POSITION PERSONNELLE DE MME ANNE SOUYRIS

La présente contribution s'attache à partir des besoins, déjà identifiés par plusieurs rapports, qui seront nécessaires à la prise en charge de nos aînés au cours des prochaines décennies afin de déterminer les moyens de financement adéquats. En 2019, le rapport Libault estimait ainsi le besoin de financement public supplémentaire par rapport à 2018, pour l'ensemble du champ des personnes âgées dépendantes, à 9,2 milliards d'euros d'ici 2030.

En la matière, une question doit guider les décisions qui seront prises dans les prochaines années : quel Ehpad voulons-nous dans le futur ? Pour la rapporteure, il importe de placer au centre de la réflexion le sujet du bien-être des personnes âgées en perte d'autonomie.

I. IDENTIFIER DES MOYENS JUSTES DE FINANCER LA BRANCHE AUTONOMIE POUR LES EHPAD

A. TROUVER DE NOUVELLES RECETTES POUR LA BRANCHE AUTONOMIE ET RÉAFFIRMER LA JUSTICE SOCIALE DANS SON MODÈLE DE FINANCEMENT

La rapporteure n'est pas favorable à la proposition, soutenue par la majorité de la commission, de créer une nouvelle journée de solidarité afin de dégager de nouvelles recettes pour la branche autonomie. Une telle mesure constituerait un recul social pour les salariés et tout particulièrement pour les personnes aux revenus modestes. Pour la rapporteure, d'autres solutions plus justes pourraient être mobilisées.

1. Augmenter les recettes de CSG

En application de l'article L. 131-8 du code de la sécurité sociale, le produit de la CSG est affecté, à hauteur de 2,08 points, à la CNSA, quelle que soit la catégorie de revenus.

Pour le calcul de l'assiette de la CSG des salariés, l'article L. 136-2 du code de la sécurité sociale prévoit un abattement de 1,75 % au titre des frais professionnels, calculé sur le montant brut des rémunérations jusqu'à quatre fois le plafond annuel de la sécurité sociale (Pass), soit dans la limite de 185 472 euros bruts annuels en 2024.

Le taux médian de CSG sur les pensions de retraite et d'invalidité a été introduit en 2019. En effet, la LFSS pour 2018 avait porté le taux normal de CSG sur les pensions de retraite et d'invalidité de 6,6 % à 8,3 %, les bénéficiaires de petites retraites ou de pensions d'invalidité de faible montant pouvant, selon leur revenu fiscal de référence, être exonérés de CSG ou se voir appliquer un taux réduit (3,8 %). Toutefois, à la suite de la crise des « gilets jaunes », la loi du 24 décembre 2018 portant mesures d'urgence économiques et sociales a rétabli le taux de CSG applicable antérieurement au 1er janvier 2018, soit 6,6 %, pour les personnes dont le montant de pension est inférieur à un seuil (2 000 euros net en 2019 pour une personne seule et sans autre revenu). Ainsi, près de la moitié des personnes qui avaient supporté la hausse de CSG de 1,7 point en 2018 en ont été exonérées à partir du 1er janvier 2019. L'introduction de ce taux intermédiaire a eu un coût de 1,5 milliard d'euros sur les retraites et de 33 millions d'euros sur l'invalidité en 2019.

Les taux et l'affectation des produits de la CSG sont rappelés dans le tableau ci-après.

Taux et affectations de la CSG en 2024

 

Taux global

Maladie

Famille

FSV290(*)

Cades291(*)

Chômage

Autonomie

Revenus d'activité

9,2 %

4,25 %

0,95 %

-

0,45 %

1,47 %

2,08 %

Pensions de retraite et d'invalidité

Taux normal

8,3 %

1,88 %

0,95 %

2,94 %

0,45 %

-

2,08 %

Taux médian

6,6 %

1,18 %

0,95 %

2,94 %

0,45 %

-

2,08 %

Taux réduit

3,8 %

1,27 %

-

-

0,45 %

-

2,08 %

Allocations chômage et indemnités journalières

Taux normal

6,2 %

2,72 %

0,95 %

-

0,45 %

-

2,08 %

Taux réduit

3,8 %

1,27 %

-

-

0,45 %

-

2,08 %

Revenus du capital

9,2 %

-

-

6,67 %

0,45 %

-

2,08 %

Source : Commission des affaires sociales

Afin de dégager de nouveaux financements pour la branche autonomie, le rapport Vachey avait formulé plusieurs pistes concernant la CSG :

- limiter à 1 Pass l'abattement de 1,75 % pour frais professionnels : cette mesure aurait rapporté 150 millions d'euros supplémentaires en 2020 ;

- aligner le taux normal de la CSG sur les pensions de retraite sur celui des revenus d'activité (9,2 % au lieu de 8,3 %) et supprimer en parallèle la cotisation d'assurance maladie de 1 % applicable sur les retraites complémentaires : le gain pour les finances publiques aurait été de 780 millions d'euros ;

- appliquer le même niveau de CSG déductible (3,8 points) pour tous les taux de CSG sur les revenus de remplacement, ce qui aurait pour effet augmenter l'imposition sur le revenu des retraités redevables de la CSG au taux de 6,6 % et 8,3 % : le gain aurait été de 800 millions d'euros.

En 2024, le transfert de 0,15 point de CSG en provenance de la Cades permet d'abonder les recettes de la CNSA de 2,6 milliards d'euros.

Afin d'assurer un financement efficace de la branche autonomie, la rapporteure préconise d'augmenter, pour toutes les catégories de revenus, le taux de la CSG de 0,1 à 0,2 point supplémentaire et d'en affecter le produit à la CNSA. Une hausse de 0,1 point de CSG permettrait d'augmenter les recettes de la branche autonomie de 1,7 milliard d'euros et une hausse de 0,2 point les accroîtrait de 3,5 milliards d'euros.

Une telle mesure aurait donc un rendement comparable à la création d'une journée de solidarité et serait plus juste puisqu'elle ne pèserait pas sur les seuls salariés. En particulier, il semble cohérent que le coût de la prise en charge de la perte d'autonomie soit également supporté par les retraités.

Ce supplément de recettes pourrait spécialement contribuer au financement des Ehpad, notamment à l'augmentation du taux d'encadrement.

2. Intégrer le flux successoral reçu tout au long de la vie dans le calcul des taux d'imposition sur le patrimoine

Le financement de la dépendance pourrait également être renforcé par une redéfinition des modalités de calcul de l'imposition sur les successions. Le recours à cet impôt comporte deux avantages :

- prendre en compte le vieillissement de la population qui limite la capacité à renforcer la pression fiscale sur les actifs pour financer la branche autonomie ;

- renforcer la justice fiscale alors que l'héritage a un poids de plus en plus déterminant dans le patrimoine global des individus.

Le rendement de la fiscalité sur les successions est limité par l'accumulation de dispositifs fiscaux (assurance-vie, démembrement de propriété, effacement des plus-values latentes à la succession, pactes Dutreil, etc.). Ainsi, 40 % du patrimoine transmis échappe au flux successoral appréhendé par l'imposition. Ces dispositifs profitent notamment aux patrimoines les plus élevés qui optimisent leur taux réel d'imposition. En dépit de taux faciaux marginaux élevés allant jusqu'à 45 %, les 0,1 % d'individus héritant le plus au cours de leur vie ne payeront que 10 % d'impôts sur les successions qu'ils auront perçues. Le taux effectif d'imposition du 999e millime est le double de celui du 90percentile, alors que le patrimoine hérité est 24 fois plus élevé. La progressivité du taux d'imposition réel apparaît donc comme insuffisamment proportionnel. Une des difficultés de rendement que connaît l'impôt sur les successions tient au séquençage des transmissions de patrimoine : le calcul du taux d'imposition se fait sur chaque succession indépendamment de celles déjà perçues dans le passé. L'imposition sur les successions est aveugle à l'accumulation et ne regarde que le flux perçu à un instant T. Ainsi, les ménages les plus aisés peuvent optimiser leur transmission de patrimoine en séquençant celle-ci.

Dès lors, afin de renforcer la justice fiscale et améliorer le rendement de l'imposition sur les successions, il pourrait être créé une imposition sur les successions totales perçues tout au long de la vie. Sur le modèle de l'impôt sur le revenu fonctionnant par tranches progressives, la fiscalité sur les successions pourrait prendre en compte l'accumulation du capital transmis, par héritage ou donation, tout au long de la vie d'un individu. Les rentrées fiscales supplémentaires pourraient financer la branche autonomie. Cette mesure a été proposée par le Conseil d'analyse économique292(*), qui n'a pas réalisé d'évaluation sur les recettes fiscales associées.


* 290 Fonds de solidarité vieillesse.

* 291 Caisse d'amortissement de la dette sociale.

* 292 « Repenser l'héritage », note du Conseil d'analyse économique n° 69, décembre 2021.

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