B. MIEUX RÉPARTIR LE RESTE À CHARGE ENTRE LES RÉSIDENTS
La loi « bien-vieillir » a introduit de nouvelles possibilités de différenciation tarifaire pour les Ehpad totalement ou majoritairement habilités à l'aide sociale. À compter de 2025, ces établissements pourront opter, après en avoir informé le conseil départemental et sous certaines limites, pour un tarif hébergement libre applicable aux résidents non bénéficiaires de l'ASH293(*). Toutefois, ce dispositif ne permet pas aux Ehpad de différencier leur tarif hébergement en fonction des ressources des résidents.
Le principe d'une modulation tarifaire en fonction des revenus existe dans le cadre d'autres politiques publiques, par exemple dans les crèches ou dans les cantines scolaires.
S'il est soutenu par certaines fédérations, notamment la FHF, l'application de ce principe dans les Ehpad soulèverait certaines difficultés techniques. En effet, actuellement, les Ehpad n'ont pas à connaître le revenu des personnes : ils sont seulement en mesure de savoir si un résident bénéficie ou non de l'ASH. En outre, s'agissant des personnes âgées, le critère des revenus est souvent moins pertinent que celui du patrimoine.
La rapporteure estime cependant nécessaire de répondre à la situation financière des Ehpad habilités à l'aide sociale, qui sont très souvent des Ehpad publics, dont les tarifs d'hébergement sont notoirement insuffisants. Dans cette perspective, il serait opportun d'améliorer le dispositif de l'article 24 de la loi « bien-vieillir » dans une logique redistributive entre résidents d'Ehpad. Aussi, la rapporteure préconise de réfléchir à la mise en place d'un mécanisme permettant de mieux répartir les recettes de la section hébergement entre les résidents en fonction de leurs ressources hors bénéficiaires ASH.
Pour finir, la rapporteure remarque que les gestionnaires d'Ehpad privés à but lucratif présentent, malgré la situation des établissements publics et privés à but non lucratif, un résultat net positif et s'enrichissent ainsi grâce à l'hébergement des personnes âgées dépendantes, soutenu par la sécurité sociale. Le contexte d'opacité financière de ces acteurs, rappelé par nos anciens collègues Bernard Bonne et Michelle Meunier ainsi que par les députés Pierre Dharréville, Jeanine Dubié et Caroline Janvier, peut invisibiliser une course au profit de certains, et ainsi entraîner un système de maltraitances tel que celui dressé par Victor Castanet294(*). Le décret du 28 avril 2022 portant diverses mesures de transparence financière dans la gestion des ESMS a imposé aux organismes gestionnaires d'établissements de transmettre à l'autorité de tarification le bilan comptable de l'exercice passé.
En complément de cette mesure, la rapporteure préconise de rendre transparents, soit sous forme de publication directe, soit sous forme d'indicateurs, les comptes de tous les Ehpad, notamment des établissements privés à but lucratif, sans que les gestionnaires ne puissent faire valoir le secret des affaires. Une dérogation à la protection du secret des affaires pourrait se fonder, à ce titre, sur les dérogations prévues à l'article 5 de la directive n° 2016/943 et à l'article L. 151-8 du code de commerce, considérant l'impératif de protection de la liberté d'information et l'intérêt légitime des personnes âgées à mener une vie digne et indépendante.
En outre, la rapporteure souhaite attirer l'attention du Gouvernement sur l'intérêt d'imposer un cahier des charges aux Ehpad privés lucratifs, de sorte que ces structures soient contraintes de prendre une part des habilitations à l'aide sociale et des personnes ayant le plus besoin d'une prise en charge médicalisée. Ce cahier des charges, qui pourrait faire l'objet d'une mission prospective d'inspection, permettrait ainsi que le secteur privé à but lucratif prenne également la charge des hébergements moins rentables mais nécessaires pour la population.
* 293 Cf. première partie, III, D.
* 294 Rapport d'information « Le contrôle des Ehpad », n° 771 (2021-2022) de M. Bernard Bonne et Mme Michelle Meunier, fait au nom de la commission des affaires sociales du Sénat, déposé le 12 juillet 2022 ; Rapport d'information n° 5152 de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, en conclusion de ses travaux sur la situation dans certains établissements du groupe Orpea.