EXAMEN EN DÉLÉGATION

Réunie le mardi 8 octobre 2024, sous la présidence de Dominique Vérien, présidente, la délégation a examiné le présent rapport d'information.

Dominique Vérien, présidente. - Mes chers collègues, nous examinons cet après-midi un rapport consacré aux femmes sans domicile et sans abri. Une précision liminaire de vocabulaire : le terme de « sans domicile » désigne toute personne sans logement personnel, c'est-à-dire, d'une part, les quelque 300 000 personnes hébergées par l'État, et, d'autre part, les 30 000 personnes « sans abri », qui passent la nuit dans la rue.

Nos quatre collègues co-rapporteures, Agnès Evren, Marie-Laure Phinera-Horth, Olivia Richard et Laurence Rossignol, ont travaillé sur ce sujet pendant dix mois, depuis décembre 2023.

Nous avons entendu plus d'une cinquantaine de personnes lors d'auditions et tables rondes au Sénat : représentants de l'État, acteurs associatifs, collectivités territoriales, sociologues, travailleurs sociaux ou encore professionnels de santé.

Nous avons également effectué plusieurs visites de terrain, à Paris, en Seine-Saint-Denis et à Marseille, dans des lieux d'hébergement, des locaux d'associations, un hôpital, un centre de soins ou encore le centre d'appel du 115 de Paris. Ces visites nous ont permis d'échanger directement avec des femmes sans domicile, qui ont bien voulu nous confier leurs histoires et leurs difficultés, et dont vous retrouverez des témoignages au sein du rapport. Nous avons également rencontré de nombreux professionnels et bénévoles qui les accueillent et les accompagnent avec une bienveillance et un engagement qui doivent être salués - et qui le seront d'ailleurs le 22 octobre prochain, lorsque nous remettrons le Prix 2024 de la délégation au Samusocial de Paris.

Nos auditions et rencontres ont eu le mérite d'obliger divers acteurs institutionnels et associations à s'interroger sur les spécificités des femmes sans domicile et sur les possibilités de développer des dispositifs pour les accompagner plus efficacement. En effet, lorsque nous les interrogions, nous avons souvent entendu nos interlocuteurs nous répondre « nous ne nous étions jamais posé la question sous cet angle-là... mais la préparation de cette audition nous a permis d'y réfléchir, de prendre conscience que nous manquions d'analyses genrées et de travailler à la mise en place d'actions spécifiques ».

Chers collègues, vous avez sous les yeux l'Essentiel du rapport, c'est-à-dire sa synthèse. Vous avez reçu ce document ce matin ainsi que la liste des recommandations.

Je laisse sans plus tarder la parole aux rapporteures, à commencer par notre collègue Agnès Evren.

Agnès Evren, rapporteure. - Le premier objectif de notre rapport était de lancer un cri d'alerte, de sensibiliser l'opinion publique à toutes les difficultés et violences rencontrées par ces femmes. Notre leitmotiv est de rendre visible l'invisible. « Invisibles », c'est ainsi que ces femmes ont régulièrement été désignées, au cours de nos auditions, c'est « la face cachée de la rue ». En effet, les femmes à la rue se rendent invisibles, elles se cachent pour échapper aux violences, elles se fondent dans la masse pour ne pas constituer une proie. Elles ont peur, elles sont sur le qui-vive, elles ne dorment pas.

Je vais vous décrire les différents visages de ces femmes.

Je le disais : elles se rendent invisibles, elles se cachent dans des parkings, des caves, pour certaines dans des bus dans lesquels elles font nombre d'allers-retours, dans des aéroports et parfois même dans des squats, car le fond du problème c'est le manque de place d'hébergement, sur fond de crise du logement. On les voit peu mais elles sont de plus en plus nombreuses. C'est inédit et historique. Hélas on a l'impression que c'est de plus en plus banal, de plus en plus acceptable, au point que les critères de priorité mis en place par la préfecture de la région Île-de-France ne permettent même plus de mettre à l'abri une mère et son bébé.

Il est vrai que dans l'imaginaire collectif, les personnes sans domicile sont souvent perçues comme des hommes, plutôt âgés, souvent très désocialisés. Mais en réalité, 40 % des personnes sans domicile sont aujourd'hui des femmes.

Certes, les femmes sans domicile bénéficient historiquement d'une meilleure protection institutionnelle, un hébergement leur est plus souvent proposé qu'aux hommes. À l'époque de la création du Samusocial par Xavier Emmanuelli et Jacques Chirac, on n'imaginait pas une seule seconde qu'une femme pouvait rester à la rue. Jusqu'à il y a une dizaine d'années, très peu de femmes passaient la nuit dans la rue et, a fortiori, aucun enfant n'était laissé à la rue.

Mais aujourd'hui, faute de places d'hébergement en nombre suffisant, on estime que chaque nuit environ 3 000 femmes et près de 3 000 enfants passent la nuit dans la rue. De surcroît, même les femmes et les familles hébergées sont dans une situation précaire : de nombreuses places d'hébergement ne sont octroyées que pour quelques jours ; ces personnes doivent régulièrement quitter leur hébergement et souvent repasser plusieurs jours à la rue avant de se voir de nouveau proposer un hébergement.

Qui sont ces femmes ? Elles ont des visages multiples et sont bien plus diverses qu'on ne le croit trop souvent.

Ce sont, pour beaucoup, des femmes qui ont été victimes d'une spirale de précarité et de violences. La parole s'est d'ailleurs libérée sur ces violences depuis #MeToo. Parmi les femmes sans domicile nées en France, 36 % ont été victimes de violences dans leur enfance et 25 % ont connu un passage par l'Aide sociale à l'enfance (ASE). En outre, 15 % ont perdu leur logement à la suite de violences intrafamiliales. Ces différentes catégories pouvant bien sûr se recouper.

On retrouve également de nombreuses femmes qui ont fui leur pays : environ la moitié des femmes sans domicile sont d'origine étrangère. Elles sont particulièrement exposées aux risques d'exploitation domestique et sexuelle.

Enfin, on rencontre également dans la rue des femmes avec des troubles psychiatriques lourds, souvent non traités et couplés à des problématiques d'addiction. J'ai été marquée par la rencontre poignante, lors de notre déplacement à Marseille, avec cette jeune ex-droguée qui nous racontait entendre en permanence des voix contradictoires. Elle a depuis redonné du sens à sa vie en devenant elle-même pair-aidante auprès des personnes à la rue.

La rue expose les femmes à de multiples facteurs de risque et de pathologie : difficultés d'accès à l'alimentation et à l'hygiène, contact avec des nuisibles, risques d'infection au VIH et aux hépatites, violences sexuelles, retards de prise en charge, grossesses à risques... Oui, « grossesse », car comme je vous le disais précédemment, aujourd'hui dans notre pays des femmes enceintes ou accompagnées de bébés passent la nuit à la rue : lorsque nous nous sommes rendus en Seine-Saint-Denis en mai dernier, le soir même, dans ce département, 63 femmes enceintes n'étaient pas mises à l'abri en dépit d'un appel au 115. Ce même soir, toujours dans ce seul département, 281 enfants, dont 112 de moins de 3 ans, passaient également la nuit dans la rue.

Vous remarquerez que j'emploie systématiquement l'expression « passer la nuit dans la rue » et non « dormir à la rue », qui est l'expression usuelle employée notamment par l'Insee dans sa définition des personnes sans abri. Car, je vous le disais, les femmes dans la rue ne dorment pas la nuit, elles ont peur d'être agressées, elles sont en état de veille et d'alerte, tout en s'efforçant de se rendre invisibles. Elles sont épuisées et beaucoup nous ont dit « je rêve d'être hébergée même seulement pour deux semaines pour pouvoir me reposer ».

En effet, une femme à la rue s'expose à des agressions physiques et sexuelles, à des propositions d'hébergement contre « services » et au recrutement par des réseaux de proxénètes et de traite des êtres humains. Tous les interlocuteurs rencontrés nous ont fait ce témoignage : après quelques mois passés à la rue, toutes les femmes ont subi un viol, même s'il est difficile de donner des chiffres en la matière.

Face à ces différents constats, nous formulons plusieurs préconisations.

Tout d'abord, systématiser des analyses genrées et un questionnement des violences subies lors des études sur les personnes sans domicile, afin que ces femmes et leurs traumatismes ne soient plus invisibles et qu'elles puissent être prises en charge de manière pertinente et efficace.

Afin d'améliorer l'accès des femmes aux professionnels de santé, nous préconisons de développer à la fois des centres fixes et des équipes d'intervention mobiles, notamment en santé gynécologique et en santé mentale, pour aller vers ces femmes qui ne se déplacent pas et renoncent souvent aux soins.

Nous recommandons également d'améliorer la détection, la prise en charge et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, en sensibilisant les travailleurs sociaux et les forces de l'ordre qui recueillent les plaintes, mais aussi, de manière très concrète, en permettant aux associations de fournir aux femmes sans abri des moyens d'auto-défense - avec discernement évidemment.

Enfin, les places d'hébergement doivent elles aussi être adaptées aux femmes et je laisse la parole à notre collègue rapporteure Laurence Rossignol pour développer nos analyses et préconisations portant la politique d'hébergement et de mise à l'abri.

Laurence Rossignol, rapporteure. - Faire un état des lieux des femmes à la rue, de qui elles sont et comment elles vivent, exige de faire une évaluation lucide et juste des politiques publiques conduites ces dernières années à leur égard. Il est vrai que le nombre de places d'hébergement a été considérablement accru puisqu'il a été multiplié par deux en dix ans, atteignant 203 000 dans le parc généraliste et les hôtels sociaux et 110 000 dans le dispositif d'accueil des demandeurs d'asile (le DNA). Un effort particulier a été fait en faveur des femmes victimes de violences intrafamiliales : 11 000 places d'hébergement leur sont dédiées, permettant - semble-t-il - de répondre à la quasi-totalité des demandes d'hébergement formulées par des victimes de VIF.

Pour autant, si cette offre était adaptée et proportionnée, nous n'aurions pas besoin d'être là pour discuter de cette problématique. L'offre d'hébergement est encore insatisfaisante et ce pour trois raisons principales.

Premièrement, sur le plan quantitatif, ces places sont encore insuffisantes pour mettre à l'abri toutes les personnes sans domicile. Lorsqu'elles appellent le 115, plus de la moitié des femmes et des familles n'obtiennent aucun hébergement faute de places disponibles ou de places compatibles avec leur composition familiale. L'hiver dernier, entre novembre et mars, en moyenne, chaque jour, 5 833 personnes ne pouvaient être mises à l'abri en dépit d'un appel au 115. Fin août, à la veille de la rentrée scolaire, 6 500 personnes sont restées sans abri après un appel au 115, parmi lesquelles 1 934 femmes et 2 073 enfants.

Or on estime qu'environ la moitié des personnes sans abri n'appelle pas ou plus le 115. On nous l'a souvent dit : une personne qui appelle le 115 et à laquelle il n'est pas proposé de solution risque de ne pas renouveler son appel et de sortir des radars.

C'est pourquoi nous en avons conclu qu'il était nécessaire de créer 10 000 places d'hébergement supplémentaires. Nous espérons que cet objectif, qui n'est pas si audacieux, trouvera une concrétisation lors du projet de loi de finances pour 2025. C'est d'ailleurs le sens d'un amendement que nous avions voté au Sénat lors du projet de loi de finances pour 2024 mais qui n'avait pas été intégré au texte final par le Gouvernement.

Cette création de places est indispensable pour être en mesure de respecter le principe d'inconditionnalité de l'hébergement auquel les critères de vulnérabilité, et même de sur-vulnérabilité, mis en place depuis plus d'un an, contreviennent de façon flagrante. Aujourd'hui, en Île-de-France, faute de places suffisantes, seules les femmes victimes de violences, les femmes enceintes de plus de 6 mois et les familles avec un enfant de moins de 3 mois sont considérées comme « vulnérables de niveau 1 ». Les autres n'ont souvent aucune solution proposée lorsqu'elles appellent le 115. Même les plus vulnérables n'obtiennent pas systématiquement une mise à l'abri. Pour notre part, nous pensons qu'être une femme à la rue, exposée aux violences, tout comme être un enfant à la rue est, en soi, une vulnérabilité de niveau 1.

La création de places supplémentaires permettra également de procéder à une mise à l'abri immédiate de toute personne qui appelle le 115 pour la première fois et de garantir une prise en charge minimale d'un mois, un délai incompressible pour mettre en place un accompagnement psychosocial. En effet, il ne suffit pas de mettre les gens à l'abri, il faut aussi construire un véritable accompagnement qui leur permettra de sortir de la spirale de la vulnérabilité pour pouvoir ensuite envisager un logement pérenne.

Au-delà de cet aspect quantitatif, l'offre d'hébergement doit faire l'objet d'une transformation qualitative, pour l'adapter aux femmes et aux familles, c'est mon deuxième point.

Il s'agit tout d'abord de transformer des nuitées hôtelières, peu qualitatives, en places d'hébergement pérennes, qui donnent davantage de visibilité aux personnes accueillies et sont associées à un accompagnement social systématique. La nature de l'hébergement dans les hôtels est en réalité honteuse et empreinte de violence, sans aucun accompagnement socio-éducatif. Elle ne peut en aucun cas être considérée comme une offre acceptable pour résoudre même une partie du problème des femmes à la rue.

En outre, les hôtels sociaux sont aujourd'hui la solution privilégiée pour loger les familles : 29 000 enfants y vivent, et ce en moyenne depuis trois ans. Or ils ne sont pas du tout adaptés aux familles et nous estimons donc nécessaire de développer des places pérennes adaptées à toutes les configurations familiales et qui permettent de cuisiner, de disposer d'une intimité et d'accueillir des enfants.

Nous préconisons également de développer les places non mixtes, en particulier en première urgence : les femmes sans abri, qui ont presque toutes subi des violences sexuelles à un moment de leur parcours, ne se sentent pas en sécurité dans des lieux mixtes et préfèrent souvent rester à la rue plutôt que de fréquenter de tels lieux qui peuvent les exposer à de nouvelles violences.

Enfin, et ce sera mon troisième et dernier point, l'embolie actuelle du parc d'hébergement s'explique non seulement par l'augmentation du nombre de personnes sans domicile en amont mais également par l'absence de solutions de sortie vers le logement en aval.

Nous ne pourrons sortir de cette embolie qu'en nous attaquant à deux sujets : celui de la crise du logement et du manque d'offre de logements sociaux face à une demande qui a explosé ces dernières années ; et celui du traitement administratif apporté aux personnes en situation irrégulière qui restent des années en hébergement, faute des droits nécessaires pour postuler et accéder à un logement. Nous avons rencontré dans des lieux d'hébergement des femmes qui étaient là depuis des années, qui tous les matins se lèvent pour aller travailler, parfois même de façon légale. Se pose donc la question de savoir si ces femmes, en situation irrégulière, qui ne causent aucun trouble à l'ordre public et ne seront sans doute jamais expulsées, doivent être maintenues dans une zone de non-droit.

Je vais laisser la parole à notre collègue rapporteure Olivia Richard qui abordera plus amplement ces deux sujets et nos préconisations en la matière, à savoir un socle minimal sur lequel nous nous sommes accordées avec mes collègues co-rapporteures, afin de tenir compte des différentes sensibilités - je ne vous cache pas qu'à titre personnel j'aurais été favorable à une préconisation plus audacieuse et injonctive à l'égard du Gouvernement.

Olivia Richard, rapporteure. - L'hébergement ne constitue qu'une solution imparfaite et la quasi-totalité des personnes sans domicile interrogées souhaite en première intention accéder à un logement, premier outil de protection des personnes à la rue, en particulier des femmes, plus exposées aux violences.

Or, nous avons constaté la persistance d'une « logique de l'escalier » dans la prise en charge des personnes sans abri et une embolie du système à tous les échelons.

En sortir ne sera possible qu'à condition de privilégier l'accès direct au logement et de poursuivre l'ambition, louable, mais encore inaboutie, des deux plans en faveur du Logement d'abord (2018-2022 et 2023-2027). Dans le cadre de ces plans, entre janvier 2018 et décembre 2023, 550 000 personnes ont accédé à un logement depuis la rue ou l'hébergement.

Pourtant, la marche à franchir pour passer de la rue au logement est encore parfois trop haute pour les publics les plus précarisés, au premier rang desquels les femmes.

Deux facteurs principaux y contribuent :

- la crise du logement en aval, rendant quasiment impossible l'accès au logement pour les plus précaires, qui restent bloqués dans l'hébergement parfois pendant des années ;

- la proportion, au sein des dispositifs d'hébergement, de personnes de nationalité étrangère, parmi lesquelles beaucoup de femmes n'ayant pas le titre de séjour nécessaire pour postuler à un logement social.

S'agissant de la crise du logement, nous constatons un manque général de logements abordables sur l'ensemble du territoire.

La baisse de la production annuelle de logements sociaux, passée de 120 000 logements par an en 2016-2017 à seulement 82 000 en 2023, n'a pas permis de résorber la demande supplémentaire de logements sociaux : nous comptons 600 000 demandeurs de logements sociaux supplémentaires depuis 2017.

En outre, lorsqu'ils sont disponibles, les logements ne sont pas toujours adaptés à la demande des ménages, notamment des femmes.

À Paris notamment, nous avons été alertées, d'une part, sur la faiblesse du taux d'attribution de logement social (une demande sur dix aboutit), d'autre part, sur l'allongement du délai d'attribution. Les associations ont souligné l'allongement de la durée passée dans des logements censés être temporaires ou d'urgence, de cinq mois en moyenne en 2012 à un an et demi en 2022.

Si la production de davantage de logements sociaux est une solution de moyen, voire de long terme, il est nécessaire, au sein du parc HLM existant, d'améliorer et d'amplifier l'accès au logement social pour les publics les plus démunis, notamment ceux issus de la rue, et plus encore pour les femmes seules ou avec enfants, pour qui les violences de la rue sont exacerbées.

C'est pourquoi nous proposons d'établir, parmi les critères d'attribution des logements sociaux, un critère prioritaire pour les femmes seules et les mères isolées sans domicile.

Nous notons néanmoins un motif de satisfaction, celui du traitement des demandes de logements émanant de femmes victimes de violences familiales, désormais prioritaires pour l'attribution d'un logement social. Sur les cinq dernières années, depuis 2019, environ 10 000 logements par an ont été attribués à des femmes victimes de violences intrafamiliales (VIF), contre une base de départ de 6 000 attributions par an en 2015.

D'autres formes de logements adaptés à un public particulièrement précaire et vulnérable doivent être envisagées. Plusieurs pistes peuvent être explorées telles que l'intermédiation locative, les baux glissants, les logements intermédiaires, les pensions de famille. Ces diverses formes de logement adapté doivent également permettre de lier accompagnement et logement. Cet accompagnement est primordial pour les femmes qui sortent d'un parcours de rue empreint de violences (physiques, psychologiques et sexuelles) et souvent marqué par l'absence de recours aux dispositifs de prise en charge destinés aux populations sans domicile.

Si l'accès au logement constitue un défi majeur, la question du maintien dans le logement est également primordiale. C'est pourquoi nous estimons que la prévention des expulsions locatives doit faire partie des priorités d'une politique publique du logement efficace.

S'agissant des critères de régularité du séjour pour accéder à un logement, nous avons d'abord été confrontées à ce constat : l'augmentation et la féminisation des populations exilées en France, depuis une dizaine d'années - mais surtout depuis la fin de la crise sanitaire - exercent une forte pression sur les dispositifs d'accueil des personnes à la rue. D'après l'Ofii (Office français de l'immigration et de l'intégration), 60 % des personnes hébergées seraient aujourd'hui en situation irrégulière.

Se pose dès lors la question d'une approche administrative « réaliste » de la prise en charge, au titre du droit au séjour, de cette population étrangère à part entière : celle de migrantes, femmes seules et parfois mères, issues d'un parcours migratoire émaillé de violences, confrontées une fois en France à d'autres types de violences et qui ne sont souvent pas expulsables.

En effet, la complexité et la longueur des procédures administratives d'accès à un titre de séjour pour les personnes exilées peuvent s'avérer délétères pour les femmes, notamment les primo-arrivantes, souvent victimes de réseaux de prostitution dès leur arrivée sur le territoire.

Nous n'avons pas toutes eu, au cours de ces plusieurs mois de travaux, la même approche de ces enjeux. Néanmoins, nous avons estimé essentiel de nous retrouver sur un socle minimal commun de préconisations.

C'est pourquoi, nous recommandons unanimement :

- d'impulser un effort particulier en faveur des femmes étrangères sans domicile, notamment les mères isolées, dans le cadre du droit existant, c'est-à-dire de la « circulaire Valls » qui permet aux préfets de procéder à des régularisations, au cas par cas ;

- de créer, au sein des préfectures, un guichet dédié aux demandes de délivrance ou de renouvellement de titres de séjour déposées par des femmes étrangères sans domicile, hébergées ou à la rue.

Je vais maintenant laisser la parole à notre collègue rapporteure Marie-Laure Phinera-Horth pour la dernière partie de nos recommandations relatives à l'accès aux droits et aux services du quotidien.

Marie-Laure Phinera-Horth, rapporteure. - Je vais maintenant vous présenter l'essentiel de nos constats et recommandations concernant, d'une part, l'accompagnement social et l'accès aux droits des femmes sans domicile et de leurs enfants, et d'autre part, le soutien et la valorisation des travailleurs sociaux qui les prennent en charge.

Je ne reviendrai pas sur l'accès aux soins médicaux, en particulier gynécologiques, et la prise en charge des violences sexistes et sexuelles (VSS) qui ont déjà été évoqués par notre collègue Agnès Evren. Notons simplement que le déploiement de dispositifs ad hoc, adaptés à ces profils précaires, est indispensable pour lutter contre le fort taux de non-recours ou de renoncement aux soins qui caractérise ce public fragile.

Ce phénomène de non-recours est également observé s'agissant des dispositifs généraux d'accompagnement psychosocial.

En effet, effectuer des démarches administratives ou accéder à des services élémentaires du quotidien peut s'avérer très difficile pour les femmes à la rue en raison de nombreux obstacles :

- une segmentation des lieux de l'assistance ;

- la mixité de certains lieux d'accueil, tels que les accueils de jour ;

- ou encore les difficultés d'accès aux transports et de déplacement entre les multiples lieux dans lesquels elles doivent se rendre pour effectuer leurs démarches, surtout lorsqu'elles sont enceintes ou accompagnées de nourrissons et d'enfants en bas âge.

C'est pourquoi, nous recommandons de faciliter l'accès aux services du quotidien et aux démarches administratives des femmes sans domicile :

- en développant les accueils de jour réservés aux femmes, centralisant services et accompagnements, pour une prise en charge stable et continue, dans un même lieu ;

- et en finançant les titres de transport des mères avec des enfants de moins de 3 ans.

Je souhaite ici m'attarder davantage sur la situation des enfants sans domicile, dont le nombre a explosé au cours de ces cinq à six dernières années.

Le fait d'être sans domicile expose en effet les enfants à des conditions de vie dégradées qui engendreront d'importantes répercussions sur leur développement et leur santé physique et mentale. L'absence de logement stable et durable a également des conséquences néfastes sur la scolarité des enfants.

C'est pourquoi, nous proposons notamment :

- de reconnaître les enfants sans domicile comme bénéficiaires directs de l'accompagnement psychosocial global prévu pour leurs parents ;

- de renforcer les moyens dédiés aux dispositifs de médiation scolaire pour tous les enfants sans domicile, notamment pour garantir leur inscription scolaire sans exigence d'un justificatif de domicile et pour limiter le décrochage scolaire engendré par les expulsions habitatives.

Par ailleurs, alors qu'un quart des personnes sans domicile est passé par l'ASE et que les jeunes femmes qui en sont issues sont particulièrement exposées au risque de prostitution, nous estimons indispensable de poursuivre la prise en charge de ces jeunes jusqu'à l'autonomie, en appliquant pleinement la loi sur les contrats jeunes majeurs et en engageant la responsabilité des départements qui ne les mettent pas en oeuvre.

Enfin, nous avons collectivement souhaité, dans ce rapport, rendre hommage aux travailleurs sociaux - à 65 % des femmes - qui accompagnent au quotidien ce public très fragile, le portant souvent à bout de bras alors qu'eux-mêmes se trouvent dans des situations précaires, en raison de faibles rémunérations, d'un manque de reconnaissance sociale et d'une perte de sens professionnel faute de solutions durables à proposer au public pris en charge.

Nous avons en effet été frappées par le délitement de l'environnement social de l'accompagnement du sans-abrisme et par les conditions très difficiles dans lesquelles s'exerce aujourd'hui le travail social.

Nous relevons un phénomène de découragement au sein d'un corps de métier marqué par un important turnover et une usure professionnelle souvent précoce, qui sont à l'origine d'un manque d'effectifs au sein des équipes d'accompagnants au regard du nombre grandissant de personnes à accompagner.

C'est pourquoi nous proposons :

- de revaloriser la profession et le statut de travailleur social et de développer la formation continue dans le domaine de l'accompagnement social ;

- de favoriser les démarches pluridisciplinaires de prise en charge des femmes à la rue en développant les financements croisés et les partenariats entre acteurs locaux. Et, en particulier, de généraliser les lignes « partenaires » ou « coupe-file » pour les associations auprès du 115 et des préfectures afin qu'elles aient un accès privilégié pour faire remonter des situations spécifiques de personnes qu'elles suivent ;

- et, enfin, de renforcer les soutiens financiers pluriannuels aux associations qui accompagnent les femmes sans domicile.

Nous sommes bien sûr à votre disposition pour développer davantage l'une ou l'autre de nos recommandations.

Dominique Vérien, présidente. - Nous en venons à l'adoption du rapport et de ses vingt-deux recommandations. Vous avez sous les yeux l'Essentiel et la liste des recommandations, et en avez également été destinataires ce matin.

Avez-vous des commentaires ou des modifications à proposer ?

Annick Billon. - Je tiens à remercier les quatre rapporteures pour le travail mené. On ressort sans doute différent d'un rapport comme celui-ci et j'imagine que les déplacements et les rencontres marquantes que vous avez faits ont compté pour l'élaboration de vos recommandations. C'est un sujet que l'on évoque rarement, vous l'avez dit : ces femmes se cachent et vous contribuez aujourd'hui à les rendre visibles.

Ce qui me désole à la lecture de votre première proposition c'est qu'elle correspond à une demande récurrente de la délégation : depuis des années, nous demandons des données chiffrées genrées afin de définir et mener des politiques publiques adaptées, que ce soit dans le domaine de la santé des femmes au travail, celui de la prostitution des mineurs, ou encore sur la problématique spécifique des violences intrafamiliales dans les territoires ultramarins. Il faut absolument avancer sur ce sujet !

Le deuxième point que je souhaiterais mettre en exergue est le sujet de l'hébergement et du logement. Certes des places ont été créées mais on ne peut pas se satisfaire de cette seule réponse, il faut que ces places soient qualitatives et il faut surtout un accompagnement pour ces femmes. Offrir un toit ce n'est pas suffisant ; pour sortir de la spirale infernale de la rue, il faut un accompagnement, notamment sur les problématiques de santé et de violences intrafamiliales ainsi que pour les enfants.

Vous demandez une simplification des démarches qui me semble en effet nécessaire Car quand on est à la rue, tout est plus compliqué.

Enfin, je soutiens votre recommandation de revalorisation de la profession et du statut de travailleur social, et je constate que celle-ci peut aussi venir d'initiatives inattendues, comme par exemple grâce au film Un p'tit truc en plus d'Artus, qui a mis en lumière le métier d'accompagnant auprès des personnes en situation de handicap et à la suite duquel on a constaté une augmentation du nombre de demandes de formations dans ce domaine.

Je m'interroge cependant sur le contexte actuel dans lequel on n'entend parler que d'économies à réaliser : je ne suis pas sûre que l'on puisse en trouver dans ces propositions !

Dominique Vérien, présidente. - Si l'on s'attachait d'abord à raisonner en termes de prévention, cela coûterait moins cher. Par exemple, si l'on s'occupait mieux des enfants placés à l'aide sociale à l'enfance (ASE), on ne les retrouverait pas ensuite à la rue ! Si on leur proposait des contrats d'emplois pour jeunes majeurs, on verserait moins d'allocation au titre du RSA puisque ces jeunes auraient un travail ! Il ne s'agit pas de créer des dépenses supplémentaires mais de choisir de mettre les financements en amont en prévention, plutôt qu'après pour essayer de réparer la situation.

Colombe Brossel. - Je souscris pleinement à ces propos. J'espère que ce rapport permettra de rendre visibles ces situations, qu'objectivement on ne veut pas voir, car cela est absolument nécessaire pour la mise en oeuvre des politiques publiques. Merci aux rapporteures d'avoir étayé votre rapport par des chiffres et par des travaux de sociologues.

J'ai en mémoire le débat budgétaire de l'année dernière, au cours duquel la confrontation avec cette réalité des enfants à la rue avait mis en colère le ministre du logement de l'époque. Mais poser les réalités, c'est permettre de les résoudre, et le Sénat avait finalement fait adopter un amendement consensuel visant à créer des places d'hébergement supplémentaires.

J'espère que tout ce que vous portez sur le logement social sera entendu. Si on n'avance pas sur ce sujet, on continuera d'avoir des femmes et des enfants à la rue.

Vous proposez de créer un guichet dédié au traitement des demandes de délivrance ou de renouvellement des titres de séjour. Je ne peux qu'y souscrire, mais force est de constater qu'actuellement, le sujet urgent est avant tout celui de l'allongement des délais pour une simple prise de rendez-vous. En tant qu'élus, nous étions auparavant amenés à intervenir auprès de la préfecture pour appuyer des dossiers de régularisation, mais aujourd'hui, nous intervenons surtout pour que les personnes obtiennent des rendez-vous. Car du fait de cet allongement des délais, ce sont les pouvoirs publics eux-mêmes qui font sombrer dans l'irrégularité et la précarité des personnes en situation régulière, qui travaillent et contribuent à la richesse de la nation.

Enfin, pardon pour ce regard très métropolitain, mais à Paris les foyers sont engorgés par des femmes en situation irrégulière, qui restent dans l'hébergement pendant des années et bloquent des places, faute de pouvoir prétendre à un logement. Ces femmes travaillent et leurs enfants vont à l'école, à la bibliothèque, avec les nôtres. C'est un cri d'alerte que nous poussons depuis des années, il faut régler ce problème d'embolie des centres d'hébergement et si l'on ne procède pas à des régularisations, on ne pourra pas s'en sortir.

Dominique Vérien, présidente. - Si l'on traitait rapidement les dossiers des femmes dont on sait qu'elles ne seront pas renvoyées, on résoudrait déjà une partie du problème. Or, certains préfets refusent par principe de procéder à des régularisations, même au cas par cas.

Adel Ziane. - Merci pour ce rapport et, en tant que Séquano-Dionysien, merci d'être venues en Seine-Saint-Denis à la rencontre des acteurs de terrain, notamment à la maternité Delafontaine où la situation est aujourd'hui relativement sous contrôle après un pic de difficultés constaté pendant et après les JO. Votre rapport suscite de fortes attentes auprès du personnel de cet hôpital, qui se mobilise et prend en charge des femmes à la rue, au-delà de ses missions premières, par souci d'humanité.

Je pense qu'il faut évoquer le sujet de la répartition territoriale, abordé à partir de la page 82 du rapport. La carte de la page 85, qui pointe le déséquilibre territorial de l'offre d'hébergement est très parlante. C'est un enjeu important pour la Seine-Saint-Denis. On compte 39 000 places d'hébergements à Paris, 19 000 en Seine-Saint-Denis et 4 000 à 9 000 dans les autres départements franciliens. Une meilleure répartition des richesses entre départements franciliens permettrait une mutualisation et un rééquilibrage des moyens mais aussi de garder sur le territoire des personnes qui ont choisi de faire leur vie en Seine-Saint-Denis.

Hussein Bourgi. - Merci aux quatre rapporteures pour ce travail. Concernant l'hébergement, nous avions dressé le même constat que vous dans le rapport sur les mineurs non accompagnés (MNA) que nous avions mené en 2021 avec nos collègues Laurent Burgoa, Henri Leroy et Xavier Iacovelli. Il y a un véritable problème en France avec l'hébergement à l'hôtel des publics en difficulté et je souscris donc pleinement à votre proposition.

Comme l'a relevé notre collègue Adel Ziane, une répartition territoriale plus équitable des dispositifs d'aide et d'accueil des personnes sans domicile est nécessaire. Je le constate dans ma ville de Montpellier : les associations sont exténuées et cela a des répercussions sur le bénévolat. Lorsqu'il y a des associations et des actions identifiées dans une ville, par exemple une distribution alimentaire, tous les publics en difficulté affluent, et les bénévoles sont alors conduits à gérer l'urgence du flux au détriment d'un travail d'accompagnement personnalisé, ce qui est très frustrant pour eux. Avant, le temps du repas sur place était l'occasion d'échanges et de dialogues avec les mamans et les enfants, mais aujourd'hui, il se raréfie car les files d'attente s'allongent et les femmes en situation de précarité sont pressées de repartir se mettre à l'abri...

Enfin je voudrais aborder la question de l'accès au droit : c'est une violence symbolique qu'exerce l'État, à travers ses préfectures - dont les services dédiés aux étrangers sont exsangues et en sous-effectif chronique - lorsque des personnes doivent mener un véritable parcours du combattant uniquement pour déposer leur dossier et faire valoir leurs droits.

Marc Laménie. - Je m'associe aux remerciements adressés aux rapporteures pour ce travail de fond sur un sujet de société fondamental. Ce bilan nous interpelle.

Concernant les travailleurs sociaux : combien sont-ils et de quelles structures dépendent-ils : collectivités territoriales, institutions, associations ?

Laurence Rossignol, rapporteure. - Ce que l'on a vu avec les femmes sans abri, c'est un effet loupe de l'ensemble des dysfonctionnements de notre pays mais aussi de ses richesses. Au titre de ces richesses, nous avons rencontré un tissu associatif exceptionnel, découvert des initiatives innovantes, des individus et des réseaux locaux qui font des choses extraordinaires. À cette occasion, ils nous ont tous confié que s'ils passaient moins de temps dans les formalités administratives et les appels à projets, ils auraient davantage de temps à consacrer à leur mission de prise en charge des publics précaires.

Dans tous les secteurs du travail social - ASE, crèches, prise en charge des personnes âgées - on assiste aujourd'hui à un effondrement de la motivation des personnels et de l'attractivité de ces métiers. C'est un enjeu, à mon sens, crucial.

Le sujet que nous traitons est un sujet métropolitain. Dans les petites villes, la mairie a des logements vides destinés à accueillir les femmes sans abri et on ne laisse pas des femmes à la rue.

Un mot sur les questions liées au traitement administratif des étrangers en France : il est volontairement organisé pour être dissuasif et décourager les étrangers de demander des papiers. Il faut le dire clairement : notre pays maintient délibérément un nombre important de personnes dans l'absence de droits, au nom de la supposée théorie de l'appel d'air, qui n'a jamais été démontrée.

Nous allons tout de même demander aux préfets un effort sur les parcours de sortie de prostitution, car il y a un énorme problème d'exploitation sexuelle des femmes étrangères, notamment à travers le concept, que nous avons découvert, d'hébergement « amical » qui recouvre en réalité, la plupart du temps, un hébergement contre services sexuels.

Agnès Evren, rapporteure. - Je retiendrai particulièrement de cette mission ma visite au centre du 115 de Montreuil, et le sentiment d'injustice vécu par les écoutants sociaux dont la mission est de venir en aide, qui sont animés par le bien commun, mais dont le travail quotidien consiste à laisser, tous les soirs, des femmes enceintes à la rue. C'est une mission impossible, à l'origine d'un profond mal-être et de dépression. Je voudrais rendre hommage à tous les travailleurs sociaux qui ont grandement besoin de notre considération et de notre soutien.

Dominique Vérien, présidente. - Pour répondre à notre collègue Marc Laménie, il y a environ 30 000 travailleurs sociaux dans le domaine de l'accompagnement des personnes en détresse sociale, et la majorité sont des salariés d'associations.

Marie Mercier. - S'agissant du critère de priorité, je pense qu'il faudrait faire figurer les mères isolées avant les femmes seules. C'est terrifiant qu'il y ait autant d'enfants qui vivent à la rue.

Sur la garantie d'inscription scolaire, on constate aussi des traitements différents selon les territoires, car dans nos petites communes, on ne demande pas de justificatif de domicile pour scolariser les enfants !

Laurence Rossignol, rapporteure. - Attention tout de même à ce que la priorisation sur les mères isolées ne conduise pas à séparer des familles. Quand un dispositif favorise trop les personnes isolées, il y a un risque de mise à l'écart du père afin de pouvoir entrer dans ce dispositif.

Dominique Vérien, présidente. - Je vais passer au vote pour l'adoption des recommandations et du rapport. Je constate une belle unanimité !

Le rapport et ses conclusions sont adoptés.

S'agissant du titre, les rapporteures vous proposent : Femmes sans abri, la face cachée de la rue. Je note que cette proposition vous convient.

Nous en avons donc fini avec l'examen de ce rapport d'information.

Merci à tous !

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