V. MIEUX ADAPTER L'OFFRE AUX BESOINS
A. FAIRE DE L'ARCHITECTURE UN VECTEUR DE BIEN-ÊTRE DES RÉSIDENTS
Depuis 1999, le cahier des charges sur les standards de l'hébergement en Ehpad n'a pas évolué. Il ne s'est pas adapté aux évolutions techniques, ni aux aspirations et besoins des résidents. Pourtant, l'architecture revêt un rôle majeur dans le bien-être des résidents et pourrait participer au « réenchantement » des Ehpad. Si ces établissements sont qualifiés de « mouroir », c'est aussi en raison de l'incapacité des résidents à s'approprier ces lieux, enfermés dans leur aspect clinique. C'est pourquoi, l'architecture pourrait être un moyen de renforcer le taux d'occupation des Ehpad, en délestant les Ehpad de leur image de « mouroir » et en retissant un lien de confiance. Une transition est donc à opérer : faire de l'Ehpad, aujourd'hui lieu de soin, un lieu de vie.
1. Recréer un chez-soi
Dans l'optique d'améliorer le bien-être des résidents ainsi que l'image des Ehpad, une refonte du cahier des charges de 1999 doit être envisagée autour d'un triptyque : moderniser, personnaliser, démédicaliser. Repenser cette architecture devra viser un seul objectif : offrir aux résidents la possibilité de recréer un chez-soi.
La méthodologie pour construire cette refonte du cahier des charges pourrait se diviser en deux phases : diagnostic et contractualisation. Sur le diagnostic, les enquêtes EHPA de la Drees ou le tableau de bord de la performance médico-sociale de l'Anap semblent être les bons vecteurs pour collecter des informations. Cette remontée des données pourrait être renforcée en créant de nouveaux indicateurs utiles à la rénovation du bâti (DPE, nombre de places du restaurant, part des chambres proposées nues, type de chauffage, etc.). Comme en 1999, le recours au contrat d'objectifs et moyens pourrait assurer la rénovation progressive du parc immobilier à l'horizon 2030 ou 2035. La loi pourrait prévoir une refonte à intervalle régulier du cahier des charges pour l'adapter aux nouveaux standards de la société.
Concernant la modernisation, celle-ci passe par une refonte des standards prévus par le cahier des charges. Il convient de restructurer la dimension des espaces. Pour passer du lieu de soin au lieu de vie, il faut agrandir les espaces privatifs et rapetisser les espaces collectifs. Ainsi, comme le préconise le rapport de Luc Broussy198(*), la taille minimale des logements serait de 26 m² contre 21 m² actuellement. Cet agrandissement pourrait être l'occasion :
- d'assurer le respect des normes de 1999, notamment l'intégration d'une salle d'eau complète (toilettes, lavabo, douche) dans tous les logements alors que 21,2 % des établissements ont au moins une chambre sans douche ;
- d'adapter les logements aux aspirations contemporaines des résidents par la suppression de toutes les chambres à deux lits et la structuration des espaces privatifs (kitchenette, salon, chambre, lit non-visible depuis la porte d'entrée) pour qu'ils recouvrent une nature domestique et non hospitalière.
À l'inverse, la taille des espaces collectifs pourrait être réduite en installant des parois amovibles pour créer des coins plus intimes et chaleureux, tout en gardant une capacité à en faire de grands lieux de réception. À cet égard, les restaurants pourraient être scindés en plusieurs petits salons d'une vingtaine ou trentaine de personnes.
Proposition n° 11 : Généraliser une taille minimale de chambre de 26 m².
Les études relèvent que les Ehpad sont perçus comme impersonnels et trop proches de l'hospitalier199(*). L'agréable a été abandonné au profit de l'utile. Il faut donc redonner sa place au beau par la personnalisation des espaces personnels et collectifs. Concernant les logements, il pourrait être proposé aux futurs résidents le choix entre une chambre nue (hors matériel médical) et une chambre meublée. Qu'importe son choix, le résident doit pouvoir garder la possibilité de décorer cette pièce pour se l'approprier. Pour les espaces collectifs, il pourrait être offert aux résidents le droit de choisir les meubles achetés, de décorer les espaces, notamment les couloirs qui sont décrits comme longs et ternes.
Concernant la médicalisation, le bâti a été construit pour faciliter le travail des soignants. La perception permanente du matériel de soins conduit les résidents à rester dans un positionnement de patient. C'est pourquoi, en s'inspirant d'expériences étrangères, notamment du cas anglais, ce matériel médical pourrait être invisibilisé derrière des panneaux. Cette invisibilisation assurerait l'aspect domiciliaire de l'environnement. De même, les espaces de soin pourraient être mieux dissociés des espaces des résidents, en retirant les fenêtres des pièces de soin donnant sur l'intérieur.
2. De l'unité de soins au micro-quartier : faire de l'Ehpad un lieu de vie au coeur de la cité
Les Ehpad sont des lieux clos pour de nombreux résidents en perte d'autonomie. Tendanciellement, ces établissements accueillent des personnes de plus en plus âgées et dépendantes200(*), n'ayant plus les capacités physiques de sortir librement. En 2019, les résidents GIR 1 à 4 représentaient 83 % des personnes hébergées contre 57 % en 1998201(*). Dès lors, il devient urgent de reconstruire, au sein même des Ehpad, une vie de quartier.
Symboliquement, les unités pourraient être renommées « quartiers » par le personnel soignant, actant une démédicalisation des établissements. Les Ehpad pourraient s'ouvrir sur l'extérieur en aménageant les espaces : bancs, jardins partagés, potagers, petites places. Alors que seuls 71 % des Ehpad sont à proximité de commerces et de services ou bien de transports en commun202(*), ces installations permettraient d'intégrer les Ehpad dans le paysage et d'offrir aux résidents la possibilité de sortir en ayant des activités à proximité. Créer cet environnement, c'est offrir la possibilité aux résidents de s'approprier leur espace, d'avoir des activités sans créer un risque pour leur sécurité, le personnel étant dans le micro-quartier. Pour les proches, ces lieux deviendraient également des espaces privilégiés de rendez-vous.
Créer des micro-quartiers se traduirait également par une offre de services. Pour cela, des tiers lieux pourraient être implantés au sein des établissements : supérette, café, salon de coiffure. Dans les espaces ruraux, ces services pourraient être réunis comme cela se fait déjà dans certains territoires avec des cafés, ayant un service de supérette et de bureau de poste. Les maisons France Services pourraient également être un vecteur d'intégration des Ehpad dans les communes, en les installant en priorité sur le terrain de ces établissements. Cette stratégie ferait de l'Ehpad un pilier de la politique d'aménagement du territoire et de redynamisation des espaces ruraux et des villes moyennes. 69 % des Français vivent à moins de 5 kilomètres d'un Ehpad, ce maillage territorial est un atout pour ouvrir l'Ehpad sur la cité.
Proposition n° 12 : Ouvrir au sein des Ehpad existants dans les milieux ruraux dévitalisés des services publics (maison France Services, bureau de Poste, etc.) ou de première nécessité (supérette, etc.)..
Si la création de micro-quartiers peut être l'opportunité d'intégrer de nouveaux services au sein des Ehpad et de les transformer en des micro-coeurs de ville, les Ehpad pourraient également bénéficier de partenariats avec les clubs sportifs ou les écoles primaires pour permettre à de nouveaux publics de découvrir les Ehpad.
* 198 Luc Broussy, Jérôme Guedj et Anna Kuhn-Lafont, L'Ehpad du futur commence aujourd'hui. Propositions pour un changement radical de modèle, 2021.
* 199 Perrine Nedelec et al., « L'architecture des Ehpad et son influence sur le bien-être des résidents », Gérontologie et Société, 2023.
* 200 Drees, « Des résidents de plus en plus âgés et dépendants dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées », 2022.
* 201 Drees, Enquête EHPA de 2019, 2023.
* 202 Drees, Enquête EHPA de 2019, 2023.