B. SOLVABILISER LA DEMANDE

1. Le recours à une solution assurantielle
a) Le marché de l'assurance dépendance

Le marché de l'assurance dépendance privée est actuellement d'une ampleur limitée. Couvrant 7,4 millions de personnes, il générait 814 millions d'euros de cotisations, à comparer aux 40 milliards d'euros générés par le marché des complémentaires santé282(*).

Trois catégories d'acteurs interviennent sur le marché de l'assurance dépendance : les sociétés d'assurances régies par le code des assurances, les mutuelles de santé régies par le code de la mutualité et les institutions de prévoyance régies par le code de la sécurité sociale.

Les garanties dépendance individuelles sont généralement proposées dans le cadre de deux types de contrats : les contrats de prévoyance (dans lesquels elle est la garantie principale) et les contrats d'assurance-vie (dont elle constitue une garantie complémentaire optionnelle).

Les garanties et les conditions proposées par ces offres sont hétérogènes. C'est en effet le contrat d'assurance qui définit la notion de dépendance, la plupart des contrats faisant appel à des critères relatifs à la dépendance psychique ou à la dépendance fonctionnelle ou physique, ainsi que les conditions de mise en jeu de la garantie. Selon les contrats, l'état de dépendance peut être soit déterminé par le médecin traitant, soit par le médecin désigné par la compagnie d'assurance. Les garanties couvrent soit la dépendance totale, soit la dépendance partielle.

Certains contrats d'assurance dépendance sont labellisés, ce qui permet de leur donner une meilleure lisibilité. Ainsi, le label Garantie Assurance Dépendance (GAD), délivré par France Assureurs, peut être accordé aux contrats respectant certains critères comme le versement d'une rente minimale de 500 euros en cas de dépendance lourde, l'absence de sélection médicale pour toute souscription avant l'âge de 50 ans ou encore le maintien partiel des droits en cas d'interruption de paiement des cotisations. Les contrats labellisés « GAD » ne couvraient, fin 2020, que 179 100 personnes.

b) La proposition des organismes complémentaires

À l'occasion de l'élection présidentielle de 2022, France Assureurs et la Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF) ont proposé de mettre en place, en partenariat avec les pouvoirs publics, un dispositif de prise en charge de la dépendance reposant sur une mutualisation large à moindre coût.

Ce dispositif, obligatoire, permettrait à tous les assurés de bénéficier d'un tarif unique. L'âge à partir duquel la cotisation serait prélevée et le niveau de la rente viagère garantie en cas de dépendance devraient être déterminés par les pouvoirs publics.

Le socle de base du dispositif offrirait une garantie prévoyant le versement d'une rente viagère, dont le montant pourrait être de 300 euros à 500 euros selon le niveau de la cotisation, en cas de « dépendance totale » définie par référence aux GIR 1 et 2.

Concrètement, pour avoir droit à une rente de 500 euros par mois, les assurés devraient cotiser à hauteur de 9,50 euros mensuels à partir de 22 ans, de 13,70 euros à partir de 42 ans ou de 24,20 euros à partir de 62 ans. Ce tarif serait constant jusqu'à la liquidation de la rente.

Cette garantie serait rattachée aux contrats d'assurance complémentaire santé responsables. Le dispositif prévoit la portabilité de la garantie dépendance en cas de changement de complémentaire santé, donnant ainsi à chaque assuré la liberté de choisir son organisme assureur en fonction de l'évolution de sa situation.

La mutualisation du risque serait assurée au sein d'un « pool de coassurance » permettant une totale transparence dans la gestion du risque. Ce pool effectuerait le pilotage de long terme du risque, en cohérence avec les pouvoirs publics. Il garantirait et provisionnerait les sinistres et couvrirait financièrement de manière viagère les dépendants totaux.

Au-delà du socle de base, les organismes complémentaires pourraient proposer des garanties dépendance complémentaires plus larges (montants de rente supérieurs, couverture dépendance partielle, assistance, etc.).

c) Mobiliser une solution assurantielle pour supprimer le reste à charge dépendance

La généralisation d'une solution assurantielle semble incontournable afin de solvabiliser la demande et de financer la prise en charge de la dépendance.

Cependant, si l'idée d'une prestation en espèces présente l'avantage de la simplicité, ce modèle ne garantit pas la qualité de la prise en charge des personnes âgées dépendantes et pourrait laisser prospérer des modes d'accompagnement informels.

Au regard des montants en jeu, une prestation dépendance généralisée pourrait prendre en charge une partie du reste à charge des personnes âgées, que ce soit à domicile ou en établissement. Pour les résidents d'Ehpad, ceci pourrait permettre de supprimer le reste à charge sur la section dépendance et de réduire le reste à charge sur la section hébergement.

En contrepartie, il conviendrait de déduire cette prise en charge de la réduction d'impôt sur les frais d'accueil en Ehpad.

Pour les rapporteures, il serait souhaitable d'intégrer au modèle tous les bénéficiaires de l'APA, ouverte aux personnes âgées de 60 ans ou plus en GIR 1 à 4, à condition que cela ne conduise pas à fixer des tarifs trop élevés.

Proposition n° 18 : Généraliser une solution d'assurance dépendance afin de couvrir une partie du reste à charge des résidents.

Cette généralisation d'une assurance dépendance devrait être soumise à la discussion des partenaires sociaux. En cas de rattachement aux contrats de complémentaire santé responsable, une participation de l'employeur pourrait être obligatoire pour les salariés.

En revanche, le rattachement aux contrats de complémentaire santé responsables pourrait conduire à exclure certains publics, en particulier les bénéficiaires de prestations spécifiques comme la complémentaire santé solidaire. Une prestation publique complémentaire, avec ou sans participation financière, pourrait être envisagée pour pallier cet effet : une extension de la Complémentaire santé solidaire (C2S) pourrait remplir cet objectif.

2. Réduire le reste à charge de la section hébergement par une baisse du coût de l'immobilier via un bail réel solidaire

Le prix du foncier est un des facteurs déterminants du montant du tarif hébergement. Il conduit à de fortes inégalités territoriales dans l'accès aux institutions. La Guadeloupe est un parfait exemple du risque de fracture sociale liée au prix des Ehpad283(*). Face à ce constat, jouer sur le prix du foncier semble être le meilleur levier pour réduire le reste à charge ou, à défaut, le maintenir tout en restaurant une capacité d'investissement pour les établissements.

La loi dite « Alur »284(*) a créé le bail réel solidaire. Ce dispositif permet à des ménages modestes d'accéder à la propriété en acquérant les murs, tandis que le sol reste la propriété d'un organisme foncier solidaire à qui le ménage devra payer une redevance durant une période donnée. Ce mécanisme permet de réduire d'environ 30 % le prix à l'achat pour les ménages et lutte contre la spéculation immobilière dans les zones tendues, le propriétaire des murs ne pouvant revendre le bien au-dessus du prix de vente maximal au mètre carré déterminé par le bail réel solidaire.

En s'inspirant de ce modèle, une collectivité territoriale, via un organisme foncier solidaire, pourrait offrir à moindres coûts un terrain à un Ehpad, tout en restant propriétaire du sol. Des conditions pourraient être incluses pour que les Ehpad puissent bénéficier de ce dispositif, que ce soit en matière de conditions sociales (rémunération des soignants, ratio soignant/résidents), de type d'offre (part d'habilitation à l'aide sociale) ou bien de qualité du bâti (consommation énergétique, etc.).

Ce dispositif permettrait aux collectivités de ne pas commettre de libéralité avec le domaine public, de s'assurer de la présence d'un service public du grand âge sur leur territoire et de réduire le reste à charge pour les résidents, et ce sans se déposséder de terrains. Un tel dispositif présenterait un intérêt certain dans les territoires manquant d'Ehpad comme la Guadeloupe. Il pourrait soit contribuer à réduire le reste à charge, soit créer une capacité d'investissements pour les établissements.

Proposition n° 19 : Créer un dispositif analogue au bail réel solidaire pour les Ehpad habilités à l'aide sociale.

3. Mobiliser l'épargne des usagers
a) L'existence de dispositifs de régulation du reste à charge

Plusieurs dispositifs publics peuvent être mobilisés afin de réduire le reste à charge des résidents sur le tarif hébergement :

• L'aide sociale à l'hébergement (ASH), financée par les conseils départementaux, représentait en moyenne 1 010 euros par mois par bénéficiaire en 2017, une fois déduite la participation des résidents et de leur famille. Entre 2015 et 2020, on observe une érosion du nombre de bénéficiaires, passant de 122 000 à 117 000285(*).

Le fait qu'elle puisse être reprise sur succession et conduire à la mobilisation d'obligés alimentaires (270 euros en moyenne par mois) a été évoqué par plusieurs personnes auditionnées comme une cause de non-recours à cette prestation. Toutefois, selon le rapport Pires-Beaune, « les déterminants du recours ou non à l'ASH et la bonne perception des impacts de l'ASH, de la mise en oeuvre de l'obligation alimentaire ou du recours sur succession constituent largement des terra incognita »286(*).

• Les résidents des Ehpad peuvent bénéficier d'une aide au logement sous condition de ressources et sous réserve que l'établissement soit leur résidence principale. Deux aides au logement (non cumulables) sont accessibles aux personnes âgées qui vivent en établissement :

- l'aide personnalisée au logement (APL) qui est versée uniquement si l'établissement est conventionné APL ;

- l'allocation de logement sociale (ALS), versée si l'établissement n'est pas conventionné et dont le montant est moins élevé que celui de l'APL.

Le montant total de ces aides (324 millions d'euros par an) apparaît faible par rapport aux masses financières que représentent les frais d'hébergement. Au niveau individuel, alors que les frais de séjour s'élèvent en moyenne à 2 385 euros par mois en 2019, dont 1 875 euros pour l'hébergement et 510 euros pour la dépendance, les personnes âgées touchent en moyenne 44 euros d'aide au logement287(*).

• Les dépenses effectivement réalisées sont éligibles à une réduction d'impôt, à hauteur de 25 % de leur montant, dans la limite de 10 000 euros par personne hébergée.

Ces dispositifs doivent permettre de garantir qu'il n'y ait pas de barrière financière à l'entrée en Ehpad.

b) La nécessité de mettre à contribution les résidents et leur famille

Réduire le reste à charge des résidents et de leur famille afin qu'il reste supportable est, dans une certaine mesure, un objectif légitime mais il ne saurait être prioritaire par rapport au développement de l'offre d'accompagnement et d'hébergement des personnes âgées en perte d'autonomie.

Les rapporteures considèrent qu'il n'est pas illogique, dans une perspective de cycle de vie, que l'épargne des résidents soit mobilisée pour financer leur hébergement en Ehpad.

De même, l'obligation alimentaire - que la loi « bien-vieillir » a supprimée pour les petits-enfants288(*)- devrait continuer à s'imposer malgré la complexité de sa mise en oeuvre.

L'obligation alimentaire

Aux termes de l'article 205 du code civil, « les enfants doivent des aliments à leurs père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin ».

Ce principe trouve à s'appliquer en matière d'aide sociale à l'hébergement, celle-ci étant subsidiaire par rapport à la solidarité familiale.

Ainsi, l'article L. 132-6 du code de l'action sociale et des familles dispose que les débiteurs d'aliments - enfants, gendres et belles-filles - sont, à l'occasion de toute demande d'aide sociale, invités à indiquer l'aide qu'ils peuvent allouer aux postulants et à apporter, le cas échéant, la preuve de leur impossibilité de couvrir la totalité des frais.

En pratique, lorsqu'une demande d'admission à l'ASH est déposée, le président du conseil départemental fixe le montant de l'obligation alimentaire des débiteurs d'aliments en fonction de leurs ressources respectives. Pour ce faire, il tient compte des ressources du débiteur d'aliments et de son éventuel conjoint ou concubin ainsi que de sa situation familiale.

Chaque conseil départemental dispose d'un barème indicatif pour déterminer la participation des obligés alimentaires en matière d'ASH. Ce barème fixe une somme au-dessous de laquelle aucune contribution alimentaire ne peut être sollicitée.

Toutefois, la loi dispense de cette obligation :

- les enfants qui ont été retirés de leur milieu familial par décision judiciaire durant une période d'au moins 36 mois cumulés au cours des 18 premières années de leur vie, sous réserve d'une décision contraire du juge aux affaires familiales ;

- les enfants dont l'un des parents est condamné comme auteur, co-auteur ou complice d'un crime ou d'une agression sexuelle commis sur la personne de l'autre parent, sous réserve d'une décision contraire du juge aux affaires familiales (cette dispense porte uniquement sur l'aide au parent condamné) ;

- les petits-enfants, dans le cadre d'une demande d'ASH pour le compte de l'un de leurs grands-parents.

La proportion de l'aide sociale consentie par le département est fixée en tenant compte du montant de la participation éventuelle des personnes restant tenues à l'obligation alimentaire.

Un rapport de l'Igas de 2011 a démontré que le régime de l'obligation alimentaire est une « source d'insécurité juridique structurelle » des décisions des départements en matière d'ASH. En effet, les départements n'ont pas compétence pour fixer la participation de chacun des obligés alimentaires par une décision unilatérale et exécutoire. Cette insécurité se combine avec une fragilité découlant de l'absence de barème national de l'obligation alimentaire. Les décisions des conseils départementaux doivent ainsi être prises avec une part d'incertitude relativement élevée. L'Igas recommandait ainsi de donner aux conseils départementaux compétence pour fixer unilatéralement, dans le cadre d'un barème national, le montant de l'obligation alimentaire en faveur des demandeurs de l'ASH, sans faire dépendre le montant de cette obligation d'une décision du juge aux affaires familiales289(*).

Sous réserve de renforcer et de sécuriser ce régime, il pourrait être envisagé d'automatiser la récupération par le département des informations sur les ressources des obligés alimentaires, voire, en cas de difficulté pour faire jouer l'obligation alimentaire, d'imaginer un dispositif d'intermédiation financière, à l'image du dispositif créé pour les pensions alimentaires.


* 282 « Construire une nouvelle solution solidaire et transparente face à la dépendance liée à l'âge », livre blanc de France Assureurs, 2022.

* 283 Pour plus de précisions, voir la première partie I.,C.,2.,b.

* 284 Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové.

* 285 Source : Drees.

* 286 « Garantir la prise en charge des personnes âgées en établissement, encadrer leur reste à charge », rapport à la Première ministre de Mme Christine Pires-Beaune, juin 2023.

* 287 Source : Drees.

* 288 Loi n° 2024-317 du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien-vieillir et de l'autonomie - Article 23.

* 289 Igas, Modalités de mise en oeuvre de l'aide sociale à l'hébergement, mai 2011.

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