II. FAVORISER L'ATTRACTIVITÉ DES MÉTIERS
A. LEVER LES OBSTACLES À LA FORMATION ET AU RECRUTEMENT D'AIDES-SOIGNANTS
Les aides-soignants, qui représentent 35 % du personnel des Ehpad en ETP, sont les piliers du fonctionnement des établissements, jouant un rôle prépondérant dans la relation et les soins de base aux résidents. Leur métier connaît cependant un déficit d'attractivité durable, déjà souligné en 2019 par le rapport El Khomri146(*).
Pour les rapporteures, ce métier essentiel et pourtant déprécié doit être reconnu à sa juste valeur. Plusieurs leviers semblent pouvoir être actionnés afin d'améliorer l'attractivité du métier d'aide-soignant dans les Ehpad de tous statuts.
1. Le levier de l'unification des conventions collectives
a) Un paysage conventionnel complexe
La branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale (BASS) se caractérise par son éclatement. Elle compte en effet deux conventions collectives nationales (CCN), non étendues, ainsi qu'un accord d'entreprise :
- la convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951, dite « CCN 51 », avec pour organisation d'employeurs représentative la Fehap ;
- la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966, dite « CCN 66 », avec pour organisation d'employeurs représentative Nexem ;
- l'accord d'entreprise de la Croix-Rouge française.
Les conventions collectives et les accords collectifs négociés dans la branche doivent, pour être applicables au personnel et s'imposer aux autorités qui financent ces associations, être agréés par le ministère chargé de l'action sociale. L'agrément est délivré après avis de la commission nationale d'agrément, dont les travaux sont pilotés par la DGCS.
Par ailleurs, environ 20 % des établissements de la BASS ne relèvent d'aucune convention nationale. Leurs accords locaux sont également soumis à agrément.
L'agrément ministériel garantit l'opposabilité des accords aux financeurs, notamment l'État, la branche autonomie et les conseils départementaux. Aussi, il est délivré en fonction de la soutenabilité financière de l'accord et de motifs d'intérêt général.
b) Un décrochage des minima conventionnels de la branche
Depuis 2020, les aides-soignants ont bénéficié de revalorisations salariales considérables. Selon la DGCS, un aide-soignant du secteur privé non lucratif a, en moyenne, vu sa rémunération augmenter de 475 euros par mois en trois ans, pour atteindre 24 800 euros par an en 2022.
On constate néanmoins un décrochage progressif des classifications conventionnelles de la branche par rapport au Smic147(*) et un tassement des grilles conventionnelles. Au sein de la BASS, de manière générale, environ 1 salarié sur 5 a une rémunération réelle comprise entre 1 et 1,2 Smic. Le Ségur de la santé n'a pas permis d'enrayer ce tassement.
À titre d'illustration, la CCN 51 prévoit un salaire minimum garanti fixé à 1 463 euros brut qui n'a pas été revalorisé depuis le 1er janvier 2017. Cependant, elle stipule également que, si le minimum conventionnel est à un niveau inférieur au Smic, ce dernier est retenu comme rémunération de base à laquelle s'ajoutent l'ancienneté et la prime « décentralisée ».
Par ailleurs, les rémunérations sont en moyenne 12 % plus faibles dans les établissements qui ne relèvent pas d'une convention collective nationale.
c) Le projet de convention collective unique et étendue
Afin de moderniser le dialogue social dans la branche et d'offrir de meilleures conditions d'emploi à ses salariés, l'État encourage la construction d'une convention collective nationale unique étendue (CCNUE).
Pour les rapporteures, ce chantier représente un levier d'attractivité prometteur. Toutefois, les négociations pour y parvenir suscitent des tensions et rencontrent des obstacles.
À l'automne 2023, un accord de méthode signé en vue de construire la future CCNUE, contenant plusieurs stipulations salariales, a fait l'objet d'une opposition majoritaire des syndicats, ne lui permettant pas d'entrer en vigueur. Par la suite, un nouveau projet d'accord de méthode n'a pas abouti.
Axess, confédération regroupant la Fehap et Nexem, a formulé le 19 janvier 2024 une recommandation patronale unilatérale portant diverses revalorisations des personnels de la branche. Après avis de la commission d'agrément, le Gouvernement a décidé de ne pas agréer cette recommandation unilatérale : « 20 % des salariés, non couverts par les conventions collectives nationales, demeureraient en effet écartés des revalorisations proposées, ce qui ne correspond pas aux ambitions des négociations engagées depuis plusieurs mois désormais, avec l'appui résolu du Gouvernement »148(*).
Le Gouvernement, souhaitant donner toute sa chance au dialogue social, a demandé aux parties de revenir à la table des négociations sous une double contrainte de calendrier :
- la reprise de la négociation CCNUE, avec la conclusion avant la fin du mois de novembre 2024 d'un accord portant a minima sur les classifications, les rémunérations et les congés ; à défaut, « chaque partie sera amenée à prendre ses responsabilités, s'agissant notamment de l'avenir des conventions collectives en vigueur » ;
- la négociation d'un accord intermédiaire avant la fin du mois de juin 2024, portant sur la revalorisation des bas salaires dans la perspective de la CCNUE et pouvant prendre en compte la situation des personnels non bénéficiaires de la prime « Ségur ». Cet accord intermédiaire devra inclure un engagement à accepter de poursuivre la négociation globale de la CCNUE dans le calendrier contraint proposé.
Un accord en ce sens proposé par Axess a été signé par la majorité des syndicats le 4 juin. Les organisations syndicales ont parafé les deux textes, qui ont été traités rapidement par le Gouvernement : présentés en commission d'agrément le 20 juin 2024 par les partenaires sociaux, ils ont été agréés par la ministre le 25 juin149(*).
Compte tenu de la précipitation dans laquelle ces accords de branche ont été agréés, l'ADF déplore cependant que les départements aient été placés devant le fait accompli, a fortiori dans un contexte politique qui les prive d'interlocuteurs150(*). Il importe que l'État continue à soutenir ce chantier en prévoyant le financement par la sécurité sociale de ces mesures salariales.
2. Le levier de la formation et de la qualification
a) Le renforcement de l'accès à la qualification
Depuis 2020, l'État a cherché à actionner le levier de la formation en contractualisant avec les régions afin d'ouvrir de nouvelles places : d'après la DGCS, 10 000 places ont été ouvertes entre 2020 et 2022 pour les diplômes d'aide-soignant, d'infirmier et d'accompagnant éducatif et social, et 3 300 places supplémentaires devraient être déployées d'ici 2025.
À travers la réforme de la validation des acquis de l'expérience (VAE) engagée par la loi « marché du travail » du 21 décembre 2022151(*), le Gouvernement avait par ailleurs pour ambition de multiplier par trois le nombre de diplômés par cette voie, avec l'objectif de favoriser les recrutements, notamment d'aides-soignants, dans le secteur médico-social. Un service public de la VAE, dit « France VAE », centralise désormais les démarches administratives, accélère le processus de VAE et permet aux candidats d'être accompagnés tout au long de leur parcours. En outre, l'expérimentation de la « VAE inversée » vise à intégrer au contrat de professionnalisation des actions permettant de faire valider les acquis de l'expérience.
Au-delà des améliorations prévues par la loi, accroître le nombre de bénéficiaires de la VAE suppose concrètement d'augmenter le nombre et la fréquence des jurys.
b) L'actualisation de la formation
Pour renforcer l'attractivité du métier et permettre de former les professionnels en nombre suffisant, le contenu de la formation d'aide-soignant a été revu et actualisé.
La formation diplômante d'aide-soignant, d'une durée d'un an (soit 1 540 heures) est dorénavant reconnue au niveau 4 du registre national des certifications professionnelles (RNCP) et permet à l'aide-soignant d'intégrer la catégorie B du statut des fonctionnaires dans la fonction publique hospitalière. La nouvelle réglementation s'impose depuis septembre 2021152(*).
Le diplôme d'État d'aide-soignant garantit la qualité des soins et de l'accompagnement des personnes en perte d'autonomie. Il reste cependant une barrière à l'entrée qui complexifie le fonctionnement du marché du travail dans ce secteur.
Compte tenu du nombre de postes vacants, les propositions visant à assouplir ce fonctionnement méritent d'être prises en considération. Ainsi, le Synerpa préconise de reconnaître un niveau intermédiaire de personnel soignant, à l'image de la certification d'« accompagnant en gérontologie » inscrite au RNCP entre 2021 et 2024. Les professionnels disposant de cette qualification pourraient être financés dans le cadre du forfait soins (ou d'un forfait soins et dépendance fusionné). Cette qualification constituerait un premier niveau de compétences permettant de s'insérer dans le parcours de qualification menant au diplôme d'aide-soignant.
c) L'annonce d'un plan de qualification des « faisant-fonction »
Lors de la présentation de sa stratégie « Bien vieillir », en novembre 2023, l'ancienne ministre des solidarités Aurore Bergé a annoncé vouloir déployer « un plan de qualification des faisant-fonction d'aides-soignants ».
Les agents faisant fonction d'aide-soignant peuvent représenter un tiers, voire plus de la moitié des effectifs dans certains établissements. Ces professionnels sont souvent titulaires d'un diplôme d'accompagnant éducatif et social (AES), d'un titre du secteur de l'intervention sociale, voire d'aucun diplôme en lien avec ce champ.
La DGCS travaille ainsi à la construction de parcours de qualification pour les faisant-fonction d'aides-soignants dans le champ médico-social ainsi qu'à des actions de soutien aux employeurs153(*).
Les « faisant-fonction », une question ancienne encore irrésolue154(*)
Selon le Synerpa, les réponses des fédérations à un questionnaire adressé par la DGCS en septembre 2023 permettent d'identifier, dans les Ehpad, entre 18 % et 60 % de faisant-fonction parmi les aides-soignants.
La part de faisant-fonction d'aides-soignants sans aucun diplôme représente entre un quart et un tiers de leurs effectifs.
La part de faisant-fonction d'aides-soignants engagés dans un processus de VAE oscille, selon les répondants, entre 0 % et 16 %.
La part de faisant-fonction d'aides-soignants engagés dans une formation professionnalisante varie entre 13 % et 26 % selon les répondants.
3. Les difficultés particulières d'accès à la fonction publique territoriale
Dans la fonction publique territoriale, les aides-soignants sont recrutés en qualité d'auxiliaires de soins territoriaux de 2e classe.
Le recrutement par concours reste la voie d'accès de droit commun aux emplois de la fonction publique territoriale (FPT). Le maintien d'un concours, y compris pour les cadres d'emplois pour lesquels l'exercice des missions nécessite la détention d'un diplôme ou titre spécifique, permet à la fois de garantir l'égalité d'accès de tous les candidats aux emplois publics et d'opérer une sélection entre les candidats titulaires de titres ou diplômes identiques. Tel est le cas des auxiliaires de soins territoriaux de 2e classe dont le recrutement intervient après inscription sur une liste d'aptitude, à l'issue d'un concours sur titres avec épreuves.
Ce concours a été simplifié, au regard des difficultés de recrutement au sein des filières sociale, médico-sociale et médico-technique, par la loi 20 avril 2016 relative à la déontologie des fonctionnaires155(*) : il peut désormais comporter une unique épreuve, un entretien avec le jury, et, le cas échéant, des épreuves complémentaires. Ces dispositions ont été généralisées à l'ensemble des filières de la FPT par la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique156(*).
En revanche, contrairement à la fonction publique territoriale, le recrutement des fonctionnaires de l'État et de la fonction publique hospitalière dont l'exercice des missions nécessite la détention d'un diplôme ou d'un titre n'est pas conditionné de façon obligatoire à la réussite d'un entretien.
Ainsi, les Ehpad relevant de la fonction publique hospitalière (FPH) peuvent recruter des aides-soignants parmi les élèves aides-soignants, titulaires entre autres du diplôme d'État d'aide-soignant, parmi les titulaires d'une attestation d'aptitude aux fonctions d'aide-soignant ou d'auxiliaire de puériculture, ou encore parmi les agents hospitaliers qualifiés, justifiant d'une certaine ancienneté et après sélection professionnelle.
Les conditions d'accès à l'emploi d'aide-soignant sont donc différentes entre la FPH et la FPT alors même qu'il existe une passerelle entre ces fonctions publiques. Cette différence est préjudiciable aux aides-soignants de la FPT qui, outre leur diplôme, doivent réussir un concours avant d'être éventuellement nommés fonctionnaires stagiaires.
Afin de rendre plus attractifs les emplois d'aide-soignant dans les Ehpad territoriaux, il serait opportun d'homogénéiser les conditions d'accès aux trois fonctions publiques de telle sorte que les aides-soignants relevant de la FPT puissent être inscrits sur liste d'aptitude sur la base de leurs seuls diplômes. De la même manière, le passage des infirmiers diplômés d'État vers la fonction publique territoriale pourrait être facilité.
Proposition n° 5 : Homogénéiser les conditions d'accès aux emplois de soignant entre les fonctions publiques hospitalière et territoriale.
* 146 Cf. première partie, II.C.
* 147 Salaire minimum interprofessionnel de croissance.
* 148 Communiqué suite à la commission d'agrément de la recommandation patronale d'Axess, 29 février 2024.
* 149 Arrêté du 25 juin 2024 relatif à l'agrément de certains accords de travail applicables dans les établissements et services du secteur social et médico-social privé à but non lucratif.
* 150 « Oubliés du Ségur », les Départements ne peuvent plus suivre. Communiqué de Départements de France, 28 juin 2024.
* 151 Loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022 portant mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi - Article 10.
* 152 Arrêté du 10 juin 2021 relatif à la formation conduisant au diplôme d'État d'aide-soignant et portant diverses dispositions relatives aux modalités de fonctionnement des instituts de formation paramédicaux.
* 153 « "Faisant-fonction" d'aides-soignants : ce que prévoit la DGCS pour en sortir », Le Média Social, 20 mars 2024.
* 154 Source : réponses du Synerpa au questionnaire des rapporteures.
* 155 Loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires - Article 58.
* 156 Loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique.