C. AIDES TECHNIQUES : PRÉVENIR LA PERTE D'AUTONOMIE DES RÉSIDENTS
La gérontotechologie renvoie à l'ensemble des innovations et technologies visant l'amélioration de la vie quotidienne des personnes âgées. Il existe, à ce titre, deux types de technologies : celles palliant des déficits (compensation/substitution) et celles maintenant les capacités d'un individu (stimulation/accentuation). La vision des résidents est ambivalente quant à la technologie : ils perçoivent à la fois les avantages de ces services en matière de prévention de la perte d'autonomie, mais craignent une dépendance à la technologie234(*).
Dès 2004, le rapport de Jean Giard et Anne-Laure Tinel relève que plusieurs facteurs influent sur la capacité d'appropriation de ces innovations par les personnes âgées : situation personnelle, capacité physique, conditions d'habitat et le degré de technophilie235(*). Cependant, la génération des baby-boomers arrivant aujourd'hui en Ehpad est bien plus technophile que les anciennes générations, la crise sanitaire ayant eu un effet accélérateur sur leur usage du numérique car vecteur de lien social236(*). S'il convient de relever que l'illectronisme touche 61,9 % des plus de 75 ans, seuls 21,3 % des 60-74 ans subissent ce phénomène237(*). La génération qui vient souhaitera donc retrouver dans les Ehpad les technologies qu'elle utilise au quotidien et n'aura pas de difficultés à adopter des aides techniques visant à la stimuler ou à compenser sa perte d'autonomie. Les proches auront un rôle à jouer pour renforcer cette appropriation.
Les nouvelles technologies peuvent à la fois faciliter le travail des soignants et prévenir, voire réduire, la perte d'autonomie des résidents. Les aides techniques jouent ce double rôle. En matière de domotique, les chemins luminescents permettent aux résidents de se déplacer durant la nuit pour garder leur autonomie et aller aux toilettes. Ce chemin permet également de ne pas mobiliser un soignant qui peut se concentrer sur d'autres tâches. La domotique permet également de détecter les chutes des résidents soit par des capteurs au sol, soit par des lunettes connectées. Les robots PARO, quant à eux, permettent aux personnes atteintes d'Alzheimer de communiquer plus facilement par une adaptation des mouvements du robot aux émotions de l'individu.
L'introduction de ces technologies représente un coût pour les Ehpad. Le personnel doit être formé à ces innovations, se les approprier et donc revoir leurs processus. Ensuite, l'expérimentation numérique demande également du temps d'échanges avec l'entreprise innovante pour adapter le dispositif aux besoins du terrain. Enfin, ces technologies peuvent finalement s'avérer inadaptées au bâti. Le déploiement de capteurs de chute a pu s'avérer inefficace, car sensibles aux claquements de porte.
L'intégration de ces technologies pose également des questions éthiques. Recourir à la technologie pour limiter la perte d'autonomie du résident conduit à créer une surveillance permanente de celui-ci. À ce titre, il existe un paradoxe : ces technologies redonnent de la liberté au résident en le surveillant. Les technologies développées pourraient donc s'activer sur demande du résident.
Cependant, l'offre de gérontotechnologies reste immature pour plusieurs raisons. Tout d'abord, ces technologies reposent régulièrement sur des partenariats entre un ou des établissements et une petite entreprise innovante. Or, la santé financière de la start-up peut se dégrader faute d'une généralisation de son produit, l'investissement des Ehpad est alors perdu et le tissu entrepreneurial est fragilisé. Ensuite, il existe un manque de communication de la part des pouvoirs publics sur les technologies disponibles et leur pertinence. Seule la presse spécialisée se fait l'écho de certaines technologies prometteuses ou en expérimentation. Le plus régulièrement, c'est la start-up qui vient à l'Ehpad, davantage que l'inverse. Cette faible exposition des technologies prometteuses conduit à une fragilité du marché, mais aussi à une indistinction des technologies ayant eu des effets concluants de celles n'en ayant pas eu. Seul le bouche-à-oreille permet d'avoir ce retour. Enfin, le financement public est confronté à des difficultés structurelles : refus d'évaluer les technologies, multiplicité des financeurs, absence de recensement des technologies existantes.
Face à ce constat, il est proposé que les pouvoirs publics, par leurs pouvoirs de régulation et d'incitation, structurent le marché de la gérontotechnologie. Les entreprises ont besoin d'un cadre clair et d'une capacité à voir leurs innovations les plus prometteuses être généralisées et subventionnables.
Ainsi, il pourrait être créé un organe chargé de l'évaluation de ces technologies. Ce centre distinguerait les innovations ayant des effets positifs évalués, celles étant prometteuses et celles non-évaluées, ouvrant la voie à des financements différenciés (subvention totale, subvention partielle dans le cadre d'une expérimentation, absence de subvention). L'ensemble de ces informations seraient disponibles à partir d'un annuaire recensant les gérontotechnologies.
Pour financer ce « bond technologique », la branche autonomie pourrait abonder le forfait soins (ou le futur forfait global soins et dépendance) de 5 000 euros par place tous les 8 ans238(*). Au niveau départemental ou régional, un référent technologie pourrait mener des audits au sein des Ehpad et leur conseiller certaines technologies ainsi qu'un programme d'actions visant à assurer leur correcte intégration dans les procédures existantes.
Proposition n° 15 : Créer un forfait aide technique de 5 000 euros par résident tous les 8 ans, financé par la section soins/dépendance.
* 234 Mélodie Bourgeais, Les nouvelles technologies en Ehpad : apports et limites pour les résidents et les professionnels soignants, 2018.
* 235 Jean Giard et Anne-Laure Tinel, L'innovation technologique au service du maintien au domicile des personnes âgées, 2004.
* 236 Luc Broussy, Nous vieillirons ensemble... 80 propositions pour un nouveau Pacte entre générations, 2021.
* 237 Insee, « 15 % de la population est en situation d'illectronisme en 2021 », 2023.
* 238 Marc Bourquin et Jean-Pierre Aquino, Les innovations numériques et technologiques dans les établissements et services pour personnes âgées, 2019.