II. LEUR TROUVER UN TOIT
Deux types de solutions peuvent être mobilisés afin de trouver un toit pour les femmes et familles qui sont aujourd'hui sans domicile : une place d'hébergement ou un logement.
L'accueil en hébergement est destiné à répondre aux besoins immédiats des personnes sans domicile ou contraintes de le quitter, notamment en cas de violences intrafamiliales. Reposant sur un principe d'inconditionnalité, sans critère de régularité du séjour, il relève des compétences de l'État, mais aussi des départements s'agissant des femmes enceintes et des mères isolées avec des enfants de moins de 3 ans. L'hébergement est une solution qui a vocation à être temporaire, dans l'attente d'un logement pérenne et adapté.
Dans un logement, l'occupant dispose d'un titre d'occupation lui permettant de se maintenir dans les lieux. Que ce soit dans le parc social ou dans le parc privé, il s'acquitte d'un loyer ou d'une redevance et bénéficie des aides personnelles au logement (APL).
Au sein de chaque département, le SIAO (Service intégré d'accueil et d'orientation), opérateur de service public, met en oeuvre les orientations et décisions de l'État en matière d'hébergement et d'orientation des personnes sans domicile, mais aussi désormais du « service public de la rue au logement » dans le cadre des plans Logement d'abord. Il coordonne tous les acteurs intervenant dans ce champ : État, collectivités territoriales, associations et bailleurs sociaux.
A. ASSURER UNE OFFRE D'HÉBERGEMENT À LA HAUTEUR DES BESOINS DES FEMMES ET DES FAMILLES
Si l'offre d'hébergement a été multipliée par deux depuis dix ans, elle reste encore en deçà des besoins aujourd'hui, sur le plan quantitatif, mais aussi qualitatif. Un effort supplémentaire est nécessaire sur ces deux plans afin d'assurer une mise à l'abri de toutes les femmes et familles.
1. Une mobilisation publique notable pour accroître l'offre d'hébergement et les solutions de mise à l'abri
a) Un doublement du nombre de places d'hébergement financées par l'État depuis dix ans
(1) Une augmentation globale du parc d'hébergement
L'hébergement des personnes sans domicile est une compétence de l'État. Il est fondé sur un principe d'inconditionnalité53(*) : « Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence ». Ainsi, l'État finance l'hébergement d'urgence sans critère de régularité du séjour.
Les hébergements financés par l'État sont les suivants :
Ces hébergements sont financés principalement à travers deux programmes budgétaires :
· le programme 177 « hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » doté de 2,9 milliards d'euros en crédits de paiement pour 2024, dont 2,1 milliards d'euros pour l'hébergement : 758 millions pour les CHRS et 1,3 milliard pour l'hébergement d'urgence hors CHRS (soit une multiplication par 4 depuis 2012) ;
· le programme 303 « immigration et asile », à hauteur de 996 millions d'euros en crédits de paiement pour 2024 (s'agissant de la partie « hébergement »).
Le périmètre de décompte des places d'hébergement diffère selon les institutions. L'enquête ES-DS comptabilise les places d'hébergement généraliste, les places du DNA et les établissements d'accueil mère-enfant (financés par les départements), mais les nuitées hôtelières n'entrent pas dans le champ de l'enquête, qui recense au total 218 000 places d'hébergement ouvertes dans 3 100 centres d'hébergement au 31 janvier 2021. À l'inverse, la Dihal et le Pacte des solidarités annoncé en septembre 2023 comptabilisent les nuitées hôtelières et les places d'hébergement généraliste, pour un total de 203 000 places en 2023 et 2024, tandis que les places du DNA et celles des établissements d'accueil mère-enfant n'entrent pas dans ce décompte.
Sur un même périmètre, les décomptes varient : alors que la Drees recensait 57 500 places dans les centres d'accueil d'hébergement généraliste hors CHRS fin 202054(*), la Dihal en dénombrait 79 100 à la même date55(*). Ces écarts reflètent la difficulté pour l'État d'avoir une vision globale et détaillée du nombre de places d'hébergement qu'il finance.
Au total, on peut estimer à 313 000, en moyenne annuelle, le nombre de places d'hébergement financées par l'État en 2024 :
- 203 000 dans le parc généraliste et à l'hôtel ;
- 110 000 dans le cadre du dispositif national d'accueil (DNA) qui assure un hébergement pendant la période d'instruction de la demande d'asile.
Ces chiffres correspondent à une augmentation notable au cours des dernières années : selon des données communiquées à la délégation par la Dihal56(*), le nombre annuel de places d'hébergement ouvertes dans le parc généraliste est passé de 150 000 en 2017 à 203 000 en 2023.
Évolution du nombre de places d'hébergement du parc généraliste,
nuitées hôtelières inclues
Source : Dihal et documents budgétaires.
Répartition des places d'hébergement
Source : Dihal, suivi mensuel du parc d'hébergement au 30 juin 2024.
En outre, le nombre de places dans le DNA est passé de 50 000 en 2015, au début de la crise migratoire, à 110 000 en 2024.
En Île-de-France, le parc d'hébergement généraliste s'est accru de 40 % entre 2017 et 2023, atteignant, fin 2023, 97 000 places, dont 32 884 places d'hébergement d'urgence57(*). À cela s'ajoutent 23 088 places dédiées à l'hébergement des demandeurs d'asile et des réfugiés (DNA), soit un total de 120 000 personnes hébergées.
(2) Une priorité donnée à la mise à l'abri des femmes victimes de violences
L'État a mené un effort réel dans le financement de places dédiées aux femmes victimes de violences intrafamiliales, dites « places VIF ».
Si la règle est désormais celle de l'éloignement du conjoint violent, en pratique, ce sont encore majoritairement les victimes qui quittent le domicile. Certaines le souhaitent d'ailleurs au vu de la dangerosité de leur conjoint, de leur manque de moyens financiers ou encore du rejet d'un lieu marqué par des violences.
Le parc d'hébergement spécialisé dans l'accueil des femmes victimes de violences est passé de 5 000 places en 2017 à 11 000 places en 2024 selon les chiffres communiqués par la Dihal58(*). En complément du parc dédié et afin de procéder à des mises à l'abri rapides, l'État finance également des nuitées dans le parc généraliste ou à l'hôtel pour les femmes victimes de violences (1,6 million de nuitées en 2021). Au total, la Dihal évalue à 150 millions d'euros en 2023 les moyens dédiés à la politique de mise à l'abri et d'hébergement des femmes victimes de violences.
Lors, de son audition59(*), Jérôme d'Harcourt, Délégué interministériel à l'hébergement et à l'accès au logement, a précisé la répartition de ces places par département, ouvertes en croisant deux indicateurs : d'une part, le taux d'équipement en hébergement d'urgence et, d'autre part, les faits de violences constatés à partir des données de la police et de la gendarmerie.
Ainsi, en Île-de-France, l'État a financé, en 2023, 2 800 places pour des femmes victimes de violences intrafamiliales, contre 1 000 en 2013. Ce parc dédié, qui peut accueillir des femmes seules ou avec des enfants, est entièrement non mixte et comporte 60 % de places en appartements en diffus. En complément, l'État héberge également des femmes victimes de violences au sein du parc généraliste, majoritairement à l'hôtel. Selon le préfet d'Île-de-France60(*), aujourd'hui, tout appel d'une femme victime de violences intrafamiliales est traité.
Les responsables du Samusocial de Paris ont pu confirmer aux rapporteures que le 115 parvenait à héberger rapidement les victimes, a minima sur des places dédiées à l'hôtel via l'opérateur Delta, avant de les orienter rapidement vers une place « VIF » en centre d'hébergement. Un accord a également été conclu avec le 3919 afin que la personne qui appelle soit prise en charge de façon accélérée par le 115 si elle a besoin d'un hébergement.
En outre, des centres sont dédiés à la prise en charge des auteurs de violences afin de faciliter leur éviction du domicile et le maintien de la femme victime et de ses enfants au sein du domicile. D'après un recensement lancé par la Dihal à l'été 2023, il existe environ 500 places d'hébergement pour les auteurs de violences conjugales précaires61(*).
Au sein du dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile, des dispositifs ont également été mis en place pour accueillir les femmes victimes de violences, ainsi que l'a exposé, devant la délégation, Didier Leschi, directeur général de l'Ofii62(*). Ainsi, 7 000 places sont dédiées aux femmes victimes de violences.
En outre, l'Ofii a des partenariats avec des collectivités territoriales et des associations, notamment à Marseille, afin de repérer les personnes victimes de la traite des êtres humains et les sortir des griffes communautaires. Des cahiers des charges spécifiques ont été établis pour les gestionnaires des centres qui accueillent ces personnes.
(3) Des places spécifiques pour les femmes enceintes ou sortant de maternité
Selon des chiffres communiqués par la Dihal, 2 500 places d'hébergement destinées aux femmes enceintes ou sortant de maternité sont aujourd'hui financées par l'État. Si elles existent dans huit régions, elles sont néanmoins situées en grande partie en Île-de-France, au regard des besoins identifiés.
Selon des données de la Direction régionale et interdépartementale de l'hébergement et du logement (Drihl) d'Île-de-France63(*), environ 2 000 places en centres d'hébergement d'urgence sont dédiées aux femmes enceintes ou sortant de maternité dans la région. Au cours de l'année 2023, 1 700 personnes ont été hébergées au sein de ces centres, dont 85 %de mères et nourrissons.
Des référents périnatalité ont également été mis en place au sein des SIAO afin de faciliter la mise à l'abri de ce public et la coordination avec les services sociaux des maternités, les équipes des PMI et les autres partenaires concernés.
Si l'augmentation du nombre de places permet d'apporter davantage de réponses positives à ces demandes, fin décembre 2023, entre vingt et trente femmes demeuraient encore hospitalisées en maternité au seul motif de leur absence de logement, et lorsque les rapporteures se sont rendues à la maternité Delafontaine à Saint-Denis le 6 mai 2024, quinze femmes relevant de cette catégorie y étaient hospitalisées.
Le déploiement de ces dispositifs doit donc se poursuivre. Si l'engagement des maternités ne peut qu'être salué, la responsabilité de la mise à l'abri de ces femmes et enfants n'est pas de leur ressort, mais de celui de l'État.
Par ailleurs, d'autres dispositifs d'hébergement existent pour les personnes ayant besoin de soins médicaux. En particulier :
- les lits halte soins santé, financés par l'Assurance maladie, qui offrent une prise en charge sanitaire et sociale à des personnes sans domicile fixe dont l'état de santé physique ou psychique nécessite des soins ou un temps de convalescence sans justifier d'une hospitalisation ;
- les hébergements soins résidentiels comme celui mis en place par l'ARS d'Île-de-France à Athis-Mons pour recevoir des femmes enceintes ou en suites de couches avec des pathologies, ainsi que les pères et les fratries.
b) Des compétences départementales inégalement investies
En complément de la compétence régalienne en matière d'hébergement, les départements ont, outre leur compétence en matière d'aide sociale à l'enfance s'agissant des mineurs non accompagnés, une compétence propre portant sur l'hébergement des femmes enceintes et des mères isolées avec au moins un enfant de moins de 3 ans, le code de l'action sociale et des familles prévoyant, depuis 2009, que « sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental [...] les femmes enceintes et les mères isolées avec leurs enfants de moins de 3 ans qui ont besoin d'un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu'elles sont sans domicile. »64(*)
Les départements assurent ainsi le financement des établissements d'accueil mère-enfant. Il s'agit souvent de « centres maternels », mais il peut aussi s'agir d'un foyer collectif avec une section dédiée à cet accueil ou encore d'un réseau d'appartements.
La Drees recense65(*), sur l'ensemble du territoire national, 6 200 places au sein de 167 établissements.
Certaines collectivités investissent pleinement leurs compétences en la matière. L'annuaire de l'action sociale recense ainsi 35 établissements de ce type en Île-de-France.
Selon des données communiquées par Bruno Bernard, président de la Métropole de Lyon66(*), cette collectivité aux compétences départementales sur son territoire héberge 1 156 personnes, dont 731 enfants. Près de 500 places d'hébergement en tiny houses ont été créées depuis 2020 afin de remplacer les places d'hôtel, jugées chères et peu qualitatives.
En Loire-Atlantique, le conseil départemental soutient le dispositif Femmes isolées avec un enfant de moins de trois ans à la rue (Fieer), destiné aux femmes isolées enceintes sans domicile ou avec un enfant de moins de 3 ans. Ce dispositif finance plusieurs associations qui offrent un hébergement temporaire aux mères avec de jeunes enfants.
Cependant, l'articulation des compétences entre l'État d'une part et les départements, les villes et métropoles à compétences départementales d'autre part, soulève un certain nombre de difficultés, notamment en matière d'égalité sur l'ensemble du territoire.
Toutes les collectivités n'ont pas la même lecture des compétences départementales ni les mêmes moyens pour les exercer. Certains départements peinent à prendre en charge toutes les mères isolées concernées, en particulier en cas de fratrie. Selon certains interlocuteurs entendus, il semble que des départements limitent leur intervention aux situations relevant de la protection de l'enfance.
La limitation des compétences départementales aux mères isolées peut également conduire des pères à s'effacer pour permettre à leur famille d'accéder à un hébergement. Dans une contribution adressée à la délégation, les Départements de France préconisent de « prendre en compte la présence des pères dans les situations, car la lecture restrictive du texte du code de l'action sociale et des familles met à mal la question de la parentalité pour ces familles vulnérables ».
Par ailleurs, certaines préfectures considèrent que la prise en charge des familles avec un enfant de moins de 3 ans relève de la compétence du conseil départemental, alors même que le code de l'action sociale et des familles ne fait référence qu'aux mères isolées. Ainsi, le cadre unifié d'intervention des SIAO franciliens, communiqué aux rapporteures par le préfet d'Île-de-France, indique que « les personnes ou couples avec enfants de moins de 3 ans et les femmes enceintes de plus de 6 mois relèvent de la compétence du conseil départemental. Le SIAO/115 prend en charge ces publics dans le cas où le conseil départemental n'a pas été en mesure de le faire ».
Enfin, la fin de la prise en charge par les départements aux trois ans de l'enfant pose un enjeu de continuité de la prise en charge, l'État n'étant pas toujours en mesure de prendre le relais. En janvier 2024, la Métropole de Lyon a ainsi formé un recours en carence contre l'État, devant le tribunal administratif afin d'exiger de l'État le financement de la prise en charge des publics hébergés par la Métropole qui n'entrent pas dans ses compétences (mère avec enfant de plus de 3 ans, couple avec un jeune enfant malade...).
Le président de la Métropole de Lyon a également témoigné, lors de son audition, de difficultés liées à la prise en charge des nourrissons : « par le passé, la Métropole prenait en charge les nourrissons de moins de 30 jours même lorsque la mère n'était pas isolée. Cependant, ensuite, l'État ne prenait pas le relais et la Métropole a dû remettre à la rue des familles, suscitant un émoi. La Métropole a donc décidé de ne plus assurer cette prise en charge qui est de la compétence de l'État, mais qui n'est pas aujourd'hui assurée à Lyon, faute de places suffisantes. »
Les Départements de France se sont exprimés en faveur d'un accroissement de l'offre de l'hébergement proposé par l'État à hauteur des besoins, avec « un accueil inconditionnel des familles avec enfant(s) à charge, quel que soit l'âge de l'enfant, à partir de critères communs et partagés entre tous les acteurs institutionnels et associatifs ».
La Collectivité européenne d'Alsace (CAE), qui relève que, sur son territoire, les demandes de mises à l'abri de femmes isolées enceintes ou avec des enfants de moins de 3 ans, ont été multipliées par deux entre 2023 et 2024, appelle à une redéfinition des compétences entre l'État et les départements, apportant la réponse suivante : « Il semble inique de poser une ligne de partage État/Département sur la notion de l'âge de l'enfant à charge. Ce sont les difficultés tenant à la prise en charge éducative qui mériteraient d'être prises en compte indépendamment du critère d'âge »67(*).
Alors qu'en août 2024 au moins 467 enfants de moins de 3 ans passaient la nuit à la rue, sans mise à l'abri ni par l'État, ni par les départements et ne pouvant que constater le manque de moyens de ces derniers, les rapporteures affirment avec force la pleine responsabilité de l'État en matière de mise à l'abri. La sécurité et la santé de ces enfants méritent mieux que des querelles de compétences. Si les départements ne sont pas en mesure de les héberger, l'État doit prendre ses responsabilités, quel que soit l'âge de l'enfant.
Les rapporteures estiment donc nécessaire de clarifier les compétences respectives de l'État et des départements au sein du code de l'action sociale et des familles. Si un accompagnement au titre de l'aide sociale à l'enfance (ASE) est pertinent pour soutenir les familles sans domicile vulnérables, quel que soit d'ailleurs l'âge de l'enfant, elles considèrent en revanche que l'hébergement des personnes sans abri est une compétence régalienne et doit être garanti par l'État, a fortiori s'agissant de femmes enceintes et de mères isolées avec un enfant de moins de trois ans.
Recommandation n° 2 : Attribuer à l'État la responsabilité de l'hébergement des femmes enceintes et des mères isolées avec un enfant de moins de trois ans. |
c) Une nette implication de certaines communes
Certaines communes se mobilisent dans la prise en charge des personnes sans abri, au titre de leurs pouvoirs de police de l'habitat en matière de relogement, du droit local en Alsace-Moselle, ainsi que de leur clause de compétence générale. Ainsi certaines communes mettent à disposition des locaux, notamment sous forme de « haltes de nuit », tandis que l'État est censé assurer le financement de la prise en charge des personnes qui y sont accueillies.
La ville de Paris a mis en place depuis 2018 des haltes de nuit ainsi que des accueils de jour destinés aux publics les plus marginalisés.
De même, la commune de Saint-Denis a créé une halte de nuit, avec une partie dédiée aux femmes, que les rapporteures ont pu visiter, et les travailleurs sociaux du service social municipal accompagnent 300 femmes en errance, ainsi que 150 femmes victimes de violences conjugales, selon des données communiquées par le service social de Saint-Denis68(*). Cependant, le maire de Saint-Denis a alerté les rapporteures sur l'impact financier pour les communes de la prise en charge de ces problématiques qui relèvent en principe de l'État.
À cet égard, plusieurs grandes villes dénoncent les manquements de l'État à ses responsabilités en matière d'hébergement. Ainsi, les villes de Rennes, Strasbourg, Lyon, Bordeaux et Grenoble ont formé, en février 2024, des recours indemnitaires contentieux auprès des tribunaux administratifs afin d'exiger de l'État le remboursement des moyens financiers qu'elles ont engagés pour héberger des personnes sans abri.
À l'inverse, d'autres communes ne souhaitent pas prendre en charge les populations sans abri présentes sur leur territoire, estimant qu'il s'agit d'une compétence régalienne, voire les orientent vers d'autres communes. Selon des témoignages recueillis par les rapporteures, notamment lors de leur déplacement en Seine-Saint-Denis, certains centres communaux ou intercommunaux d'action sociale ne respectent pas leur obligation légale de domiciliation des personnes sans domicile qui peuvent se réclamer d'une attache dans la ville. Cette domiciliation administrative, aussi possible auprès de certaines associations, est pourtant essentielle pour permettre à ces personnes de recevoir du courrier et d'accéder à certains droits et prestations.
2. Un parc d'hébergement embolisé, insuffisant pour assurer la mise à l'abri de toutes les femmes et familles tout au long de l'année
Le système de l'hébergement d'urgence est aujourd'hui saturé en raison de l'augmentation du nombre de personnes sans domicile précédemment évoquée, qui s'est accompagnée, en aval, d'une diminution du nombre de personnes accédant à un logement et sortant donc de l'hébergement. Ainsi, en dépit d'une nette augmentation du nombre de places d'hébergement, le système reste embolisé et plus de la moitié des femmes et des familles ne sont pas mises à l'abri en dépit de leur appel au 115. Les travailleurs sociaux témoignent de situations inédites : alors qu'historiquement il y avait peu de femmes dans les rues, désormais il manque des places, y compris pour des femmes avec des enfants.
a) Des besoins non pourvus et des critères d'accès à l'hébergement excessivement restrictifs
(1) Un parc d'hébergement saturé, faute de solutions en aval
Le taux d'occupation du parc d'hébergement est supérieur à 90 % et atteint 98 % au sein du dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile (DNA) en juin 2024.
En Île-de-France, selon la Drihl, en 2022, le taux d'occupation des CHRS était de 96 % et celui des CHU de 90 %. Au 31 décembre 2022, 55 % des personnes hébergées en CHRS et 47 % de celles hébergées en CHU étaient hébergées depuis plus de dix-huit mois et respectivement 22 et 13 % des personnes hébergées dans ces structures l'étaient depuis plus de 48 mois. La durée moyenne d'hébergement à l'hôtel est quant à elle de presque trois ans selon le Samusocial de Paris.
En effet, de nombreuses personnes en situation irrégulière restent des années dans des structures d'hébergement faute de pouvoir accéder à un logement, en particulier dans le parc social, soumis à des conditions de régularité du séjour, à la différence de l'hébergement, fondé sur un principe d'accueil inconditionnel. Lors de son audition, Didier Leschi, directeur général de l'Ofii69(*), estimait que 60 % des personnes hébergées dans le parc généraliste sont en situation irrégulière. À l'heure actuelle, aucune perspective de sortie des dispositifs d'hébergement n'existe pour ces personnes, qui se retrouvent donc à occuper des places de façon prolongée et en limitent l'accès à de nouvelles personnes.
Certaines personnes en situation régulière demeurent également dans les structures d'hébergement faute de possibilité d'accéder à un logement abordable, que ce soit dans le parc privé ou dans le parc social. Ainsi que le déclarait Bénédicte Souben, chargée de mission « veille sociale » à la Croix-Rouge française devant la délégation70(*), « on ne peut pas affirmer avec certitude aujourd'hui combien de places d'hébergement seraient nécessaires si toutes les personnes hébergées et légalement éligibles à l'accès au logement pouvaient y accéder sans délai ».
Enfin, certaines personnes sont hébergées dans des structures qui ne correspondent pas à leur situation, limitant donc les possibilités d'accès à ces structures pour les personnes qui y sont éligibles. Dans le parc généraliste, début 2021, 7 % des personnes hébergées étaient des demandeurs d'asile71(*), qui devraient relever du DNA. De même, selon Didier Leschi, 12 % du parc du DNA est occupé par des personnes qui ont déjà le statut de réfugié, qui devraient donc relever d'autres dispositifs.
(2) Une « gestion au thermomètre » pas entièrement abandonnée
L'État affiche sa satisfaction d'avoir procédé à « la fin de la gestion au thermomètre, avancée majeure, qui apporte sécurité pour la prise en charge des personnes et visibilité pour les acteurs institutionnels et associatifs »72(*). Désormais les capacités d'hébergement sont notifiées pour l'ensemble de l'année.
Si l'on ne peut que se féliciter de la reconnaissance de ce principe, le ressenti des acteurs associatifs de terrain se révèle différent et beaucoup déplorent la poursuite d'une telle « gestion au thermomètre », qui conduit à ouvrir des places pendant les périodes de grand froid pour les refermer dès que la température remonte, alors même que les besoins subsistent.
Ainsi, Nathalie Latour de la FAS a dénoncé lors de son audition73(*) un problème de stop-and-go : « Nous refaisons à chaque fois le même scénario : une annonce de diminution de places par le Gouvernement puis un retour en arrière du fait des besoins importants, enfants à la rue notamment, et de la mobilisation des associations. En 2021, le Gouvernement a annoncé l'arrêt de la gestion au thermomètre en suivant une programmation pluriannuelle, force est de constater que nous y sommes revenus... Aujourd'hui, la gestion au thermomètre s'applique même pendant le plan Grand Froid : lorsqu'il fait - 2°C ou - 3°C, vous avez l'ouverture d'un gymnase, quand les températures remontent un peu, vous n'y avez plus accès. »
(3) Un taux élevé de demandes d'hébergement non pourvues
Selon des données communiquées par la Dihal74(*), le taux de demande non pourvue (DNP) a fortement augmenté au cours des dernières années, passant de 26 % en 2021 à 64 % depuis le début de l'année 2024. Cette augmentation de la proportion de demandes non pourvues a été particulièrement marquée pour les femmes, avec une augmentation de 168 % entre 2021 et 2024, contre 98 % pour les hommes.
Lors de l'hiver novembre 2023 à mars 2024, en moyenne chaque jour 5 833 personnes ayant formulé une demande d'hébergement d'urgence auprès du 115 n'obtenaient pas de place, soit un taux de demande non pourvue, en proportion du nombre de demandeurs au 115, de 61 %. Ce taux reste certes légèrement plus faible pour les femmes, mais représente désormais plus de la moitié des demandes formulées par des femmes : 54 % pour les femmes seules et 53 % pour les femmes avec enfant.
Le nombre de demandes non pourvues est très variable en fonction du département de demande et atteint en moyenne chaque jour 914 demandes à Paris (soit un taux de DNP de 77 %), 518 en Seine-Saint-Denis (81 %), et 453 dans le Nord (94 %)75(*).
Demandes d'hébergement non pourvues (DNP)
après un appel au 115, par département,
dans la nuit du 19 août 2024
Source : cartes réalisées par la délégation aux droits des femmes à partir de données fournies par la Dihal
En juin 2024, lorsque les rapporteures se sont rendues au centre d'appel du 115 de Paris, le taux de DNP atteignait 80 % pour les femmes et 85 % pour les familles, et tous les jours entre 300 et 350 mineurs étaient laissés à la rue. Il est particulièrement complexe de trouver des places pour des compositions familiales de quatre personnes ou plus. Selon les écoutants sociaux, une dizaine de places pour des femmes sont libérées tous les matins, mais elles sont pourvues très rapidement, dès 7h du matin. Seules quatre places pour des femmes sont distribuées la nuit : deux pour des maraudes et deux pour des appels du 115.
De même, lorsque les rapporteures ont rencontré les membres d'Interlogement 93, opérateur du SIAO-115 en Seine-Saint-Denis, le 6 mai 2024, le taux de réponse aux demandes de mises à l'abri était de 5 %. Selon les travailleurs sociaux de l'Amicale du Nid 93, le délai d'attente pour accéder à un hébergement dans ce département, qui était de deux à trois mois il y a deux ans, atteint désormais six mois à un an.
Dans les Bouches-du-Rhône, selon des données communiquées par la préfecture76(*), le taux de demande non pourvue après un appel au 115 est de 63 % et le matin, lorsque les écoutants entament leur journée, seules cinq places d'hébergement sont disponibles pour être attribuées aux personnes qui appellent.
Par ailleurs, l'Observatoire des expulsions des lieux de vie informels estime que sur les 1 111 expulsions recensées en 2023, 85 % d'entre elles n'ont donné lieu à aucune solution d'hébergement ou de logement, en dépit de l'instruction relative à la résorption des campements illicites et des bidonvilles adressée aux préfets en 201877(*). En moyenne, 130 personnes vivaient sur les lieux de vie expulsés, avec une durée d'installation variant de un à cinq ans.
Enfin se pose la question des mineurs non accompagnés en attente de la décision d'un juge pour enfant quant à leur minorité. Selon Didier Leschi, environ 10 000 personnes par an arrivent en France en se présentant comme mineures. Parmi celles-ci, environ 3 000 sont reconnues mineures par l'Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) et donc prises en charge par l'Aide sociale à l'enfance (ASE). Les autres déposent le plus souvent un recours devant le juge pour enfant. Dans l'attente de la décision du juge, ces jeunes ne sont pas pris en charge par l'ASE, mais ne peuvent pas non plus être hébergés dans le parc d'hébergement via le 115 ni dans le DNA, ces dispositifs étant réservés aux majeurs ou aux familles, alors que ces jeunes ne peuvent être considérés comme majeurs. Ces jeunes sont donc sans solution de mise à l'abri parfois pendant plusieurs mois. Or, nombre d'entre eux sont par la suite reconnus mineurs par le juge pour enfants.
La création de solutions temporaires de mise à l'abri à proposer à ces jeunes, pendant la période d'attente de la décision du juge pour enfants quant à leur minorité, semble indispensable, alors même que les adultes bénéficient, quant à eux, du principe d'hébergement inconditionnel - dont on connaît les limites faute d'un nombre suffisant de places d'hébergement.
(4) Les critères de vulnérabilité : une priorisation devenue une condition d'accès
Le code de l'action sociale et des familles et la jurisprudence du Conseil d'État prévoient une prise en compte de la vulnérabilité sociale, médicale et psychologique pour la prise en charge des personnes faisant appel au 115. Il fait ainsi partie du rôle des écoutants du 115 d'analyser cette vulnérabilité, en tenant compte de l'âge de l'enfant, de l'isolement, de l'état de santé et de la détresse exprimée.
Cependant, la pénurie d'hébergements d'urgence a conduit à la création de critères de vulnérabilité, voire de « sur-vulnérabilité », de plus en plus restrictifs, en particulier en Île-de-France.
Selon certains interlocuteurs rencontrés par les rapporteures, il semble que la fixation, depuis juillet 2023, de cibles de nombre de places à ne pas dépasser, assignées à chaque préfecture de région avant une répartition interdépartementale, ait également joué un rôle dans la mise en place de tels critères. Ainsi, la préfecture des Bouches-du-Rhône a reçu un objectif de 6 528 places d'hébergement à ne pas dépasser, qui a conduit à la fermeture de places et empêché de répondre à toutes les demandes de mises à l'abri. De même, des représentants d'Interlogement 93 ont indiqué aux rapporteures avoir reçu pour consigne de réduire de 2 000 le nombre de nuitées hôtelières en Seine-Saint-Denis entre 2023 et 2024, soit les deux tiers de l'objectif francilien de réduction de ces nuitées.
Marc Guillaume, préfet d'Île-de-France a défendu devant la délégation les objectifs de la grille de priorisation qui vise à garantir une prise en charge prioritaire des publics les plus vulnérables, afin que leur mise en sécurité immédiate intervienne avant les autres.
Selon la préfecture d'Île-de-France78(*), « dans un contexte où le nombre de places disponibles est largement inférieur aux demandes d'hébergement d'urgence adressées au 115, il est nécessaire de procéder à une priorisation des demandes. Ces critères ne visent pas à exclure un certain type de public de la prise en charge, mais à positionner et traiter en priorité les situations jugées les plus vulnérables ». Il s'agit de « repères régionaux, constituant une aide à la décision pour les écoutants du 115 ».
Ces critères de vulnérabilité ont évolué au fur et à mesure de l'évolution des capacités d'accueil des personnes au sein du parc d'hébergement et sont aujourd'hui les suivants en Île-de-France :
Critères de priorisation pour le traitement des demandes d'hébergement d'urgence adressées au SIAO/115 en Île-de-France
* Les mères isolées avec un enfant de moins de 3 ans et les femmes enceintes de plus de 6 mois relèvent de la compétence du conseil départemental. Le SIAO/115 prend en charge ces publics dans le cas où le conseil départemental n'a pas été en mesure de le faire.
Source : Préfet de la région Île-de-France et Direction régionale et interdépartementale de l'hébergement et du logement, cadre unifié d'intervention des SIAO et de suivi de leur activité en Île-de France, décembre 2023.
Cependant ce qui ne devait être qu'une priorité dans la prise en charge est aujourd'hui devenu une condition d'accès à part entière et même les personnes répondant aux critères de vulnérabilité n'obtiennent pas toujours une mise à l'abri.
Selon Clélia Gasquet-Blanchard, directrice du réseau de périnatalité Solipam, qui a vu sa file active de femmes enceintes et jeunes mères passer de 172 à 727 entre 2019 et 2023, les critères de priorisation font qu'avant sept mois de grossesse il n'est pas possible de proposer de solution aux femmes et après les trois mois du nourrisson, des familles sont remises à la rue. Certaines femmes suivies par le réseau ont connu jusqu'à quarante situations d'hébergement au cours de leur grossesse.
Ces critères conduisent également à séparer des familles, au mépris du principe de maintien de l'unité familiale.
Les travailleurs sociaux de La Mie de pain rencontrés par les rapporteures79(*), sollicités en 2023 pour prendre en charge des familles sans papiers expulsées d'un squat, ont relaté leur désarroi face aux séparations qui ont alors été imposées aux familles : « seules les mères et jeunes enfants répondant aux critères de vulnérabilité ont pu être hébergés en Île-de-France et les pères n'ont pu être admis dans les mêmes structures que le reste de la famille. Des solutions ont pu être proposées en province, mais en ne tenant pas compte du fait que les hommes avaient parfois un travail en Île-de-France. ».
Lors de leurs échanges avec les équipes de structures d'hébergement d'urgence comme avec celles du 115, les rapporteures ont été marquées par l'attachement des travailleurs et écoutants sociaux au principe de l'inconditionnalité de l'accueil. Or ces travailleurs sont trop souvent confrontés à une négation de ce principe, faute de places disponibles.
Les équipes d'Interlogement 93, opérateur du 115 en Seine-Saint-Denis, ont ainsi dénoncé auprès des rapporteures la mise en place de critères de vulnérabilité dont ils estiment qu'ils les éloignent de leur mission d'accueil inconditionnel. En outre, si la priorité accordée aux femmes victimes de violences répond à la nécessité impérieuse de mettre à l'abri des femmes en danger immédiat, cette priorité a conduit à délaisser d'autres publics, y compris des femmes et des bébés.
Les écoutants sociaux du Samusocial de Paris rencontrés par les rapporteures ont témoigné de davantage d'ambivalence face aux critères de priorisation qui leur sont imposés, déclarant ainsi : « Le 115 fait de la priorisation car les moyens qu'on lui donne sont limités et il faut a minima que nous remplissions notre mission de base de mettre à l'abri les plus vulnérables » ou encore « Le critère des sept mois de grossesse pour accorder une priorité est indéfendable, le problème c'est qu'il faut bien mettre à l'abri la personne la plus vulnérable. »
Lors de son audition, Vanessa Benoit, directrice générale du Samusocial de Paris, estimait que les priorisations peuvent se comprendre « dans le sens où cela permet à certaines personnes d'être servies avant d'autres : il est normal qu'une femme enceinte soit servie en priorité ». Cependant, « aujourd'hui, les critères ne relèvent plus de la priorisation, mais du service tout court », du droit d'accès à un hébergement, censé être inconditionnel.
Elle ajoutait : « Les critères deviennent de plus en plus restreints. Si tout le monde comprend qu'une femme enceinte soit prioritaire, il est compliqué de comprendre pourquoi elle ne le serait qu'à partir de sept mois de grossesse. Je pense également qu'on pourrait considérer qu'un enfant est prioritaire, peu importe son âge. »
De fait, la délégation entend faire sienne cette formule de Sophie Rigard, chargée de projet action et plaidoyer « Accès digne aux revenus » au Secours catholique : « être un enfant est une preuve de vulnérabilité qui n'a pas à être démontrée ».
Plusieurs recours ont été formés par des associations ainsi que par des personnes sans domicile à l'encontre de ces critères de vulnérabilité.
En février 2024, le tribunal administratif de Toulouse a annulé une vingtaine de décisions individuelles par lesquelles le préfet de la Haute-Garonne avait prononcé la fin de mise à l'abri au titre de l'hébergement d'urgence de personnes seules ou de familles. Il a rappelé l'inconditionnalité dans l'accès et le maintien dans l'hébergement et estimé qu'il n'avait pas à prendre en compte l'irrégularité du séjour des intéressés, ni la circonstance que le dispositif d'hébergement d'urgence soit saturé en Haute-Garonne. Il a alors pu enjoindre, dans certains cas, au préfet de reloger les personnes devant bénéficier du droit à l'hébergement d'urgence.
Alors que seule la nécessaire gestion de la pénurie de places d'hébergement justifie la mise en place de critères de priorisation, la sortie de cette impasse doit passer par la création de places supplémentaires, comme précédemment évoqué.
(5) Un accès parfois difficile aux places dédiées aux victimes de violences intrafamiliales (VIF)
Si la mise à l'abri des femmes victimes de violences intrafamiliales (VIF) semble désormais fonctionner de façon assez efficace, l'accès aux places dédiées VIF n'est pas toujours aisé.
En effet, cet accès est souvent conditionné à certains critères, tel le dépôt d'une plainte. Or les femmes ne sont pas toujours prêtes à porter plainte au moment où une mise à l'abri est nécessaire.
Bénédicte Souben, chargée de mission « veille sociale » à la Croix-Rouge française a ainsi cité l'exemple de « certaines places à destination des femmes victimes de violence, pour lesquelles une multiplicité de critères, parfois cumulatifs, est établie en fonction de l'auteur des violences, des démarches déjà engagées, du délai écoulé depuis les violences. [...] On se retrouve donc avec une place vide. »
b) La nécessité d'une prise en charge inconditionnelle, rapide et continue
(1) Garantir un nombre de places d'hébergement à la hauteur des besoins
L'augmentation du nombre de places disponibles est un préalable indispensable pour que l'État respecte le principe de mise à l'abri inconditionnelle. Pour cela, deux solutions sont possibles : soit libérer des places, en permettant aux personnes hébergées d'accéder à un logement, soit créer de nouvelles places.
Les associations évoquent 10 à 20 000 places d'hébergement d'urgence supplémentaires nécessaires.
Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, les sénateurs avaient adopté un amendement augmentant de 48 millions d'euros le financement de l'hébergement d'urgence, afin de financer 6 000 places supplémentaires. Cet amendement n'avait cependant pas été repris dans le texte final.
En janvier 2024, Patrice Vegriete, ministre délégué au logement, avait annoncé un financement supplémentaire de 120 millions d'euros pour l'hébergement d'urgence, qui devaient notamment correspondre à la création de 10 000 places supplémentaires. Cependant, aucun élément ne permet à l'heure actuelle de confirmer la création de ces places.
Des places supplémentaires sont également nécessaires dans les établissements mères-enfants. Le Secours catholique évalue à 15 000 le nombre de places supplémentaires nécessaires sur ce type d'établissement.
Enfin, les femmes avec des troubles psychiatriques doivent être orientées vers le bon type de structures : elles ne relèvent souvent pas de CHRS, mais de centres médico-sociaux ou de programmes dédiés, tel le programme Un chez soi d'abord.
Au-delà de la création de places pérennes, d'autres solutions doivent être davantage explorées.
En particulier, l'habitat intercalaire permet de disposer de places d'hébergement pendant quelques années. Certes, il s'agit de solutions temporaires, mais pour reprendre les mots d'un membre de l'association Just de Marseille « c'est déjà ça d'avoir des hébergements pendant trois ans et quand il faut libérer les lieux, d'autres sites sont alors disponibles. »80(*) En outre, l'objectif est bien que l'hébergement d'urgence soit une solution d'urgence et que les personnes qui y sont accueillies puissent accéder, dès que possible, à un logement abordable.
À Marseille, les Régisseurs sociaux montent des projets innovants permettant de faire de l'hébergement intercalaire pendant trois à cinq ans.
Ainsi, un consortium de neuf associations a investi, grâce à une convention signée avec la ville de Marseille, une ancienne auberge de jeunesse délaissée à la suite de la période covid, transformée en lieu d'hébergement pour 70 personnes : l'Auberge marseillaise. 32 femmes et 32 enfants y sont actuellement accueillis. Devant le succès de l'expérience, la convention entre la ville et les associations a pu être prolongée jusqu'en décembre 2025.
L'Auberge marseillaise
L'Auberge marseillaise occupe les locaux de l'ancienne Auberge de Jeunesse Bonneveine, dans les quartiers sud de Marseille.
Le projet a été lancé en mars 2021, dans le cadre d'une coopération entre des associations impliquées localement dans la lutte contre la précarité, avec le soutien de la Ville de Marseille et de l'État. Neuf associations portent aujourd'hui ce projet : Just, Nouvelle Aube, Yes We Camp, Marseille Solutions, SOS Femmes 13, H.A.S, l'Amicale du Nid, la Ligue de l'enseignement et le Paysan Urbain.
Cette expérimentation vise à construire un lieu de vie participatif pour des femmes et enfants en situation de grande précarité, en alternative aux hôtels sociaux et aux centres d'hébergement d'urgence.
Le site propose 70 places d'hébergement pour des femmes avec ou sans enfants. L'accueil y est inconditionnel et sa durée s'adapte aux besoins et aux temporalités de rétablissement des personnes. Entre 2021 et 2023, 170 personnes ont été accueillies.
Ces personnes ont été orientées par différentes associations ou par le 115, et pour un quart d'entre elles par l'Amicale du Nid.
Une équipe pluridisciplinaire assure l'accès aux besoins primaires (sécurité, eau, hygiène, hébergement, alimentation) et l'initiation de parcours d'accès aux droits, à la santé (ouverture des droits, bilan santé, orientation et accompagnement aux soins, accompagnement psychologique des personnes ayant vécu des violences...), à l'insertion et au logement.
Tous les enfants sont scolarisés et bénéficient d'un soutien à la scolarité (inscriptions, assurance scolaire, achat de fournitures, médiation-accompagnement, aide aux devoirs...). Un centre de loisirs est ouvert tous les mercredis et tous les jours durant les vacances scolaires.
L'Auberge marseillaise est dotée d'une cuisine professionnelle de 70m2. Deux co-cheffes et deux commis assurent l'accès à l'alimentation des résidentes en garantissant trois repas par jour et la mise à disposition de l'espace aux résidentes qui peuvent cuisiner en autonomie ou accompagnées. Un projet « Traiteur solidaire » permet aux femmes intéressées par les métiers de la cuisine d'entamer une démarche d'insertion par la cuisine et de livrer des prestations extérieures, qui leur assurent un revenu complémentaire.
Un jardin thérapeutique permet également de mener des actions de médiation.
De même, la SNCF, via sa filière ICF Habitat, met à disposition des hébergements dans des bâtiments qui ont vocation à être restructurés. Ainsi, à Lyon, l'ancien centre de formation de SNCF Réseau a été mis à la disposition de deux associations pour la création d'un centre d'hébergement d'urgence d'environ 160 places pendant le temps des études de projets. En Île-de-France, depuis 2009, 1 140 chambres ou logements sont mis à la disposition de six associations par ICF Habitat La Sablière.
Au-delà de tels projets de création de places d'hébergement, qu'elles soient transitoires ou pérennes, la délégation estime que la réflexion autour du nombre de places doit intégrer la question des sorties du parc d'hébergement d'urgence, autre levier de résorption de l'embolie actuelle. En effet, si la création de places supplémentaires semble nécessaire à court terme, le maintien à un plus haut niveau historique du parc d'hébergement est aussi le symptôme de l'incapacité de l'État à trouver des solutions de sortie pour les personnes actuellement hébergées.
(2) Assurer une prise en charge rapide, avant toute dégradation de la situation
Tous les acteurs associatifs rencontrés par les rapporteures ont insisté sur la nécessité de prendre en charge les personnes dès qu'elles arrivent à la rue, pour ne pas laisser la situation se dégrader. En effet, chaque jour passé à la rue aggrave la situation et expose les femmes aux violences et aux risques d'exploitation et de prostitution. En outre, pour reprendre les mots de Bénédicte Maraval, assistante sociale référente au de la Comede, « l'hébergement fait partie du soin et participe à la bonne santé des adultes comme des enfants ».
Face à l'impossibilité actuelle de proposer une solution à chaque personne, de nombreux acteurs associatifs entendus par la délégation invitent à gérer d'abord « le flux » et à accepter qu'il y ait « un stock » qu'il faudra gérer ensuite.
Aujourd'hui, la priorité est davantage donnée aux personnes qui sont à la rue depuis longtemps alors que les personnes nouvellement à la rue sont laissées sans solution.
Or, une personne qui appelle le 115 et à laquelle il n'est pas proposé de solution risque de développer une défiance vis-à-vis des services sociaux et de ne pas renouveler son appel. Les travailleurs sociaux de Médecins du monde en Seine-Saint-Denis ont ainsi témoigné auprès des rapporteures de la difficulté à créer du lien avec une femme accueillie et à développer un accompagnement social lorsqu'aucune solution ne peut être proposée ensuite, en premier lieu un hébergement.
Dans les Bouches-du-Rhône, la préfecture a indiqué privilégier, pour la mise à l'abri de femmes victimes de violences, la notion de « phase critique » plutôt que la définition de critères de vulnérabilité trop rigides : l'objectif est d'intervenir au bon moment, afin de protéger les femmes en danger, avant que leur situation ne se dégrade.
Par ailleurs, des associations de terrain rencontrées par les rapporteures, notamment à Marseille, ont déploré l'absence de solution « coupe file » auprès du 115 : elles appellent le même numéro que les personnes sans abri et ne peuvent donc appuyer certaines demandes en signalant leur particulière vulnérabilité.
Certains Samu sociaux ont néanmoins des contacts plus directs avec les associations qui effectuent des maraudes et accompagnent les personnes sans abri, et peuvent donc relayer des situations de vulnérabilité qu'elles ont identifiées.
Le Samusocial de Paris dispose notamment d'une ligne partenaire dédiée aux associations avec lesquelles il collabore et reçoit des signalements directs de la part de maraudes mais aussi des mairies d'arrondissement. Ainsi, en 2023, 2 000 signalements ont été remontés au Samusocial de Paris via des partenaires et, au-delà de mises à l'abri, 107 personnes ont pu être orientées vers des hébergements pérennes. Enfin, 95 % des 45 000 places régulées par le Samusocial de Paris sont attribuées via le pôle habitat du SIAO, qui travaille sur la base d'évaluation de personnes à la rue par des travailleurs sociaux de différentes structures parisiennes, les personnes accompagnées par ces travailleurs n'appelant pas forcément le 115.
La délégation encourage les contacts directs entre les gestionnaires du 115 et les associations de terrain reconnues et appelle à systématiser l'existence d'un numéro « coupe file » au 115 pour ces associations.
Enfin, la délégation soutient le plan de modernisation du 115, actuellement mené par la Dihal, qui doit notamment permettre d'étendre la durée de validité de la demande d'hébergement d'urgence, afin que les appelants n'aient pas à appeler chaque jour pour voir leur situation prise en compte.
(3) Maintenir une continuité dans la prise en charge
Au-delà de la question de l'accès à l'hébergement, se pose la question de la continuité de celui-ci. En effet, toutes les places d'hébergement ne sont pas comparables.
À Paris, les places d'hébergement d'urgence proposées par le 115 sont octroyées pour une semaine, avec des possibilités de renouvellement jusqu'à un mois. Pour les écoutants sociaux rencontrés par les rapporteures, cela représente néanmoins un progrès : auparavant, le délai minimal n'était que de trois jours. Cependant, certaines places de mises à l'abri ne sont octroyées que pour une nuit et, en raison de la saturation, ces places à la nuit ne sont accordées qu'une fois par semaine.
En outre, les places pérennes, assurant une certaine continuité de prise en charge, doivent être distinguées des places non pérennes, notamment dans des haltes de nuit ou des gymnases, qui ne sont souvent ouvertes que pendant les périodes de grand froid ou de forte chaleur.
Si certaines structures s'engagent à ne pas remettre à la rue les personnes tant qu'aucune solution pérenne ne leur est proposée, la plupart sont contraintes de remettre des personnes à la rue faute de place ou pour permettre à d'autres personnes d'accéder à un hébergement.
Nathalie Latour de la FAS a dénoncé cette absence de continuité lors de son audition81(*) : « en raison d'un manque criant de places, on laisse des personnes à la rue profiter d'un accès à un hébergement pendant trois ou quatre jours, après lesquels ces personnes sont considérées comme moins vulnérables qu'une autre famille. C'est le jeu des chaises musicales. »
Lors de son audition82(*), Bénédicte Maraval, assistante sociale référente au Comede a évoqué la situation d'une jeune mère, seule avec son bébé, qui a, au cours de l'année 2024, enchaîné des prises en charge de quelques nuits dans différents hôtels sociaux, dans plusieurs départements d'Île-de-France. Cette jeune femme a ainsi dû parcourir des dizaines de kilomètres en RER et à pied avec son bébé, pour se rendre d'un hôtel à l'autre. Le nombre de nuits de prise en charge était généralement limité à sept jours, avec parfois des prolongations, à chaque fois pour une période maximale d'une semaine, n'apportant à cette femme aucune stabilité et aucune prévisibilité quant à sa situation. La carte suivante retrace ses différents lieux d'hébergement, tandis que le graphique recense le nombre de nuitées successives par hôtel, mais aussi les vingt-six nuits que cette femme et son bébé ont passé dans la rue, faute de solution d'hébergement.
Dispersion territoriale et temporelle des hébergements
proposés à une jeune mère et son bébé, au cours de l'année 2024
Source : Comede
Dès lors, la délégation préconise une prise en charge minimale d'un mois pour les femmes et les familles, afin de leur permettre de se poser, de prendre un temps de repos et d'entamer des démarches administratives. En effet, lorsqu'il faut rechercher chaque jour ou chaque semaine une place d'hébergement, sans aucune visibilité, les personnes ne parviennent pas à se projeter et à accomplir les démarches administratives nécessaires à une régularisation ou à un parcours vers le logement.
Cependant, une fois encore, en l'absence d'un nombre suffisant de places, l'application de ce principe de continuité dans la prise en charge suppose de faire des choix et de laisser à la rue plus longtemps les personnes pour lesquelles aucune solution d'hébergement n'est disponible.
Recommandation n° 3 : Dans l'attente d'une offre de logements abordables suffisante et afin d'assurer une mise à l'abri immédiate et une prise en charge minimale d'un mois pour les femmes et les familles, créer 10 000 places d'hébergement supplémentaires, en mobilisant notamment l'habitat intercalaire. |
3. Des hébergements à adapter aux femmes et aux familles
Au-delà de la question du nombre de places d'hébergement, se pose la question du type d'hébergement proposé. En effet, les hébergements ne sont pas toujours adaptés au public spécifique que constituent les femmes et les familles. La délégation plaide pour une transformation qualitative de l'offre d'hébergement, afin de mieux l'adapter à ce public.
a) Privilégier des structures d'accueil non mixtes pour les femmes isolées
Selon des données communiquées par la Dihal83(*), parmi les structures en regroupé, qui représentent la moitié du parc - le reste étant en diffus -, 17 % des places des CHRS, soit environ 4 300 places, et 12 % des places en CHU, soit environ 4 900 places, sont non mixtes.
Or, 40 % des femmes interrogées dans le cadre du rapport d'audit du projet Un Abri Pour Toutes, hébergées dans des centres d'hébergement d'urgence mixtes, indiquent qu'elles souhaiteraient être hébergées dans un centre non mixte.
Lors d'une visite des rapporteures dans un foyer d'accueil de l'association La Mie de pain, les travailleurs sociaux ont souligné la nécessité de proposer des foyers non mixtes aux femmes isolées sans abri qui ont souvent une vision dégradée des hommes en raison des violences physiques et sexuelles qu'elles ont subies.
En premier hébergement et dans les situations d'urgence, un hébergement non mixte doit pouvoir être proposé. De même, des lieux ou des moments non mixtes doivent être proposés pour l'accueil de jour, les bains-douches ou encore la distribution des repas.
b) Penser l'organisation des espaces et des temps dans les lieux d'accueil mixtes
Dans le cadre du projet Un Abri pour Toutes précédemment évoqué, la Fédération des acteurs de la solidarité et la Fondation des femmes ont formulé plusieurs préconisations afin de construire et aménager les centres d'hébergement en prenant en compte le genre et l'organisation de la mixité, en particulier :
- rendre obligatoire la prise en compte des inégalités de genre dans les cahiers des charges liés à la création de structures d'hébergement ou à l'ouverture de places d'hébergement en mixité, tant sur la construction des centres que le projet social ;
- prévoir systématiquement une aile femmes ou femmes et familles sécurisée avec un espace collectif ;
- privilégier des sanitaires et salles de bain individuelles ou, a minima, réservées aux femmes et situées à proximité de leurs chambres, pour qu'elles n'aient pas à traverser des espaces occupés par des hommes pour s'y rendre, notamment la nuit ;
- penser les implantations et les accès aux centres de manière à ce qu'ils soient sécurisants (à proximité de transports en commun, éclairage, environnement sécurisant...).
c) Adapter les hébergements proposés aux familles, en préservant l'unité familiale
Le parc d'hébergement ne comporte pas aujourd'hui suffisamment de places adaptées à la diversité des compositions familiales, en particulier lorsqu'il y a plus de deux enfants ou lorsque les enfants sont très jeunes. Plus la famille est grande, plus il est difficile d'accéder à un hébergement.
Aujourd'hui, les familles sont majoritairement orientées vers des hôtels sociaux. Ainsi, selon la Fédération des acteurs de la solidarité, en août 2024, 28 659 enfants étaient hébergés en hôtel social. Selon l'Unicef84(*), les familles passent en moyenne trente-sept mois dans les hôtels sociaux et neuf enfants naissent chaque jour au sein de familles hébergées dans le parc social d'Île-de-France.
Or, les conditions d'hébergement dans les hôtels sociaux ne sont souvent pas adaptées aux familles : chambres exiguës, manque d'intimité, absence de cuisine, absence de machines à laver...
De nombreux interlocuteurs, à commencer par le Samusocial de Paris, plaident donc pour remplacer les nuitées hôtelières par des places d'hébergement pérennes.
Ce mouvement est déjà engagé dans certains départements. Ainsi selon le préfet à l'égalité des chances des Bouches-du-Rhône, dans ce département, alors que 80 % des personnes hébergées dans des hôtels sociaux sont des femmes et des familles, 1 000 nouvelles places pérennes en CHRS ont remplacé des nuitées hôtelières.
Si le prix moyen de la nuitée hôtelière est de 18 euros contre 35 euros pour une place d'hébergement d'urgence, cette dernière est associée à un accompagnement qui doit permettre aux personnes concernées de sortir de l'hébergement d'urgence pour accéder à un logement.
Par ailleurs, le principe légal de maintien de l'unité familiale n'est pas toujours respecté dans les orientations vers l'hébergement d'urgence.
Sophie Rigard, chargée de projet « Accès digne aux revenus » au Secours catholique, témoignait ainsi devant la délégation85(*) : « Des mères d'enfants en très bas âge pourraient accéder à un hébergement, mais leurs enfants plus âgés n'y sont pas acceptés, et des pères doivent dormir à la rue pour laisser leur femme et leurs enfants accéder à une place. »
Il est également compliqué pour une femme d'être hébergée avec un enfant tout juste majeur.
Enfin, selon des acteurs associatifs rencontrés, certaines femmes préfèrent rester à la rue plutôt que de vivre dans des chambres à deux voire quatre personnes, avec des conditions très strictes qui les empêchent de travailler en horaires décalés ou de recevoir leurs enfants.
La délégation plaide pour un redéploiement des moyens budgétaires alloués à l'hébergement, à travers une transformation de nuitées hôtelières en places d'hébergement adaptées aux familles. Si ce mouvement de transformation a commencé à s'engager sur certains territoires, il doit aujourd'hui s'accélérer.
d) Engager un effort de rénovation et d'humanisation des structures
Alors que certains hébergements sont indignes, un net effort de rénovation et d'humanisation des structures doit être enclenché.
Le terme « hôtel » n'est pas approprié pour désigner les lieux dans lesquels de nombreuses personnes sont hébergées, faute de places dans les structures d'hébergement type CHRS. Selon les témoignages recueillis par les rapporteures, certains hôtels sociaux sont dans des états d'insalubrité marquée, avec des punaises de lits.
En outre, d'après certains témoignages, notamment de personnes sans domicile rencontrées à Marseille, certains hôtels se font payer à la fois par l'État, qui finance la nuitée hôtelière, et par la personne accueillie, dont il est exigé un paiement supplémentaire si elle souhaite une chambre seule ou en meilleur état que les autres.
Si les haltes permettent d'apporter des solutions rapides à des femmes sans abri, ces dispositifs ne sont cependant pas adaptés à un accueil pérenne. Ainsi, dans certaines haltes, les femmes n'ont pas accès à des lits, mais uniquement à des fauteuils, n'ont pas de lieu pour cuisiner ni d'endroit fermé pour ranger leurs affaires.
Il paraît également indispensable de créer des places pour les personnes à mobilité réduite (PMR), aujourd'hui quasiment inexistantes tant en centre d'hébergement qu'à l'hôtel.
Par ailleurs, l'humanisation des structures doit également se traduire par la garantie d'un accompagnement de qualité. Cela doit notamment passer par une sensibilisation de l'ensemble des professionnels des centres d'hébergement à la gestion des situations de violences liées au genre qui peuvent survenir dans les établissements et plus globalement au repérage et à la prise en charge des violences sexistes et sexistes.
Enfin, si les hébergements en diffus peuvent être plus qualitatifs, ils exigent davantage de moyens que les hébergements collectifs pour assurer un accompagnement des personnes.
Recommandation n° 4 : Améliorer la qualité de l'offre d'hébergement, en transformant des nuitées hôtelières en places pérennes et en développent les places adaptées aux femmes et aux familles, avec en particulier : - davantage de places non mixtes pour les femmes isolées ; - des places adaptées à toutes les configurations familiales, préservant l'unité familiale ; - des lieux permettant de cuisiner, de disposer d'une intimité et d'accueillir des enfants. |
4. Des orientations vers d'autres territoires à mieux accompagner
Alors que la moitié des personnes sans domicile vivent aujourd'hui en Île-de-France, la répartition territoriale de l'offre d'hébergement et d'accompagnement, sur l'ensemble du territoire hexagonal, mais également au sein de l'Île-de-France, doit être interrogée, afin d'organiser une meilleure solidarité nationale et territoriale et d'orienter les personnes concernées vers des zones moins tendues et avec des besoins d'emplois identifiés.
Répartition territoriale du parc
d'hébergement généraliste,
nuitées
hôtelières inclues, en juin 2024
Source : carte réalisée par la délégation aux droits des femmes à partir de données fournies par la Dihal,
parc d'hébergement au 30 juin 2024.
a) Renforcer l'accompagnement des personnes orientées hors de l'Île-de-France
Selon des données communiquées par Didier Leschi, directeur général de l'Ofii, 20 % des places du DNA sont situées dans des départements de moins de 500 000 habitants et l'Ofii oriente 2 000 personnes par mois vers l'ensemble des régions de France, afin de désengorger la région parisienne.
Bénédicte Maraval, assistante sociale référente au Comede témoignait ainsi devant la délégation86(*) « depuis deux-trois ans, les personnes qui arrivent en Île-de-France pour une demande d'asile se voient de plus en plus proposer un hébergement en région. Si on explique le dispositif à ces personnes, elles y vont, mais leur expliquer prend du temps ».
En outre, face à la saturation du parc d'hébergement en Île-de-France, dix structures d'accueil, dites « sas régionaux », de 50 places ont été créées en 2023. Les personnes orientées sont prises en charge pour une durée de trois semaines et bénéficient pendant cette période d'un accompagnement social et sanitaire, ainsi que d'un examen de premier niveau pour déterminer leur statut administratif.
Selon la préfecture de Paris, au cours de l'année 2023, 6 000 personnes se sont vu proposer une orientation vers des départements de province et 3 400 l'ont acceptée.
Selon la Dihal, en sortie de dispositifs, 41 % des personnes ont été orientées vers le DNA et 41 % vers l'hébergement d'urgence.
La Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) avait trouvé intéressants ces projets de sas, sous réserve que cela repose sur une construction collective entre l'État, les collectivités territoriales d'arrivée et les associations, au départ comme à l'arrivé, et sur la libre acceptation des personnes concernées, et que cela s'accompagne de la création de places d'hébergements et de logements supplémentaires en province.
Cependant, ce dispositif a posé un souci de continuité de la prise en charge, à l'issue des trois semaines du sas. Au printemps 2024, Nathalie Latour, directrice générale de la FAS, déclarait ainsi devant la délégation87(*) : « le dispositif tient ses promesses, mais lorsque les personnes sortent de la rue, pour combien de temps le font-elles ? Nous identifions ici un enjeu, puisque nous n'avons pas d'information sur la continuité de la prise en charge de 50 % de ces individus. »
En septembre 2024, Emmanuel Bougras, responsable du service Analyse des politiques publiques de la FAS88(*), a pu dresser un bilan relativement encourageant de ces sas, vers lesquels ont été orientées 5 400 personnes, dont un tiers étaient en famille. Selon les chiffres communiqués par la FAS, à l'issue des trois semaines de prise en charge, 36 % des personnes ont été orientées vers le DNA, 46 % ont été accueillis dans des centres d'hébergement généraliste, 12 % sont partis et peut-être revenus à Paris, et 6 % ont accédé à un logement. Pour reprendre ses termes « 6 % c'est certes peu, mais c'est une victoire collective : plus de 300 personnes sans abri ont obtenu un logement en l'espace de trois semaines ».
D'autres interlocuteurs se sont montrés plus critiques. Ainsi Francesca Morassut, coordinatrice d'Utopia 56, a déploré les ruptures d'accompagnement causées par les envois en sas régionaux ainsi que de mauvaises orientations vers le DNA de personnes ne correspondant pas à ce dispositif.
Partant, alors que ces sas semblent relativement concluants, il convient de renforcer l'accompagnement des personnes concernées, afin de s'assurer de leur bonne compréhension et acceptation du dispositif, mais aussi de garantir une continuité dans la prise en charge.
b) Assurer une meilleure répartition de l'offre d'hébergement au sein des régions
Au sein même des régions et notamment de la région francilienne, l'équipement en places d'hébergement est nettement déséquilibré aujourd'hui. Ainsi, selon des données de la préfecture d'Île-de-France89(*), le nombre de places d'hébergement du parc généraliste s'élève en 2024 à 38 993 places à Paris et 18 951 en Seine-Saint-Denis, contre 4 à 9 000 dans les autres départements franciliens.
Déséquilibre territorial (à l'échelle des EPCI et EPT) de l'offre d'hébergement généraliste, pour demandeurs d'asile, réfugiés et de l'offre en logement adapté et intermédiation locative en Île-de-France au 31 décembre 2023
Lecture : le taux d'équipement d'hébergement, logement adapté et intermédiation locative dans les intercommunalités colorées en rouge est quatre fois inférieur à la moyenne régionale de 18,89 places pour 1 000 habitants.
Source : DRIHL - SHLA 2023, réalisation Caroline Nguyen
Une meilleure répartition territoriale de l'offre d'hébergement semble donc indispensable.
Pour autant, l'ancrage territorial des familles et leurs souhaits ne sauraient être occultés. Les personnes concernées ont souvent un réseau de soutien, des habitudes, des lieux ressources identifiés, voire un travail, qui rend difficile le départ vers un autre territoire.
Dans une contribution adressée à la délégation, les Départements de France relèvent ainsi que, sur le territoire de la Collectivité européenne d'Alsace, « la majorité des mères seules avec enfants souhaitent rester à Strasbourg, même si cela signifie rester sans abri, plutôt que d'accepter un hébergement en dehors de la ville. L'hébergement en milieu moins urbain, voire rural, ne tient pas sur le long terme, les femmes demandant à vivre à Strasbourg. Cette préférence s'explique par le fait qu'il existe un panel plus important d'aides pour les femmes en situation irrégulière (lieux de socialisation, centres culturels, lieux d'accueil parents-enfants, services périscolaires, les cantines, et activités extrascolaires) ».
En outre, l'orientation vers d'autres départements suppose que les collectivités d'arrivée soient associées et que les solutions proposées soient durables. En effet, selon Raphaël Vulliez, porte-parole du collectif Jamais sans toit90(*), alors que certaines familles ont été orientées vers des départements limitrophes de l'agglomération lyonnaise, elles se sont retrouvées à la rue après la trêve hivernale.
Tout redéploiement des places d'hébergement sur le territoire national devra donc s'accompagner d'un travail d'accompagnement des personnes hébergées, mais également d'une coordination entre l'État, les collectivités et les associations, afin que les personnes concernées puissent trouver de nouveaux lieux ressources dans les territoires vers lesquelles elles sont orientées.
En outre, au-delà de ces orientations vers d'autres hébergements et plus globalement des réflexions autour du nombre de places d'hébergement nécessaires, il convient de se poser la question de l'accès au logement.
En effet, le parc d'hébergement serait suffisant s'il ne servait vraiment qu'aux situations d'urgence et qu'il constituait une solution temporaire, de quelques mois, pour les personnes en difficulté, dans une optique de transition vers une réinsertion sociale. Or, faute de suffisamment de logements abordables disponibles, dans le parc privé comme dans le parc social, des personnes restent bloquées dans l'hébergement parfois pendant des années. En dépit de la volonté d'orienter la lutte contre le sans-abrisme vers l'accès au logement, via le plan Logement d'abord, la logique de l'escalier, qui impose de gravir les marches de la rue au logement, demeure.
* 53 Article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles.
* 54 Enquête ES-DS.
* 55 Programme 177 du projet de loi de finances pour 2022.
* 56 Réponses au questionnaire des rapporteures.
* 57 Préfet de la région Île-de-France et direction régionale et interdépartementale de l'hébergement et du logement, Situation de l'habitat et de l'hébergement au 31 décembre 2023.
* 58 Réponses au questionnaire des rapporteures.
* 59 Audition du 11 avril 2024.
* 60 Audition du 11 avril 2024.
* 61 Réponses de la Dihal au questionnaire des rapporteures.
* 62 Audition du 13 juin 2024.
* 63 Préfet de la région Île-de-France et direction régionale et interdépartementale de l'hébergement et du logement, Situation de l'habitat et de l'hébergement au 31 décembre 2023.
* 64 Article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles.
* 65 Drees, enquête auprès des établissements et services en faveur des adultes et familles en difficulté sociale (ES-DS) 2020-2021.
* 66 Audition du 18 septembre 2024.
* 67 Réponses des Départements de France au questionnaire des rapporteures.
* 68 Déplacement du 6 mai 2024.
* 69 Audition du 13 juin 2024.
* 70 Audition du 14 mars 2024.
* 71 Drees, enquête auprès des établissements et services en faveur des adultes et familles en difficulté sociale (ES-DS) 2020-2021.
* 72 Réponses de la Dihal au questionnaire des rapporteures.
* 73 Audition du 14 mars 2024.
* 74 Réponses de la Dihal au questionnaire des rapporteures.
* 75 Réponses de la Dihal au questionnaire des rapporteures.
* 76 Déplacement à Marseille les 28 et 29 mars 2024.
* 77 Instruction du Gouvernement visant à donner une nouvelle impulsion à la résorption des campements illicites et des bidonvilles, 25 janvier 2018.
* 78 Réponses au questionnaire des rapporteures.
* 79 Déplacement du 23 janvier 2024.
* 80 Déplacement des rapporteures à Marseille les 28 et 29 mars 2024.
* 81 Audition du 14 mars 2024
* 82 Audition du 19 septembre 2024.
* 83 Réponses au questionnaire des rapporteures.
* 84 Audition du 23 mai 2024.
* 85 Audition du 14 décembre 2023.
* 86 Audition du 19 septembre 2024.
* 87 Audition du 14 mars 2024
* 88 Audition du 19 septembre 2024.
* 89 Réponses au questionnaire des rapporteures.
* 90 Audition du 23 mai 2024.