F. POUR UN VÉRITABLE PLAN DE RATTRAPAGE EN OUTRE-MER

Trois collectivités ultra-marines connaissent un vieillissement accéléré : la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion. La Guyane et Mayotte restent relativement épargnés par cette transition démographique accélérée du fait de leur fort taux de natalité et d'un solde migratoire nettement positif254(*).

1. Le vieillissement accéléré de la Guadeloupe et l'explosion de la dépendance
a) Le vieillissement accéléré de la Guadeloupe

La Guadeloupe, comme le reste des Antilles et La Réunion, connaît un vieillissement accéléré et plus rapide que dans l'Hexagone. La transition démographique y est caractérisée par une forte augmentation de l'espérance de vie et une baisse spectaculaire de la fécondité. Entre 1965 et 2020, en Guadeloupe, le nombre d'enfants par femme est passé de 6,5255(*) à 2,33256(*), tandis que l'espérance de vie est passée respectivement de 62,5 ans pour les hommes et 67,3 ans257(*) pour les femmes à 77,6 et 83,6 ans258(*).

Sur un temps plus court, la part de personnes âgées de plus de 60 ans est passée de 21 % en 2013 à 30 % en 2023259(*). Ainsi, la Guadeloupe passera du quatre-vingt sixième rang des départements les plus âgés de France en 2013 au sixième en 2050260(*). En 2070, un habitant sur deux aura au moins 58 ans261(*). Cette transition va se traduire par un solde démographique négatif, passant de 384 000 habitants en 2021 à 242 000 en 2070.

La pyramide des âges de la Guadeloupe en 2017 et en 2030

Source : Insee, « La Guadeloupe face au défi de la dépendance des seniors à l'horizon 2030 », 2021

Ce phénomène est amplifié par l'émigration de la population. En 2021, le solde migratoire net de l'archipel est négatif : la Guadeloupe a ainsi perdu 2 886 habitants262(*). En 2010, c'étaient 35 % des personnes en âge d'être actives nées en Guadeloupe qui vivaient dans l'Hexagone ; cette part dépassait les 40 % chez les 20-34 ans263(*). 53 % des natifs de la Guadeloupe âgés de 20 à 34 ans et diplômés du supérieur travaillaient et vivaient en France hexagonale. Cet exode de la jeunesse renforce le vieillissement de la population et la difficulté à engager un virage pour le gérer. Entre 2011 et 2021, la part des moins de 25 ans dans la population est ainsi passée de 34 % à 29 %. La Guadeloupe est ainsi la troisième région française comptant le moins de jeunes après la Martinique et la Corse264(*).

b) L'explosion des besoins liés à la dépendance sur un territoire inadapté
(1) En dépit d'une relative stabilité du taux de dépendance, une explosion des besoins par un effet d'échelle

Ce vieillissement de la population se conjugue avec une explosion des besoins relatifs à la dépendance dans la région. Selon les projections de l'Insee, il existera, au cours de la prochaine décennie, une relative stabilité du taux de dépendance. Entre 2020 et 2030, la part des personnes âgées dépendantes (GIR 1 à 4) va passer de 20,14 % à 21,17 %, tandis que la part de celles étant sévèrement dépendantes (GIR 1 à 2) va se maintenir à 4,5 %.

Ce n'est donc pas un effet qualitatif qui va conduire à une explosion des besoins de dépendance mais un effet quantitatif, aussi appelé effet d'échelle. Autrement dit, la hausse des besoins de dépendance n'est pas due à une détérioration de l'autonomie moyenne des personnes âgées, mais à une explosion de leur nombre. L'effectif de la population ayant plus de 75 ans va augmenter d'environ 50 %. Or, 40 % de cette cohorte est dépendante, augmentant mécaniquement les besoins de prise en charge. Entre 2020 et 2030, il faudra créer 1 620 emplois de plus dans le secteur de la dépendance qu'aujourd'hui pour gérer cette transition, soit une croissance de 31,95 %, et ce alors que la population en âge de travailler diminuera de 9 % à 16 % durant cette même période.

Évolution de la dépendance en Guadeloupe en effectif et en pourcentage entre 2020 et 2030

Source : Commission des affaires sociales d'après Insee, « La Guadeloupe face au défi de la dépendance des seniors à l'horizon 2030 », 2021

Évolution de la dépendance en Guadeloupe entre 2020 et 2030

 

2020

2030

Population des 60-74 ans

69 403

81 759

Population des 75 ans et plus

33 770

50 370

Dépendance (GIR 1 à 4) en effectif

20 777

27 972

Dépendance sévère (GIR 1 à 2) en effectif

4 673

5892

60-74 ans en situation de dépendance

7 316

8 399

dont 60-74 ans en situation de dépendance sévère (GIR 1 à 2)

1 014

1 076

75 ans et plus en situation de dépendance

13 461

19 573

dont 75 ans et plus en situation de dépendance sévère (GIR 1 à 2)

3 659

4 816

Taux de dépendance en %

20,14 %

21,17 %

Taux de dépendance sévère en %

4,53 %

4,46 %

Taux de dépendance des 60 à 74 ans (GIR 1 à 4)

10,54 %

10,27 %

Taux de dépendance des 75 ans et plus (GIR 1 à 4)

39,86 %

38,86 %

Taux de dépendance sévère des 60 à 74 ans (GIR 1 à 2)

1,46 %

1,32 %

Taux de dépendance sévère des 75 ans et plus (GIR 1 à 2)

10,84 %

9,56 %

Source : Commission des affaires sociales d'après Insee, « La Guadeloupe face au défi de la dépendance des seniors à l'horizon 2030 », 2021

(2) Une solidarité familiale freinant le développement des Ehpad sur un territoire inadapté au vieillissement de la population

Si la solidarité familiale est une chance pour aborder le virage domiciliaire265(*), elle est aujourd'hui un risque pour la bonne gestion de la transition démographique de la Guadeloupe. Tout d'abord, cet attachement à la solidarité familiale se traduit par un sous-investissement dans les infrastructures d'hébergement, et ce en dépit de la hausse de la dépendance. Ensuite, la solidarité familiale, notamment envers les plus âgés, sera de plus en plus lourde à porter du fait de la hausse de la part des personnes âgées dans la population, mais aussi du départ durable des jeunes vers l'Hexagone. Il ne sera pas possible de faire reposer la prise en charge des personnes dépendantes sur la solidarité familiale lorsque 50 % de la population aura au moins 58 ans en 2070. Par ailleurs, l'évolution des structures familiales (famille monoparentale, enfant unique, décohabitation, etc.) va amenuiser les ressources humaines et financières à disposition pour aider les proches dépendants. Enfin, les difficultés financières que connaissent les jeunes générations vont conduire à une concurrence entre le soutien financier aux parents et aux enfants.

La solidarité familiale ne prend pas en compte la hausse du nombre de personnes dépendantes, requérant soit des soins lourds et donc du temps, soit une très grande adaptation à la fois de l'habitat et du quartier. Si l'habitat peut être adapté grâce aux dispositifs existants, notamment avec Ma PrimeAdapt', le vieillissement de la population imposera de repenser les villes. Les Assises des Outre-mer ont relevé que l'offre de transports en commun était inadaptée sur l'archipel par manque de maillage territorial, de véhicules adaptés, d'accès aux lieux de vie. Concernant l'urbanisme, elles ont mis en évidence que l'accessibilité des trottoirs était limitée, mais aussi que les plans locaux d'urbanisme prévoyaient peu cette adaptation nécessaire au vieillissement de la population. Enfin, la topographie même de l'archipel est un frein à l'adaptation du territoire par ses reliefs.

c) Une urgence : lancer un plan de rattrapage de l'offre en Guadeloupe

La Guadeloupe n'est pas préparée à affronter sa transition démographique. Le vieillissement accéléré de l'archipel n'a pas été anticipé et les pouvoirs publics tardent à développer une nouvelle offre pour les personnes âgées dépendantes. Trois principaux axes émergent et pourraient faire l'objet d'un plan d'urgence visant à désamorcer la bombe démographique guadeloupéenne : le reste à charge, la diversification des structures d'hébergement, la désirabilité des établissements.

Proposition n° 16 : Lancer un plan de rattrapage de l'offre d'Ehpad en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion, dont un volet d'investissement spécifique pour la construction d'Ehpad publics en Guadeloupe et un plan de formation de la population locale aux métiers du soin.

Concernant le reste à charge, il est constaté par la DGCS que la Guadeloupe est le département dans lequel la différence entre le revenu médian et le reste à charge est la plus élevée, le premier s'établissant à 15 770 euros par an et le second à 39 600 euros par an. Ce différentiel limite l'accès à l'hébergement aux Guadeloupéens, faute de moyens financiers. Par ailleurs, la concurrence entre le soutien financier aux enfants et aux parents par la génération pivot renforce cette difficulté à payer le reste à charge.

C'est pourquoi, le développement d'un bail réel solidaire en faveur de la construction de nouveaux Ehpad, dont la majorité des places sont habilitées à l'aide sociale, pourrait réduire le reste à charge en jouant sur le prix du foncier266(*).

La construction d'une offre publique d'Ehpad pourrait également être vectrice d'une baisse du reste à charge. En effet, si l'offre guadeloupéenne est marquée par son reste à charge élevé, c'est aussi parce que les places d'Ehpad sont à 70,38 % proposées au sein du privé à but lucratif. La part des places habilitées à l'aide sociale y est plus faible que dans le reste du pays. Le développement d'une offre publique pourrait réduire en partie le reste à charge. Pour cela, l'État et le département de Guadeloupe pourraient co-investir dans un plan de rattrapage de l'offre d'hébergement avec pour objectif de doubler la part des places en Ehpad public à horizon 2030, soit 35 % de l'offre proposée.

Le dernier frein à lever au développement d'une offre guadeloupéenne est celui de la culture. Si les Ehpad sont perçus comme inadaptés à la culture guadeloupéenne, une campagne de communication des pouvoirs publics sur les services offerts en Ehpad pourrait renforcer l'adhésion à ces établissements. En développant une offre d'habitat intermédiaire dans l'archipel, à proximité voire sur le terrain des Ehpad267(*), un sas entre le domicile et l'hébergement pourrait être constitué, facilitant les transitions.

2. La Martinique : accompagner la transition démographique et le vieillissement accélérés

En 2050, la Martinique sera la collectivité territoriale la plus âgée de France, alors qu'elle était la 73e en 2013. Cette évolution de la pyramide des âges est explicable par différents facteurs : une diminution du taux de fécondité et une émigration des jeunes, notamment qualifiés268(*), vers l'Hexagone269(*).

Longtemps, la Martinique a été l'un des départements avec l'indice conjoncturel de fécondité le plus faible ; celui-ci s'installe à 1,93 enfant par femme en 2020 (contre 1,79 en France métropolitaine). Depuis 2020, le nombre de décès dépasse le nombre de naissances270(*). En parallèle, l'émigration de la population vers l'Hexagone contribue à hauteur de 1 % du solde naturel négatif sur la période 2015-2021271(*).

La Martinique connaît à la fois un déclin démographique et un vieillissement de sa population. Entre 2015 et 2021, la population martiniquaise a diminué de 0,9 % par an en moyenne, tandis que la population française a crû de 0,3 % par an sur la même période272(*). Ainsi, entre 2012 et 2022, la Martinique a perdu 10 % de sa population. Selon les estimations de l'Insee, la population martiniquaise devrait passer de 385 000 habitants en 2013 à 343 000 en 2030273(*).

Le territoire connaît en outre une transition démographique accélérée. Entre 2016 et 2020, le nombre de personnes de plus de soixante ans a augmenté de 4 % par an et devrait continuer à croître de 2 % par an entre 2020 et 2030. La part des seniors dans la population martiniquaise passera de 25 % en 2020 à 40 % en 2030. Sur la même période, les personnes de plus de 75 ans représenteront 15 % de la population contre 9 % en 2016. Ainsi, en 2030, il y aura deux fois plus de seniors en Martinique que de personnes de moins de vingt ans274(*).

Ce vieillissement de la population se cumule avec une augmentation de la dépendance. Si le taux de dépendance stagne aux alentours de 15 %, la hausse du nombre de personnes âgées conduit irrémédiablement à une hausse des besoins. D'ici à 2030, le nombre de seniors en situation de dépendance subira augmentera de 30 %. Si, jusqu'alors la solidarité familiale a permis de prendre en charge des personnes âgées, la paupérisation de la population et le desserrement des liens au sein des structures familiales pourraient engendrer des tensions dans la prise en charge des personnes âgées.

En dépit des prévisions démographiques, le taux d'équipement reste largement inférieur aux besoins à venir. Pour 1 000 personnes âgées de plus de 75 ans, le nombre de places en institution est de 49 lits d'hébergement et de 45 lits médicalisés contre respectivement 124 et 104 dans l'Hexagone. La spécificité de la Martinique tient à l'absence d'Ehpad privé à but lucratif : l'offre se partage entre le public (51,5 %) et le privé à but non lucratif (48,5 %)275(*).

D'ici 2030, il sera nécessaire d'augmenter de 25 % le nombre d'ETP par rapport à 2020. Or, sur la même période, le nombre de personnes en âge de travailler se réduira de 15 % sur ce territoire. En 2020, la Martinique a cependant un taux de chômage 1,3 fois supérieur à celui de la moyenne nationale et le taux de personnes en emploi est de dix points inférieur à celui de la France.

Face à l'urgence sociale, il conviendrait donc de doubler le nombre de places d'Ehpad d'ici à 2030 en Martinique et de lancer un plan massif de formation du personnel au chevet des résidents. Cette nouvelle offre d'Ehpad devrait notamment comprendre une large part de places habilitées à l'aide sociale, le taux de pauvreté des personnes âgées de plus de 75 ans en Martinique culminant à 30 %276(*).

3. La Réunion : une transition démographique rapide mais encore sous contrôle

La Réunion se caractérise elle aussi par un vieillissement accéléré de sa population, bien que légèrement plus faible qu'en Guadeloupe et à la Martinique. La Réunion est actuellement la 3e région la plus jeune de France : 21 % de sa population a plus de 60 ans contre 27 % dans l'Hexagone. Cependant, d'ici 2050, le nombre de personnes âgées de plus de 75 ans sera multiplié par trois.

Au sein de cette population, la surreprésentation des personnes en perte d'autonomie peut être source de tensions. La Réunion est un des seize départements où la perte d'autonomie à domicile est la plus élevée du territoire national : plus de 9 % des personnes de plus de soixante ans vivant à domicile sont en perte d'autonomie contre 7,3 % pour la moyenne nationale. Pour les personnes ayant entre 75 et 84 ans et vivant à domicile, 14 % connaissent une perte d'autonomie contre 9 % pour la moyenne nationale277(*). Ainsi, à âge comparable, les Réunionnais vieillissent moins bonne santé que leurs compatriotes.

Ce différentiel est explicable par la précarité que subit la population réunionnaise où le taux de pauvreté est 2,5 fois plus élevé qu'au niveau national, celle-ci conduisant à une limitation du recours aux soins. Par ailleurs, comme en Guadeloupe et en Martinique, le recours à la solidarité familiale et intergénérationnelle conduit à limiter les placements en institution. La surreprésentation de la population âgée en perte d'autonomie à domicile est également liée à la faiblesse des institutions d'accueil des personnes âgées dépendantes : le nombre de places en Ehpad est de 35 pour 1 000 personnes âgées de plus de 75 ans.

Enfin, l'espérance de vie à la vie naissance depuis 2011. Celle-ci est passée respectivement de 78,9 ans pour les hommes et 85 ans pour les femmes en 2011 à 74 ans et 81,4 ans en 2021, alors que la France métropolitaine gagne sur la même période 6 ans d'espérance de vie278(*).

Un plan de rattrapage pour les outre-mer pourrait donc comprendre un objectif de développement de l'offre de places d'Ehpad à La Réunion, ainsi qu'un plan de prévention de la perte d'autonomie sur l'île.


* 254 Rapport d'information (n° 2662, A. N., XVe législature), déposé le 6 février 2020, par Mmes Stéphanie Atger et Ericka Bareigts sur le grand âge dans les outre-mer.

* 255 Jean-Paul Sardon, « Transition démographique aux Antilles françaises », Population et sociétés, 1980.

* 256 Insee, « En 2020, un ralentissement des naissances et une hausse des décès », 2021.

* 257 Christine Catteau et Pierre Bazély, « L'évolution récente de la mortalité à la Réunion au regard des tendances en Antilles-Guyane et en Métropole », Espace population sociétés, 2004.

* 258 Insee, « En 2021, plus de décès que de naissance en Guadeloupe », 2023.

* 259 Insee, « En 2022, les naissances et les décès baissent en Guadeloupe, la population continue de vieillir », 2023.

* 260 Rapport d'information (n° 2662, A. N., XVe législature), déposé le 6 février 2020, par Mmes Stéphanie Atger et Ericka Bareigts sur le grand âge dans les outre-mer.

* 261 Insee, « 314 000 habitants en Guadeloupe dans 20 ans, 242 000 à l'horizon 2070 », 2022.

* 262 Insee, « En 2021, plus de décès que de naissances en Guadeloupe », 2023.

* 263 Claude-Valentin Marie, « Les DOM à l'horizon 2030 entre migration, vieillissement et précarité », 2013.

* 264 Insee, « En 2021, plus de décès que de naissances en Guadeloupe », 2023.

* 265 Pour plus de précisions, voir la première partie, I.,C.,2.,b.

* 266 Pour plus de précisions, voir la seconde partie, VI,B.,2.

* 267 Pour plus de précisions, voir la seconde partie, V.,E.,1.

* 268 Ined, « Migrations, Famille et Vieillissement en Guadeloupe », 2023.

* 269 Rapport d'information (n° 658, 2022-2023), déposé le 31 février 2023, par Mmes Catherine Deroche, Corinne Féret, Jocelyne Guidez, Colette Mélot et M. Philippe Mouiller sur le vieillissement de la population en Martinique.

* 270 Insee, « En 2021, forte hausse des décès en Martinique », 2023.

* 271 Insee, « L'essentiel sur... la Martinique », 2024.

* 272 Ibid.

* 273 Insee, « La Martinique face au vieillissement de la population : hausse importante du nombre de seniors dépendants à l'horizon 2030 », 2020.

* 274 Ibid.

* 275 Drees, Enquête EHPA de 2019, 2023.

* 276 Ibid.

* 277 Insee, « Davantage de seniors en perte d'autonomie à domicile à La Réunion que dans l'Hexagone », 2023.

* 278 Insee, « En 2021, forte hausse des décès en Martinique », 2023.

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