B. UNE SITUATION AFFECTANT LES EHPAD DE TOUS STATUTS

Les quelque 7 500 Ehpad de France se répartissent entre établissements publics, privés à but non lucratif et privés à but lucratif.

Nombre de structures et de places par statut d'établissement,
au 31 décembre 2019

Statut juridique

Nombre d'Ehpad

%

Nombre de places installées

%

Nombre de places en hébergement permanent

%

Privé à but lucratif

1 810

24,2 %

137 590

22,5 %

132 810

22,6 %

Privé à but non lucratif

2 340

31,3 %

177 280

29,0 %

169 530

28,8 %

Public

3 330

44,5 %

295 610

48,4 %

285 980

48,6 %

Total

7 480

100 %

610 480

100 %

588 320

100 %

Source : Commission des affaires sociales / données Drees

Quel que soit leur statut, les Ehpad bénéficient des mêmes financements publics pour leurs sections soins et dépendance.

En revanche, la tarification de l'hébergement n'obéit pas à la même logique selon que les Ehpad sont, ou non, habilités à l'aide sociale à l'hébergement (ASH) :

• les Ehpad totalement habilités à l'aide sociale voient le tarif hébergement de l'ensemble de leurs places administré, c'est-à-dire fixé par le conseil départemental, sauf exception convenue dans le cadre d'une « convention d'aide sociale »5(*) ;

• les Ehpad non habilités à l'aide sociale pratiquent un tarif hébergement fixé librement par l'établissement à l'entrée du résident ; ce tarif peut ensuite varier dans la limite d'un pourcentage fixé par un arrêté annuel, prenant en compte un panier pondéré d'indices de charges6(*) ;

• les Ehpad partiellement habilités à l'aide sociale connaissent deux modalités de tarification en fonction de la proportion de places habilitées :

- les Ehpad habilités pour plus de 50 % de leur capacité pratiquent des tarifs totalement administrés qui sont applicables à tous les résidents, qu'ils soient ou non bénéficiaires de l'ASH ;

- les Ehpad habilités pour 50 % ou moins de leur capacité d'accueil disposent d'une liberté tarifaire pour la fraction des résidents non bénéficiaires de l'aide sociale.

Selon la Drees, une grande majorité des Ehpad du secteur public (91 %) sont habilités à l'aide sociale sur l'ensemble de leurs places, alors que seuls 6 % des Ehpad privés à but lucratif le sont à 100 %. Près de 6 Ehpad privés à but lucratif sur 10 n'ont aucune place habilitée à l'aide sociale. Dans le secteur privé à but non lucratif, 91 % des établissements disposent de places habilitées et 3 Ehpad sur 4 sont habilités à l'aide sociale pour l'ensemble de leurs places7(*).

L'aide sociale à l'hébergement

Les personnes âgées accueillies en Ehpad peuvent accéder, sous condition de ressources, à l'ASH afin d'acquitter tout ou partie de leurs frais d'hébergement.

L'ASH, financée par le conseil départemental, constitue une avance qui peut être récupérée du vivant (en cas de retour à meilleure fortune ou d'héritage) ou au décès du bénéficiaire. Les sommes versées au titre de l'aide sociale peuvent ainsi faire l'objet d'un recours sur la succession du bénéficiaire. Le montant versé par le département correspond à la totalité des frais d'hébergement du bénéficiaire, diminués de sa participation et de la contribution éventuelle de ses obligés alimentaires.

Fin 2020, 116 500 personnes âgées bénéficiaient de l'ASH au titre d'un hébergement en établissement (contre 122 000 en 2015), soit moins de 1 % de la population âgée de 60 ans ou plus. Elles occupaient 15 % des 770 600 places d'hébergement installées en établissement pour personnes âgées au 31 décembre 2020. Parmi ces bénéficiaires, 98 900 vivaient en Ehpad.

En 2020, les dépenses brutes d'ASH des départements, après récupération auprès des bénéficiaires, de leurs obligés alimentaires et de leurs héritiers, se sont établies à 1,3 milliard d'euro.

Source : Drees, « L'aide sociale à l'hébergement des personnes âgées », L'aide et l'action sociales en France. Perte d'autonomie, handicap, protection de l'enfance et insertion, édition 2022

Proportion d'Ehpad habilités à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale
à l'hébergement, selon le type d'habilitation, au 31 décembre 2019

Source : Drees, enquête EHPA 2019

1. Les Ehpad publics : une situation particulièrement alarmante

Au 31 décembre 2022, près de 65 % des Ehpad publics présentaient un déficit. Parmi eux, les Ehpad rattachés à un établissement public de santé se trouvaient le plus fréquemment dans cette situation.

Nombre d'Ehpad publics déficitaires au 31 décembre 2022

Type d'établissement

Nombre total d'Ehpad

Nombre d'Ehpad en déficit

Part du total

Ehpad publics autonomes

1288

789

61,3 %

Ehpad gérés par un CCAS

823

544

66,1 %

Ehpad rattachés à un établissement public de santé

1195

804

67,3 %

Total

3306

2137

64,6 %

Source : CNSA

a) Dans le secteur public hospitalier

S'agissant des Ehpad publics relevant de la fonction publique hospitalière, la dernière enquête nationale de la Fédération hospitalière de France (FHF), basée sur les résultats consolidés de 2023 et parue en avril 2024, fait état d'une situation financière « très dégradée, inédite et alarmante » : 84,4 % des Ehpad inclus dans le champ de l'enquête8(*), comprenant des Ehpad autonomes et des Ehpad rattachés à un établissement de santé, enregistrent un résultat déficitaire, y compris des Ehpad connaissant une activité normale. La proportion des Ehpad publics hospitaliers en situation déficitaire a ainsi doublé en 5 ans, cette proportion étant de 43,9 % en 2019 et de 54,3 % en 2021.

Pour les Ehpad ayant un résultat déficitaire, le niveau du déficit moyen par place s'est aggravé, passant de 3 226 euros en 2022 à 3 850 euros en 2023.

La FHF évalue le montant global du déficit des Ehpad publics hospitaliers à 800 millions en 2023, soit un déficit cumulé de 1,3 milliard d'euros sur les deux derniers exercices.

Les déficits apparaissent en majeure partie dus aux sections hébergement (déficitaire pour 84 % des Ehpad répondants) et dépendance (déficitaire dans 86 % des cas).

Plus d'un tiers des Ehpad ayant répondu à l'enquête (35,1 %) a indiqué avoir rencontré des difficultés de trésorerie en 2023, et 18,6 % ont eu recours à l'ouverture d'une ligne de trésorerie. Pour près d'un établissement sur trois (29 %), la situation de trésorerie a conduit à différer le paiement de certaines charges en 2023 (fournisseurs, charges sociales et fiscales).

b) Dans le secteur public territorial

Le taux de résultat médian des Ehpad rattachés à une collectivité territoriale est passé de + 2,33 % en 2020 à - 1,68 % en 2023, selon les données transmises par la DGCS.

En 2022, 66,1 % des Ehpad gérés par un centre communal d'action sociale (CCAS) ou un centre intercommunal d'action sociale (CIAS) présentaient déjà un résultat déficitaire. Selon l'Union nationale des centres communaux d'action sociale (Unccas), la situation s'est aggravée et concerne désormais la quasi-totalité de ces Ehpad. Cette aggravation ne saurait s'expliquer par une mauvaise gestion mais est manifestement causée par des facteurs structurels.

Si les conseils municipaux continuent de voter des subventions à leur CCAS pour maintenir les Ehpad à l'équilibre9(*), la situation est désormais jugée intenable par l'Association des maires de France (AMF).

À titre d'exemple, les Ehpad du CCAS de Rennes présentent, après avoir enregistré un résultat à l'équilibre en 2022, un compte de résultat prévisionnel déficitaire de 1,022 million d'euros en 2023 et un état prévisionnel des recettes et des dépenses (EPRD) déficitaire de 1,274 million d'euros en 2024, en tenant compte de la subvention d'équilibre de 1,8 million d'euros versée par le budget principal du CCAS. Leur capacité d'autofinancement (CAF) serait négative en 2023 (- 0,432 million d'euros) et en 2024 (- 0,673 million d'euros).

2. Les Ehpad privés non lucratifs : une situation critique sans filet de sécurité

En 2022, plus de 50 % des Ehpad privés à but non lucratif présentaient un résultat déficitaire, selon la CNSA.

Pour 2023, l'enquête Atterrissage menée par la Fehap10(*) auprès de ses adhérents témoigne d'une situation délétère dans le secteur privé non lucratif.

Les enseignements de l'enquête Atterrissage 2023 de la Fehap

Il ressort de l'enquête Atterrissage 2023 que 73,4 % des répondants sont en déficit, pour un montant total de 65 millions d'euros.

En extrapolant ces résultats, la Fehap estime qu'environ 1 100 Ehpad adhérents de la fédération sont en déficit en 2023 pour un montant global de 216 millions d'euros. La dégradation par rapport à 2022 serait de + 96 %. En outre, la part des répondants en déficit en 2023 est supérieure à la part des Ehpad en déficit l'année précédente (73,4 % après 62 %).

Plus de 28 % des répondants rencontrent des difficultés de trésorerie et plus de 11 % déclarent une trésorerie négative.

Pour 2024, plus de la moitié des répondants prévoient une dégradation de leur situation financière.

Source : Réponses de la Fehap au questionnaire des rapporteures

La Fehap estime que, pour atteindre l'équilibre financier, il faudrait fermer 6 places par établissement, soit 13 920 places pour les seuls Ehpad associatifs en 2023.

L'AMF a également attiré l'attention des rapporteures sur la situation, jugée catastrophique, des Ehpad associatifs. De surcroît, ceux-ci ne bénéficient pas systématiquement de subventions exceptionnelles au même titre que les Ehpad communaux.

3. Un secteur privé lucratif sous surveillance

Les Ehpad privés commerciaux ayant une majorité de places non habilitées à l'aide sociale, bénéficient d'une liberté tarifaire leur permettant d'ajuster leurs recettes. Pour les résidents déjà présents en leur sein, ils ont pu faire évoluer leurs tarifs dans la limite d'un taux fixé par arrêté ministériel. Ce taux était de 5,14 % en 2023 et s'approchait donc de l'inflation, tandis que le taux d'évolution des tarifs départementaux pour les Ehpad habilités à l'aide sociale en était souvent éloigné.

Toutefois, la chute des taux d'occupation a été plus profonde, et la récupération plus faible, dans le secteur privé commercial que dans les autres secteurs.

Taux d'occupation médians

Source : Commission des affaires sociales / données DGCS

Auditionné par les rapporteures, le Synerpa11(*) a fait état des difficultés économiques et financières rencontrées par les Ehpad privés commerciaux. Il apparaît en effet que le résultat net des acteurs privés a pratiquement été divisé par deux entre 2017 et la prévision 2023, passant de 8,8 % du chiffre d'affaires à 4,7 %. Dans un contexte de forte hausse des prix de l'énergie, des denrées alimentaires et des fournitures, le taux d'excédent brut d'exploitation (EBE) a reculé de près de 2,5 % depuis 2019.

Dans ce contexte défavorable, le groupe Medicharme, alors le 8e groupe français d'Ehpad privés, a été placé en février 2024 en liquidation judiciaire en raison d'une gestion imprudente, basée exclusivement sur le modèle de la location non meublée professionnelle et analysée par une mission de contrôle de l'Igas et de l'IGF12(*).

Quant au groupe Orpea, touché par un retentissant scandale après la parution du livre Les Fossoyeurs du journaliste Victor Castanet13(*) et désormais dénommé Emeis, il est passé sous le contrôle d'un groupement d'actionnaires mené par la Caisse des dépôts et consignations.


* 5 Cf. infra, III.D.3.

* 6 Art. L. 342-3 et D. 342-5 du code de l'action sociale et des familles.

* L'aide et l'action sociales en France, Panoramas de la Drees, édition 2022 - Fiche « Les établissements d'hébergement pour personnes âgées ».

* 8 Les données traitées par la FHF proviennent d'une enquête déclarative colligeant la situation de 730 Ehpad publics hospitaliers, autonomes ou rattachés à un établissement public de santé, représentant plus de 100 000 places d'hébergement permanent, soit 43 % des places d'Ehpad publics relevant de la fonction publique hospitalière, répartis dans l'ensemble des régions.

* 9 Les résultats déficitaires nécessitent la mise en place de subventions d'équilibre depuis le budget principal du CCAS vers le budget annexe des Ehpad.

* 10 Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs.

* 11 Syndicat national des établissements et résidences pour personnes âgées.

* 12 Contrôle de l'activité du groupe Medicharme, Inspection générale des Finances / Inspection générale des affaires sociales, mars 2024.

* 13 Cf. infra, II.A.

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