C. RÉPONDRE À L'ENJEU DE LA FIDÉLISATION DU PERSONNEL

Au-delà des difficultés de recrutement, il existe une problématique essentielle de fidélisation des effectifs. Les auditions des rapporteures indiquent que la volatilité des ressources humaines s'est accentuée depuis la crise sanitaire. Ce phénomène doit pouvoir être contrebalancé par des politiques de ressources humaines privilégiant la qualité de vie au travail.

1. L'amélioration des conditions de travail
a) La prévention des risques professionnels

Diverses initiatives des pouvoirs publics visent à investir dans la prévention afin d'améliorer les conditions de travail dans les ESMS et de limiter les risques professionnels.

• 250 millions d'euros ont été consacrés entre 2021 et 2022 à des « investissements du quotidien » dans le cadre du volet médico-social du Ségur de l'investissement : ces investissements ont notamment concerné les conditions de travail du personnel soignant (matériels et dispositifs réduisant la pénibilité au travail et l'accidentologie).

• D'après la DGCS, les ARS consacrent chaque année près de 40 millions d'euros à des actions d'amélioration des conditions de travail dans le secteur des personnes âgées, telles que des formations à la prévention des risques professionnels et des troubles musculo-squelettiques (TMS) ou des expérimentations portant sur de nouvelles organisations de travail.

• Le programme « TMS-Pros » de l'Assurance maladie - risques professionnels, qui propose une démarche de prévention des troubles musculo-squelettiques, accompagne de nombreux Ehpad : 1 100 Ehpad identifiés comme étant parmi les plus « sinistrogènes » ont ainsi été inclus dans le programme entre 2019 et 2022.

Toutefois, les Ehpad privés restent peu incités à la prévention par la tarification des accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) : leur taux de cotisation AT-MP est en effet forfaitaire et indépendant de leur nombre de salariés alors que la tarification est en règle générale fondée sur la sinistralité de l'entreprise. Compte tenu de la sinistralité du secteur, cette dérogation pourrait être remise en cause. La Cour des comptes recommandait ainsi en 2022 de mettre en place progressivement une tarification AT-MP tenant compte du niveau de risque par catégorie d'ESMS et, le cas échéant, par établissement161(*).

En contrepartie de cette évolution, une subvention de la branche AT-MP pourrait contribuer au financement d'aides techniques permettant de réduire les risques liés au port de charges lourdes et aux postures contraignantes dans les Ehpad.

b) La prévention de l'usure professionnelle

L'article 17 de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 portant réforme des retraites162(*) a prévu la création, au sein de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), d'un fonds pour la prévention de l'usure professionnelle, destiné à soutenir les établissements de santé, les centres d'accueil et de soins hospitaliers et les établissements médico-sociaux publics. Ce fonds, alimenté par une dotation de l'assurance maladie, concourra au financement d'actions de sensibilisation et de prévention de l'usure professionnelle par les établissements concernés ainsi que de dispositifs d'organisation du travail permettant l'aménagement des fins de carrière au sein des établissements particulièrement exposés à des facteurs d'usure professionnelle.

Ce fonds devait être doté de 100 millions d'euros par an dès 2024. Toutefois, le décret devant mettre en application ce dispositif n'a pas encore été publié. À la suite de la mission confiée à deux personnalités qualifiées, Sophie Lebret et Rodolphe Soulié, des groupes de travail sont menés par la DGOS avec les représentants des employeurs et les organisations syndicales afin de préciser les modalités de fonctionnement du fonds. Les rapporteures appellent à la mise en oeuvre rapide de ce dispositif.

2. L'organisation du travail
a) Les lacunes de l'organisation du temps de travail

En matière de gestion des ressources humaines, l'une des principales faiblesses des Ehpad semble résider dans l'organisation du temps de travail.

L'Anap, qui accompagne les Ehpad dans ce domaine, a relevé certaines difficultés fréquemment rencontrées par les établissements : pas de maquette formalisée, peu ou pas de cycles de travail, une méconnaissance de la réglementation du temps de travail, une hétérogénéité des niveaux de compétence, peu ou pas de politique de gestion de l'absentéisme, peu d'informatisation des fonctions RH...

La tendance à opter pour une organisation du travail sur une amplitude de 12 heures semble se révéler sous-optimale :

- si ce mode d'organisation offre en théorie beaucoup de récupérations, ces temps ne sont pas toujours utilisés comme tels : en pratique, ils sont souvent « comblés » par des heures supplémentaires ou par des vacations dans d'autres établissements ;

- la longueur du temps de travail effectif se cumule avec des facteurs de pénibilité : travail de nuit, port de charges, mobilisation de malades lourds, troubles du comportement, etc. ;

- il est difficile de remplacer un salarié absent sur cette amplitude horaire ;

- cette organisation rend pratiquement impossible le respect de la réglementation sur le temps de travail (44 heures maximum par semaine dans la fonction publique).

b) Soutenir des modèles d'organisation innovants

Les Ehpad sont aujourd'hui incités à accélérer la transformation de leur organisation.

Les ARS disposent de crédits afin de les accompagner dans ce mouvement. Ainsi, l'ARS de Corse a programmé le déploiement d'au moins une « unité de vie adaptée » au sein de chaque Ehpad volontaire. Ces unités, dont l'objectif est de définir une organisation souple répondant aux besoins et attentes des personnes âgées, doivent irriguer le reste de l'établissement et permettre une évolution des pratiques professionnelles sur la base notamment d'un taux d'encadrement augmenté. Cette mesure est complétée par la possibilité, pour chaque Ehpad volontaire, de développer un pôle d'activités et de soins adapté (Pasa) et de proposer un panel de services incluant obligatoirement l'accueil temporaire.

Selon l'Anap, des modèles émergents d'organisation en « équipes responsabilisées », expérimentés notamment par des Ehpad de la fondation Partage et Vie et de la Croix-Rouge, semblent apporter des résultats significatifs sur le niveau de satisfaction des résidents, de leurs familles et des salariés mais également sur le taux d'absentéisme. De tels modèles devraient être évalués en vue d'être plus largement diffusés.

c) Renforcer les dispositifs améliorant le bien-être et la sérénité des résidents

Des dispositifs permettant d'améliorer le bien-être des résidents, notamment ceux atteints de troubles cognitifs, sont également de nature à rendre plus satisfaisant et à enrichir le travail des soignants, jouant ainsi comme des leviers d'attractivité.

Le Synerpa, auditionné par les rapporteures, a ainsi mentionné le dispositif expérimental des Pasa de nuit. Dans le cadre de ce dispositif financé par les ARS, un aide-soignant de nuit vient renforcer les effectifs entre 19 heures et 5 heures du matin afin d'accompagner les résidents désorientés ou souffrant d'angoisses nocturnes. Un tel renfort de nuit peut avoir un impact positif sur les équipes de jour, qui trouvent des résidents apaisés.

3. L'enjeu des évolutions de carrière

Les perspectives d'évolution de carrière constituent également un levier d'attractivité des métiers.

Afin de diversifier les possibilités d'entrée en formation des aides-soignants, un arrêté du 3 juillet 2023 a notamment mis en place un parcours spécifique d'accès en 2e année de formation en soins infirmiers pour des aides-soignants disposant d'une expérience professionnelle d'au moins trois ans à temps plein au cours des cinq dernières années et qui ont été sélectionnés par la voie de la formation professionnelle continue. Pour être éligibles au parcours spécifique, les aides-soignants doivent se porter volontaires et être retenus par leur employeur à cette fin163(*).

En tant que stagiaires de la formation professionnelle continue, les candidats sont pris en charge financièrement, à ce titre, par les établissements employeurs, les opérateurs de compétence (OPCO) des branches professionnelles sanitaires et sociales ou l'Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier (ANFH)164(*).

Les Ehpad pourraient utilement se saisir de ce dispositif afin d'offrir des perspectives d'évolution professionnelle aux aides-soignants et de les inciter à s'engager dans la durée.

4. La fidélisation des directeurs d'Ehpad

Le statut des directeurs d'Ehpad ne reflète pas la complexité de leur métier ni les difficultés spécifiques auxquelles ils sont confrontés, notamment un exercice isolé et une exposition au risque d'épuisement professionnel.

Pour la CNDEPAH, une revalorisation statutaire des directeurs d'Ehpad est très attendue et constituerait une indispensable mesure de reconnaissance et de fidélisation.

Dans la fonction publique hospitalière, les directeurs d'Ehpad relèvent du cadre d'emploi des directeurs d'établissements sanitaire, social et médico-social (D3S). Afin de ne pas porter atteinte à son attractivité, la réforme annoncée de la fonction publique ne doit pas conduire à un décrochage de la grille indiciaire des D3S par rapport à celle des directeurs d'hôpital.


* 161 Rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale 2022, chapitre VI : « Les enjeux de la maîtrise des risques professionnels dans les établissements et services pour personnes âgées et personnes en situation de handicap », Cour des comptes, 2022.

* 162 Loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.

* 163 Arrêté du 3 juillet 2023 modifiant l'arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d'État d'infirmier.

* 164 Instruction n° DGOS/RH1/2023/129 du 2 août 2023 relative à la mise en place d'un parcours spécifique d'accès en 2ème année de formation en soins infirmiers pour les aides-soignants.

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