B. UNE PRÉCARITÉ AUX MULTIPLES VISAGES
Comme l'a fait valoir Vanessa Benoit, directrice générale du Samusocial de Paris lors de son audition21(*), beaucoup de représentations fausses autour des personnes sans domicile, et notamment des femmes, prévalent.
Ainsi, la sociologue Marine Maurin relevait devant la délégation22(*) que lors de la mise en place des haltes de nuit, à l'origine pensées pour les femmes sans abri très désocialisées, les travailleurs sociaux avaient constaté que les femmes accueillies n'étaient pas celles qu'ils s'attendaient à rencontrer : la majorité des femmes présentes n'étaient pas des femmes très désocialisées, mais étaient plutôt des femmes ayant eu des parcours de vie chaotiques, avec des passages par l'Aide sociale à l'enfance (ASE) s'agissant des Françaises, et souvent un parcours de migration et une mise à la rue après un premier hébergement chez un tiers.
Ne pas tenir compte de la diversité des femmes sans domicile et sans abri revient à ne pas se donner les moyens de les prendre en charge de façon adaptée, ainsi que le soulignait, devant la délégation23(*), Muriel Froment-Meurice, maîtresse de conférences en géographie à l'Université Paris-Nanterre, qui plaide pour la production de connaissances qualitatives au-delà des données chiffrées.
Précisément, les témoignages recueillis par les rapporteures permettent d'identifier plusieurs grands types de profils : des femmes, seules ou en famille, qui basculent dans la précarité et ne sont pas ou plus en mesure de payer un loyer, des femmes séparées, parfois à la suite de violences conjugales, des femmes qui ont connu une enfance difficile, voire violente, des femmes migrantes qui ont fui leur pays, des femmes avec des troubles psychiatriques sévères ou encore des femmes qui vivent en famille au sein de bidonvilles et de squats.
1. Des femmes victimes d'une spirale de précarité, de violences et d'isolement
Pour les femmes, la perte du logement résulte souvent d'une spirale de précarité, conjuguée à des accidents de vie, en particulier une séparation, le décès ou les violences d'un conjoint ou de membres de la famille.
Lors de l'enquête Sans Domicile de l'Insee, en 2012, les femmes sans domicile mentionnaient principalement comme motif de perte de leur logement une séparation (pour 28 % d'entre elles) ou des violences familiales (15 % d'entre elles). Ces deux raisons peuvent d'ailleurs se croiser. Le fait de ne plus pouvoir payer le loyer, un licenciement ou une expulsion faisaient également partie des autres motifs évoqués.
Lors de son audition24(*), Nathalie Latour, directrice régionale de la FAS, estimait que « la question du sans-abrisme met en lumière tout ce qui a échoué en amont pour ces femmes » qu'il s'agisse des politiques d'emploi, de soutien du pouvoir d'achat, de lutte contre l'inflation, de logement, de protection de l'enfance, de santé mentale ou encore de prévention des conduites addictives. On peut également y ajouter les politiques de lutte contre les violences faites aux femmes, ces dernières accentuant le risque de sans-domicilisme pour des femmes dans des situations déjà précaires.
Tous les acteurs associatifs font le constat d'une précarisation des femmes en raison de revenus plus faibles et d'une plus grande exposition aux emplois précaires. Parmi les femmes accueillies dans les structures d'hébergement, nombre d'entre elles travaillent, notamment dans le secteur du soin et du service à la personne.
En outre, les femmes sont davantage concernées par la monoparentalité qui, comme l'a décrit un récent rapport de la délégation25(*), rime souvent avec précarité. Le risque de mal-logement est accentué en cas de rupture conjugale : les femmes connaissent alors une nette dégradation de leur niveau de vie, qui peut conduire à la perte de leur domicile.
Le vieillissement, le passage à la retraite ou la perte du conjoint - dont le montant de retraite est supérieur - peuvent également entraîner une chute de revenus et la perte du logement. Les femmes perçoivent un montant de retraite de droit direct inférieur de 40 % (28 % en intégrant les pensions de réversion) à celui des hommes, selon des chiffres de 2021 de la Drees26(*). Un récent rapport de l'association Petits frères des pauvres27(*) souligne l'augmentation de la pauvreté chez les personnes âgées qui « se conjugue d'abord au féminin » : le taux de pauvreté des femmes âgées de plus de 75 ans atteint 10,1 %, contre 6,6 % pour les hommes. Le rapport, qui s'appuie sur une étude CSA, souligne également le fait que les femmes âgées, singulièrement celles isolées, sont « démunies aussi bien financièrement que dans leur recherche d'aide ».
Dans un contexte de crise du logement, les femmes sont ainsi de plus en plus exposées au mal-logement et au sans-domicilisme. C'est ce qui a amené la Fondation Abbé Pierre à consacrer son dernier rapport annuel au genre du mal-logement et à mettre en exergue la situation des femmes sans domicile28(*).
En outre, les violences apparaissent comme un élément récurrent du parcours des femmes sans domicile, qu'elles soient à l'origine directe de la perte du domicile ou antérieures.
La fuite d'un conjoint violent, en particulier dans une situation déjà précaire, expose singulièrement au sans-domicilisme. Comme en a témoigné une travailleuse sociale de l'association La Mie de pain rencontrée par les rapporteures, « de plus en plus de femmes quittent des situations violentes pour elles ou leurs enfants. Alors qu'auparavant elles subissaient les violences avec un sentiment de fatalité, aujourd'hui elles sont encouragées à ne plus supporter ces situations et à partir, mais sans avoir forcément de solution de logement. »
L'équipe de maraudes « Gares et Connexions » qui effectue des maraudes tous les jours dans la gare de Marseille et ses alentours y rencontre régulièrement des femmes qui, selon les propos des travailleurs sociaux, « ont tout quitté et pris le premier train venu pour fuir un conjoint violent ».
Les violences vécues pendant l'enfance sont également un facteur de risque aggravant de connaître la rue à une période de sa vie.
L'enquête Insee Sans domicile de 2012 relevait ainsi que 86 % des personnes sans domicile ont vécu au moins un événement douloureux lié à l'environnement familial dans leur enfance. Un tiers de celles nées en France ont subi des violences ou de mauvais traitements. Des travaux de sociologues, fondés sur cette enquête, indiquent que les femmes sans domicile déclarent plus souvent que les hommes avoir été victimes de violences avant l'âge de 18 ans, à hauteur de 36 % contre 19 % pour les hommes29(*).
En outre, l'enquête Insee soulignait qu'un quart des personnes sans domicile nées en France ont été placées en famille d'accueil ou en foyer dans leur enfance au titre de la protection de l'enfance.
Une prégnance d'événements douloureux et de violences dans le parcours antérieur des femmes sans domicile nées en France
ont été victimes de violences dans leur enfance |
ont été placées en famille d'accueil ou en foyer au titre de la protection de l'enfance |
ont perdu leur logement à la suite de violences familiales |
Source : Insee, Enquête Sans Domicile, 2012
PAROLES DE FEMMES
Témoignages recueillis par les rapporteures
« J'ai dormi pendant deux ans dans ma voiture tout en bossant comme aide à domicile pour 250 euros par mois. » Une femme accueillie dans la pension de famille Claire Lacombe à Marseille.
« Je suis née à Marseille, mais je vis à Paris depuis 33 ans. J'ai vécu des choses difficiles, des violences. Je me suis retrouvée à la rue. Je n'ai pas de diplôme. Et j'ai des problèmes de santé qui m'empêchent aujourd'hui de travailler. » Malika, accueillie à La Mie de pain à Paris.
2. Une majorité de femmes migrantes, qui ont vécu un parcours d'exil et de violences
L'hébergement étant fondé sur un principe d'inconditionnalité, les critères de nationalité et de régularité du séjour ne sont pas renseignés. Si ces éléments sont nécessaires dans le cadre de l'accompagnement social des personnes hébergées, afin de pouvoir les orienter vers les dispositifs adaptés, et le cas échéant vers un logement social, ils ne sont en revanche pas renseignés lors des appels au 115. Il est donc impossible d'effectuer un relevé précis de l'origine des femmes hébergées.
Pour autant, tous les acteurs associatifs rencontrés estiment que la majorité des femmes sans domicile qu'ils rencontrent et accompagnent sont d'origine étrangère. Ces femmes peuvent être seules, accompagnées de leurs enfants ou en famille.
Lors de l'enquête Sans Domicile de l'Insee de 2012, plus de la moitié des femmes sans domicile déclaraient être nées à l'étranger (34 % nées dans un pays de l'Union européenne hors France, 24 % nées hors de l'Union européenne).
D'après les données transmises par la Fondation Abbé Pierre aux rapporteures, les femmes migrantes sont aujourd'hui majoritaires en Europe et représentent 48 % des migrants dans le monde : « on pense souvent que ce sont les hommes qui partent, mais la réalité est tout autre sur le terrain. Avec l'affaiblissement des conditions de prise en charge de ces personnes exilées, un demandeur d'asile sur deux n'est pas hébergé dans le dispositif national d'accueil (DNA). De ce fait, plus de femmes se retrouvent à la rue »30(*).
Certaines femmes étrangères sans domicile sont en situation régulière mais n'ont pas accès à un logement social ou bien peuvent perdre leur logement du fait du non-renouvellement de leur titre de séjour par la préfecture dans les délais impartis, comme en témoignait Pauline Portefaix de la Fondation Abbé Pierre lors de son audition.
D'autres sont en situation irrégulière, soit dès leur arrivée, soit après quelques mois. La Métropole de Lyon a ainsi indiqué aux rapporteures31(*) que 40 % des femmes et enfants qu'elle héberge au titre de ses compétences départementales en matière d'aide sociale à l'enfance sont en situation irrégulière.
Selon les témoignages recueillis par les rapporteures, souvent, les femmes et familles arrivant en France sont d'abord hébergées au sein de leur famille élargie ou de leur communauté puis, au bout de quelques semaines, elles sont chassées et se retrouvent à la rue.
En outre, de nombreuses femmes venues en France dans l'espoir de travailler se retrouvent en situation d'exploitation domestique ou sexuelle à leur arrivée, puis à la rue si elles refusent une telle exploitation.
Enfin, en dépit du dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile, Bénédicte Maraval, assistante sociale référente au Comité pour la santé des exilés (Comede) déclarait devant la délégation « le passage à la rue est devenu un passage obligé pour les demandeurs d'asile »32(*).
PAROLES DE FEMMES
Témoignages recueillis par les rapporteures
« Je suis venue en France pour m'occuper de ma petite-fille, mais quand ma famille n'a plus eu besoin de moi, j'ai dû me trouver un autre logement. Je suis tombée malade, je ne pouvais plus payer de loyer, je me suis retrouvée à la rue. J'étais sage-femme au Gabon, mais je n'ai pas pu faire valider mes diplômes en France. Aujourd'hui, je ne fais rien, je voudrais travailler et être utile. » Une femme, originaire du Gabon, accueillie à La Mie de pain à Paris.
« Je viens du Congo. Je suis arrivée en France chez de la famille, mais j'ai été mise dehors. J'ai dormi trois jours seule dehors, puis je suis allée à l'hôpital, où ils m'ont gardée dix jours même si je n'étais pas malade, puis on m'a orientée vers un foyer. Grâce à mon travailleur social, j'ai repris confiance, il m'a permis de sentir que j'avais de la valeur. J'ai des papiers depuis un an. Pour l'instant, je travaille chez Zara mais je veux trouver une formation dans le domaine de la santé, j'avais un diplôme d'infirmière au Congo. » Une jeune femme, originaire du Congo, accueillie à La Mie de pain à Paris.
« Je suis arrivée en France en 2017, chez de la famille. J'ai été mise dehors au moment du covid, car ils avaient peur que je ramène la maladie. J'ai dormi dans la rue. J'ai appelé le 115 tous les jours pendant quinze jours avant d'avoir une place. » Une jeune femme accueillie à La Mie de pain à Paris.
« On voulait me marier de force, j'ai dû fuir mon pays avec l'homme que j'aime. On est arrivés en France il y a quelques semaines, on vient d'avoir des jumeaux, mais on n'a aucun endroit où aller à la sortie de l'hôpital. » Une jeune femme hospitalisée à l'hôpital Delafontaine à Saint-Denis.
« Je suis arrivée en France il y a plusieurs mois. Je ne pensais pas que ce serait aussi dur. » Une femme accueillie à l'Amicale du Nid à Saint-Denis.
3. De nombreuses mères, isolées ou en couple, avec leurs enfants ou enceintes
Si les femmes enceintes ou accompagnées d'enfant étaient par le passé protégées du risque de la rue, tel n'est plus le cas aujourd'hui.
Selon des données communiquées par l'Agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France, dans la région francilienne, tout au long de l'année, entre 30 et 40 femmes enceintes ou avec un nouveau-né sont hospitalisées, faute de solution d'hébergement, principalement dans les maternités de Saint-Denis, Montreuil et Lariboisière.
Lors d'une étude ad hoc menée la nuit du 4 juillet 2023, ont été recensées, au sein des 45 maternités publiques d'Île-de-France, 44 femmes hospitalisées en maternité sans motif médical, cumulant 613 jours d'hospitalisation non justifiée (entre un et 59 jours). En outre, 182 femmes enceintes et 416 enfants de moins de 6 ans n'ont pu être mis à l'abri cette nuit-là, en Île-de-France, en dépit d'un appel au 115.
Certaines de ces femmes sont en couple, tandis que d'autres sont seules avec leurs enfants.
Selon les acteurs associatifs de terrain rencontrés par les rapporteures, avoir un enfant est majoritairement perçu comme un événement heureux par les femmes sans abri qui, au-delà de la joie personnelle qu'un enfant apporte, y voient également l'espoir d'obtenir plus facilement un hébergement voire un logement.
Pour autant, désormais, nombre d'entre elles n'obtiennent pas systématiquement une mise à l'abri. En outre, Clélia Gasquet-Blanchard, directrice du réseau de périnatalité Solipam a alerté la délégation sur les cas de femmes qui perdent leur hébergement lors d'une fausse couche ou d'une interruption volontaire ou médicale de grossesse.
Dans le même temps, Anne Lorient, fondatrice de l'association éponyme qui intervient auprès de familles vivant dans la rue et notamment des femmes qui accouchent dans la rue, a également témoigné des craintes des mères vis-à-vis des services sociaux : beaucoup craignent que leur bébé leur soit retiré à la sortie de l'hôpital si elles n'ont pas de solution d'hébergement. Il semble que de nombreux fantasmes autour de l'action des services de protection maternelle et infantile (PMI) et de protection de l'enfance (ASE) soient alimentés par des témoignages sur les réseaux sociaux.
Interrogées sur ce sujet, deux représentantes de la ville de Paris33(*) ont indiqué à la délégation que les placements d'enfants sans domicile sont rares, alors que 20 à 30 % des femmes suivies par les sage-femmes de PMI de la Ville sont sans domicile - ce chiffre dépassant 60 % sur certains sites. Si les professionnels de PMI ont la responsabilité de signaler des informations préoccupantes et de procéder à des évaluations, Isabelle Susset, sous-directrice Santé des enfants, parentalité, santé sexuelle, de la Direction de la santé publique, déclarait ainsi : « Ce n'est pas parce qu'une femme est à la rue que nous allons automatiquement faire une information préoccupante, mais cela peut arriver. » Véronique Boulinguez, sage-femme de PMI « Hors les Murs », apportait la précision suivante : « Il est essentiel d'avoir des inquiétudes bien fondées concernant le lien mère enfant avant de transmettre une information préoccupante. Sinon, nous en ferions beaucoup trop. »
Sylvaine Devriendt, coordinatrice du programme « 4i » (« impact des lieux de vie informels, instables, insalubres et indignes sur la santé ») de Médecins du Monde Nantes a également témoigné de ces craintes des mères, que l'association s'efforce de rassurer. Elle indiquait ainsi devant la délégation : « Les mamans expriment une appréhension importante lorsqu'elles sont hébergées dans des hôtels du 115. Elles se sentent obligées de se faire discrètes de peur que leur enfant ne leur soit retiré à cause de leur situation de sans-abrisme. Nous avons récemment été confrontés à un cas de placement d'un bébé à la maternité, après une période d'observation de deux semaines par l'hôpital, en raison de problèmes particuliers. Mais les placements d'enfants sont extrêmement rares. [...] Nous rassurons les mères en leur expliquant que séjourner à l'hôtel et ne pas disposer d'un hébergement viable n'implique pas automatiquement un placement de leur enfant. [...] le conseil départemental maintient fermement qu'il est primordial de préserver l'unité parent enfant, même dans des conditions de logement précaires. Aucun placement n'est prononcé parce qu'il n'y aurait pas des conditions adéquates d'accueil de l'enfant. »
Pour autant, de tels cas peuvent parfois exister. Lors de son audition34(*), Anina Ciuciu, avocate et marraine du collectif #ÉcolePourTous, a dénoncé des « placements discriminatoires et abusifs à l'égard des enfants de familles précaires, notamment issus des communautés roms et des gens du voyage. [...] Ces familles, dans des situations déjà extrêmement précaires et difficiles, sont accusées d'être responsables de leur propre malheur lorsque leurs enfants se retrouvent à la rue et privés d'école. »
PAROLES DE FEMMES
Témoignages recueillis par les rapporteures
« J'ai vécu dix-sept ans dans la rue. J'ai été violée à de multiples reprises. C'est grâce à mes deux enfants que je suis sortie de la rue. J'étais enceinte de six mois et j'avais déjà un petit garçon de 2 ans. C'est grâce à ce petit garçon que les gens se sont plus occupés de moi et qu'une association m'a trouvé un logement. J'y suis encore actuellement, mon fils a aujourd'hui 23 ans et ma fille 20 ans. J'ai eu beaucoup de chance. Si je n'avais pas eu mes enfants, je pense que je serais encore dehors. » Anne Lorient, ancienne sans-abri, fondatrice de l'Association Anne Lorient.
« Je suis enceinte. Avec mon mari, on a déjà deux enfants. On a obtenu le statut de réfugié. Mon mari travaille, il a des fiches de paie. Mais on n'a pas de logement et aucune structure n'a de la place pour nous accueillir tous ensemble. Alors l'hôpital accepte de tous nous laisser dormir ici. » Une femme enceinte, hospitalisée à l'hôpital Delafontaine de Saint-Denis.
« On vient d'avoir des jumeaux, mais il n'y a pas de place pour deux parents et deux enfants. » Une jeune mère, hospitalisée à l'hôpital Delafontaine de Saint-Denis.
« Mon bébé est né il y a quelques semaines. On était à l'hôpital de la Salpêtrière, mais ils ne peuvent pas nous garder plus longtemps. J'ai besoin d'un endroit où dormir. » Une jeune femme seule appelant le 115 à Paris.
« On a un bébé de trois jours et on vient d'apprendre que l'hôpital nous mettra dehors ce soir. » Un jeune couple appelant le 115 à Paris.
« On a un bébé de 13 jours. On nous a proposé un hébergement à Mantes-la-Jolie, mais on n'a pas d'argent pour aller jusqu'à Mantes ni pour manger. On ne sait plus quoi faire. » Un jeune couple appelant le 115 à Paris.
« On a un bébé de six mois, mais on n'a aucune solution d'hébergement stable depuis deux mois, seulement des nuitées par-ci, par-là. » Un couple appelant le 115 à Paris.
4. Des femmes plus marginalisées, aux troubles psychiatriques lourds, souvent non traités
Au-delà des conséquences psychologiques inhérentes à tout parcours de rue, on trouve parmi les femmes sans abri un public spécifique de femmes qui souffrent de maladies psychiatriques, présentent des troubles de la personnalité ou « entendent des voix ». Ces problématiques psychiatriques s'entremêlent souvent à des problématiques d'addiction.
Selon des données de l'ARS d'Île-de-France35(*), parmi les quelque 4 000 personnes suivies par les 23 équipes mobiles psychiatrie-précarité (EMPP) d'Île-de-France, un tiers sont des femmes.
Les rapporteures ont eu des échanges approfondis sur cette problématique avec les membres de l'équipe mobile MARSS-APHM (Mouvement et action pour le rétablissement sanitaire et social), qui effectuent des maraudes en santé mentale à Marseille et ont témoigné des difficultés liées à la prise en charge de ces femmes. En effet, celles-ci sont souvent sur la défensive, notamment du fait des hospitalisations sous contrainte qu'elles ont pu subir par le passé. En outre, habituées à l'extérieur, elles supportent mal l'hôpital et leur insertion dans des centres d'hébergement n'est pas aisée en cas de symptomatologie bruyante. Ces profils de femmes n'ont pas le même rapport au logement et ont besoin d'un accompagnement renforcé, sur le plan médical comme sur le plan social. Il convient notamment de ne pas les déraciner de leur quartier dans lequel elles ont des habitudes qui les apaisent.
PAROLES DE FEMMES
Témoignages recueillis par les rapporteures
« Je n'étais pas bien. Mon vélo et moi, on a traversé la France, on a roulé jusqu'en Espagne. Maintenant j'essaie d'aider » Alice, qui a connu un parcours de rue et est aujourd'hui pair-aidante à Marseille.
« Je suis bien ici, c'est mon quartier, mon banc, je ne veux pas en partir. » Une femme rencontrée dans les rues de Marseille.
« Aujourd'hui, je suis bien dans la pension de famille, je me sens protégée, ça permet de retrouver la sérénité dans la tête. C'est important quand on a eu un parcours chaotique : ça va, ça va pas, ça vient, les addictions, les ceci, les cela. Je ne pourrais pas partir et être isolée, seule, dans un logement social. » Une femme accueillie dans la pension de famille Claire Lacombe à Marseille.
5. Des familles en habitat insalubre
La délégation n'a pas pu se pencher de façon approfondie sur la situation spécifique des familles en habitat insalubre, qui mériterait un rapport à part entière, mais les rapporteures ont échangé avec des membres de Médecins du monde, du collectif #ÉcolePourTous et des Régisseurs sociaux qui interviennent auprès des personnes vivant en bidonvilles ou en squat, parmi lesquelles de nombreuses familles dites roms.
La plateforme Résorption Bidonvilles estime que 11 200 ressortissants européens, majoritairement d'origine roumaine et bulgare, vivent en bidonvilles fin 2023, dont 3 900 mineurs. S'y ajoutent environ 8 500 ressortissants extraeuropéens.
PAROLES DE FEMMES
Témoignages recueillis par les rapporteures
« Je suis d'origine Rom-Roumaine. Je suis arrivée en France en juillet 2017 avec ma mère et mon frère. Dès notre arrivée, nous avons dû vivre dans un bidonville, dans des conditions très difficiles. [...] Quelques semaines avant mon examen de fin d'année, qui devait établir mon niveau de français après seulement quatre mois d'école en France, j'ai appris que sa date correspondrait à l'expulsion du terrain où nous vivions. [...] Ce matin-là, j'ai vécu ma première expulsion, et l'après-midi, j'ai passé mon examen, que j'ai réussi. J'ai obtenu 80 points sur 100 après seulement quatre mois d'études en France. J'ai pu intégrer un lycée en filière ST2S, car je rêvais de contribuer au changement social. » Ana Maria Stuparu, porte-parole du collectif #Écolepourtous.
« Nous habitions dans un foyer social, un hébergement d'urgence à Mâcon, en Saône-et-Loire. Lorsque nous avons enfin pu nous inscrire à l'école, nous avons commencé à rêver à un avenir en France, à croire en la possibilité d'avoir un futur. C'est cette volonté de nous offrir un avenir qui guidait nos parents lorsqu'ils ont décidé de quitter la Roumanie. C'est à cet instant que notre hébergement a pris fin par une décision d'expulsion sans relogement et que nous avons dû quitter l'école dès le lendemain. Je me souviens des larmes de mon directeur d'école, impuissant face à cette situation. Il ne pouvait rien faire pour nous garder mes soeurs et moi. Nous avons uniquement pu emporter nos cartables. Nous avons vécu des mois dans un camion aménagé par mon père. Nous n'avons pu retrouver l'école que neuf mois plus tard. » Anina Ciuciu, marraine et avocate du collectif #EcolePourTous.
* 21 Audition du 14 mars 2024.
* 22 Audition du 4 avril 2024.
* 23 Audition du 4 avril 2024.
* 24 Audition du 14 mars 2024.
* 25 Familles monoparentales : pour un changement des représentations sociétales, rapport d'information n° 485 (2023-2024).
* 26 Drees, Les retraités et les retraites, édition 2023.
* 27 Rapport des Petits Frères des Pauvres / CSA Research, La pauvreté des personnes âgées, octobre 2024.
* 28 29e rapport sur l'état du mal-logement en France 2024 - Fondation Abbé Pierre, publié le 26 février 2024.
* 29 Marie Loison, et Gwenaëlle Perrier, Les trajectoires des femmes sans domicile à travers le prisme du genre : entre vulnérabilité et protection, Déviance et Société, vol. 43, no. 1, 2019.
* 30 Audition du 14 mars 2024.
* 31 Audition du 18 septembre 2024.
* 32 Audition du 19 septembre 2024.
* 33 Audition du 16 mai 2024.
* 34 Audition du 23 mai 2024.
* 35 Audition du 16 mai 2024.