Selon le dernier baromètre FAS-Unicef sur les enfants à la rue, au cours de la nuit du 19 au 20 août 2024, 6 473 personnes sont restées sans solution d'hébergement après un appel du 115, dont 2 043 enfants sans abri.

Évolution du nombre d'enfants sans solution d'hébergement

à la suite d'une demande au 115

Source : Baromètres FAS-Unicef 2020-2024

Note : Le baromètre 2020 comptabilisait, au cours de la nuit du 1er au 2 septembre 2020, 1 473 enfants de moins de 18 ans en DNP, dont 927 hors Paris et 556 à Paris, mais n'effectuait pas de décompte par classe d'âge. Les baromètres suivants comportent une erreur en reprenant le chiffre de 927 et non 1 473 comme référence pour la rentrée 2020.

Au-delà de ces données recensées par les services et opérateurs de l'État, les acteurs associatifs constatent, au cours de leurs maraudes et de leurs activités d'accueil, une augmentation du nombre de femmes sans domicile et, en leur sein, du nombre de femmes sans abri.

Les Nuits de la solidarité menées dans la Métropole du Grand Paris et plusieurs grandes villes de France estiment que les femmes représentent 10 à 15 % des personnes sans abri décomptées depuis 2018, soit une nette augmentation par rapport aux données Insee de 2012, qui estimaient que les femmes ne représentaient que 2 % des personnes sans abri. Selon un agrégat communiqué par la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal) à partir des Nuits de la Solidarité menées dans quatorze villes, hors Île-de-France, en janvier 2023, les femmes représentent 15 % des personnes rencontrées à la rue.

Vanessa Benoit, du Samusocial, a souligné devant la délégation la prise de conscience générale permise par les chiffres des Nuits de la solidarité : « 14 % des personnes rencontrées lors de la Nuit de la Solidarité, dans les rues parisiennes, étaient des femmes [alors que] lors de sa dernière enquête, en 2012, l'Insee n'avait dénombré que 2 % de femmes sans abri. Ce constat a sonné comme une révélation, confirmant la perception des acteurs, qui n'était jusque-là pas objectivée. »7(*)

La Nuit de la Solidarité

La Nuit de la Solidarité est une opération de décompte de nuit des personnes sans abri.

Le premier événement de ce type a été organisé par la ville de Paris en 2018. Depuis 2022, des événements sont organisés au niveau national, avec une coordination de la Dihal, mais des démarches différentes selon les villes.

Le décompte des Nuits de la Solidarité constitue une photographie, à un instant donné, du nombre de personnes sans abri sur un territoire délimité. Pendant une durée de trois heures environ, des équipes de trois à cinq volontaires (professionnels, associations, élus, citoyens) sillonnent un territoire.

Ce décompte est toujours à considérer comme un nombre a minima.

Seules les personnes sans abri cette nuit-là sont décomptées : les personnes qui se trouvent dans des espaces publics (rues, parcs, talus du périphérique...), des campements ou dans certains équipements (stations de métro, gares, hôpitaux) ou espaces privatifs (certains espaces communs de bailleurs sociaux, parkings...). Certaines personnes ne sont toutefois pas visibles et ne sont donc pas décomptées.

Ne font pas partie du champ de La Nuit de la Solidarité : les personnes hébergées (en hôtels, centres d'hébergement, gymnases, chez des tiers...), en squats ou en aires d'accueil organisées.

Quand cela est possible, les bénévoles proposent aux personnes sans abri de répondre à un questionnaire anonyme, afin de mieux connaître leur profil et leurs besoins.

Lors de la dernière édition de La Nuit de la Solidarité 2024, dans la Métropole du Grand Paris, un tiers du territoire (Paris et trente-deux communes) a été sillonné par des équipes de volontaires. Ont été recensées : 3 500 personnes sans abri à Paris et 785 dans les trente-deux autres communes.

La Nuit de la Solidarité est également une action solidaire. Elle permet de rassembler les acteurs locaux, les associations et les habitants et peut donner lieu à des actions de solidarité le soir même ou autour de l'opération. Elle permet aussi de sensibiliser le grand public aux enjeux de la grande exclusion.

Au total, on peut donc estimer que les femmes représentent aujourd'hui entre 40 et 45 % des personnes sans domicile hébergées par l'État, soit environ 120 000 personnes, et 10 à 15 % des personnes sans abri, soit a minima 3 000 personnes. Chaque nuit, en moyenne, 3 000 femmes et près de 3 000 enfants passent la nuit dans la rue.

Il convient de noter qu'au-delà des personnes en situation de grande marginalité, il n'y a pas d'étanchéité stricte entre les femmes sans domicile et celles sans abri : certaines sont hébergées quelques semaines puis se retrouvent à la rue, celles qui sont à la rue depuis plusieurs soirs peuvent obtenir un hébergement le lendemain, d'autres alternent entre hébergements d'urgence et habitats de fortune.

b) Une problématique essentiellement concentrée sur l'Île-de-France et les grandes métropoles

Environ la moitié des femmes sans domicile vivent en Île-de-France. Ceci s'explique à la fois par une précarité marquée dans certains territoires d'Île-de-France et par une concentration importante, dans cette région, de personnes en situation irrégulière ou en attente de régularisation, qui ne peuvent accéder à un logement. Ainsi, selon la préfecture d'Île-de-France8(*), 40 % des demandeurs d'asile arrivent en Île-de-France.

Selon des chiffres de la préfecture d'Île-de-France, 120 000 personnes sont hébergées chaque soir en Île-de-France, dont près de la moitié de femmes. Ces places d'hébergement et nuitées hôtelières sont essentiellement concentrées à Paris et en Seine-Saint-Denis.

En dépit de ce nombre important de places d'hébergement, plusieurs centaines de femmes et d'enfants restent sans abri chaque soir en Île-de-France. Selon les écoutants et responsables du Samusocial de Paris - qui est également responsable de la gestion des 48 000 nuitées hôtelières d'Île-de-France, via l'opérateur Delta - rencontrés par les rapporteures, la dégradation de la situation remonte à l'hiver 2018 : pour la première fois, le 115 n'a pu mettre à l'abri des familles avec enfants.

Lors de La Nuit de la Solidarité 2024, à Paris et dans la Métropole du Grand Paris, environ 400 femmes sans abri ont été recensées, soit 12 % des personnes rencontrées dans les rues du territoire. Selon l'Apur (Atelier parisien d'urbanisme), chargé de l'exploitation des résultats, la présence des femmes sans abri n'est pas homogène sur l'ensemble du territoire, avec une présence plus forte dans les 6e, 11e, 13e, 14e et 20e arrondissements ainsi que dans la salle d'attente du centre hospitalier Delafontaine de Saint-Denis.

Cet hôpital, dans lequel les rapporteures se sont rendues afin d'échanger avec la direction, les soignants et les patientes, est confronté à la prise en charge de femmes sans abri dans trois situations distinctes :

- des parturientes et des jeunes mères sans abri sont régulièrement hospitalisées à la maternité avant leur accouchement ou plusieurs semaines après l'accouchement, car « si l'hôpital n'a pas de mission d'hébergement, on ne se voit pas mettre à la porte des femmes hospitalisées » pour reprendre les mots de la direction de l'hôpital. Cette situation s'est aggravée au cours de l'été 2022. Ainsi, tout au long de l'année, entre dix et quinze patientes, n'ayant plus besoin de soins, mais en attente d'hébergement, occupent des lits de la maternité, qui doit, de ce fait, accélérer la sortie, transférer voire refuser d'autres patientes, faute d'un nombre de lits suffisant ;

- chaque soir, environ vingt-cinq femmes et une dizaine d'enfants sont mises à l'abri dans le hall de l'hôpital, et encore davantage dans le cadre du plan Grand Froid ;

- des femmes victimes de violences sont accueillies au sein de La Maison des femmes, unité de l'hôpital dédiée à la santé des femmes en difficulté ou victimes de violences. En parallèle, l'association La Maison des femmes de Saint-Denis, structure distincte de l'hôpital qui intervient dans les domaines de la formation, de la prévention, du plaidoyer et de l'hébergement, a hébergé 53 jeunes femmes victimes de violences au cours de l'année 20239(*).

Plus globalement en Seine-Saint-Denis, le nombre de personnes sans abri a connu une forte augmentation au cours des dernières années. Lorsque les rapporteures se sont rendues, le 6 mai 2024, dans les locaux d'Interlogement 93, opérateur du SIAO et du 115 dans le département, 783 personnes allaient rester à la rue le soir même en dépit d'un appel au 115, parmi lesquelles 47 femmes seules et 533 personnes en famille, dont 63 femmes enceintes et 281 enfants mineurs. Ce fut le nombre le plus élevé de demandes non pourvues sur l'année 2024 (à date du 7 octobre).

Plus récemment, le 30 septembre 2024, sur les 477 personnes ayant formulé une demande de mise à l'abri ce jour-là, seules 12 ont pu être mises immédiatement à l'abri, faute de places disponibles ou de places correspondant à la configuration familiale.

Demandes de mise à l'abri formulées auprès du 115 de Seine-Saint-Denis,
géré par Interlogement93

Source : Interlogement 93.

Hors Île-de-France, le nombre de personnes sans domicile a également augmenté dans la plupart des grandes villes, en particulier Marseille, Lyon, Lille, Nantes, Rennes, Bordeaux ou Toulouse.

Si certaines villes mènent des opérations de décompte des personnes sans abri, toutes ne le font pas de façon régulière et certaines ne publient pas leurs résultats. Afin de remédier à cette difficulté, le Sénat a adopté, en janvier 2024, une proposition de loi visant à mettre en place un décompte annuel des personnes sans abri dans chaque commune10(*).

Résultats des opérations de décompte des personnes sans abri menées
dans plusieurs villes de France

 

Nombre de personnes
sans abri recensées

Proportion de femmes

Paris (2024)

3 491

12 %

Grand Paris hors ville de Paris (2024)

785

12 %

Marseille (2023)

400

13 %

Bordeaux (2024)

840

10 %

Rennes (2022)

104

14 %

Grenoble (2019)

104

20 %

Sources : décomptes des Nuits de la Solidarité dans les villes dont les résultats ont été rendus publics.

Dans l'agglomération lyonnaise, le collectif Jamais sans toit recensait, au printemps 2024, 328 enfants sans domicile mis à l'abri dans des établissements scolaires et des gymnases, soit trois fois plus qu'en 2022. Raphaël Vulliez, porte-parole du collectif, estimait, devant la délégation, qu'un tiers des 203 écoles de Lyon sont concernées par le sans-abrisme.

En outre, Bruno Bernard, président de la Métropole de Lyon, décomptait11(*) 78 sites d'occupation illicite en 2024, contre 30 en 2022, avec des problématiques de traite des êtres humains et de prostitution au sein de ces squats.

Selon des éléments communiqués à la délégation par les Départements de France, le département de l'Oise est également concerné par des familles migrantes, souvent en provenance d'Île-de-France ou des départements d'ex-Picardie, qui sont à la rue après avoir été déboutées du droit d'asile.

Pour autant, certains départements moins denses et pour partie ruraux sont également concernés par la problématique du sans-abrisme. Ainsi, le SIAO de la Marne12(*) évalue à 260 le nombre de femmes seules à la rue dans le département, en majeure partie à Reims, mais également à Épernay, Châlons, Vitry et Sézanne. Si 36 femmes ont pu être orientées vers un hébergement, 224 sont restées à la rue au cours de l'année. Ces femmes sont pour la plupart en situation régulière.

Enfin, la plateforme Résorption Bidonvilles, qui recense 11 200 ressortissants européens en campements, bidonvilles et grands squats, fait état d'une concentration de ces sites dans vingt départements, souvent à la périphérie de grandes villes.

Répartition sur le territoire hexagonal

des 11 200 ressortissants européens vivant en bidonvilles

Source : plateforme Résorption Bidonvilles

c) Dans les outre-mer, un phénomène plus marginal, mais en augmentation

La délégation a consacré une table ronde à la situation des femmes sans domicile en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe13(*). Les interlocuteurs entendus ont tous témoigné de l'augmentation de cette problématique sur leurs territoires, en lien avec une précarité élevée ainsi qu'avec une augmentation du nombre de femmes migrantes.

· En Guyane, environ 250 personnes sans abri ont été identifiées par le guichet unique de rue (GUR) de Cayenne, dont 52 femmes, venant majoritairement du Maroc, de Syrie et d'Afghanistan. Ces femmes, principalement âgées de 26 à 40 ans, sont exposées aux violences, aux agressions sexuelles et à la prostitution qui constitue l'un des vecteurs importants de propagation du VIH sur le territoire, selon Isabelle Hidair-Krivsky, anthropologue et directrice régionale aux droits des femmes et à l'égalité.

Lors de son audition, Isabelle Hidair-Krivsky précisait que la Guyane comptait 51 places d'hébergement disponibles pour les femmes victimes de violences, mais que ces places étaient insuffisantes au regard des besoins exprimés. La plupart des associations doivent dès lors recourir aux nuitées d'hôtel et aux locations de gîte pour répondre aux demandes d'urgence.

Elle estimait également que « les femmes rencontrent de nombreux obstacles qui affectent leur vie quotidienne, que ce soit pour l'accès à l'eau, aux douches, pour déposer plainte, pour obtenir une domiciliation, un hébergement ou un lieu sûr pour protéger leurs effets personnels et éviter les violences et les vols. Ces difficultés accentuent la marginalisation et la stigmatisation des femmes vivant dans la rue. »

· En Guadeloupe, selon Lucette Faillot, directrice régionale aux droits des femmes et à l'égalité de la Guadeloupe, le phénomène des femmes dans la rue est relativement récent, mais plus visible depuis la crise sanitaire du covid-19.

Le Samusocial de Guadeloupe a accompagné 139 femmes sans domicile en 2023, soit 18 % de sa file active. Il s'agit en moyenne de femmes de 35 à 40 ans, mais certaines sont également âgées de plus de 60 ans.

Selon Malika Fiscal, responsable des équipes du Samusocial de la Guadeloupe, « ces femmes sont généralement peu demandeuses et se tiennent en retrait » et certaines cumulent des problématiques d'addictions et de santé mentale qui entravent leur orientation vers les dispositifs de droit commun.

En outre, en 2023, le SIAO de Guadeloupe a mis à l'abri et accompagné 113 femmes victimes de violences, seules ou avec enfants. Kessy Chenilco, responsable du SIAO-115 de la Guadeloupe et de Saint-Martin, relevait cependant, lors de son audition, la difficulté des victimes à signaler leur situation et leur peur d'intégrer les dispositifs du SIAO.

Selon les données de la préfecture, l'île compte aujourd'hui quarante-cinq places d'hébergement d'urgence pour les femmes victimes de violence et 125 places d'hébergement classique.

· En Martinique, la problématique des femmes à la rue est également nouvelle, selon Murièle Cidalise-Montaise, directrice régionale aux droits des femmes de la Martinique, qui y voit la conséquence de l'augmentation de la précarité et de ruptures des liens sociaux et culturels.

Alors que la préfecture, le Samusocial et la Croix-Rouge portent un projet de décompte genré des personnes à la rue d'ici la fin de l'année 2024, les acteurs institutionnels comme associatifs constatent empiriquement une augmentation du nombre de femmes à la rue sur l'île. Ces femmes sont souvent exposées à des problématiques de santé mentale, d'addictions et de prostitution.

La plupart des femmes sans abri sont des femmes migrantes, qui viennent principalement du Venezuela, d'Haïti et de la République dominicaine. Si certaines accèdent à une protection temporaire, notamment par le biais de parcours de sortie de prostitution, leur avenir demeure incertain, selon Sophie Chauveau, sous-préfète à la cohésion sociale et à l'emploi de la Martinique. Depuis 2019, trente-trois femmes ont obtenu un titre de séjour sur les 300 femmes potentiellement concernées par les parcours de sortie de prostitution.

· Par ailleurs, dans les cinq départements d'outre-mer, et singulièrement à Mayotte, de nombreuses familles vivent dans des logements insalubres, voire dans des abris de fortune. Un précédent rapport conjoint de la délégation sénatoriale aux outre-mer et de la délégation aux droits des femmes, consacré à la parentalité dans les outre-mer14(*) tout comme le rapport Grandir dans les outre-mer de l'Unicef15(*) ont précisément alerté sur cette situation.

2. Un chiffrage imparfait

Le sans-domicilisme est un phénomène difficile à appréhender, a fortiori s'agissant des femmes, et les différents décomptes des femmes sans domicile et sans abri doivent être considérés comme des chiffres a minima et donc incomplets.

a) Des études anciennes, incomplètes ou imparfaites

La délégation a été confrontée à la difficulté d'obtenir des données complètes, nationales et départementales, avec une déclinaison genrée des différents items.

Si les efforts de comptabilisation effectués par Les Nuits de la solidarité et par diverses associations sont louables, les études publiées n'ont pas la même rigueur méthodologique ni la même valeur scientifique que les enquêtes de la statistique publique. Les rapporteures ont ainsi relevé des erreurs dans certaines analyses statistiques effectuées.

En outre, ces décomptes ne fournissent qu'une photographie à un instant t, sans réellement fournir d'éléments sur les trajectoires des femmes qui peuvent alterner entre rue et hébergement. Ainsi que l'a relevé Bénédicte Souben, chargée de mission « veille sociale » à la Croix-Rouge française, les opérations de dénombrement tendent à imposer le principe d'un stock de personnes sans abri alors qu'il faut aussi prendre en compte le flux : tous les jours, des personnes sont expulsées, et tous les jours des personnes trouvent un hébergement voire un logement.

La délégation considère donc qu'il est du rôle de l'État de fournir des données nationales complètes, donnant des informations sur les profils et les trajectoires des femmes sans domicile.

Or les dernières enquêtes Sans Domicile de la statistique publique remontent à 2001 et 2012. Une enquête co-pilotée par l'Insee et la Drees est en cours de préparation, mais ses résultats ne sont prévus que pour fin 2026. Ne disposer d'une enquête nationale que tous les dix voire quinze ans ne permet pas de suivre avec précision cette problématique.

La délégation ne peut que déplorer le fait que l'observatoire du sans-abrisme, annoncé en mai 2023, n'ait toujours pas vu le jour. S'il devait finalement être mis en place, il conviendra qu'il veille à développer une approche genrée et à publier des résultats ventilés par sexe.

Lors de la précédente enquête de l'Insee de 2012, les résultats publiés n'ont d'ailleurs pas systématiquement été ventilés par sexe. Ce manque devra être résorbé lors de la prochaine enquête. Dans une contribution adressée aux rapporteurs, l'Insee indique : « en croisant les différentes thématiques, avec la question sur le sexe de l'enquêté, l'enquête Sans Domicile permettra de disposer d'informations précises sur la situation des femmes sans domicile, en comparaison avec celles en population générale ou avec les hommes sans domicile  ».

Alors qu'il n'est pas prévu de questions spécifiquement posées aux femmes, hormis le fait d'être enceinte, il semble nécessaire de pratiquer un questionnement systématique des violences sexuelles et de l'exposition à la traite des êtres humains et à la prostitution.

De même, les enquêtes ES-DS fournissent quelques données sexuées, mais les statistiques publiées ne croisent pas le sexe avec d'autres critères comme la nationalité, l'âge, le motif d'admission dans le logement ou le statut d'activité, ne permettant pas de se livrer à une analyse genrée. De surcroît, ces enquêtes ne permettent pas de livrer une analyse territoriale fine.

Le critère du genre n'est également actuellement pas systématiquement pris en compte dans les enquêtes auprès du 115, comme l'a déploré Marc Guillaume, préfet d'Île-de-France, devant la délégation16(*). Dans les données du SI-SIAO, la catégorie « famille » invisibilise les femmes.

En outre, les données issues du SI-SIAO n'incluent pas les personnes qui ne parviennent pas à joindre le 115 ou qui n'appellent pas ce numéro. Selon les données communiquées par le Samusocial de Paris17(*), le taux de décroché au 115 de Paris est de 30 % en moyenne (environ 800 appels décrochés sur les 2 500 reçus chaque jour), un chiffre en nette augmentation.

De surcroît, la Fédération des acteurs de la solidarité estime que 50 à 60 % des personnes sans abri n'ont pas recours au 11518(*). Dans le cadre de l'étude nationale maraude de la Fédération nationale des Samusociaux, menée en 2021, 83 % des ménages interrogés n'avaient pas appelé le 115 le jour où ils ont été rencontrés et 30 % n'avaient jamais appelé ce numéro. Lors de La Nuit de la Solidarité 2023 dans la métropole du Grand Paris, 70 % des personnes sans abri indiquaient ne pas appeler le 115. Là encore, ce chiffre n'a pas été ventilé par sexe.

Enfin, on connaît mal le nombre de femmes hébergées chez des tiers et leur situation. Lors de l'enquête Insee « Logement » de 2013, 39 % des 438 700 personnes hébergées chez un particulier étaient des femmes, mais aucune étude récente n'a permis de détailler le profil de ces femmes et leur relation avec la personne qui les héberge.

Devant la délégation, Bénédicte Souben, chargée de mission « veille sociale », filière « lutte contre les exclusions » de la Croix-Rouge française, a déclaré sur ce point : « les femmes qui sont sans domicile et hébergées chez des tiers - chez un membre de la famille, de la belle famille, une connaissance via le réseau communautaire, constituent un véritable angle mort de l'observation sociale : elles sont difficiles à repérer, et donc à quantifier avec précision. »

b) Une invisibilisation, parfois volontaire, des femmes sans abri

Au cours des auditions et des déplacements de la délégation, les femmes sans abri ont régulièrement été décrites comme « invisibles ». 

Or, Les Nuits de la Solidarité ne permettent de décompter que les personnes visibles dans la rue une nuit donnée et identifiées comme étant sans abri. Comme le relevait la sociologue Marie Loison lors d'une table ronde19(*), les enquêtes sont réalisées par des bénévoles qui ont une représentation particulière de ce qu'est une personne sans abri et les femmes ne correspondent souvent pas à cette représentation.

Lors de cette même table ronde, Muriel Froment-Meurice, maîtresse de conférences en géographie à l'Université Paris-Nanterre, estimait quant à elle que de nombreuses femmes sans abri sont bien visibles, mais sont invisibilisées. Elle déclarait ainsi : « On a beaucoup dit que les femmes sans abri étaient invisibles. Il me semble qu'au contraire, un certain nombre de ces femmes sont extrêmement visibles. C'est bien pour cela qu'elles posent problème et qu'elles sont construites comme « indésirables » dans les espaces publics. Je pense notamment aux femmes en campement. »

Par ailleurs, les femmes sans abri adoptent elles-mêmes des stratégies d'invisibilisation qui peuvent se traduire de quatre manières principales.

Tout d'abord, elles sont souvent très mobiles, elles marchent dans les rues, les magasins, les gares et les aéroports ou dorment dans les bus de nuit. Cette mobilité est en partie subie en raison de la segmentation des lieux de l'assistance (lieu d'hébergement, accueil de jour, bains-douches, bagageries...) qui sont souvent disséminés dans des quartiers différents. Pour reprendre les termes de la sociologue Marine Maurin, « il leur est difficile de vivre la ville autrement que par la déambulation »20(*).

Nombre d'entre elles soignent leur apparence pour ne pas être identifiées dans ces lieux. « Elles font le maximum pour ressembler à une personne lambda » comme le résume Vanessa Benoit du Samusocial de Paris.

A contrario, certaines « se déguisent » en hommes, en se coupant les cheveux ou en mettant des vêtements dissimulant leurs formes, ou vont à l'encontre des stéréotypes sur les femmes, en s'habillant salement ou en arrêtant de se laver. Vanessa Benoit expliquait ainsi cette stratégie devant la délégation : « chercher à inspirer le dégoût est une manière de se protéger. »

Enfin, en particulier la nuit, les femmes se dissimulent souvent dans des espaces ouverts de jour comme de nuit (gares, aéroports, hôpitaux) ou des espaces non visibles, tels que des halls d'immeuble, des caves, des parkings ou des voitures.

Ainsi, au-delà des difficultés globales de recensement des personnes sans domicile, le décompte des femmes sans abri est particulièrement complexe.

Alors que l'Insee, la Drees et la Dihal mènent actuellement plusieurs projets qui doivent permettre disposer de davantage de données sur les personnes sans domicile, la délégation estime indispensable d'intégrer à ces travaux une analyse genrée.

Ainsi, il conviendra notamment d'intégrer au sein de la prochaine enquête Sans domicile, qui sera menée au printemps 2025, des questions spécifiques pour les femmes, en particulier un questionnement systématique sur les violences sexuelles et l'exposition aux risques d'exploitation et de prostitution. Les résultats, dont la publication est attendue pour la fin de l'année 2026, devront également faire l'objet d'une exploitation et d'une ventilation genrées, afin de mettre en lumière les spécificités des situations et parcours des femmes le cas échéant.

De même, alors que la Dihal pilote actuellement une modernisation du système informatique SI-SIAO, afin notamment de disposer en temps réel des données d'activité du 115, les données obtenues devront être ventilées par sexe.

La délégation se félicite que les auditions menées dans le cadre du présent rapport aient d'ores et déjà permis à divers acteurs institutionnels de prendre conscience de la nécessité de produire davantage de données genrées et de développer des réponses spécifiques à la situation des femmes sans abri.

Recommandation n° 1 : Systématiser des analyses genrées et un questionnement des violences subies, en particulier dans le cadre de :

- la prochaine enquête de l'Insee sur le sans-domicilisme ;

- la modernisation du SI-SIAO, qui devra permettre à l'État de disposer en temps réel des données d'activité du 115.

B. UNE PRÉCARITÉ AUX MULTIPLES VISAGES

Comme l'a fait valoir Vanessa Benoit, directrice générale du Samusocial de Paris lors de son audition21(*), beaucoup de représentations fausses autour des personnes sans domicile, et notamment des femmes, prévalent.

Ainsi, la sociologue Marine Maurin relevait devant la délégation22(*) que lors de la mise en place des haltes de nuit, à l'origine pensées pour les femmes sans abri très désocialisées, les travailleurs sociaux avaient constaté que les femmes accueillies n'étaient pas celles qu'ils s'attendaient à rencontrer : la majorité des femmes présentes n'étaient pas des femmes très désocialisées, mais étaient plutôt des femmes ayant eu des parcours de vie chaotiques, avec des passages par l'Aide sociale à l'enfance (ASE) s'agissant des Françaises, et souvent un parcours de migration et une mise à la rue après un premier hébergement chez un tiers.

Ne pas tenir compte de la diversité des femmes sans domicile et sans abri revient à ne pas se donner les moyens de les prendre en charge de façon adaptée, ainsi que le soulignait, devant la délégation23(*), Muriel Froment-Meurice, maîtresse de conférences en géographie à l'Université Paris-Nanterre, qui plaide pour la production de connaissances qualitatives au-delà des données chiffrées.

Précisément, les témoignages recueillis par les rapporteures permettent d'identifier plusieurs grands types de profils : des femmes, seules ou en famille, qui basculent dans la précarité et ne sont pas ou plus en mesure de payer un loyer, des femmes séparées, parfois à la suite de violences conjugales, des femmes qui ont connu une enfance difficile, voire violente, des femmes migrantes qui ont fui leur pays, des femmes avec des troubles psychiatriques sévères ou encore des femmes qui vivent en famille au sein de bidonvilles et de squats.

1. Des femmes victimes d'une spirale de précarité, de violences et d'isolement

Pour les femmes, la perte du logement résulte souvent d'une spirale de précarité, conjuguée à des accidents de vie, en particulier une séparation, le décès ou les violences d'un conjoint ou de membres de la famille.

Lors de l'enquête Sans Domicile de l'Insee, en 2012, les femmes sans domicile mentionnaient principalement comme motif de perte de leur logement une séparation (pour 28 % d'entre elles) ou des violences familiales (15 % d'entre elles). Ces deux raisons peuvent d'ailleurs se croiser. Le fait de ne plus pouvoir payer le loyer, un licenciement ou une expulsion faisaient également partie des autres motifs évoqués.

Lors de son audition24(*), Nathalie Latour, directrice régionale de la FAS, estimait que « la question du sans-abrisme met en lumière tout ce qui a échoué en amont pour ces femmes » qu'il s'agisse des politiques d'emploi, de soutien du pouvoir d'achat, de lutte contre l'inflation, de logement, de protection de l'enfance, de santé mentale ou encore de prévention des conduites addictives. On peut également y ajouter les politiques de lutte contre les violences faites aux femmes, ces dernières accentuant le risque de sans-domicilisme pour des femmes dans des situations déjà précaires.

Tous les acteurs associatifs font le constat d'une précarisation des femmes en raison de revenus plus faibles et d'une plus grande exposition aux emplois précaires. Parmi les femmes accueillies dans les structures d'hébergement, nombre d'entre elles travaillent, notamment dans le secteur du soin et du service à la personne.

En outre, les femmes sont davantage concernées par la monoparentalité qui, comme l'a décrit un récent rapport de la délégation25(*), rime souvent avec précarité. Le risque de mal-logement est accentué en cas de rupture conjugale : les femmes connaissent alors une nette dégradation de leur niveau de vie, qui peut conduire à la perte de leur domicile.

Le vieillissement, le passage à la retraite ou la perte du conjoint - dont le montant de retraite est supérieur - peuvent également entraîner une chute de revenus et la perte du logement. Les femmes perçoivent un montant de retraite de droit direct inférieur de 40 % (28 % en intégrant les pensions de réversion) à celui des hommes, selon des chiffres de 2021 de la Drees26(*). Un récent rapport de l'association Petits frères des pauvres27(*) souligne l'augmentation de la pauvreté chez les personnes âgées qui « se conjugue d'abord au féminin » : le taux de pauvreté des femmes âgées de plus de 75 ans atteint 10,1 %, contre 6,6 % pour les hommes. Le rapport, qui s'appuie sur une étude CSA, souligne également le fait que les femmes âgées, singulièrement celles isolées, sont « démunies aussi bien financièrement que dans leur recherche d'aide ».

Dans un contexte de crise du logement, les femmes sont ainsi de plus en plus exposées au mal-logement et au sans-domicilisme. C'est ce qui a amené la Fondation Abbé Pierre à consacrer son dernier rapport annuel au genre du mal-logement et à mettre en exergue la situation des femmes sans domicile28(*).

En outre, les violences apparaissent comme un élément récurrent du parcours des femmes sans domicile, qu'elles soient à l'origine directe de la perte du domicile ou antérieures.

La fuite d'un conjoint violent, en particulier dans une situation déjà précaire, expose singulièrement au sans-domicilisme. Comme en a témoigné une travailleuse sociale de l'association La Mie de pain rencontrée par les rapporteures, « de plus en plus de femmes quittent des situations violentes pour elles ou leurs enfants. Alors qu'auparavant elles subissaient les violences avec un sentiment de fatalité, aujourd'hui elles sont encouragées à ne plus supporter ces situations et à partir, mais sans avoir forcément de solution de logement. »

L'équipe de maraudes « Gares et Connexions » qui effectue des maraudes tous les jours dans la gare de Marseille et ses alentours y rencontre régulièrement des femmes qui, selon les propos des travailleurs sociaux, « ont tout quitté et pris le premier train venu pour fuir un conjoint violent ».

Les violences vécues pendant l'enfance sont également un facteur de risque aggravant de connaître la rue à une période de sa vie.

L'enquête Insee Sans domicile de 2012 relevait ainsi que 86 % des personnes sans domicile ont vécu au moins un événement douloureux lié à l'environnement familial dans leur enfance. Un tiers de celles nées en France ont subi des violences ou de mauvais traitements. Des travaux de sociologues, fondés sur cette enquête, indiquent que les femmes sans domicile déclarent plus souvent que les hommes avoir été victimes de violences avant l'âge de 18 ans, à hauteur de 36 % contre 19 % pour les hommes29(*).

En outre, l'enquête Insee soulignait qu'un quart des personnes sans domicile nées en France ont été placées en famille d'accueil ou en foyer dans leur enfance au titre de la protection de l'enfance.

Une prégnance d'événements douloureux et de violences dans le parcours antérieur des femmes sans domicile nées en France

 
 
 

ont été victimes de violences dans leur enfance

ont été placées en famille d'accueil ou en foyer au titre de la protection de l'enfance

ont perdu leur logement à la suite de violences familiales

Source : Insee, Enquête Sans Domicile, 2012

PAROLES DE FEMMES

Témoignages recueillis par les rapporteures

« J'ai dormi pendant deux ans dans ma voiture tout en bossant comme aide à domicile pour 250 euros par mois. » Une femme accueillie dans la pension de famille Claire Lacombe à Marseille.

« Je suis née à Marseille, mais je vis à Paris depuis 33 ans. J'ai vécu des choses difficiles, des violences. Je me suis retrouvée à la rue. Je n'ai pas de diplôme. Et j'ai des problèmes de santé qui m'empêchent aujourd'hui de travailler. » Malika, accueillie à La Mie de pain à Paris.

2. Une majorité de femmes migrantes, qui ont vécu un parcours d'exil et de violences

L'hébergement étant fondé sur un principe d'inconditionnalité, les critères de nationalité et de régularité du séjour ne sont pas renseignés. Si ces éléments sont nécessaires dans le cadre de l'accompagnement social des personnes hébergées, afin de pouvoir les orienter vers les dispositifs adaptés, et le cas échéant vers un logement social, ils ne sont en revanche pas renseignés lors des appels au 115. Il est donc impossible d'effectuer un relevé précis de l'origine des femmes hébergées.

Pour autant, tous les acteurs associatifs rencontrés estiment que la majorité des femmes sans domicile qu'ils rencontrent et accompagnent sont d'origine étrangère. Ces femmes peuvent être seules, accompagnées de leurs enfants ou en famille.

Lors de l'enquête Sans Domicile de l'Insee de 2012, plus de la moitié des femmes sans domicile déclaraient être nées à l'étranger (34 % nées dans un pays de l'Union européenne hors France, 24 % nées hors de l'Union européenne).

D'après les données transmises par la Fondation Abbé Pierre aux rapporteures, les femmes migrantes sont aujourd'hui majoritaires en Europe et représentent 48 % des migrants dans le monde : « on pense souvent que ce sont les hommes qui partent, mais la réalité est tout autre sur le terrain. Avec l'affaiblissement des conditions de prise en charge de ces personnes exilées, un demandeur d'asile sur deux n'est pas hébergé dans le dispositif national d'accueil (DNA). De ce fait, plus de femmes se retrouvent à la rue »30(*).

Certaines femmes étrangères sans domicile sont en situation régulière mais n'ont pas accès à un logement social ou bien peuvent perdre leur logement du fait du non-renouvellement de leur titre de séjour par la préfecture dans les délais impartis, comme en témoignait Pauline Portefaix de la Fondation Abbé Pierre lors de son audition.

D'autres sont en situation irrégulière, soit dès leur arrivée, soit après quelques mois. La Métropole de Lyon a ainsi indiqué aux rapporteures31(*) que 40 % des femmes et enfants qu'elle héberge au titre de ses compétences départementales en matière d'aide sociale à l'enfance sont en situation irrégulière.

Selon les témoignages recueillis par les rapporteures, souvent, les femmes et familles arrivant en France sont d'abord hébergées au sein de leur famille élargie ou de leur communauté puis, au bout de quelques semaines, elles sont chassées et se retrouvent à la rue.

En outre, de nombreuses femmes venues en France dans l'espoir de travailler se retrouvent en situation d'exploitation domestique ou sexuelle à leur arrivée, puis à la rue si elles refusent une telle exploitation.

Enfin, en dépit du dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile, Bénédicte Maraval, assistante sociale référente au Comité pour la santé des exilés (Comede) déclarait devant la délégation « le passage à la rue est devenu un passage obligé pour les demandeurs d'asile »32(*).

PAROLES DE FEMMES

Témoignages recueillis par les rapporteures

« Je suis venue en France pour m'occuper de ma petite-fille, mais quand ma famille n'a plus eu besoin de moi, j'ai dû me trouver un autre logement. Je suis tombée malade, je ne pouvais plus payer de loyer, je me suis retrouvée à la rue. J'étais sage-femme au Gabon, mais je n'ai pas pu faire valider mes diplômes en France. Aujourd'hui, je ne fais rien, je voudrais travailler et être utile. » Une femme, originaire du Gabon, accueillie à La Mie de pain à Paris.

« Je viens du Congo. Je suis arrivée en France chez de la famille, mais j'ai été mise dehors. J'ai dormi trois jours seule dehors, puis je suis allée à l'hôpital, où ils m'ont gardée dix jours même si je n'étais pas malade, puis on m'a orientée vers un foyer. Grâce à mon travailleur social, j'ai repris confiance, il m'a permis de sentir que j'avais de la valeur. J'ai des papiers depuis un an. Pour l'instant, je travaille chez Zara mais je veux trouver une formation dans le domaine de la santé, j'avais un diplôme d'infirmière au Congo. » Une jeune femme, originaire du Congo, accueillie à La Mie de pain à Paris.

« Je suis arrivée en France en 2017, chez de la famille. J'ai été mise dehors au moment du covid, car ils avaient peur que je ramène la maladie. J'ai dormi dans la rue. J'ai appelé le 115 tous les jours pendant quinze jours avant d'avoir une place. » Une jeune femme accueillie à La Mie de pain à Paris.

« On voulait me marier de force, j'ai dû fuir mon pays avec l'homme que j'aime. On est arrivés en France il y a quelques semaines, on vient d'avoir des jumeaux, mais on n'a aucun endroit où aller à la sortie de l'hôpital. » Une jeune femme hospitalisée à l'hôpital Delafontaine à Saint-Denis.

« Je suis arrivée en France il y a plusieurs mois. Je ne pensais pas que ce serait aussi dur. » Une femme accueillie à l'Amicale du Nid à Saint-Denis.

3. De nombreuses mères, isolées ou en couple, avec leurs enfants ou enceintes

Si les femmes enceintes ou accompagnées d'enfant étaient par le passé protégées du risque de la rue, tel n'est plus le cas aujourd'hui.

Selon des données communiquées par l'Agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France, dans la région francilienne, tout au long de l'année, entre 30 et 40 femmes enceintes ou avec un nouveau-né sont hospitalisées, faute de solution d'hébergement, principalement dans les maternités de Saint-Denis, Montreuil et Lariboisière.

Lors d'une étude ad hoc menée la nuit du 4 juillet 2023, ont été recensées, au sein des 45 maternités publiques d'Île-de-France, 44 femmes hospitalisées en maternité sans motif médical, cumulant 613 jours d'hospitalisation non justifiée (entre un et 59 jours). En outre, 182 femmes enceintes et 416 enfants de moins de 6 ans n'ont pu être mis à l'abri cette nuit-là, en Île-de-France, en dépit d'un appel au 115.

Certaines de ces femmes sont en couple, tandis que d'autres sont seules avec leurs enfants.

Selon les acteurs associatifs de terrain rencontrés par les rapporteures, avoir un enfant est majoritairement perçu comme un événement heureux par les femmes sans abri qui, au-delà de la joie personnelle qu'un enfant apporte, y voient également l'espoir d'obtenir plus facilement un hébergement voire un logement.

Pour autant, désormais, nombre d'entre elles n'obtiennent pas systématiquement une mise à l'abri. En outre, Clélia Gasquet-Blanchard, directrice du réseau de périnatalité Solipam a alerté la délégation sur les cas de femmes qui perdent leur hébergement lors d'une fausse couche ou d'une interruption volontaire ou médicale de grossesse.

Dans le même temps, Anne Lorient, fondatrice de l'association éponyme qui intervient auprès de familles vivant dans la rue et notamment des femmes qui accouchent dans la rue, a également témoigné des craintes des mères vis-à-vis des services sociaux : beaucoup craignent que leur bébé leur soit retiré à la sortie de l'hôpital si elles n'ont pas de solution d'hébergement. Il semble que de nombreux fantasmes autour de l'action des services de protection maternelle et infantile (PMI) et de protection de l'enfance (ASE) soient alimentés par des témoignages sur les réseaux sociaux.

Interrogées sur ce sujet, deux représentantes de la ville de Paris33(*) ont indiqué à la délégation que les placements d'enfants sans domicile sont rares, alors que 20 à 30 % des femmes suivies par les sage-femmes de PMI de la Ville sont sans domicile - ce chiffre dépassant 60 % sur certains sites. Si les professionnels de PMI ont la responsabilité de signaler des informations préoccupantes et de procéder à des évaluations, Isabelle Susset, sous-directrice Santé des enfants, parentalité, santé sexuelle, de la Direction de la santé publique, déclarait ainsi : « Ce n'est pas parce qu'une femme est à la rue que nous allons automatiquement faire une information préoccupante, mais cela peut arriver. » Véronique Boulinguez, sage-femme de PMI « Hors les Murs », apportait la précision suivante : « Il est essentiel d'avoir des inquiétudes bien fondées concernant le lien mère enfant avant de transmettre une information préoccupante. Sinon, nous en ferions beaucoup trop. »

Sylvaine Devriendt, coordinatrice du programme « 4i » (« impact des lieux de vie informels, instables, insalubres et indignes sur la santé ») de Médecins du Monde Nantes a également témoigné de ces craintes des mères, que l'association s'efforce de rassurer. Elle indiquait ainsi devant la délégation : « Les mamans expriment une appréhension importante lorsqu'elles sont hébergées dans des hôtels du 115. Elles se sentent obligées de se faire discrètes de peur que leur enfant ne leur soit retiré à cause de leur situation de sans-abrisme. Nous avons récemment été confrontés à un cas de placement d'un bébé à la maternité, après une période d'observation de deux semaines par l'hôpital, en raison de problèmes particuliers. Mais les placements d'enfants sont extrêmement rares. [...] Nous rassurons les mères en leur expliquant que séjourner à l'hôtel et ne pas disposer d'un hébergement viable n'implique pas automatiquement un placement de leur enfant. [...] le conseil départemental maintient fermement qu'il est primordial de préserver l'unité parent enfant, même dans des conditions de logement précaires. Aucun placement n'est prononcé parce qu'il n'y aurait pas des conditions adéquates d'accueil de l'enfant. »

Pour autant, de tels cas peuvent parfois exister. Lors de son audition34(*), Anina Ciuciu, avocate et marraine du collectif #ÉcolePourTous, a dénoncé des « placements discriminatoires et abusifs à l'égard des enfants de familles précaires, notamment issus des communautés roms et des gens du voyage. [...] Ces familles, dans des situations déjà extrêmement précaires et difficiles, sont accusées d'être responsables de leur propre malheur lorsque leurs enfants se retrouvent à la rue et privés d'école. »

PAROLES DE FEMMES

Témoignages recueillis par les rapporteures

« J'ai vécu dix-sept ans dans la rue. J'ai été violée à de multiples reprises. C'est grâce à mes deux enfants que je suis sortie de la rue. J'étais enceinte de six mois et j'avais déjà un petit garçon de 2 ans. C'est grâce à ce petit garçon que les gens se sont plus occupés de moi et qu'une association m'a trouvé un logement. J'y suis encore actuellement, mon fils a aujourd'hui 23 ans et ma fille 20 ans. J'ai eu beaucoup de chance. Si je n'avais pas eu mes enfants, je pense que je serais encore dehors. » Anne Lorient, ancienne sans-abri, fondatrice de l'Association Anne Lorient.

« Je suis enceinte. Avec mon mari, on a déjà deux enfants. On a obtenu le statut de réfugié. Mon mari travaille, il a des fiches de paie. Mais on n'a pas de logement et aucune structure n'a de la place pour nous accueillir tous ensemble. Alors l'hôpital accepte de tous nous laisser dormir ici. » Une femme enceinte, hospitalisée à l'hôpital Delafontaine de Saint-Denis.

« On vient d'avoir des jumeaux, mais il n'y a pas de place pour deux parents et deux enfants. » Une jeune mère, hospitalisée à l'hôpital Delafontaine de Saint-Denis.

« Mon bébé est né il y a quelques semaines. On était à l'hôpital de la Salpêtrière, mais ils ne peuvent pas nous garder plus longtemps. J'ai besoin d'un endroit où dormir. » Une jeune femme seule appelant le 115 à Paris.

« On a un bébé de trois jours et on vient d'apprendre que l'hôpital nous mettra dehors ce soir. » Un jeune couple appelant le 115 à Paris.

« On a un bébé de 13 jours. On nous a proposé un hébergement à Mantes-la-Jolie, mais on n'a pas d'argent pour aller jusqu'à Mantes ni pour manger. On ne sait plus quoi faire. » Un jeune couple appelant le 115 à Paris.

« On a un bébé de six mois, mais on n'a aucune solution d'hébergement stable depuis deux mois, seulement des nuitées par-ci, par-là. » Un couple appelant le 115 à Paris.

4. Des femmes plus marginalisées, aux troubles psychiatriques lourds, souvent non traités

Au-delà des conséquences psychologiques inhérentes à tout parcours de rue, on trouve parmi les femmes sans abri un public spécifique de femmes qui souffrent de maladies psychiatriques, présentent des troubles de la personnalité ou « entendent des voix ». Ces problématiques psychiatriques s'entremêlent souvent à des problématiques d'addiction.

Selon des données de l'ARS d'Île-de-France35(*), parmi les quelque 4 000 personnes suivies par les 23 équipes mobiles psychiatrie-précarité (EMPP) d'Île-de-France, un tiers sont des femmes.

Les rapporteures ont eu des échanges approfondis sur cette problématique avec les membres de l'équipe mobile MARSS-APHM (Mouvement et action pour le rétablissement sanitaire et social), qui effectuent des maraudes en santé mentale à Marseille et ont témoigné des difficultés liées à la prise en charge de ces femmes. En effet, celles-ci sont souvent sur la défensive, notamment du fait des hospitalisations sous contrainte qu'elles ont pu subir par le passé. En outre, habituées à l'extérieur, elles supportent mal l'hôpital et leur insertion dans des centres d'hébergement n'est pas aisée en cas de symptomatologie bruyante. Ces profils de femmes n'ont pas le même rapport au logement et ont besoin d'un accompagnement renforcé, sur le plan médical comme sur le plan social. Il convient notamment de ne pas les déraciner de leur quartier dans lequel elles ont des habitudes qui les apaisent.

PAROLES DE FEMMES

Témoignages recueillis par les rapporteures

« Je n'étais pas bien. Mon vélo et moi, on a traversé la France, on a roulé jusqu'en Espagne. Maintenant j'essaie d'aider » Alice, qui a connu un parcours de rue et est aujourd'hui pair-aidante à Marseille.

« Je suis bien ici, c'est mon quartier, mon banc, je ne veux pas en partir. » Une femme rencontrée dans les rues de Marseille.

« Aujourd'hui, je suis bien dans la pension de famille, je me sens protégée, ça permet de retrouver la sérénité dans la tête. C'est important quand on a eu un parcours chaotique : ça va, ça va pas, ça vient, les addictions, les ceci, les cela. Je ne pourrais pas partir et être isolée, seule, dans un logement social. » Une femme accueillie dans la pension de famille Claire Lacombe à Marseille.

5. Des familles en habitat insalubre

La délégation n'a pas pu se pencher de façon approfondie sur la situation spécifique des familles en habitat insalubre, qui mériterait un rapport à part entière, mais les rapporteures ont échangé avec des membres de Médecins du monde, du collectif #ÉcolePourTous et des Régisseurs sociaux qui interviennent auprès des personnes vivant en bidonvilles ou en squat, parmi lesquelles de nombreuses familles dites roms.

La plateforme Résorption Bidonvilles estime que 11 200 ressortissants européens, majoritairement d'origine roumaine et bulgare, vivent en bidonvilles fin 2023, dont 3 900 mineurs. S'y ajoutent environ 8 500 ressortissants extraeuropéens.

PAROLES DE FEMMES

Témoignages recueillis par les rapporteures

« Je suis d'origine Rom-Roumaine. Je suis arrivée en France en juillet 2017 avec ma mère et mon frère. Dès notre arrivée, nous avons dû vivre dans un bidonville, dans des conditions très difficiles. [...] Quelques semaines avant mon examen de fin d'année, qui devait établir mon niveau de français après seulement quatre mois d'école en France, j'ai appris que sa date correspondrait à l'expulsion du terrain où nous vivions. [...] Ce matin-là, j'ai vécu ma première expulsion, et l'après-midi, j'ai passé mon examen, que j'ai réussi. J'ai obtenu 80 points sur 100 après seulement quatre mois d'études en France. J'ai pu intégrer un lycée en filière ST2S, car je rêvais de contribuer au changement social. » Ana Maria Stuparu, porte-parole du collectif #Écolepourtous.

« Nous habitions dans un foyer social, un hébergement d'urgence à Mâcon, en Saône-et-Loire. Lorsque nous avons enfin pu nous inscrire à l'école, nous avons commencé à rêver à un avenir en France, à croire en la possibilité d'avoir un futur. C'est cette volonté de nous offrir un avenir qui guidait nos parents lorsqu'ils ont décidé de quitter la Roumanie. C'est à cet instant que notre hébergement a pris fin par une décision d'expulsion sans relogement et que nous avons dû quitter l'école dès le lendemain. Je me souviens des larmes de mon directeur d'école, impuissant face à cette situation. Il ne pouvait rien faire pour nous garder mes soeurs et moi. Nous avons uniquement pu emporter nos cartables. Nous avons vécu des mois dans un camion aménagé par mon père. Nous n'avons pu retrouver l'école que neuf mois plus tard. » Anina Ciuciu, marraine et avocate du collectif #EcolePourTous.

C. LA RUE ABÎME, BLESSE ET TUE

1. Des dizaines de décès chaque année

Pour reprendre les termes de Michel Poulet, assistant social, secrétaire fédéral de la Fédération Nationale Action Sociale Force Ouvrière (FNAS-FO), pour beaucoup de personnes sans abri, « la rue est l'antichambre de la mort, en hiver comme en été »36(*).

En outre, ainsi que le déclarait Bérangère Grisoni, présidente du collectif Les Morts de la rue, « la rue tue deux fois » : une première fois physiquement et une deuxième fois par l'indifférence que la disparition des personnes sans abri dans les interstices du tissu social et urbain suscite.

C'est cette indifférence qui a amené le collectif Les Morts de la rue à se donner pour mission de recenser les morts de la rue, pour les dénombrer, mais aussi pour retrouver leurs noms et leurs proches et leur apporter des funérailles.

Ce collectif a recensé, en 2022, 624 décès de personnes en situation de rue, dont 81 femmes. Il estime qu'au total il pourrait y avoir plus de 3 000 morts de personnes sans domicile chaque année, une étude de l'Inserm-CépiDc portant sur la période 2008-2010 ayant en effet évalué que le collectif recensait un décès sur cinq de personnes sans domicile37(*).

Ces décès ont eu lieu principalement sur la voie publique, mais aussi en établissements et structures de soins et en hébergement.

Les hommes comme les femmes décèdent principalement des suites d'accidents et d'agressions. Les autres causes identifiées sont les maladies (tumeurs, maladies liées à l'appareil circulatoire ou à l'appareil digestif), les troubles mentaux et comportementaux et les suicides.

Sur l'ensemble des décès recensés par le collectif entre 2012 et 2022, les femmes étaient en moyenne âgées de 46 ans, contre 50 ans pour les hommes.

Au-delà de ces décès, la rue use et abîme : la majorité des femmes sans domicile présentent un état de santé dégradé.

2. Une dégradation physique et psychique inévitable
a) Des conditions de vie précaires et une exposition à de multiples facteurs de risques

Selon une compilation des résultats des Nuits de la Solidarité effectuée par la Dihal38(*), à Paris 37 % des femmes sans abri (contre 30 % des hommes) s'estiment en mauvaise ou très mauvaise santé et dans les quatorze autres villes concernées (hors Île-de-France), cette proportion atteint 43 % (contre 36 % des hommes).

En effet, la rue provoque un vieillissement accéléré, des troubles liés à une mauvaise alimentation et aux difficultés d'accès à l'hygiène, ainsi que des complications en cas de pathologies. Ainsi, les femmes qui connaissent un parcours de rue - qu'elles aient ou non un abri la nuit - développent davantage de douleurs ostéoarticulaires et de douleurs physiques persistantes faute de traitement adapté. Faute d'accès fréquent à des toilettes, des douches et des protections menstruelles, elles développent également des mycoses, des infections urinaires et des infections dermatologiques.

Elles sont par ailleurs plus exposées aux infections et maladies sexuellement transmissibles (en particulier VIH), aux hépatites et aux nuisibles vecteurs de maladies. Lorsqu'elles sont en contact avec des déchets et d'anciennes zones polluées, elles peuvent développer des pathologies allergiques, dermatologiques et pulmonaires et subir des contaminations aux métaux lourds, qui sont associées à un risque de saturnisme chez les enfants.

En outre, afin de supporter leur situation, de nombreuses personnes sans abri ont des pratiques addictives à l'égard de l'alcool ou de substances psychoactives, aux effets néfastes sur leur santé. Selon l'ARS d'Île-de-France, environ 30 % des usagers de crack39(*) en rue en région parisienne sont des femmes, souvent en danger du fait de leur dépendance à des réseaux dont il est difficile de les extraire. Michel Poulet, représentant de la FNAS-FO, témoignait de cette problématique en ces termes : « nous faisons face à des personnes qui, pour pouvoir continuer à vivre, s'abîment. »40(*)

b) Une absence de lieu de repos physique et psychique

Les femmes sont souvent dans un état d'épuisement psychique du fait de l'incertitude attachée à leur situation, d'un stress, d'une dépendance à des tiers, ainsi que d'un manque de sommeil.

En effet, les femmes qui passent la nuit dans la rue ne dorment pas, elles sont en état de veille permanent, face aux risques d'agressions auxquels elles sont exposées. Cette absence de repos a des conséquences sur leur santé physique et mentale.

La sociologue Marine Maurin décrivait ainsi leurs nuits devant la délégation41(*) : « Leurs discours et leurs pratiques soulignent l'importance d'être en veille, de « veiller », pour reprendre leurs termes, voire de « surveiller » l'environnement qui les entoure lorsqu'elles ne trouvent pas d'hébergement. [...] Dans une certaine mesure, la catégorie de sans-abri utilisée par l'Insee, qui insiste sur le fait de « dormir dans des espaces non prévus pour l'habitation », n'est pas opérante pour ces femmes. En effet, lorsqu'elles parlent de veille, elles insistent justement sur le fait de ne pas dormir, de rester en alerte. Cette veille est indexée dans leur discours aux sentiments d'insécurité dans la ville la nuit et aux expériences vécues d'agression. »

L'enquête Enfants et familles sans logement personnel en Île-de-France42(*) relevait des troubles dépressifs chez 30 % des mères sans domicile ainsi que des troubles de santé mentale (troubles émotionnels, relationnels, du comportement ou d'inattention) chez 19 % des enfants sans domicile, contre 8 % en population générale.

Le rapport Grandir sans chez soi de l'Unicef43(*) détaille les conséquences de l'absence de domicile sur les enfants : nuisances, insalubrité, exiguïté, insécurité et manque de commodités, contraignent les enfants à vivre et grandir dans un environnement non propice à leur développement et à leur bien-être et ont des conséquences graves sur leur santé mentale.

c) Des grossesses et naissances à risque

Comme l'a relevé le récent rapport de la mission d'information sénatoriale sur la santé périnatale44(*), les risques de comorbidités, de complications et d'issues maternelles, foetales et néonatales défavorables sont plus élevés chez les femmes précaires, et en particulier chez les femmes sans abri.

Lors de son audition45(*), Luc Ginot, directeur de la santé publique de l'ARS d'Île-de-France a estimé que si l'augmentation de la mortalité infantile que connaît la France depuis une dizaine d'années, singulièrement en Seine-Saint-Denis, est multifactorielle, l'augmentation de la précarité des mères et en particulier la hausse du nombre de femmes enceintes et jeunes mères sans abri y contribuent.

Pour reprendre les termes de Clélia Gasquet-Blanchard, directrice du réseau de périnatalité Solipam, qui assure la coordination du parcours médico-social des femmes enceintes en situation de précarité - dont la moitié sont en situation de rue, « une grossesse à la rue est une urgence médicale ».

Ainsi, un quart des femmes prises en charge par ce réseau affichent un état de santé altéré qui rend leur grossesse à risque : utérus multicicatriciel, utérus polymyomateux à risque de nécrobiose, augmenté pendant la grossesse, hépatite B, diabète de type II, etc. 30 % d'entre elles connaissent des complications médicales durant la grossesse : retard de croissance intra-utérin, prééclampsie, diabète gestationnel et insulinodépendant, difficilement compatible pour son traitement avec une vie à la rue. 36 % accouchent par césarienne, contre 21 % en population générale.

Le taux de prématurité est également deux fois supérieur à la moyenne nationale : 15 % contre 7 % en population générale.

Clélia Gasquet-Blanchard a également indiqué, lors de son audition, avoir été confrontée, au cours de l'année 2023, au décès d'une jeune mère, à quatre morts foetales in-utero entre 22 et 38 semaines d'aménorrhée, soit des foetus potentiellement viables, et à la réhospitalisation de huit nouveau-nés.

d) Des retards de prise en charge et des renoncements aux soins

Les femmes sans domicile rencontrent des obstacles dans l'accès aux soins : outre, souvent, la barrière de la langue, elles ont des difficultés à identifier les professionnels de santé, à se connecter aux applications numériques de prise de rendez-vous, à se déplacer pour s'y rendre, etc.

Cela entraîne des retards de prise en charge et des renoncements aux soins, lourds de conséquences, notamment pour de pathologiques chroniques comme le diabète ou l'hypertension artérielle.

Un retard voire une absence de suivi de grossesse sont également fréquents, comme l'ont relevé les représentantes du réseau Solipam lors de leur audition : les femmes sont généralement orientées aux alentours de vingt-deux semaines d'aménorrhée, soit à plus de mi-parcours de leur grossesse, et la moitié d'entre elles ne bénéficie d'aucune couverture maladie. En outre, le changement de lieux d'hébergement conduit à une errance dans les soins et à des difficultés d'inscription à la maternité.

Les femmes sans domicile ont également moins accès à de l'information en matière de santé, ainsi qu'aux dispositifs de prévention, notamment en matière de santé sexuelle et reproductive ou de dépistage des cancers du sein et du col de l'utérus. Selon Médecins du monde46(*), 90 % des femmes accueillies dans leurs services n'ont jamais eu accès à un dépistage du cancer du col de l'utérus.

Un état de santé dégradé chez les femmes et les enfants sans domicile

 
 
 
 

des femmes sans abri s'estiment en mauvaise ou très mauvaise santé

souffrent de complications médicales lors de leur grossesse

des mères sans domicile présentent des troubles dépressifs

des enfants sans domicile présentent des troubles de santé mentale

3. Des violences physiques et sexuelles massives

Tous les acteurs associatifs le disent : il n'y a pas une femme sans abri rencontrée ou accueillie par leurs structures qui n'ait pas été victime de violences dans la rue, mais aussi bien souvent, antérieurement, dans l'enfance, dans son logement ou dans son parcours migratoire. Les femmes migrantes sont particulièrement exposées aux violences : ces dernières sont souvent la cause de leur départ, elles en subissent au cours de leur parcours migratoire, puis à leur arrivée en France.

La sociologue Marie Loison-Leruste estimait devant la délégation47(*) que les violences de genre structurent les trajectoires des femmes sans domicile, qu'il s'agisse de violences intrafamiliales, de violences sexuelles ou de sexe de survie : « Les violences conjugales peuvent précipiter une femme dans la précarité, qu'elle parte, que son niveau de vie baisse ou qu'elle se retrouve seule avec les enfants. Ce sont aussi les violences vécues dans l'enfance et la jeunesse qui déstructurent la personne. C'est particulièrement le cas de jeunes femmes qui se font expulser de chez elles parce qu'elles tombent enceintes, parce qu'on découvre qu'elles n'ont pas la bonne orientation sexuelle, ou pour toute autre raison. Les violences liées à la pauvreté sont également nombreuses. [...] On observe des liens très forts entre pauvreté et prostitution, choisie ou pas. Lorsque l'on doit choisir entre se prostituer et manger, je ne sais pas si l'on peut encore parler de choix. »

Les travailleurs sociaux de l'Amicale du Nid 93 évoquaient quant à eux « un continuum de violences ». Leur politique de questionnement systématique des violences les a amenés à constater que la totalité des femmes accueillies au sein de leurs accueils de jour avait été victime de violences.

Lors d'une étude de l'Observatoire du Samusocial de Paris de 201648(*) 92 % des femmes interrogées - quasi exclusivement de nationalité étrangère - ont indiqué avoir subi des violences au cours de leur parcours migratoire et de leur parcours de rue, en particulier vols, agressions physiques, agressions sexuelles, travail forcé et séquestration.

Une étude menée dans le cadre du projet Un Abri Pour Toutes49(*), auprès de femmes hébergées au sein de trois centres d'émergent mixtes, a également montré que 93 % des femmes hébergées ont connu des violences au cours de leur vie. Pourtant, 85 % des femmes hébergées n'avaient jamais évoqué ces violences au sein de la structure dans laquelle elles étaient hébergées et 53 % en parlaient même pour la première fois de leur vie, du fait de cette étude.

En outre, 18 % des femmes interrogées se sentaient en danger au moment de l'enquête et 55 % d'entre elles ne se sentaient pas en sécurité le soir au sein de leur structure d'hébergement et évitaient de s'y déplacer la nuit. Ces chiffres sont de nature à alerter sur la façon dont les femmes sont prises en charge au sein des centres d'hébergement mixtes et sur la nécessité d'outiller les professionnels de ces centres sur cette problématique des violences faites aux femmes.

Enfin, une étude de santé publique50(*) menée auprès de 273 demandeuses d'asile à Marseille relève une incidence du viol 18 fois plus élevée chez les femmes demandeuses d'asile vivant en France par rapport aux femmes en population générale. Plus du quart des femmes interrogées avait subi des violences au cours de la dernière année passée en France et 5 % un viol. Les résultats mettent également en évidence une association significative entre l'absence d'hébergement et la survenue d'agressions sexuelles.

Au cours de leur déplacement à Marseille les 28 et 29 mars 2024, les rapporteures ont été marquées par cette statistique empirique glaçante livrée par la médecin-psychiatre de l'AP-HM, Aurélie Tinland, en charge du programme Marss : « au bout d'un an passé à la rue, 100 % des femmes ont subi un viol, quel que soit leur âge, quelle que soit leur apparence. Pour elles, c'est un trauma parmi d'autres. »

4. Des risques d'exploitation et de prostitution

Les femmes sans domicile sont particulièrement exposées aux risques d'exploitation par le travail et d'exploitation sexuelle, à travers des hébergements contre « services » et des propositions de rapports sexuels rémunérés, qu'elles acceptent parfois uniquement pour nourrir leurs enfants, comme l'évoquait Bénédicte Maraval, assistante sociale référente au Comede devant la délégation51(*).

Au-delà de situations d'abus individuels, elles risquent également de se retrouver sous la coupe de réseaux d'exploitation et de prostitution.

Emmanuelle Cosse, présidente de l'Union sociale pour l'habitat (USH), ancienne ministre du logement et de l'habitat durable, témoignait en ces termes devant la délégation : « J'ai observé cette réalité de près lorsque j'étais ministre et que nous organisions la mise à l'abri des populations. J'ai vu des proxénètes venir chercher leurs victimes à cinq heures du matin lors de ces opérations. Il est donc clair que des réseaux criminels prospèrent sur notre inorganisation publique. »

Selon la dernière enquête sur les victimes de traite des êtres humains accompagnées par les associations en France, publiée conjointement par la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof) et le service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI)52(*), 94 % des victimes de traite des êtres humains (dont 82 % sont des femmes) sont hébergées par l'exploiteur ou le réseau, un prolongement de l'emprise sur elles. 95 % des victimes d'exploitation par le travail domestique (95 % sont de femmes) et 36 % des victimes d'exploitation sexuelle (94 % de femmes) vivent directement sur le lieu d'exploitation.

PAROLES DE FEMMES

Témoignages recueillis par les rapporteures

« J'interviens aujourd'hui pour porter la voix des femmes en général, celles qui souffrent en silence, qu'elles soient enceintes, avec des enfants ou seules, celles qui vivent dans la rue, qui ont besoin de protection et de soins, qui sont convaincues qu'elles font une fausse couche en raison du stress, de l'anxiété, de la tristesse, du froid, de la menace d'agressions sexuelles parce qu'elles n'ont pas d'endroit où s'abriter, celles qui souffrent de diabète, d'un cancer du sein, d'hypertension artérielle. Vous les trouvez dans la rue. Si elles ont mangé le matin, elles ne savent pas si elles trouveront à manger le soir. Si elles dorment quelque part ce soir, elles ne savent pas où dormir demain. [...] Moi aussi j'ai été dans la rue, enceinte, avec ma fille. Je me sens comme les autres. Je n'avais rien à manger, pas d'endroit où dormir. » Rafika Bekri, aujourd'hui facilitatrice communautaire chez Médecin du Monde.

« Les femmes sont attaquées par des hommes. C'est tout le temps pour le sexe. Mais il y a aussi des vols de sacs et de portables. » Une femme accueillie à l'Amicale du Nid à Saint-Denis.

« La nuit, on se fait régulièrement agresser. Mais ce n'est pas possible d'appeler la police quand on n'a pas de papiers. » Une femme accueillie à l'Amicale du Nid à Saint-Denis.

« Les derniers temps, avant d'avoir ma maison relais, j'étais dans un foyer où c'était l'horreur, il y avait du trafic, il y avait tout ce que vous vouliez à l'intérieur, les locaux étaient sales, on avait des cafards, des souris et des rats, on ne pouvait pas se faire à manger, de peur que tout tombe dans la poêle... [...] J'ai perdu trois copines à la rue, deux à cause de l'alcool et une d'une crise d'asthme. Elle avait 30 ans et a laissé une pitchoune de 4 ans. Moi j'ai été agressée en 1997 à coups de chaussures de sécurité dans la figure, j'ai perdu la vue dans mon oeil gauche. » Sophie Papieau, sans abri de 1994 à 2020, bénévole au collectif Les Morts de la rue.

« On ne dort pas du tout la nuit dehors, c'est trop dangereux. » Une femme accueillie à l'Amicale du Nid à Saint-Denis.

« J'ai passé des nuits dehors, aux urgences des hôpitaux, sous des abris de bus, dans la rue... Sans dormir. Quand on ne dort pas la nuit, on ne peut pas faire des démarches administratives le jour. » Malika, accueillie à La Mie de pain à Paris.

« Quand on m'a dit que ce serait un homme qui serait mon travailleur social, au début je ne voulais pas. Moi, je me méfie des hommes, ils m'ont trop fait de mal. Mais Nathanaël, il m'a réconciliée avec les hommes. » Une femme accueillie à La Mie de pain à Paris.

II. LEUR TROUVER UN TOIT

Deux types de solutions peuvent être mobilisés afin de trouver un toit pour les femmes et familles qui sont aujourd'hui sans domicile : une place d'hébergement ou un logement.

L'accueil en hébergement est destiné à répondre aux besoins immédiats des personnes sans domicile ou contraintes de le quitter, notamment en cas de violences intrafamiliales. Reposant sur un principe d'inconditionnalité, sans critère de régularité du séjour, il relève des compétences de l'État, mais aussi des départements s'agissant des femmes enceintes et des mères isolées avec des enfants de moins de 3 ans. L'hébergement est une solution qui a vocation à être temporaire, dans l'attente d'un logement pérenne et adapté.

Dans un logement, l'occupant dispose d'un titre d'occupation lui permettant de se maintenir dans les lieux. Que ce soit dans le parc social ou dans le parc privé, il s'acquitte d'un loyer ou d'une redevance et bénéficie des aides personnelles au logement (APL).

Au sein de chaque département, le SIAO (Service intégré d'accueil et d'orientation), opérateur de service public, met en oeuvre les orientations et décisions de l'État en matière d'hébergement et d'orientation des personnes sans domicile, mais aussi désormais du « service public de la rue au logement » dans le cadre des plans Logement d'abord. Il coordonne tous les acteurs intervenant dans ce champ : État, collectivités territoriales, associations et bailleurs sociaux.

A. ASSURER UNE OFFRE D'HÉBERGEMENT À LA HAUTEUR DES BESOINS DES FEMMES ET DES FAMILLES

Si l'offre d'hébergement a été multipliée par deux depuis dix ans, elle reste encore en deçà des besoins aujourd'hui, sur le plan quantitatif, mais aussi qualitatif. Un effort supplémentaire est nécessaire sur ces deux plans afin d'assurer une mise à l'abri de toutes les femmes et familles.

1. Une mobilisation publique notable pour accroître l'offre d'hébergement et les solutions de mise à l'abri
a) Un doublement du nombre de places d'hébergement financées par l'État depuis dix ans
(1) Une augmentation globale du parc d'hébergement

L'hébergement des personnes sans domicile est une compétence de l'État. Il est fondé sur un principe d'inconditionnalité53(*) : « Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence ». Ainsi, l'État finance l'hébergement d'urgence sans critère de régularité du séjour.

Les hébergements financés par l'État sont les suivants :

Ces hébergements sont financés principalement à travers deux programmes budgétaires :

· le programme 177 « hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » doté de 2,9 milliards d'euros en crédits de paiement pour 2024, dont 2,1 milliards d'euros pour l'hébergement : 758 millions pour les CHRS et 1,3 milliard pour l'hébergement d'urgence hors CHRS (soit une multiplication par 4 depuis 2012) ;

· le programme 303 « immigration et asile », à hauteur de 996 millions d'euros en crédits de paiement pour 2024 (s'agissant de la partie « hébergement »).

Le périmètre de décompte des places d'hébergement diffère selon les institutions. L'enquête ES-DS comptabilise les places d'hébergement généraliste, les places du DNA et les établissements d'accueil mère-enfant (financés par les départements), mais les nuitées hôtelières n'entrent pas dans le champ de l'enquête, qui recense au total 218 000 places d'hébergement ouvertes dans 3 100 centres d'hébergement au 31 janvier 2021. À l'inverse, la Dihal et le Pacte des solidarités annoncé en septembre 2023 comptabilisent les nuitées hôtelières et les places d'hébergement généraliste, pour un total de 203 000 places en 2023 et 2024, tandis que les places du DNA et celles des établissements d'accueil mère-enfant n'entrent pas dans ce décompte.

Sur un même périmètre, les décomptes varient : alors que la Drees recensait 57 500 places dans les centres d'accueil d'hébergement généraliste hors CHRS fin 202054(*), la Dihal en dénombrait 79 100 à la même date55(*). Ces écarts reflètent la difficulté pour l'État d'avoir une vision globale et détaillée du nombre de places d'hébergement qu'il finance.

Au total, on peut estimer à 313 000, en moyenne annuelle, le nombre de places d'hébergement financées par l'État en 2024 :

- 203 000 dans le parc généraliste et à l'hôtel ;

- 110 000 dans le cadre du dispositif national d'accueil (DNA) qui assure un hébergement pendant la période d'instruction de la demande d'asile.

Ces chiffres correspondent à une augmentation notable au cours des dernières années : selon des données communiquées à la délégation par la Dihal56(*), le nombre annuel de places d'hébergement ouvertes dans le parc généraliste est passé de 150 000 en 2017 à 203 000 en 2023.

Évolution du nombre de places d'hébergement du parc généraliste,

nuitées hôtelières inclues

Source : Dihal et documents budgétaires.

Répartition des places d'hébergement

Source : Dihal, suivi mensuel du parc d'hébergement au 30 juin 2024.

En outre, le nombre de places dans le DNA est passé de 50 000 en 2015, au début de la crise migratoire, à 110 000 en 2024.

En Île-de-France, le parc d'hébergement généraliste s'est accru de 40 % entre 2017 et 2023, atteignant, fin 2023, 97 000 places, dont 32 884 places d'hébergement d'urgence57(*). À cela s'ajoutent 23 088 places dédiées à l'hébergement des demandeurs d'asile et des réfugiés (DNA), soit un total de 120 000 personnes hébergées.

(2) Une priorité donnée à la mise à l'abri des femmes victimes de violences

L'État a mené un effort réel dans le financement de places dédiées aux femmes victimes de violences intrafamiliales, dites « places VIF ».

Si la règle est désormais celle de l'éloignement du conjoint violent, en pratique, ce sont encore majoritairement les victimes qui quittent le domicile. Certaines le souhaitent d'ailleurs au vu de la dangerosité de leur conjoint, de leur manque de moyens financiers ou encore du rejet d'un lieu marqué par des violences.

Le parc d'hébergement spécialisé dans l'accueil des femmes victimes de violences est passé de 5 000 places en 2017 à 11 000 places en 2024 selon les chiffres communiqués par la Dihal58(*). En complément du parc dédié et afin de procéder à des mises à l'abri rapides, l'État finance également des nuitées dans le parc généraliste ou à l'hôtel pour les femmes victimes de violences (1,6 million de nuitées en 2021). Au total, la Dihal évalue à 150 millions d'euros en 2023 les moyens dédiés à la politique de mise à l'abri et d'hébergement des femmes victimes de violences.

Lors, de son audition59(*), Jérôme d'Harcourt, Délégué interministériel à l'hébergement et à l'accès au logement, a précisé la répartition de ces places par département, ouvertes en croisant deux indicateurs : d'une part, le taux d'équipement en hébergement d'urgence et, d'autre part, les faits de violences constatés à partir des données de la police et de la gendarmerie.

Ainsi, en Île-de-France, l'État a financé, en 2023, 2 800 places pour des femmes victimes de violences intrafamiliales, contre 1 000 en 2013. Ce parc dédié, qui peut accueillir des femmes seules ou avec des enfants, est entièrement non mixte et comporte 60 % de places en appartements en diffus. En complément, l'État héberge également des femmes victimes de violences au sein du parc généraliste, majoritairement à l'hôtel. Selon le préfet d'Île-de-France60(*), aujourd'hui, tout appel d'une femme victime de violences intrafamiliales est traité.

Les responsables du Samusocial de Paris ont pu confirmer aux rapporteures que le 115 parvenait à héberger rapidement les victimes, a minima sur des places dédiées à l'hôtel via l'opérateur Delta, avant de les orienter rapidement vers une place « VIF » en centre d'hébergement. Un accord a également été conclu avec le 3919 afin que la personne qui appelle soit prise en charge de façon accélérée par le 115 si elle a besoin d'un hébergement.

En outre, des centres sont dédiés à la prise en charge des auteurs de violences afin de faciliter leur éviction du domicile et le maintien de la femme victime et de ses enfants au sein du domicile. D'après un recensement lancé par la Dihal à l'été 2023, il existe environ 500 places d'hébergement pour les auteurs de violences conjugales précaires61(*).

Au sein du dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile, des dispositifs ont également été mis en place pour accueillir les femmes victimes de violences, ainsi que l'a exposé, devant la délégation, Didier Leschi, directeur général de l'Ofii62(*). Ainsi, 7 000 places sont dédiées aux femmes victimes de violences.

En outre, l'Ofii a des partenariats avec des collectivités territoriales et des associations, notamment à Marseille, afin de repérer les personnes victimes de la traite des êtres humains et les sortir des griffes communautaires. Des cahiers des charges spécifiques ont été établis pour les gestionnaires des centres qui accueillent ces personnes.

(3) Des places spécifiques pour les femmes enceintes ou sortant de maternité

Selon des chiffres communiqués par la Dihal, 2 500 places d'hébergement destinées aux femmes enceintes ou sortant de maternité sont aujourd'hui financées par l'État. Si elles existent dans huit régions, elles sont néanmoins situées en grande partie en Île-de-France, au regard des besoins identifiés.

Selon des données de la Direction régionale et interdépartementale de l'hébergement et du logement (Drihl) d'Île-de-France63(*), environ 2 000 places en centres d'hébergement d'urgence sont dédiées aux femmes enceintes ou sortant de maternité dans la région. Au cours de l'année 2023, 1 700 personnes ont été hébergées au sein de ces centres, dont 85 %de mères et nourrissons.

Des référents périnatalité ont également été mis en place au sein des SIAO afin de faciliter la mise à l'abri de ce public et la coordination avec les services sociaux des maternités, les équipes des PMI et les autres partenaires concernés.

Si l'augmentation du nombre de places permet d'apporter davantage de réponses positives à ces demandes, fin décembre 2023, entre vingt et trente femmes demeuraient encore hospitalisées en maternité au seul motif de leur absence de logement, et lorsque les rapporteures se sont rendues à la maternité Delafontaine à Saint-Denis le 6 mai 2024, quinze femmes relevant de cette catégorie y étaient hospitalisées.

Le déploiement de ces dispositifs doit donc se poursuivre. Si l'engagement des maternités ne peut qu'être salué, la responsabilité de la mise à l'abri de ces femmes et enfants n'est pas de leur ressort, mais de celui de l'État.

Par ailleurs, d'autres dispositifs d'hébergement existent pour les personnes ayant besoin de soins médicaux. En particulier :

- les lits halte soins santé, financés par l'Assurance maladie, qui offrent une prise en charge sanitaire et sociale à des personnes sans domicile fixe dont l'état de santé physique ou psychique nécessite des soins ou un temps de convalescence sans justifier d'une hospitalisation ;

- les hébergements soins résidentiels comme celui mis en place par l'ARS d'Île-de-France à Athis-Mons pour recevoir des femmes enceintes ou en suites de couches avec des pathologies, ainsi que les pères et les fratries.

b) Des compétences départementales inégalement investies

En complément de la compétence régalienne en matière d'hébergement, les départements ont, outre leur compétence en matière d'aide sociale à l'enfance s'agissant des mineurs non accompagnés, une compétence propre portant sur l'hébergement des femmes enceintes et des mères isolées avec au moins un enfant de moins de 3 ans, le code de l'action sociale et des familles prévoyant, depuis 2009, que « sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental [...] les femmes enceintes et les mères isolées avec leurs enfants de moins de 3 ans qui ont besoin d'un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu'elles sont sans domicile. »64(*)

Les départements assurent ainsi le financement des établissements d'accueil mère-enfant. Il s'agit souvent de « centres maternels », mais il peut aussi s'agir d'un foyer collectif avec une section dédiée à cet accueil ou encore d'un réseau d'appartements.

La Drees recense65(*), sur l'ensemble du territoire national, 6 200 places au sein de 167 établissements.

Certaines collectivités investissent pleinement leurs compétences en la matière. L'annuaire de l'action sociale recense ainsi 35 établissements de ce type en Île-de-France.

Selon des données communiquées par Bruno Bernard, président de la Métropole de Lyon66(*), cette collectivité aux compétences départementales sur son territoire héberge 1 156 personnes, dont 731 enfants. Près de 500 places d'hébergement en tiny houses ont été créées depuis 2020 afin de remplacer les places d'hôtel, jugées chères et peu qualitatives.

En Loire-Atlantique, le conseil départemental soutient le dispositif Femmes isolées avec un enfant de moins de trois ans à la rue (Fieer), destiné aux femmes isolées enceintes sans domicile ou avec un enfant de moins de 3 ans. Ce dispositif finance plusieurs associations qui offrent un hébergement temporaire aux mères avec de jeunes enfants.

Cependant, l'articulation des compétences entre l'État d'une part et les départements, les villes et métropoles à compétences départementales d'autre part, soulève un certain nombre de difficultés, notamment en matière d'égalité sur l'ensemble du territoire.

Toutes les collectivités n'ont pas la même lecture des compétences départementales ni les mêmes moyens pour les exercer. Certains départements peinent à prendre en charge toutes les mères isolées concernées, en particulier en cas de fratrie. Selon certains interlocuteurs entendus, il semble que des départements limitent leur intervention aux situations relevant de la protection de l'enfance.

La limitation des compétences départementales aux mères isolées peut également conduire des pères à s'effacer pour permettre à leur famille d'accéder à un hébergement. Dans une contribution adressée à la délégation, les Départements de France préconisent de « prendre en compte la présence des pères dans les situations, car la lecture restrictive du texte du code de l'action sociale et des familles met à mal la question de la parentalité pour ces familles vulnérables ».

Par ailleurs, certaines préfectures considèrent que la prise en charge des familles avec un enfant de moins de 3 ans relève de la compétence du conseil départemental, alors même que le code de l'action sociale et des familles ne fait référence qu'aux mères isolées. Ainsi, le cadre unifié d'intervention des SIAO franciliens, communiqué aux rapporteures par le préfet d'Île-de-France, indique que « les personnes ou couples avec enfants de moins de 3 ans et les femmes enceintes de plus de 6 mois relèvent de la compétence du conseil départemental. Le SIAO/115 prend en charge ces publics dans le cas où le conseil départemental n'a pas été en mesure de le faire ».

Enfin, la fin de la prise en charge par les départements aux trois ans de l'enfant pose un enjeu de continuité de la prise en charge, l'État n'étant pas toujours en mesure de prendre le relais. En janvier 2024, la Métropole de Lyon a ainsi formé un recours en carence contre l'État, devant le tribunal administratif afin d'exiger de l'État le financement de la prise en charge des publics hébergés par la Métropole qui n'entrent pas dans ses compétences (mère avec enfant de plus de 3 ans, couple avec un jeune enfant malade...).

Le président de la Métropole de Lyon a également témoigné, lors de son audition, de difficultés liées à la prise en charge des nourrissons : « par le passé, la Métropole prenait en charge les nourrissons de moins de 30 jours même lorsque la mère n'était pas isolée. Cependant, ensuite, l'État ne prenait pas le relais et la Métropole a dû remettre à la rue des familles, suscitant un émoi. La Métropole a donc décidé de ne plus assurer cette prise en charge qui est de la compétence de l'État, mais qui n'est pas aujourd'hui assurée à Lyon, faute de places suffisantes. »

Les Départements de France se sont exprimés en faveur d'un accroissement de l'offre de l'hébergement proposé par l'État à hauteur des besoins, avec « un accueil inconditionnel des familles avec enfant(s) à charge, quel que soit l'âge de l'enfant, à partir de critères communs et partagés entre tous les acteurs institutionnels et associatifs ».

La Collectivité européenne d'Alsace (CAE), qui relève que, sur son territoire, les demandes de mises à l'abri de femmes isolées enceintes ou avec des enfants de moins de 3 ans, ont été multipliées par deux entre 2023 et 2024, appelle à une redéfinition des compétences entre l'État et les départements, apportant la réponse suivante : « Il semble inique de poser une ligne de partage État/Département sur la notion de l'âge de l'enfant à charge. Ce sont les difficultés tenant à la prise en charge éducative qui mériteraient d'être prises en compte indépendamment du critère d'âge »67(*).

Alors qu'en août 2024 au moins 467 enfants de moins de 3 ans passaient la nuit à la rue, sans mise à l'abri ni par l'État, ni par les départements et ne pouvant que constater le manque de moyens de ces derniers, les rapporteures affirment avec force la pleine responsabilité de l'État en matière de mise à l'abri. La sécurité et la santé de ces enfants méritent mieux que des querelles de compétences. Si les départements ne sont pas en mesure de les héberger, l'État doit prendre ses responsabilités, quel que soit l'âge de l'enfant.

Les rapporteures estiment donc nécessaire de clarifier les compétences respectives de l'État et des départements au sein du code de l'action sociale et des familles. Si un accompagnement au titre de l'aide sociale à l'enfance (ASE) est pertinent pour soutenir les familles sans domicile vulnérables, quel que soit d'ailleurs l'âge de l'enfant, elles considèrent en revanche que l'hébergement des personnes sans abri est une compétence régalienne et doit être garanti par l'État, a fortiori s'agissant de femmes enceintes et de mères isolées avec un enfant de moins de trois ans.

Recommandation n° : Attribuer à l'État la responsabilité de l'hébergement des femmes enceintes et des mères isolées avec un enfant de moins de trois ans.

c) Une nette implication de certaines communes

Certaines communes se mobilisent dans la prise en charge des personnes sans abri, au titre de leurs pouvoirs de police de l'habitat en matière de relogement, du droit local en Alsace-Moselle, ainsi que de leur clause de compétence générale. Ainsi certaines communes mettent à disposition des locaux, notamment sous forme de « haltes de nuit », tandis que l'État est censé assurer le financement de la prise en charge des personnes qui y sont accueillies.

La ville de Paris a mis en place depuis 2018 des haltes de nuit ainsi que des accueils de jour destinés aux publics les plus marginalisés.

De même, la commune de Saint-Denis a créé une halte de nuit, avec une partie dédiée aux femmes, que les rapporteures ont pu visiter, et les travailleurs sociaux du service social municipal accompagnent 300 femmes en errance, ainsi que 150 femmes victimes de violences conjugales, selon des données communiquées par le service social de Saint-Denis68(*). Cependant, le maire de Saint-Denis a alerté les rapporteures sur l'impact financier pour les communes de la prise en charge de ces problématiques qui relèvent en principe de l'État.

À cet égard, plusieurs grandes villes dénoncent les manquements de l'État à ses responsabilités en matière d'hébergement. Ainsi, les villes de Rennes, Strasbourg, Lyon, Bordeaux et Grenoble ont formé, en février 2024, des recours indemnitaires contentieux auprès des tribunaux administratifs afin d'exiger de l'État le remboursement des moyens financiers qu'elles ont engagés pour héberger des personnes sans abri.

À l'inverse, d'autres communes ne souhaitent pas prendre en charge les populations sans abri présentes sur leur territoire, estimant qu'il s'agit d'une compétence régalienne, voire les orientent vers d'autres communes. Selon des témoignages recueillis par les rapporteures, notamment lors de leur déplacement en Seine-Saint-Denis, certains centres communaux ou intercommunaux d'action sociale ne respectent pas leur obligation légale de domiciliation des personnes sans domicile qui peuvent se réclamer d'une attache dans la ville. Cette domiciliation administrative, aussi possible auprès de certaines associations, est pourtant essentielle pour permettre à ces personnes de recevoir du courrier et d'accéder à certains droits et prestations.

2. Un parc d'hébergement embolisé, insuffisant pour assurer la mise à l'abri de toutes les femmes et familles tout au long de l'année

Le système de l'hébergement d'urgence est aujourd'hui saturé en raison de l'augmentation du nombre de personnes sans domicile précédemment évoquée, qui s'est accompagnée, en aval, d'une diminution du nombre de personnes accédant à un logement et sortant donc de l'hébergement. Ainsi, en dépit d'une nette augmentation du nombre de places d'hébergement, le système reste embolisé et plus de la moitié des femmes et des familles ne sont pas mises à l'abri en dépit de leur appel au 115. Les travailleurs sociaux témoignent de situations inédites : alors qu'historiquement il y avait peu de femmes dans les rues, désormais il manque des places, y compris pour des femmes avec des enfants.

a) Des besoins non pourvus et des critères d'accès à l'hébergement excessivement restrictifs
(1) Un parc d'hébergement saturé, faute de solutions en aval

Le taux d'occupation du parc d'hébergement est supérieur à 90 % et atteint 98 % au sein du dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile (DNA) en juin 2024.

En Île-de-France, selon la Drihl, en 2022, le taux d'occupation des CHRS était de 96 % et celui des CHU de 90 %. Au 31 décembre 2022, 55 % des personnes hébergées en CHRS et 47 % de celles hébergées en CHU étaient hébergées depuis plus de dix-huit mois et respectivement 22 et 13 % des personnes hébergées dans ces structures l'étaient depuis plus de 48 mois. La durée moyenne d'hébergement à l'hôtel est quant à elle de presque trois ans selon le Samusocial de Paris.

En effet, de nombreuses personnes en situation irrégulière restent des années dans des structures d'hébergement faute de pouvoir accéder à un logement, en particulier dans le parc social, soumis à des conditions de régularité du séjour, à la différence de l'hébergement, fondé sur un principe d'accueil inconditionnel. Lors de son audition, Didier Leschi, directeur général de l'Ofii69(*), estimait que 60 % des personnes hébergées dans le parc généraliste sont en situation irrégulière. À l'heure actuelle, aucune perspective de sortie des dispositifs d'hébergement n'existe pour ces personnes, qui se retrouvent donc à occuper des places de façon prolongée et en limitent l'accès à de nouvelles personnes.

Certaines personnes en situation régulière demeurent également dans les structures d'hébergement faute de possibilité d'accéder à un logement abordable, que ce soit dans le parc privé ou dans le parc social. Ainsi que le déclarait Bénédicte Souben, chargée de mission « veille sociale » à la Croix-Rouge française devant la délégation70(*), « on ne peut pas affirmer avec certitude aujourd'hui combien de places d'hébergement seraient nécessaires si toutes les personnes hébergées et légalement éligibles à l'accès au logement pouvaient y accéder sans délai ».

Enfin, certaines personnes sont hébergées dans des structures qui ne correspondent pas à leur situation, limitant donc les possibilités d'accès à ces structures pour les personnes qui y sont éligibles. Dans le parc généraliste, début 2021, 7 % des personnes hébergées étaient des demandeurs d'asile71(*), qui devraient relever du DNA. De même, selon Didier Leschi, 12 % du parc du DNA est occupé par des personnes qui ont déjà le statut de réfugié, qui devraient donc relever d'autres dispositifs.

(2) Une « gestion au thermomètre » pas entièrement abandonnée

L'État affiche sa satisfaction d'avoir procédé à « la fin de la gestion au thermomètre, avancée majeure, qui apporte sécurité pour la prise en charge des personnes et visibilité pour les acteurs institutionnels et associatifs »72(*). Désormais les capacités d'hébergement sont notifiées pour l'ensemble de l'année.

Si l'on ne peut que se féliciter de la reconnaissance de ce principe, le ressenti des acteurs associatifs de terrain se révèle différent et beaucoup déplorent la poursuite d'une telle « gestion au thermomètre », qui conduit à ouvrir des places pendant les périodes de grand froid pour les refermer dès que la température remonte, alors même que les besoins subsistent.

Ainsi, Nathalie Latour de la FAS a dénoncé lors de son audition73(*) un problème de stop-and-go : « Nous refaisons à chaque fois le même scénario : une annonce de diminution de places par le Gouvernement puis un retour en arrière du fait des besoins importants, enfants à la rue notamment, et de la mobilisation des associations. En 2021, le Gouvernement a annoncé l'arrêt de la gestion au thermomètre en suivant une programmation pluriannuelle, force est de constater que nous y sommes revenus... Aujourd'hui, la gestion au thermomètre s'applique même pendant le plan Grand Froid : lorsqu'il fait - 2°C ou - 3°C, vous avez l'ouverture d'un gymnase, quand les températures remontent un peu, vous n'y avez plus accès. »

(3) Un taux élevé de demandes d'hébergement non pourvues

Selon des données communiquées par la Dihal74(*), le taux de demande non pourvue (DNP) a fortement augmenté au cours des dernières années, passant de 26 % en 2021 à 64 % depuis le début de l'année 2024. Cette augmentation de la proportion de demandes non pourvues a été particulièrement marquée pour les femmes, avec une augmentation de 168 % entre 2021 et 2024, contre 98 % pour les hommes.

Lors de l'hiver novembre 2023 à mars 2024, en moyenne chaque jour 5 833 personnes ayant formulé une demande d'hébergement d'urgence auprès du 115 n'obtenaient pas de place, soit un taux de demande non pourvue, en proportion du nombre de demandeurs au 115, de 61 %. Ce taux reste certes légèrement plus faible pour les femmes, mais représente désormais plus de la moitié des demandes formulées par des femmes : 54 % pour les femmes seules et 53 % pour les femmes avec enfant.

Le nombre de demandes non pourvues est très variable en fonction du département de demande et atteint en moyenne chaque jour 914 demandes à Paris (soit un taux de DNP de 77 %), 518 en Seine-Saint-Denis (81 %), et 453 dans le Nord (94 %)75(*).

Demandes d'hébergement non pourvues (DNP)

après un appel au 115, par département,

dans la nuit du 19 août 2024

Nombre de DNP

 

Taux de DNP

 

Source : cartes réalisées par la délégation aux droits des femmes à partir de données fournies par la Dihal

En juin 2024, lorsque les rapporteures se sont rendues au centre d'appel du 115 de Paris, le taux de DNP atteignait 80 % pour les femmes et 85 % pour les familles, et tous les jours entre 300 et 350 mineurs étaient laissés à la rue. Il est particulièrement complexe de trouver des places pour des compositions familiales de quatre personnes ou plus. Selon les écoutants sociaux, une dizaine de places pour des femmes sont libérées tous les matins, mais elles sont pourvues très rapidement, dès 7h du matin. Seules quatre places pour des femmes sont distribuées la nuit : deux pour des maraudes et deux pour des appels du 115.

De même, lorsque les rapporteures ont rencontré les membres d'Interlogement 93, opérateur du SIAO-115 en Seine-Saint-Denis, le 6 mai 2024, le taux de réponse aux demandes de mises à l'abri était de 5 %. Selon les travailleurs sociaux de l'Amicale du Nid 93, le délai d'attente pour accéder à un hébergement dans ce département, qui était de deux à trois mois il y a deux ans, atteint désormais six mois à un an.

Dans les Bouches-du-Rhône, selon des données communiquées par la préfecture76(*), le taux de demande non pourvue après un appel au 115 est de 63 % et le matin, lorsque les écoutants entament leur journée, seules cinq places d'hébergement sont disponibles pour être attribuées aux personnes qui appellent.

Par ailleurs, l'Observatoire des expulsions des lieux de vie informels estime que sur les 1 111 expulsions recensées en 2023, 85 % d'entre elles n'ont donné lieu à aucune solution d'hébergement ou de logement, en dépit de l'instruction relative à la résorption des campements illicites et des bidonvilles adressée aux préfets en 201877(*). En moyenne, 130 personnes vivaient sur les lieux de vie expulsés, avec une durée d'installation variant de un à cinq ans.

Enfin se pose la question des mineurs non accompagnés en attente de la décision d'un juge pour enfant quant à leur minorité. Selon Didier Leschi, environ 10 000 personnes par an arrivent en France en se présentant comme mineures. Parmi celles-ci, environ 3 000 sont reconnues mineures par l'Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) et donc prises en charge par l'Aide sociale à l'enfance (ASE). Les autres déposent le plus souvent un recours devant le juge pour enfant. Dans l'attente de la décision du juge, ces jeunes ne sont pas pris en charge par l'ASE, mais ne peuvent pas non plus être hébergés dans le parc d'hébergement via le 115 ni dans le DNA, ces dispositifs étant réservés aux majeurs ou aux familles, alors que ces jeunes ne peuvent être considérés comme majeurs. Ces jeunes sont donc sans solution de mise à l'abri parfois pendant plusieurs mois. Or, nombre d'entre eux sont par la suite reconnus mineurs par le juge pour enfants.

La création de solutions temporaires de mise à l'abri à proposer à ces jeunes, pendant la période d'attente de la décision du juge pour enfants quant à leur minorité, semble indispensable, alors même que les adultes bénéficient, quant à eux, du principe d'hébergement inconditionnel - dont on connaît les limites faute d'un nombre suffisant de places d'hébergement.

(4) Les critères de vulnérabilité : une priorisation devenue une condition d'accès

Le code de l'action sociale et des familles et la jurisprudence du Conseil d'État prévoient une prise en compte de la vulnérabilité sociale, médicale et psychologique pour la prise en charge des personnes faisant appel au 115. Il fait ainsi partie du rôle des écoutants du 115 d'analyser cette vulnérabilité, en tenant compte de l'âge de l'enfant, de l'isolement, de l'état de santé et de la détresse exprimée.

Cependant, la pénurie d'hébergements d'urgence a conduit à la création de critères de vulnérabilité, voire de « sur-vulnérabilité », de plus en plus restrictifs, en particulier en Île-de-France.

Selon certains interlocuteurs rencontrés par les rapporteures, il semble que la fixation, depuis juillet 2023, de cibles de nombre de places à ne pas dépasser, assignées à chaque préfecture de région avant une répartition interdépartementale, ait également joué un rôle dans la mise en place de tels critères. Ainsi, la préfecture des Bouches-du-Rhône a reçu un objectif de 6 528 places d'hébergement à ne pas dépasser, qui a conduit à la fermeture de places et empêché de répondre à toutes les demandes de mises à l'abri. De même, des représentants d'Interlogement 93 ont indiqué aux rapporteures avoir reçu pour consigne de réduire de 2 000 le nombre de nuitées hôtelières en Seine-Saint-Denis entre 2023 et 2024, soit les deux tiers de l'objectif francilien de réduction de ces nuitées.

Marc Guillaume, préfet d'Île-de-France a défendu devant la délégation les objectifs de la grille de priorisation qui vise à garantir une prise en charge prioritaire des publics les plus vulnérables, afin que leur mise en sécurité immédiate intervienne avant les autres.

Selon la préfecture d'Île-de-France78(*), « dans un contexte où le nombre de places disponibles est largement inférieur aux demandes d'hébergement d'urgence adressées au 115, il est nécessaire de procéder à une priorisation des demandes. Ces critères ne visent pas à exclure un certain type de public de la prise en charge, mais à positionner et traiter en priorité les situations jugées les plus vulnérables ». Il s'agit de « repères régionaux, constituant une aide à la décision pour les écoutants du 115 ».

Ces critères de vulnérabilité ont évolué au fur et à mesure de l'évolution des capacités d'accueil des personnes au sein du parc d'hébergement et sont aujourd'hui les suivants en Île-de-France :

Critères de priorisation pour le traitement des demandes d'hébergement d'urgence adressées au SIAO/115 en Île-de-France

* Les mères isolées avec un enfant de moins de 3 ans et les femmes enceintes de plus de 6 mois relèvent de la compétence du conseil départemental. Le SIAO/115 prend en charge ces publics dans le cas où le conseil départemental n'a pas été en mesure de le faire.

Source : Préfet de la région Île-de-France et Direction régionale et interdépartementale de l'hébergement et du logement, cadre unifié d'intervention des SIAO et de suivi de leur activité en Île-de France, décembre 2023.

Cependant ce qui ne devait être qu'une priorité dans la prise en charge est aujourd'hui devenu une condition d'accès à part entière et même les personnes répondant aux critères de vulnérabilité n'obtiennent pas toujours une mise à l'abri.

Selon Clélia Gasquet-Blanchard, directrice du réseau de périnatalité Solipam, qui a vu sa file active de femmes enceintes et jeunes mères passer de 172 à 727 entre 2019 et 2023, les critères de priorisation font qu'avant sept mois de grossesse il n'est pas possible de proposer de solution aux femmes et après les trois mois du nourrisson, des familles sont remises à la rue. Certaines femmes suivies par le réseau ont connu jusqu'à quarante situations d'hébergement au cours de leur grossesse.

Ces critères conduisent également à séparer des familles, au mépris du principe de maintien de l'unité familiale.

Les travailleurs sociaux de La Mie de pain rencontrés par les rapporteures79(*), sollicités en 2023 pour prendre en charge des familles sans papiers expulsées d'un squat, ont relaté leur désarroi face aux séparations qui ont alors été imposées aux familles : « seules les mères et jeunes enfants répondant aux critères de vulnérabilité ont pu être hébergés en Île-de-France et les pères n'ont pu être admis dans les mêmes structures que le reste de la famille. Des solutions ont pu être proposées en province, mais en ne tenant pas compte du fait que les hommes avaient parfois un travail en Île-de-France. ».

Lors de leurs échanges avec les équipes de structures d'hébergement d'urgence comme avec celles du 115, les rapporteures ont été marquées par l'attachement des travailleurs et écoutants sociaux au principe de l'inconditionnalité de l'accueil. Or ces travailleurs sont trop souvent confrontés à une négation de ce principe, faute de places disponibles.

Les équipes d'Interlogement 93, opérateur du 115 en Seine-Saint-Denis, ont ainsi dénoncé auprès des rapporteures la mise en place de critères de vulnérabilité dont ils estiment qu'ils les éloignent de leur mission d'accueil inconditionnel. En outre, si la priorité accordée aux femmes victimes de violences répond à la nécessité impérieuse de mettre à l'abri des femmes en danger immédiat, cette priorité a conduit à délaisser d'autres publics, y compris des femmes et des bébés.

Les écoutants sociaux du Samusocial de Paris rencontrés par les rapporteures ont témoigné de davantage d'ambivalence face aux critères de priorisation qui leur sont imposés, déclarant ainsi : « Le 115 fait de la priorisation car les moyens qu'on lui donne sont limités et il faut a minima que nous remplissions notre mission de base de mettre à l'abri les plus vulnérables » ou encore « Le critère des sept mois de grossesse pour accorder une priorité est indéfendable, le problème c'est qu'il faut bien mettre à l'abri la personne la plus vulnérable. »

Lors de son audition, Vanessa Benoit, directrice générale du Samusocial de Paris, estimait que les priorisations peuvent se comprendre « dans le sens où cela permet à certaines personnes d'être servies avant d'autres : il est normal qu'une femme enceinte soit servie en priorité ». Cependant, « aujourd'hui, les critères ne relèvent plus de la priorisation, mais du service tout court », du droit d'accès à un hébergement, censé être inconditionnel.

Elle ajoutait : « Les critères deviennent de plus en plus restreints. Si tout le monde comprend qu'une femme enceinte soit prioritaire, il est compliqué de comprendre pourquoi elle ne le serait qu'à partir de sept mois de grossesse. Je pense également qu'on pourrait considérer qu'un enfant est prioritaire, peu importe son âge. »

De fait, la délégation entend faire sienne cette formule de Sophie Rigard, chargée de projet action et plaidoyer « Accès digne aux revenus » au Secours catholique : « être un enfant est une preuve de vulnérabilité qui n'a pas à être démontrée ».

Plusieurs recours ont été formés par des associations ainsi que par des personnes sans domicile à l'encontre de ces critères de vulnérabilité.

En février 2024, le tribunal administratif de Toulouse a annulé une vingtaine de décisions individuelles par lesquelles le préfet de la Haute-Garonne avait prononcé la fin de mise à l'abri au titre de l'hébergement d'urgence de personnes seules ou de familles. Il a rappelé l'inconditionnalité dans l'accès et le maintien dans l'hébergement et estimé qu'il n'avait pas à prendre en compte l'irrégularité du séjour des intéressés, ni la circonstance que le dispositif d'hébergement d'urgence soit saturé en Haute-Garonne. Il a alors pu enjoindre, dans certains cas, au préfet de reloger les personnes devant bénéficier du droit à l'hébergement d'urgence.

Alors que seule la nécessaire gestion de la pénurie de places d'hébergement justifie la mise en place de critères de priorisation, la sortie de cette impasse doit passer par la création de places supplémentaires, comme précédemment évoqué.

(5) Un accès parfois difficile aux places dédiées aux victimes de violences intrafamiliales (VIF)

Si la mise à l'abri des femmes victimes de violences intrafamiliales (VIF) semble désormais fonctionner de façon assez efficace, l'accès aux places dédiées VIF n'est pas toujours aisé.

En effet, cet accès est souvent conditionné à certains critères, tel le dépôt d'une plainte. Or les femmes ne sont pas toujours prêtes à porter plainte au moment où une mise à l'abri est nécessaire.

Bénédicte Souben, chargée de mission « veille sociale » à la Croix-Rouge française a ainsi cité l'exemple de « certaines places à destination des femmes victimes de violence, pour lesquelles une multiplicité de critères, parfois cumulatifs, est établie en fonction de l'auteur des violences, des démarches déjà engagées, du délai écoulé depuis les violences. [...] On se retrouve donc avec une place vide. »

b) La nécessité d'une prise en charge inconditionnelle, rapide et continue
(1) Garantir un nombre de places d'hébergement à la hauteur des besoins

L'augmentation du nombre de places disponibles est un préalable indispensable pour que l'État respecte le principe de mise à l'abri inconditionnelle. Pour cela, deux solutions sont possibles : soit libérer des places, en permettant aux personnes hébergées d'accéder à un logement, soit créer de nouvelles places.

Les associations évoquent 10 à 20 000 places d'hébergement d'urgence supplémentaires nécessaires.

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, les sénateurs avaient adopté un amendement augmentant de 48 millions d'euros le financement de l'hébergement d'urgence, afin de financer 6 000 places supplémentaires. Cet amendement n'avait cependant pas été repris dans le texte final.

En janvier 2024, Patrice Vegriete, ministre délégué au logement, avait annoncé un financement supplémentaire de 120 millions d'euros pour l'hébergement d'urgence, qui devaient notamment correspondre à la création de 10 000 places supplémentaires. Cependant, aucun élément ne permet à l'heure actuelle de confirmer la création de ces places.

Des places supplémentaires sont également nécessaires dans les établissements mères-enfants. Le Secours catholique évalue à 15 000 le nombre de places supplémentaires nécessaires sur ce type d'établissement.

Enfin, les femmes avec des troubles psychiatriques doivent être orientées vers le bon type de structures : elles ne relèvent souvent pas de CHRS, mais de centres médico-sociaux ou de programmes dédiés, tel le programme Un chez soi d'abord.

Au-delà de la création de places pérennes, d'autres solutions doivent être davantage explorées.

En particulier, l'habitat intercalaire permet de disposer de places d'hébergement pendant quelques années. Certes, il s'agit de solutions temporaires, mais pour reprendre les mots d'un membre de l'association Just de Marseille « c'est déjà ça d'avoir des hébergements pendant trois ans et quand il faut libérer les lieux, d'autres sites sont alors disponibles. »80(*) En outre, l'objectif est bien que l'hébergement d'urgence soit une solution d'urgence et que les personnes qui y sont accueillies puissent accéder, dès que possible, à un logement abordable.

À Marseille, les Régisseurs sociaux montent des projets innovants permettant de faire de l'hébergement intercalaire pendant trois à cinq ans.

Ainsi, un consortium de neuf associations a investi, grâce à une convention signée avec la ville de Marseille, une ancienne auberge de jeunesse délaissée à la suite de la période covid, transformée en lieu d'hébergement pour 70 personnes : l'Auberge marseillaise. 32 femmes et 32 enfants y sont actuellement accueillis. Devant le succès de l'expérience, la convention entre la ville et les associations a pu être prolongée jusqu'en décembre 2025.

L'Auberge marseillaise

L'Auberge marseillaise occupe les locaux de l'ancienne Auberge de Jeunesse Bonneveine, dans les quartiers sud de Marseille.

Le projet a été lancé en mars 2021, dans le cadre d'une coopération entre des associations impliquées localement dans la lutte contre la précarité, avec le soutien de la Ville de Marseille et de l'État. Neuf associations portent aujourd'hui ce projet : Just, Nouvelle Aube, Yes We Camp, Marseille Solutions, SOS Femmes 13, H.A.S, l'Amicale du Nid, la Ligue de l'enseignement et le Paysan Urbain.

Cette expérimentation vise à construire un lieu de vie participatif pour des femmes et enfants en situation de grande précarité, en alternative aux hôtels sociaux et aux centres d'hébergement d'urgence.

Le site propose 70 places d'hébergement pour des femmes avec ou sans enfants. L'accueil y est inconditionnel et sa durée s'adapte aux besoins et aux temporalités de rétablissement des personnes. Entre 2021 et 2023, 170 personnes ont été accueillies.

Ces personnes ont été orientées par différentes associations ou par le 115, et pour un quart d'entre elles par l'Amicale du Nid.

Une équipe pluridisciplinaire assure l'accès aux besoins primaires (sécurité, eau, hygiène, hébergement, alimentation) et l'initiation de parcours d'accès aux droits, à la santé (ouverture des droits, bilan santé, orientation et accompagnement aux soins, accompagnement psychologique des personnes ayant vécu des violences...), à l'insertion et au logement.

Tous les enfants sont scolarisés et bénéficient d'un soutien à la scolarité (inscriptions, assurance scolaire, achat de fournitures, médiation-accompagnement, aide aux devoirs...). Un centre de loisirs est ouvert tous les mercredis et tous les jours durant les vacances scolaires.

L'Auberge marseillaise est dotée d'une cuisine professionnelle de 70m2. Deux co-cheffes et deux commis assurent l'accès à l'alimentation des résidentes en garantissant trois repas par jour et la mise à disposition de l'espace aux résidentes qui peuvent cuisiner en autonomie ou accompagnées. Un projet « Traiteur solidaire » permet aux femmes intéressées par les métiers de la cuisine d'entamer une démarche d'insertion par la cuisine et de livrer des prestations extérieures, qui leur assurent un revenu complémentaire.

Un jardin thérapeutique permet également de mener des actions de médiation.

De même, la SNCF, via sa filière ICF Habitat, met à disposition des hébergements dans des bâtiments qui ont vocation à être restructurés. Ainsi, à Lyon, l'ancien centre de formation de SNCF Réseau a été mis à la disposition de deux associations pour la création d'un centre d'hébergement d'urgence d'environ 160 places pendant le temps des études de projets. En Île-de-France, depuis 2009, 1 140 chambres ou logements sont mis à la disposition de six associations par ICF Habitat La Sablière.

Au-delà de tels projets de création de places d'hébergement, qu'elles soient transitoires ou pérennes, la délégation estime que la réflexion autour du nombre de places doit intégrer la question des sorties du parc d'hébergement d'urgence, autre levier de résorption de l'embolie actuelle. En effet, si la création de places supplémentaires semble nécessaire à court terme, le maintien à un plus haut niveau historique du parc d'hébergement est aussi le symptôme de l'incapacité de l'État à trouver des solutions de sortie pour les personnes actuellement hébergées.

(2) Assurer une prise en charge rapide, avant toute dégradation de la situation

Tous les acteurs associatifs rencontrés par les rapporteures ont insisté sur la nécessité de prendre en charge les personnes dès qu'elles arrivent à la rue, pour ne pas laisser la situation se dégrader. En effet, chaque jour passé à la rue aggrave la situation et expose les femmes aux violences et aux risques d'exploitation et de prostitution. En outre, pour reprendre les mots de Bénédicte Maraval, assistante sociale référente au de la Comede, « l'hébergement fait partie du soin et participe à la bonne santé des adultes comme des enfants ».

Face à l'impossibilité actuelle de proposer une solution à chaque personne, de nombreux acteurs associatifs entendus par la délégation invitent à gérer d'abord « le flux » et à accepter qu'il y ait « un stock » qu'il faudra gérer ensuite.

Aujourd'hui, la priorité est davantage donnée aux personnes qui sont à la rue depuis longtemps alors que les personnes nouvellement à la rue sont laissées sans solution.

Or, une personne qui appelle le 115 et à laquelle il n'est pas proposé de solution risque de développer une défiance vis-à-vis des services sociaux et de ne pas renouveler son appel. Les travailleurs sociaux de Médecins du monde en Seine-Saint-Denis ont ainsi témoigné auprès des rapporteures de la difficulté à créer du lien avec une femme accueillie et à développer un accompagnement social lorsqu'aucune solution ne peut être proposée ensuite, en premier lieu un hébergement.

Dans les Bouches-du-Rhône, la préfecture a indiqué privilégier, pour la mise à l'abri de femmes victimes de violences, la notion de « phase critique » plutôt que la définition de critères de vulnérabilité trop rigides : l'objectif est d'intervenir au bon moment, afin de protéger les femmes en danger, avant que leur situation ne se dégrade.

Par ailleurs, des associations de terrain rencontrées par les rapporteures, notamment à Marseille, ont déploré l'absence de solution « coupe file » auprès du 115 : elles appellent le même numéro que les personnes sans abri et ne peuvent donc appuyer certaines demandes en signalant leur particulière vulnérabilité.

Certains Samu sociaux ont néanmoins des contacts plus directs avec les associations qui effectuent des maraudes et accompagnent les personnes sans abri, et peuvent donc relayer des situations de vulnérabilité qu'elles ont identifiées.

Le Samusocial de Paris dispose notamment d'une ligne partenaire dédiée aux associations avec lesquelles il collabore et reçoit des signalements directs de la part de maraudes mais aussi des mairies d'arrondissement. Ainsi, en 2023, 2 000 signalements ont été remontés au Samusocial de Paris via des partenaires et, au-delà de mises à l'abri, 107 personnes ont pu être orientées vers des hébergements pérennes. Enfin, 95 % des 45 000 places régulées par le Samusocial de Paris sont attribuées via le pôle habitat du SIAO, qui travaille sur la base d'évaluation de personnes à la rue par des travailleurs sociaux de différentes structures parisiennes, les personnes accompagnées par ces travailleurs n'appelant pas forcément le 115.

La délégation encourage les contacts directs entre les gestionnaires du 115 et les associations de terrain reconnues et appelle à systématiser l'existence d'un numéro « coupe file » au 115 pour ces associations.

Enfin, la délégation soutient le plan de modernisation du 115, actuellement mené par la Dihal, qui doit notamment permettre d'étendre la durée de validité de la demande d'hébergement d'urgence, afin que les appelants n'aient pas à appeler chaque jour pour voir leur situation prise en compte.

(3) Maintenir une continuité dans la prise en charge

Au-delà de la question de l'accès à l'hébergement, se pose la question de la continuité de celui-ci. En effet, toutes les places d'hébergement ne sont pas comparables.

À Paris, les places d'hébergement d'urgence proposées par le 115 sont octroyées pour une semaine, avec des possibilités de renouvellement jusqu'à un mois. Pour les écoutants sociaux rencontrés par les rapporteures, cela représente néanmoins un progrès : auparavant, le délai minimal n'était que de trois jours. Cependant, certaines places de mises à l'abri ne sont octroyées que pour une nuit et, en raison de la saturation, ces places à la nuit ne sont accordées qu'une fois par semaine.

En outre, les places pérennes, assurant une certaine continuité de prise en charge, doivent être distinguées des places non pérennes, notamment dans des haltes de nuit ou des gymnases, qui ne sont souvent ouvertes que pendant les périodes de grand froid ou de forte chaleur.

Si certaines structures s'engagent à ne pas remettre à la rue les personnes tant qu'aucune solution pérenne ne leur est proposée, la plupart sont contraintes de remettre des personnes à la rue faute de place ou pour permettre à d'autres personnes d'accéder à un hébergement.

Nathalie Latour de la FAS a dénoncé cette absence de continuité lors de son audition81(*) : « en raison d'un manque criant de places, on laisse des personnes à la rue profiter d'un accès à un hébergement pendant trois ou quatre jours, après lesquels ces personnes sont considérées comme moins vulnérables qu'une autre famille. C'est le jeu des chaises musicales. »

Lors de son audition82(*), Bénédicte Maraval, assistante sociale référente au Comede a évoqué la situation d'une jeune mère, seule avec son bébé, qui a, au cours de l'année 2024, enchaîné des prises en charge de quelques nuits dans différents hôtels sociaux, dans plusieurs départements d'Île-de-France. Cette jeune femme a ainsi dû parcourir des dizaines de kilomètres en RER et à pied avec son bébé, pour se rendre d'un hôtel à l'autre. Le nombre de nuits de prise en charge était généralement limité à sept jours, avec parfois des prolongations, à chaque fois pour une période maximale d'une semaine, n'apportant à cette femme aucune stabilité et aucune prévisibilité quant à sa situation. La carte suivante retrace ses différents lieux d'hébergement, tandis que le graphique recense le nombre de nuitées successives par hôtel, mais aussi les vingt-six nuits que cette femme et son bébé ont passé dans la rue, faute de solution d'hébergement.

Dispersion territoriale et temporelle des hébergements

proposés à une jeune mère et son bébé, au cours de l'année 2024

Source : Comede

Dès lors, la délégation préconise une prise en charge minimale d'un mois pour les femmes et les familles, afin de leur permettre de se poser, de prendre un temps de repos et d'entamer des démarches administratives. En effet, lorsqu'il faut rechercher chaque jour ou chaque semaine une place d'hébergement, sans aucune visibilité, les personnes ne parviennent pas à se projeter et à accomplir les démarches administratives nécessaires à une régularisation ou à un parcours vers le logement.

Cependant, une fois encore, en l'absence d'un nombre suffisant de places, l'application de ce principe de continuité dans la prise en charge suppose de faire des choix et de laisser à la rue plus longtemps les personnes pour lesquelles aucune solution d'hébergement n'est disponible.

Recommandation n° 3 : Dans l'attente d'une offre de logements abordables suffisante et afin d'assurer une mise à l'abri immédiate et une prise en charge minimale d'un mois pour les femmes et les familles, créer 10 000 places d'hébergement supplémentaires, en mobilisant notamment l'habitat intercalaire.

3. Des hébergements à adapter aux femmes et aux familles

Au-delà de la question du nombre de places d'hébergement, se pose la question du type d'hébergement proposé. En effet, les hébergements ne sont pas toujours adaptés au public spécifique que constituent les femmes et les familles. La délégation plaide pour une transformation qualitative de l'offre d'hébergement, afin de mieux l'adapter à ce public.

a) Privilégier des structures d'accueil non mixtes pour les femmes isolées

Selon des données communiquées par la Dihal83(*), parmi les structures en regroupé, qui représentent la moitié du parc - le reste étant en diffus -, 17 % des places des CHRS, soit environ 4 300 places, et 12 % des places en CHU, soit environ 4 900 places, sont non mixtes.

Or, 40 % des femmes interrogées dans le cadre du rapport d'audit du projet Un Abri Pour Toutes, hébergées dans des centres d'hébergement d'urgence mixtes, indiquent qu'elles souhaiteraient être hébergées dans un centre non mixte.

Lors d'une visite des rapporteures dans un foyer d'accueil de l'association La Mie de pain, les travailleurs sociaux ont souligné la nécessité de proposer des foyers non mixtes aux femmes isolées sans abri qui ont souvent une vision dégradée des hommes en raison des violences physiques et sexuelles qu'elles ont subies.

En premier hébergement et dans les situations d'urgence, un hébergement non mixte doit pouvoir être proposé. De même, des lieux ou des moments non mixtes doivent être proposés pour l'accueil de jour, les bains-douches ou encore la distribution des repas.

b) Penser l'organisation des espaces et des temps dans les lieux d'accueil mixtes

Dans le cadre du projet Un Abri pour Toutes précédemment évoqué, la Fédération des acteurs de la solidarité et la Fondation des femmes ont formulé plusieurs préconisations afin de construire et aménager les centres d'hébergement en prenant en compte le genre et l'organisation de la mixité, en particulier :

- rendre obligatoire la prise en compte des inégalités de genre dans les cahiers des charges liés à la création de structures d'hébergement ou à l'ouverture de places d'hébergement en mixité, tant sur la construction des centres que le projet social ;

- prévoir systématiquement une aile femmes ou femmes et familles sécurisée avec un espace collectif ;

- privilégier des sanitaires et salles de bain individuelles ou, a minima, réservées aux femmes et situées à proximité de leurs chambres, pour qu'elles n'aient pas à traverser des espaces occupés par des hommes pour s'y rendre, notamment la nuit ;

- penser les implantations et les accès aux centres de manière à ce qu'ils soient sécurisants (à proximité de transports en commun, éclairage, environnement sécurisant...).

c) Adapter les hébergements proposés aux familles, en préservant l'unité familiale

Le parc d'hébergement ne comporte pas aujourd'hui suffisamment de places adaptées à la diversité des compositions familiales, en particulier lorsqu'il y a plus de deux enfants ou lorsque les enfants sont très jeunes. Plus la famille est grande, plus il est difficile d'accéder à un hébergement.

Aujourd'hui, les familles sont majoritairement orientées vers des hôtels sociaux. Ainsi, selon la Fédération des acteurs de la solidarité, en août 2024, 28 659 enfants étaient hébergés en hôtel social. Selon l'Unicef84(*), les familles passent en moyenne trente-sept mois dans les hôtels sociaux et neuf enfants naissent chaque jour au sein de familles hébergées dans le parc social d'Île-de-France.

Or, les conditions d'hébergement dans les hôtels sociaux ne sont souvent pas adaptées aux familles : chambres exiguës, manque d'intimité, absence de cuisine, absence de machines à laver...

De nombreux interlocuteurs, à commencer par le Samusocial de Paris, plaident donc pour remplacer les nuitées hôtelières par des places d'hébergement pérennes.

Ce mouvement est déjà engagé dans certains départements. Ainsi selon le préfet à l'égalité des chances des Bouches-du-Rhône, dans ce département, alors que 80 % des personnes hébergées dans des hôtels sociaux sont des femmes et des familles, 1 000 nouvelles places pérennes en CHRS ont remplacé des nuitées hôtelières.

Si le prix moyen de la nuitée hôtelière est de 18 euros contre 35 euros pour une place d'hébergement d'urgence, cette dernière est associée à un accompagnement qui doit permettre aux personnes concernées de sortir de l'hébergement d'urgence pour accéder à un logement.

Par ailleurs, le principe légal de maintien de l'unité familiale n'est pas toujours respecté dans les orientations vers l'hébergement d'urgence.

Sophie Rigard, chargée de projet « Accès digne aux revenus » au Secours catholique, témoignait ainsi devant la délégation85(*) : « Des mères d'enfants en très bas âge pourraient accéder à un hébergement, mais leurs enfants plus âgés n'y sont pas acceptés, et des pères doivent dormir à la rue pour laisser leur femme et leurs enfants accéder à une place. »

Il est également compliqué pour une femme d'être hébergée avec un enfant tout juste majeur.

Enfin, selon des acteurs associatifs rencontrés, certaines femmes préfèrent rester à la rue plutôt que de vivre dans des chambres à deux voire quatre personnes, avec des conditions très strictes qui les empêchent de travailler en horaires décalés ou de recevoir leurs enfants.

La délégation plaide pour un redéploiement des moyens budgétaires alloués à l'hébergement, à travers une transformation de nuitées hôtelières en places d'hébergement adaptées aux familles. Si ce mouvement de transformation a commencé à s'engager sur certains territoires, il doit aujourd'hui s'accélérer.

d) Engager un effort de rénovation et d'humanisation des structures

Alors que certains hébergements sont indignes, un net effort de rénovation et d'humanisation des structures doit être enclenché.

Le terme « hôtel » n'est pas approprié pour désigner les lieux dans lesquels de nombreuses personnes sont hébergées, faute de places dans les structures d'hébergement type CHRS. Selon les témoignages recueillis par les rapporteures, certains hôtels sociaux sont dans des états d'insalubrité marquée, avec des punaises de lits.

En outre, d'après certains témoignages, notamment de personnes sans domicile rencontrées à Marseille, certains hôtels se font payer à la fois par l'État, qui finance la nuitée hôtelière, et par la personne accueillie, dont il est exigé un paiement supplémentaire si elle souhaite une chambre seule ou en meilleur état que les autres.

Si les haltes permettent d'apporter des solutions rapides à des femmes sans abri, ces dispositifs ne sont cependant pas adaptés à un accueil pérenne. Ainsi, dans certaines haltes, les femmes n'ont pas accès à des lits, mais uniquement à des fauteuils, n'ont pas de lieu pour cuisiner ni d'endroit fermé pour ranger leurs affaires.

Il paraît également indispensable de créer des places pour les personnes à mobilité réduite (PMR), aujourd'hui quasiment inexistantes tant en centre d'hébergement qu'à l'hôtel.

Par ailleurs, l'humanisation des structures doit également se traduire par la garantie d'un accompagnement de qualité. Cela doit notamment passer par une sensibilisation de l'ensemble des professionnels des centres d'hébergement à la gestion des situations de violences liées au genre qui peuvent survenir dans les établissements et plus globalement au repérage et à la prise en charge des violences sexistes et sexistes.

Enfin, si les hébergements en diffus peuvent être plus qualitatifs, ils exigent davantage de moyens que les hébergements collectifs pour assurer un accompagnement des personnes.

Recommandation n° 4 : Améliorer la qualité de l'offre d'hébergement, en transformant des nuitées hôtelières en places pérennes et en développent les places adaptées aux femmes et aux familles, avec en particulier :

- davantage de places non mixtes pour les femmes isolées ;

- des places adaptées à toutes les configurations familiales, préservant l'unité familiale ;

- des lieux permettant de cuisiner, de disposer d'une intimité et d'accueillir des enfants.

4. Des orientations vers d'autres territoires à mieux accompagner

Alors que la moitié des personnes sans domicile vivent aujourd'hui en Île-de-France, la répartition territoriale de l'offre d'hébergement et d'accompagnement, sur l'ensemble du territoire hexagonal, mais également au sein de l'Île-de-France, doit être interrogée, afin d'organiser une meilleure solidarité nationale et territoriale et d'orienter les personnes concernées vers des zones moins tendues et avec des besoins d'emplois identifiés.

Répartition territoriale du parc d'hébergement généraliste,
nuitées hôtelières inclues, en juin 2024

Source : carte réalisée par la délégation aux droits des femmes à partir de données fournies par la Dihal,

parc d'hébergement au 30 juin 2024.

a) Renforcer l'accompagnement des personnes orientées hors de l'Île-de-France

Selon des données communiquées par Didier Leschi, directeur général de l'Ofii, 20 % des places du DNA sont situées dans des départements de moins de 500 000 habitants et l'Ofii oriente 2 000 personnes par mois vers l'ensemble des régions de France, afin de désengorger la région parisienne.

Bénédicte Maraval, assistante sociale référente au Comede témoignait ainsi devant la délégation86(*) « depuis deux-trois ans, les personnes qui arrivent en Île-de-France pour une demande d'asile se voient de plus en plus proposer un hébergement en région. Si on explique le dispositif à ces personnes, elles y vont, mais leur expliquer prend du temps ».

En outre, face à la saturation du parc d'hébergement en Île-de-France, dix structures d'accueil, dites « sas régionaux », de 50 places ont été créées en 2023. Les personnes orientées sont prises en charge pour une durée de trois semaines et bénéficient pendant cette période d'un accompagnement social et sanitaire, ainsi que d'un examen de premier niveau pour déterminer leur statut administratif.

Selon la préfecture de Paris, au cours de l'année 2023, 6 000 personnes se sont vu proposer une orientation vers des départements de province et 3 400 l'ont acceptée.

Selon la Dihal, en sortie de dispositifs, 41 % des personnes ont été orientées vers le DNA et 41 % vers l'hébergement d'urgence.

La Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) avait trouvé intéressants ces projets de sas, sous réserve que cela repose sur une construction collective entre l'État, les collectivités territoriales d'arrivée et les associations, au départ comme à l'arrivé, et sur la libre acceptation des personnes concernées, et que cela s'accompagne de la création de places d'hébergements et de logements supplémentaires en province.

Cependant, ce dispositif a posé un souci de continuité de la prise en charge, à l'issue des trois semaines du sas. Au printemps 2024, Nathalie Latour, directrice générale de la FAS, déclarait ainsi devant la délégation87(*) : « le dispositif tient ses promesses, mais lorsque les personnes sortent de la rue, pour combien de temps le font-elles ? Nous identifions ici un enjeu, puisque nous n'avons pas d'information sur la continuité de la prise en charge de 50 % de ces individus. »

En septembre 2024, Emmanuel Bougras, responsable du service Analyse des politiques publiques de la FAS88(*), a pu dresser un bilan relativement encourageant de ces sas, vers lesquels ont été orientées 5 400 personnes, dont un tiers étaient en famille. Selon les chiffres communiqués par la FAS, à l'issue des trois semaines de prise en charge, 36 % des personnes ont été orientées vers le DNA, 46 % ont été accueillis dans des centres d'hébergement généraliste, 12 % sont partis et peut-être revenus à Paris, et 6 % ont accédé à un logement. Pour reprendre ses termes « 6 % c'est certes peu, mais c'est une victoire collective : plus de 300 personnes sans abri ont obtenu un logement en l'espace de trois semaines ».

D'autres interlocuteurs se sont montrés plus critiques. Ainsi Francesca Morassut, coordinatrice d'Utopia 56, a déploré les ruptures d'accompagnement causées par les envois en sas régionaux ainsi que de mauvaises orientations vers le DNA de personnes ne correspondant pas à ce dispositif.

Partant, alors que ces sas semblent relativement concluants, il convient de renforcer l'accompagnement des personnes concernées, afin de s'assurer de leur bonne compréhension et acceptation du dispositif, mais aussi de garantir une continuité dans la prise en charge.

b) Assurer une meilleure répartition de l'offre d'hébergement au sein des régions

Au sein même des régions et notamment de la région francilienne, l'équipement en places d'hébergement est nettement déséquilibré aujourd'hui. Ainsi, selon des données de la préfecture d'Île-de-France89(*), le nombre de places d'hébergement du parc généraliste s'élève en 2024 à 38 993 places à Paris et 18 951 en Seine-Saint-Denis, contre 4 à 9 000 dans les autres départements franciliens.

Déséquilibre territorial (à l'échelle des EPCI et EPT) de l'offre d'hébergement généraliste, pour demandeurs d'asile, réfugiés et de l'offre en logement adapté et intermédiation locative en Île-de-France au 31 décembre 2023

Lecture : le taux d'équipement d'hébergement, logement adapté et intermédiation locative dans les intercommunalités colorées en rouge est quatre fois inférieur à la moyenne régionale de 18,89 places pour 1 000 habitants.

Source : DRIHL - SHLA 2023, réalisation Caroline Nguyen

Une meilleure répartition territoriale de l'offre d'hébergement semble donc indispensable.

Pour autant, l'ancrage territorial des familles et leurs souhaits ne sauraient être occultés. Les personnes concernées ont souvent un réseau de soutien, des habitudes, des lieux ressources identifiés, voire un travail, qui rend difficile le départ vers un autre territoire.

Dans une contribution adressée à la délégation, les Départements de France relèvent ainsi que, sur le territoire de la Collectivité européenne d'Alsace, « la majorité des mères seules avec enfants souhaitent rester à Strasbourg, même si cela signifie rester sans abri, plutôt que d'accepter un hébergement en dehors de la ville. L'hébergement en milieu moins urbain, voire rural, ne tient pas sur le long terme, les femmes demandant à vivre à Strasbourg. Cette préférence s'explique par le fait qu'il existe un panel plus important d'aides pour les femmes en situation irrégulière (lieux de socialisation, centres culturels, lieux d'accueil parents-enfants, services périscolaires, les cantines, et activités extrascolaires) ».

En outre, l'orientation vers d'autres départements suppose que les collectivités d'arrivée soient associées et que les solutions proposées soient durables. En effet, selon Raphaël Vulliez, porte-parole du collectif Jamais sans toit90(*), alors que certaines familles ont été orientées vers des départements limitrophes de l'agglomération lyonnaise, elles se sont retrouvées à la rue après la trêve hivernale.

Tout redéploiement des places d'hébergement sur le territoire national devra donc s'accompagner d'un travail d'accompagnement des personnes hébergées, mais également d'une coordination entre l'État, les collectivités et les associations, afin que les personnes concernées puissent trouver de nouveaux lieux ressources dans les territoires vers lesquelles elles sont orientées.

En outre, au-delà de ces orientations vers d'autres hébergements et plus globalement des réflexions autour du nombre de places d'hébergement nécessaires, il convient de se poser la question de l'accès au logement.

En effet, le parc d'hébergement serait suffisant s'il ne servait vraiment qu'aux situations d'urgence et qu'il constituait une solution temporaire, de quelques mois, pour les personnes en difficulté, dans une optique de transition vers une réinsertion sociale. Or, faute de suffisamment de logements abordables disponibles, dans le parc privé comme dans le parc social, des personnes restent bloquées dans l'hébergement parfois pendant des années. En dépit de la volonté d'orienter la lutte contre le sans-abrisme vers l'accès au logement, via le plan Logement d'abord, la logique de l'escalier, qui impose de gravir les marches de la rue au logement, demeure.

B. METTRE FIN À LA LOGIQUE DE L'ESCALIER ET FACILITER L'ACCÈS AU LOGEMENT POUR SORTIR DE L'EMBOLIE

Les rapporteures s'accordent sur le constat que l'hébergement ne peut constituer qu'une solution imparfaite : d'ailleurs, la quasi-totalité des personnes sans domicile interrogées souhaite en première intention accéder à un logement.

Pourtant, pour reprendre l'expression de la chercheure Marie Loison-Leruste, entendue91(*) par la délégation, « la logique de la prise en charge est celle de l'escalier : on monte progressivement les marches de la rue au logement, avec tous les plafonds de verre qui s'imposent aux femmes comme aux hommes », en passant par l'hébergement d'urgence, puis le logement intermédiaire, avant de se voir, éventuellement, proposer un logement social.

Entendue92(*) par la délégation, l'ancienne ministre du logement, aujourd'hui présidente de l'Union sociale pour l'habitat (USH), Emmanuelle Cosse, a reconnu la persistance de cette logique de l'escalier s'agissant de la prise en charge des personnes à la rue : « pour accéder à un logement, les personnes doivent souvent passer par plusieurs étapes en faisant leurs preuves dans chaque dispositif : de la rue à un CHU, puis à un CHRS plus stabilisé, etc. Cette approche progressive, bien qu'elle vise à structurer l'aide, complexifie et rallonge le parcours des plus précaires vers un logement stable ».

Si cette logique d'une prise en charge par étape peut s'expliquer par le fait que certaines personnes ont besoin d'un long processus de prise en charge pour tenir compte et soigner certaines addictions par exemple, pour beaucoup de personnes à la rue, cette logique peut s'avérer délétère. Emmanuelle Cosse indiquait ainsi à la délégation avoir « rencontré des personnes à la rue à la suite de crises graves qui ont surtout besoin de retrouver rapidement un logement pérenne, avec un éventuel accompagnement. (...) Chaque jour passé à la rue entraîne une détérioration totale pour la personne. Pour une femme, s'y ajoute un risque accru de subir des violences et d'être exploitée ».

L'accès au logement est alors considéré comme le premier outil de protection des personnes à la rue, en particulier des femmes, plus exposées aux violences de la rue.

Le plan gouvernemental Logement d'abord, initié en 2017, était censé mettre fin à cette logique de l'escalier, mais la crise actuelle du logement, à l'origine d'une embolie du système à tous les échelons, limite de fait les ambitions affichées.

Les problématiques de l'hébergement d'urgence et du logement sont en effet intrinsèquement liées : l'embolie de l'hébergement d'urgence s'explique notamment par la crise du logement en aval, rendant quasiment impossible l'accès au logement pour les plus précaires, qui restent bloqués dans l'hébergement d'urgence parfois pendant des années.

En outre, la proportion, au sein des dispositifs d'hébergement d'urgence, de personnes de nationalité étrangère, parmi lesquelles beaucoup de femmes, dont de nombreuses « primo-arrivantes », ne répondant pas aux critères administratifs de régularité du séjour qui leur permettraient de faire une demande de logement social, constitue également un facteur de congestion de l'hébergement d'urgence.

Ces deux facteurs cumulatifs plaident pour une réflexion globale concernant la politique publique en matière d'accès et de maintien dans le logement, notamment pour les femmes en situation de précarité car, comme le rappelait la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), devant la délégation93(*), « les femmes représentent (...) plus de 80 % des travailleurs pauvres et sont celles qui sont les plus en situation de temps partiel, ce qui rend l'accès au logement plus complexe ».

Ainsi que le formulait également la directrice générale de la FAS, Nathalie Latour, « nous devons mettre en place une politique beaucoup plus volontariste sur la question du logement. Sans elle, nous ne nous en sortirons pas. Nous sommes totalement bloqués à l'entrée et à la sortie ».

1. Un constat unanime : l'insuffisante fluidité de l'hébergement vers le logement pour de multiples raisons
a) Des difficultés d'accès au logement pour les publics précaires et un allongement notable des délais d'attribution

Lors de son audition94(*) par la délégation, le préfet de la région Île-de-France, Marc Guillaume, a fait part aux rapporteures du constat de l'insuffisante fluidité du dispositif de l'hébergement d'urgence vers le logement qui entraîne une saturation du parc d'hébergement. Il a précisé que « seule [cette fluidité] permet de maintenir notre capacité d'accueil en amont dans les places d'hébergement ».

La saturation du parc d'hébergement en Île-de-France est due aux difficultés d'accès au logement puisque, comme le rappelait le préfet Marc Guillaume, « à Paris, nous avons une attribution pour dix demandes dans le logement social, avec un délai d'attente très long. Cela tient enfin au profil des personnes hébergées. La majorité d'entre elles ne réunissent pas les conditions de régularité du séjour et, par conséquent, ne peuvent pas accéder au logement. Cette situation a eu d'ailleurs des conséquences considérables sur l'apparition de campements sur la plaque parisienne ».

Tous les interlocuteurs de la délégation ont d'ailleurs alerté les rapporteures sur une véritable dégradation des conditions d'accès à un logement stable notamment s'agissant des femmes en situation de précarité.

Lors de son audition le 14 décembre 2023, le Secours catholique, dont le rapport annuel de 2023 sur l'état de la pauvreté en France pointait une féminisation de la pauvreté et une aggravation de la précarité des femmes, a indiqué aux rapporteures constater une augmentation, depuis dix ans, de la part des personnes en logements précaires, donc instables, et un allongement de la durée passée dans des logements censés être temporaires ou d'urgence : « 29 % des femmes rencontrées n'ont pas de logement stable. Plus inquiétant encore est l'allongement de la durée passée dans ces logements instables : de cinq mois en moyenne en 2012 à un an et demi en 2022. Ils ne sont finalement plus des hébergements d'urgence. Passer un an et demi, en moyenne, dans cette situation, c'est plus que de l'instabilité ».

De même, David Travers, adjoint à la solidarité à la Ville de Rennes et membre de l'association France urbaine, a souligné95(*) le fait que « les délais de réponse pour obtenir un logement social prioritaire ont augmenté de plus de six mois, ce qui bloque les gens dans des solutions d'hébergement d'urgence ».

Pour les rapporteures de la délégation, cette dégradation des conditions d'accès à un logement stable constitue un des facteurs principaux de l'embolie de la chaîne hébergement-logement. Comme le rappelait la Croix-Rouge française devant la délégation le 14 mars 2024, « on ne peut pas affirmer avec certitude aujourd'hui combien de places d'hébergement seraient nécessaires si toutes les personnes hébergées et légalement éligibles à l'accès au logement pouvaient y accéder sans délai ».

Les rapporteures estiment que le désengorgement des structures d'hébergement ne sera possible qu'à condition de privilégier l'accès direct au logement et de poursuivre l'ambition, louable, mais encore inaboutie, des deux plans quinquennaux successifs dits du Logement d'abord (2018-2022 et 2023-2027) mis en oeuvre par la Délégation interministérielle à l'accès à l'hébergement et au logement (Dihal), avec pour stratégie la promotion de l'accès et de l'orientation directs vers le logement des personnes sans domicile.

Au total, d'après les chiffres fournis en mai 2024 à la délégation, la Dihal estime à plus de 550 000 le nombre de personnes qui ont accédé, entre janvier 2018 et décembre 2023, au logement depuis la rue ou l'hébergement d'urgence, tous types de logements confondus (logements sociaux, places dans le parc privé en intermédiation locative, places de pensions de famille, etc.).

Estimation du nombre de personnes sans domicile ayant accédé à un logement dans le cadre du dispositif Logement d'abord

Source : Dihal

Malgré ces deux plans pluriannuels consécutifs et la progression du nombre estimé de personnes sans domicile ayant accédé à un logement, la marche à franchir pour passer de la rue au logement est encore parfois trop haute pour les publics les plus précarisés, au premier rang desquels les femmes.

b) Le passage de la rue au logement : un défi considérable

Le passage de la rue au logement constitue un défi considérable, quel que soit le genre de la personne concernée, mais il est encore plus ardu pour les femmes.

Ainsi que l'a précisé Emmanuelle Cosse, présidente de l'USH, lors de son audition par la délégation, plusieurs raisons peuvent expliquer ce constat :

- dans un premier temps, le manque général de logements abordables sur l'ensemble du territoire, à savoir des logements à des loyers accessibles pour les personnes touchant des revenus inférieurs au SMIC. En effet, bien que plus de cinq millions de logements sociaux soient disponibles, 2,6 millions de ménages supplémentaires en sont demandeurs et plus de 50 % d'entre eux touchent des revenus égaux ou inférieurs au SMIC, d'après des données fournies par l'USH. Cette situation s'est aggravée ces dernières années, avec une augmentation exponentielle des demandes de logements sociaux : plus 50 % en dix ans, et plus 20 % ces huit dernières années.

Pour Emmanuelle Cosse, « cette augmentation est générale. Il y a encore sept ou huit ans, nous parlions de zones tendues et de zones détendues. Aujourd'hui, les zones détendues en matière de logements HLM n'existent plus, notamment en raison de la raréfaction des logements locatifs privés abordables, partout. » ;

- en outre, lorsqu'ils sont disponibles, les logements ne sont pas toujours adaptés à la demande des ménages, notamment des femmes. Selon l'USH, la majorité des demandeurs de logements HLM aujourd'hui sont des personnes seules ou avec un enfant. Or le parc de logements sociaux, en grande partie construit avant les années 1970, ne correspond plus aux formes de famille majoritaires d'aujourd'hui puisqu'il se compose d'une majorité de grands logements, mais pas suffisamment de petits logements. Cette configuration explique en partie l'engorgement actuel ;

- enfin, la possibilité de loger les publics les plus fragilisés et marginalisés, notamment les personnes sortant de la rue, se confronte à des difficultés cumulatives.

La première difficulté est celle de la situation administrative des individus qui, pour accéder au logement social, doivent être en règle. Ce frein concerne particulièrement les familles en hébergement : lorsque l'un des adultes n'a pas sa situation administrative réglée, la famille ne peut accéder au logement social. Ces familles restent alors en hébergement.

Une deuxième difficulté relève de la faible capacité financière des publics sortant de la rue ou ayant connu un parcours chaotique. L'instabilité financière des ressources des publics candidats au logement social, a fortiori ceux issus de la rue, constitue un véritable frein à l'accès au logement. Si des loyers très modestes peuvent être proposés par les bailleurs sociaux, dans le cadre notamment du logement très social (prêt locatif aidé d'intégration), les ménages concernés doivent percevoir des revenus proches des minima sociaux, tels que le RSA. Il est également possible d'entrer dans le logement social grâce aux aides telles que l'aide personnalisée au logement (APL). Toutefois, comme l'a rappelé Emmanuelle Cosse devant la délégation, « la réduction en 2017 de cinq euros sur les APL (...), bien que jugée minime par certains, est significative pour un ménage gagnant 560 ou 580 euros par mois. Elle a touché tous les bénéficiaires de l'APL, qu'ils gagnent moins de 500 euros ou 1 600 euros, et son impact est notable. »

Enfin, la présidente de l'USH a estimé que la question des charges locatives, notamment celles liées aux dépenses d'énergie, constitue, pour certaines femmes, un frein à l'attribution de logements sociaux. En effet, la commission d'attribution peut estimer que leurs revenus sont trop faibles pour assumer le coût des charges, ce qui empêche leur accès au logement.

2. Des solutions partagées : relancer la construction de logements sociaux et en faciliter l'accès aux plus précaires
a) Augmenter l'offre de logements sociaux

Les rapporteures s'accordent sur un constat partagé par l'ensemble de ses interlocuteurs : la crise du logement, et en premier lieu, la baisse continue de l'offre de logements sociaux due notamment à l'absence de production suffisante, constitue le principal point de blocage du processus de sortie de rue notamment pour les femmes aujourd'hui sans domicile, souvent mères isolées d'un ou plusieurs enfants, et qui seraient pourtant éligibles à un logement social.

Lors de son audition par la délégation, la présidente de l'USH, Emmanuelle Cosse, a rappelé la baisse continue de la production de logements sociaux depuis 2018 : « la loi de finances de 2018 a ponctionné 800 millions d'euros, puis 1,3 milliard d'euros sur le budget des HLM pour les transférer au budget de l'État, tout en augmentant la TVA sur une partie des logements sociaux. Ces choix ont conduit à une baisse de la production annuelle, qui est passée de 120 000 logements par an en 2016-2017 à seulement 82 000 en 2023. C'est l'un des pires chiffres des quarante dernières années. Nous parvenions par le passé à produire entre 100 000 et 150 000 logements sociaux par an, en sachant que ce n'était pas encore suffisant. Depuis plusieurs années, nous sommes passés sous la barre des 100 000. Les prévisions pour 2024 ne sont guère meilleures. C'est dramatique, compte tenu des besoins croissants. La baisse de production cumulée depuis 2018 nous a déjà fait manquer 140 000 logements sociaux»

Production annuelle de logements sociaux

 
 

en 2016-2017

en 2023

Selon la Dihal96(*), le nombre de demandes actives de logement locatif social était de 2,43 millions au 31 décembre 2022.

Dans certains départements, la pression sur le parc des logements sociaux est particulièrement forte. Emmanuelle Cosse a ainsi indiqué à la délégation que « dans des départements comme la Seine-Saint-Denis, la demande de logements est énorme. Ce département est aussi marqué par des programmes de rénovation urbaine occasionnant beaucoup de démolitions et de reconstructions. Nous stagnons faute d'attributions suffisantes ».

Elle a rappelé que les politiques du logement « étaient basées sur l'idée d'attribuer environ 420 000 à 450 000 logements sociaux par an, ce que nous avons fait dans les meilleurs moments. Actuellement, nous en attribuons moins de 390 000 par an », alors que l'on compte 600 000 demandeurs de logements sociaux en plus depuis 2017.

Cet « effet ciseaux » entre l'effondrement de la production de logements sociaux et l'augmentation continue du nombre de demandeurs de logements sociaux entraîne un blocage du dispositif d'hébergement d'urgence et de prise en charge des publics en errance, notamment les femmes seules et les mères isolées avec enfants.

Dès lors, la solution incontournable avancée par la très grande majorité des interlocuteurs de la délégation pour augmenter l'accès au logement social et sa disponibilité pour les nouveaux entrants est d'abord celle de la construction de davantage de logements sociaux.

Ainsi que l'a rappelé Emmanuelle Cosse, les locataires HLM « sont de plus en plus précaires. Chaque nouvel entrant est généralement plus démuni que celui qui part, une tendance observable également parmi les retraités, de plus en plus nombreux à solliciter un logement HLM à partir de 64 ans. »

La paupérisation croissante des dossiers des nouveaux locataires reflète une fragilité économique plus prononcée parmi ceux qui s'installent aujourd'hui dans les logements sociaux.

La présidente de l'USH a également insisté sur la nécessité d'augmenter l'offre de logements à bas loyers dans le secteur privé qui permettrait d'accroître la disponibilité de logements à loyers abordables pour les publics les plus précaires.

Avant qu'il ne soit rendu caduc par le décret du 9 juin 2024 portant dissolution de l'Assemblée nationale, le projet de loi relatif au développement de l'offre de logements abordables97(*) avait fait l'objet, le 5 juin 2024, d'un examen par nos collègues de la commission des affaires économiques qui, regrettant la faible portée d'un texte sans vision stratégique et très en deçà des besoins et des attentes face à la gravité de la crise du logement, l'avaient enrichi pour renforcer les prérogatives des maires en matière de logement social, compléter le volet de simplification en matière d'urbanisme, ajouter plusieurs mesures en faveur du logement des travailleurs et encadrer les mesures à l'encontre des locataires du parc social.

Parmi les propositions de la commission des affaires économiques pour accélérer les constructions de logements sociaux, figurait notamment la recommandation d'amplifier la simplification en matière d'urbanisme, en permettant notamment aux différents acteurs de mieux dialoguer en amont afin de réduire les délais d'instruction et les risques de recours. La commission proposait également d'étendre à l'ensemble du territoire les possibilités de dérogation au plan local d'urbanisme (PLU) « à la main du maire » qui ne sont possibles aujourd'hui qu'en zone tendue et de rationaliser les obligations en matière de places de stationnement, un des principaux points de blocage pour les maires dans la production de logements, notamment de logements sociaux.

Ces propositions n'ont toutefois pu être discutées en séance publique faute d'examen du projet de loi précité suite à la dissolution de l'Assemblée nationale le 9 juin 2024.

Recommandation n° 5 : Accroître la construction de logements sociaux et simplifier et accélérer les procédures de construction de logements à bas loyers dans le secteur privé.

b) Améliorer l'accès au logement social pour les publics les plus précaires

Si la production de davantage de logements sociaux est une solution de moyen, voire de long, termes, il est nécessaire, au sein du parc HLM existant d'améliorer et d'amplifier l'accès au logement social pour les publics les plus démunis, notamment ceux issus de la rue.

C'est sur ce principe que repose le plan Logement d'abord initié en 2017 avec le déploiement par la Dihal d'un premier plan quinquennal sur la période 2018-2022, suivi d'un deuxième plan qui s'étalera sur la période 2023-2027.

La majorité des acteurs intervenant dans le champ de la prise en charge des personnes à la rue, rencontrés par la délégation, reconnaît le bien-fondé de cette démarche et loue la pertinence de cette politique, inspirée notamment de l'expérience finlandaise du logement d'abord permettant un accès plus rapide, voire direct, au logement des personnes sans abri.

L'accès au logement constitue en effet le traitement le plus efficace et celui qui devrait être prioritairement recherché pour les publics sans domicile, et plus encore pour les femmes seules ou avec enfants, pour qui les violences de la rue sont exacerbées.

Si les résultats du plan Logement d'abord peuvent être considérés comme encourageants, les rapporteures estiment que la dynamique doit être poursuivie et certains obstacles levés afin de parachever une ambition encore inaboutie.

(1) Des résultats encourageants pour le plan Logement d'abord

Entendue par la délégation98(*), Pauline Portefaix de la Fondation Abbé Pierre a reconnu devant les rapporteures que « la politique du logement d'abord menée par le Gouvernement a montré ses preuves et a permis de loger 100 à 120 000 personnes sans domicile ». Elle a toutefois constaté que cette politique n'était pas suffisante face aux 330 000 personnes sans domicile en France et qu'elle serait rapidement à l'arrêt en l'absence d'une offre de logement abordable suffisante.

Le délégué interministériel à l'accès à l'hébergement et au logement, Jérôme d'Harcourt, a également indiqué à la délégation que la stratégie du logement d'abord « porte ses fruits. Elle s'est appuyée sur plusieurs leviers. Le premier levier est celui d'une mobilisation de l'ensemble des acteurs quant à l'attribution de logements sociaux. Les données sur l'attribution de logements sociaux pour les personnes sortant d'hébergement ou à la rue depuis 2017 montrent que leur part dans le total des attributions augmente. Cela explique que, malgré le contexte de baisse globale des attributions et de crise du logement, l'orientation des personnes sans domicile, à la rue et hébergées continue de se maintenir à un bon niveau. C'est le résultat d'une politique de pilotage par les objectifs, avec des objectifs fixés au préfet, déclinés et suivis mensuellement par la Dihal. »

D'après les informations fournies par la Dihal à la délégation, le nombre d'attributions de logements locatifs sociaux aux ménages sans domicile est croissant depuis 2017 (hormis la période de la crise sanitaire) malgré la baisse du nombre total des attributions de ces logements. La part des attributions de logements locatifs sociaux au public sans domicile était de plus de 7 % en 2023 contre moins de 4 % en 2017.

Proportion d'attribution de logements sociaux aux ménages sans domicile

Source : Dihal

Au total, 122 300 attributions de logements sociaux sont comptabilisées pour les ménages sans domicile depuis 2017, soit une hausse de 43 % par rapport à la période 2013-2017.

Si les données fournies par la Dihal ne permettent malheureusement pas d'identifier au sein des chiffres d'attribution de logements sociaux aux ménages sans domiciles ceux qui correspondent à une attribution à des femmes seules ou à des mères isolées avec enfants, les chiffres de logements attribués à un public féminin spécifique, celui des femmes victimes de violences intrafamiliales, sont en revanche disponibles et significatifs.

Ce public est en effet considéré comme prioritaire par les pouvoirs publics dans l'attribution d'un logement social : on sait que les violences conjugales subies par les femmes conduisent souvent à une perte du logement pour les femmes pour qui l'urgence de fuir le danger entraîne un départ du domicile et joue donc en faveur du maintien des hommes violents dans le logement.

D'après les données communiquées par la Dihal à la délégation, le taux d'attribution de logements sociaux aux femmes victimes de violences est en augmentation depuis le Grenelle de lutte contre les violences conjugales de 2017 : sur les cinq dernières années, depuis 2019, environ 10 000 logements par an ont été attribués à des femmes victimes de violences intrafamiliales (VIF), contre une base de départ de 6 000 attributions par an en 2015.

L'accompagnement de ces femmes n'est pas aussi poussé que dans les structures d'hébergement ad hoc où elles font l'objet d'un suivi par des travailleurs sociaux. Mais elles peuvent être suivies dans le cadre des mesures de droit commun et de dispositifs « d'aller vers ».

L'Union sociale pour l'habitat (USH) a également transmis à la délégation des données détaillées relatives aux demandes de logement social par les femmes victimes de violences intrafamiliales rapportées aux attributions de logement social à ces femmes. Emmanuelle Cosse a ainsi précisé, lors de son audition, qu'un travail est mené depuis dix ans pour s'assurer de l'accélération des attributions de logements pour les femmes victimes de violences, en surmontant les obstacles administratifs.

En outre, Catherine Hluszko, cheffe de mission partenariats et innovation de l'USH, a précisé aux rapporteures : « en valeur absolue, le nombre de demandes de femmes victimes de violences a augmenté, tout comme le nombre global de demandes de logements sociaux. En revanche, bien que le nombre total d'attributions de logements sociaux ait tendance à diminuer, les attributions aux femmes victimes de violences ont augmenté. Nous l'expliquons notamment par une meilleure connaissance du critère prioritaire par les personnes qui accompagnent ces femmes dans leurs démarches ».

Ainsi, alors que les femmes victimes de violences représentent 1,7 % des demandes de logement social, elles représentent 2,9 % des attributions.

Les attributions sont certes en augmentation, mais les demandes le sont également et en moyenne c'est aujourd'hui environ une demande sur quatre qui fait l'objet d'une attribution.

Évolution des demandes et des attributions de logement social
pour des femmes victimes de violences

Attributions de logements sociaux

 

Hors mutation

Mutation

Total

 

Femmes victimes de violences

Total

Femmes victimes de violences

Total

Femmes victimes de violences

Total

Part des femmes victimes

2019

7 538

324 495

1 845

127 316

9 383

451 811

2,1 %

2020

8 114

277 064

1 939

108 696

10 053

385 760

2,6 %

2021

8 824

313 349

2 277

123 652

11 101

437 001

2,5 %

2022

8 950

305 522

2 216

114 951

11 166

420 473

2,7 %

2023

9 112

287 266

2 137

104 956

11 249

399 22

2,9 %

Source : Système national d'enregistrement des demandes de logement locatif social (SNE), 2024

(2) Les principes du plan Logement d'abord confrontés au réel

Si la délégation reconnaît que le plan Logement d'abord a constitué un tournant dans la définition de la stratégie de lutte contre le sans-abrisme en France, force est de constater que les résultats obtenus, pour substantiels qu'ils soient, ne sont toujours pas à la hauteur des chiffres du sans-domicilisme dans notre pays aujourd'hui.

Les raisons des limites de ce plan sont connues et ont déjà été évoquées par les rapporteures :

- une crise du logement sans précédent, notamment du logement social, bloquant non seulement l'accès direct à un logement de nombreuses personnes se retrouvant à la rue suite à des ruptures dans leur parcours de vie, mais aussi la sortie des dispositifs d'hébergement d'urgence ou d'hébergement plus pérenne ;

- l'impossibilité pour certains publics de sortir des dispositifs d'hébergement faute de réunir l'ensemble des conditions de régularité du séjour nécessaires pour postuler à un logement.

Lors de son audition devant la délégation, Jérôme d'Harcourt, délégué interministériel à l'accès à l'hébergement et au logement, a ainsi relevé : « la France est probablement le pays européen qui a porté le plus loin cette stratégie de lutte contre le sans-abrisme et pour l'accès au logement direct. Pourquoi cela ne suffit-il pas ? Il y a derrière une question de réponse à l'urgence, mais également la question des conditions de régularité du séjour pour permettre l'accès au logement social. Ce sont autant de facteurs qui ne permettent pas d'être dans un modèle où nous sommes directement projetés dans le logement. Mais l'orientation est bien celle du logement d'abord pour limiter au maximum le parcours en escalier qui est le modèle dont nous revenons ».

Parmi les mesures envisagées par les interlocuteurs de la délégation pour faciliter l'accès au logement social des publics les plus précaires et vulnérables, en particulier les femmes seules ou les mères isolées, figurent notamment :

- établir, parmi les critères d'attribution des logements sociaux, un critère prioritaire assorti d'une pondération plus élevée pour les femmes seules et les mères isolées sans domicile ;

alléger certaines exigences pour permettre l'attribution de logements sociaux notamment s'agissant des modalités de calcul des revenus. Ainsi le calcul des revenus sur l'année N-1, voire N-2, peut s'avérer pénalisant pour les femmes qui viennent de quitter une situation critique et se retrouvent à la rue parfois avec des enfants.

Comme l'a souligné l'USH lors de son audition, « l'établissement de critères prioritaires et leur pondération influencent les attributions. Même s'il existe de nombreux publics prioritaires, cette approche sensibilise les acteurs de l'attribution aux problématiques spécifiques. Ainsi, inclure un critère prioritaire pour les personnes sans abri pourrait également leur offrir de meilleures chances d'accès à un logement social ».

Il existe actuellement quinze critères de priorité pour les attributions de logements sociaux, en plus de trois objectifs et d'un objectif constitutionnel, soit une vingtaine de priorités pour un nombre limité d'attributions. Une meilleure lisibilité et une rationalisation des critères de priorité pourraient être recherchées en y intégrant le public particulièrement vulnérable des femmes à la rue, seules ou avec enfants.

Recommandation n° 6 : Pour l'attribution d'un logement social, établir un critère prioritaire pour les femmes seules et les mères isolées sans domicile, et alléger les exigences liées au calcul des revenus.

c) Des conditions de régularité du séjour qui peuvent constituer un frein à l'accès au logement social

Lors de son audition, le délégué interministériel pour l'hébergement et l'accès au logement, Jérôme d'Harcourt, a relevé une « tension entre, d'une part, une crise de l'accès au logement et, d'autre part, des situations de régularité au regard du séjour, condition nécessaire pour pouvoir accéder au logement » qui contribuent à la saturation actuelle du système d'hébergement, en introduisant une rigidité dans le processus de sortie du système d'hébergement vers un logement plus pérenne.

Comme l'ont souligné les nombreux interlocuteurs de la délégation, notamment les représentants du secteur associatif en charge de l'accueil et de la prise en charge des personnes sans domicile, l'augmentation et la féminisation des populations exilées en France, depuis une dizaine d'années, mais surtout depuis la fin de la crise sanitaire, exercent une forte pression sur les dispositifs d'accueil des personnes à la rue, en particulier sur les structures d'hébergement.

Ainsi, pour le Secours catholique, auteur en 2023 d'un rapport sur la féminisation de la précarité en France, « la question de la régularisation de la situation administrative des personnes exilées (...) est un frein énorme pour l'accès au logement des femmes étrangères et de leurs enfants ».

Lors de leur déplacement au Foyer-Notre-Dame des OEuvres de la Mie de pain à Paris, les rapporteures ont été alertées par la présidente et les salariés de l'association sur le fait qu'un nombre de plus en plus important de femmes hébergées dans ce foyer disposaient d'un emploi, étaient donc partiellement insérées dans la société grâce à leur travail et disposaient de ressources, certes modiques, mais qu'elles ne pouvaient accéder à un logement en l'absence de régularité du séjour.

Lors de son audition99(*), Didier Leschi, directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii), a indiqué aux rapporteures que « les difficultés d'accès au logement et à l'emploi font partie des éléments qui embolisent notre dispositif. Cela explique sans doute qu'une partie des personnes ayant relevé de l'asile soient prises en charge dans le cadre de l'hébergement d'urgence », soulignant également le fait qu'aujourd'hui, « 60 % des personnes hébergées seraient (...) en situation irrégulière : nous ignorons (...) qui elles sont, quel est leur parcours et depuis combien de temps elles sont présentes sur le territoire », en vertu du principe d'anonymat qui caractérise l'hébergement d'urgence.

Reçu par les rapporteures de la délégation, le président de la métropole de Lyon, Bruno Bernard, a, pour sa part, souligné qu'au sein du public des mères isolées avec enfants de moins de 3 ans, prises en charge et hébergées par la métropole, environ 40 % étaient des personnes en situation d'irrégularité de séjour. En raison de leur situation administrative, il a dès lors indiqué qu'il était impossible de les faire sortir du dispositif d'hébergement d'urgence et ainsi de libérer des places pour d'autres.

Sur ce point, la Croix-Rouge française, entendue par la délégation au cours d'une table ronde le 14 mars 2024, a plaidé pour un « accès facilité à la régularisation de femmes en situation d'exil pour fluidifier la chaîne hébergement-logement, d'autant qu'elles sont exposées à un risque accru de traite des êtres humains du fait de leur situation administrative ».

PAROLES DE FEMMES

Témoignage recueilli par les rapporteures

« Je suis hébergée au centre depuis quatre ans. Je suis secrétaire et j'ai un emploi stable, mais je n'ai pas de logement à cause d'un problème de régularisation de ma situation administrative. » Une femme accueillie au Foyer-Notre-Dame de La Mie de pain (Paris 15e).

3. Une obligation incontournable : accompagner l'accès et le maintien dans le logement
a) Développer de nouvelles solutions de logements adaptés et accompagnés
(1) Des solutions de logements adaptés

Afin de desserrer l'étau de l'accès au parc social, d'autres formes de logements adaptés à un public particulièrement précaire et vulnérable doivent être envisagées.

Plusieurs pistes peuvent être explorées telles que l'intermédiation locative, les baux glissants, les logements intermédiaires, les pensions de famille. Ces diverses formes de logement adapté doivent également permettre de lier accompagnement et logement, alors qu'un accompagnement social n'est aujourd'hui systématique que dans le cadre de l'hébergement.

Lors de son audition par la délégation, le délégué interministériel à l'accès à l'hébergement et au logement a indiqué que le plan Logement d'abord avait permis :

la création de 40 000 nouvelles places dans le parc privé en intermédiation locative, dispositif qui permet de trouver du logement dans le parc privé. Ces 40 000 nouvelles places constituent une augmentation de 118 % par rapport au parc existant en 2017. En outre, fin 2023, 46 000 places supplémentaires avaient été créées par rapport aux données du premier plan quinquennal ;

l'ouverture de 7 200 nouvelles places de pension de famille entre 2017 et 2022, soit une augmentation de 47 % du parc par rapport à fin 2016. Cette augmentation s'est poursuivie durant l'année 2023 avec l'ouverture de 8 400 nouvelles places.

De même, la présidente de l'USH a fait part de nombreuses expériences menées par les bailleurs sociaux montrant « qu'au-delà de l'attribution de logements sociaux pérennes, il existe des partenariats anciens avec des associations pour mettre à disposition des logements sociaux ».

Elle a notamment évoqué la procédure du bail glissant qui permet à la personne suivie par une association d'aide de commencer par être hébergée, avec le loyer pris en charge par l'association, avant de passer à un bail signé directement entre le bailleur et le ménage, permettant ainsi à cette personne de s'installer dans un logement pérenne. Ce modèle de prise en charge peut être particulièrement adapté aux femmes en situation de rue suite à une rupture conjugale et victimes de violences.

Emmanuelle Cosse a ainsi précisé : « en Île-de-France, par exemple, nous avons mis en place en 2008 un partenariat qui a perduré malgré les changements de majorité. La région, en finançant du logement social, dispose de droits de réservation. Quand ces droits ne sont pas exercés pour les agents, les logements sont proposés à des associations comme la FNSF. Ces associations vérifient si une femme suivie peut correspondre aux critères de revenus et géographiques pour occuper ces logements. Depuis 2009, ce partenariat a permis de reloger un nombre croissant de femmes chaque année, offrant ainsi une réelle opportunité de stabilisation à ces femmes. (...) Au-delà de la législation, les partenariats locaux peuvent donc considérablement accélérer les attributions pour les femmes en situation difficile ».

D'après l'USH, le modèle des baux glissants a bien fonctionné, malgré sa complexité. Dans ce cadre, des discussions peuvent aussi être menées concernant l'attribution de logements aux ménages sortant de la rue, ce qui nécessite des partenariats pour mieux répondre aux besoins de ces ménages extrêmement précarisés.

Des expériences sont également menées pour transformer, à terme, des structures d'hébergement en logements plus pérennes tout en conservant un suivi social adapté. Ces initiatives posent toutefois des défis financiers aux bailleurs sociaux. À cet égard, la présidente de l'USH a cité l'exemple d'une expérience menée à Antony, où une résidence sociale a été partiellement transformée en hébergement d'urgence. Pour ce faire, le bailleur a contracté un prêt à long terme avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC) pour produire du logement social, tout en actant que certaines parties du bâtiment serviraient temporairement à l'hébergement d'urgence.

Les enjeux financiers sont ainsi différents qu'il s'agisse de production de logements sociaux ou de prise en charge dans des structures d'hébergement.

Ainsi, en permettant une certaine flexibilité dans l'utilisation des logements sociaux, il est possible d'offrir plus de solutions à long terme pour les personnes en situation de précarité.

Les rapporteures notent également avec intérêts les actions menées par la SNCF, via sa filiale logement (ICF Habitat) et l'association « Patrimoine Résidences Meublées », dite association Parme, en matière d'accompagnement et d'accueil des personnes sans abri, notamment des femmes victimes de violences.

Les actions menées par la filiale logement de la SNCF en matière d'accompagnement et d'accueil des personnes sans abri

La SNCF, via sa filiale logement (ICF Habitat) et l'association « Patrimoine Résidences Meublées », dite association Parme, pratique des opérations de mise à disposition de logements à des publics spécifiques en difficulté, voire en situation d'urgence, au moyen notamment de partenariats avec des associations d'intermédiation locative.

Ces partenariats permettent d'insérer de façon pérenne ces publics en situation de précarité : les associations sont présentes auprès des ménages dès l'entrée dans le logement temporaire, puis tout au long de leur parcours, pour favoriser leur bonne intégration dans la résidence, leur évolution vers un logement pérenne et leur insertion sociale.

De nombreux projets ainsi menés consistent dans la transformation d'anciens bâtiments de la SNCF en places d'hébergement d'urgence. Mais certains projets prévoient également du logement pérenne.

Ainsi, à Besançon, ICF Habitat a mis à disposition un bâtiment de quatre logements pour accueillir des familles de réfugiés ; parallèlement un projet de construction d'une pension de famille sur des fonciers ICF est en cours.

ICF Habitat participe également à des opérations de plus en plus ciblées, par exemple le traitement des copropriétés dégradées ou la création de pensions de famille en Île-de-France ou en province. Ainsi, les quatre entreprises sociales pour l'habitat (ESH) du groupe ICF Habitat mènent de nombreuses actions en la matière via des partenariats associatifs qui ont permis de mieux répondre ces dernières années aux nombreux besoins (accueil de sans-abris, lutte contre la violence faite aux femmes, accueil d'Ukrainiens, accueil des bénéficiaires de la protection internationale...).

En 2011, ICF Habitat La Sablière a réalisé une opération de restructuration de 62 logements dans deux immeubles, rue d'Amsterdam, datant de la fin du XIXème siècle, acquis auprès de la SNCF. Cette opération a abouti à l'ouverture de la pension de famille de Saint-Lazare, comprenant 22 logements de type T1 (18 m2) et T1' (plus de 20 m2) en PLAI (Prêt locatif aidé d'intégration) et 100 m2 d'espaces communs.

En 2023, La Sablière a également livré deux pensions de famille dans les quartiers de gare en Île-de-France (8ème ou 18ème arrondissement).

Des actions spécifiques en faveur des femmes sans abri ou victimes de violences ont également réalisées par l'association Parme et ICF Habitat :

- en lien avec la direction de l'action sociale de la SNCF, l'association Parme a déployé un dispositif de mise à l'abri de salariés victimes de violences conjugales ou intrafamiliales : entre 2021 et 2022 près de 300 situations de violences conjugales ont ainsi été accompagnées ;

- l'association Parme fait le constat qu'il y a peu d'orientation de femmes sans-abris via le service intégré d'accueil et d'orientation (SIAO), cette population est manifestement difficilement identifiée. Via le SIAO, il n'y a quasiment jamais eu de demande en sortie de rue mais uniquement en sortie de structure ;

- s'agissant d'ICF Habitat, plusieurs projets en faveur de l'accès au logement des femmes victimes de violences ont vu le jour :

ICF Habitat Nord-Est a depuis 2021 une convention avec la fédération nationale Solidarité Femmes (FNSF) en faveur de l'accès au logement social des femmes victimes de violences. Elle vient d'être renouvelée pour 4 ans soit jusqu'en 2027.

ICF Habitat Sud-Est-Méditerranée a mis en place un partenariat, en mars 2024, à Marseille dans le cadre d'une opération de restructuration du quartier de la Grande-Bastide Cazaux (mise à disposition à titre gratuit de dix logements vacants, accompagnement socio-éducatif complet).

Sur le territoire francilien, ICF Habitat La Sablière a signé plusieurs conventions ces dernières années en la matière ou mis en place des partenariats se traduisant par :

- la mise à disposition d'un minimum de 100 logements par an à la FNSF. Ces logements sont proposés aux associations du réseau Solidarité Femmes via une plateforme dédiée afin de faciliter l'accès au logement social des femmes victimes de violences accompagnées et/ou hébergées par ces associations spécialisées ; un plan de formation pour les collaborateurs des organismes HLM pour la compréhension des mécanismes des violences conjugales ;

- l'accès au logement pour les familles monoparentales, hébergées au sein du centre maternel Le Prélude de l'association AVVEJ ;

- une convention de relogement à destination des femmes victimes de violences entre la Commune de Pantin et ICF La Sablière permettant de proposer un logement par an à une femme, avec ou sans enfants, dont la situation de violence est caractérisée a minima par un dépôt de plainte.

(2) L'importance d'un accompagnement jusque dans le logement

De nombreux interlocuteurs rencontrés par la délégation, en audition et plus encore au cours des déplacements des rapporteures, ont souligné l'importance de l'accompagnement des publics logés après un parcours de rue. Cet accompagnement est primordial pour les femmes qui sortent d'un parcours de rue empreint de violences (physiques, psychologiques et sexuelles) et souvent marqué par l'absence de recours aux dispositifs de prise en charge destinés aux populations sans domicile.

La politique du Logement d'abord nécessite donc un accompagnement crucial pour aider le public féminin à accéder et à se maintenir dans son logement, une fois intégré. En effet, sans un soutien continu, elles peuvent se retrouver isolées, passant d'un cadre strict en hébergement à un logement sans suivi.

Nathalie Latour, directrice générale de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), a ainsi déclaré au cours de son audition par la délégation : « parfois on met un toit sur la tête de ces personnes, de ces femmes, sans penser à leur accompagnement global et à l'accès à l'alimentation. Cette absence de réponse adaptée exerce une pression, y compris sur l'espace public ».

De même, Bénédicte Souben de la Croix-Rouge française a rappelé l'importance d'un accompagnement global et pluridisciplinaire, social, juridique, psychologique et sanitaire, notamment sur les questions de santé mentale, d'addiction ou de maternité, qui doit intervenir dans le logement ou l'hébergement, en fonction des besoins de la personne accueillie, et dans le respect de sa temporalité.

Comme évoqué précédemment, le plan Logement d'abord propose d'accélérer la production de logements sociaux dits accompagnés, en favorisant des projets où les logements, bien que véritables domiciles, incluent un accompagnement social intégré. Il s'agit par exemple de pensions de famille ou de résidences sociales dont le nombre de places apparaît aujourd'hui insuffisant.

Comme les rapporteures ont pu le constater, notamment lors de leur déplacement à Marseille où elles se sont rendues à la Maison relais Claire Lacombe, une pension de famille gérée par l'association Habitat alternatif social (HAS) située en plein coeur de la ville, cette logique du logement accompagné est très efficace et porte ses fruits, y compris pour les profils les plus vulnérables voire marginalisés. Dans ce type de structure, la durée d'occupation du logement est illimitée et l'accueil des pensionnaires permet une réelle prise en charge, humaine et sur le temps long. Si les pensions de famille peuvent sembler « mal nommées » car elles n'accueillent que des personnes isolées, elles constituent à n'en pas douter une nouvelle « famille » pour ce public fragile.

Cécile Suffren, responsable de l'association HAS, regrettait cependant que ce type de structure ne soit pas éligible à des aides de l'Agence nationale de l'habitat (Anah).

La présidente de l'USH a, pour sa part, évoqué devant la délégation un autre exemple de pension de famille, inaugurée au mois de mai 2024, destinée aux personnes présentant des troubles psychiatriques. Au-delà du logement, une prise en charge des soins infirmiers et psychiatriques y est proposée, en lien avec l'hôpital et l'agence régionale de santé (ARS). À cet égard, elle a précisé que « ces personnes, si elles ne sont pas logées dans ces structures, sont à la rue. J'y ai vu un certain nombre de femmes, de manière un peu exceptionnelle ». Elle a toutefois regretté qu'en dépit d'une stratégie visant à créer plus de logements accompagnés, les moyens à destination des bailleurs aient été diminués avec la réduction du loyer de solidarité.

En résidence sociale, où l'accompagnement est moins intensif, mais tout aussi utile, le séjour est limité à deux ans et demi, avec l'objectif de passer ensuite à un logement pérenne. Ces dispositifs s'adressent principalement aux personnes isolées, bien que certaines résidences sociales accueillent des femmes avec enfants. Cela soulève alors la question de la capacité à proposer des logements de plusieurs pièces.

b) Prévenir les expulsions locatives

Si l'accès au logement constitue, on l'a vu, un défi majeur, la question du maintien dans le logement est également primordiale. La perte du logement, on le sait, correspond au début de la précarisation.

Dès lors, la prévention des expulsions locatives doit faire partie des priorités d'une politique publique du logement efficace.

Ainsi que la Délégation interministérielle à l'accès à l'hébergement et au logement (Dihal) l'a précisé aux rapporteures de la délégation, dans le contexte actuel d'inflation et de hausse des coûts de l'énergie, les services de l'État ont pour mission de renforcer leur capacité d'intervention précoce sur les impayés de loyers et de charges afin de prévenir toute hausse du nombre d'expulsions locatives.

Cette prévention est un des objectifs du Pacte des solidarités (2023-2027) présenté au mois de septembre 2023 et a fait l'objet d'un troisième plan interministériel chargé de coordonner et de rendre plus efficaces les règles protectrices des locataires en situation d'impayé tout en préservant les intérêts des bailleurs.

Plusieurs des mesures que contient ce plan sont en voie d'être pérennisées telles que :

- les 26 équipes mobiles de prévention d'expulsion locative créées dans les plus grandes agglomérations pour aller vers les locataires du parc privé en situation d'impayés locatifs inconnus des services sociaux ;

- le renforcement des Commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (Ccapex) permettant un co-pilotage de cette politique publique avec les collectivités locales, désormais créées dans chaque département.

Par ailleurs, le Pacte des solidarités prévoit de déployer des permanences sociojuridiques concourant à la réduction des expulsions locatives pour impayés de loyer.

Lors de son audition par la délégation, le Dihal a souligné l'importance de cette prévention en expliquant être extrêmement prudent concernant les remises à la rue prématurées ou les situations de rupture : « il s'agit aussi de développer la prévention en amont et de renforcer l'accompagnement social et la veille sociale ».

Si le nombre d'expulsions locatives a diminué en 2020 et 2021 par rapport à 2019, on observe néanmoins une importante accumulation de procédures d'expulsion en attente d'exécution. Il en résulte une hausse à hauteur de 19 500 expulsions enregistrées en 2022 et 21 500 en 2023.

Selon le Dihal, des consignes transmises aux préfets par voie d'instructions ministérielles en 2021, 2022 et 2023 ont permis de limiter le nombre d'expulsions locatives en 2022 et 2023 sans pouvoir toutefois empêcher leur augmentation dans la mesure où ces années supportent le poids additionnel de la résorption des expulsions accumulées durant la crise sanitaire.

La moyenne annuelle du nombre d'expulsions sur la période 2020-2023 se situe à 15 300.

Nombre d'expulsions locatives depuis 2019

15 300 en moyenne annuelle 2020-2023

Note : les chiffres pour 2019, 2020 et 2021 correspondent aux expulsions exécutées avec le concours de la force publique (CFP), ceux pour 2022 et 2023 aux expulsions enregistrées.

Source : Graphique réalisé par la délégation à partir de données de la Dihal

Pour sa part, Emmanuelle Cosse, présidente de l'USH, a souligné devant la délégation le fait que la loi100(*) du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l'occupation illicite avait « significativement modifié les processus de prévention des expulsions qui existaient depuis dix ans ». Elle a estimé que cette loi « fragilise les ménages en difficulté ». Cette loi a notamment raccourci le délai dont dispose un locataire pour verser les sommes qui lui sont réclamées après un commandement de payer : précédemment, il avait deux mois pour rembourser sa dette ; désormais, il doit le faire au maximum six semaines après le commandement de payer.

En matière de prévention des expulsions de logements sociaux, deux situations distinctes peuvent être identifiées.

D'une part, les expulsions qui sont liées à des troubles d'occupation : dans ces cas, l'expulsion aura lieu, même dans le logement social, car il s'agit de troubles importants pour l'ensemble des locataires. Cependant, après l'expulsion d'un ménage d'un logement social, il est fréquent qu'un autre bailleur social prenne ce ménage en charge, car ces personnes ne peuvent presque jamais se reloger par elles-mêmes.

D'autre part, les expulsions qui sont liées aux impayés. Toutefois, comme l'a indiqué à la délégation la présidente de l'USH, « aujourd'hui, il est rare d'expulser un ménage pour impayés, car de nombreuses procédures sont mises en oeuvre pour l'éviter. Une fois que la procédure juridique est enclenchée, un dialogue avec le ménage peut être établi. Cependant, il est important de noter que dans le cas des ménages locataires HLM, le bail n'est pas toujours au nom de la personne responsable des dettes ».

De nombreux bailleurs sociaux privilégient aujourd'hui une stratégie proactive d'aller vers. Elle consiste à identifier les locataires fragilisés en surveillant les impayés, même minimes, et à les contacter une à deux fois par an pour discuter de leurs difficultés. Cette approche permet d'anticiper les problèmes avant qu'ils ne deviennent critiques. Toutefois, ce travail de proximité et d'accompagnement des locataires suppose de doter les bailleurs sociaux de moyens importants et des ressources humaines suffisantes pour être efficaces.

Recommandation n° 7 : Donner aux bailleurs sociaux les moyens d'identifier, le plus en amont possible, les locataires les plus fragilisés afin de prévenir les expulsions locatives.

4. Une alternative souhaitable : développer des solutions spécialisées et « sur mesure » pour les publics les plus vulnérables

Dans le cadre du plan Logement d'abord et sur le modèle d'exemples étrangers, notamment ceux de la Finlande, du Canada et des États-Unis101(*), la France a développé le dispositif Un chez-soi d'abord, initié de façon expérimentale dès 2011 dans plusieurs grandes villes de France, dont Paris et Marseille. Ce dispositif propose aux personnes en situation de grande précarité et présentant des troubles psychiques sévères, un accès direct à un logement stable, sans passer obligatoirement par un centre d'hébergement temporaire, et sans condition de traitement ni d'arrêt de leur consommation de substances psychoactives.

Ce dispositif, dont le principe est particulièrement ambitieux, nécessite des moyens financiers et humains importants, car il suppose un accompagnement pluridisciplinaire vers et dans le logement des personnes sans abri, sur un temps long, avec une équipe de professionnels dédiée au suivi de ces personnes. Son financement est assuré par l'assurance maladie pour la partie « Accompagnement » et par l'État pour la partie « Logement ».

Comme l'a rappelé Emmanuelle Cosse, présidente de l'USH, ministre du logement entre 2016 et 2017, ce dispositif vise à prendre en charge globalement la personne, en stabilisant simultanément les soins et le logement : « cette idée était inspirée d'expériences finlandaises. Elle a prouvé son efficacité ».

Dans une note publiée en mars 2020102(*), Pascale Estecahandy, alors coordinatrice nationale du dispositif Un chez-soi d'abord au sein de la Dihal103(*), rappelle les origines de ce programme et ses résultats : il vise à expérimenter une nouvelle modalité de prise en charge des personnes sans abri et postule que les personnes - y compris celles qui sont durablement sans abri - ont des compétences pour accéder dans le logement et s'y maintenir.

Origines et résultats du dispositif Un chez-soi d'abord

L'expérimentation s'est déroulée à Lille, Marseille, Toulouse et Paris, entre 2011 et 2016.

Sur chacun des sites, un établissement de santé mentale, une association ayant une compétence en addictologie et une structure habilitée à la gestion locative adaptée collaborent pour la gestion du programme ; ils créent une équipe dédiée pluridisciplinaire (composée de travailleurs sociaux, d'infirmiers, d'un psychiatre, d'un médecin généraliste, d'un addictologue, de médiateurs de santé pairs et d'un gestionnaire locatif) et captent les logements en s'appuyant sur le dispositif d'intermédiation locative (IML) proposant un bail de sous-location à la personne, l'État apportant notamment aux propriétaires la garantie du paiement des loyers et la remise en état du logement si nécessaire. Chaque équipe accompagne 100 personnes. Dans un bref délai suivant leur intégration dans le programme, celles-ci se voient proposer un logement respectant leur choix de localisation dans la cité.

Le programme peut assurer le financement du loyer en amont de l'ouverture des droits si l'ensemble des démarches ne sont pas finalisées à l'entrée dans le logement. L'accompagnement est intensif avec un ratio d'un professionnel pour dix usagers et assure au moins une visite hebdomadaire au domicile et une permanence téléphonique 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Le professionnel s'adapte à chacun selon ses besoins et assure le suivi de l'ensemble des domaines de la vie (santé, habitat, emploi, vie sociale et culturelle, citoyenneté...). Accompagnement et logement ne sont pas conditionnés l'un à l'autre, ce qui vise à limiter les ruptures.

Le pilotage national de l'expérimentation est confié à la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal) en lien avec les administrations centrales concernées ; le financement est assuré par l'État sur le volet Logement et par l'assurance maladie sur le volet Accompagnement ; la Direction générale de la santé assure le suivi et le financement du volet Recherche.

Sur les quatre sites expérimentaux, 703 personnes ont intégré la recherche à des fins d'évaluation du programme ; parmi elles, 353 personnes ont bénéficié de la stratégie Un chez-soi d'abord et 350 ont constitué le groupe-témoin suivi par l'offre habituelle. Âgés de 38 ans en moyenne, 82 % des bénéficiaires sont des hommes et ils ont passé en moyenne huit ans de leur vie sans domicile personnel et quatre ans et demi sans abri. Tous présentent un trouble psychiatrique sévère (70 % : schizophrénie ; 30 % : bipolarité) et 80 % ont une comorbidité addictive. Les participants ont été logés en 28 jours en moyenne et 85 % d'entre eux sont toujours en logement au bout des deux ans. L'essentiel des logements a été capté dans le parc privé.

La comparaison du groupe suivi par le programme au groupe-témoin montre une amélioration de leur qualité de vie et de leur rétablissement et une réduction des recours inadaptés au système de soins et aux structures de la veille sociale, ceci à un moindre coût pour la puissance publique. Sur le volet sanitaire, l'accompagnement permet une diminution de 50 % des durées d'hospitalisation pour les personnes accompagnées en comparaison à celles suivies par l'offre habituelle.

Ces résultats positifs ont amené à la pérennisation du programme via le décret n° 2016-1940 du 28 décembre 2016 relatif aux dispositifs d'appartements de coordination thérapeutique Un chez-soi d'abord, qui l'inscrit dans la catégorie des services médico-sociaux au sens de l'article L. 312-1 du Code de l'action sociale et des familles. Ce décret reconnaît le logement comme déterminant structurel de la santé et inscrit l'accompagnement dans une logique de parcours a priori sans poser de limite de temps à la prise en charge. Il valide l'intégration de médiateurs de santé pairs dans les équipes professionnelles.

Un bilan de l'activité des sites est présenté annuellement au comité de suivi national.

Sur les deux premières années, les résultats sont positifs avec une intégration de 99 % de l'effectif attendu (soit 566 personnes en 2019). Le taux de maintien dans le logement est de 87 % sur l'année 2019, et l'accès au logement est effectif en moins de huit semaines (28 % : parc social ; 72 % : parc privé).

Sur le plan qualitatif, la mise en oeuvre d'un dispositif favorise un décloisonnement global des acteurs du logement, de la santé et du social sur le territoire au-delà même du dispositif ; mais si l'accès au logement est rapide, la personne est sous-locataire. L'accès à un bail direct qui lui permettra d'être totalement autonome est problématique, car les propriétaires appréhendent de transformer le bail. Pour autant, des conventions avec les bailleurs sociaux ont été signées sur plusieurs sites afin de favoriser les coopérations. Enfin, il est important et urgent de diffuser largement les méthodes d'accompagnement de ces équipes, sans lesquelles les soins orientés vers le rétablissement risquent de devenir une simple injonction laissant une proportion non négligeable des patients dans une impasse.

Pour autant, les locataires restent pour la quasi-totalité d'entre eux sous le seuil de pauvreté et certains ont des difficultés à affronter les contraintes d'une citoyenneté ordinaire, en particulier l'accès à l'emploi ou les questions de solitude. Le dispositif Un chez-soi d'abord n'est pas une solution unique : il ne peut trouver sa place que dans une offre multiple.

Source : « Un chez-soi d'abord : accompagner les personnes sans abri vers et dans leur logement », Pascale Estecahandy, La santé en action - n° 451 - mars 2020

Lors de leur déplacement à Marseille les 28 et 29 mars 2024, les rapporteures ont rencontré les équipes de l'AP-HM en charge de la mise en oeuvre du dispositif Un chez-soi d'abord, notamment la psychiatre Aurélie Tinland, responsable du programme.

Un chez-soi d'abord : l'expérience marseillaise

La ville de Marseille est l'une des premières villes françaises à avoir expérimenté ce programme, dès 2011, aux côtés de Lille, Paris et Toulouse. À Marseille, 200 places ont été ouvertes dans le cadre de ce programme suite au lancement de l'expérimentation. Le dispositif accueille des personnes en errance souffrant de troubles psychiatres sévères disposant de droits ouvrables, donc en situation régulière sur le territoire.

Lors de leur déplacement, il a été indiqué aux rapporteures qu'en 2024, 171 logements étaient concernés sur Marseille dont une quarantaine aujourd'hui en « vacance technique » et que le programme incluait 26 % de femmes. Les équipes de l'AP-HM ont également précisé aux rapporteures qu'aucune inclusion dans le programme n'était possible pour le moment et qu'aucune place ne serait disponible avant un délai de quatre mois.

Les équipes ont également insisté sur les difficultés liées à la crise du logement avec une nette augmentation des loyers à Marseille ainsi que la faible disponibilité de petits logements et de logements adaptés à l'accueil de ce public vulnérable.

S'agissant du public accueilli dans le cadre du programme, il a été rappelé qu'il s'agissait en majorité de personnes très vulnérables souffrant souvent d'addictions et qu'elles pouvaient rapidement être « envahies » dans leur logement, parfois transformé en lieu de consommation. D'où l'importance d'un accompagnement très resserré et d'un suivi très régulier des personnes ayant intégré ce dispositif.

Enfin, l'existence d'une corrélation entre la qualité de l'appartement et la santé mentale de ses occupants a été soulignée, rappelant que le programme pouvait aussi rencontrer des échecs, car une incertitude demeure sur les résultats du logement en première intention en fonction de la personne accueillie.

À Paris et en région parisienne, le dispositif Un chez-soi d'abord se développe également, comme l'a rappelé Luc Ginot, directeur de la santé publique de l'Agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France, avec une centaine de places à Paris et bientôt une centaine d'autres dans les Hauts-de-Seine et en Seine-Saint-Denis. Il accueille actuellement 21 % de femmes et « fonctionne très bien pour de grands SDF souffrant de pathologies mentales, lorsqu'ils sont à la rue depuis longtemps, mais qu'ils ont des droits ouverts ».

Outre le programme Un chez-soi d'abord, un dispositif intéressant, mis en place par la ville de Paris, nommé Louer solidaire et sans risque, a été présenté à la délégation par Léa Filoche, adjointe à la maire de Paris en charge des solidarités, de l'hébergement d'urgence et de la protection des réfugiés, de la lutte contre les inégalités et contre l'exclusion.

Ce programme s'adresse aux propriétaires de logements à Paris et concerne actuellement 1 200 logements, ce qui n'est pas suffisant au vu des besoins dans la capitale. Comme l'a indiqué Léa Filoche au cours de son audition, ce dispositif, au montage complexe, « implique des structures associatives que [la ville de Paris mandate] pour prendre en charge les personnes à l'intérieur des logements, notamment celles ayant des difficultés psychiatriques », dont 60 % sont des femmes. Certains logements font également l'objet d'une gestion directe par la ville de Paris. Comme pour l'attribution de logements sociaux, une commission statue sur les bénéficiaires. Toutefois les temps d'attente sont très longs au regard des capacités disponibles.

Recommandation n° 8 : Renforcer les moyens des programmes spécialisés d'accès direct au logement pour les publics les plus vulnérables, sur le modèle du dispositif Un chez-soi d'abord.

III. LES ACCOMPAGNER DANS L'ACCÈS À LEURS DROITS ET FACILITER LEUR QUOTIDIEN

A. GARANTIR L'ACCÈS AUX DROITS HUMAINS

1. Leur permettre d'accéder aux soins et à une réelle prise en charge des violences sexistes et sexuelles (VSS)
a) Améliorer l'accès aux soins médicaux des femmes sans domicile

Les femmes sans domicile sont plus exposées aux inégalités dans l'accès aux soins alors même que leur état de santé global, aussi bien physique que psychologique, est particulièrement dégradé comme évoqué précédemment.

En effet, si les difficultés d'accès aux soins médicaux sont communes à toutes les personnes en situation de précarité et à la rue, les enjeux liés à la santé touchent plus spécifiquement les femmes lorsqu'il s'agit de santé sexuelle et reproductive en raison de leur exposition accrue aux violences sexuelles et aux risques de grossesse, mais aussi de santé mentale.

(1) Garantir l'accès à l'information et aux professionnels de santé

S'agissant des femmes sans domicile, la difficulté principale réside dans la possibilité pour elles d'accéder non seulement aux dispositifs de soins, mais aussi à l'information en santé qui permettrait de les protéger.

Beaucoup d'entre elles n'ont en effet pas accès à une information même basique sur leurs besoins en santé et sur le suivi médical minimum nécessaire pour une femme.

Ainsi, Marion Mottier, référente santé de Médecins du Monde, a indiqué à la délégation104(*) que les femmes sans abri ont « moins accès à de l'information en santé sur comment se protéger, à une information assez générale, aux dispositifs de protection, de prévention et de présentation en santé sexuelle et reproductive. »

En outre, même lorsque les personnes parviennent à accéder aux soins, les obstacles restent nombreux : les horaires, les permanences de services publics de moins en moins accessibles, la nécessité grandissante de prendre rendez-vous via des applications numériques, la barrière de la langue bien souvent, morcèlent ces parcours de soins. Les retards de recours aux soins ou les renoncements aux soins sont très importants pour ces femmes.

Garantir l'accès de ces femmes à des professionnels de santé pour leur suivi en santé global mais aussi en santé gynécologique, notamment leur suivi de grossesse et toute la santé périnatale, ou encore la santé mentale, suppose le déploiement de dispositifs ad hoc, adaptés à ces profils précaires.

Il peut s'agir de dispositifs de santé publique, de dispositifs relevant de la sphère associative ou encore de dispositifs dédiés au public spécifique des demandeurs d'asile, gérés par l'Ofii.

(a) Des dispositifs de santé publique peu spécifiquement dédiés aux femmes

Si certains dispositifs de santé publique existants sont dédiés à la prise en charge des publics en situation de grande précarité, y compris les populations sans domicile, « très peu d'éléments de ce dispositif sanitaire et médico-social sont spécifiquement destinés aux femmes » comme le précisait devant la délégation Luc Ginot, directeur de la santé publique de l'ARS d'Île-de-France. Il a cependant ajouté que « de nombreux dispositifs accueillent toutes les personnes en situation de grande précarité, y compris les femmes, qu'elles soient sans abri, hébergées, ou dans d'autres situations précaires », précisant que « ce dispositif en Île-de-France est assez dense ».

Dispositifs de l'ARS d'Île-de-France
dédiés à la prise en charge des publics précaires

- 68 permanences d'accès aux soins de santé (Pass) hospitalières dont l'utilisation par les femmes varie selon les territoires. Si elle s'établit à 40 % en moyenne, elle atteint 53 % en Seine-Saint-Denis, à Paris et dans le Val-d'Oise ;

- des Pass ambulatoires spécifiques à l'Île-de-France, confiées à des opérateurs municipaux ou associatifs, en dehors du milieu hospitalier, dont l'utilisation par les femmes est plus importante que celle des hommes ;

- les lits halte soins santé (LHSS), orientés vers la santé des personnes en grande précarité, qui les accueillent de manière inconditionnelle, indépendamment de l'ouverture des droits sociaux. Ils hébergent des hommes et des femmes nécessitant des soins intensifs. L'utilisation des LHSS par les femmes s'établit à 25 %. Ces LHSS sont des dispositifs de soins résidentiels. Les personnes y entrent sur prescription médicale et y restent généralement quelques semaines ou quelques mois. En réalité, les séjours sont souvent prolongés, faute de solutions d'aval ;

les lits d'accueil médicalisé (LAM), qui offrent des soins plus intensifs, souvent pour des personnes en fin de vie ou en état de santé très dégradé ;

- les appartements de coordination thérapeutique (ACT) qui ont été conçus pour les personnes atteintes du VIH et largement étendus à d'autres pathologies ;

- en matière de santé mentale, certaines mesures structurelles sont spécifiques à la grande précarité, tel le dispositif des psychologues en accueil hébergement insertion (AHI). En Île-de-France, soixante-dix postes de psychologues ont été pourvus dans les centres d'hébergement pour déployer des prises en charge prioritairement dans les CHU et ensuite dans les CHRS. Dans certains territoires, ces psychologues commencent à s'organiser pour prendre en charge les personnes hébergées en hôtel ;

- pour ce qui concerne le traitement des addictions, l'attention de la délégation a été attirée par le directeur de la santé publique de l'ARS d'Île-de-France sur un sujet qui devient particulièrement préoccupant en région parisienne, celui de la consommation de crack, car « actuellement, environ 30 % des consommateurs de crack à la rue sont des femmes, qui se trouvent souvent dans des situations de risque extrême, notamment en raison de leur dépendance à des réseaux dont il est très difficile de les sortir ». Des places d'hébergement sont réservées aux consommatrices de crack dans deux équipements parisiens. Cependant, cette dizaine de places est généralement sous-utilisée, car les femmes hésitent à échapper à l'emprise des réseaux, particulièrement forte la nuit.

Enfin, s'agissant de la santé sexuelle et reproductive :

- l'ARS soutient des associations sur des projets polyvalents, en portant une attention particulière aux femmes à la rue ou aux partenariats plus spécifiques avec le Samusocial, l'hôpital Bichat et Le Kiosque, travaillant sur les questions de santé sexuelle pour les femmes hébergées à l'hôtel ;

- en matière de santé périnatale : l'ARS s'inquiète de l'impact de la grande précarité et du sans-abrisme chez les femmes sur la hausse de la mortalité infantile en Île-de-France, où les données sont alarmantes.

Des unités d'accompagnement personnalisé existent dans certaines maternités, celles qui sont les plus exposées à la précarité sociale. Ces unités travaillent spécifiquement avec des femmes cumulant des vulnérabilités, y compris les femmes sans abri. Les résultats récents montrent que ces unités réduisent les taux de prématurité et de césarienne, améliorant ainsi la qualité et les résultats sanitaires de la prise en charge.

Le deuxième dispositif correspond à l'Hébergement en soins résidentiels (HSR). Ce dispositif, implanté à Athis-Mons, accueille des femmes sans droits, sans abri et sans hébergement, qui sont enceintes ou qui viennent d'accoucher et qui présentent des pathologies lourdes, souvent liées à des violences sévères, des infections VIH, et d'autres conditions médicales complexes. La prise en charge n'est pas conditionnée par les droits sociaux, ce qui permet d'atteindre les publics les plus en difficulté. Elle permet de tenir compte de l'absence de logement et d'éviter la séparation des fratries grâce à un dispositif couplé avec celui du préfet, situé dans le même centre d'hébergement d'urgence (CHU), dans un contexte de transparence totale vis-à-vis de l'usager.

Source : ARS d'Île-de-France

Le délégué interministériel à l'accès à l'hébergement et au logement, Jérôme d'Harcourt, a, quant à lui, précisé à la délégation que des mesures destinées à faciliter la prise en compte des besoins de santé des femmes en errance seraient mises en oeuvre dans le cadre du deuxième plan Logement d'abord, notamment le déploiement d'un réseau de coordinateurs en santé des femmes sur dix territoires qui porteront des actions de santé globales auprès des femmes et des actions de formation des professionnels dans les structures.

(b) Des dispositifs relevant du réseau associatif

Lorsque les dispositifs de santé publique ne sont pas accessibles ou pas connus des femmes sans domicile, ces dernières se tournent souvent vers le réseau associatif pour recourir aux soins de santé primaire.

Médecins du Monde, notamment, compte une cinquantaine de programmes en France métropolitaine et en outre-mer, notamment des programmes fixes de type centre d'accueil, de soins et d'orientation (CASO), tel que celui de Saint-Denis visité par les rapporteures le 6 mai 2024.

Visite du centre d'accueil, soins et orientation (CASO) de Médecins du Monde
à Saint-Denis le 6 mai 2024

Le centre d'accueil, soins et orientation (CASO) géré par Médecins du Monde à Saint-Denis accueille 4 000 patients par an. Cette activité d'accueil est principalement gérée par des bénévoles (médecins, psychologues, juristes, interprètes, etc.) avec l'appui d'une équipe salariée.

Le budget annuel du CASO est de 1 million d'euros, financé à 30 % par l'Agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France.

Le CASO accueille 60 % d'hommes et 40 % de femmes. Il s'agit principalement d'un accueil social qui permet de réorienter les personnes en fonction de leurs besoins et de leur parcours de vie. Le CASO est un lieu d'accueil conditionnel.

Les femmes accueillies par le CASO, victimes de mal-logement, ont souvent été victimes de violences. Médecins du Monde a signalé un manque sur le département de la Seine-Saint-Denis de places de mise à l'abri pour les femmes victimes de violences intrafamiliales. En outre, la structure se trouve démunie, en matière d'outils, pour traiter les cas de victimes de violences conjugales.

Globalement, 93 % des personnes reçues au sein du CASO n'ont pas de logement personnel et stable ; seule une très faible part du public accueilli est hébergée dans un hébergement stable. En outre, 7 personnes sur 10 reçues au CASO se déclarent « hébergées par un tiers ». Cet hébergement par un tiers signifie souvent un hébergement « contre services », surtout pour les femmes.

Enfin, le CASO a également développé un programme de médiation en santé, avec 700 consultations médicales par an, à destination de la population rom vivant en bidonville.

Pour accueillir les femmes en situation de rue, l'ONG a mis en place des modalités d'intervention spécifiques, avec des permanences dédiées, des horaires décalés, des systèmes de garderie d'enfants, les femmes accompagnées d'enfants étant parfois refusées en consultation classique.

Pour l'accès à la santé, Médecins du Monde insiste notamment sur la tenue de permanences physiques, sans rendez-vous, dans la mesure où le « tout numérique » constitue une barrière extrêmement importante. Un accès à l'interprétariat professionnel en santé est également essentiel en médecine de ville et, plus largement, pour l'ensemble des acteurs médico-sociaux de ville. Il est en effet difficile de prendre des rendez-vous sur des applications numériques telles que Doctolib avec des téléphones prépayés.

Également entendu par la délégation, le réseau de santé périnatale Solidarité Paris Maman (Solipam) prend en charge les femmes enceintes en situation de rue ou d'errance résidentielle. Leur hyper mobilité a souvent pour conséquence un suivi de grossesse tardif et tronqué, qui participe à une errance dans le soin voire une rupture dans le parcours de soins. L'errance force les femmes, en cas de nécessité de soins, à un recours aux urgences, point d'entrée en maternité, sans « parcours coordonné » de soins possible.

Les femmes prises en charge par le réseau de périnatalité Solipam

En 2023, 549 femmes ont été accompagnées par le réseau Solipam pendant en moyenne 175 jours. La file active du réseau comptait 727 femmes, en augmentation de près de 10 % par rapport à 2022. Ces femmes sont en moyenne âgées de 29 ans. Elles sont primipares dans 37 % des cas et majoritairement seules ou en couple sans enfant. En outre, le nombre de femmes en situation de rue suivies par le réseau est passé de 38 % en 2022 à 53 % en 2023.

Les demandes proviennent, pour moitié de femmes qui les joignent par le biais d'un numéro vert, et pour l'autre de professionnels, en majorité des départements de Paris, de la Seine-Saint-Denis et du Val-d'Oise. À eux seuls, ces trois départements représentent 76 % des demandes. Les principaux professionnels qui sollicitent le réseau Solipam sont les associations, les PMI, les maternités et les services sociaux de secteurs.

Plus de 50 % des femmes présentent des suivis de grossesse sous-optimaux qui s'expliquent par un recours tardif aux soins, voire un non-recours aux soins en amont de leur prise en charge par Solipam. Elles prennent contact avec le réseau aux alentours de vingt-deux semaines d'aménorrhée, soit à mi-parcours de leur grossesse. Ce recours tardif se couple aux difficultés d'accès aux droits, alors qu'elles pourraient bien souvent en bénéficier. 52 % des femmes suivies ne bénéficient d'aucune couverture maladie ; 29 % d'entre elles n'ont pas de domiciliation administrative, alors que celle-ci constitue la première étape essentielle pour accéder aux droits.

(c) Des dispositifs destinés au public des demandeurs d'asile

Certains dispositifs d'accès aux soins spécifiques existent pour le public des demandeurs d'asile à leur arrivée sur le territoire français.

Ainsi que l'a rappelé devant la délégation, Didier Leschi, directeur général de l'Ofii, pour les publics suivis par l'Office un rendez-vous santé existe depuis le 1er juin 2021, mais n'est, pour l'heure, proposé que dans neuf régions et dix-sept directions territoriales de l'Ofii.

Ce rendez-vous permet d'effectuer un bilan de santé en vue d'orienter les personnes concernées vers des rattrapages vaccinaux et les dispositifs de droit commun. Les femmes représentent 40 % du public de ces rendez-vous santé.

Didier Leschi a également précisé à la délégation que, depuis la crise du covid, l'Ofii mène des discussions avec la Direction générale de la santé (DGS) pour être agréé en tant que centre de vaccination généraliste, dans le but notamment de développer la prévention, le dépistage et l'examen médical des primo-arrivantes afin d'éviter une aggravation de certaines pathologies et une recrudescence de certaines épidémies.

Ces examens médicaux pourraient par ailleurs cibler plus spécifiquement les femmes qui ont subi de nombreuses violences lors de leur parcours migratoire.

(2) Développer les dispositifs d'« aller vers » et les équipes mobiles

Outre les dispositifs fixes d'accueil des publics précaires, il est indispensable de proposer des solutions mobiles qui permettent de se rendre au plus près des femmes sans domicile et ainsi d'aller vers ce public particulièrement fragile qui se caractérise par un fort taux de non-recours ou de renoncement aux soins.

Plusieurs dispositifs existent déjà, en Île-de-France notamment, et méritent d'être développés.

L'Agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France a ainsi développé plusieurs dispositifs mobiles à destination des personnes sans abri ou hébergées, dont certains plus spécifiquement dédiés aux femmes :

- 23 équipes mobiles psychiatrie précarité (EMPP), basées dans les secteurs publics de psychiatrie, qui ont pour mission de sortir de l'hôpital pour aller vers les personnes sans abri ou hébergées. Elles couvrent l'ensemble du territoire de la région et affichent une file active de 32 % de femmes ;

- 54 équipes mobiles médico-sociales, créées dans le cadre du Ségur de la santé, qui comprennent des travailleurs sociaux et des soignants présentant des spécialisations variées, en particulier la périnatalité ;

- 7 Pass mobiles, équipes plus médicalisées, également créées dans le cadre du Ségur de la santé, en cours de renforcement.

S'agissant plus spécifiquement de la santé périnatale et du suivi de grossesse, la ville de Paris a mis en place une PMI hors les murs qui accueille environ 450 personnes par an : ce dispositif ne compte actuellement qu'une sage-femme itinérante, Véronique Boulinguez, entendue par la délégation le 16 mai 2024. Elle mène des actions de protection maternelle et infantile en dehors des structures traditionnelles, auprès des femmes enceintes vivant dans des campements ou à la rue, ainsi qu'auprès des nourrissons.

Isabelle Susset, sous-directrice Santé des enfants, parentalité, santé sexuelle, de la Direction de la santé publique de la ville de Paris, a indiqué à la délégation que ce dispositif devrait être rapidement renforcé et rappelé qu'à Paris, la PMI compte environ 500 agents, répartis dans cinquante-neuf centres municipaux et associatifs. Elle a également précisé que les équipes « signalent de plus en plus une forte précarité et des situations complexes, qui rendent le suivi classique de la PMI de plus en plus difficile ».

Aujourd'hui, entre 20 et 30 % des femmes suivies par les sages-femmes de PMI à Paris sont sans domicile, dans les deux tiers de données effectivement renseignées par les services.

La situation parisienne n'est toutefois pas représentative du reste du territoire comme l'a d'ailleurs souligné Véronique Boulinguez : « à Paris, nous avons la chance de disposer de centres médico-sociaux et de Pass (Permanence d'accès aux soins de santé) pour orienter les femmes vers les PMI. L'ouverture du CPM Cité (Centre de protection maternelle) en 2019 a énormément facilité mon travail ».

Tous les interlocuteurs spécialistes des questions de santé ont insisté sur le fait que, pour les femmes sans domicile, l'instabilité de l'hébergement complique leur suivi médical, entraînant des ruptures de soins et retardant parfois des interventions chirurgicales, en gynécologie notamment.

À cet égard, il apparaît essentiel d'assurer un parcours de soins dès la sortie de maternité avec des rendez-vous déjà fixés en PMI, avec un pédiatre pour les premières consultations, et la mise en place d'un suivi gynécologique des femmes post-accouchement, souvent négligé, notamment la rééducation périnéale.

Enfin, le réseau associatif intervient également à travers des dispositifs mobiles d'aller vers.

C'est le cas de Médecins du Monde qui intervient auprès des personnes vivant dans des habitats précaires, pour répondre à leurs problématiques de santé, au travers du programme 4i qui porte sur l'impact sur la santé des lieux de vie informels, instables, insalubres et indignes.

S'agissant de la lutte contre la précarité menstruelle qui touche de plein fouet les femmes sans domicile, la ville de Paris collabore avec l'association Règles Élémentaires, qui compte plus de cinquante-cinq associations partenaires et a accompagné près de 30 000 femmes en 2023. Elle distribue des protections hygiéniques adaptées à la vie dans la rue.

Recommandation n° 9 : Améliorer l'accès des femmes à la rue à l'information et aux professionnels de santé en :

- déployant des dispositifs ad hoc adaptés, en particulier de la médiation en santé, des permanences d'accès aux soins et des équipes d'intervention mobile et d'« aller vers » ;

- en permettant à l'Ofii, déjà chargé de l'examen médical des primo arrivantes, d'exercer également en tant que centre de vaccination généraliste agréé.

En outre, alors que le Premier ministre, Michel Barnier, a annoncé le 1er octobre 2024 devant l'Assemblée nationale que la santé mentale serait la « grande cause » nationale de l'année 2025, la délégation estime indispensable de développer une politique publique tenant compte des spécificités de cette problématique chez les femmes et d'y intégrer un volet relatif à la santé mentale des femmes à la rue et plus globalement de toutes les personnes sans domicile.

Recommandation n° 10 : Inclure et visibiliser dans la « grande cause santé mentale » une politique publique spécifique en faveur des femmes et notamment des femmes sans domicile.

b) Permettre une réelle prise en charge des violences sexistes et sexuelles

Les besoins spécifiques des femmes sans domicile, s'agissant de la prise en charge des violences sexuelles et sexistes, doivent également être pris en compte.

Ainsi que le soulignait Pauline Portefaix de la Fondation Abbé Pierre, « d'après la FNSF105(*), 80 % des femmes victimes de violences sont hébergées dans des dispositifs qui ne sont pas adaptés à leur situation. Les violences de genre constituent un facteur aigu du mal-logement. Cet élément demeure un impensé dans les stratégies de lutte contre le sans-abrisme ».

Comme évoqué précédemment, la très grande majorité des femmes qui vivent à la rue ou dans des hébergements d'urgence ont subi des violences sexuelles. Pourtant, rares sont celles qui ont bénéficié d'un examen gynécologique ou d'un dépistage. Encore plus rares sont celles qui déposent plainte.

Pauline Portefaix, de la Fondation Abbé Pierre, a rappelé que « la première difficulté relève du dépôt de plainte, au-delà de la volonté même. De plus en plus de policiers sont formés sur ces questions, mais nous observons de nombreux refus. Les femmes à la rue font l'objet d'une forte discrimination. Ensuite, lorsqu'elles portent effectivement plainte, le taux de classement sans suite est équivalent à celui de la population générale. Nous nous battons sur le terrain pour que la plainte ne constitue pas un critère limitant alors que dans de nombreux dispositifs spécialisés dans les questions de violences sexistes et sexuelles, on demande la plainte pour offrir une prise en charge ».

Un travail de sensibilisation doit également être mené auprès des professionnels du secteur de l'accueil des personnes à la rue afin de mieux détecter les violences sexistes et sexuelles subies par les femmes sans domicile et d'améliorer leur prise en charge.

Ainsi, la Dihal a lancé un programme de prévention et de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans l'hébergement généraliste mixte dont un des axes est la sensibilisation de l'ensemble des professionnels du secteur à travers notamment un module de e-learning qui, depuis 2023, a été vu par 1 250 professionnels de centres d'hébergement et qui doit continuer à se déployer.

Recommandation n° 11 : Améliorer la détection et la prise en charge des violences sexistes et sexuelles dont sont victimes les femmes à la rue en sensibilisant les professionnels du secteur de l'accueil et de l'accompagnement, ainsi que les forces de l'ordre qui recueillent les plaintes.

En outre, de façon très concrète, les rapporteures estiment nécessaire de donner aux femmes sans abri menacées les moyens de se défendre lorsqu'elles passent la nuit dans la rue. Si le port et le transport de produits type aérosols sont interdits sans motif légitime, les forces de l'ordre, ou le juge en cas de litige, tiennent compte du lieu, des circonstances et du contexte pour examiner au cas par cas la situation. Les rapporteures estiment que le fait pour une femme de dormir dans un lieu non sécurisé, en étant exposée aux agressions physiques et sexuelles, constitue un motif légitime.

Les associations, qui connaissent les femmes sans abri et les accompagnent dans la durée, apparaissent comme les interlocutrices appropriées pour fournir, avec discernement, en fonction de la situation de chaque femme, des moyens (produits ou techniques) d'auto-défense aux femmes qu'elles prennent en charge.

Recommandation n° 12 : Permettre aux associations de fournir aux femmes sans abri des moyens d'auto-défense.

2. Accompagner leurs enfants, en premier lieu dans leur droit à l'éducation

L'ensemble des interlocuteurs de la délégation a pointé la précarité inhérente à l'absence de logement qui touche les enfants sans domicile, qu'ils vivent dans la rue, dans un centre d'hébergement, à l'hôtel ou dans des habitats insalubres de type squat, bidonville ou campement de fortune.

Ainsi que le soulignait Julie Lignon, porte-parole de l'Unicef, à tout âge, le logement est central : « il ne s'agit pas seulement d'un abri, mais d'un lieu qui remplit des fonctions sociales et individuelles structurantes dans la vie de ses habitants. Ne pas en disposer prive les enfants d'un environnement protecteur, stable et prévisible, ainsi que d'un point d'ancrage, d'un lieu où se construisent les relations familiales, d'un lieu d'intimité et de repos physique et psychique ».

En effet, le fait d'être sans abri, de vivre dans une chambre d'hôtel exiguë, un bidonville ou un squat, expose les enfants à des conditions de vie dégradées qui engendreront d'importantes répercussions sur leur développement, leur santé physique et mentale.

L'absence de logement stable et durable a également des conséquences néfastes sur la scolarité des enfants, que ce soit en raison du refus de certaines municipalités d'inscrire ces enfants à l'école, alors même que cette inscription est obligatoire, ou en raison des conditions de précarité dans lesquelles cette scolarité se déroule.

a) Renforcer l'accompagnement social global des enfants à la rue

L'attention de la délégation a été attirée sur la nécessité de renforcer l'accompagnement social global des enfants et des familles en inscrivant les enfants comme bénéficiaires directs de cet accompagnement, au même titre que leurs parents.

De ce point de vue, plusieurs mesures en faveur du suivi des enfants sont prévues dans le Pacte des solidarités (2023-2027) qui prévoit notamment, au sein de son axe premier, un volet relatif à la prévention des inégalités dès l'enfance et à la lutte contre la pauvreté infantile.

Pour garantir cet accompagnement, l'Unicef a appelé, lors de son audition par la délégation, à la mobilisation de l'ensemble des ministères concernés et à l'inclusion des enfants sans domicile dans l'ensemble des politiques publiques de l'enfance, à savoir notamment la politique des 1000 premiers jours, les politiques de santé, d'éducation et de protection de l'enfance.

En outre, les associations reçues par la délégation - notamment le collectif Jamais sans toit106(*) qui, en occupant les établissements scolaires la nuit, a pour but de lutter contre le sans-abrisme des enfants scolarisés - ont insisté sur la nécessité d'associer à cet accompagnement social global des enfants sans domicile les collectifs locaux « qui disposent d'une expertise de terrain précieuse ».

L'Unicef a également souligné l'importance du rôle des communes et intercommunalités dans cet accompagnement des enfants sans domicile en précisant que « 300 villes amies des enfants se sont engagées à tenir des objectifs en matière de défense des droits et de protection des enfants. (...) Elles ne doivent pas remplacer l'État, mais chacun doit assumer ses responsabilités. (...) Elles disposent de compétences en matière d'accueil de la petite enfance (...) Elles ont aussi des responsabilités en matière d'éducation, de tarification scolaire, d'accès aux soins et de mobilité. Ces compétences (...) peuvent améliorer la vie quotidienne des familles et enfants sans domicile ».

Le Pacte des solidarités précité prévoit également la création d'un observatoire de la non-scolarisation ainsi que le renforcement de la médiation scolaire qui sont deux autres axes complémentaires de l'accompagnement social des enfants sans domicile.

Recommandation n° 13 : Reconnaître les enfants sans domicile comme bénéficiaires directs de l'accompagnement psychosocial global prévu pour leurs parents.

b) Faire respecter l'obligation d'inscription scolaire

Lors d'une table ronde107(*) organisée par la délégation sur la situation des enfants dans la rue, la question de la scolarisation des enfants sans domicile a été soulevée par plusieurs représentants d'associations, notamment le collectif #ÉcolePourTous qui se mobilise pour les enfants vivant en bidonvilles, squats, hôtels sociaux ou aires d'accueil et qui lutte notamment contre les refus illégaux d'inscription scolaire des enfants vivant dans ces lieux.

L'avocate et marraine du collectif, Anina Ciuciu a ainsi témoigné : « j'ai subi le refus discriminatoire d'inscription scolaire opposé par le maire faute de justificatif de domicile. En vivant dans un bidonville, un squat ou un hôtel social, nous ne disposions en effet ni de bail, ni de quittance de loyer, ni de facture d'électricité ».

Or, depuis la loi du 26 juillet 2019108(*) pour une école de la confiance, une inscription scolaire ne requiert plus l'obligation de présenter un justificatif de domicile. De même, le décret du 29 juin 2020109(*), précisant les pièces pouvant être demandées à l'appui d'une demande d'inscription sur la liste prévue à l'article L. 131-6 du code de l'éducation, a précisément pour but de mettre fin aux pratiques impliquant une demande abusive de justificatifs de domicile.

Toutefois, ainsi que l'a rapporté devant la délégation Anina Ciuciu, « certains maires continuent de refuser l'inscription aux enfants sans domicile fixe en se basant à tort sur l'absence de justificatifs de domicile alors que désormais la loi est claire, une simple attestation sur l'honneur du responsable légal de l'enfant est suffisante pour justifier du domicile ».

De même, Ana Maria Stuparu, porte-parole du collectif #ÉcolePourTous, a précisé que « malgré la clarté de la loi, (...) il existe des disparités dans son application à travers le pays, notamment s'agissant des exigences documentaires pour l'inscription scolaire. Bien que la loi soit claire, toutes les municipalités n'affichent pas la volonté d'inscrire tous les enfants à l'école ».

Pour sa part, la délégation estime bien sûr que l'ensemble des municipalités doit aujourd'hui respecter les termes de la loi et permettre l'inscription scolaire de tous les enfants sans discrimination, et sans exiger de documents justifiant d'un domicile fixe pour l'inscription scolaire.

c) Développer la médiation scolaire

La médiation scolaire à l'échelle nationale, dont le renforcement est prévu par le Pacte des solidarités, est indispensable lorsque survient l'expulsion habitative d'enfants vivant dans des conditions d'extrême précarité.

Lors de son audition par la délégation, Ana Maria Stuparu, porte-parole du collectif #ÉcolePourTous, a ainsi expliqué qu'à la suite de l'expulsion d'un lieu de vie informel, de type bidonville ou campements, il faut compter en moyenne six mois de déscolarisation des enfants expulsés.

De son côté Anina Ciuciu, marraine et avocate du collectif, a témoigné devant la délégation de l'expulsion qu'elle a elle-même vécue enfant : « nous habitions dans un foyer social, un hébergement d'urgence à Mâcon, en Saône-et-Loire. Lorsque nous avons enfin pu nous inscrire à l'école, nous avons commencé à rêver à un avenir en France, à croire en la possibilité d'avoir un futur. C'est à cet instant que notre hébergement a pris fin par une décision d'expulsion sans relogement et que nous avons dû quitter l'école dès le lendemain. (...) Nous avons uniquement pu emporter nos cartables. Nous avons vécu des mois dans un camion aménagé par mon père. Nous n'avons pu retrouver l'école que neuf mois plus tard ».

Les conséquences de ces expulsions habitatives sur la scolarité des enfants à la rue ont été documentées par l'association marseillaise, L'École au présent, spécialisée dans la médiation scolaire : une déscolarisation massive, occasionnant le décrochage voire l'abandon définitif de l'école. En outre, selon l'association, dans 86 % des expulsions, les fournitures scolaires sont détruites, souvent avec les vêtements, les médicaments, et les documents d'identité.

Pour toutes ces raisons, le collectif #ÉcolePourTous propose « la trêve scolaire républicaine, suspendant les expulsions habitatives durant l'année scolaire pour les enfants et leurs familles vivant en situation de grande précarité en bidonvilles, squats, hôtels sociaux, aires d'accueil des Gens du Voyage, en caz à Mayotte ou en Guyane. Cette mesure réduirait le nombre d'enfants à la rue et garantirait la continuité scolaire ».

Dans ces situations, le dispositif de médiation scolaire permet, d'une part, de garantir la continuité scolaire des enfants sans domicile en faisant le lien entre ces enfants et les équipes des établissements scolaires, d'autre part, de faciliter, le cas échéant, la transition vers de nouveaux établissements. En effet, lorsqu'un enfant en extrême précarité doit changer d'école, son parcours éducatif est souvent perdu, sans aucune continuité ni aucun suivi de son niveau scolaire. La présence d'un médiateur scolaire est alors essentielle dans ces situations.

La médiation scolaire a également pour mission de faciliter l'inscription scolaire des enfants et, dans l'attente de l'inscription, de préparer les enfants à devenir élèves et les parents à leur rôle de parents d'élèves. Ce travail inclut la préparation aux évaluations de la langue française des enfants allophones et leur permet d'acquérir les fondamentaux en attendant l'accès à l'école publique.

Depuis la rentrée 2020, la Dihal, en lien avec les autorités académiques et la Délégation interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes (DIPLPEJ), pilote le programme Toutes et tous à l'école destiné à faciliter l'insertion scolaire des 7 000 enfants résidant en squats et bidonvilles.

Il existe aujourd'hui une quarantaine de postes de médiation scolaire permettant à environ 4 000 enfants par an de bénéficier d'un accompagnement pour assurer leur continuité scolaire, le dispositif étant réservé aux enfants intraeuropéens. Un triplement des postes avait été annoncé par le gouvernement, avant la dissolution de l'Assemblée nationale, pour la rentrée 2024-2025.

Recommandation n° 14 : Renforcer les moyens dédiés aux dispositifs de médiation scolaire pour tous les enfants sans domicile, notamment pour garantir leur inscription scolaire sans exigence d'un justificatif de domicile.

3. Les aider dans l'accès aux droits et aux services du quotidien
a) Accélérer le traitement des dossiers de droit au séjour des femmes sans domicile

Comme précédemment évoqué, la question du traitement de la situation administrative des femmes hébergées en situation irrégulière, pour lesquelles aucune solution de logement n'est aujourd'hui possible faute de droits ouverts, doit être posée.

En effet, libérer des places dans les dispositifs d'hébergement, pour accueillir d'autres personnes en situation d'urgence, supposera soit de procéder à des régularisations, au cas par cas, sur décision du préfet, notamment pour des femmes qui sont hébergées depuis des années, travaillent et pourraient accéder à un logement, soit de procéder à des reconduites à la frontière ou à des aides au retour pour les personnes déboutées de leur demande d'asile ou de titre de séjour s'il est considéré que celles-ci n'ont pas vocation à rester en France et qu'aucune perspective ne leur est ouverte.

Une fois ce constat dressé, se pose la question d'une approche administrative « réaliste » de la prise en charge au titre du droit au séjour de cette population étrangère à part entière : celle de migrantes, femmes seules et parfois mères, issues d'un parcours migratoire émaillé de violences, confrontées une fois en France à d'autres types de violences, souvent celle de réseaux de traite des êtres humains et celle multidimensionnelle de la « rue ».

(1) Des procédures parfois longues, complexes et dégradées

La question de la complexité et de la longueur des procédures administratives d'accès à un titre de séjour pour les personnes exilées a été soulevée à de nombreuses reprises par les interlocuteurs de la délégation, que ce soit s'agissant d'une première demande ou d'un renouvellement de titre de séjour.

Cette complexité et cette longueur peuvent s'avérer délétères pour les femmes, notamment les primo-arrivantes, souvent victimes de réseaux de traite des êtres humains et de prostitution dès leur arrivée sur le territoire.

Lors de son audition, la Fondation Abbé Pierre a alerté la délégation sur la dégradation des conditions d'accueil et de traitement des personnes étrangères dans les préfectures : « les retards dans la délivrance des titres de séjour entraînent des ruptures de parcours pour des femmes étrangères parfois présentes en France depuis très longtemps. Elles peuvent perdre leur logement du fait de la perte de leur droit au séjour à cause du retard pris par la préfecture dans le renouvellement de leur titre de séjour. Cette problématique s'accentue depuis une dizaine d'années ».

La Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) a précisé aux rapporteures que la simple étude de la demande d'accès à un premier titre de séjour peut prendre jusqu'à dix-huit mois et que les renouvellements de titres de séjour sont également embolisés.

De même, Vanessa Benoit, directrice générale du Samusocial de Paris, a souligné la complexité administrative qui pèse sur les femmes migrantes : « les titres de séjour sont de plus en plus précaires et empêchent ainsi une vraie insertion. S'y ajoute le risque de perte du titre de séjour, parce que vous ne parvenez pas à le renouveler, parce que la préfecture ne vous donne pas de rendez-vous. Ces réalités plongent les personnes concernées dans la difficulté. Les risques d'exploitation de ces femmes sont réels, et le sont d'autant plus qu'aucune prise en charge ne leur est adressée ».

Cette fragilité au regard de la régularité du séjour pour les femmes migrantes et leur maintien dans une situation irrégulière sur le territoire peuvent constituer un facteur d'aggravation du sans-domicilisme, alors même que, très souvent, ces femmes travaillent.

À cet égard, la chercheure Marie Loison-Leruste a insisté sur le fait qu'« une grande partie des personnes accueillies dans les centres d'hébergement travaillent au noir. Les femmes font très souvent des ménages, ou sont employées dans le secteur des soins, parce qu'elles ont envie et besoin de travailler, d'avoir une reconnaissance, d'envoyer de l'argent dans leur pays, à leurs enfants. Certaines d'entre elles attendent leur régularisation. Elles ont émis des demandes pour obtenir le statut de réfugié, en évoquant leur parcours migratoire, parfois très douloureux ».110(*)

En outre, les démarches d'accès au logement peuvent être rendues encore plus longues et complexes pour les familles dont le droit au séjour n'est pas complet : si une partie de la famille est régularisée, mais que certains membres ne le sont pas, son ensemble ne peut avoir accès au parc social.

Emmanuelle Cosse a, par exemple, indiqué à la délégation que « de nombreux ménages dont les adultes ne bénéficient pas de droits régularisés se trouvent bloqués lors des commissions d'attribution, même après avoir présenté des dossiers jusqu'au stade préliminaire. Cette situation constitue une difficulté majeure, notamment pour les ménages appelés à s'installer durablement sur le territoire ».

Pour l'ensemble de ces raisons, les rapporteures estiment qu'il est primordial, dans un premier temps, de reconnaître l'existence de ces difficultés et leur impact sur la fluidité de la chaîne hébergement-logement. Si elles ne s'accordent pas toutes sur les solutions à y apporter, elles considèrent qu'affronter courageusement et de façon réaliste cette question est nécessaire.

(2) Un nécessaire examen, au cas par cas et accéléré, des demandes de régularisation de femmes sans domicile avec enfants

Les rapporteures de la délégation n'ont pas toutes la même approche des enjeux de régularité du droit au séjour des femmes migrantes sans domicile.

Au cours des travaux de la délégation, la rapporteure Laurence Rossignol a ainsi estimé que l`exigence d'un titre de séjour régulier pour accéder à un logement social est l'un des principaux facteurs d'embolisation des structures d'accueil et d'urgence et contribue à l'augmentation du nombre de personnes sans abri. Elle s'est dite favorable à une régularisation des femmes qui vivent en hébergement.

La rapporteure Olivia Richard a, quant à elle, jugé que les femmes sans abri originaires de pays où elles ont subi des violences ou des menaces, ont vocation à rester en France, a fortiori lorsque leurs enfants y sont nés et scolarisés, conformément au droit en vigueur. Elle a jugé impératif pour ces femmes de pouvoir bénéficier d'une mise à l'abri pérenne, surtout lorsqu'elles ont des enfants à la rue, et estimé nécessaire une réflexion sur la mise en place de titres pluriannuels.

Pour la rapporteure Agnès Evren, la question de la régularisation des femmes étrangères sans papiers et sans domicile ne doit pouvoir s'envisager qu'au cas par cas et dans le respect des textes règlementaires et législatifs en vigueur. Elle estime toutefois que ces femmes, en raison de leur vulnérabilité aux réseaux de traite et de prostitution, doivent pouvoir bénéficier d'un traitement accéléré et spécifique de leur demande, via un guichet dédié en préfecture par exemple.

La rapporteure Marie-Laure Phinera-Horth considère, pour sa part, qu'un principe de réalité doit s'appliquer sans pour autant procéder à une régularisation massive des personnes en situation irrégulière. Elle a également déploré qu'en Guyane certaines femmes sans abri se voient délivrer des titres de séjour sans autorisation de travailler, ce qui constitue pour elle un non-sens.

Malgré des approches divergentes, les rapporteures ont décidé de se retrouver sur un socle minimal commun et estiment qu'au cas par cas, et dans le cadre des textes règlementaires111(*) et législatifs existants, les préfets doivent pouvoir accorder aux femmes migrantes sans domicile, au premier rang desquelles les mères isolées, un titre de séjour, d'autant que de nombreuses femmes appartiennent à la catégorie des « ni-ni » : ni expulsables ni régularisables, ce qui rend leur situation sur le territoire français inextricable.

Cette approche « réaliste » est celle qui a été exposée à la délégation par le directeur général de l'Ofii, Didier Leschi, lors de son audition le 13 juin 2024 : après avoir rappelé qu'en 2023, 30 000 personnes avaient été régularisées sur l'ensemble du territoire national, il a souligné que « l'hébergement d'urgence est victime de son mode de fonctionnement. Il devrait permettre un meilleur accompagnement vers la régularisation, dans le cadre d'un dialogue impliquant le ministère de l'intérieur et les préfectures. La crédibilité du dispositif serait plus forte si le dialogue avec le ministère de l'intérieur et les gestionnaires des lieux d'hébergement était plus franc concernant les derniers arrivants qui n'ont pas vocation à rester sur le territoire et pourraient bénéficier des dispositifs de l'Ofii en matière d'aide au retour volontaire ».

Il a par ailleurs estimé que « le refus de différencier les publics bloque l'ensemble du système, l'idée contestable que toute personne en situation irrégulière devrait être régularisée aussi. En effet, il conviendrait en particulier de faire la part entre les personnes qui viennent de pays d'origine sûrs et les autres ».

Il a enfin ajouté qu'« une politique de maîtrise des flux migratoires suppose d'accepter de contraindre un certain nombre de personnes à retourner dans leur pays d'origine dès lors qu'elles ne relèvent d'aucun titre de séjour, surtout si elles sont présentes en France depuis peu de temps. Cela permettrait de régulariser, au cas par cas, celles qui, au contraire, résident sur le territoire depuis plusieurs années. Je pense que nous pourrions au moins discuter de la régularisation des parents d'enfants nés et scolarisés en France, car nous savons qu'il sera très difficile qu'ils retournent dans leur pays d'origine ».

Les principales dispositions de la circulaire Valls
du 28 novembre 2012

Un travailleur étranger, non européen, en situation irrégulière en France peut obtenir, par l'admission exceptionnelle au séjour, une carte de séjour salarié ou travailleur temporaire. Il s'agit d'une régularisation au cas par cas. L'étranger doit remplir des conditions d'ancienneté de séjour et de travail en France. Il doit déposer sa demande en préfecture. La procédure diffère selon que l'emploi figure ou non sur la liste des métiers en tension (métiers pour lesquels il existe des difficultés de recrutement).

La circulaire Valls du 28 novembre 2012 concerne la régularisation des étrangers sans papiers par le travail ou à un autre titre. Elle donne des indications aux préfets s'agissant du traitement des demandes déposées par les étrangers se trouvant sur le territoire français sans papiers et prévoit un certain nombre de situations :

- les demandes de régularisation par le travail ;

- les étrangers parents d'enfants scolarisés ;

- les conjoints d'étrangers en situation régulière ;

- les étrangers entrés en France mineurs et devenus majeurs ;

- les étrangers justifiant d'une résidence d'au moins 10 ans en France ;

- tout étranger en situation irrégulière n'entrant pas dans les catégories indiquées ci-dessus.

La demande de régularisation doit être déposée auprès de la préfecture ou de la sous-préfecture du lieu de résidence de l'étranger.

Partant, la délégation estime nécessaire de rappeler aux préfets leur faculté de procéder, au cas par cas, à la régularisation des femmes étrangères sans domicile, notamment les mères isolées ayant des enfants nés ou scolarisés en France.

Par ailleurs, la délégation note avec intérêt une jurisprudence récente de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), qui ouvre la voie à une reconnaissance facilitée du statut de réfugiée pour les femmes qui viennent de pays dans lesquels leurs droits sont bafoués. En effet, dans une décision du mois de janvier 2024, la CJUE a considéré que « les femmes, dans leur ensemble, peuvent être regardées comme appartenant à un groupe social » et prétendre au statut de réfugié si « dans leur pays d'origine elles sont exposées, en raison de leur sexe, à des violences physiques ou mentales ».

Plus récemment encore, le 11 juillet 2024, la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) a reconnu « l'appartenance de l'ensemble des femmes afghanes à un groupe social susceptible d'être protégé comme réfugié [car] les femmes et jeunes filles afghanes sont, dans leur ensemble, perçues d'une manière différente par la société afghane ». Cette décision de la CNDA laisse à penser que les demandes d'asile des femmes afghanes France ont aujourd'hui de fortes chances d'être acceptées.

Cette demande d'asile, procédure de demande de protection internationale qui permet d'obtenir le statut de réfugié ou la protection subsidiaire, n'est cependant pas exclusive d'une demande parallèle de délivrance d'un titre de séjour, déposée en préfecture sur un fondement autre que celui de l'asile.

Recommandation n° 15 : Impulser un effort particulier en faveur des femmes sans domicile dans le cadre de la circulaire Valls, qui permet aux préfets de procéder à des régularisations au cas par cas.

L'accès au titre de séjour pour les personnes en parcours de sortie de prostitution (PSP) doit également être mentionné ici.

Ainsi que le soulignait Florence Gérard, présidente des OEuvres de la Mie de pain, lors d'un déplacement des rapporteures au sein du Foyer-Notre-Dame à Paris dans le 15e arrondissement, « beaucoup de femmes viennent en France avec la perspective de trouver un emploi et un logement, mais elles se retrouvent à Paris, exploitées, à la rue, sans ressources. Elles sont victimes d'exploitation sexuelle et se retrouvent prisonnières de réseaux de prostitution et de traite des êtres humains. Il est alors extrêmement difficile pour ces femmes de régulariser leur situation administrative. »

Les parcours de sortie de la prostitution sont précisément pertinents pour ces femmes migrantes issues des réseaux de traite des êtres humains. En effet, un PSP ouvre droit à l'obtention d'un titre de séjour d'au moins six mois pour les personnes étrangères, renouvelable au maximum trois fois.

En Île-de-France, depuis 2017, près de 500 PSP ont été réalisés. À Paris, 310 personnes en ont bénéficié, dont 55 % de femmes nigérianes.

Lors de leur visite des locaux de l'accueil de jour de l'Amicale du Nid à Saint-Denis le 6 mai 2024, il a été indiqué aux rapporteures que le fait d'être à la rue constitue toujours une difficulté pour les personnes candidates aux parcours de sortie de prostitution. En effet, une femme qui n'est pas hébergée va se retrouver à nouveau en proie aux réseaux de prostitution et ne pourra donc pas réussir son parcours de sortie de prostitution.

En outre, comme indiqué précédemment, les PSP ouvrent droit à une autorisation provisoire de séjour et de travail de six mois seulement. Toutefois, l'absence de renouvellement immédiat du titre de séjour, en raison de délais de procédure administrative, peut occasionner la perte du travail. C'est pourquoi il a été suggéré aux rapporteures de porter la durée de l'autorisation provisoire de séjour, dans le cadre d'un PSP, à un an plutôt que six mois.

Il semblerait, par ailleurs, que l'accès au titre de séjour dans ce cadre soit parfois encore difficile dans certaines zones du territoire. Par exemple, la déléguée régionale aux droits des femmes et à l'égalité de Martinique, Murièle Cidalise-Montaise, a indiqué à la délégation, lors de son audition le 29 mai 2024, qu'en Martinique, depuis 2019, sur 300 personnes potentiellement concernées par cette procédure, seules trente-trois avaient obtenu un titre de séjour. Elle a précisé que, l'intégration des personnes en PSP, essentiellement issues du Venezuela, d'Haïti ou de la République dominicaine, était globalement très réussie, mais que l'accès au titre de séjour restait difficile.

En outre, comme le rappelait Lucie Vacher, vice-présidente déléguée à l'enfance, à la famille et à la jeunesse de la métropole de Lyon, lors de l'audition de Bruno Bernard, président de la métropole, le 18 septembre 2024, il peut sembler paradoxal que, pour ces femmes issues de filières clandestines de l'immigration, le seul moyen d'accéder à la régularisation soit d'avoir vécu un parcours de traite des êtres humains et de prostitution une fois arrivées sur le territoire français. La métropole de Lyon a, par ailleurs, souligné que ces PSP étaient globalement réussis et que les dossiers présentés en commission départementale étaient très largement acceptés.

C'est pourquoi les rapporteures estiment que les parcours de sortie de prostitution, notamment ceux destinés aux prostituées étrangères en situation irrégulière et victimes de réseaux de traite, doivent être développés.

Recommandation n° 16 : Mobiliser les préfets pour développer les parcours de sortie de prostitution pour les femmes étrangères en situation irrégulière, victimes de réseaux de traite des êtres humains et de prostitution, et porter la durée de l'autorisation provisoire de séjour, accordée en cas de PSP, de six mois à un an.

S'agissant des demandes de titre de séjour, les rapporteures estiment qu'une accélération et une simplification du traitement administratif des dossiers des femmes étrangères sans domicile sont souhaitables.

C'est pourquoi les rapporteures sont favorables, a minima, à l'instauration, dans les préfectures, d'un guichet unique dédié au traitement des demandes de délivrance ou de renouvellement de titres de séjour déposées par des femmes étrangères sans domicile, hébergées ou à la rue.

Ce guichet spécifiquement destiné aux migrantes, femmes seules ou mères isolées, aurait pour but, d'une part, d'accélérer les délais de traitement de leurs dossiers de demande de régularisation ou de renouvellement de titres de séjour, d'autre part, de simplifier les démarches de ces femmes.

Recommandation n° 17 : Créer, au sein des préfectures, un guichet unique dédié au traitement des demandes de délivrance ou de renouvellement de titres de séjour déposées par des femmes étrangères isolées et sans domicile.

b) Accompagner les jeunes pris en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE) jusqu'à leur autonomie

La loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants112(*) garantit aux jeunes majeurs en difficulté, issus de l'aide sociale à l'enfance (ASE), un accompagnement, notamment par les départements, évitant ainsi les « sorties sèches » des bénéficiaires de l'ASE dès leur accès à la majorité, lorsqu'ils ne disposent ni de ressources suffisantes ni d'un soutien familial substantiel permettant de subvenir à leurs besoins.

Cette loi permet ainsi aux jeunes de bénéficier, avec le soutien financier des départements, d'un « contrat jeune majeur », entre leurs 18 et leurs 21 ans, qui consiste en une allocation financière, la possibilité d'être hébergé en famille d'accueil ou en établissement social ou médico-social, ou encore un simple suivi éducatif. Elle a pour objet de favoriser l'autonomie des jeunes majeurs issus de l'ASE en rendant donc obligatoire leur accompagnement jusqu'à leurs 21 ans, étant entendu qu'ils peuvent aussi user d'un droit au retour à l'ASE.

Néanmoins, les rapporteures ont été, à plusieurs reprises, alertées par leurs interlocuteurs sur le fait que de nombreux jeunes issus de l'ASE ne bénéficiaient pas de l'aide prévue par la loi pour les accompagner jusqu'à leur autonomie.

La dernière enquête Sans domicile de l'Insee de 2012 révélait d'ailleurs qu'un quart des personnes sans domicile nées en France avait été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance.

Lors de son audition113(*), la sociologue Marie Loison-Leruste relevait également le fait que, dans les structures d'accueil des personnes sans domicile, « on retrouve des femmes plus ou moins jeunes qui ont connu des parcours chaotiques en termes résidentiels. Quand elles sont d'origine française, elles sont très souvent passées par l'ASE ».

Le 3 avril 2024, Sarah El Haïry, alors ministre déléguée, chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles, avait, pour sa part, déclaré à l'Assemblée nationale que « 40 % des personnes sans domicile fixe de moins de 25 ans sont d'anciens enfants placés ».

Partant de ce constat, Anina Ciuciu, porte-parole du collectif #EcolePourTous, plaidait devant la délégation pour « la systématisation du contrat jeune majeur jusqu'à l'âge de 25 ans, pour éviter que des jeunes sortant de l'Aide sociale à l'enfance se retrouvent à la rue et perdent leur accès à l'éducation » 114(*).

La délégation a également été sensibilisée au risque de prostitution des jeunes femmes issues de l'ASE qui se retrouvent en proie aux réseaux proxénètes et ne bénéficient plus de la protection de l'enfance.

Ainsi que le soulignait Nathalie Latour115(*) de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), « la question du sans-abrisme questionne également notre politique de protection de l'enfance, de prévention, de capacité à permettre des parcours différents. Nous avons des indications alarmantes sur la situation de prostitution de jeunes femmes issues de l'Aide sociale à l'enfance ».

Pour l'ensemble de ces raisons, les rapporteures estiment indispensable, pour les départements, d'assurer la prise en charge des jeunes issus de l'ASE, a fortiori des jeunes femmes particulièrement exposées au risque de prostitution et de traite des êtres humains :

- d'une part, en appliquant pleinement la loi précitée du 7 février 2022 relative à la protection des enfants qui prévoit des dispositions spécifiques aux jeunes majeurs issus de l'ASE, âgés de 18 à 21 ans ;

- d'autre part, en engageant la responsabilité des départements qui ne la mettraient pas en oeuvre.

Recommandation n° 18 : Poursuivre la prise en charge des jeunes de l'aide sociale à l'enfance (ASE) jusqu'à leur autonomie, en appliquant pleinement la loi sur les contrats jeunes majeurs et en engageant la responsabilité des départements ne les mettant pas en oeuvre.

c) Rationaliser les démarches administratives et lutter contre le non-recours aux dispositifs d'accompagnement

Effectuer des démarches administratives ou accéder à des services du quotidien élémentaires peut s'avérer très difficile pour les femmes à la rue en raison de nombreux obstacles, parmi lesquels on peut citer :

- une segmentation des lieux de l'assistance aux personnes sans domicile ;

- la mixité de certains lieux d'accueil, tels que les accueils de jours, souvent rédhibitoire pour les femmes qui renoncent donc à les fréquenter ;

- les difficultés d'accès aux transports et de déplacement entre les multiples lieux où elles doivent se rendre pour effectuer leurs démarches, surtout lorsqu'elles sont enceintes ou accompagnées de nourrissons et d'enfants en bas âge.

(1) Des phénomènes observés de non-recours aux services élémentaires du quotidien par les femmes

S'agissant de l'accès aux lieux de l'assistance et du recours aux services et dispositifs d'accompagnement, plusieurs mesures pourraient être envisagées pour lutter contre les phénomènes de renoncement et de non-recours que l'on observe parfois chez les femmes sans domicile.

Lors de son audition par la délégation, le délégué interministériel à l'accès à l'hébergement et au logement (Dihal) a insisté sur ces phénomènes en précisant que, de ce point de vue, les données des Nuits de la Solidarité sont assez frappantes :

- 51 % des hommes contre 31 % des femmes fréquentent un point de distribution alimentaire dans les quatorze villes où ont été récoltées ces données ;

77 % des femmes n'ont pas fréquenté d'accueil de jour au cours des sept derniers jours, contre 63 % des hommes ;

- le même écart est constaté dans le recours aux services du quotidien, comme le fait de prendre une douche, un repas ou aller aux toilettes.

Ainsi, à la question : « Quand vous en avez besoin, avez-vous accès aux équipements ou services vous permettant de prendre une douche, de laver vos vêtements, de stocker vos affaires, de trouver de l'aide pour vos démarches, etc. ? », elles font part d'une moindre accessibilité de manière générale à ces services, qui peut s'expliquer par la mixité des services proposés ou un maillage moins dense des services s'adressant plus spécifiquement aux femmes.

A contrario, les données récoltées au cours des Nuits de la solidarité mettent en évidence un meilleur accompagnement et un meilleur recours à certains dispositifs pour les femmes que les hommes, bien que les niveaux soient globalement extrêmement faibles :

- 54 % des femmes rencontrées indiquent ainsi avoir une domiciliation administrative, contre 47 % des hommes ;

- les femmes rencontrées sont plus souvent accompagnées par un travailleur social que les hommes : 42 % contre 34 %.

(2) Développer la non-mixité des structures d'accueil de jour et éviter la dispersion des lieux de l'assistance

Le faible nombre de structures non mixtes explique sans doute pourquoi les femmes fréquentent peu les accueils de jour et renoncent ainsi à un lieu de répit qui pourrait leur permettre de sortir temporairement de l'itinérance et de sa violence.

Ainsi que le rappelait Vanessa Benoit, directrice générale du Samusocial de Paris, « le besoin de structures non mixtes est encore plus fort lorsque l'on est proche de l'urgence, en accueil de jour ou en premier hébergement »116(*).

Les rapporteures estiment nécessaire, d'une part, de renforcer la présence de lieux d'accueil de jour réservés aux femmes, d'autre part, de développer des espaces permettant aux femmes sans domicile de disposer d'un accès simultané à plusieurs services du quotidien tels que lieu de repos, douches, machines à laver, bagagerie, etc.

Une rationalisation de la distribution géographique de ces lieux de l'assistance est donc souhaitable afin de lutter contre leur segmentation sur le territoire.

Comme le soulignait Muriel Froment-Meurice, géographe, lors de son intervention devant la délégation117(*), « les lieux d'accueil de jour, les bagageries, les bains-douches, les laveries, les lieux d'hébergement sont dispersés. Les femmes se voient bien souvent contraintes de circuler entre ces différents lieux. Une des violences qu'elles subissent au quotidien résulte donc de leur obligation de déplacement dans les espaces urbains dans des conditions particulièrement compliquées. Nous savons pourtant que les déplacements de toutes les femmes dans les espaces urbains sont aujourd'hui compris comme plus compliqués que ceux des hommes ».

Les rapporteures se félicitent ainsi que, dans le cadre du Pacte des solidarités, la création d'un accueil de jour spécialisé pour les femmes soit prévue dans vingt territoires.

(3) Faciliter les démarches d'accès aux droits des femmes à la rue

Pour les personnes sans domicile, et plus encore pour les femmes, la question de l'accès aux droits est fondamentale. Cet accès peut en effet être limité par la complexité des démarches administratives à effectuer par ces personnes pour exercer leurs droits, qu'il s'agisse, comme déjà évoqué, des démarches liées au droit au séjour auprès des préfectures, au recours à la Caisse d'allocations familiales, au bénéfice de l'aide médicale d'État (AME), au dépôt de plainte pour violences, etc.

S'agissant des démarches effectuées plus spécifiquement par les femmes seules ou les mères isolées en situation d'errance, des accès ou horaires spécifiques pourraient être organisés.

Comme évoqué précédemment s'agissant de l'accès aux soins médicaux, des dispositifs d'« aller vers » pourraient être renforcés à destination de ce public car, comme le rappelait le Secours catholique lors de son audition le 14 décembre 2023, « les femmes à la rue essaient au maximum de se cacher pour se protéger des violences que la rue engendre. C'est ce qui fait qu'il est compliqué de les trouver. Il est alors primordial de développer ces dispositifs pour nous rendre directement là où elles se trouvent. Elles ne viennent pas spontanément à nous ».

La barrière numérique peut aussi constituer une complexité rédhibitoire pour ce public précaire : l'illectronisme ou l'absence d'accès aux outils numériques peuvent compliquer les démarches à effectuer auprès des administrations. Ainsi, il leur faut passer par un standard téléphonique, ce qui peut occasionner des délais d'attente beaucoup plus longs.

En outre, pour certaines démarches spécifiques, les pratiques administratives peuvent être variables d'un territoire à l'autre. C'est le cas notamment de l'accès à l'AME comme le soulignait Médecins du Monde lors de l'audition du 16 mai 2024, en évoquant « des pratiques très variables d'un territoire à l'autre et d'une caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) à l'autre, (...) des pièces complémentaires demandées par certaines administrations qui ne sont pas listées dans les documents initiaux. Ces demandes fréquentes sont souvent rapportées par nos programmes. Elles concernent notamment des papiers d'identité. Les pratiques varient considérablement d'une CPAM à l'autre, entraînant de nombreux retards dans l'accès à l'AME. (...) Une fois que les personnes obtiennent cette aide, le panier de soins est limité, certains soins sont soumis à un délai de carence de neuf mois. L'AME doit être renouvelée annuellement. »

Enfin, la question du « nomadisme administratif » et, encore une fois, de l'éclatement des lieux de l'assistance pour les femmes sans domicile plaide pour l'instauration d'un soutien financier aux transports urbains plus particulièrement pour les mères isolées d'enfants en bas âge.

Dans un contexte d'hyper mobilité forcée de ces femmes, une facilitation de l'accès aux transports en commun et une aide à l'achat de titres de transport pourraient être envisagées comme le suggérait Isabelle Susset, sous-directrice à la Direction de la santé publique de la ville de Paris, évoquant la mise en place d'un « Pass Navigo des 1 000 premiers jours », car « les déplacements multiples entre les hébergements, les soins médicaux, les PMI, et les restaurants solidaires deviennent impossibles sans un soutien financier aux transports ».

Recommandation n° 19 : Faciliter l'accès aux services du quotidien et aux démarches administratives :

- en développant les accueils de jour réservés aux femmes, centralisant services et accompagnements, pour une prise en charge stable et continue, dans un même lieu ;

- et en finançant les titres de transport des mères avec des enfants de moins de 3 ans.

B. SOUTENIR ET VALORISER LES TRAVAILLEURS SOCIAUX QUI LES PRENNENT EN CHARGE

Au cours de leurs travaux sur les femmes à la rue, les rapporteures ont été frappées par le délitement de l'environnement social de l'accompagnement du sans-abrisme et par les conditions très difficiles dans lesquelles s'exerce aujourd'hui le travail social.

Pour reprendre les mots de la chercheure Marie Loison-Leruste, les travailleurs sociaux « ne sont plus au bord du gouffre, ils sont dans le gouffre. Nombreux sont celles et ceux, chefs de service ou salariés de première ligne, qui sont en burn-out parce qu'ils ne trouvent plus de sens à leur travail. Malgré leur engagement, ils sont dans une très grande souffrance au travail, malmenés par leurs propres institutions du fait de leurs conditions de travail, de leur rémunération et de leur absence de reconnaissance professionnelle »118(*).

Au cours de leurs multiples déplacements durant leur mission (foyers de La Mie de pain à Paris, visites à Marseille, en Seine-Saint-Denis et dans un centre d'appels du 115 de Paris), les rapporteures ont souvent pu constater la détresse des travailleurs sociaux, parfois impuissants dans la recherche de solutions pour les femmes sans domicile qu'ils accueillent et accompagnent. Si la précarité de ces femmes est extrême, celle des travailleurs sociaux, censés les aider, l'est également.

C'est pourquoi les rapporteures estiment indispensable, d'une part, de reconnaître la difficulté et la valeur du travail social accompli auprès de ce public extrêmement fragile, d'autre part, de continuer à former et soutenir les travailleurs sociaux.

1. Renforcer l'attractivité et la formation des travailleurs sociaux
a) Une profession précaire et sous-valorisée : un risque réel de découragement

Bien qu'indispensables pour écouter, accompagner, accueillir et orienter les personnes à la rue, les travailleurs sociaux - et plus exactement les « travailleuses sociales » puisque la profession est majoritairement féminine - se trouvent souvent eux-mêmes dans une situation de grande précarité et d'instabilité en raison de faibles rémunérations, d'un manque de reconnaissance sociale et d'une perte de sens professionnel de leur activité faute de solutions durables à proposer au public pris en charge.

Principaux chiffres et éléments d'analyse sur les travailleurs sociaux

Au sein de l'ensemble des établissements et services en faveur des adultes et familles en difficulté sociale sont recensés par la Drees, en 2016 (derniers chiffres publiés), 30 190 travailleurs pour 21 800 équivalents temps plein (ETP) dans ces structures.

Ces personnes sont à 49,2 % des personnels éducatifs, pédagogiques et sociaux (éducateurs spécialisés, moniteur-éducateur, hôtes de pensions de famille, assistant de service social, conseiller en économie sociale et familiale) auxquels il faut ajouter 8,9 % de surveillants de nuit, 3,5 % de psychologues et personnels paramédicaux, enfin 8 % de personnels d'encadrement sanitaire et social.

En 2016, 81 % du personnel dépendaient d'une convention collective donc du secteur privé et 10 % étaient agents de la fonction publique (un quart des établissements d'accueil mère enfant sont publics).

64,5 % sont des femmes.

Elles et ils ont en moyenne 43,3 ans. Ils et elles ont, en moyenne, 7,5 ans d'ancienneté dans leur entreprise ce qui est relativement stable, mais on constate un rajeunissement des personnes dans les structures liées à l'asile par rapport à la précédente étude de 2012.

Enfin, 68% des personnels éducatif, pédagogique et social sont à temps complet.

Concernant la formation des futurs travailleurs sociaux, les établissements peinent à remplir leurs promotions : en dix ans, le nombre d'étudiants inscrits au sein d'écoles formant aux métiers sociaux a chuté de 6 %, et près de 10 % des étudiants s'arrêtent dès la première année. En 2022, 4 200 étudiants ont interrompu définitivement leur formation en travail social, soit un taux d'interruption de 7,2 %, selon les données de la Drees.

Le manque de personnel dans les structures conduit à un manque d'encadrement. Nombreux sont ceux qui se retrouvent parachutés dans des fonctions de professionnels alors qu'ils ne sont encore qu'apprenants.

Les structures recrutent, mais peinent à fidéliser leurs salariés, en raison de conditions de travail pénibles et d'un salaire peu élevé. En début de carrière le salaire net oscille entre 1 600 et 1 700 euros net. D'après les données de la CFDT, le salaire moyen brut dans les conventions collectives du secteur social se situe à 2 300 euros brut, contre 3 500 euros en moyenne nationale.

Cette faiblesse des salaires au regard des salaires moyens dans d'autres secteurs d'activité a une incidence sur l'attractivité du secteur, sur les capacités de remplacement des professionnels qui se font par le recours accru aux CDD de courte durée ou à l'intérim. Selon la CFDT, on comptabilise dans la branche plus de 100 000 départs en 2021, dont 52 % de salariés démissionnaires, 11 % de ruptures conventionnelles et 7 % de licenciements pour inaptitude. Le taux de turnover se situe autour de 12 % dans la branche.

Les salariés qui s'en vont sont massivement remplacés par des intérimaires embauchés pour quelques journées. Ce fonctionnement peut aussi être perturbant pour les publics vulnérables dont s'occupent les travailleurs sociaux.

Selon les données fournies par la CFDT, ce sont plus de 50 000 postes qui sont non pourvus faute de candidats dans la branche et plus de 200 000 projets de recrutements. Environ 20 % des postes seront à remplacer dans les dix années à venir du fait des départs en retraite.

En outre, les données fournies par la CFDT signalent un niveau de sinistralité important, supérieur à la sinistralité de la branche du bâtiment. Dans la branche, ce sont 25,4 millions de jours d'absence dont 3,34 millions d'accidents du travail/maladie professionnelle (AT/MP).

Sources : enquête de la Drees (2016), CFDT Santé sociaux, enquête du journal Le Monde
sur les jeunes travailleurs sociaux publiée le 26 septembre 2024

Cette précarité et l'absence de reconnaissance professionnelle constituent des facteurs importants de découragement voire de colère au sein d'un corps de métier marqué par un important turnover et une usure professionnelle souvent précoce qui sont à l'origine d'un manque d'effectifs au sein des équipes d'accompagnants au regard du nombre grandissant de personnes à accompagner.

Ainsi, Nathalie Latour, directrice générale de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), indiquait à la délégation, lors de son audition119(*), que « le turnover des équipes constitue une inquiétude majeure. Nous observons deux types de réactions dans des moments très difficiles : soit le découragement, soit une très grande colère, qui pose problème pour la qualité du travail, qui peut aussi se retourner contre la gouvernance, la direction, puisque ce sont leurs interlocuteurs, ceux qui transmettent le cadre dans lequel ils travaillent. Ce sujet demande beaucoup de travail de concertation, avec des enjeux éthiques et déontologiques ».

De même, Bénédicte Souben de la Croix-Rouge française alertait la délégation sur le fait que « les professionnels en structure d'hébergement, les écoutants du 115 et les maraudeurs font part de la difficulté de leur travail face à l'absence de solutions à proposer. Nous constatons une certaine usure, ainsi que du turnover, à propos duquel je ne dispose pas de données objectives à vous fournir. Nous avons également connaissance d'une proportion importante d'arrêts maladie. Cette profession abîme. S'y ajoutent des difficultés de recrutement pour pallier les départs ».

Le découragement, la lassitude et l'épuisement de ces professionnels (écoutants, maraudeurs, accompagnants, etc.) au quotidien ont été soulignés à plusieurs reprises devant la délégation.

Ainsi que le pointait aussi la représentante de la Croix-Rouge française, « certains professionnels, notamment des maraudeurs, sont tellement las de revoir les personnes parfois quotidiennement et de ne rien pouvoir leur proposer comme solution d'hébergement qu'ils demandent un appui de leur hiérarchie, soulignant qu'il est nécessaire de trouver une solution, n'importe laquelle. Certains managers nous indiquent que s'ils n'ont rien à proposer à leurs maraudeurs, ils les perdront. Dans ces conditions, on en arriverait presque à accepter de prendre en charge les personnes dans des conditions totalement insatisfaisantes, ce que l'on ne souhaite pas, parce que les professionnels en contact avec celles-ci ont besoin d'un peu d'espoir ».

À cet égard, Sophie Rigard du Secours catholique a révélé à la délégation que le niveau de saturation des services d'hébergement d'urgence était tel que le 115 en venait parfois à orienter certaines personnes à la rue « vers les réseaux citoyens d'hébergement, qui sont pour partie des squats. En effet, les adresses des squats circulent pour orienter les personnes au mieux, ce qui place les travailleurs sociaux dans des situations complexes et inconfortables. Ils ne connaissent pas le niveau de sécurisation des lieux évoqués. On est tellement dans la débrouille pour trouver des solutions à ces femmes, ces hommes et ces enfants, que nous en arrivons à ces situations ».

Pour sa part, Vanessa Benoit, directrice générale du Samusocial de Paris, indiquait à la délégation que « l'ancienneté moyenne des écoutants du 115 à Paris s'établit à sept mois. Elle est très faible. Nous passons notre temps à recruter et à remplacer. Nos équipes de travail social, sur de l'accompagnement, ont affiché jusque 30 à 40 % de postes vacants. Aujourd'hui, nous parvenons à recruter, mais pas des travailleurs sociaux professionnels diplômés. Nous embauchons des personnes qui n'ont pas de diplôme, mais ont une expérience, ou disposent d'une autre forme de diplôme. Nous demandons aux diplômés qui restent d'aider à les former, et nous les accompagnons dans une valorisation des acquis de l'expérience (VAE) ».

L'attractivité de ces métiers est un réel sujet de même que la capacité des écoles et des employeurs à maintenir ces professionnels en poste. Plus globalement, la question de la considération qu'ils ressentent est primordiale.

b) Valoriser le statut de travailleur social grâce à une meilleure formation

Si le découragement et l'usure sont aujourd'hui devenus des marqueurs du travail social, les rapporteures tiennent à souligner que toutes les femmes en difficulté qu'elles ont rencontrées au cours de cette mission ont fait valoir le rôle central, voire vital, qu'ont pu jouer les travailleurs sociaux, à une étape ou une autre de leur parcours, pour les aider à sortir de la rue.

En effet, la capacité des travailleurs sociaux à établir des relations de confiance avec les personnes, et notamment les femmes, qu'ils accompagnent, est cruciale pour le bon déroulement de l'accompagnement.

Les rapporteures gardent ainsi en mémoire l'hommage émouvant rendu à Nathanaël, travailleur social salarié au sein de l'association des OEuvres de la Mie de pain, par l'ensemble des femmes rencontrées à l'occasion de leur déplacement du mois de janvier 2024 au Foyer-Notre-Dame dans le 15e arrondissement de Paris et à la halte de nuit située au sein de la mairie du 5e arrondissement. Interrogé sur sa formation, Nathanaël avait fait part d'une formation initiale d'éducateur spécialisé tout en admettant avoir beaucoup appris sur le terrain en matière d'addictologie, d'accès aux soins, au logement, aux différents dispositifs d'insertion, ou encore de procédures administratives et juridiques.

Cette relation de confiance permet non seulement de mieux comprendre les besoins et les attentes des personnes accompagnées, mais de leur permettre d'aller de l'avant.

La revalorisation du statut de travailleur social devra se traduire par une revalorisation de la grille salariale associée à ces métiers ainsi que par une augmentation des effectifs, avec un renforcement des capacités des services sociaux de droit commun qui demeurent relativement bien identifiés. Plus encore, la question de la formation des travailleurs et travailleuses sociaux a été, à plusieurs reprises au cours de nos travaux, pointée comme incontournable.

Ainsi, le Secours catholique a rappelé que « la question de la formation des professionnels des structures, de la veille sociale et de l'hébergement à la prévention, au repérage, à la prise en compte et à l'accompagnement des victimes de violences faites aux femmes et aux enfants est primordiale ».

De ce point de vue, le Samusocial de Paris a également concédé que l'accompagnement social des femmes à la rue n'est pas toujours suffisamment adapté, car « nos professionnels ne sont pas formés à la prise en charge de personnes ayant vécu des traumatismes. Les femmes dont nous parlons ont besoin de se réapproprier leur corps, leur pouvoir d'agir, leur estime de soi. Il est important de prendre ces éléments en compte. Nos professionnels peuvent être gênés d'aborder des questions intimes sur l'accès aux soins, sur la santé reproductive et sexuelle, sur les violences sexistes et sexuelles subies. Puisqu'elles sont intrusives, il faut être formé à poser ces questions, à détecter ces difficultés à partir d'indices ».

Ces professionnels ont bien souvent besoin d'être accompagnés dans la prise en compte du polytraumatisme, fréquent chez les femmes qui vivent dans la rue.

Dans une contribution adressée aux rapporteures, la CGT a également souligné l'importance de s'assurer que les professionnels du secteur de l'accueil et de la prise en charge des personnes sans domicile reçoivent des formations de base solides ainsi que des formations complémentaires sur plusieurs thématiques : la prise en charge des addictions, des troubles psychiatriques ou des violences sexistes et sexuelles.

De même, Philippe Avez, directeur général du SIAO 93 situé à Montreuil, a insisté, lors de la visite des rapporteures le 6 mai 2024, pour que la formation des écoutants du 115 au repérage des violences subies par les femmes sans domicile soit plus poussée avec, par exemple, un questionnement systématique sur ce sujet par les écoutants lors de la prise d'appels.

Il a également pointé l'insuffisante formation technique des intervenants sociaux sur le fonctionnement et les procédures des SIAO.

Recommandation n° 20 : Revaloriser la profession et le statut de travailleur social et développer la formation continue dans le domaine de l'accompagnement social.

2. Des actions à mieux coordonner

De nombreux interlocuteurs de la délégation, notamment ceux rencontrés sur le terrain, ont déploré un manque de coordination entre les différents acteurs intervenant dans le champ de l'accueil et de l'accompagnement des personnes à la rue.

Ce défaut de coordination concerne à la fois les acteurs institutionnels entre eux (État, collectivités territoriales, associations délégataires de service public), mais aussi les différents acteurs associatifs qui interviennent dans des champs de prise en charge différents (par exemple l'addictologie, la santé mentale, l'assistance sociale, l'aide à la recherche d'un logement, les démarches administratives auprès des caisses d'allocations familiales ou de l'administration fiscale par exemple) sans pour autant coordonner leurs actions dans le temps.

a) Une segmentation des actions

Beaucoup d'intervenants du secteur de l'accompagnement social des personnes sans domicile ont déploré le travail « en silo » dans ce domaine à la fois du point de vue de l'organisation territoriale de la prise en charge, mais aussi de celui des associations entre elles.

Ainsi, Nathalie Latour, directrice générale de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), a indiqué à la délégation identifier plusieurs sujets en ce qui concerne la coordination des acteurs dans l'accompagnement des personnes à la rue, le premier étant celui de la difficile prise en charge de l'ensemble des situations, y compris celles qui ne sont pas visibles : « nous avons par exemple souvent constaté lors des plans grand froid ou des périodes d'urgence que, même si des personnes appelaient le 115, il fallait que ce soit les dispositifs de maraude et de veille sociale qui les amènent vers les dispositifs d'hébergement. Cet ajout de strates d'accès aux droits et à l'hébergement est extrêmement dommageable (...) Ainsi, elles ont pu appeler le 115, mais si elles n'étaient pas visibles dans la rue, elles n'ont pas eu accès aux dispositifs d'hébergement. Cette réalité est extrêmement problématique en termes de coordination. Nous devons effectuer deux fois le même travail et, en outre, une suspicion est portée sur la véracité des appels au 115 et sur la capacité d'évaluation des personnes par les équipes du 115 ».

En outre, l'accompagnement des personnes à la rue doit souvent s'inscrire dans un temps long, voire très long : le suivi peut se poursuivre sur plusieurs années et, dans ce cas, différents travailleurs sociaux interviennent au fil du temps pour accompagner la même personne. Ce suivi devrait pouvoir faire l'objet d'une coordination entre ces différents intervenants sociaux, d'un passage de relais.

PAROLES DE FEMMES

Témoignage recueilli par les rapporteures

« L'accompagnement dure longtemps, il faudrait un passage de relais entre travailleurs sociaux. On ne voit pas toujours les mêmes professionnels, à chaque fois il faut recommencer à zéro ! » Sophie Papieau, membre du collectif Les morts de la rue, sans-domicile entre 1994 et 2020.

Cette absence de coordination et ce manque de pilotage ont également été pointés, au niveau local, lors du déplacement des rapporteures à Marseille les 28 et 29 mars 2024.

Ainsi, Aurélie Tinland, médecin-psychiatre de l'AP-HM et responsable de l'équipe mobile psychiatrie précarité Marss (Mouvement et action pour le rétablissement sanitaire et social) à Marseille, a reconnu la pertinence de l'échelon local s'agissant de la prise en charge des personnes à la rue tout en déplorant des compétences éclatées au niveau de l'organisation territoriale de la prise en charge et donc un manque de coordination entre les acteurs.

Elle a notamment précisé que lorsque l'État était prêt localement à endosser son rôle de pilote, incarné en l'espèce par le préfet de région qui, à Marseille, a pris l'initiative de lancer l'opération Zéro sans abri, des actions concrètes pouvaient être déployées à destination du public à la rue. Elle a toutefois, là encore, déploré le travail en silo entre les différentes associations compétentes et la complexité de la gouvernance des dispositifs d'hébergement. Elle a également pointé le caractère peu opérationnel du Samusocial de Marseille en raison notamment du manque d'effectifs tout en précisant qu'une dynamique de mise en réseau se mettait progressivement en place.

En outre, les rapporteures ont pu constater l'existence de disparités de prise en charge des femmes à la rue sur l'ensemble du territoire en fonction notamment des initiatives mises en oeuvre localement par les pouvoirs publics et les associations, certaines pouvant parfois servir de modèles dans les autres territoires.

Ainsi, le développement de dispositifs spécifiquement destinés aux femmes sans domicile dans certains départements peut servir d'inspiration aux autres territoires.

C'est le cas, par exemple, du poste de sage-femme itinérante dans le cadre de la PMI hors les murs mise en place par la ville de Paris ou encore de la mise en oeuvre à Châlons, dans la Marne, d'un projet social de centre d'accueil destiné aux femmes décidé suite au diagnostic réalisé en 2023 par le SIAO de la Marne sur les femmes seules à la rue.

Le projet social de centre d'accueil destiné aux femmes à Châlons, dans la Marne :
une démarche pluridisciplinaire et partenariale

Ce centre d'hébergement doit être dédié à la prise en charge des femmes accompagnées ou non d'enfants, victimes de violences ou ayant un parcours d'errance plus ou moins long. Ce dispositif innovant sur le territoire répond ainsi aux besoins d'ouverture de places dédiées à l'accueil de femmes seules à la rue dont le diagnostic réalisé en 2023 par le SIAO a pointé la faiblesse sur l'ensemble du département de la Marne. Il comprendra un total de quinze places dont six en hébergement d'urgence pour des femmes seules à la rue, quatre places en hébergement d'urgence pour des femmes victimes de violences conjugales et cinq places en allocation logement temporaire (ALT) pour femmes victimes de violences conjugales.

Ce lieu d'accueil temporaire doit permettre à ces femmes de bénéficier d'un accompagnement individualisé et adapté ; il s'appuie sur des partenaires locaux (associations et conseil départemental notamment) compétents pour la prise en charge des femmes ainsi que de leurs enfants. Ces partenaires dédiés interviendront au sein même de la structure à travers l'instauration de temps de permanence.

En outre, le site recouvrera plusieurs typologies de places d'hébergement afin d'adapter chaque prise en charge tant dans sa durée que dans son intensité en fonction des besoins repérés pour chacune des femmes accueillies.

Les objectifs de ce dispositif ad hoc, co-financé par l'État, sont les suivants :

- la mise à l'abri des femmes sans abri et en situation de grande exclusion ;

- l'accueil des femmes victimes de violences conjugales et de leurs enfants qui sollicitent le 115 pour un hébergement d'urgence ;

- dans un premier temps : donner une réponse immédiate à des besoins de première nécessité (un toit, se nourrir, l'hygiène), mais également apporter un soutien matériel et psychologique ;

- dans un second temps : accompagner dans la durée et de façon individualisée afin d'aider ces femmes à sortir de la précarité et des violences subies. Un projet d'insertion globale tenant compte des besoins spécifiques de chaque personne sera travaillé ;

Grâce à une équipe pluridisciplinaire, chaque femme ou famille sera accompagnée par la structure et les partenaires dédiés à l'accompagnement interviendront sous forme de permanences.

Le but est de favoriser la socialisation, de lutter contre le sentiment d'isolement et de favoriser l'autonomie pour l'insertion durable par l'emploi et le logement. Cette structure pourra s'appuyer sur la plateforme emploi/logement du SIAO à travers des modules de formation.

En outre, un accompagnement spécifique sera apporté aux enfants avec un espace collectif modulable en fonction de l'âge des enfants. Pour les investissements nécessaires à la création de cet espace, un financement de la CAF est sollicité.

Source : SIAO de la Marne

Les rapporteures saluent cette démarche pluridisciplinaire et estiment qu'elle doit être encouragée le plus largement possible afin d'apporter aux femmes à la rue, seules ou avec des enfants, un accompagnement spécifique, individualisé et dans la durée, faisant intervenir dans un même lieu de multiples partenaires dédiés à cette prise en charge.

b) Encourager les partenariats pour un accompagnement global

Lutter contre le travail en silo dans le domaine de l'accompagnement social des femmes sans domicile suppose également d'encourager les partenariats transversaux, d'une part, entre État, collectivités territoriales et associations, d'autre part au sein du réseau associatif lui-même.

(1) Conforter le rôle de pilote local des SIAO

Le renforcement de la coordination entre acteurs territoriaux engagés dans la lutte contre le sans-abrisme doit notamment passer par le service intégré d'accueil et d'orientation (SIAO) considéré comme la clé de voûte du service public de la rue au logement au niveau local.

Instauré par la circulaire du 8 avril 2010, confirmé par la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, du 24 mars 2014 et la circulaire du 17 décembre 2015, le SIAO unique de chaque département est un outil essentiel pour porter la dynamique et coordonner la mise en oeuvre du Logement d'abord.

L'instruction du gouvernement du 31 mars 2022, relative aux missions des services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO) pour la mise en oeuvre du Service public de la rue au logement120(*), a pour but de :

doter le SIAO d'un pilotage qui traduit l'articulation des politiques publiques entre elles et la responsabilité partagée des parties prenantes, en y incluant notamment l'État, les collectivités territoriales volontaires au regard de leurs compétences en matière d'action sociale et de gestion de la demande de logement social, des représentants des associations du secteur AHI (Accueil - Hébergement - Insertion) et des bailleurs sociaux, des représentants des personnes accompagnées ;

- accorder une attention particulière au statut des SIAO ;

- rechercher en priorité la coordination des actions des SIAO avec l'ARS et l'implication des acteurs de la santé, notamment de la santé mentale et de l'addictologie ;

- renforcer le rôle de l'État dans le pilotage des SIAO et la prise de décisions.

Afin d'assurer la cohérence territoriale de la réponse aux besoins, le principe de SIAO unique par département est réaffirmé. Des modalités de territorialisation du SIAO à l'échelle infradépartementale peuvent être mises en oeuvre si elles s'inscrivent dans un pilotage départemental clair et en lien avec les priorités, objectifs territorialisés et instances locales (le cas échéant) du Plan départemental d'action pour le logement et l'hébergement des personnes défavorisées.

Enfin, le SI-SIAO est identifié comme un chantier prioritaire au niveau national afin qu'il devienne l'outil sur lequel les instances de pilotage du SIAO pourront s'appuyer pour piloter la politique publique, quantifier les besoins et mesurer la performance de l'offre et du SIAO.

Ainsi que le soulignait David Travers, adjoint à la solidarité de la Ville de Rennes et membres de l'association France Urbaine, « la réforme SIAO, malgré ses défauts, a pour avantage de créer une instance de partage des ressources existantes, permettant ainsi de réfléchir aux parcours de l'hébergement d'urgence vers le logement. (...) Nous avons besoin d'une pluralité de dispositifs, interconnectés, pour offrir des parcours adaptés à chacun ».

Dans une contribution adressée aux rapporteurs, les Départements de France préconisent une meilleure articulation des services de l'État et des collectivités territoriales, notamment en prévoyant systématiquement « la participation des départements aux commissions SIAO pour le fléchage des familles vers les logements ».

(2) Développer les partenariats locaux entre acteurs de la prise en charge des publics vulnérables

Les rapporteures encouragent le développement de partenariats entre les acteurs locaux, facilité par des financements croisés entre État, collectivités et réseau associatif.

Par exemple, la Ville de Rennes a contractualisé, avec l'aide de l'ARS, un accueil psychiatrique dans le restaurant social de la ville, qui sert quotidiennement plus de 250 repas aux personnes à la rue. Ainsi que le précisait David Travers à la délégation lors de son audition, « bien que l'accueil des femmes n'y soit pas spécifiquement sanctuarisé dans un circuit distinct, toutes les mesures sont prises pour leur assurer un accueil positif et tenir compte des risques spécifiques auxquels elles peuvent être confrontées ».

Comme l'a également précisé la Croix-Rouge française à la délégation, « le multiple financement avec plusieurs collectivités existe déjà par endroits. Par exemple, des conseils départementaux transfèrent en partie à certains accueils de jour la compétence d'accompagnement des bénéficiaires du RSA. Je pense à l'accueil de jour d'Annecy qui bénéficie d'un triple financement de l'État, de la ville et du conseil départemental. Ce fonctionnement reste effectivement très rare ».

Encourager le travail coordonné entre les associations et la mise en place de partenariats est également essentiel.

Ainsi, en tant que collectivité, la Ville de Rennes facilite la collaboration entre les associations comme l'a rappelé David Travers à la délégation : « par exemple, les Restos du Coeur ont lancé l'initiative du Restobus, qui installe un restaurant avec service à table sur la place publique une fois par semaine, offrant ainsi un cadre de dignité et un soutien actif. Le Caarud (Centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues), également présent ici et ailleurs, joue un rôle crucial dans les maraudes menées par la Croix-Rouge ».

Recommandation n° 21 : Favoriser les démarches pluridisciplinaires de prise en charge des femmes à la rue en développant les financements croisés et les partenariats entre acteurs locaux. En particulier, généraliser les lignes « partenaires » pour les associations auprès du 115 et des préfectures.

Alors que l'État délègue aux associations et groupements d'intérêt public une large partie de la prise en charge et de l'accompagnement des femmes sans domicile, la délégation estime indispensable de les doter des moyens d'assurer cet accompagnement, d'autant qu'elles font face à un effet ciseaux : d'une part elles subissent l'inflation sur les fluides et l'alimentation, d'autre part elles doivent accueillir davantage de personnes en situation de détresse financière et sociale.

Comme sur de nombreux sujets, la délégation plaide pour une diminution des logiques d'appels à projets, qui sont très consommateurs de temps pour les responsables des structures et ne leur donnent pas la visibilité nécessaire au développement de projets de long terme ni au recrutement de davantage de personnels permanents.

Ainsi, Vanessa Benoit, directrice générale du Samusocial de Paris, relevait devant la délégation : « Nous sommes beaucoup trop dépendants d'appels à projets à durée courte. Nous sommes financés par des dotations renouvelées et renégociées annuellement. Nos coûts sont surtout composés de fluides, de salaires et de loyers. Je ne sais pas comment l'État peut penser qu'ils vont baisser. Nous avons besoin d'une vraie approche pluriannuelle. »121(*)

Nathalie Latour, directrice générale de la FAS, ajoutait lors de cette même audition : « Nous passons parfois plus de temps à répondre à des appels à projets qu'à accompagner les personnes. L'enjeu de reporting est tel et s'étend sur des durées si courtes que vous mettez parfois en place des dispositifs de réponse pour qu'on vous indique trois ans plus tard que puisqu'ils ne sont plus innovants, vous devez vous débrouiller pour obtenir des financements. Comment faire ? Nous devons toujours innover. Lorsque nous prouvons l'efficacité de notre dispositif, on nous répond qu'il n'est plus innovant. Le droit commun ne peut pas prendre la suite. C'est assez caricatural, mais c'est notre réalité. »

Bénédicte Souben, de la Croix-Rouge française déplorait également les conséquences des dynamiques d'appels à projet : « Dans le cadre de la Stratégie pauvreté, des tiers lieux pour l'alimentation des personnes hébergées à l'hôtel ont été financés. Ils ont finalement été prorogés, mais sans entrer dans le droit commun. Ainsi, nous avons eu l'opportunité de montrer qu'un dispositif fonctionnait, mais il n'est pour autant pas pérennisé. »

Ainsi, si des financements ponctuels sont nécessaires pour soutenir des dispositifs innovants, les financements pluriannuels des associations et programmes qui ont fait leur preuve doivent être renforcés. Il s'agit d'augmenter la proportion des financements apportés sous forme de dotations globales de fonctionnement et de subventions pluriannuelle, dont bénéficient d'ores et déjà certaines associations.

Recommandation n° 22 : Renforcer les soutiens financiers pluriannuels aux associations qui accompagnent les femmes sans domicile.

EXAMEN EN DÉLÉGATION

Réunie le mardi 8 octobre 2024, sous la présidence de Dominique Vérien, présidente, la délégation a examiné le présent rapport d'information.

Dominique Vérien, présidente. - Mes chers collègues, nous examinons cet après-midi un rapport consacré aux femmes sans domicile et sans abri. Une précision liminaire de vocabulaire : le terme de « sans domicile » désigne toute personne sans logement personnel, c'est-à-dire, d'une part, les quelque 300 000 personnes hébergées par l'État, et, d'autre part, les 30 000 personnes « sans abri », qui passent la nuit dans la rue.

Nos quatre collègues co-rapporteures, Agnès Evren, Marie-Laure Phinera-Horth, Olivia Richard et Laurence Rossignol, ont travaillé sur ce sujet pendant dix mois, depuis décembre 2023.

Nous avons entendu plus d'une cinquantaine de personnes lors d'auditions et tables rondes au Sénat : représentants de l'État, acteurs associatifs, collectivités territoriales, sociologues, travailleurs sociaux ou encore professionnels de santé.

Nous avons également effectué plusieurs visites de terrain, à Paris, en Seine-Saint-Denis et à Marseille, dans des lieux d'hébergement, des locaux d'associations, un hôpital, un centre de soins ou encore le centre d'appel du 115 de Paris. Ces visites nous ont permis d'échanger directement avec des femmes sans domicile, qui ont bien voulu nous confier leurs histoires et leurs difficultés, et dont vous retrouverez des témoignages au sein du rapport. Nous avons également rencontré de nombreux professionnels et bénévoles qui les accueillent et les accompagnent avec une bienveillance et un engagement qui doivent être salués - et qui le seront d'ailleurs le 22 octobre prochain, lorsque nous remettrons le Prix 2024 de la délégation au Samusocial de Paris.

Nos auditions et rencontres ont eu le mérite d'obliger divers acteurs institutionnels et associations à s'interroger sur les spécificités des femmes sans domicile et sur les possibilités de développer des dispositifs pour les accompagner plus efficacement. En effet, lorsque nous les interrogions, nous avons souvent entendu nos interlocuteurs nous répondre « nous ne nous étions jamais posé la question sous cet angle-là... mais la préparation de cette audition nous a permis d'y réfléchir, de prendre conscience que nous manquions d'analyses genrées et de travailler à la mise en place d'actions spécifiques ».

Chers collègues, vous avez sous les yeux l'Essentiel du rapport, c'est-à-dire sa synthèse. Vous avez reçu ce document ce matin ainsi que la liste des recommandations.

Je laisse sans plus tarder la parole aux rapporteures, à commencer par notre collègue Agnès Evren.

Agnès Evren, rapporteure. - Le premier objectif de notre rapport était de lancer un cri d'alerte, de sensibiliser l'opinion publique à toutes les difficultés et violences rencontrées par ces femmes. Notre leitmotiv est de rendre visible l'invisible. « Invisibles », c'est ainsi que ces femmes ont régulièrement été désignées, au cours de nos auditions, c'est « la face cachée de la rue ». En effet, les femmes à la rue se rendent invisibles, elles se cachent pour échapper aux violences, elles se fondent dans la masse pour ne pas constituer une proie. Elles ont peur, elles sont sur le qui-vive, elles ne dorment pas.

Je vais vous décrire les différents visages de ces femmes.

Je le disais : elles se rendent invisibles, elles se cachent dans des parkings, des caves, pour certaines dans des bus dans lesquels elles font nombre d'allers-retours, dans des aéroports et parfois même dans des squats, car le fond du problème c'est le manque de place d'hébergement, sur fond de crise du logement. On les voit peu mais elles sont de plus en plus nombreuses. C'est inédit et historique. Hélas on a l'impression que c'est de plus en plus banal, de plus en plus acceptable, au point que les critères de priorité mis en place par la préfecture de la région Île-de-France ne permettent même plus de mettre à l'abri une mère et son bébé.

Il est vrai que dans l'imaginaire collectif, les personnes sans domicile sont souvent perçues comme des hommes, plutôt âgés, souvent très désocialisés. Mais en réalité, 40 % des personnes sans domicile sont aujourd'hui des femmes.

Certes, les femmes sans domicile bénéficient historiquement d'une meilleure protection institutionnelle, un hébergement leur est plus souvent proposé qu'aux hommes. À l'époque de la création du Samusocial par Xavier Emmanuelli et Jacques Chirac, on n'imaginait pas une seule seconde qu'une femme pouvait rester à la rue. Jusqu'à il y a une dizaine d'années, très peu de femmes passaient la nuit dans la rue et, a fortiori, aucun enfant n'était laissé à la rue.

Mais aujourd'hui, faute de places d'hébergement en nombre suffisant, on estime que chaque nuit environ 3 000 femmes et près de 3 000 enfants passent la nuit dans la rue. De surcroît, même les femmes et les familles hébergées sont dans une situation précaire : de nombreuses places d'hébergement ne sont octroyées que pour quelques jours ; ces personnes doivent régulièrement quitter leur hébergement et souvent repasser plusieurs jours à la rue avant de se voir de nouveau proposer un hébergement.

Qui sont ces femmes ? Elles ont des visages multiples et sont bien plus diverses qu'on ne le croit trop souvent.

Ce sont, pour beaucoup, des femmes qui ont été victimes d'une spirale de précarité et de violences. La parole s'est d'ailleurs libérée sur ces violences depuis #MeToo. Parmi les femmes sans domicile nées en France, 36 % ont été victimes de violences dans leur enfance et 25 % ont connu un passage par l'Aide sociale à l'enfance (ASE). En outre, 15 % ont perdu leur logement à la suite de violences intrafamiliales. Ces différentes catégories pouvant bien sûr se recouper.

On retrouve également de nombreuses femmes qui ont fui leur pays : environ la moitié des femmes sans domicile sont d'origine étrangère. Elles sont particulièrement exposées aux risques d'exploitation domestique et sexuelle.

Enfin, on rencontre également dans la rue des femmes avec des troubles psychiatriques lourds, souvent non traités et couplés à des problématiques d'addiction. J'ai été marquée par la rencontre poignante, lors de notre déplacement à Marseille, avec cette jeune ex-droguée qui nous racontait entendre en permanence des voix contradictoires. Elle a depuis redonné du sens à sa vie en devenant elle-même pair-aidante auprès des personnes à la rue.

La rue expose les femmes à de multiples facteurs de risque et de pathologie : difficultés d'accès à l'alimentation et à l'hygiène, contact avec des nuisibles, risques d'infection au VIH et aux hépatites, violences sexuelles, retards de prise en charge, grossesses à risques... Oui, « grossesse », car comme je vous le disais précédemment, aujourd'hui dans notre pays des femmes enceintes ou accompagnées de bébés passent la nuit à la rue : lorsque nous nous sommes rendus en Seine-Saint-Denis en mai dernier, le soir même, dans ce département, 63 femmes enceintes n'étaient pas mises à l'abri en dépit d'un appel au 115. Ce même soir, toujours dans ce seul département, 281 enfants, dont 112 de moins de 3 ans, passaient également la nuit dans la rue.

Vous remarquerez que j'emploie systématiquement l'expression « passer la nuit dans la rue » et non « dormir à la rue », qui est l'expression usuelle employée notamment par l'Insee dans sa définition des personnes sans abri. Car, je vous le disais, les femmes dans la rue ne dorment pas la nuit, elles ont peur d'être agressées, elles sont en état de veille et d'alerte, tout en s'efforçant de se rendre invisibles. Elles sont épuisées et beaucoup nous ont dit « je rêve d'être hébergée même seulement pour deux semaines pour pouvoir me reposer ».

En effet, une femme à la rue s'expose à des agressions physiques et sexuelles, à des propositions d'hébergement contre « services » et au recrutement par des réseaux de proxénètes et de traite des êtres humains. Tous les interlocuteurs rencontrés nous ont fait ce témoignage : après quelques mois passés à la rue, toutes les femmes ont subi un viol, même s'il est difficile de donner des chiffres en la matière.

Face à ces différents constats, nous formulons plusieurs préconisations.

Tout d'abord, systématiser des analyses genrées et un questionnement des violences subies lors des études sur les personnes sans domicile, afin que ces femmes et leurs traumatismes ne soient plus invisibles et qu'elles puissent être prises en charge de manière pertinente et efficace.

Afin d'améliorer l'accès des femmes aux professionnels de santé, nous préconisons de développer à la fois des centres fixes et des équipes d'intervention mobiles, notamment en santé gynécologique et en santé mentale, pour aller vers ces femmes qui ne se déplacent pas et renoncent souvent aux soins.

Nous recommandons également d'améliorer la détection, la prise en charge et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, en sensibilisant les travailleurs sociaux et les forces de l'ordre qui recueillent les plaintes, mais aussi, de manière très concrète, en permettant aux associations de fournir aux femmes sans abri des moyens d'auto-défense - avec discernement évidemment.

Enfin, les places d'hébergement doivent elles aussi être adaptées aux femmes et je laisse la parole à notre collègue rapporteure Laurence Rossignol pour développer nos analyses et préconisations portant la politique d'hébergement et de mise à l'abri.

Laurence Rossignol, rapporteure. - Faire un état des lieux des femmes à la rue, de qui elles sont et comment elles vivent, exige de faire une évaluation lucide et juste des politiques publiques conduites ces dernières années à leur égard. Il est vrai que le nombre de places d'hébergement a été considérablement accru puisqu'il a été multiplié par deux en dix ans, atteignant 203 000 dans le parc généraliste et les hôtels sociaux et 110 000 dans le dispositif d'accueil des demandeurs d'asile (le DNA). Un effort particulier a été fait en faveur des femmes victimes de violences intrafamiliales : 11 000 places d'hébergement leur sont dédiées, permettant - semble-t-il - de répondre à la quasi-totalité des demandes d'hébergement formulées par des victimes de VIF.

Pour autant, si cette offre était adaptée et proportionnée, nous n'aurions pas besoin d'être là pour discuter de cette problématique. L'offre d'hébergement est encore insatisfaisante et ce pour trois raisons principales.

Premièrement, sur le plan quantitatif, ces places sont encore insuffisantes pour mettre à l'abri toutes les personnes sans domicile. Lorsqu'elles appellent le 115, plus de la moitié des femmes et des familles n'obtiennent aucun hébergement faute de places disponibles ou de places compatibles avec leur composition familiale. L'hiver dernier, entre novembre et mars, en moyenne, chaque jour, 5 833 personnes ne pouvaient être mises à l'abri en dépit d'un appel au 115. Fin août, à la veille de la rentrée scolaire, 6 500 personnes sont restées sans abri après un appel au 115, parmi lesquelles 1 934 femmes et 2 073 enfants.

Or on estime qu'environ la moitié des personnes sans abri n'appelle pas ou plus le 115. On nous l'a souvent dit : une personne qui appelle le 115 et à laquelle il n'est pas proposé de solution risque de ne pas renouveler son appel et de sortir des radars.

C'est pourquoi nous en avons conclu qu'il était nécessaire de créer 10 000 places d'hébergement supplémentaires. Nous espérons que cet objectif, qui n'est pas si audacieux, trouvera une concrétisation lors du projet de loi de finances pour 2025. C'est d'ailleurs le sens d'un amendement que nous avions voté au Sénat lors du projet de loi de finances pour 2024 mais qui n'avait pas été intégré au texte final par le Gouvernement.

Cette création de places est indispensable pour être en mesure de respecter le principe d'inconditionnalité de l'hébergement auquel les critères de vulnérabilité, et même de sur-vulnérabilité, mis en place depuis plus d'un an, contreviennent de façon flagrante. Aujourd'hui, en Île-de-France, faute de places suffisantes, seules les femmes victimes de violences, les femmes enceintes de plus de 6 mois et les familles avec un enfant de moins de 3 mois sont considérées comme « vulnérables de niveau 1 ». Les autres n'ont souvent aucune solution proposée lorsqu'elles appellent le 115. Même les plus vulnérables n'obtiennent pas systématiquement une mise à l'abri. Pour notre part, nous pensons qu'être une femme à la rue, exposée aux violences, tout comme être un enfant à la rue est, en soi, une vulnérabilité de niveau 1.

La création de places supplémentaires permettra également de procéder à une mise à l'abri immédiate de toute personne qui appelle le 115 pour la première fois et de garantir une prise en charge minimale d'un mois, un délai incompressible pour mettre en place un accompagnement psychosocial. En effet, il ne suffit pas de mettre les gens à l'abri, il faut aussi construire un véritable accompagnement qui leur permettra de sortir de la spirale de la vulnérabilité pour pouvoir ensuite envisager un logement pérenne.

Au-delà de cet aspect quantitatif, l'offre d'hébergement doit faire l'objet d'une transformation qualitative, pour l'adapter aux femmes et aux familles, c'est mon deuxième point.

Il s'agit tout d'abord de transformer des nuitées hôtelières, peu qualitatives, en places d'hébergement pérennes, qui donnent davantage de visibilité aux personnes accueillies et sont associées à un accompagnement social systématique. La nature de l'hébergement dans les hôtels est en réalité honteuse et empreinte de violence, sans aucun accompagnement socio-éducatif. Elle ne peut en aucun cas être considérée comme une offre acceptable pour résoudre même une partie du problème des femmes à la rue.

En outre, les hôtels sociaux sont aujourd'hui la solution privilégiée pour loger les familles : 29 000 enfants y vivent, et ce en moyenne depuis trois ans. Or ils ne sont pas du tout adaptés aux familles et nous estimons donc nécessaire de développer des places pérennes adaptées à toutes les configurations familiales et qui permettent de cuisiner, de disposer d'une intimité et d'accueillir des enfants.

Nous préconisons également de développer les places non mixtes, en particulier en première urgence : les femmes sans abri, qui ont presque toutes subi des violences sexuelles à un moment de leur parcours, ne se sentent pas en sécurité dans des lieux mixtes et préfèrent souvent rester à la rue plutôt que de fréquenter de tels lieux qui peuvent les exposer à de nouvelles violences.

Enfin, et ce sera mon troisième et dernier point, l'embolie actuelle du parc d'hébergement s'explique non seulement par l'augmentation du nombre de personnes sans domicile en amont mais également par l'absence de solutions de sortie vers le logement en aval.

Nous ne pourrons sortir de cette embolie qu'en nous attaquant à deux sujets : celui de la crise du logement et du manque d'offre de logements sociaux face à une demande qui a explosé ces dernières années ; et celui du traitement administratif apporté aux personnes en situation irrégulière qui restent des années en hébergement, faute des droits nécessaires pour postuler et accéder à un logement. Nous avons rencontré dans des lieux d'hébergement des femmes qui étaient là depuis des années, qui tous les matins se lèvent pour aller travailler, parfois même de façon légale. Se pose donc la question de savoir si ces femmes, en situation irrégulière, qui ne causent aucun trouble à l'ordre public et ne seront sans doute jamais expulsées, doivent être maintenues dans une zone de non-droit.

Je vais laisser la parole à notre collègue rapporteure Olivia Richard qui abordera plus amplement ces deux sujets et nos préconisations en la matière, à savoir un socle minimal sur lequel nous nous sommes accordées avec mes collègues co-rapporteures, afin de tenir compte des différentes sensibilités - je ne vous cache pas qu'à titre personnel j'aurais été favorable à une préconisation plus audacieuse et injonctive à l'égard du Gouvernement.

Olivia Richard, rapporteure. - L'hébergement ne constitue qu'une solution imparfaite et la quasi-totalité des personnes sans domicile interrogées souhaite en première intention accéder à un logement, premier outil de protection des personnes à la rue, en particulier des femmes, plus exposées aux violences.

Or, nous avons constaté la persistance d'une « logique de l'escalier » dans la prise en charge des personnes sans abri et une embolie du système à tous les échelons.

En sortir ne sera possible qu'à condition de privilégier l'accès direct au logement et de poursuivre l'ambition, louable, mais encore inaboutie, des deux plans en faveur du Logement d'abord (2018-2022 et 2023-2027). Dans le cadre de ces plans, entre janvier 2018 et décembre 2023, 550 000 personnes ont accédé à un logement depuis la rue ou l'hébergement.

Pourtant, la marche à franchir pour passer de la rue au logement est encore parfois trop haute pour les publics les plus précarisés, au premier rang desquels les femmes.

Deux facteurs principaux y contribuent :

- la crise du logement en aval, rendant quasiment impossible l'accès au logement pour les plus précaires, qui restent bloqués dans l'hébergement parfois pendant des années ;

- la proportion, au sein des dispositifs d'hébergement, de personnes de nationalité étrangère, parmi lesquelles beaucoup de femmes n'ayant pas le titre de séjour nécessaire pour postuler à un logement social.

S'agissant de la crise du logement, nous constatons un manque général de logements abordables sur l'ensemble du territoire.

La baisse de la production annuelle de logements sociaux, passée de 120 000 logements par an en 2016-2017 à seulement 82 000 en 2023, n'a pas permis de résorber la demande supplémentaire de logements sociaux : nous comptons 600 000 demandeurs de logements sociaux supplémentaires depuis 2017.

En outre, lorsqu'ils sont disponibles, les logements ne sont pas toujours adaptés à la demande des ménages, notamment des femmes.

À Paris notamment, nous avons été alertées, d'une part, sur la faiblesse du taux d'attribution de logement social (une demande sur dix aboutit), d'autre part, sur l'allongement du délai d'attribution. Les associations ont souligné l'allongement de la durée passée dans des logements censés être temporaires ou d'urgence, de cinq mois en moyenne en 2012 à un an et demi en 2022.

Si la production de davantage de logements sociaux est une solution de moyen, voire de long terme, il est nécessaire, au sein du parc HLM existant, d'améliorer et d'amplifier l'accès au logement social pour les publics les plus démunis, notamment ceux issus de la rue, et plus encore pour les femmes seules ou avec enfants, pour qui les violences de la rue sont exacerbées.

C'est pourquoi nous proposons d'établir, parmi les critères d'attribution des logements sociaux, un critère prioritaire pour les femmes seules et les mères isolées sans domicile.

Nous notons néanmoins un motif de satisfaction, celui du traitement des demandes de logements émanant de femmes victimes de violences familiales, désormais prioritaires pour l'attribution d'un logement social. Sur les cinq dernières années, depuis 2019, environ 10 000 logements par an ont été attribués à des femmes victimes de violences intrafamiliales (VIF), contre une base de départ de 6 000 attributions par an en 2015.

D'autres formes de logements adaptés à un public particulièrement précaire et vulnérable doivent être envisagées. Plusieurs pistes peuvent être explorées telles que l'intermédiation locative, les baux glissants, les logements intermédiaires, les pensions de famille. Ces diverses formes de logement adapté doivent également permettre de lier accompagnement et logement. Cet accompagnement est primordial pour les femmes qui sortent d'un parcours de rue empreint de violences (physiques, psychologiques et sexuelles) et souvent marqué par l'absence de recours aux dispositifs de prise en charge destinés aux populations sans domicile.

Si l'accès au logement constitue un défi majeur, la question du maintien dans le logement est également primordiale. C'est pourquoi nous estimons que la prévention des expulsions locatives doit faire partie des priorités d'une politique publique du logement efficace.

S'agissant des critères de régularité du séjour pour accéder à un logement, nous avons d'abord été confrontées à ce constat : l'augmentation et la féminisation des populations exilées en France, depuis une dizaine d'années - mais surtout depuis la fin de la crise sanitaire - exercent une forte pression sur les dispositifs d'accueil des personnes à la rue. D'après l'Ofii (Office français de l'immigration et de l'intégration), 60 % des personnes hébergées seraient aujourd'hui en situation irrégulière.

Se pose dès lors la question d'une approche administrative « réaliste » de la prise en charge, au titre du droit au séjour, de cette population étrangère à part entière : celle de migrantes, femmes seules et parfois mères, issues d'un parcours migratoire émaillé de violences, confrontées une fois en France à d'autres types de violences et qui ne sont souvent pas expulsables.

En effet, la complexité et la longueur des procédures administratives d'accès à un titre de séjour pour les personnes exilées peuvent s'avérer délétères pour les femmes, notamment les primo-arrivantes, souvent victimes de réseaux de prostitution dès leur arrivée sur le territoire.

Nous n'avons pas toutes eu, au cours de ces plusieurs mois de travaux, la même approche de ces enjeux. Néanmoins, nous avons estimé essentiel de nous retrouver sur un socle minimal commun de préconisations.

C'est pourquoi, nous recommandons unanimement :

- d'impulser un effort particulier en faveur des femmes étrangères sans domicile, notamment les mères isolées, dans le cadre du droit existant, c'est-à-dire de la « circulaire Valls » qui permet aux préfets de procéder à des régularisations, au cas par cas ;

- de créer, au sein des préfectures, un guichet dédié aux demandes de délivrance ou de renouvellement de titres de séjour déposées par des femmes étrangères sans domicile, hébergées ou à la rue.

Je vais maintenant laisser la parole à notre collègue rapporteure Marie-Laure Phinera-Horth pour la dernière partie de nos recommandations relatives à l'accès aux droits et aux services du quotidien.

Marie-Laure Phinera-Horth, rapporteure. - Je vais maintenant vous présenter l'essentiel de nos constats et recommandations concernant, d'une part, l'accompagnement social et l'accès aux droits des femmes sans domicile et de leurs enfants, et d'autre part, le soutien et la valorisation des travailleurs sociaux qui les prennent en charge.

Je ne reviendrai pas sur l'accès aux soins médicaux, en particulier gynécologiques, et la prise en charge des violences sexistes et sexuelles (VSS) qui ont déjà été évoqués par notre collègue Agnès Evren. Notons simplement que le déploiement de dispositifs ad hoc, adaptés à ces profils précaires, est indispensable pour lutter contre le fort taux de non-recours ou de renoncement aux soins qui caractérise ce public fragile.

Ce phénomène de non-recours est également observé s'agissant des dispositifs généraux d'accompagnement psychosocial.

En effet, effectuer des démarches administratives ou accéder à des services élémentaires du quotidien peut s'avérer très difficile pour les femmes à la rue en raison de nombreux obstacles :

- une segmentation des lieux de l'assistance ;

- la mixité de certains lieux d'accueil, tels que les accueils de jour ;

- ou encore les difficultés d'accès aux transports et de déplacement entre les multiples lieux dans lesquels elles doivent se rendre pour effectuer leurs démarches, surtout lorsqu'elles sont enceintes ou accompagnées de nourrissons et d'enfants en bas âge.

C'est pourquoi, nous recommandons de faciliter l'accès aux services du quotidien et aux démarches administratives des femmes sans domicile :

- en développant les accueils de jour réservés aux femmes, centralisant services et accompagnements, pour une prise en charge stable et continue, dans un même lieu ;

- et en finançant les titres de transport des mères avec des enfants de moins de 3 ans.

Je souhaite ici m'attarder davantage sur la situation des enfants sans domicile, dont le nombre a explosé au cours de ces cinq à six dernières années.

Le fait d'être sans domicile expose en effet les enfants à des conditions de vie dégradées qui engendreront d'importantes répercussions sur leur développement et leur santé physique et mentale. L'absence de logement stable et durable a également des conséquences néfastes sur la scolarité des enfants.

C'est pourquoi, nous proposons notamment :

- de reconnaître les enfants sans domicile comme bénéficiaires directs de l'accompagnement psychosocial global prévu pour leurs parents ;

- de renforcer les moyens dédiés aux dispositifs de médiation scolaire pour tous les enfants sans domicile, notamment pour garantir leur inscription scolaire sans exigence d'un justificatif de domicile et pour limiter le décrochage scolaire engendré par les expulsions habitatives.

Par ailleurs, alors qu'un quart des personnes sans domicile est passé par l'ASE et que les jeunes femmes qui en sont issues sont particulièrement exposées au risque de prostitution, nous estimons indispensable de poursuivre la prise en charge de ces jeunes jusqu'à l'autonomie, en appliquant pleinement la loi sur les contrats jeunes majeurs et en engageant la responsabilité des départements qui ne les mettent pas en oeuvre.

Enfin, nous avons collectivement souhaité, dans ce rapport, rendre hommage aux travailleurs sociaux - à 65 % des femmes - qui accompagnent au quotidien ce public très fragile, le portant souvent à bout de bras alors qu'eux-mêmes se trouvent dans des situations précaires, en raison de faibles rémunérations, d'un manque de reconnaissance sociale et d'une perte de sens professionnel faute de solutions durables à proposer au public pris en charge.

Nous avons en effet été frappées par le délitement de l'environnement social de l'accompagnement du sans-abrisme et par les conditions très difficiles dans lesquelles s'exerce aujourd'hui le travail social.

Nous relevons un phénomène de découragement au sein d'un corps de métier marqué par un important turnover et une usure professionnelle souvent précoce, qui sont à l'origine d'un manque d'effectifs au sein des équipes d'accompagnants au regard du nombre grandissant de personnes à accompagner.

C'est pourquoi nous proposons :

- de revaloriser la profession et le statut de travailleur social et de développer la formation continue dans le domaine de l'accompagnement social ;

- de favoriser les démarches pluridisciplinaires de prise en charge des femmes à la rue en développant les financements croisés et les partenariats entre acteurs locaux. Et, en particulier, de généraliser les lignes « partenaires » ou « coupe-file » pour les associations auprès du 115 et des préfectures afin qu'elles aient un accès privilégié pour faire remonter des situations spécifiques de personnes qu'elles suivent ;

- et, enfin, de renforcer les soutiens financiers pluriannuels aux associations qui accompagnent les femmes sans domicile.

Nous sommes bien sûr à votre disposition pour développer davantage l'une ou l'autre de nos recommandations.

Dominique Vérien, présidente. - Nous en venons à l'adoption du rapport et de ses vingt-deux recommandations. Vous avez sous les yeux l'Essentiel et la liste des recommandations, et en avez également été destinataires ce matin.

Avez-vous des commentaires ou des modifications à proposer ?

Annick Billon. - Je tiens à remercier les quatre rapporteures pour le travail mené. On ressort sans doute différent d'un rapport comme celui-ci et j'imagine que les déplacements et les rencontres marquantes que vous avez faits ont compté pour l'élaboration de vos recommandations. C'est un sujet que l'on évoque rarement, vous l'avez dit : ces femmes se cachent et vous contribuez aujourd'hui à les rendre visibles.

Ce qui me désole à la lecture de votre première proposition c'est qu'elle correspond à une demande récurrente de la délégation : depuis des années, nous demandons des données chiffrées genrées afin de définir et mener des politiques publiques adaptées, que ce soit dans le domaine de la santé des femmes au travail, celui de la prostitution des mineurs, ou encore sur la problématique spécifique des violences intrafamiliales dans les territoires ultramarins. Il faut absolument avancer sur ce sujet !

Le deuxième point que je souhaiterais mettre en exergue est le sujet de l'hébergement et du logement. Certes des places ont été créées mais on ne peut pas se satisfaire de cette seule réponse, il faut que ces places soient qualitatives et il faut surtout un accompagnement pour ces femmes. Offrir un toit ce n'est pas suffisant ; pour sortir de la spirale infernale de la rue, il faut un accompagnement, notamment sur les problématiques de santé et de violences intrafamiliales ainsi que pour les enfants.

Vous demandez une simplification des démarches qui me semble en effet nécessaire Car quand on est à la rue, tout est plus compliqué.

Enfin, je soutiens votre recommandation de revalorisation de la profession et du statut de travailleur social, et je constate que celle-ci peut aussi venir d'initiatives inattendues, comme par exemple grâce au film Un p'tit truc en plus d'Artus, qui a mis en lumière le métier d'accompagnant auprès des personnes en situation de handicap et à la suite duquel on a constaté une augmentation du nombre de demandes de formations dans ce domaine.

Je m'interroge cependant sur le contexte actuel dans lequel on n'entend parler que d'économies à réaliser : je ne suis pas sûre que l'on puisse en trouver dans ces propositions !

Dominique Vérien, présidente. - Si l'on s'attachait d'abord à raisonner en termes de prévention, cela coûterait moins cher. Par exemple, si l'on s'occupait mieux des enfants placés à l'aide sociale à l'enfance (ASE), on ne les retrouverait pas ensuite à la rue ! Si on leur proposait des contrats d'emplois pour jeunes majeurs, on verserait moins d'allocation au titre du RSA puisque ces jeunes auraient un travail ! Il ne s'agit pas de créer des dépenses supplémentaires mais de choisir de mettre les financements en amont en prévention, plutôt qu'après pour essayer de réparer la situation.

Colombe Brossel. - Je souscris pleinement à ces propos. J'espère que ce rapport permettra de rendre visibles ces situations, qu'objectivement on ne veut pas voir, car cela est absolument nécessaire pour la mise en oeuvre des politiques publiques. Merci aux rapporteures d'avoir étayé votre rapport par des chiffres et par des travaux de sociologues.

J'ai en mémoire le débat budgétaire de l'année dernière, au cours duquel la confrontation avec cette réalité des enfants à la rue avait mis en colère le ministre du logement de l'époque. Mais poser les réalités, c'est permettre de les résoudre, et le Sénat avait finalement fait adopter un amendement consensuel visant à créer des places d'hébergement supplémentaires.

J'espère que tout ce que vous portez sur le logement social sera entendu. Si on n'avance pas sur ce sujet, on continuera d'avoir des femmes et des enfants à la rue.

Vous proposez de créer un guichet dédié au traitement des demandes de délivrance ou de renouvellement des titres de séjour. Je ne peux qu'y souscrire, mais force est de constater qu'actuellement, le sujet urgent est avant tout celui de l'allongement des délais pour une simple prise de rendez-vous. En tant qu'élus, nous étions auparavant amenés à intervenir auprès de la préfecture pour appuyer des dossiers de régularisation, mais aujourd'hui, nous intervenons surtout pour que les personnes obtiennent des rendez-vous. Car du fait de cet allongement des délais, ce sont les pouvoirs publics eux-mêmes qui font sombrer dans l'irrégularité et la précarité des personnes en situation régulière, qui travaillent et contribuent à la richesse de la nation.

Enfin, pardon pour ce regard très métropolitain, mais à Paris les foyers sont engorgés par des femmes en situation irrégulière, qui restent dans l'hébergement pendant des années et bloquent des places, faute de pouvoir prétendre à un logement. Ces femmes travaillent et leurs enfants vont à l'école, à la bibliothèque, avec les nôtres. C'est un cri d'alerte que nous poussons depuis des années, il faut régler ce problème d'embolie des centres d'hébergement et si l'on ne procède pas à des régularisations, on ne pourra pas s'en sortir.

Dominique Vérien, présidente. - Si l'on traitait rapidement les dossiers des femmes dont on sait qu'elles ne seront pas renvoyées, on résoudrait déjà une partie du problème. Or, certains préfets refusent par principe de procéder à des régularisations, même au cas par cas.

Adel Ziane. - Merci pour ce rapport et, en tant que Séquano-Dionysien, merci d'être venues en Seine-Saint-Denis à la rencontre des acteurs de terrain, notamment à la maternité Delafontaine où la situation est aujourd'hui relativement sous contrôle après un pic de difficultés constaté pendant et après les JO. Votre rapport suscite de fortes attentes auprès du personnel de cet hôpital, qui se mobilise et prend en charge des femmes à la rue, au-delà de ses missions premières, par souci d'humanité.

Je pense qu'il faut évoquer le sujet de la répartition territoriale, abordé à partir de la page 82 du rapport. La carte de la page 85, qui pointe le déséquilibre territorial de l'offre d'hébergement est très parlante. C'est un enjeu important pour la Seine-Saint-Denis. On compte 39 000 places d'hébergements à Paris, 19 000 en Seine-Saint-Denis et 4 000 à 9 000 dans les autres départements franciliens. Une meilleure répartition des richesses entre départements franciliens permettrait une mutualisation et un rééquilibrage des moyens mais aussi de garder sur le territoire des personnes qui ont choisi de faire leur vie en Seine-Saint-Denis.

Hussein Bourgi. - Merci aux quatre rapporteures pour ce travail. Concernant l'hébergement, nous avions dressé le même constat que vous dans le rapport sur les mineurs non accompagnés (MNA) que nous avions mené en 2021 avec nos collègues Laurent Burgoa, Henri Leroy et Xavier Iacovelli. Il y a un véritable problème en France avec l'hébergement à l'hôtel des publics en difficulté et je souscris donc pleinement à votre proposition.

Comme l'a relevé notre collègue Adel Ziane, une répartition territoriale plus équitable des dispositifs d'aide et d'accueil des personnes sans domicile est nécessaire. Je le constate dans ma ville de Montpellier : les associations sont exténuées et cela a des répercussions sur le bénévolat. Lorsqu'il y a des associations et des actions identifiées dans une ville, par exemple une distribution alimentaire, tous les publics en difficulté affluent, et les bénévoles sont alors conduits à gérer l'urgence du flux au détriment d'un travail d'accompagnement personnalisé, ce qui est très frustrant pour eux. Avant, le temps du repas sur place était l'occasion d'échanges et de dialogues avec les mamans et les enfants, mais aujourd'hui, il se raréfie car les files d'attente s'allongent et les femmes en situation de précarité sont pressées de repartir se mettre à l'abri...

Enfin je voudrais aborder la question de l'accès au droit : c'est une violence symbolique qu'exerce l'État, à travers ses préfectures - dont les services dédiés aux étrangers sont exsangues et en sous-effectif chronique - lorsque des personnes doivent mener un véritable parcours du combattant uniquement pour déposer leur dossier et faire valoir leurs droits.

Marc Laménie. - Je m'associe aux remerciements adressés aux rapporteures pour ce travail de fond sur un sujet de société fondamental. Ce bilan nous interpelle.

Concernant les travailleurs sociaux : combien sont-ils et de quelles structures dépendent-ils : collectivités territoriales, institutions, associations ?

Laurence Rossignol, rapporteure. - Ce que l'on a vu avec les femmes sans abri, c'est un effet loupe de l'ensemble des dysfonctionnements de notre pays mais aussi de ses richesses. Au titre de ces richesses, nous avons rencontré un tissu associatif exceptionnel, découvert des initiatives innovantes, des individus et des réseaux locaux qui font des choses extraordinaires. À cette occasion, ils nous ont tous confié que s'ils passaient moins de temps dans les formalités administratives et les appels à projets, ils auraient davantage de temps à consacrer à leur mission de prise en charge des publics précaires.

Dans tous les secteurs du travail social - ASE, crèches, prise en charge des personnes âgées - on assiste aujourd'hui à un effondrement de la motivation des personnels et de l'attractivité de ces métiers. C'est un enjeu, à mon sens, crucial.

Le sujet que nous traitons est un sujet métropolitain. Dans les petites villes, la mairie a des logements vides destinés à accueillir les femmes sans abri et on ne laisse pas des femmes à la rue.

Un mot sur les questions liées au traitement administratif des étrangers en France : il est volontairement organisé pour être dissuasif et décourager les étrangers de demander des papiers. Il faut le dire clairement : notre pays maintient délibérément un nombre important de personnes dans l'absence de droits, au nom de la supposée théorie de l'appel d'air, qui n'a jamais été démontrée.

Nous allons tout de même demander aux préfets un effort sur les parcours de sortie de prostitution, car il y a un énorme problème d'exploitation sexuelle des femmes étrangères, notamment à travers le concept, que nous avons découvert, d'hébergement « amical » qui recouvre en réalité, la plupart du temps, un hébergement contre services sexuels.

Agnès Evren, rapporteure. - Je retiendrai particulièrement de cette mission ma visite au centre du 115 de Montreuil, et le sentiment d'injustice vécu par les écoutants sociaux dont la mission est de venir en aide, qui sont animés par le bien commun, mais dont le travail quotidien consiste à laisser, tous les soirs, des femmes enceintes à la rue. C'est une mission impossible, à l'origine d'un profond mal-être et de dépression. Je voudrais rendre hommage à tous les travailleurs sociaux qui ont grandement besoin de notre considération et de notre soutien.

Dominique Vérien, présidente. - Pour répondre à notre collègue Marc Laménie, il y a environ 30 000 travailleurs sociaux dans le domaine de l'accompagnement des personnes en détresse sociale, et la majorité sont des salariés d'associations.

Marie Mercier. - S'agissant du critère de priorité, je pense qu'il faudrait faire figurer les mères isolées avant les femmes seules. C'est terrifiant qu'il y ait autant d'enfants qui vivent à la rue.

Sur la garantie d'inscription scolaire, on constate aussi des traitements différents selon les territoires, car dans nos petites communes, on ne demande pas de justificatif de domicile pour scolariser les enfants !

Laurence Rossignol, rapporteure. - Attention tout de même à ce que la priorisation sur les mères isolées ne conduise pas à séparer des familles. Quand un dispositif favorise trop les personnes isolées, il y a un risque de mise à l'écart du père afin de pouvoir entrer dans ce dispositif.

Dominique Vérien, présidente. - Je vais passer au vote pour l'adoption des recommandations et du rapport. Je constate une belle unanimité !

Le rapport et ses conclusions sont adoptés.

S'agissant du titre, les rapporteures vous proposent : Femmes sans abri, la face cachée de la rue. Je note que cette proposition vous convient.

Nous en avons donc fini avec l'examen de ce rapport d'information.

Merci à tous !

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

14 décembre 2023

Secours catholique - Caritas France

Raphaël BADAOUI

Chargé d'études statistiques

Sophie RIGARD

Chargée de projet Accès digne aux revenus

14 mars 2024

Table ronde avec des associations d'aide aux personnes sans abri

Vanessa BENOIT

Directrice générale du Samusocial de Paris

Nathalie LATOUR

Directrice générale de la Fédération des acteurs de la solidarité

Pauline PORTEFAIX

Chargée d'études à la Fondation Abbé Pierre

Bénédicte SOUBEN

Chargée de mission veille sociale, Filière lutte contre les exclusions de la Croix-Rouge française

4 avril 2024

Table ronde avec des chercheures et des expertes du sans-abrisme

Muriel FROMENT-MEURICE

Maîtresse de conférences en géographie à l'Université Paris-Nanterre

Marie LOISON-LERUSTE

Maîtresse de conférences en sociologie à l'université Paris 13, spécialiste des questions de genre et d'exclusion

Marine MAURIN

Enseignante-chercheuse, sociologue à l'École nationale des solidarités, de l'encadrement et de l'intervention sociale (ENSEIS), Centre Max Weber (UMR 5283), CREMIS

Émilie MOREAU

Urbaniste et directrice d'études à l'Atelier parisien d'urbanisme (Apur)

11 avril 2024

Auditions de représentants de l'État

 

Préfet d'Île-de-France

Marc GUILLAUME

Préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris

Annaïck MORVAN

Directrice régionale aux droits des femmes et à l'égalité d'Île-de-France

Laurent BRESSON

Directeur régional du logement et de l'hébergement d'Île-de-France

Délégué interministériel à l'accès à l'hébergement et au logement (Dihal)

Jérôme d'HARCOURT

Délégué interministériel à l'accès à l'hébergement et au logement (Dihal)

Manuel HENNIN

Directeur de mission d'accompagnement, parcours, accès au logement

Élise CORBES

Cheffe de projet hébergement

16 mai 2024

Table ronde
sur la santé physique et psychique des femmes dans la rue

 

Ville de Paris

Véronique BOULINGUEZ

Sage-femme PMI « Hors les Murs »

Isabelle SUSSET

Sous-directrice Santé des enfants, parentalité, santé sexuelle, de la Direction de la santé publique

Réseau de santé périnatale Solidarité Paris Maman (Solipam) Île-de-France

Félicia JOINAU-ZOULOVITS

Présidente, cheffe de service de la maternité de Montfermeil

Clélia GASQUET-BLANCHARD

Directrice

Agence régionale de santé (ARS) Île-de-France

Luc GINOT

Directeur de la santé publique

Laurence DESPLANQUES

Pédiatre, responsable du département périnatalité, santé de l'enfant, santé de la femme

 

16 mai 2024 (suite)

Table ronde
sur la santé physique et psychique des femmes dans la rue

 

Médecins du Monde

Rafika BEKRI

Facilitatrice communautaire Médecins du Monde Nantes

Sylvaine DEVRIENDT

Coordinatrice du programme « 4i » (visant à renforcer l'accès aux droits et santé sexuels et reproductifs des personnes vivant dans des lieux d'habitat informel, indigne, instables ou insalubres) Médecins du Monde Nantes

Marion MOTTIER

Référente santé Médecins du Monde France

Katell OLIVIER

Coordinatrice régionale Médecins du Monde Pays de la Loire

23 mai 2024

Table ronde sur la situation des enfants dans la rue

Anina CIUCIU

Marraine et avocate du collectif #Écolepourtous

Julie LIGNON

Chargée de plaidoyer sur les questions de lutte contre la pauvreté infantile chez Unicef France

Mina STAHL

Chargée de relations avec les pouvoirs publics chez Unicef France

Ana Maria STUPARU

Porte-parole du collectif #Écolepourtous

Raphaël VUILLEZ

Porte-parole de l'association Jamais sans toit

29 mai 2024

Table ronde, en commun avec la délégation sénatoriale aux outre-mer,
sur la problématique des femmes dans la rue dans les outre-mer

 

Martinique

Sophie CHAUVEAU

Sous-préfète chargée de mission à la cohésion sociale et à la jeunesse auprès du préfet de la Martinique

Vanessa CATAYEE

Adjointe à la sous-préfète déléguée à la cohésion sociale

Murièle CIDALISE-MONTAISE

Directrice régionale aux droits des femmes et à l'égalité

29 mai 2024 (suite)

Table ronde, en commun avec la délégation sénatoriale aux outre-mer,
sur la problématique des femmes dans la rue dans les outre-mer

 

Guyane

Isabelle HIDAIR-KRIVSKY

Anthropologue, directrice régionale aux droits des femmes et à l'égalité

Guadeloupe

Kessy CHENILCO

Responsable du SIAO-115 de la Guadeloupe et de Saint-Martin

Lucette FAILLOT

Directrice régionale aux droits des femmes et à l'égalité

Malika FISCAL

Responsable des équipes du Samusocial

30 mai 2024

Union sociale pour l'habitat (USH)

Emmanuelle COSSE

Présidente

Catherine HLUSZKO

Cheffe de mission partenariats et innovation

7 juin 2024

Auditions d'associations

Anne LORIENT

Accoucheuse de rue, fondatrice de l'Association Anne Lorient

Bérangère GRISONI

Présidente du collectif Les Morts de la rue

Sophie PAPIEAU

Membre du conseil d'administration du collectif Les Morts de la rue

13 juin 2024

Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii)

Didier LESCHI

Directeur général

18 septembre 2024

Métropole de Lyon

Bruno BERNARD

Président

Lucie VACHER

Vice-présidente déléguée à l'Enfance, à la Famille et à la Jeunesse

19 septembre 2024

Table ronde sur les mesures prises à l'égard des personnes sans abri en vue de l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024

Emmanuel BOUGRAS

Responsable du service Analyse des politiques publiques de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS)

Bénédicte MARAVAL

Assistante sociale référente au Comité pour la santé des exilés (Comede), membre du comité de pilotage du collectif Le Revers de la médaille

Francesca MORASSUT

Coordinatrice d'Utopia 56 Paris, association française d'aide aux étrangers en situation irrégulière et réfugiés, membre du comité de pilotage du collectif Le Revers de la médaille

19 septembre 2024

Audition de syndicats de travailleurs sociaux

- François GIEUX

Secrétaire fédéral secteur Sanitaire Social Médico-social associatif de la CFDT Santé Sociaux

Audrey PADELLI

Secrétaire fédérale à Sud Santé Sociaux

Michel POULET

Secrétaire fédéral de la Fédération Nationale Action Sociale Force Ouvrière (FNAS-FO)

LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Institut national de la statistique et des études économiques (Insee)

Départements de France

- SIAO de la Marne

- SNCF - ICF Habitat

DÉPLACEMENTS

MARDI 23 JANVIER 2024

VISITE DE CENTRES D'ACCUEIL PARISIENS POUR FEMMES SANS ABRI
GÉRÉS PAR L'ASSOCIATION LES OEUVRES DE LA MIE DE PAIN

Visites

· Foyer Notre-Dame dans le 15e arrondissement de Paris

· Halte de nuit au sein de la mairie du 5e arrondissement de Paris

Interlocuteurs rencontrés

Ø Personnels de l'association Les OEuvres de La Mie de pain

Florence GÉRARD

Présidente

Frédéric BLOT

Coordinateur d'activités

Carole LETOURNEUR-BOUCENNA

Co-directrice administrative

Marion LUCAS

Cheffe de service

Armel AGBOBLI

Cheffe de service

Athina TSAPARAS

Responsable communication et bénévolat

Ø Représentants de la mairie du 5e arrondissement de Paris

Florence BERTHOUT

Maire du 5e arrondissement de Paris

Noémie LALLOUETTE

Cheffe de cabinet de Florence Berthout

Thomas PERROUD

Cabinet de Florence Berthout

Carole HOOGSTOËL

Conseillère du 5e arrondissement
en charge des droits des femmes

Ø Une dizaine de résidentes des trois Foyers des femmes de l'OEuvre de la Mie de pain (Foyer du 13e arrondissement de Paris, Halte 5 et Foyer Notre-Dame)

 
 
 

JEUDI 28 ET VENDREDI 29 MARS 2024

MARSEILLE

Ø Maraudes et échanges avec des professionnels :

· Équipe mobile MARSS-APHM (Mouvement et action pour le rétablissement sanitaire et social Assistance publique Hôpitaux de Marseille)

Aurélie TINLAND, praticien hospitalier, psychiatre, responsable de l'équipe MARSS

Elsa CASTOT, médiatrice Santé-Pair

Alice, pair-aidante

· Équipe de maraudes Gare & Connexions

Ø Échanges avec des membres de l'équipe du programme Un chez-soi d'abord

Ø Visite de la Maison relais Claire Lacombe

Ø Visite de l'Auberge marseillaise et échanges autour du projet

· Jean-Régis ROOIJAKERS, Jules MANRIQUE, David REYDELLET, représentant l'association Just 

· Baptiste VERGNET, Louise BOUCHER, Valentine CORNIL, représentant l'association Yes we camp

· Célia MISTRE, responsable de l'Amicale du Nid 13 

· Joachim LEVY, Caroline DUMORTIER, représentant l'association Nouvelle Aube 

· Tony EL LOBO, Quentin FAGART, représentant l'association Habitat Alternatif Social (HAS)

· Nathalie TESSIER, conseillère municipale déléguée aux droits des femmes et à la lutte contre les violences faites aux femmes de la Ville de Marseille et Gabriel VISIER, chef de mission des dispositifs partenariaux auprès du Directeur des Solidarités de la Ville de Marseille

Ø Préfecture des Bouches-du-Rhône

· Michaël SIBILLEAU, préfet délégué pour l'égalité des chances

· Agnès LONCHAMP, déléguée départementale aux droits des femmes

· Julia HUGUES, cheffe du service Hébergement et accompagnement au logement

 
 
 
 
 
 
 
 
 
     
     

LUNDI 6 MAI 2024

SEINE-SAINT-DENIS

Ø Service social de la Mairie de Saint-Denis

Échanges avec :

· Mathieu HANOTIN, maire de Saint-Denis ;

· Katy BONTINCK, première adjointe ;

· Oriane FILHOL, maire-adjointe aux solidarités et droits des femmes ;

· Samia BENSALEM OULD AMARA, maire-adjointe à la lutte contre les discriminations ;

· Brigitte SALEG, directrice de la PMI des Moulins ;

· Simon BONNAURE, directeur de la santé ;

· des agents qui accueillent des femmes en errance au quotidien

Visite de la halte de nuit et des bains douches de la ville

Ø Centre d'orientation et de soins de Médecins du Monde (Saint-Denis)

· Matthieu DRÉAN, coordinateur général de la mission Banlieue Île-de-France de Médecins du Monde ;

Visite et échanges avec les équipes et des personnes accueillies.

Ø Maternité du Centre hospitalier de Saint-Denis - Hôpital Delafontaine

Échanges avec :

· Yohann MOURIER, directeur délégué ;

· Docteur Pascal BOLOT, président de la commission médicale d'établissement ;

· Léa VIOSSAT, directrice des affaires médicales ;

· Natty TRAN, directrice du parcours patient ;

· Romain ESKENAZI, directeur de la communication ;

· Christophe BOVIN, responsable de la sécurité ;

· Docteur Amel MAHDHI, médecin au service obstétrique ;

· Martine MABIALA, cadre supérieure et cadre sage-femme du pôle ;

· Raphaël WALCZAC, cadre du service obstétrique ;

· des patientes.

Ø Amicale du Nid

Mme WOLDEMICHAEL, coordinatrice de l'Amicale du Nid

Ø Interlogement 93, opérateur du SIAO 93 et du 115 en Seine-Saint-Denis (Montreuil)

· Philippe AVEZ, directeur général ;

· Maxence DELAPORTE, directeur général adjoint ;

· Valérie PUVILLAND, directrice opérationnelle SIAO et actions transversales ;

· Julia RITTER, responsable adjointe du pôle mise à l'abri ;

· Pauline GEINDREAU, responsable du pôle Ossiat (Observation sociale, systèmes d'informations et actions transversales) ;

· Timothée LEHURAUX, responsable adjoint au pôle hébergement logement.

JEUDI 13 JUIN 2024

VISITE DU CENTRE D'APPELS DU 115 DE PARIS
GÉRÉ PAR LE SAMUSOCIAL DE PARIS

Interlocuteurs

Vanessa BENOIT

Directrice du Samusocial de Paris

Sabrina BOULEFRAD

Directrice du SIAO

Cécile RABOUIN

Responsable du pôle Veille Sociale du 115

Écoutants sociaux

 

TABLEAU DE MISE EN OEUVRE ET DE SUIVI DES RECOMMANDATIONS

Objet
(formulation synthétique)

Acteurs concernés

Support

Mise en application

Sortir les femmes de l'ombre de la rue

1

Systématiser des analyses genrées et un questionnement des violences subies, en particulier dans le cadre de :

- la prochaine enquête de l'Insee sur le sans-domicilisme ;

- la modernisation du SI-SIAO, qui devra permettre à l'État de disposer en temps réel des données d'activité du 115.

Insee, Drees, Dihal, Fonds de la transformation de l'action publique

Études et enquêtes statistiques, projet de modernisation information

 

Assurer une offre d'hébergement à la hauteur des besoins des femmes et des familles

2

Attribuer à l'État la responsabilité de l'hébergement des femmes enceintes et des mères isolées avec un enfant de moins de 3 ans.

État

Article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles

 

3

Afin d'assurer une mise à l'abri immédiate et une prise en charge minimale d'un mois pour les femmes et les familles, créer 10 000 places d'hébergement supplémentaires, en mobilisant notamment l'habitat intercalaire.

État

Projet de loi de finances pour 2025

 

4

Améliorer la qualité de l'offre d'hébergement, en transformant des nuitées hôtelières en places pérennes et en développant les places adaptées aux femmes et aux familles, avec en particulier :

- davantage de places non mixtes pour les femmes isolées ;

- des places adaptées à toutes les configurations familiales, préservant l'unité familiale ;

- des lieux permettant de cuisiner, de disposer d'une intimité et d'accueillir des enfants.

État et opérateurs de l'État

Projets de construction et de rénovation immobilière

 

Objet
(formulation synthétique)

Acteurs concernés

Support

Mise en application

Faciliter l'accès au logement

5

Accroître la construction de logements sociaux et simplifier et accélérer les procédures de construction de logements à bas loyers dans le secteur privé.

Gouvernement, Parlement

Loi, textes réglementaires

 

6

Pour l'attribution d'un logement social, établir un critère prioritaire pour les femmes seules et les mères isolées sans domicile, et alléger les exigences liées au calcul des revenus.

Établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), bailleurs sociaux

Systèmes de cotation des demandes de logement social

 

7

Donner aux bailleurs sociaux les moyens d'identifier, le plus en amont possible, les locataires les plus fragilisés afin de prévenir les expulsions locatives.

Bailleurs sociaux, commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (CCAPEX)

Diagnostic social et financier, accompagnement social, application ExpLoc

 

8

Renforcer les moyens des programmes spécialisés d'accès direct au logement pour les publics les plus vulnérables, sur le modèle du dispositif Un chez-soi d'abord.

État, Assurance maladie, collectivités territoriales

Projet de loi de finances et projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025, financements

 

Accompagner les femmes dans l'accès à leurs droits et faciliter leur quotidien

9

Améliorer l'accès des femmes à la rue à l'information et aux professionnels de santé en :

- déployant des dispositifs ad hoc adaptés, en particulier de la médiation en santé, des permanences d'accès aux soins et des équipes d'intervention mobile et d'« aller vers » ;

- en permettant à l'Ofii, déjà chargé de l'examen médical des primo arrivantes, d'exercer également en tant que centre de vaccination généraliste agréé.

Assurance maladie, agences régionales de santé (ARS), Ofii

Programmes de santé publique, textes réglementaires

 

10

Inclure et visibiliser dans la « grande cause santé mentale » une politique publique spécifique en faveur des femmes et notamment des femmes sans domicile.

Gouvernement

Grande cause nationale

 

Objet
(formulation synthétique)

Acteurs concernés

Support

Mise en application

Accompagner les femmes dans l'accès à leurs droits et faciliter leur quotidien

11

Améliorer la détection et la prise en charge des violences sexistes et sexuelles dont sont victimes les femmes à la rue en sensibilisant les professionnels du secteur de l'accueil et de l'accompagnement, ainsi que les forces de l'ordre qui recueillent les plaintes.

Opérateurs de l'État, associations, travailleurs sociaux, forces de l'ordre

Actions de formation

 

12

Permettre aux associations de fournir aux femmes sans abri des moyens d'auto-défense.

Ministre de l'intérieur, associations

Articles R315-1 et suivants du code de la sécurité intérieure, décret prévu à l'article L315-1 du code de la sécurité intérieure, arrêté prévu à l'article L317-8 du code de la sécurité intérieure

 

13

Reconnaître les enfants sans domicile comme bénéficiaires directs de l'accompagnement psychosocial global prévu pour leurs parents.

État, associations

Article L345-2-2 du code de l'action sociale et des familles

 

14

Renforcer les moyens dédiés aux dispositifs de médiation scolaire pour tous les enfants sans domicile, notamment pour garantir leur inscription scolaire sans exigence d'un justificatif de domicile.

Dihal, académies, collectivités territoriales

Projet de loi de finances pour 2025, actions des médiateurs scolaires

 

15

Impulser un effort particulier en faveur des femmes sans domicile dans le cadre de la circulaire Valls, qui permet aux préfets de procéder à des régularisations au cas par cas.

Ministre de l'intérieur, préfets

Régularisations au cas par cas

 

16

Mobiliser les préfets pour développer les parcours de sortie de prostitution pour les femmes étrangères en situation irrégulière, victimes de réseaux de traite des êtres humains et de prostitution, et porter la durée de l'autorisation provisoire de séjour, accordée en cas de PSP, de six mois à un an.

Ministre de l'intérieur, préfets

Article L425-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, parcours de sortie de la prostitution (PSP)

 

17

Créer, au sein des préfectures, un guichet unique dédié au traitement des demandes de délivrance ou de renouvellement de titres de séjour déposées par des femmes étrangères isolées et sans domicile.

Préfectures

Organisation interne

 

18

Poursuivre la prise en charge des jeunes de l'aide sociale à l'enfance (ASE) jusqu'à leur autonomie, en appliquant pleinement la loi sur les contrats jeunes majeurs et en engageant la responsabilité des départements ne les mettant pas en oeuvre.

Départements

Article L. 221-2-3 et articles L222-5 et suivants du code de l'action sociale et des familles

 

19

Faciliter l'accès aux services du quotidien et aux démarches administratives :

- en développant les accueils de jour réservés aux femmes, centralisant services et accompagnements, pour une prise en charge stable et continue, dans un même lieu ;

- et en finançant les titres de transport des mères avec des enfants de moins de 3 ans (Passe Navigo des 1 000 premiers jours).

État, régions, associations

Programmes immobiliers, partenariats, financements

 

20

Revaloriser la profession et le statut de travailleur social et développer la formation continue dans le domaine de l'accompagnement social.

Gouvernement, Parlement, associations

Loi, textes réglementaires, programmes de formation

 

21

Favoriser les démarches pluridisciplinaires de prise en charge des femmes à la rue en développant les financements croisés et les partenariats entre acteurs locaux. En particulier, généraliser les lignes « partenaires » pour les associations auprès du 115 et des préfectures.

Préfectures, SIAO, collectivités territoriales, associations

Partenariats, financements, bonnes pratiques

 

22

Renforcer les soutiens financiers pluriannuels aux associations qui accompagnent les femmes sans domicile.

État, associations

Budget de l'État

 

CONSULTATION DU DOSSIER EN LIGNE
(RAPPORT ET COMPTES RENDUS DES AUDITIONS)

Pour consulter le dossier

https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/office-et-delegations/delegation-aux-droits-des-femmes-et-a-legalite-des-chances/2023-2024/femmes-dans-la-rue.html


* 1 Dossier Insee, Les sans-domicile en 2012 : une grande diversité de situation.

* 2 Drees, Enquête auprès des établissements et services en faveur des adultes et familles en difficulté sociale (ES-DS) 2020-2021.

* 3 Audition du 13 juin 2024.

* 4 Réponses du préfet d'Île-de-France au questionnaire des rapporteures. Données au 31 décembre 2022.

* 5 Réponses de la Dihal au questionnaire de la rapporteure.

* 6 Réponses de la FAS au questionnaire de la rapporteure.

* Audition du 14 mars 2024.

* 8 Audition du 11 avril 2024.

* 9 Rapport d'activité de La Maison des femmes.

* 10 Proposition de loi visant à mettre en place un décompte annuel des personnes sans abri dans chaque commune, adoptée par le Sénat le 24 janvier 2024.

* 11 Audition du 18 septembre 2024.

* 12 Contribution adressée aux rapporteures.

* 13 Audition du 29 mai 2024.

* 14 Soutien à la parentalité : agir pour toutes les familles des outre-mer, rapport d'information n° 870 (2022-2023) du 11 juillet 2023, par M. Stéphane Artano, Mmes Annick Billon, Victoire Jasmin et Elsa Schalck.

* 15 Grandir dans les outre-mer : état des lieux des droits de l'enfant, Unicef, novembre 2023.

* 16 Audition du 11 avril 2024.

* 17 Déplacement du 13 juin 2024

* 18 Audition du 14 mars 2024.

* 19 Audition du 4 avril 2024.

* 20 Audition du 4 avril 2024.

* 21 Audition du 14 mars 2024.

* 22 Audition du 4 avril 2024.

* 23 Audition du 4 avril 2024.

* 24 Audition du 14 mars 2024.

* 25 Familles monoparentales : pour un changement des représentations sociétales, rapport d'information n° 485 (2023-2024).

* 26 Drees, Les retraités et les retraites, édition 2023.

* 27 Rapport des Petits Frères des Pauvres / CSA Research, La pauvreté des personnes âgées, octobre 2024.

* 28 29e rapport sur l'état du mal-logement en France 2024 - Fondation Abbé Pierre, publié le 26 février 2024.

* 29 Marie Loison, et Gwenaëlle Perrier, Les trajectoires des femmes sans domicile à travers le prisme du genre : entre vulnérabilité et protection, Déviance et Société, vol. 43, no. 1, 2019.

* 30 Audition du 14 mars 2024.

* 31 Audition du 18 septembre 2024.

* 32 Audition du 19 septembre 2024.

* 33 Audition du 16 mai 2024.

* 34 Audition du 23 mai 2024.

* 35 Audition du 16 mai 2024.

* 36 Audition du 19 septembre 2024.

* 37 Vuillermoz C., Aouba A., Grout L., Rocca C., Vandentorren S., Tassin F., et al, Estimation du nombre de décès de personnes sans domicile en France, 2008-2010, Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire, 2015.

* 38 Audition du 11 avril 2024.

* 39 Dérivé cristallisé de la cocaïne, généralement chauffé pour être inhalé.

* 40 Audition du 19 septembre 2024.

* 41 Audition du 4 avril 2024.

* 42 Enfants et familles sans logement personnel en Île-de-France (Enfams), Samusocial de Paris, 25 octobre 2018.

* 43 Grandir sans chez-soi : Quand l'exclusion liée au logement met en péril la santé mentale des enfants, Samusocial de Paris, Unicef France et Santé publique France, 10 octobre 2022.

* 44 Transformation de l'offre de soins périnatals dans les territoires : le travail doit commencer, rapport d'information de Mmes Annick Jacquemet et Véronique Guillotin n° 753 (2023-2024).

* 45 Audition du 16 mai 2024.

* 46 Audition du 16 mai 2024.

* 47 Audition du 4 avril 2024.

* 48 Observatoire du Samusocial de Paris, Les femmes seules dans le dispositif de veille sociale : une enquête auprès du public accueilli à l'ESI « Halte Femmes », 2016.

* 49 Fondation des femmes et Fédération des acteurs de la solidarité, Un Abri Pour Toutes - Mieux accueillir les femmes dans les centres d'hébergement mixtes, 2021.

* 50 Khouani J., Landrin M., Boulakia R. C., Tahtah S., Gentile G., Desrues A., Vengeon M., Loundou A., Barbaroux A., Auquier P. & Jego M. (2023). Incidence of sexual violence among recently arrived asylum-seeking women in France : a retrospective cohort study. The Lancet Regional Health - Europe, 100731.

* 51 Audition du 19 septembre 2024.

* 52 Enquête « Les victimes de traite des êtres humains », Miprof-SSMSI, 2023.

* 53 Article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles.

* 54 Enquête ES-DS.

* 55 Programme 177 du projet de loi de finances pour 2022.

* 56 Réponses au questionnaire des rapporteures.

* 57 Préfet de la région Île-de-France et direction régionale et interdépartementale de l'hébergement et du logement, Situation de l'habitat et de l'hébergement au 31 décembre 2023.

* 58 Réponses au questionnaire des rapporteures.

* 59 Audition du 11 avril 2024.

* 60 Audition du 11 avril 2024.

* 61 Réponses de la Dihal au questionnaire des rapporteures.

* 62 Audition du 13 juin 2024.

* 63 Préfet de la région Île-de-France et direction régionale et interdépartementale de l'hébergement et du logement, Situation de l'habitat et de l'hébergement au 31 décembre 2023.

* 64 Article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles.

* 65 Drees, enquête auprès des établissements et services en faveur des adultes et familles en difficulté sociale (ES-DS) 2020-2021.

* 66 Audition du 18 septembre 2024.

* 67 Réponses des Départements de France au questionnaire des rapporteures.

* 68 Déplacement du 6 mai 2024.

* 69 Audition du 13 juin 2024.

* 70 Audition du 14 mars 2024.

* 71 Drees, enquête auprès des établissements et services en faveur des adultes et familles en difficulté sociale (ES-DS) 2020-2021.

* 72 Réponses de la Dihal au questionnaire des rapporteures.

* 73 Audition du 14 mars 2024.

* 74 Réponses de la Dihal au questionnaire des rapporteures.

* 75 Réponses de la Dihal au questionnaire des rapporteures.

* 76 Déplacement à Marseille les 28 et 29 mars 2024.

* 77 Instruction du Gouvernement visant à donner une nouvelle impulsion à la résorption des campements illicites et des bidonvilles, 25 janvier 2018.

* 78 Réponses au questionnaire des rapporteures.

* 79 Déplacement du 23 janvier 2024.

* 80 Déplacement des rapporteures à Marseille les 28 et 29 mars 2024.

* 81 Audition du 14 mars 2024

* 82 Audition du 19 septembre 2024.

* 83 Réponses au questionnaire des rapporteures.

* 84 Audition du 23 mai 2024.

* 85 Audition du 14 décembre 2023.

* 86 Audition du 19 septembre 2024.

* 87 Audition du 14 mars 2024

* 88 Audition du 19 septembre 2024.

* 89 Réponses au questionnaire des rapporteures.

* 90 Audition du 23 mai 2024.

* 91 Audition du 4 avril 2024.

* 92 Audition du 30 mai 2024.

* 93 Audition du 14 mars 2024.

* 94 Audition du 11 avril 2024.

* 95 Audition du 6 juin 2024.

* 96 Réponses de la Dihal au questionnaire des rapporteures.

* 97  https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl23-573.html

* 98 Audition du 14 mars 2024.

* 99 Audition du 13 juin 2024.

* 100  Loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l'occupation illicite

* 101 Stratégie Housing first qui prévoit à la fois le maintien dans le logement et l'engagement libre des personnes dans une prise en charge médico-sociale.

* 102  https://www.santepubliquefrance.fr/docs/un-chez-soi-d-abord-accompagner-les-personnes-sans-abri-vers-et-dans-leur-logement

* 103 Elle a été remplacée en janvier 2024 par Raphaël Bouloudnine.

* 104 Audition du 16 mai 2024.

* 105 Fédération nationale solidarité femmes qui gère le numéro d'urgence 3919 pour les femmes victimes de violences.

* 106 Collectif constitué à l'automne 2014 dans l'agglomération lyonnaise pour lutter contre le sans-abrisme des enfants dans les écoles par le biais de l'occupation « illicite », mais « tolérée » par les municipalités d'écoles la nuit afin d'assurer un hébergement aux enfants sans-domicile.

* 107 Audition du 23 mai 2024.

* 108 Loi n° 2019-791 pour une école de la confiance.

* 109 Décret n° 2020-811 précisant les pièces pouvant être demandées à l'appui d'une demande d'inscription sur la liste prévue à l'article L. 131-6 du code de l'éducation.

* 110 Audition du 4 avril 2024.

* 111 Notamment la circulaire dite « Valls » du 28 novembre 2012 relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Cette circulaire a pour objet de rappeler et de préciser les critères permettant d'apprécier une demande d'admission au séjour des ressortissants étrangers en situation irrégulière en vue de leur délivrer un titre de séjour portant soit la mention « vie privée et familiale », « salarié » ou « travailleur temporaire ».

* 112 Articles L. 221-2-3, L222-5, L222-5-1, L222-5-2-1 du code de l'action sociale et des familles.

* 113 Audition du 4 avril 2024.

* 114 Audition du 23 mai 2024.

* 115 Audition du 14 mars 2024.

* 116 Audition du 14 mars 2024.

* 117 Audition du 4 avril 2024.

* 118 Audition du 4 avril 2024.

* 119 Audition du 14 mars 2024.

* 120  https://www.legifrance.gouv.fr/circulaire/id/45305

* 121 Audition du 14 mars 2024.

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